Service des Commissions

COMMUNIQUE DE PRESSE

M. Hubert Védrine évoque devant les sénateurs plusieurs sujets d’actualité internationale, notamment la situation

au Kosovo et au Timor oriental

Réunie sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a entendu, le mardi 28 septembre 1999, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères sur les principaux dossiers de l’actualité internationale.

M. Hubert Védrine a tout d’abord indiqué que le débat général de la nouvelle session de l’Assemblée générale des Nations Unies, à laquelle il avait participé, avait principalement porté sur la question des rapports entre ingérence et souveraineté. M. Kofi Annan, secrétaire général de l’Organisation, avait lui-même insisté sur l’urgence d’une définition de règles permettant une certaine forme d’ingérence face aux tragédies humanitaires. Cette proposition avait notamment été soutenue par le Président des Etats-Unis et le Premier ministre français, celui-ci ayant rappelé qu’un tel projet devait s’inscrire dans le cadre de la Charte des Nations Unies. D’autres intervenants, au demeurant majoritaires, avaient, en revanche, réaffirmé une conception souverainiste en la matière, estimant qu’elle constituait l’ultime protection d’Etats faibles ou démunis.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite évoqué les dossiers qui avaient fait l’objet, en marge de l’Assemblée générale, de discussions avec ses principaux collègues européens, américain et russe. S’agissant de la situation en Irak, le ministre a relevé que la persévérance manifestée par la France commençait à porter ses fruits. L’idée, proposée par notre pays, d’instaurer de nouvelles modalités pour un contrôle efficace du désarmement pouvant s’accompagner d’une suspension de l’embargo, n’était plus désormais écartée par nos partenaires anglo-saxons qui se sont progressivement rapprochés des thèses défendues par la France.

Concernant le Kosovo, les principaux interlocuteurs rencontrés à New York par le ministre des affaires étrangères ont exprimé le sentiment que les choses évoluaient " le moins mal possible ". La mise en œuvre des orientations arrêtées par la résolution 1244 du Conseil de sécurité est cependant rendue plus difficile par l’absence d’évolution politique en Serbie.

Enfin, abordant la situation au Timor oriental, le ministre a rappelé qu’après la phase actuelle de contrôle des milices par la force internationale, celle-ci aurait à superviser la mise en œuvre effective de l’indépendance du territoire après le vote du Parlement indonésien.

Le ministre a ensuite répondu aux questions des commissaires :

Mme Paulette Brisepierre s’est tout d’abord interrogée sur l’évolution de la position des partenaires de la France sur la notion de devoir d’ingérence. Elle s’est demandée quelles devaient être, selon le ministre, les limites des actions entreprises selon ce principe.

M. Hubert Védrine a souligné qu’un important débat s’était développé sur cette question au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies. Pour lui, il s’agit surtout d’essayer de déterminer quels peuvent être les critères d’une intervention humanitaire et de dégager, autant que possible, les types de crises dans lesquelles une telle intervention serait possible, ces interventions devant rester dans le cadre de la Charte des Nations Unies, et notamment de son chapitre VII.

M. Christian de La Malène a fait remarquer que la composition des forces multinationales les plus récentes ayant participé à des interventions militaires au nom de l’ONU avait mis en lumière une participation majoritaire d’armées des pays développés occidentaux qui pouvait, a-t-il estimé, renforcer la réaction négative de nombreux Etats contre le principe d’ingérence.

Le ministre des affaires étrangères a fait observer que les interventions militaires de l’ONU, qui n’avaient été rendues possibles qu’après la fin de la guerre froide, avaient finalement été relativement peu nombreuses. Il a reconnu que, pour l’avenir, il conviendrait en effet d’éviter qu’un nouveau clivage ne s’instaure entre pays riches et pays pauvres dans le cadre des participations militaires à des forces multinationales de maintien ou de restauration de la paix. Après que M. Xavier de Villepin, président, eut souligné le rôle important tenu par le Nigeria dans certaines forces interafricaines de maintien de la paix, M. Hubert Védrine a rappelé que les Etats africains s’impliquaient de plus en plus dans la constitution de telles forces déployées sur leur continent et auxquelles la France accordait un soutien logistique.

M. Robert Del Picchia a relevé que l’ingérence ne revêtait pas toujours un caractère militaire ; il a notamment rappelé que la Russie avait accepté que l’OSCE envoie une mission en Tchétchénie. M. Hubert Védrine a toutefois estimé que la notion d’ingérence était associée à celle d’intervention à caractère intrusif et que les missions politiques d’une organisation comme l’OSCE ne revêtaient pas ce caractère.

S’agissant de l’Irak, le ministre a rappelé à M. Robert Del Picchia que, si la souveraineté de ce pays avait été légalement limitée par les résolutions successives du Conseil de sécurité, le débat portait aujourd’hui sur l’opportunité de maintenir un régime inchangé compte tenu des problèmes humanitaires qu’il entraîne, alors même que le système de contrôle mis en place par l’ONU était désormais inopérant.

M. Aymeri de Montesquiou, s’interrogeant sur l’opportunité de développer une " stratégie de l’ingérence " –notion qui semblait avoir une signification différente des deux côtés de l’Atlantique–, s’est demandé si le maintien de la mission de vérification du Kosovo (MVK) déployée par l’OSCE aurait pu contribuer à sécuriser les populations civiles. Il s’est ensuite étonné qu’au Timor oriental, le dispositif mis en œuvre par l’ONU n’ait pas comporté le déploiement préventif de forces internationales destinées à éviter les mouvements de représailles qui étaient prévisibles.

M. Hubert Védrine, après avoir convenu avec le sénateur que les cultures nord-américaines et européennes abordaient en effet différemment le concept d’ingérence, a indiqué qu’aucun des pays ayant participé à l’opération " Force alliée " n’avait estimé que le maintien de la mission de vérification du Kosovo de l’OSCE eût modifié, de quelque manière que ce soit, la résolution du président Milosevic. Le ministre a reconnu que le dispositif de l’ONU au Timor oriental aurait pu prendre en compte l’idée d’un déploiement préventif de forces internationales destinées à sécuriser le scrutin et la période qui l’avait immédiatement suivi.

M. André Dulait a souligné que la population chrétienne du Timor oriental était très minoritaire par rapport à une population indonésienne très majoritairement musulmane et il s’est demandé comment pourraient être garanties à l’avenir l’indépendance et la sécurité de ce territoire, une fois devenu indépendant. Il s’est ensuite demandé comment s’opérait le règlement des arriérés de paiement dus par les Etats Unis aux Nations Unies.

M. Hubert Védrine a souligné la difficulté des interventions humanitaires pour le maintien de la paix. Il a à nouveau insisté sur le fait que la question principale résidait dans la définition de règles d’intervention et a estimé que la religion ne pouvait en aucun cas constituer un critère d’intervention. A propos de la question des arriérés américains, il a indiqué que le Congrès permettrait vraisemblablement à l’administration américaine d’assurer le paiement d’une partie des arriérés actuels, de manière à éviter le risque de voir les Etats-Unis perdre leur droit de vote à l’ONU.

M. Emmanuel Hamel s’est inquiété de la situation des populations serbes et kosovares à l’approche d’un hiver très rigoureux dans la région et a demandé quels moyens étaient mis en œuvre pour éviter une nouvelle catastrophe humanitaire. Soulignant par ailleurs la situation très délicate dans laquelle se trouvaient les communautés étrangères en Indonésie, il s’est inquiété des mesures qui pourraient être prises pour assurer la sécurité de nos ressortissants sur place et, à plus long terme, des moyens qui pourraient permettre à l’Indonésie de retrouver le chemin du développement économique.

M. Hubert Védrine a indiqué que tout était fait, au kosovo, pour assurer les meilleures conditions de vie aux personnes qui ont pu souffrir de la guerre et des destructions ; mais la situation –a-t-il estimé– est différente en Serbie, compte tenu du maintien des sanctions contre Belgrade.

Au sujet de l’Indonésie, le ministre des affaires étrangères a insisté sur le fait qu’il fallait effectivement aborder nos relations avec ce pays de manière globale. Il a souhaité que l’aide à Djakarta soit poursuivie, tout en prenant soin de la conditionner à l’évolution de la situation politique et économique intérieure et du problème timorais. Il a par ailleurs indiqué que tous les moyens étaient prévus pour assurer la sécurité de nos ressortissants sur place.

M. Xavier de Villepin, président, a estimé qu’il était essentiel que le processus électoral, débuté le 7 juin et devant aboutir à l’élection d’un nouveau président indonésien, aille à son terme, alors même que M. Habibie semblait déstabilisé par le rôle joué par l’armée et par les rumeurs de corruption affectant notamment le secteur bancaire. Revenant ensuite sur la situation au Kosovo, M. Xavier de Villepin, président, a fait part de sa très vive préoccupation devant le développement de thèses favorables à une indépendance du Kosovo qu’il a jugée très dangereuse dans cette région des Balkans, ainsi que l’avait d’ailleurs souligné le processus de Rambouillet.

M. Hubert Védrine, après avoir souscrit aux analyses de M. Xavier de Villepin, président, sur l’importance du processus électoral en Indonésie, a souligné l’extrême difficulté du travail effectué au Kosovo par M. Kouchner et le général Jackson et a soutenu leur recherche constante de solutions pragmatiques pour construire la paix. Il a relevé que les raisons qui avaient conduit à s’opposer à l’indépendance du Kosovo restaient aujourd’hui valables et qu’en particulier la position de l’administration américaine sur ce point n’avait pas évolué.

M. Philippe de Gaulle a interrogé le ministre sur les thèmes abordés à l’occasion de la visite du Chef de l’Etat roumain en France ainsi que sur la position de notre pays à l’égard de l’Algérie –particulièrement en ce qui concerne la politique en matière de visas.

Le ministre des affaires étrangères a indiqué qu’il avait été principalement question avec la délégation roumaine de la candidature de Bucarest pour adhérer à l’OTAN et à l’Union européenne. Il a rappelé que la France soutenait ces candidatures roumaines et qu’elle souhaitait que les négociations d’adhésion de ce pays à l’Union européenne soient ouvertes rapidement.

Evoquant l’évolution de la situation en Algérie depuis l’accession au pouvoir du Président Bouteflika, M. Hubert Védrine a souligné que la France souhaitait bien évidemment que l’Algérie retrouve la stabilité. En ce qui concerne la politique des visas, il a estimé qu’il était désormais possible d’augmenter progressivement le nombre des visas accordés aux ressortissants algériens.

M. Aymeri de Montesquiou s’est demandé quelle était la position de la diplomatie française à l’égard des négociations entre Israël et Palestiniens, en particulier en vue de la création en 2000 d’un Etat palestinien ayant pour capitale Jérusalem. Il s’est également interrogé sur les ressorts, notamment financiers, du conflit en Tchétchénie et au Daghestan.

M. Hubert Védrine a rappelé, sur ce dernier point, que la situation dans le nord du Caucase était particulièrement complexe puisque beaucoup d’intérêts différents étaient en jeu et qu’il existait dans la région d’importants mouvements nationalistes et islamistes. En ce qui concerne les négociations entre Israël et les Palestiniens, il a précisé que la France était disponible pour aider les parties à avancer, avec pragmatisme, sur la voie du processus de paix. Il a souligné que l’accord récemment intervenu constituait un progrès important puisqu’il permettait l’application des accords précédemment conclus. Il a toutefois fait remarquer que les négociations qui restaient à conduire, en particulier sur la question du statut final des territoires palestiniens, exigeraient pour aboutir des concessions fortes de part et d’autre.

M. Serge Vinçon a alors demandé au ministre quels étaient les enseignements du dernier sommet franco-italien dans le domaine de la construction d’une Europe de la défense. M. Hubert Védrine a précisé que la France poursuivait avec constance ses efforts pour construire une Europe de la défense au sein de l’Union européenne avec ses quatorze partenaires et qu’elle leur avait proposé un plan d’action en la matière. Il a relevé que la France s’efforçait dans le même temps de prolonger, avec les pays européens qui faisaient preuve de la volonté la plus forte en la matière, le processus enclenché à Saint-Malo avec le Royaume-Uni. Il convenait, a souligné le ministre des affaires étrangères, d’agir dans ce domaine de manière pragmatique et, en particulier, de développer les capacités de projection communes et de bâtir une véritable industrie européenne de défense.

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