EVALUATION DES POLITIQUES PUBLIQUES EN FRANCE

Au cours de sa réunion du 29 juin 2004, la Délégation pour la planification du Sénat, présidée par M. Joël Bourdin (UMP-Eure), a adopté le rapport d'information sur l'évaluation des politiques publiques en France, présenté par MM. Joël Bourdin (UMP-Eure), Pierre André (UMP-Aisne) et Jean-Pierre Plancade (PS-Haute-Garonne).

L'évaluation des politiques publiques représente plus qu'un instrument pour une gestion publique plus performante. C'est une démarche à forts enjeux politiques qui permettrait de renouveler les modes de gouvernance de notre pays, à condition de l'organiser de sorte qu'elle soit réellement indépendante, pluraliste, transparente, participative et efficace.

Si l'évaluation est aujourd'hui peu développée en France, c'est parce qu'elle poursuit des logiques qui bousculent chacune des caractéristiques du système politique et administratif : la suprématie de l'exécutif ; l'absence d'un vrai statut de l'opposition et d'un cadre de participation directe des citoyens ; la fiction d'un défaut d'autonomie de l'administration.

Le sous-développement de l'évaluation perdure ainsi, malgré l'importance qui lui est accordée dans les discours comme outil de perfectionnement de l'action publique et comme levier de la réforme de l'Etat. Les moyens disponibles ne sont pas à la hauteur de ces enjeux.

Du côté des ministères, des moyens d'évaluation ont été mis en place. Mais, d'une part, la fonction d'évaluation reste très mal organisée et, d'autre part, la contribution des services de l'exécutif à la « demande sociale d'évaluation » est pauvre. Les travaux qui sont conduits relèvent de l'autoévaluation et sont, dans la plupart des cas, exclusivement destinés aux ministres. Les rapporteurs déplorent cette situation et ils proposent différents moyens pour assurer une meilleure distribution de l'expertise qui doit cesser de relever du quasi-monopole de l'exécutif.

Pour le Commissariat général du Plan, l'évaluation des politiques publiques avait très naturellement pris le relais de la planification à la française. Elle semblait devoir tenir un rôle essentiel dans la contribution qui lui est aujourd'hui demandée de définir un « Etat-stratège ». Les rapporteurs regrettent donc l'abandon par le Commissariat du champ de l'évaluation.

Des capacités d'évaluation des politiques publiques indépendantes existent à l'extérieur de l'exécutif. Mais, elles sont sous-dimensionnées, ce qui est dommageable compte tenu des besoins en expertise indépendante de l'évaluation. Les rapporteurs estiment, notamment, que la Cour des comptes devrait se voir confier explicitement la mission de contribuer à l'évaluation des politiques publiques, quitte à entreprendre les réorganisations nécessaires de la Cour. En outre, la capacité d'offre d'évaluation indépendante doit être résolument développée à partir des principes définis, il y a déjà deux décennies, par le rapport Lenoir, Baudouin Prot. Enfin, le statut de certains services administratifs ayant des missions d'études pourrait être redéfini dans le sens d'une plus grande autonomie.

Les rapporteurs prennent acte de l'échec des deux tentatives successives d'institutionnalisation de l'évaluation des politiques publiques et, en particulier, doivent constater la lente agonie du Conseil national de l'évaluation (CNE) créé en 1998. Ils y voient la conséquence de choix d'organisation malencontreux qui n'ont pas permis à l'évaluation de connaître la dynamique indispensable à son succès.

Le droit de saisine du CNE a été dessiné en excluant le Parlement et les citoyens, qui sont pourtant les « demandeurs naturels » de l'évaluation. Le couple « CNE-instances d'évaluation » s'est révélé à l'expérience trop bureaucratique, trop éloigné du cœur de l'action publique et, finalement, trop peu réactif. Il faut se garder de répéter les mêmes erreurs. Confier l'animation de l'évaluation des politiques publiques, comme le projet en est évoqué, soit à un service de l'exécutif, soit à une Instance suprême, condamnerait l'évaluation à l'impuissance. Les rapporteurs soulignent les enjeux d'une institutionnalisation de l'évaluation ouvrant la voie à une évaluation pleinement participative, dans le respect de la déontologie de l'évaluation. A ce propos, ils préconisent une codification des règles essentielles de déontologie de l'évaluation.

Par ailleurs, les rapporteurs appellent une réforme en profondeur de l'institutionnalisation de l'évaluation. Celle-ci devrait être dessinée selon un schéma en « toile d'araignée ». Une Haute Autorité de l'Evaluation serait créée. Composée de sages, elle exercerait des missions de promotion et de supervision de l'évaluation, en particulier en donnant un avis sur la qualité des travaux réalisés. Mais, l'animation de l'évaluation serait confiée à des Commissions de l'évaluation, en nombre restreint et découpées en fonction des grands domaines de l'action publique. Les travaux d'évaluation continueraient d'être assurés par des instances d'évaluation en liaison avec les Commissions.

Les trois acteurs de l'évaluation, la Haute Autorité, les Commissions de l'évaluation et les instances d'évaluation respecteraient pleinement les principes d'indépendance, de pluralisme et de transparence. La composition des Commissions de l'évaluation permettrait une implication effective des demandeurs d'évaluation. En particulier, six parlementaires en seraient membres, dont deux issus de l'opposition.

Les demandes d'évaluation seraient adressées aux Commissions, qui pourraient s'autosaisir. Le droit de saisine serait naturellement élargi au Parlement, en ménageant le droit de saisine de l'opposition. Les citoyens, sous condition d'un nombre donné de signatures, bénéficieraient de ce droit. Dans ce cadre, les Commissions fixeraient leur programme annuel d'évaluation, un recours pouvant être formé devant la Haute Autorité de l'Evaluation en cas de rejet d'une saisine.

Les différents pôles de l'évaluation seraient, bien entendu, dotés des moyens administratifs, financiers et juridiques d'un fonctionnement indépendant et efficace.

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