M. HUBERT VÉDRINE ÉVOQUE DEVANT LES SÉNATEURS LA SITUATION AU PROCHE-ORIENT ET LA RÉUNION DES MINISTRES DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES EUROPÉENS DE CACERES 

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Xavier de Villepin, président, a entendu le mercredi 13 février, M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a tout d'abord évoqué le Proche-Orient en soulignant qu'au-delà des événements survenus sur le terrain, la situation politique n'avait pas véritablement évolué au cours des dernières semaines. Le gouvernement israélien continue à exiger le rétablissement préalable de la sécurité avant toute reprise d'un dialogue politique, et il est soutenu sur ce point par l'administration américaine. Pour M. Hubert Védrine, les contacts récents entre M. Sharon et plusieurs responsables palestiniens ou encore le refus des Etats-Unis de rompre totalement toute relation avec l'autorité palestinienne ne sont pas de nature à remettre en cause ces données fondamentales.

Le ministre des affaires étrangères a précisé que, dans ce contexte, un consensus assez large existait au sein de l'Union européenne pour déplorer le blocage actuel des positions du gouvernement israélien et pour souhaiter une relance d'un processus de dialogue politique. C'est dans cette perspective que la France a lancé plusieurs idées, notamment l'organisation d'élections dans les territoires palestiniens et le soutien au plan de Shimon Peres visant à placer la reconnaissance de l'Etat palestinien comme point de départ et non plus comme point d'arrivée d'une négociation politique. Il apparaît toutefois que certains de nos partenaires européens hésitent à exprimer une position qui trancherait trop fortement avec celle des Etats-Unis.

M. Hubert Védrine a également fait part des interrogations sur les conséquences d'une éventuelle intervention américaine en Irak.

Rendant compte du conseil informel des ministres des affaires étrangères européens à Caceres, il a précisé que la plupart de ses collègues européens partageaient les appréciations qu'il avait récemment formulées sur certains aspects de la politique étrangère américaine. Il a ajouté que l'approche unilatérale des Etats-Unis sur un nombre croissant de dossiers inquiétait d'autant plus la plupart de nos partenaires européens qu'elle était désormais érigée en principe de base de la politique étrangère américaine. Le rôle mineur dévolu à l'OTAN, en dépit de ses offres de service, dans la campagne en cours en Afghanistan, a notamment contribué à renforcer ce malaise chez certains alliés. Ce sentiment s'est amplifié à la suite du discours sur l'état de l'Union du président Bush qui témoignait d'une conception des relations internationales fondées sur les rapports de force militaires et laissant peu de place à l'approche multilatérale.

M. Hubert Védrine a également indiqué que la réunion de Caceres avait permis d'aborder plus concrètement que par le passé les questions liées à l'élargissement de l'Union européenne, en particulier ses incidences financières. Sur ce point, les propositions élaborées par la Commission ont été jugées insuffisantes par les pays candidats et trop coûteuses par les pays contributeurs nets, la France ayant toutefois pris une position conciliante sur le dossier des aides agricoles directes.

Enfin, M. Hubert Védrine a évoqué son récent voyage, en Afrique, dans la région des Grands Lacs, avec le ministre britannique des affaires étrangères, M. Straw. Tout en constatant le blocage des différentes parties au conflit, il a souligné l'intérêt de ce type de démarche commune franco-britannique qui ne peut que contribuer à favoriser des solutions novatrices sur le continent africain. Il a toutefois estimé que le gouvernement britannique, s'agissant de l'Afrique, devrait opérer des arbitrages entre le Foreign Office et les positions déplorables exprimées par le ministre de la coopération, Mme Short.

A la suite de l'exposé du ministre, un débat s'est engagé avec les commissaires.

M. Jean-Pierre Masseret a regretté que l'Union européenne ne soit pas en mesure d'exprimer une position critique vis-à-vis de la politique étrangère actuelle des Etats-Unis, comme le commanderaient pourtant l'intérêt de l'Europe et celui de la paix dans le monde.

M. Hubert Védrine a fait observer que les pays européens considéraient les Etats-Unis comme leur allié et acceptaient, dans leur grande majorité, le rôle dominant de ce pays sur la scène internationale. Beaucoup de nos partenaires au sein de l'Union européenne ne partagent pas la volonté de la France de donner à l'Europe le rôle d'une véritable puissance dans le monde, même s'ils sont prêts à approuver les positions françaises à l'égard des Etats-Unis lorsqu'elles leur paraissent équilibrées et justifiées, comme on le constate actuellement.

Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est interrogée sur les conditions dans lesquelles les Etats-Unis lui semblaient conduire une guerre psychologique vis-à-vis de l'opinion publique, en procédant notamment à la manipulation de certaines informations.

Le ministre des affaires étrangères a observé qu'un tel risque existait dans tout conflit et qu'il était impossible de vérifier certaines des informations diffusées.

M. Robert Denis Del Picchia a demandé quelle était la position de nos partenaires de l'Union européenne à l'égard des perspectives d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. Il a fait observer par ailleurs que le ministre britannique chargé des questions de coopération bénéficiait d'un ministère autonome doté d'un budget important, ce qui n'était pas le cas de la France.

M. Hubert Védrine a rappelé que l'existence d'un ministère autonome chargé de la coopération au Royaume-Uni n'était pas supposée remettre en cause la cohérence de la politique britannique en Afrique. S'agissant de l'élargissement de l'Union européenne, il a indiqué que la Commission européenne avait confirmé, lors du Conseil européen de Laeken, qu'un processus de négociations différenciées se poursuivait avec chacun des pays candidats, même si elle maintenait par ailleurs la perspective de l'adhésion de dix d'entre eux à l'échéance 2002. Il a ajouté que la Commission européenne, à la  suite des observations françaises, avait élaboré des programmes spécifiques dans la perspective de l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie.

M. Christian de La Malène a souhaité savoir dans quelle mesure les positions américaines à l'égard des Palestiniens avaient évolué depuis les évènements du 11 septembre. Il s'est interrogé en outre sur les perspectives d'une issue à la crise au Proche-Orient telle que pouvait les envisager l'administration américaine.

Le ministre des affaires étrangères a estimé que la position de fermeté du Président Bush vis-à-vis des Palestiniens n'avait pas réellement évolué, malgré l'infléchissement circonstanciel provoqué par les attentats du 11 septembre. Par ailleurs, a-t-il poursuivi, la vision américaine de la crise dans cette région est inspirée par la priorité conférée à la lutte contre le terrorisme. Il a ajouté que le Premier ministre israélien souhaitait maintenir vis-à-vis des Palestiniens une supériorité militaire absolue et préserver la convergence des positions américaines et israéliennes. M. Hubert Védrine n'a pas exclu toutefois la possibilité que l'état d'esprit au sein des opinions publiques évolue plus vite en Israël qu'aux Etats-Unis.

M. Pierre Mauroy a déploré que la perspective de la paix au Proche-Orient ne cesse de s'éloigner. Il a dénoncé par ailleurs la politique de provocation conduite par le Premier ministre israélien en violation flagrante des résolutions adoptées par la communauté internationale. Il s'est félicité du rôle joué par la diplomatie française au sein de l'Union européenne afin de relancer les initiatives en faveur de la paix dans cette région. Il a enfin formé le voeu que la mobilisation des opinions publiques puisse contribuer à faire évoluer de manière positive les positions des parties en présence au conflit.

Mme Danielle Bidard-Reydet s'est interrogée sur l'état d'esprit de la population américaine vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, ainsi que sur le rôle que pouvait jouer l'opinion publique, notamment dans les pays arabes, pour s'opposer aux projets d'interventions militaires que pourraient préparer les Etats-Unis.

Le ministre des affaires étrangères a fait observer que la cohésion de l'opinion américaine n'avait jamais été aussi forte qu'aujourd'hui. Il a ajouté que les pays arabes manifestaient des difficultés à adopter une position commune à l'égard d'éventuels projets militaires américains en Irak.

M. Jean-Guy Branger s'est inquiété des risques d'une action unilatérale américaine en Irak. M. Hubert Védrine a partagé cette préoccupation, en soulignant qu'une intervention militaire destinée à mettre fin au régime de Saddam Hussein pourrait provoquer sans doute une déstabilisation politique dans certains pays voisins mais risquerait surtout d'aboutir à un éclatement de l'Irak.

M. Xavier de Villepin a observé que la position de l'Union européenne sur la scène internationale présenterait une plus grande crédibilité si les Etats européens consentaient un effort financier plus important dans le domaine de la défense, ainsi qu'en matière d'aide publique au développement. Il s'est inquiété par ailleurs de l'évolution politique à Madagascar. Evoquant enfin la situation en Argentine, il a relevé que beaucoup d'entreprises françaises risquaient de quitter ce pays et il a souhaité que la France agisse au sein du FMI afin d'inciter cette institution à apporter au redressement de l'économie argentine le même soutien qu'elle avait apporté à la Turquie.

M. Hubert Védrine a partagé l'appréciation portée par le président sur la crédibilité de l'Europe, mais a noté que, s'en remettant pour l'essentiel à l'alliance américaine, beaucoup de nos partenaires européens n'éprouvaient pas le besoin de renforcer les moyens consacrés à leur défense. Il a à cet égard relevé les difficultés rencontrées par certains programmes communs d'équipement dans le domaine militaire. Il a souligné par ailleurs que les préoccupations des pays en développement ne portaient pas seulement sur l'évolution quantitative de l'aide publique mais également sur un meilleur accès au marché européen, ainsi que sur un allégement des conditionnalités posées par les bailleurs de fonds. Il a fait également état de son inquiétude sur l'évolution de la situation à Madagascar, en soulignant que l'organisation d'un second tour équitable pour les élections présidentielles représentait sans doute la moins mauvaise des options pour sortir de la crise actuelle. Enfin, après avoir indiqué que la présence des entreprises françaises en Argentine constituait l'un des facteurs du redressement de ce pays, il a également estimé nécessaire que le FMI apporte son soutien aux autorités argentines.