Exploitation cinématographique : le spectacle est-il encore dans la salle ?

L'analyse du secteur de l'exploitation cinématographique possède un intérêt tant culturel que politique.

Au niveau culturel d'abord, la salle participe directement à la création de l'œuvre cinématographique dans la mesure où elle en est la condition d'existence. Car ce qui distingue le long métrage des autres œuvres audiovisuelles, c'est avant tout sa projection dans une salle obscure, lieu de rencontre avec le public, lieu où se réalise la magie du cinéma.

Au niveau politique ensuite, le réseau de salles représente un enjeu essentiel en termes d'aménagement du territoire. Elément fondamental de la vie culturelle, lieu de convivialité et de rencontres, la salle de cinéma fait partie de ces endroits « structurants » qui contribuent à maintenir un lien social dans un monde en mal de repères.

C'est au vu de ces deux éléments que la mission, après avoir établi un inventaire du parc de salles français, tant quantitatif que qualitatif, et analysé les actions menées par les pouvoirs publics pour en préserver la diversité, s'est efforcée de dégager les perspectives du secteur de l'exploitation et les conditions à remplir pour assurer son équilibre et sa contribution à la bonne santé, à la fois culturelle et économique, du cinéma français.

Au terme de plus d'un an de travail, de 21 auditions de deux déplacements à Saint‑Etienne et à Bruxelles, et de la réalisation d'une enquête en collaboration avec le Centre national de la cinématographie permettant, pour la première fois, d'évaluer la nature et le montant des aides octroyées aux exploitants par les différentes collectivités locales en application de la « loi Sueur », et alors même que, dans la déclaration de Cannes, adoptée le 15 mai 2003 en présence de Mme Viviane Reding, commissaire pour la culture et l'éducation et de M. Michel Rocard, président de la Commission « Culture » du Parlement européen, treize ministres européens de la culture[1] ont rappelé leur indéfectible attachement au cinéma, la mission dresse un bilan encourageant d'un secteur en pleine mutation :

- notre parc de salles, le plus important et le plus diversifié d'Europe, reste géographiquement concentré. En effet, seulement 4,5 % des communes françaises, et 2,9 % des communes de moins de 10 000 habitants sont équipées de salles de cinéma ;

- le système d'aides à l'exploitation a parfaitement joué le rôle qui lui était dévolu : faciliter la modernisation du parc de salles. L'accentuation du caractère redistributif de l'aide automatique et la rationalisation des différentes aides sélectives devraient donner un second souffle à un système qui commençait néanmoins à perdre de son efficacité ;

- le rôle des collectivités territoriales, et notamment des communes, en matière d'exploitation cinématographique, n'a jamais été évalué et reste par conséquent extrêmement mal connu. Le rassemblement de données concernant les régions Lorraine et Midi‑Pyrénées, initié par la mission avec l'aide du service de l'exploitation du Centre national de la cinématographie, devrait être poursuivi et complété ;

- la numérisation de la projection, actuellement dans l'impasse, pourrait bouleverser, dans les années à venir, l'économie du secteur tout entier. Cette situation conduit à s'interroger sur les choix à effectuer pour mener à bien une transition qui, au premier abord, semble périlleuse.

Ce constat a conduit la mission à formuler douze propositions constituant cinq piliers sur lesquels pourrait s'appuyer une nouvelle politique en faveur de l'exploitation cinématographique.

1) Achever la modernisation de l'ensemble du parc de salles en soutenant activement la création d'équipements dans les zones encore sous‑équipées et en mettant en place des instruments financiers destinés à aider les exploitants indépendants à rénover leurs installations.

2) Accompagner la transition vers la projection numérique, transition qui constitue le véritable défi de ce début de siècle pour l'ensemble de la filière, en aidant les exploitants à s'équiper tout en garantissant les spectateurs d'une qualité d'image au moins équivalente à celle assurée par les actuels projecteurs 35 mm.

3) Favoriser l'étalement de la sortie des films au cours de l'année grâce au rétablissement d'incitations financières à destination des producteurs et distributeurs de long métrage acceptant de sortir leurs films en été et à la mise en place d'un code de bonne conduite sous l'égide du ministre de la culture.

4) Évaluer, de manière précise et régulière, les aides consenties par les collectivités territoriales aux exploitants afin notamment de favoriser une véritable complémentarité entre les interventions locales et nationales en faveur du secteur de l'exploitation.

[1] Allemagne, Irlande, Grèce, Estonie, Espagne, France, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovénie et Slovaquie.