Les commissions du Sénat ont adopté le projet de loi "4D", relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, en lui apportant de nombreuses modifications afin de lui donner plus d’ambition au service des territoires.

Le texte du Gouvernement prévoit diverses mesures de différenciation, de décentralisation, de déconcentration et de simplification de l'action publique locale, présentées comme la concrétisation d'une "nouvelle donne territoriale", mais qui reste très en deçà des annonces initiales du Gouvernement, il y a deux ans, et surtout des attentes des acteurs locaux.

Les commissions des lois, des affaires économiques, des affaires sociales ainsi que de l’aménagement du territoire et du développement durable, s’appuyant sur leurs travaux au long cours sur le sujet et sur les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, présentées dès juillet 2020, ont en conséquence enrichi le texte.

Sur la "Différenciation" :

Ce projet de loi devait constituer l’ultime brique d’un édifice constitutionnel, organique et législatif construit autour de la notion de différenciation. Les attentes suscitées par les multiples annonces et reports dont le texte a fait l’objet sont largement déçues au regard du caractère particulièrement indigent des mesures proposées. La commission des lois s’est en conséquence attachée à enrichir un texte manquant d’ambition :

  • en précisant la portée et en rendant plus opérationnel le principe de différenciation inscrit dans la loi (article 1er) ;
  • en étendant largement les champs dans lesquels pourra être exercé un pouvoir réglementaire local (article 2) ;
  • en ouvrant de nouvelles possibilités de délégations de compétences (article 3) entre collectivités territoriales et de transferts de compétences au sein du bloc communal.

Sur la "Décentralisation" :

Sans souhaiter un nouveau "big bang" territorial, les commissions du Sénat déplorent la faiblesse des dispositions proposées en matière de décentralisation, alors même que certaines mesures, inscrites dans l’avant-projet de loi et particulièrement attendues, ont été, sans raison valable, supprimées du texte, comme le transfert de la médecine scolaire. Par ailleurs, l’information du Sénat sur la nature des transferts qui seraient réalisés n’a pas été complète :

  • le contenu précis des transferts des routes aux départements, aux métropoles et régions volontaires (articles 6 et 7) demeure à ce jour inconnu, la liste précise des routes susceptibles d’être transférées aux collectivités territoriales et à leurs groupements n’ayant pas été communiquée par le Gouvernement au Parlement ;
  • les propositions gouvernementales relatives à l’expérimentation de la recentralisation du financement et de la gestion du revenu de solidarité active (RSA) et au transfert de la tutelle des pupilles de l’État (articles 35 et 38) ne sont pas correctement documentées.

Dans ces conditions, les commissions du Sénat se sont attachées à donner au projet de loi un souffle décentralisateur qui lui fait cruellement défaut à ce stade. La commission des lois a ainsi donné corps à l’ambition décentralisatrice du texte, en transférant la compétence de service public de l’emploi aux régions, en renforçant la compétence de solidarité territoriale des départements, et en ouvrant la possibilité pour les départements d’octroyer des aides dans le domaine de la pêche maritime.

Les commissions, soucieuses de mieux répondre aux attentes des territoires, ont également accru la portée des avancées prévues par le projet de loi. La commission des lois a ainsi rendu possible la délégation de la gestion de la totalité des fonds « économie circulaire » et « chaleur » de l’Ademe aux régions. La commission des affaires sociales a consolidé l'ancrage territorial des politiques de santé en confiant la coprésidence du conseil d'administration de l'agence régionale de santé (ARS) au président de région et en élargissant les missions de cette instance. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a souhaité renforcer les outils des collectivités territoriales dans le domaine des mobilités en garantissant la cohérence du réseau ferré national grâce à l’application d’un « socle commun » de règles applicables aux petites lignes ferroviaires transférées aux régions et mieux ancrer les politiques environnementales au niveau local en renforçant la place des régions dans le processus de désignation des sites Natura 2000.

Concernant l’urbanisme et le logement, il a été pris acte des réelles avancées du texte pour l’application différenciée et déconcentrée de la loi "SRU" à travers la fin de la date butoir de 2025. La commission des affaires économiques a ainsi approuvé la possibilité d’adapter le rythme de rattrapage du déficit de logements sociaux dans le cadre d’un contrat de mixité sociale conclu entre le maire et le préfet et l’évolution des critères d’exemption, ainsi que l’ajout des travailleurs essentiels dans les objectifs d’attribution de logements sociaux, tirant avec profit les leçons de la crise sanitaire. Elle a en outre enrichi le texte du Gouvernement selon trois axes :

  • faire confiance aux acteurs de terrain, particulièrement au couple maire-préfet, pour appliquer la loi « SRU ». Pour les sénateurs, le contrat de mixité sociale doit être un vrai contrat. Son respect doit empêcher la mise en carence des communes, prendre en compte l’ensemble des circonstances locales, associer tous les acteurs du logement social et ouvrir la voie à une mutualisation intercommunale ;
  • lutter plus activement contre les ghettos en n’autorisant plus les logements très sociaux dans les communes comptant déjà plus de 40 % de logements sociaux, en incitant à la construction de logements très sociaux dans les communes déficitaires en les majorant dans le décompte, et en évitant d’attribuer à des publics en difficulté des logements dans des résidences déjà fragilisées ;
  • conforter les organismes de foncier solidaire en faveur de l’accession sociale à la propriété en élargissant et précisant leur champ d’action, sans les dénaturer en un outil généraliste d’aménagement.

Les commissions ont, au contraire, supprimé des dispositifs qui se révélaient être à ce point en deçà des attentes des élus locaux qu’il était préférable de les rejeter purement et simplement. Ainsi, l’expérimentation d’un pouvoir d’instruction des présidents de conseils départemental et régional sur les gestionnaires de collèges et lycées a paru, par sa faiblesse, parfaitement inacceptable. La discussion avec le Gouvernement devra permettre d’avancer sur ce point.

Sur la "Déconcentration" :

La commission des lois a enrichi les quelques mesures de déconcentration prévues par le texte, en s’attachant en particulier à renforcer la place du préfet de département, dont le rôle dans la gestion de la crise sanitaire a montré l’importance.

Sur la "Simplification" :

Les commissions du Sénat ont profondément remanié les mesures de simplification proposées par le Gouvernement. Afin que les mesures de simplification envisagées ne méconnaissent pas les prérogatives législatives du Parlement, elles ont notamment souhaité inscrire directement dans la loi la révision des statuts du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cérema) (article 48).

Lorsque ces mesures aboutissaient – paradoxalement – à complexifier le droit existant, comme c’était le cas des contrats de cohésion territoriale (article 47), de l’obligation d’utilisation des bases d’adresses locales (article 52) et des mesures relatives à la coopération transfrontalière en matière de documents d’aménagement du territoire (article 58), les commissions les ont supprimées.

À l’inverse, les commissions ont amélioré les dispositifs qui simplifient effectivement l’action publique locale, et notamment ceux relatifs :

  • au renforcement du contrôle des entreprises publiques locales (sociétés d'économie mixte, sociétés publiques locales), à condition que les mesures envisagées n'entravent pas inutilement leur fonctionnement et ne lèsent pas les intérêts des tiers (articles 70 à 73) ;
  • aux échanges de données entre administrations sous réserve que soient préservées les collectivités territoriales qui, de par leur taille, ne seraient pas en mesure d’y participer (article 52).


Le texte sera examiné par le Sénat en séance publique à compter du mercredi 7 juillet.

Consulter l’Essentiel :

M. François-Noël Buffet (Les Républicains – Rhône) est président de la commission des lois

Mme Françoise Gatel (Union Centriste – Ille-et-Villaine) et M. Mathieu Darnaud (Les Républicains – Ardèche) sont rapporteurs de la commission des lois

Mme Dominique Estrosi Sassone (Les Républicains – Alpes-Maritimes) est rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

M. Alain Milon (Les Républicains – Vaucluse) est rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales

M. Daniel Gueret (Les Républicains – Eure-et-Loir) est rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Clothilde LABATIE
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