Devant la commission des affaires sociales du Sénat, M. Jean-François MATTEI dévoile les positions du gouvernement sur le projet de loi relatif à la bioéthique

Jeudi 12 décembre 2002, la commission des Affaires sociales du Sénat, présidée par M. Nicolas About (UMP - Yvelines), a auditionné M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur le projet de loi relatif à la bioéthique. Ce texte, dont le rapporteur est M. Francis Giraud (UMP - Bouches-du-Rhône), a été déposé par le précédent gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale en janvier 2002 ; il sera examiné par le Sénat en séance publique à la fin du mois de janvier 2003.

Evoquant la recherche sur l'embryon, M. Jean-François Mattei a souligné qu'il n'était pas question de revenir sur le principe fondamental fixé par l'article 16 du code civil qui « garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie ». Il a considéré que l'embryon pouvait être un objet d'étude si l'on respectait son intégrité et si les recherches étaient menées dans l'intérêt de l'embryon.

Après avoir formulé le souhait que la France se distingue par un engagement massif dans la recherche sur les cellules souches adultes, M. Jean-François Mattei a expliqué que les perspectives thérapeutiques des cellules souches embryonnaires apparaissaient encore lointaines. Il a jugé indispensable de mener de front, pendant quelques années au moins, des recherches sur les cellules embryonnaires et sur des cellules souches adultes, afin de comparer leur potentialité et leur innocuité pour l'homme. Souhaitant ouvrir une « fenêtre pour la recherche » strictement délimitée, il a fait observer que la médecine avait toujours progressé par transgressions successives, qu'il s'agisse par exemple de l'autopsie, de la transfusion ou de la transplantation d'organes.

Le ministre a souligné que la possibilité de mener des recherches sur l'embryon et les cellules embryonnaires aurait « un caractère dérogatoire et transitoire » et que ses conditions de mise en œuvre seraient très précisément circonscrites. Les recherches ne pourront être menées que sur des embryons in vitro conçus dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et pour lesquels il n'existe plus de projet parental. Le bien-fondé de cette recherche sera réexaminé au bout de cinq ans.

M. Jean-François Mattei a estimé que la création d'embryons humains à des fins de recherche devait demeurer fermement exclue et sévèrement sanctionnée ; il a jugé par conséquent que la possibilité, introduite par l'Assemblée nationale par voie d'amendement au projet de loi, que des embryons soient créés pour l'évaluation de nouvelles techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP) était inacceptable.

Il a également rejeté toute possibilité de clonage thérapeutique, qu'il a qualifié de « porte ouverte au clonage reproductif ». Afin d'empêcher toute tentation de clonage à visée reproductive, M. Jean-François Mattei a souhaité la création, dans le code pénal, d'une nouvelle incrimination, baptisée « crime contre la dignité de la personne humaine », qui viserait tant le clonage à but reproductif que les pratiques eugéniques tendant à l'organisation de la sélection des personnes. Cette incrimination ne pourrait être prescrite que trente ans après la majorité de l'enfant cloné et aurait une portée extraterritoriale.

Evoquant la question du don d'organes et le grave problème posé par le déficit en greffons, M. Jean-François Mattei a estimé que le texte adopté en janvier dernier par l'Assemblée nationale choisissait de répondre par la facilité en élargissant sans précaution le champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur. Il a jugé qu'eu égard aux risques inhérents à ces prélèvements, il convenait au contraire de rendre pleinement effectif le régime actuel de consentement présumé des personnes décédées, notamment par une politique d'information plus active. Il a souhaité que la liste des donneurs vivants d'organes ne soit élargie qu'à des personnes limitativement énumérées, afin de prévenir toute dérive commerciale et toute forme de pression sur les donneurs potentiels.

S'agissant de l'assistance médicale à la procréation (AMP), il a fait part de son intention de revenir sur l'autorisation du transfert d'embryon post mortem en cas de décès de l'homme, introduite dans le projet de loi par l'Assemblée nationale. Il a souligné que cette « transgression du temps » conduisait à bouleverser les fondements du droit civil pour résoudre quelques cas individuels. Il a également souhaité que l'accès à l'AMP demeure subordonné, pour les couples non mariés, à la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans, de sorte que seuls des couples stables se lancent dans l'aventure souvent difficile de la procréation assistée et que les embryons conçus artificiellement le soient dans le cadre d'un projet parental solide.

S'agissant de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH), M. Jean-François Mattei a proposé de constituer aussi rapidement que possible, mais si nécessaire en deux étapes, une Agence de la biomédecine et des produits de santé comportant cinq départements dédiés respectivement aux médicaments, aux dispositifs médicaux, au sang, aux organes et aux tissus, à l'assistance médicale à la procréation, à la médecine embryonnaire et fœtale et à la génétique humaine. Il a précisé qu'une étape intermédiaire à la constitution de cette grande agence pourrait consister à regrouper les activités de l'APEGH et de l'Etablissement français des greffes (EFG) en une Agence de la biomédecine, la proximité des questions scientifiques et la parenté des questions éthiques traitées par l'une et l'autre lui paraissant légitimer ce rapprochement.

Evoquant la brevetabilité d'éléments du corps humain, M. Mattei a souligné que la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale à l'article 12 bis (« Un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, ne peut constituer une invention brevetable »), si elle correspondait parfaitement à ses convictions, ne pourrait toutefois trouver à s'appliquer dès lors qu'elle était directement contraire aux dispositions de l'article 5 de la directive européenne 98-44/CE. Il a estimé qu'il fallait, pour sortir de cette impasse, trouver une formulation juridique empêchant qu'un brevet puisse interdire aux chercheurs de mener des recherches concernant des applications nouvelles sur des molécules, gènes ou autres éléments du corps humain qui seraient déjà couverts par un brevet.

La commission des Affaires sociales du Sénat examinera le mercredi 15 janvier 2003 le rapport de M. Francis Giraud sur ce projet de loi.