Lors de sa réunion du mercredi 21 novembre 2018, la commission des lois du Sénat a donné un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission "Justice" inscrits au projet de loi de finances pour 2019, à l’exception de ceux du programme "Administration pénitentiaire", dès lors que leur progression globale, de 4,5 % pour atteindre 7,29 milliards d’euros, correspond à celle qu’avait demandée le Sénat.

Elle a toutefois formulé deux mises en garde :

- la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (+ 23,5 % en cinq ans pour atteindre 8,3 milliards d’euros) est bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat (+ 33,8 % en cinq ans pour atteindre 9 milliards d’euros) et insuffisante pour assurer le redressement du service public de la justice, par une action puissante et durable de rattrapage des retards accumulés dans le passé ;

- l’abandon du projet de création de 15 000 nouvelles places de prison d’ici 2022 , qui constituait pourtant un engagement du Président de la République lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017 ("nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat, soit environ un quart de plus qu’aujourd’hui"), compromet la nécessaire modernisation de notre politique pénale.

Pour M. Philippe Bas (Les Républicains - Manche), président de la commission des lois : "La surpopulation carcérale et les conditions de détention des prévenus et des condamnés appellent un sursaut qui ne saurait se limiter à la diversification des peines et à l’ouverture de quelques milliers de places d’ici 2022. Il est urgent que la France se donne les moyens d’une politique répressive efficace, favorable à la prévention de la récidive et à la réinsertion des détenus, digne d’une grande démocratie."

Selon M. Yves Détraigne (Union Centriste - Marne), rapporteur pour avis des crédits consacrés à la justice judiciaire et à l’accès au droit : "Le projet de loi de finances pour 2019 comporte plusieurs mesures positives : 192 créations nettes de postes dans les juridictions sont prévues, soit 30 % de plus qu’en 2018 ; le comblement des vacances de postes de magistrats est engagé ; le plan pluriannuel de 450 millions d’euros d’investissement pour l’immobilier judiciaire est très attendu car les locaux de maintes juridictions sont en piètre état ; enfin, les crédits en faveur du nécessaire développement des projets informatiques et numériques augmentent de 20 %. Ces différentes annonces doivent toutefois être accueillies avec prudence, en particulier en matière de transformation numérique, car le rattrapage à accomplir représente un immense chantier. Ainsi, il faudra veiller à ne pas reproduire certains errements du passé, lorsque le coût des projets avait été largement sous-estimé et leur mise en œuvre chaotique".

Il a ajouté que : "Ces mesures ne doivent pas occulter une situation qui demeure dégradée dans les juridictions , notamment s’agissant des vacances de postes de greffiers et du coût en augmentation constante des frais de justice. Quant aux délais de traitement des affaires, ils continuent de s’accroître tant en matière civile que pénale. En matière civile, ils sont passés en dix ans, entre 2007 et 2017, de 7,5 mois à 11,8 mois devant les tribunaux de grande instance et de 12,7 mois à 14,7 mois devant les cours d’appel. En matière pénale, la situation est toujours aussi alarmante avec un délai de traitement moyen de 40,6 mois d’une affaire criminelle, pouvant aller jusqu’à un total de 62,6 mois en incluant la procédure d’appel".

Il s’est également inquiété de l’absence de réformes structurelles, en soulignant notamment que : "Le système de l’aide juridictionnelle est à bout de souffle. Le Gouvernement n’a prévu aucune mesure pour y remédier, alors que le Sénat a quant à lui proposé le rétablissement de la contribution pour l’aide juridique en première instance, modulable de 20 à 50 euros, et l’obligation de consultation préalable d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle. Ces mesures sont indispensables car cette aide concerne près d’un million de personnes et le filtre permettant d’apprécier la recevabilité de la requête, prévu par la loi du 10 juillet 1991, n’est jamais mis en œuvre."

Mme Maryse Carrère (Rassemblement Démocratique et Social européen - Hautes- Pyrénées), rapporteure pour avis du programme "Protection judiciaire de la jeunesse", a jugé positivement l’augmentation des crédits (+ 2,8 %) alloués à ce programme, ainsi que les 48 créations de postes qui l’accompagnent. Alors que les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) augmentent continûment depuis 2012, elle a souhaité que cet effort budgétaire conduise à une amélioration de la qualité de la prise en charge des mineurs délinquants de nature à favoriser leur réinsertion et à diminuer le risque de récidive. Une grande partie des crédits nouveaux de la PJJ seront absorbés par le programme de construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui commencera à être mis en œuvre dans le courant de l’année 2019. "Sans mettre en doute leur intérêt pour certains jeunes, je partage la crainte du secteur associatif que la concentration des moyens sur les CEF ne pénalise les autres modes de prise en charge, tels que les établissements de placement éducatif ou les structures d’accueil de jour, alors que les juges des enfants demandent à pouvoir s’appuyer sur une palette diversifiée de dispositifs", a-t-elle déclaré.

La commission des lois du Sénat a donné un avis défavorable aux crédits du programme "Administration pénitentiaire". Son rapporteur pour avis, M. Alain Marc (Les Indépendants - République et Territoires - Aveyron), a déploré l’hypocrisie de l’annonce du programme "15 000 places", qui repose essentiellement sur des constructions engagées par les gouvernements précédents. Selon lui : "Le constat est clair. Le plan de construction de 15 000 places supplémentaires de prison d’ici 2022 figurant dans les engagements de campagne du Président de la République a été abandonné. Les ambitions du Gouvernement ont été essentiellement ramenées à la création de 2 130 places de structures d’accompagnement vers la sortie d’ici 2022. Aucun chantier n’étant engagé à ce jour, tous les terrains n’ayant pas été identifiés, même cet objectif plus modeste risque fort de ne pas être atteint." M. Alain Marc a également dénoncé l’insuffisance des crédits consacrés à la réinsertion, alors même que le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice entend renforcer l’efficacité de l’exécution des peines.

Les crédits de la mission "Justice" seront examinés par le Sénat en séance publique le mercredi 28 novembre 2018.

Mathilde DUBOURG
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