M. Hubert Védrine fait le point devant les sénateurs sur la crise internationale et présente , avec M. Charles Josselin, le projet de budget pour 2002 du ministère des affaires étrangères

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, a entendu le mercredi 17 octobre, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le budget du ministère des affaires étrangères pour 2002.

Les sénateurs ont d'abord interrogé le ministre sur l'évolution de la crise internationale.

M. Claude Estier a invité M. Hubert Védrine à faire le point sur ses récents déplacements à l'étranger. M. Michel Pelchat s'est interrogé sur la poursuite des bombardements américains en Afghanistan, alors même qu'ils ne paraissaient plus, selon lui, répondre à des objectifs de caractère purement militaire. M. Jean-Pierre Plancade a souhaité connaître le sentiment du ministre sur les perspectives de sortie de crise. Mme Hélène Luc a demandé des précisions sur l'évolution de la situation au Pakistan. Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Robert Del Picchia et André Rouvière se sont interrogés pour leur part sur les risques d'une crise politique en Israël, ainsi que sur les chances de parvenir à un règlement de paix au Proche-Orient. M. Christian de La Malène a souhaité savoir si la position américaine vis-à-vis du conflit israélo-palestinien évoluerait dans la période actuelle.

M. Xavier de Villepin, président, s'est demandé si la mise en place de l'actuelle coalition modifierait durablement les rapports internationaux, notamment la relation russo-américaine et si elle marquerait une rupture au regard de l'unilatéralisme traditionnel de la diplomatie américaine.

En réponse aux commissaires, M. Hubert Védrine a d'abord relevé qu'il était difficile de tirer les conséquences de la crise actuelle, alors même que les opérations militaires n'étaient pas encore achevées. Il a observé que l'intervention américaine se déroulait conformément au principe de légitime défense reconnu par les Nations unies et qu'aucun gouvernement ne l'avait d'ailleurs jusqu'à présent contestée. Les Etats-Unis, a-t-il ajouté, sont conscients que les frappes aériennes ne constituent que l'un des volets d'une riposte qui s'inscrira dans un processus long et difficile. Il a précisé en outre que l'intervention américaine ne traduisait pas une volonté de renforcer le rôle des Etats-Unis dans une région où ils exerçaient d'ores et déjà une influence importante.

Le ministre des affaires étrangères a alors évoqué le débat américain sur un éventuel élargissement des frappes militaires au-delà de l'Afghanistan, en précisant que cette option restait minoritaire parmi les responsables et n'avait pas retenu l'approbation du président Bush. L'objectif de destruction des infrastructures, a-t-il par ailleurs rappelé, précède sans doute des opérations ciblées de commandos sans qu'aucune intervention terrestre massive et durable ne soit envisagée. Le chef de l'Etat pakistanais, a-t-il poursuivi, en se rangeant du côté des Etats-Unis, avait pris un risque maîtrisé vis-à-vis de son opinion publique majoritairement hostile à l'intervention américaine.

M. Hubert Védrine, s'interrogeant ensuite sur les perspectives de résolution de la crise actuelle, a évoqué le plan français pour l'Afghanistan soumis à nos partenaires européens et qui comprend un volet humanitaire d'urgence, un volet politique, un volet économique, centré en particulier sur la reconstruction d'une économie agricole. Le processus de pacification politique, a souligné le ministre, supposait que les affrontements fratricides puissent être surmontés ; dans cette perspective, si les intérêts des pays voisins devaient être pris en compte, il convenait d'éviter toute ingérence dans la situation intérieure afghane. M. Hubert Védrine a observé que l'ancien roi d'Afghanistan apparaissait aujourd'hui le seul symbole d'unité et pouvait contribuer d'une manière positive à la réconciliation indispensable des différentes parties en présence. Il a estimé que le règlement des différends sur la scène intérieure afghane s'inscrirait sans doute dans un processus très lent. Le ministre des affaires étrangères a par ailleurs observé que les Afghans bénéficiaient d'un soutien humanitaire considérable, même si l'acheminement de cette aide aux populations qui en avaient le plus besoin rencontrait beaucoup d'obstacles.

M. Hubert Védrine a rappelé que l'Union européenne avait manifesté, depuis les événements du 11 septembre dernier, sa capacité à harmoniser ses positions. Il a observé que les frappes aériennes ouvraient une nouvelle phase plus complexe dont il était encore difficile de mesurer les suites. Il a estimé que la crise actuelle n'avait pas suscité la création d'une véritable coalition, en observant que le soutien dont bénéficiaient les Etats-Unis reposait sur une série d'accords bilatéraux dont le contenu et la portée apparaissaient très variables selon les pays. Dans ces conditions, a précisé le ministre, le système de solidarité que l'on pouvait observer ne devrait pas avoir d'effets durables sur les relations internationales, à l'exception sans doute des relations entre Washington et Moscou ; le choix stratégique décidé par le président Poutine en faveur de la modernisation de la Russie suppose, en effet, qu'un partenariat durable puisse être noué avec les Etats-Unis. Il apparaît peu probable, par ailleurs, a indiqué M. Hubert Védrine, que les Etats-Unis renforcent la dimension multilatérale de leur diplomatie. Les Etats-Unis, a poursuivi le ministre des affaires étrangères, semblaient soucieux d'atteindre, dans un délai rapide, les cibles précises qu'ils s'étaient assignées, tout en rappelant que la lutte contre le terrorisme s'inscrivait dans le cadre d'un processus long et difficile.

M. Hubert Védrine a enfin souligné l'évolution de la position américaine vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. Il a rappelé à cet égard que les Etats-Unis avaient évoqué leur soutien à la création d'un Etat palestinien et se référaient désormais à certaines résolutions pertinentes des Nations unies. Il restait à savoir, a-t-il poursuivi, si cette nouvelle orientation se traduirait par des presssions sur le gouvernement israélien qui seules permettraient pourtant de surmonter la crise actuelle. Il a estimé que le soutien accordé par le pouvoir israélien au mouvement de colonisation représentait un facteur essentiel de blocage. La constitution d'un Etat palestinien viable supposait en effet une continuité territoriale et la nécessaire remise en cause d'implantations israéliennes.

M. Pierre Mauroy a alors observé que la question des colonies constituait la clef du règlement du conflit israélo-palestinien.

En réponse à M. Guy Penne, le ministre des affaires étrangères a, enfin,  rappelé que la question de Jérusalem n'était pas négociable aux yeux du gouvernement israélien. Celui-ci, a-t-il observé, a pris conscience qu'il ferait l'objet de fortes pressions, notamment de la part des Etats-Unis et multiplie aujourd'hui dans cette perspective les préalables à une reprise des négociations.

M. Hubert Védrine a ensuite présenté le projet de budget de son ministère pour 2002. Il a souligné qu'avec une croissance de 1,3 % par rapport à 2001, il permettait une évolution positive pour la troisième année consécutive. Certes, cette croissance est modeste, mais elle s'accompagne d'une stabilisation des effectifs, ce qui est un progrès notable au regard de la période antérieure à 1997. Au total, le projet de budget s'élève à 22,4 milliards de francs, en croissance de 285 millions de francs, à structure constante, par rapport à 2001. Le ministre a ensuite défini les quatre priorités sur lesquelles ce projet de budget avait été construit.

En premier lieu, un maintien de la coopération internationale menée par la France sera assuré, notamment à travers le réseau de ses établissements culturels qui est le plus dense au monde. Le domaine de l'audiovisuel extérieur sera également privilégié.

En deuxième lieu, le ministre a souligné que près de 40.000 nouvelles demandes d'asile avaient été formulées en France l'an passé et qu'il convenait donc de dégager des moyens supplémentaires pour les traiter.

La troisième priorité touche à la condition de nos compatriotes établis à l'étranger, dont la protection sociale, la sécurité et la scolarité de leurs enfants seront améliorées. Ainsi, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) voit ses moyens augmenter, notamment pour les bourses scolaires destinées aux élèves français qui bénéficieront d'une augmentation de 9,2 millions de francs.

Dernière priorité : la modernisation des moyens humains du ministère des affaires étrangères, dont 9.466 emplois sont inscrits dans le projet de loi de finances pour 2002. Au sein de ces effectifs stabilisés, l'encadrement des services des visas sera renforcé et la politique de formation des personnels accrue. M. Hubert Védrine a rappelé à ce propos qu'il avait récemment créé dans cette perspective un institut diplomatique.

Puis M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, a souligné que la situation internationale prévalant après les attentats du 11 septembre dernier pose de façon accrue la question du développement, et que le président de la Banque mondiale avait récemment déploré que les turbulences économiques actuelles pénalisent en priorité les pays pauvres. Il a tenu à rappeler la mobilisation du continent africain contre le terrorisme, symbolisée par la réunion tenue aujourd'hui même autour du Président sénégalais Wade sur ce sujet. Cependant, les manifestations qui se sont récemment déroulées dans divers pays d'Afrique ou d'Asie montrent que les opinions publiques sont parfois en divergence sur ce point avec les gouvernements.

Un débat s'est ensuite instauré entre les commissaires.

M. Guy Penne s'est félicité, s'agissant de l'AEFE, qu'une réforme du décret de 1990 ait été entreprise et qu'elle ait abouti positivement du fait des efforts conduits par le ministre et ses services. Il s'est, par ailleurs, inquiété des possibles menaces pour la démocratie que pourraient faire naître les initiatives légitimes des gouvernements africains contre le terrorisme. Evoquant le réseau des établissements d'enseignement français à l'étranger, il a souligné l'opportunité d'en dresser une nouvelle carte, en souhaitant que cette démarche associe les sénateurs représentant les Français établis hors de France. Il a également souligné l'opportunité que présenterait une prise en charge, par le ministère de l'éducation nationale, du montant des bourses allouées aux élèves français scolarisés à l'étranger.

M. Jean-Guy Branger, revenant sur les conditions de lutte contre le terrorisme, a plaidé pour une concertation accrue entre l'Union européenne, les Etats-Unis et le Canada sur les modalités de contrôles aux frontières.

Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis des crédits de l'aide au développement, a déploré qu'une nouvelle réduction affecte les crédits du fonds de solidarité prioritaire (FSP). Elle s'est interrogée sur l'évolution des crédits affectés à la coopération militaire, et a souhaité avoir des éclaircissements sur les effectifs réels de l'assistance technique en coopération, dont les incessantes modifications de la nomenclature budgétaire ne permettaient guère de suivre l'évolution.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, rapporteur pour avis des crédits des relations culturelles extérieures et de la francophonie, a évoqué le découragement qu'elle constatait aussi bien dans les postes qu'à l'administration centrale, parmi des personnels parfois démotivés du fait de leur manque de moyens. Elle a souhaité connaître à quelle date serait remis au parlement le rapport sur les agents recrutés locaux, dont la publication avait été prévue pour le mois d'avril 2001. Abordant ensuite les moyens, à ses yeux insuffisants, consacrés à notre action audiovisuelle extérieure, elle s'est interrogée sur l'opportunité d'une mobilisation de crédits privés pour les renforcer. S'agissant des moyens financiers des instituts culturels, en réduction, elle a suggéré de développer le réseau des alliances françaises pour y remédier, notamment en Europe où ces alliances ne sont pas implantées.

M. André Dulait, rapporteur pour avis des crédits des affaires étrangères, s'est interrogé sur la « nébuleuse » des organisations non gouvernementales, où se côtoyaient certaines structures admirables et d'autres dont le contrôle apparaissait nécessaire.

M. Robert Del Picchia a déploré que les bénéfices retirés des droits de chancellerie ne soient pas affectés plus largement au budget du ministère des affaires étrangères.

Puis le président Xavier de Villepin s'est interrogé sur la date retenue pour la prochaine réunion du Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), ainsi que sur une éventuelle modification des contours de la Zone de solidarité prioritaire (ZSP). Il a fait état de ses interrogations sur la poursuite de l'action très positive entreprise par M. Jean Stock à la tête de TV5, après le récent départ de ce dernier.

En réponse, M. Hubert Védrine a apporté les précisions suivantes :

- les attentats du 11 septembre dernier ont entraîné une coopération européenne accrue dans les domaines de la justice et de la police, mais ce renforcement au sein de l'Union européenne rendra sans doute plus difficiles les négociations en vue de son élargissement ;

- les événements qui ont agité la récente conférence réunie par l'ONU sur le thème du racisme à Durban ont confirmé les interrogations que l'on pouvait avoir sur certaines ONG, même si celles-ci répondaient, a-t-il précisé à M. Xavier de Villepin, président, aux critères d'accréditation définis par les Nations unies ;

Puis M. Charles Josselin a souligné que :

- le rôle du pôle français dans le rayonnement de TV5 dans le monde avait en effet été consolidé par l'action de M. Jean Stock. Sur TV5 Amérique, il restait à augmenter le nombre d'abonnés aux Etats-Unis ;

- la part des élèves français dans le réseau des établissements dépendant de l'AEFE a crû de 39 % en 1993 à 45 % en 2001, évolution qui permet de stabiliser les frais d'écolage payés par les parents français. La prise en charge des bourses destinées aux élèves français à l'étranger est l'un des objectifs des discussions en cours entre les ministères de l'éducation nationale et des affaires étrangères ;

- le rapport sur les recrutés locaux sera très prochainement transmis aux parlementaires ;

- les effectifs de l'assistance technique seront à l'avenir préservés, et les missions ponctuelles d'expertise seront favorisées dans le but de mieux répondre aux appels d'offre internationaux passés en la matière ;

- les crédits alloués au fonds de solidarité prioritaire baissent, certes, en autorisations de programme, mais enregistrent une croissance de 35 millions de francs en crédits de paiement ;

- le redéploiement vers l'Europe centrale des effectifs de coopération militaire est maintenant achevé. S'agissant du continent africain, les actions multilatérales seront favorisées, notamment au travers des écoles de formation ;

- les droits de chancellerie sont désormais budgétés à hauteur de 30 % au profit du ministère des affaires étrangères ;

- un prochain CICID se réunira d'ici à la fin de l'année, et pourrait redessiner les contours de la ZSP pour prendre en compte certaines remarques formulées par le Groupe d'action financière internationale (GAFI) ;

- des propositions ont été récemment faites par la France en direction des pays africains pour les soutenir dans leur effort de lutte contre le terrorisme et les trafics financiers.