M. Jean-Marie Bockel, sénateur (UCR - Haut-Rhin), ancien ministre, a présenté aujourd’hui à la presse son rapport d’information sur la cyberdéfense, qui a été adopté hier par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, présidée par M. Jean-Louis Carrère (SOC – Landes).

Personne n’est aujourd’hui à l’abri des attaques informatiques, pas même l’Elysée

Attaque informatique d’envergure de Bercy à la veille de la présidence française du G8 et du G20, espionnage informatique des entreprises à l’image d’AREVA, perturbations de sites Internet comme celui du Sénat : les attaques contre les systèmes d’information se sont multipliées en France, comme partout dans le monde. Même la Présidence de la République aurait été victime récemment d’une ou de plusieurs attaque(s). On estime que nos grandes institutions et nos entreprises sont victimes chaque jour de plusieurs millions de tentatives d’intrusions dans les systèmes d’information.

De plus, les révélations sur l’implication probable des Etats-Unis dans la conception du virus STUXNET, qui a détruit environ un millier de centrifugeuses d’enrichissement de l’uranium, retardant ainsi de quelques mois ou quelques années la réalisation du programme nucléaire militaire de l’Iran, ou encore la récente découverte du virus FLAME, vingt fois plus puissant, laissent présager de nouvelles « armes informatiques ».

Avec le développement de l’Internet, les systèmes d’information sont devenus les « centres nerveux » de nos sociétés, sans lesquels elles ne pourraient plus fonctionner. Dans ce contexte, la France est-elle suffisamment organisée et préparée pour faire face à une attaque contre les systèmes d’information ?

Il n’y a pas de « ligne Maginot » dans le cyberespace

Depuis le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, la France a réalisé d’importantes avancées. Une agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (l’ANSSI), a été créée en 2009 et la France s’est dotée en 2011 d’une stratégie nationale. La France dispose, avec cette stratégie et avec l’ANSSI, d’outils importants. Pour autant, notre dispositif connaît encore d’importantes lacunes.

Avec des effectifs de 230 personnes et un budget de 75 millions d’euros, l’ANSSI reste encore loin des services similaires du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, qui comptent entre 500 et 700 agents. De plus, les ministères et les entreprises françaises, notamment les PME, restent insuffisamment sensibilisés à la menace. Renforcer la sécurité et la défense des systèmes d’information n’est pas seulement un enjeu technique. C’est aussi un enjeu économique, puisqu’il s’agit de protéger la chaîne de valeur, notre savoir-faire technologique, dans la véritable guerre économique que nous connaissons aujourd’hui, voire un enjeu stratégique, lorsque les intérêts de la nation sont en jeu. Or, avec l’espionnage informatique, la France, comme d’autres pays, est aujourd’hui menacée par un « pillage » systématique de son patrimoine diplomatique, économique, scientifique et culturel.

Les opérateurs d’importance vitale : notre « talon d’Achille »

A la différence de certains pays, la France ne dispose pas de capacités de protection et de systèmes permanents de détection des attaques informatiques à l’entrée des réseaux des opérateurs d’importance vitale (transports, énergie, santé, etc.). Il s’agit là de notre principale lacune et d’un enjeu majeur pour notre sécurité.

« Quel serait le moyen le plus simple de provoquer une perturbation majeure de notre pays par le biais d’une attaque informatique ? Un moyen très simple serait de s’attaquer à la distribution d’énergie, aux transports ou à la santé. L’exemple du virus STUXNET ou celui du ver Conficker qui a perturbé le fonctionnement de plusieurs hôpitaux en France et dans le monde, montrent que cela n’est pas une hypothèse d’école » a ainsi indiqué M. Jean-Marie Bockel.

Afin de renforcer la protection et la défense des systèmes d’information et mettre un terme à la procrastination, le rapport d’information propose 50 recommandations concrètes regroupées en dix priorités :

Priorité n°1 : Faire de la cyberdéfense et de la protection des systèmes d’information une priorité nationale, portée au plus haut niveau de l’Etat, notamment dans le contexte du nouveau Livre blanc. S’interroger sur la pertinence de formuler une doctrine publique sur les capacités offensives ;

Priorité n°2 : Renforcer les effectifs, les moyens et les prérogatives de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, ainsi que les effectifs et les moyens dédiés au sein des armées, de la direction générale de l’armement et des services spécialisés, et développer une véritable politique des ressources humaines ;

Priorité n°3 : Introduire des modifications législatives pour donner les moyens à l’ANSSI d’exercer ses missions et instituer un pôle juridictionnel spécialisé pour réprimer les atteintes graves aux systèmes d’information ;

Priorité n°4 : Améliorer la prise en compte de la protection des systèmes d’information dans l’action de chaque ministère, en renforçant la sensibilisation à tous les niveaux, en réduisant le nombre de passerelles entre les réseaux et l’Internet, en développant les systèmes d’analyse permettant de détecter les attaques, ainsi qu’en rehaussant l’autorité des fonctionnaires de sécurité des systèmes d’information ;

Priorité n°5 : Rendre obligatoire pour les entreprises et les opérateurs d’importance vitale une déclaration d’incident à l’ANSSI en cas d’attaque importante contre les systèmes d’information et encourager les mesures de protection par des mesures incitatives ;

Priorité n°6 : Renforcer la protection des systèmes d’information des opérateurs d’importance vitale, en réduisant le nombre de passerelles entre les réseaux et l’Internet, en développant les systèmes d’analyse, en généralisant les audits, en rendant obligatoire la déclaration des processus et automates industriels connectés à Internet et en favorisant la mise en place, de manière sectorielle, de centres de détection communs ;

Priorité n°7 : Soutenir par une politique industrielle volontariste, à l’échelle nationale et européenne, le tissu des entreprises françaises, notamment des PME, spécialisées dans la conception de certains produits ou services importants pour la sécurité informatique et, plus largement, du secteur des technologies de l’information et de la communication, et renforcer la coopération entre l’Etat et le secteur privé ;

Priorité n°8 : Encourager la formation d’ingénieurs spécialisés dans la protection des systèmes d’information, développer la recherche et les activités de conseil, et accentuer la sensibilisation du public, notamment au moyen d’une campagne de communication inspirée de la prévention routière ;

Priorité n°9 : Poursuivre la coopération bilatérale avec nos principaux alliés, soutenir l’action de l’OTAN et de l’Union européenne, engager un dialogue avec la Chine et la Russie et promouvoir l’adoption au niveau international de mesures de confiance ;

Priorité n°10 : Interdire sur le territoire national et à l’échelle européenne le déploiement et l’utilisation de « routeurs » ou d’autres équipements de cœur de réseaux qui présentent un risque pour la sécurité nationale, en particulier les « routeurs » et certains équipements d’origine chinoise.

Sophie de Maistre
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