Service des Commissions 

M. CHARLES JOSSELIN EVOQUE DEVANT LES SENATEURS LES PRINCIPAUX SUJETS DE L’ACTUALITE AFRICAINE

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le 15 mars 2000 M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

M. Charles Josselin a d’abord évoqué la situation en Centrafrique. Il a rappelé que M. Ange-Félix Patassé, qui avait été réélu à la tête de l’Etat à l’issue d’élections organisées dans les conditions régulières, avait manifesté sa volonté de normaliser la situation politique. La crise intérieure qu’avait connue ce pays, avait justifié la mise en place de la Mission des Nations unies en République Centrafricaine (MINURCA) chargée notamment de préparer un déroulement satisfaisant des échéances électorales. Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a estimé que si la sécurité était revenue dans la capitale et dans sa périphérie, elle apparaissait encore très précaire sur les voies qui reliaient la Centrafrique au Tchad et au Cameroun ; cette situation pèse incontestablement sur le développement économique des régions concernées. Il a souligné l’importance de la coopération française sur place et en particulier l’aide apportée par la France pour réorganiser l’armée centrafricaine. Celle-ci, a-t-il ajouté, est très affectée par l’extension de la pandémie du SIDA. Il a conclu sur ce pays en indiquant que le Président Patassé avait appelé de ses voeux un renforcement des liens avec la France.

Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a ensuite rendu compte de son déplacement au Mali à la veille d’un changement gouvernemental destiné à préparer les prochaines échéances présidentielles. Dans ce pays, la dégradation du système éducatif, liée notamment à la faiblesse de la rémunération des enseignants, apparaît comme un sujet de préoccupation majeure. M. Charles Josselin a indiqué à cet égard qu’un séminaire serait organisé à Dakar (Sénégal) sur l’éducation de base dans la région. Dans ce cadre, la France entendait mobiliser les moyens de la Banque mondiale et de l’Union européenne sur un programme de formation des maîtres. Il a rappelé en outre que les défaillances des pouvoirs publics dans ce domaine pouvaient laisser place à l’action des écoles coraniques.

M. Charles Josselin a indiqué par ailleurs que les autorités maliennes souhaitaient un soutien de la France pour la mise en place d’un programme de gestion concertée du fleuve Niger dont l’utilisation à des fins économiques pouvait constituer une source de litige entre le Niger et le Mali. Evoquant le codéveloppement, M. Charles Josselin a rappelé que cette nouvelle orientation de notre politique de coopération visait en particulier à favoriser le développement économique des principales régions d’émigration. Il a relevé qu’un comité mixte franco-malien avait été institué l’an passé afin de suivre les problèmes d’immigration et qu’il convenait d’impliquer les migrants eux-mêmes dans cette démarche, même si le foisonnement des associations maliennes en France compliquait parfois l’organisation du dialogue.

Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie après avoir fait part de la préoccupation que lui inspiraient les violences récentes dont le Nigeria avait été le théâtre, a évoqué la situation actuelle au Niger. Il a observé que l’actuel Chef de l’Etat, le général Tanja, avait manifesté son souci de faire toute la lumière sur les conditions dans lesquelles son prédécesseur avait été assassiné, même s’il accordait une attention prioritaire à la volonté de réconciliation nationale. M. Charles Josselin a indiqué que la France souhaitait reprendre son aide en faveur de ce pays dans le cadre d’un véritable partenariat. Ainsi, un programme de coopération serait conclu avant la fin de ce mois, qui permettrait notamment de donner aux unités méharistes les moyens de lutter contre l’insécurité dans le nord du Niger.

Evoquant alors la situation dans la région des grands lacs, M. Charles Josselin a regretté que le processus de paix n’ait pas connu de progrès notable, même si le Conseil de sécurité des Nations unies, après avoir arrêté le principe d’une commission mixte militaire, avait adopté une nouvelle résolution tendant à renforcer la présence des observateurs protégés par des militaires. La France, a-t-il ajouté, gardait l’espoir que puisse être mise en place une force de maintien de la paix de quelque 15 000 hommes afin de faire respecter le cessez-le-feu et d’obtenir le retrait des forces étrangères de la République démocratique du Congo (RDC). Notre pays souhaitait également qu’une conférence internationale puisse se réunir avec tous les acteurs de la crise afin d’aborder les questions relatives à la sécurité, aux réfugiés, ainsi qu’au développement de la région. Cette initiative ne devait pas entraver le processus dit de Lusaka (relatif à la situation en RDC et basé sur le seul accord signé par toutes les parties au conflit), ni celui dit d’Arusha (relatif à la situation au Burundi). S’agissant de la question burundaise, une réunion s’était tenue en février dernier sous la présidence de M. Nelson Mandela, afin de promouvoir le dialogue intérieur.

Le ministre délégué à la coopération et à la francophonie a ensuite évoqué la situation politique en Côte d’Ivoire. Revenant sur les événements qui avaient conduit en décembre dernier, au départ du Président Konan Bédié, il a rappelé que la France avait eu pour souci prioritaire la protection de nos ressortissants. Une intervention militaire n’aurait pas été conforme au principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’un Etat et aurait précisément pu mettre en danger la sécurité des Français installés sur place. En réponse à M. Xavier de Villepin, président, il a précisé qu’il n’était sans doute pas d’usage qu’un Chef d’Etat déchu s’exprime publiquement dans le pays qui l’avait accueilli. Il a indiqué que le gouvernement provisoire, présidé par le général Gueï, réunissait les anciens opposants au Président Bédié et avait pour mission principale de préparer une nouvelle Constitution et les prochaines échéances électorales qui ne se tiendraient sans doute pas avant la fin de l’automne prochain. Dans cette perspective, les conditions définissant la nationalité ivoirienne resteront sans doute encore au cœur du débat politique. La France pour sa part suit avec la plus grande attention l’évolution en Côte d’Ivoire compte tenu du poids politique et économique de ce pays. Elle maintient certains programmes de coopération mais subordonne de nouveaux projets à la mise en place d’un pouvoir légitime.

Evoquant la situation électorale au Sénégal et après avoir souligné les bonnes conditions dans lesquelles s’était déroulé le premier tour de l’élection présidentielle, M. Charles Josselin a estimé que compte tenu des désistements annoncés par différents candidats, le second tour s’annoncerait très serré entre le Président Diouf et M. Wade.

Abordant alors l’action humanitaire de la France, M. Charles Josselin a tout d’abord évoqué son récent déplacement au Venezuela, touché par des inondations au cours desquelles près de 20.000 personnes avaient trouvé la mort. Il a précisé que le coût de la reconstruction était évalué à 3 milliards de dollars et que les entreprises françaises étaient disposées à y participer, à condition toutefois qu’un cadre juridique pour les investissements français soit défini. Il a déclaré à ce propos avoir signalé au chef de l’Etat vénézuélien la nécessité de conclure la négociation relative à l’accord de protection réciproque des investissements en cours depuis plusieurs mois. Abordant la situation intérieure du Vénézuéla, il a rappelé que le Président Chavez, après avoir entrepris une réforme de la constitution, avait décidé de provoquer de nouvelles élections présidentielles et législatives à la fin du mois de mai prochain.

Le ministre délégué a ensuite évoqué les inondations au Mozambique et à Madagascar. Il a rappelé les moyens matériels mis en œuvre par la France, en particulier les hélicoptères embarqués sur le navire-école Jeanne d’Arc qui se trouvait dans la zone. Il a indiqué que le Club de Paris avait décidé d’effacer les créances publiques du Mozambique, ce qui représentait pour la France un montant de 500 millions d’euros.

Enfin, M. Charles Josselin a annoncé que, tirant les enseignements de certaines difficultés constatées lors de la Conférence de Seattle, la France venait de décider de verser à l’Organisation mondiale du commerce une contribution volontaire s’élevant à 1 million d’euros sur quatre ans, en vue de financer un programme d’assistance technique aux pays en développement leur permettant de mieux s’impliquer dans la préparation des négociations conduites au sein de cette organisation.

Un débat s’est ensuite engagé avec les membres de la commission.

M. Robert Del Picchia a interrogé le ministre sur les risques d’éclatement d’un conflit interne au Nigéria et sur l’éventualité de nouvelles difficultés avec l’armée en Côte d’Ivoire, du fait notamment des projets de modification de la constitution soumettant la recevabilité des candidatures à l’élection présidentielle à de strictes conditions d’ascendance ivoirienne.

M. Paul Masson s’est demandé si la politique française de coopération était toujours en mesure de s’attaquer aux causes profondes du sous-développement et si elle n’était pas remise en cause par une conception du développement venue des Etats-Unis et des institutions financières internationales qui privilégiait l’orientation de l’aide et des investissements vers les secteurs offrant des perspectives de rentabilité immédiate au détriment de l’assistance aux populations.

M. Aymeri de Montesquiou a demandé des précisions sur l’éventuel financement par l’Arabie saoudite des écoles coraniques au Mali. Il s’est demandé s’il n’avait pas été erroné d’imputer au GIA la responsabilité des menaces sur la sécurité du rallye Paris-Dakar lors de sa traversée du Niger. Il a souhaité connaître les orientations de la politique libyenne à l’égard de ce pays. Il s’est interrogé sur l’intérêt d’associer d’autres pays francophones, et en premier lieu le Canada, à la politique française d’aide au développement, afin d’accroître ses capacités d’action. Il s’est demandé si la politique des Etats-Unis en Afrique équatoriale ne se soldait pas par un échec.

M. Emmanuel Hamel a demandé si les excédents budgétaires autoriseraient une augmentation des moyens de notre politique d’aide au développement en Afrique. Il a demandé des précisions sur la politique de la France à l’égard du développement du Sida sur ce continent, et en matière d’annulation de dettes. Rappelant la politique menée par le passé par l’URSS et la Chine pour accueillir des étudiants africains, il a souhaité connaître les orientations de la France en ce domaine ainsi que la proportion d’étudiants africains formés en France qui retournaient dans leur pays d’origine.

M. Xavier de Villepin, président, a interrogé le ministre délégué sur l’évolution des négociations entre l’Union européenne et les pays ACP, qui avaient buté sur la question de la bonne gestion des affaires publiques. Citant les critiques émises à l’égard de notre politique par le Comité d’aide au développement de l’OCDE, il a fait part de ses inquiétudes à l’égard de la mise en œuvre de la réforme de la coopération.

A la suite de ces interventions, M. Charles Josselin a apporté les précisions suivantes :

- la situation très préoccupante du Nigeria fait l’objet d’une attention particulière de la part du gouvernement français ;

- en Côte d’Ivoire, l’accession de sous-officiers à des responsabilités politiques a entraîné un malaise dans certains secteurs de l’armée, ce qui justifiait les discussions en cours à Abidjan pour mieux impliquer la hiérarchie militaire dans la gestion de la période transitoire qui conduira à de nouvelles élections ;

- alors que le libéralisme prôné par certaines institutions financières internationales a montré ses limites, la spécificité de la coopération française demeure plus nécessaire que jamais ; c’est pourquoi la France attache une grande importance à la conduite, avec nos partenaires européens, ainsi qu’avec les pays en développement eux-mêmes, d’une réflexion commune sur la politique d’aide au développement ;

- les écoles coraniques fonctionnent largement sur leurs propres sources de financement, en particulier les dons recueillis par les élèves auprès des populations locales ;

- l’interruption du rallye Paris-Dakar lors de sa traversée du Niger était justifiée par la publication par la presse d’informations faisant état d’une menace pour la sécurité des participants ; la presse avait alors imputé cette menace à des groupes proches du GIA ;

- la Libye semble désormais vouloir jouer un rôle pacificateur et unificateur en Afrique ; cette orientation bénéficie d’un écho positif auprès de la plupart des dirigeants africains ;

- les intentions affichés par les Etats-Unis à l’égard de l’Afrique n’ont pas fondamentalement remis en cause les caractéristiques profondes de la politique américaine qui privilégie l’Asie. La France demeure le premier partenaire pour les pays de l’Afrique sub-saharienne ;

- la France finance actuellement, à hauteur de 600 millions de francs, près de 50 projets de lutte contre le Sida, essentiellement en Afrique ; ces projets concernent la prévention, la sécurité des transfusions, les soins aux malades et la recherche médicale ;

- la Russie n’est plus en mesure de mettre en œuvre une politique d’accueil d’étudiants africains ; la France, pour sa part, est soucieuse de favoriser le retour dans leur pays des étudiants africains formés en France et, dans cette perspective, elle met en place avec ses partenaires un système de bourses prévoyant le paiement d’une fraction des aides dans le pays d’origine après le retour de l’étudiant ;

- la bonne gouvernance est au cœur du dialogue politique établi par l’Union européenne avec les pays ACP ; la corruption sera clairement désignée comme facteur de nature à suspendre la mise en œuvre de la coopération ;

- l’écho donné par la presse à l’examen, par le Comité d’aide au développement de l’OCDE, de la politique française de coopération a donné une vision quelque peu déformée de la réalité ; il ne mentionne pas, notamment, la teneur des réponses transmises aux examinateurs par le gouvernement, réponses qui témoignent de l’ampleur et de la cohérence de la politique française d’aide publique au développement.