Service des commissions

M. Pierre Moscovici évoque devant les sénateurs

les conclusions du conseil européen d’Helsinki

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la délégation du Sénat pour l’Union européenne ont entendu, le mardi 21 décembre 1999, M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les conclusions du Conseil européen d’Helsinki.

M. Pierre Moscovici a tout d’abord rendu compte des travaux relatifs à l’ouverture de la Conférence intergouvernementale sur la réforme des institutions européennes. Rappelant que la principale difficulté résidait dans la détermination de l’ordre du jour de cette conférence, il a qualifié de réaliste et ambitieuse l’approche retenue par le Conseil européen. Ce dernier, a-t-il poursuivi, a en effet décidé d’axer la Conférence intergouvernementale sur les trois grandes questions non résolues à Amsterdam, c’est-à-dire la taille et la composition de la Commission, la repondération des voix au sein du Conseil et l’extension du vote à la majorité qualifiée, tout en ménageant la possibilité d’aborder éventuellement d’autres dossiers. Il a également indiqué que d’importantes modifications devraient être apportées aux méthodes de travail du Conseil européen. Il a enfin déclaré que le Gouvernement conduisait actuellement une réflexion sur les propositions de réforme relatives aux questions institutionnelles formulées par la délégation du Sénat pour l’Union européenne et se tenait prêt à entretenir un dialogue permanent avec le Sénat tout au long de la Conférence intergouvernementale.

S’agissant de la composition de la Commission européenne, M. Pierre Moscovici a rappelé que l’objectif était de renforcer sa collégialité et son efficacité ainsi que de valoriser le rôle de son président. Dans l’esprit du Gouvernement français, a-t-il ajouté, il importait de tenter de réduire le nombre des commissaires ou, à tout le moins, d’en limiter l’augmentation au fur et à mesure des nouvelles adhésions. Il s’est montré réservé sur la proposition avancée par certains gouvernements de poser d’emblée le principe d’un commissaire par pays membre.

Le ministre délégué a souligné qu’un nombre important de gouvernements s’étaient montrés favorables à l’idée d’une nouvelle pondération des voix au sein du Conseil européen plutôt qu’à un système de double majorité.

Il a indiqué que la Conférence intergouvernementale devrait aboutir à une quasi-généralisation du vote à la majorité qualifiée et étendre les cas de codécision avec le Parlement européen, la règle de l’unanimité devant devenir l’exception.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes a alors précisé que la Conférence intergouvernementale pourrait en outre aborder d’autres domaines comme l’instauration d’un plafond du nombre de parlementaires européens, la porte restant ouverte pour les coopérations renforcées.

S’agissant des modalités de fonctionnement du Conseil européen, il s’est déclaré favorable aux propositions de la délégation du Sénat pour l’Union européenne tendant à renforcer le rôle du Conseil des affaires générales, mais a jugé en revanche moins opportun le projet de donner au seul Conseil " Ecofin " un pouvoir d’arbitrage sur les questions ayant une implication financière.

Il a enfin précisé que le lancement de la Conférence intergouvernementale devrait intervenir au début du mois de février 2000.

M. Pierre Moscovici a ensuite fait le point sur les décisions du Conseil européen relatives à l’élargissement de l’Union européenne.

Il a rappelé qu’à Helsinki, le Conseil avait admis six nouveaux pays, à savoir Malte, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie, la Bulgarie et la Roumanie, à participer aux négociations en vue d’une adhésion future à l’Union. Avec les six pays déjà retenus en 1998, ce seront donc, a-t-il précisé, douze pays qui, à partir de l’an prochain, conduiront leurs négociations d’adhésion dans un cadre unique, l’Union européenne devant pour sa part mener ses réformes internes de manière à pouvoir accueillir de nouveaux membres à partir de la fin 2002.

S’agissant de la Turquie, le ministre délégué chargé des affaires européennes a souligné que le Conseil européen n’avait pas décidé l’adhésion de cette dernière, ni même l’ouverture de négociations d’adhésion avec ce pays, mais avait simplement pris acte de sa candidature. Il a insisté sur le rôle actif que la Grèce avait joué dans ce processus de rapprochement euro-turc. Enfin, il a rappelé l’ancienneté des perspectives d’adhésion ouvertes à la Turquie puisque celles-ci étaient explicitement évoquées dès l’accord d’association conclu en 1963.

M. Pierre Moscovici a alors estimé que la position prise par le Conseil européen à l’égard de la Turquie exigerait la mise en œuvre d’un processus de convergence politique, tout particulièrement dans le domaine de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme. Tout en prenant acte des multiples réserves qui s’étaient exprimées sur une éventuelle adhésion de la Turquie, il a considéré que l’Union européenne reposait sur une communauté de valeurs dont la Turquie ne pouvait a priori être écartée.

Le ministre délégué chargé des affaires européennes a ensuite abordé les décisions relatives à la défense européenne, estimant que la réunion d’Helsinki marquait une étape très importante dans l’affirmation d’une " Europe puissance ". Il a jugé réaliste l’approche consistant à vouloir remédier aux faiblesses européennes en matière militaire sans chercher pour autant à créer un substitut à l’Alliance atlantique, qui demeure la pierre angulaire de la défense de l’Europe.

Il a rappelé que le Conseil européen avait décidé de doter, d’ici 2003, l’Union européenne de capacités lui permettant de déployer en 60 jours et de soutenir pendant au moins un an une force de 50 à 60 000 hommes, et de créer deux organes de décision, le Comité politique et de sécurité (COPS) et le Comité militaire. Il a cependant reconnu que certaines questions délicates telles que les procédures de décision, les relations avec l’Otan, ainsi que celles avec les pays membres de l’Alliance atlantique non-membres de l’Union européenne, restaient à préciser.

Abordant enfin les questions économiques et sociales, M. Pierre Moscovici a constaté que le Conseil européen n’avait pas abouti sur les problèmes de fiscalité, même si le principe d’une imposition minimale de tous les revenus du capital semblait désormais admis. Il a souligné la réunion, en mars prochain, d’un Conseil européen extraordinaire sur l’emploi, l’innovation et la cohésion sociale.

En conclusion, le ministre délégué chargé des affaires européennes a marqué l’importance des décisions prises à Helsinki et il a tout particulièrement salué la part de la présidence finlandaise dans la réussite de cette réunion. Il a enfin évoqué les travaux relatifs à la rédaction de la charte des droits fondamentaux, auxquels participe le président de la délégation du Sénat pour l’Union européenne.

A la suite de l’exposé du ministre délégué, M. Xavier de Villepin, président, s’est demandé si la refonte générale des traités envisagée par la Commission avait finalement été écartée de l’ordre du jour de la Conférence intergouvernementale. Il a souhaité en outre connaître le sentiment du ministre sur la question des frontières de l’Europe ainsi que sur une possible consultation de la Russie sur ce sujet. Enfin, il s’est interrogé sur la position de la France vis-à-vis d’une éventuelle introduction de l’allemand comme langue de travail au sein des institutions de l’Union européenne.

M. Daniel Goulet a interrogé le ministre délégué sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne dans la perspective du prochain élargissement ainsi que sur l’utilité de dresser un état des lieux de la situation de l’Union européenne avant cette nouvelle échéance. Il a souligné le rôle que devrait continuer à jouer le Conseil de l’Europe à l’avenir compte tenu de sa composition.

M. Aymeri de Montesquiou a souhaité connaître l’appréciation de M. Pierre Moscovici sur l’opportunité d’instituer à Bruxelles un ministre aux affaires européennes résident. Il s’est par ailleurs demandé si d’autres formules alternatives à l’adhésion ne pouvaient pas être proposées à des pays comme la Turquie et si une excessive extension de l’Union européenne ne faisait pas courir à celle-ci le risque de se dissoudre dans une vaste zone de libre-échange. Enfin, il s’est interrogé sur la marge de manoeuvre dont pourrait disposer le haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune vis-à-vis des Etats-Unis, compte tenu notamment de ses fonctions antérieures.

M. Robert Del Picchia a demandé des précisions sur la question du contrôle parlementaire de la construction européenne ainsi que sur les relations entre la Commission et le Conseil. Enfin, il s’est interrogé sur les facteurs d’évolution de la position grecque vis-à-vis de la Turquie.

M. Emmanuel Hamel a fait part de son émotion devant les propos du ministre délégué selon lesquels l’Union européenne n’avait pas vocation à réunir exclusivement des pays de tradition chrétienne.

M. Pierre Mauroy s’est félicité de la position adoptée par le Conseil d’Helsinki vis-à-vis de la Turquie. Il a estimé que le rôle déterminant joué par la Grèce dans cette évolution traduisait une avancée considérable pour la compréhension des peuples. Il a rappelé que la Turquie avait par ailleurs joué un rôle historique essentiel en Europe. Il a souligné que le prochain siècle serait marqué par la constitution de très grands ensembles géographiques et que cette perspective devait également être prise en compte par l’Union européenne. Il a observé en outre, s’agissant de la question de l’homogénéité religieuse, que l’Union européenne n’était pas destinée à reconstituer l’empire de Charlemagne ; la France elle-même réunit plusieurs confessions et, à cet égard, l’élargissement à terme de l’Union européenne à la Turquie pourrait constituer un facteur de stabilité. Il a également relevé que l’adhésion de ce pays ne pourrait pas se concrétiser à brève échéance. Enfin, M. Pierre Mauroy a estimé qu’un rejet de la Turquie aurait pu avoir des conséquences désastreuses pour la stabilité du Proche-Orient et que la perspective d’une prochaine adhésion de ce pays aurait un effet incitatif pour une amélioration de la situation des droits de l’homme en Turquie.

M. Pierre Fauchon s’est demandé quelle serait la position de la France si Israël présentait, à son tour, sa candidature à l’Union européenne.

Enfin, M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l’Union européenne, a souhaité obtenir des précisions sur l’entrée en vigueur de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Afrique du sud et sur les moyens d’action dont la France disposerait encore en la matière, compte tenu des enjeux que représente cet accord pour notre pays dans le domaine des vins et spiritueux.

En réponse aux commissaires, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- lors du Conseil européen d’Helsinki, les Quinze n’ont pas souhaité reprendre les propositions de la Commission concernant une réécriture générale des traités dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, dans la mesure où cette question posait des problèmes délicats qui pourraient retarder excessivement la négociation ;

- le ministre délégué a estimé que la Russie pourrait constituer la frontière extérieure de l’Union européenne ;

- la France comprend le souhait des Allemands de mieux faire reconnaître leur langue au sein des institutions de l’Union européenne mais n’acceptera pas une remise en cause du français comme langue de travail des instances bruxelloises ;

- la France s’inscrit dans une tradition de laïcité et n’a en conséquence aucune raison de s’opposer à la diversité des confessions religieuses à l’échelle de l’Union européenne ;

- plusieurs facteurs se sont conjugués pour expliquer la position adoptée par l’Union européenne vis-à-vis de la Turquie lors du Conseil européen d’Helsinki : l’évolution de la position allemande à la suite du changement de gouvernement, le rapprochement gréco-turc favorisé, d’une part, par le rôle moteur de certaines personnalités politiques de ces deux pays et, d’autre part, par le réflexe de solidarité suscité par le récent tremblement de terre en Turquie. Les Grecs ont par ailleurs obtenu satisfaction à Helsinki sur plusieurs de leurs demandes et, en particulier, sur les conditions d’adhésion de Chypre à l’Union européenne ;

- le Parlement français contribue, notamment à travers ses délégations pour les Affaires européennes, à établir l’état des lieux nécessaire sur la situation de l’Union européenne ;

- le Conseil de l’Europe joue un rôle irremplaçable, d’une part, parce qu’il inclut la Russie, qui n’a pas vocation à appartenir à l’Union européenne et, d’autre part, parce qu’il constitue une instance d’apprentissage de la démocratie pour les différents pays candidats à l’adhésion ;

- la synthèse des positions gouvernementales, y compris en matière financière, doit revenir, dans le cadre des instances européennes, au Conseil européen ; de ce point de vue, le Conseil " Affaires générales " joue un rôle essentiel de préparation des décisions et doit donc garder la plénitude de ses attributions ;

- s’il n’est sans doute pas nécessaire que le ministre chargé des affaires européennes réside à Bruxelles, il apparaît en revanche comme un atout indispensable qu’il participe, comme c’est le cas en France, au Conseil des ministres ;

- le contrôle parlementaire a connu des avancées notables en France lors de la révision constitutionnelle adoptée avant la ratification du traité d’Amsterdam ;

- la définition des frontières de l’Union européenne constitue avant tout un choix politique ; à cet égard, une éventuelle demande d’adhésion d’Israël devrait être appréciée dans les mêmes termes que la demande similaire déjà formulée par le Maroc ;

- aucune disposition relative aux vins et spiritueux comprise dans l’accord entre l’Union européenne et l’Afrique du sud ne sera mise en vigueur au 1er janvier 2000.