La commission des Lois du Sénat écarte l’inversion des dates des élections prévues en 2002 et propose l’instauration d’un délai minimal entre des élections législatives et une élection présidentielle

Après avoir procédé le mardi 9 janvier 2001, à l’audition de MM. René Rémond, membre de l’Académie française et Président de la Fondation nationale des sciences politiques, Guy Carcassonne, professeur à l’Université de Paris X, Louis Favoreu, professeur à l’Université d’Aix-Marseille III, Didier Maus, professeur associé à l’Université de Paris I et Pierre Pactet, professeur émérite de l’Université de Paris XI, la commission des lois, réunie le mardi 16 janvier 2001, sous la présidence de M. Jacques Larché, Président, (Seine-et-Marne, RI) a procédé à l’examen, sur le rapport de M. Christian Bonnet (Morbihan, RI), de la proposition de loi organique n° 166 (2000-2001) modifiant la date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale.

Le rapporteur de la commission des Lois considère que rien ne justifie la mesure proposée par le Gouvernement et formule les observations suivantes :

- la procédure suivie dans cette affaire est peu acceptable ; le calendrier électoral de 2002 est connu depuis 1997 et le Gouvernement avait tout le temps de se pencher sur cette question ; après avoir affirmé qu’un " consensus " était nécessaire, le Premier ministre a brutalement changé de position et a imposé un examen précipité du texte par les Assemblées alors même qu’un projet de loi organique est en cours de navette pour tenir compte d’observations du Conseil constitutionnel relatives à l’organisation de l’élection présidentielle ; il a même choisi de ne pas déposer un projet de loi, afin d’éviter le passage devant le Conseil d’Etat et le Conseil des ministres ;

- il est faux d’affirmer que le calendrier électoral de 2002 n’aurait pas été possible sans le " hasard ", comme le fait le Gouvernement. Si tous les présidents de la République avaient achevé leur mandat et si aucun d’entre eux n’avait dissous l’Assemblée nationale, une élection présidentielle aurait été organisée en décembre 1958, décembre 1965, décembre 1972, décembre 1979, décembre 1986 et décembre 1993. Des élections législatives auraient été organisées en mars 1963, mars 1968, mars 1973, mars 1978, mars 1983, mars 1988 et mars 1993. Donc, le respect des échéances prévues par la Constitution aurait abouti dès 1993 à l’organisation la même année des élections législatives et de l’élection présidentielle, les premières précédant la seconde ;

- en tout état de cause, le texte proposé n’empêchera pas le renouvellement d’une telle situation ; pour arrêter un calendrier intangible, il faudrait supprimer le droit de dissolution et créer un vice-président susceptible d’achever le mandat du président en cas de décès ou de démission ; il convient de rappeler que douze des dix-neuf Présidents de la République élus depuis le début de la IIIe République n’ont pas achevé leur mandat ;

- si des mandats locaux ont été prorogés sous la Ve République, le mandat des députés n’a été prorogé qu’à deux reprises au XXe siècle... en 1918 et 1940 ; les circonstances dramatiques de ces prorogations contrastent avec la légèreté des motifs aujourd’hui invoqués ;

- les auditions de la commission ont montré qu’il n’y a pas de consensus sur ce qu’est l’" esprit des Institutions " et sur les conséquences de la proposition de loi sur la nature du régime ;

- rien ne permet d’affirmer qu’un calendrier électoral permettra plus sûrement qu’un autre de mettre fin à la cohabitation, souhaitée par plus du tiers des Français ; l’exemple des Etats-Unis le démontre avec éclat, puisque les Américains, appelés à désigner le même jour le Président et les membres du Congrès, choisissent souvent un président démocrate et un Congrès républicain, plus rarement l’inverse ;

- personne ne semble avoir réfléchi aux conséquences du choix du troisième mardi de juin comme date d’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale. Est-il vraiment souhaitable pour le fonctionnement des pouvoirs publics que l’Assemblée se réunisse à la fin du mois de juin pour interrompre ses travaux aussitôt ? Ou bien verra-t-on renaître ces sessions extraordinaires que la session unique du Parlement devait limiter ? En juin, la procédure d’élaboration du projet de budget est déjà fort avancée puisque les lettres de cadrage ont été envoyées aux ministres. Est-il vraiment souhaitable que la procédure soit reprise après des élections législatives impliquant un changement de Gouvernement ?

- la proposition de loi organique est dépourvue de tout motif d’intérêt général. Soit elle a un objet constitutionnel, qui dépasse son dispositif technique, et une réflexion globale est nécessaire, soit elle répond à une situation conjoncturelle mise en lumière par le Conseil constitutionnel. Or, si le Conseil constitutionnel, dans ses observations du 23 juillet 2000, a souhaité que les citoyens habilités à présenter un candidat à l’élection présidentielle, puissent le faire en ayant pris connaissance des résultats des élections législatives, cette recommandation peut être aisément mise en œuvre sans rien changer au droit existant. Il suffit que le Gouvernement ne retienne pas, parmi les dates possibles, les plus tardives pour les élections législatives (24 et 31 mars) et les plus précoces pour l’élection présidentielle (14 et 21 avril). Il est raisonnable de penser qu’un Gouvernement soucieux de favoriser la participation des citoyens aux consultations électorales n’organisera pas le second tour des élections législatives le dimanche de Pâques ! ...

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Afin de faciliter le choix par le Gouvernement de dates d’élections permettant d’assurer dans les meilleures conditions le parrainage des candidats à l’élection présidentielle, la commission des Lois du Sénat propose, sans modifier en rien l’ordre des consultations, de prévoir un délai minimal de trente jours entre des élections législatives et une élection présidentielle.

Ce texte est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique du Sénat les mardi 16 janvier à 16 heures, mercredi 17 janvier à 15 heures et mardi 23 janvier à 10 heures.