Service des commissions

M. Hubert Védrine évoque devant les sénateurs

le processus de paix au Proche-orient et le Sommet

de l’OSCE à Istanbul

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu, le 24 novembre 1999, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a d’abord évoqué le processus de paix au Proche-Orient. Il a relevé, s’agissant des négociations israélo-palestiniennes, que M. Ehud Barak avait mis en œuvre les engagements souscrits par son prédécesseur et que les discussions difficiles sur le statut final des territoires palestiniens avaient débuté. Il a observé que les conditions d’une reprise des négociations entre la Syrie et Israël n’étaient pas encore réunies et que le retrait des forces israéliennes du Liban-sud avant juillet prochain, évoqué par le Premier ministre israélien, risquait de créer une situation chaotique s’il ne s’inscrivait pas dans le cadre d’un accord global entre Israël et le Liban. Il a ajouté qu’un accord israélo-palestinien devrait nécessairement aborder la question de la présence palestinienne au Liban. M. Hubert Védrine a enfin noté que la France s’efforçait de contribuer au déblocage des discussions entre Israël et ses deux voisins et qu’elle poursuivait à cet égard les mêmes objectifs que les Etats-Unis.

Le ministre des affaires étrangères a ensuite dressé un bilan du Sommet de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), réuni à Istanbul les 18 et 19 novembre dernier. L’ordre du jour, a-t-il précisé, prévoyait l’adoption, d’une part, d’une charte de la sécurité et, d’autre part, de plusieurs amendements au traité relatif aux forces conventionnelles en Europe (FCE). M. Hubert Védrine a souligné que la France avait considéré qu’il n’était pas possible de signer la charte de la sécurité sans évoquer la crise tchétchène et avait sensibilisé ses partenaires de l’Union européenne et les Etats-Unis sur cette question. Il a relevé que les pays occidentaux ne mettaient pas en cause la souveraineté de la Russie sur la Tchétchénie et ne contestaient pas davantage la réalité du problème terroriste. Il a estimé que la Russie, lors de la conclusion du Sommet, avait finalement admis la nécessité de rechercher une solution politique au conflit et accepté notamment, dans cette perspective, le principe d’une visite du président de l’OSCE en Tchétchénie. Ces engagements, a ajouté le ministre, ont rendu possible la signature de la charte de la sécurité. Il a néanmoins relevé que les autorités russes n’avaient pas, pour l’heure, modifié leur comportement et leur position et il a indiqué que les pays occidentaux demandaient aux autorités russes de respecter leurs engagements en acceptant le déplacement du président de l’OSCE en Tchétchénie.

A la suite de l’exposé du ministre, M. Claude Estier, après avoir évoqué la cohésion des Occidentaux lors du Sommet d’Istanbul, s’est étonné de la relative modération du discours du président des Etats-Unis à l’égard de la Russie. Il a souhaité par ailleurs obtenir des précisions sur le lien entre la crise tchétchène et les prochaines échéances électorales russes, ainsi que sur une possible visite du président Eltsine à Paris au lendemain des élections législatives en Russie.

M. Christian de la Malène a demandé des précisions sur la nature juridique des modifications apportées au traité relatif aux forces conventionnelles en Europe.

M. Robert Del Picchia s’est interrogé sur les conditions dans lesquelles a pu être adoptée par les Occidentaux une position commune vis-à-vis de la Russie, lors du Sommet de l’OSCE.

M. Aymeri de Montesquiou, évoquant les conflits au Kosovo, en Tchétchénie ou en Afghanistan, s’est demandé si la communauté internationale réagissait de manière vraiment équilibrée vis-à-vis des crises qui pouvaient survenir dans les différentes parties du monde.

M. Michel Caldaguès a souhaité savoir s’il y avait un lien entre la modération américaine vis-à-vis de la crise tchétchène et la retenue observée par la Russie devant l’évolution de la situation au Kosovo.

Mme Danielle Bidard-Reydet a interrogé le ministre sur les conditions dans lesquelles une aide humanitaire pourrait être apportée à la population civile tchétchène.

M. Xavier de Villepin, président, a demandé au ministre son sentiment sur le lien entre le conflit en Tchétchénie et la proximité des échéances électorales russes, ainsi que sur les relations entre le Premier ministre, M. Poutine, et l’armée russe.

En réponse aux questions des commissaires, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :

- les modifications apportées au traité sur les forces conventionnelles en Europe devront être ratifiées dans les conditions habituelles par les parlements nationaux, même si les pays occidentaux ont fait savoir, après avoir signé le texte amendé du traité, qu’ils n’engageraient les procédures de ratification que lorsque la Russie respecterait les plafonds fixés par ce texte ;

- Mme Ogata, haut-commissaire aux réfugiés, après avoir visité les populations tchétchènes déplacées, n’a pas fait état de catastrophe humanitaire aiguë au regard de la situation alimentaire et sanitaire ;

- la France a joué un rôle moteur pour que la crise tchétchène soit prise en compte lors du Sommet, même si certains de nos partenaires se sont interrogés sur les conséquences d’un durcissement des positions occidentales vis-à-vis de la Russie ;

- il n’existe pas de comparaison possible entre la crise en Tchétchénie et la situation au Kosovo ; les désaccords manifestés par la Russie quant à la politique suivie au Kosovo n’ont conduit en aucune manière à une rupture avec les Occidentaux ; l’objectif dans cette région reste d’organiser des élections municipales l’été prochain, même si cette perspective rencontre l’hostilité de certaines forces intérieures kosovares ;

- à Moscou, l’unanimité est complète entre les responsables politiques sur la guerre en Tchétchénie et la lutte contre le terrorisme est une cause nationale qui recueille un soutien général.

Le ministre a ensuite répondu aux questions des commissaires concernant l’évolution du processus de paix au Proche-orient.

Mme Danièle Bidard-Reydet a rappelé que plusieurs questions commandaient une évolution rapide des négociations : le non-démantèlement de la plupart des colonies sauvages dans les territoires occupés ou le problème de la libre circulation dans Jérusalem-est. Elle s’est demandée si l’application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU constituait encore une base de négociation.

M. Daniel Goulet a souligné l’inquiétude des responsables libanais sur l’avenir de la présence palestinienne sur leur territoire.

M. André Dulait a interrogé le ministre sur le futur statut de Jérusalem.

M. Aymeri de Montesquiou s’est inquiété de la position d’Israël sur le retour éventuel des réfugiés palestiniens dits " des premières vagues " et s’est interrogé sur l’analyse de la diplomatie française sur cette question.

M. Xavier de Villepin, président, a souligné l’aspect éminemment complexe de la négociation en cours. Il s’est interrogé sur la possibilité de respecter les échéances prévues dans le cadre du processus de paix : signature d’un accord intérimaire en février 2000 et accord final en septembre 2000. M. Xavier de Villepin, président, s’est demandé si la politique menée par M. Ehud Barak ne se situait pas en définitive à mi-chemin entre celle conduite par ses prédécesseurs travaillistes, MM. Rabin et Peres, et celle de M. Netanyahou.

M. Hubert Védrine a alors apporté les précisions suivantes :

- depuis 1967, 190 000 colons s’étaient installés dans les territoires occupés. La poursuite de cette politique depuis l’accession de M. Barak aux responsabilités suscitait perplexité et interrogations. Ce sujet faisait partie des dossiers en négociation sachant que M. Ehud Barak avait clairement affiché son refus d’un démantèlement total des implantations sauvages. Cela étant, l’écart que l’on constate entre l’objectif ultime de paix de M. Ehud Barak et ses propositions actuelles pouvait ne constituer qu’une position de départ dans la négociation ;

- les Libanais partagent une inquiétude unanime sur l’évolution de la présence palestinienne sur leur sol ;

- Israël s’oppose clairement au retour des réfugiés palestiniens des " premières vagues ", et s’achemine plutôt vers l’hypothèse de compensations. Pour la France, la base du droit international sur cette question est inscrite dans les diverses résolutions des Nations unies qui prévoient le droit au retour des réfugiés. La solution définitive devrait revenir aux intéressés eux-mêmes ;

- la réflexion sur le futur statut de Jérusalem doit prendre en compte, d’une part, la question de la souveraineté, israélienne ou palestinienne, sur la ville et, d’autre part, les points de vue exprimés par d’autres intervenants ou Etats compte tenu de la dimension religieuse du problème ;

- la fixation d’échéances dans le cadre de la négociation pourrait permettre à M. Ehud Barak de mobiliser la majorité qui le soutient ; en fin de compte, c’est la réalité des progrès ou des retards de la négociation qui déterminera le calendrier ;

- le Premier ministre israélien est sincèrement désireux d’aboutir à une solution constructive. Il a fait sienne la position exprimée depuis longtemps par la France selon laquelle un Etat palestinien serait davantage une solution qu’un problème, à la condition que cet Etat soit viable.

Mme Danielle Bidard-Reydet a alors interrogé le ministre sur la contribution que la prochaine session de l’Union interparlementaire, qui doit se tenir à Marseille en mars 2000 sur les problèmes méditerranéens, pourrait apporter au processus de négociation en cours, dans la perspective du sommet euro-méditerranéen prévu durant la présidence française de l’Union européenne.

M. Xavier de Villepin, président, a souhaité obtenir du ministre des éclaircissements sur les raisons qui empêchaient le président algérien, M. Bouteflika, de constituer son gouvernement.

Le ministre a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- les contacts interparlementaires ne constituent sans doute pas le canal le plus approprié pour intervenir dans les négociations, essentiellement bilatérales, entre Israël, d’une part, et les Palestiniens, la Syrie et le Liban, d’autre part. En revanche, une réflexion pourrait être conduite dans une telle enceinte sur les problèmes d’avenir de la région ;

- en Algérie, certaines personnes, groupes ou forces peuvent ne pas avoir intérêt à la cessation des affrontements qui affectent le pays depuis de nombreuses années. Le président algérien, fortement soutenu par l’opinion de son pays, ne renoncera pas à ses projets et la France entend le soutenir dans cette démarche.