LE SENAT S’INTERROGE SUR LA VACCINATION DU CHEPTEL ET PRECONISE UNE ACTUALISATION DE LA POLITIQUE DE LUTTE

CONTRE LA FIEVRE APHTEUSE

 I - RÉSUMÉ

 La fièvre aphteuse est une maladie animale sans conséquences sur la santé humaine, mais dont l’incidence est catastrophique, notamment sur les cheptels bovin, porcin, ovin et caprin, du fait de son extrême contagiosité. Véhiculée par les échanges et favorisée par la fraude, elle est endémique dans la plupart des Etats du monde. Elle s’est manifestée récemment dans des pays indemnes depuis des dizaines d’années, à l’instar du Royaume-Uni. Deux stratégies de lutte sont mises en œuvre contre la fièvre aphteuse :

 - dans les zones où la maladie est endémique, une vaccination préventive des bovins (porcins et ovins ne sont pas vaccinés car leur durée de vie est trop courte et leur valeur économique trop modeste) qui, associée à des abattages ponctuels, permet d’éradiquer la maladie ;

 - une fois la maladie éradiquée, une politique d’abattage du cheptel infecté, exclusivement si un foyer survient.

 L’épizootie britannique de fièvre aphteuse conduit à s’interroger sur l’opportunité de revenir sur l’interdiction de la vaccination préventive décidée en 1990 dans l’Union européenne.

A -L’ampleur respective de la crise en Grande-Bretagne et en France

 Depuis le 20 février dernier, la Grande-Bretagne a subi plus de 1.700 foyers aphteux et abattu plus de 3 millions d’animaux. Le coût total de l’épizootie s’élèverait à plus de 50 milliards de francs, dont 12 milliards de compensations versées aux éleveurs au titre de la destruction de leur cheptel.

Depuis le France n’a connu que deux foyers aphteux. Elle a abattu près de 58.000 animaux en provenance ou en contact avec des animaux du Royaume-Uni ou des Pays-Bas. L’abattage préventif des animaux ayant été au voisinage des bêtes importées a permis de juguler l’épizootie dans l’Hexagone. Grâce à ces mesures, notre pays constitue une zone indemne de fièvre aphteuse depuis le 23 juin 2001.

 B - Les modalités de lutte contre la fièvre aphteuse entraînent de lourds préjudices

 Les départements dans lesquels les foyers aphteux sont apparus ont vu toute leur activité économique totalement bloquée. L’agriculture, le tourisme, les activités agroalimentaires s’en sont ressentis. Les autres départements français ont également subi les conséquences des mesures d’interdiction de transport des animaux. Des secteurs, (abattage, production de fromage au lait cru : une fromagerie a détruit près de 400.000 camemberts !) ont subi de très graves préjudices, car ils ont été contraints de détruire leur production. Or, si les préjudices directs (abattages) ont été bien compensés, les préjudices indirects (par exemple aux centres équestres) n’ont fait l’objet que d’une compensation partielle, voire nulle.

 C - La problématique de la vaccination

 La décision de vacciner le cheptel dans l’Union européenne relève de la compétence partagée de la Commission européenne et du Conseil des ministres. Le principal argument qui motivait, en 1990, la suspension de la vaccination, était son coût, supérieur à celui de la non-vaccination. En outre, la vaccination limitait les exportations vers les pays indemnes de fièvre aphteuse, qui se refusent à importer des cheptels vaccinés, craignant qu’ils véhiculent la maladie.

 Les progrès des techniques vaccinales permettent désormais de distinguer, par des tests sérologiques, les animaux infectés de ceux vaccinés. Il serait, par conséquent, nécessaire de refaire le bilan coût/avantages du rétablissement de la vaccination (qu’elle soit préventive ou effectuée en urgence). Dans cette balance, il convient notamment de retenir :

 – qu’entre 35 milliards de francs d’exportation, pour la France, et 50 milliards de francs pour l’Union européenne sont susceptibles de pâtir d’une reprise de la vaccination ;

 – et qu’il apparaîtrait insoutenable de subir une crise analogue à celle survenue en Grande-Bretagne.

 Il convient de prendre les mesures à court terme pour se protéger d’une épizootie, et à moyen terme, de négocier avec nos partenaires internationaux pour modifier, les textes applicables aux échanges de produits en provenance de zones où est pratiquée la vaccination contre la fièvre aphteuse. La réussite de ces négociations est le préalable à toute politique de vaccination médicale du cheptel.

II - PROPOSITIONS

 A – Tirer les leçons de la récente crise en France

 La mission recommande pour l’avenir :

 – de délimiter plus précisément le périmètre des zones soumises à embargo (qui a concerné la Mayenne, la Seine et Marne et l’Orne) ;

– de renforcer le contrôle des rassemblements et des mouvements d’animaux en recourant à des systèmes d’identification individuelle performants -en particulier pour les ovins- et en procédant à des examens sérologiques réguliers et préventifs ;

  – d’effectuer des exercices périodiques, car la lutte contre la fièvre aphteuse nécessite une vigilance de tous les instants. 

B - Lutter contre l’immobilisme au plan international

 La France et la Commission européenne doivent intervenir avec vigueur auprès des instances compétentes en matière de fièvre aphteuse.

 Auprès de l’Office International des Epizooties (OIE), notre pays doit :

 – d’une part, revendiquer la création d’un nouveau statut applicable aux zones " indemnes de fièvre aphteuse pratiquant une surveillance sérologique ", et d’autre part, exiger que TOUS les Etats qui s’y sont engagés déclarent rapidement les foyers aphteux observés sur leur territoire, c’est ainsi que (des foyers sont suspectés en Argentine depuis l’an 2000 mais ce pays n’en a officiellement fait état qu’en mars 2001) ;

 – demander la modification des dispositions du code zoosanitaire international qui interdisent, en pratique, la fabrication de fromages au lait cru, tels que le Brie de Meaux, alors même que le processus d’élaboration de certains d’entre eux permet l’inactivation du virus (du fait de l’acidification du pH).

Dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il est urgent de lutter contre les mesures non concurrentielles prises à l’encontre des exportations européennes, à l’instar de leur mise sous embargo avant même que l’épizootie ne soit avérée.

 Au sein du Conseil européen, il est temps de réévaluer la stratégie collective de lutte contre la fièvre aphteuse, et, au vu des progrès réalisés en matière vaccinale, et de ceux accomplis à l’OIE sur le plan réglementaire, d’envisager la possibilité de procéder de façon durable à une vaccination accompagnée de contrôles sérologiques des troupeaux. Quelle que soit la stratégie retenue, les Etats européens doivent prévoir de contribuer, tant individuellement que par le biais des financements communautaires, à la réparation des préjudices subis à l’occasion d’une épizootie aphteuse, surtout s’ils s’en tiennent à la stratégie de non-vaccination qui, l’exemple britannique le prouve, s’avère extrêmement coûteuse.

La Commission européenne doit également interdire de façon stricte l’entrée en Europe de produits provenant de pays tiers où sévit la fièvre aphteuse.

 C - Renforcer la prévention

Compte tenu de l’accroissement des échanges internationaux et du développement du risque de fraude qui est son corollaire, des contrôles vétérinaires doivent s’exercer :

– aux frontières avec les pays tiers et notamment dans les aéroports où des denrées alimentaires contaminées sont susceptibles d’être introduites par des passagers ;

– de façon ponctuelle, et dans le cadre du principe de confiance mutuelle lors des échanges intra-européens, notamment sur les mouvements d’ovins, d’autant plus que leur origine est mal identifiée (car ces animaux véhiculent la maladie sans en manifester les signes cliniques).

Sur le territoire national, rien ne remplacera l’action conjuguée des services vétérinaires, des groupements de défense sanitaire et des vétérinaires sanitaires. A ce titre, l’affaiblissement progressif du remarquable réseau de surveillance épidémiologique que constituent les vétérinaires sanitaires installés en zone rurale est une source de vives préoccupations pour l’évolution de l’état sanitaire du cheptel français.

  D - Se mobiliser très rapidement en cas de crise

 La vitesse de réaction face à un foyer aphteux étant une condition essentielle du succès contre celui-ci, il est souhaitable de :

– disposer d’une " force de frappe " pour procéder à des abattages d’autant plus limités qu’ils sont effectués de façon précoce ;

– devancer le virus en recourant à l’abattage préventif des animaux suspects ;

– éliminer les animaux dans des conditions dignes et détruire leurs cadavres dans des conditions sanitaires et environnementales satisfaisantes (pour éviter l’accumulation de carcasses observée en Grande-Bretagne laquelle peut polluer les nappes phréatiques)

;– faire en sorte que l’Union européenne dispose de réserves suffisantes pour procéder à une vaccination d’urgence si les services vétérinaires sont en passe de perdre le contrôle de l’épizootie ;

– rembourser dans les meilleurs délais les préjudices directs et indirects occasionnés par la stratégie de lutte mise en œuvre, quelle qu’elle soit.

 E - Réactiver une recherche assoupie

 A moyen terme enfin, il convient de :

 – relancer les recherches sur de nouveaux vaccins " traceurs " ;

– favoriser l’établissement de protocoles harmonisés en matière de prélèvements sérologiques (pour éviter d’abattre des animaux qui seraient de " faux positifs ") ;

– mener des campagnes de vaccination pour éradiquer la maladie à l’échelle mondiale et pour constituer des " zones-tampon " aux frontières de l’Union européenne ;

– modifier la réglementation pour permettre de vacciner les espèces rares ou constituant un patrimoine génétique de grande valeur (animaux génétiquement modifiés, animaux des zoos).