M. PIERRE MOSCOVICI EVOQUE DEVANT LES SENATEURS LES RESULTATS DU CONSEIL EUROPEEN DE GÖTEBORG

Réunie le mercredi 20 juin 2001 sous la présidence de M. Xavier de Villepin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, élargie aux membres de la délégation du Sénat pour l’Union européenne, a procédé à l’audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen de Göteborg.

M. Pierre Moscovici, a tout d’abord déploré les incroyables violences qui avaient entouré le sommet de Göteborg. Ces manifestations contre la mondialisation, devenues coutumières lors de ce type de réunion internationale depuis la réunion de l’OMC à Seattle, devaient être fermement condamnées. Il convenait cependant de distinguer ceux des manifestants qui ont trouvé là un nouveau terrain pour donner libre cours à la violence gratuite de ceux qui y exprimaient une inquiétude sincère. Contre les premiers, un plan anti-casseurs comparable à ce qui avait été fait dans le domaine du football devait être mis en place dans le cadre d’une concertation européenne afin d’éviter le renouvellement de tels actes. En revanche, les gouvernements devaient s’efforcer d’apporter des réponses aux manifestants pacifiques en rendant plus visible l’action de l’Union européenne contre les inégalités, pour le progrès social, et d’une manière générale, pour une meilleure régulation de la mondialisation.

M. Pierre Moscovici a ensuite indiqué que le sommet de Göteborg avait été l’occasion d’engager un dialogue constructif avec le nouveau président américain Georges W Bush dont les premières décisions avaient pu faire craindre des tentations unilatéralistes. Il est apparu que, sur les principaux problèmes internationaux du moment, Macédoine, Proche-Orient, péninsule coréenne, des actions communes de l’Europe et des Etats-Unis étaient possibles. Pour ce qui est du programme de défense anti-missiles, le président américain s’était engagé dans une démarche d’explication et de clarification du projet aussi bien sur ses aspects politiques que militaires ou technologiques. Pour sa part, l’Union européenne avait adopté à Göteborg une position commune afin de mettre en place une action préventive contre la prolifération balistique ayant pour but l’universalisation du code de conduite établi par les Etats membres du régime de contrôle de cette technologie (MTCR) et à proposer la tenue d’une conférence internationale sur le sujet.

En matière commerciale, l’Union européenne a accepté l’ouverture d’un cycle global de négociations multilatérales qui se tiendront à Doha en novembre 2001, et qui porteront sur l’ensemble des questions ayant trait à l’exigence de régulation. S’agissant des relations commerciales bilatérales, la préférence à un règlement négociée des différends entre l’Union européenne et les Etats-Unis a été réaffirmée, ces contentieux ne concernant au demeurant pas plus de 2 % de la totalité des échanges bilatéraux.

Enfin, sur le climat, si le Sommet de Göteborg a confirmé les divergences profondes entre l’ensemble des pays européens d’une part et la nouvelle administration américaine, d’autre part, M. Pierre Moscovici a estimé qu’il avait été l’occasion, pour le président Bush, de prendre conscience de l’ampleur du défi que constitue le changement climatique dont il ne nie plus la réalité ainsi que de la cohésion des positions européennes. L’Union européenne a par ailleurs réaffirmé à Göteborg qu’il était exclu de renégocier le protocole de Kyoto, unique instrument efficace pour lutter contre le réchauffement climatique, mais qu’il importait plutôt d’assurer son entrée en vigueur d’ici 2002.

M. Pierre Moscovici a ensuite évoqué les autres résultats du sommet de Göteborg, notamment l’intégration du développement durable dans toutes les politiques de l’Union, comme un enrichissement de la stratégie de développement économique et social, définie à Lisbonne en mars 2000. Il a également souligné les progrès accomplis, à l’initiative de la France, en matière d’information et de consultation des travailleurs, d’harmonisation fiscale et de prise en compte des difficultés propres aux régions ultra-périphériques.

M. Pierre Moscovici a, par ailleurs, fait remarquer que les résultats les plus remarquables du sommet de Göteborg avaient trait à l’élargissement de l’Union européenne. Certains pays candidats, comme la Hongrie, Chypre ou la Slovénie, avaient beaucoup progressé dans la voie de l’adhésion et près des deux tiers des chapitres de la négociation étaient clos. Le sommet de Göteborg a délivré un message politique fort en affirmant le caractère irréversible du processus d’élargissement, en annonçant que les négociations avec certains pays pourraient être achevées à la fin 2002 et que ceux-ci pourraient alors participer aux élections du Parlement européen dès 2004. Les conclusions du Sommet précisent bien que seuls les pays qui seront prêts pourront adhérer si les progrès enregistrés dans les négociations d’adhésion se confirment. Les principes de différenciation et de globalité qui sous-tendent ces négociations ont donc été confirmés.

M. Pierre Moscovici a ensuite abordé la ratification du traité de Nice et l’avenir de l’Union européenne. Evoquant le refus irlandais du traité, il a rappelé que le Premier ministre de l’Eire avait indiqué à ses partenaires qu’il souhaitait prendre le temps d’analyser les raisons de ce vote, tout en réaffirmant l’engagement de son pays dans la construction européenne. M. Pierre Moscovici a souhaité que les Européens puissent aider les Irlandais dans cette démarche, notamment en menant à bien la ratification du traité dans les quatorze autres Etats. Le sommet de Göteborg a confirmé à la fois la poursuite de la ratification du traité de Nice et exclu toute renégociation. Il était toujours plus facile, a estimé M. Pierre Moscovici, de mobiliser contre l’Europe qu’en sa faveur, en raison de la complexité de la construction européenne. Il convenait donc de se garder de toute démagogie pour mener le nécessaire débat sur l’avenir de l’Europe.

Abordant le débat sur l’avenir de l’Union européenne, M. Pierre Moscovici a souligné que la conclusion du traité de Nice avait lancé le débat sur les questions fondamentales touchant aux valeurs et aux objectifs de l’Europe. Il a indiqué que plusieurs initiatives avaient été prises en France pour que s’élabore la réflexion dans le cadre de réunions tant locales que nationales.

Il reviendrait, a poursuivi le ministre, au sommet de Laeken concluant à la présidence belge, de décider de la création probable d’une Convention, sur le modèle de celle qui a élaboré la charte des droits fondamentaux, pour préparer la conférence intergouvernementale de 2004. Cette convention, qui devrait pouvoir décider sur la base du consensus, pourrait, dans sa composition, associer les pays candidats ou certains membres de la société civile. Saluant les travaux déjà effectués, notamment par la délégation du Sénat pour l’Union européenne, sur l’idée d’une Constitution de l’Union et d’une seconde chambre européenne, M. Pierre Moscovici a souhaité que les parlementaires puissent participer aux forums locaux qui se dérouleront dès le mois de juillet, afin d’illustrer l’engagement des élus en faveur d’une Europe transparente et démocratique.

A la suite de l’exposé du ministre, M. Hubert Haenel a exprimé le souhait que les pays candidats puissent être associés à la convention qui pourrait être organisée dans le cadre du grand débat sur l’avenir de l’Union européenne. Il s’est demandé par ailleurs si les représentants de la société civile, qui ne pouvaient pas se prévaloir d’une légitimité comparable à celle dont bénéficiaient les élus participeraient à cette enceinte avec le statut de membres à part entière.

M. Pierre Mauroy a d’abord fait part de sa surprise devant les débordements auxquels avaient donné lieu les manifestations organisées à l’occasion du Sommet de Göteborg. Il a noté que la rencontre entre le président Bush et les Européens avait permis d’atténuer, dans une certaine mesure, la circonspection que pouvaient initialement inspirer les positions du nouveau chef d’Etat américain. Il s’est félicité en outre des conclusions du Conseil sur les régions ultra périphériques. Si l’élargissement, a-t-il par ailleurs souligné, représente pour l’Union une nécessité, ce processus ne manquera pas de susciter de nombreuses difficultés. Il a enfin estimé que les coopérations renforcées ouvraient une voie très intéressante, et a insisté dans ce cadre sur le rapprochement indispensable entre la France et l’Allemagne, condition de véritables progrès pour l’Union. Il a interrogé le ministre sur le moyen de renforcer encore les liens entre nos deux pays.

M. Robert Del Picchia a d’abord exprimé sa crainte que les manifestations violentes de Göteborg ne conduisent à une confusion sur les aspirations réelles de la société civile. Celle-ci, a-t-il observé, a d’abord pour premiers représentants légitimes les élus locaux et nationaux. Il a souhaité que les gouvernements des Etats membres prennent une position plus claire afin de condamner les excès d’une " fausse société civile ". Il s’est demandé, par ailleurs, si le dialogue franco-allemand portait notamment sur la politique agricole commune et le budget communautaire. Enfin, il a interrogé le ministre délégué sur les perspectives d’évolution des positions américaines.

M. Xavier de Villepin, président, s’est d’abord interrogé sur les moyens de surmonter les oppositions exprimées par la Turquie sur l’accord, en négociation, entre l’Union européenne et l’OTAN. Il a également souhaité obtenir des précisions sur les conditions permettant de rapprocher les positions de la France et de l’Allemagne dans le cadre du débat sur l’avenir de l’Union européenne. Enfin, il s’est demandé si la Pologne pourrait être prête à adhérer à l’Union à l’horizon 2003 et si les positions de notre pays à l’égard du triangle de Weimar justifiaient les appréhensions dont la presse polonaise s’était fait l’écho.

En réponse aux commissaires, M. Pierre Moscovici a apporté les précisions suivantes :

- le Conseil européen de Göteborg propose, pour l’organisation du débat sur l’avenir de l’Union européenne, un cadre évolutif qui pourrait prendre la forme d’une convention ; l’association des pays candidats à une telle instance, avec un statut qui restait à déterminer, apparaissait indispensable ; les conditions de la nécessaire ouverture de la convention à la société civile devaient faire l’objet d’une réflexion approfondie ;

- les manifestations violentes dont la ville de Göteborg avait été le théâtre constituent un phénomène totalement étranger à la culture suédoise ; les mobiles de ces mouvements ne sont ni pacifiques, ni démocratiques ; l’inadaptation des dispositifs de sécurité habituels impose une réflexion sur les moyens de prévenir de tels troubles en utilisant, le cas échéant, les dispositions des accords de Schengen ; par ailleurs, la mobilisation considérable des moyens officiels mis en œuvre pour l’organisation de ces sommets ne donne pas une image toujours favorable de l’Union européenne ; le format des délégations des Etats membres, en particulier, pourrait être réduit ; enfin, le transfert progressif de l’organisation des conseils européens à Bruxelles prévu par le traité de Nice pourrait participer à ce travail de simplification ;

- le dialogue engagé entre Européens et Américains, notamment sur les Balkans et le Proche-Orient témoigne d’une véritable capacité d’écoute de la part du président Bush ; cependant, les positions américaines n’ont pas pour autant évolué sur le fond ;

- les négociations d’adhésion connaissent aujourd’hui une accélération, mais des difficultés réelles sont prévisibles ; le processus d’élargissement apparaît irréversible ; dans cette perspective, les coopérations renforcées constituent sans doute la formule la plus adaptée pour permettre à l’Europe d’avancer, même si le débat reste ouvert sur les formes possibles de différenciation au sein de l’Union européenne ;

- le rapprochement franco-allemand engagé depuis la conclusion du traité de Nice constitue une priorité, même s’il importe de montrer aux autres Etats membres que cette relation ne présente pas de caractère exclusif ;

- les mouvements qui se sont exprimés avec violence lors du conseil européen de Göteborg ne peuvent en aucun cas, malgré les amalgames fâcheux entretenus par les médias, s’identifier aux représentants de la société civile avec lesquels, en revanche, il convient de maintenir le dialogue ;

- les désaccords entre la France et l’Allemagne demeurent sur la politique agricole commune et le budget communautaire ; le cadre fixé par le Conseil européen de Berlin ne saurait en aucun cas être remis en cause jusqu’en 2006 ; il existe en revanche de réelles convergences sur les questions liées à l’avenir de l’Union européenne ; il convient de noter à cet égard les réactions très positives du ministre des affaires étrangères allemand au discours du Premier ministre français sur l’avenir de l’Europe ainsi que les ouvertures récemment exprimées par le Chancelier allemand ;

- la position turque sur l’accord entre l’Union européenne et l’OTAN est vraisemblablement appelée à s’assouplir d’ici l’automne prochain ;

- la Pologne pourrait être prête à intégrer l’Union européenne à l’horizon 2003 si ce pays inscrit dans la durée l’effort engagé jusqu’à présent.