La délégation aux droits des femmes a entendu, jeudi 11 juin 2020, M. François Molins, procureur général près la Cour de Cassation, sur les aspects judiciaires de la lutte contre les violences conjugales.

Deux jours après l’examen par le Sénat de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales et six mois après la promulgation de la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, la délégation est revenue, à propos des ordonnances de protection, sur le débat suscité par le décret du 27 mai 2020, qui a fixé à 24 heures le délai imparti à la victime de violences pour avertir le mis en cause de la procédure de délivrance d’une ordonnance de protection, sous peine de caducité. Ses membres avaient déjà souligné pendant le débat en séance publique les réelles difficultés prévisibles pour les victimes de violence à respecter ce délai et appelé à la vigilance du Gouvernement sur cette question.

Le procureur général François Molins a, pour sa part, souligné la brièveté du délai initial de 6 jours fixé par la loi du 28 décembre 2019 pour délivrer une telle ordonnance : "J’ai toujours dit que 6 jours c’était très court (…) Est-ce qu’il faut le garder si on a la quasi-assurance qu’il ne pourra pas être respecté ? Est-ce qu’il ne serait pas raisonnable de le porter à 10 jours ou 12 jours ?". Il a estimé que le délai de 24 heures prévu par le décret, et surtout la caducité de la requête en cas de non-respect du délai, posaient un vrai problème, et que beaucoup de questions n’avaient pas été vues avant la publication de ce texte. "Je pense que la loi ne doit pas avoir des vertus incantatoires mais poser des règles (…) sauf à se contenter d’une vertu d’affichage" a-t-il également fait observer.

Pour le procureur général près la Cour de cassation, l’action judiciaire est au cœur des défis à relever pour améliorer la lutte contre les violences conjugales, même si elle s’inscrit dans un continuum dont font aussi partie la police et de la gendarmerie.

Afin de promouvoir une véritable culture de la protection des victimes, indispensable en matière de lutte contre les violences conjugales, il a mentionné, parmi les axes de vigilance à mobiliser, la nécessité :

  • de ne pas laisser les victimes dans l’ignorance des réponses apportées par la police et la gendarmerie,
  • de privilégier des réponses pénales fermes (garde à vue, déferrement au parquet) pour des faits graves, même s’ils sont commis pour la première fois,
  • de pérenniser la plateforme d’hébergement d’urgence mise en œuvre pendant le confinement en vue de l’éviction des conjoints violents et confiée au groupe SOS Solidarité.

Soucieux de parvenir à un traitement plus homogène des violences conjugales sur l’ensemble du territoire, il a plaidé pour une meilleure cohérence du suivi statistique de ces violences et pour une évaluation systématique des expérimentations conduites par certains parquets, qui doivent être labellisées et généralisées après validation par l’échelon central. Il a par ailleurs souligné le rôle majeur des procureurs généraux, garants de l’application effective et cohérente des consignes de politique pénale du ministère.

Exprimant des réserves sur l’intérêt d’un parquet spécialisé dans les violences conjugales, M. Molins a évoqué l’exemple espagnol, où tout le contentieux de la famille relève de juridictions dédiées, le même juge traitant les violences conjugales dans leurs aspects civils comme dans leurs dimensions pénales. Il a souligné l’efficacité des dispositifs mis en œuvre par l’Espagne pour lutter contre les violences conjugales : "Je suis impressionné par la cohérence avec laquelle cette problématique y est traitée, et les résultats qui y ont été obtenus".

Annick Billon, présidente, a regretté la superposition de textes parcellaires examinés dans des délais contraints : "Ce combat n’est pas terminé : nous sommes favorables à une loi-cadre ambitieuse pour avoir enfin une vraie réponse aux violences conjugales".

L’activité du Sénat se déroule dans le strict respect des conditions sanitaires dictées par la nécessité d’enrayer la pandémie du Covid-19.

Juliette ELIE
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