Service des Commissions 

LA FUITE DES CERVEAUX :

JEAN FRANÇOIS-PONCET ALERTE LES POUVOIRS PUBLICS :

LA FRANCE PERD SES CRÉATEURS D’ENTREPRISES FAUTE DE LEUR OFFRIR UN ENVIRONNEMENT PORTEUR

Après une année de travail, de nombreuses auditions en France, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le Groupe de Travail sur l’expatriation des jeunes Français, présidé par Jean François-Poncet (RDSE, Lot et Garonne), Président de la Commission des Affaires économiques du Sénat, a rendu publiques ses conclusions mercredi 14 janvier.

S’appuyant sur des sources d’information françaises et étrangères, le Groupe de travail constate une accélération du flux de jeunes cadres et entrepreneurs français vers les pays anglo-saxons. Il relève notamment une augmentation de plus de 30 % depuis 1995 du nombre de Français immatriculés à Londres, San Francisco, Chicago ou Atlanta et de 60 % de 1992 à 1996 du nombre de Français entrant aux Etats-Unis avec un visa délivré en raison de leur compétence professionnelle.

La principale caractéristique de cette nouvelle vague d’émigration est le niveau de qualification particulièrement élevé de ces expatriés. Qu’ils soient jeunes étudiants stagiaires, chercheurs scientifiques aguerris, jeunes cadres montant leur propre entreprise, autodidactes ayant fui le système élitiste français ou diplômés des grandes écoles, les jeunes expatriés appartiennent à une élite entrepreneuriale particulièrement dynamique.

Parmi ces différents profils, le rapport distingue deux grandes catégories : les jeunes diplômés de grandes écoles ou de l’université qui commencent leur carrière à l’étranger et les entrepreneurs qui partent de France avec l’idée de fonder, à terme, leur propre entreprise. Le Groupe de travail a notamment constaté que, parmi les 40.000 Français établis en Californie, 7 à 10.000  travaillent dans la Silicon Valley, dans les nouvelles technologies de l’information, dont plusieurs centaines ont créé leur entreprise. Il a également observé en Grande-Bretagne une augmentation sensible des créations d’entreprises innovantes par des Français.

Si les motivations de ces expatriés varient naturellement en fonction des individus et des secteurs d’activité, le rapport du Groupe de Travail constate qu’elles comportent un certain nombre de points en commun, parmi lesquels :

– l’acquisition d’une expérience internationale dans une économie de plus en plus mondialisée ;

– la recherche de marchés dynamiques, présentant plus de débouchés que la France n’en offre, motivation particulièrement manifeste dans le domaine des nouvelles technologies ;

– la recherche d’un environnement administratif, fiscal et social plus adapté aux besoins des entreprises.

Au terme d’une analyse détaillée de ces motivations et de comparaisons internationales, en particulier, en matière de formalités administratives et de fiscalité, le Groupe de Travail conclut que ces départs traduisent avant tout le choix d’un environnement favorable à la création et au développement des entreprises. Il observe que les mesures prises pour améliorer l’environnement de la création d’entreprises innovantes, pour utiles qu’elles soient, n’ont pas réussi à freiner les départs dans les secteurs des nouvelles technologies.

A partir de cette analyse quantitative et qualitative, le Groupe de Travail évalue les conséquences de ces expatriations pour la France. Si on peut, en effet, se féliciter de la mobilité croissante de jeunes diplômés qui partent à l’étranger acquérir une expérience internationale, l’exode auquel on assiste constitue indéniablement une lourde perte pour notre pays. Cette nouvelle vague d’émigration prive la France d’une élite entrepreneuriale essentielle au développement de la nouvelle économie. Cette perte est d’autant plus difficile à accepter qu’elle concerne un domaine où la France dispose de nombreux atouts et, en particulier, d’ingénieurs informaticiens, dont la qualité est mondialement reconnue. 

Le rapport de M. Jean François-Poncet souligne que l’émigration de ces ingénieurs prive la France d’une arme puissante dans une compétition internationale où l’atout essentiel est la capacité des territoires à attirer les compétences. Analysant la pénurie de main d’œuvre hautement qualifiée dont souffrent les secteurs des nouvelles technologies aux Etats-Unis et en Europe, il constate que l’émigration de plusieurs milliers de jeunes ingénieurs à l’étranger prend toute son importance. Rapportés aux 36.000 emplois d’informaticiens pourvus l’année dernière, le départ des quelque 7.000 Français travaillant dans la seule Silicon Valley ne peut pas laisser indifférent. De même, les quelques centaines d’entreprises innovantes créées par des Français à l’étranger depuis deux ans doivent être rapportées aux 8.000 entreprises innovantes créées chaque année en France. Le pourcentage de diplômés sortant de nos écoles d’ingénieurs et de commerce qui créent des entreprises étant faible (6 % pour les premiers, 3 % pour les seconds), une hémorragie, même numériquement limitée, aura à moyen terme des conséquences très sérieuses.

Observant que la France n’a pas la force d’attraction qui est aujourd’hui celle des pays anglo-saxons, le Groupe de Travail souligne qu’elle doit impérativement compenser ce handicap par un environnement administratif et fiscal plus performant, faute de quoi elle ne parviendra ni à retenir les talents qu’elle forme et les entreprises qu’elle crée, ni à attirer les hommes et les capitaux que la planète se dispute.

Dans cette perspective, il plaide pour un changement de cap de politique économique et notamment pour un allégement des prélèvements obligatoires, une simplification des procédures et une plus grande flexibilité de la législation du travail. Il propose également une série de mesures concrètes destinées à arrêter l’hémorragie et à faire de la France une terre d’accueil pour les nouveaux entrepreneurs. Ces mesures tendent à :

1. Réformer les règles relatives à l’exonération des biens professionnels et à la limitation du plafonnement de l’ISF grâce à :

– une adaptation de l’ISF au caractère spécifique des entreprises innovantes ;

– un rétablissement du plafonnement de l’ISF en vigueur avant 1996.

2. Favoriser le développement des " business angels " en :

– encourageant l’entrée des " business angels " dans le capital des sociétés innovantes en les faisant bénéficier d’une réduction d’ISF ;

– étendant le régime existant des reports d’imposition sur plus-values dès lors que celles-ci sont réinvesties dans les fonds propres des entreprises ;

– relevant les plafonds d’investissements de la loi Madelin ;

– instaurant une transparence fiscale pour les investissements dans des sociétés non cotées.

3. Doter la France d’un régime de stock-options équivalent à ceux de ses concurrents en :

– supprimant la discrimination qui est faite entre salariés ayant moins de trois ans d’ancienneté et salariés ayant plus de trois ans d’ancienneté ;

– amendant la règle en vertu de laquelle seules les sociétés détenues à concurrence de 25 % par des personnes physiques peuvent bénéficier des Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprises (BSPCE) ;

– rapprochant le régime fiscal des stock-options françaises des régimes en vigueur à l’étranger.

Le message du Président de la Commission des Affaires économiques du Sénat est clair : la France ne retiendra son élite et n’attirera à elle celles d’autres pays que si elle surmonte ses blocages idéologiques et met en œuvre une politique qui mise résolument sur l’innovation, la jeunesse, et par conséquent l’avenir.