Passer en force pour remettre en cause la loi : c’est la méthode que le Gouvernement semble avoir choisie pour élaborer les décrets d’application de la loi dite "Climat et résilience", votée en août 2021 par le Parlement.

Depuis la promulgation de la loi et lors des concertations préalables, parlementaires, élus locaux et acteurs du monde de la construction n’ont cessé d’exprimer leurs craintes quant au contenu des versions successives des projets de décrets d’application présentés par le Gouvernement. Le Conseil national d’évaluation des normes, dont l’avis est requis sur ces mesures réglementaires, a lui‑même – et c’est notable – rendu un avis défavorable sur ces décrets.

Pourtant, en dépit de l’échec des concertations, le Gouvernement semble déterminé à prendre au plus vite ces décrets ostensiblement inaboutis. Le 4 mars dernier, il les a soumis à consultation publique, dernière étape avant leur contreseing.

Cette précipitation et ce manque d’écoute regrettables sont les arbres qui cachent la forêt. En effet, la commission des affaires économiques se doit de souligner que les projets de décrets présentés remettent en cause les équilibres de la loi "Climat et résilience" et constituent une négation délibérée de l’intention du législateur.

Ainsi, à l’initiative du Sénat, le Parlement avait veillé à ce que l’objectif de 50 % de réduction de l’artificialisation des sols sur dix ans soit inscrit parmi les objectifs généraux du Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), et non parmi les règles du fascicule, laissant ainsi aux collectivités territoriales la souplesse nécessaire à la déclinaison locale des cibles du SRADDET.Par un décret non prévu par la loi, le Gouvernement entend aujourd’hui rendre obligatoire l’adoption de règles contraignantes supplémentaires, ce, en contradiction directe et délibérée tant avec le texte de loi qu’avec l’intention clairement exprimée des parlementaires, qui avaient souhaité préserver le caractère facultatif de ces règles. C’est d’ailleurs au prix de cette condition qu’un accord avait pu être trouvé par la commission mixte paritaire.

Invoquant une urgence somme toute fictive, puisque ce nouveau système de comptabilité ne doit en réalité entrer en vigueur que dans dix ans, le Gouvernement souhaite aussi instaurer au plus vite, par décret, une nouvelle nomenclature des sols regardés comme artificialisés et non artificialisés. Là encore, l’intention claire de la loi, qui exclut des surfaces artificialisées les parcs et jardins végétalisés, est remise en cause par les projets de décrets.

La commission doit‑elle rappeler aux ministres qu’aucun décret ne saurait, dans notre droit français, aller à l’encontre des lois votées par le Parlement ?

Au-delà du seul manque d’écoute et de réalisme qui ont caractérisé, dès l’élaboration de la loi "Climat et résilience", l’approche du Gouvernement, il est inacceptable de mépriser ainsi les fondements de notre droit et de notre institution. Sur un sujet si structurant pour l’aménagement de notre pays, pour des décennies à venir, l’État se doit de soutenir la construction d’un consensus, d’accepter la critique constructive des parties prenantes, d’adapter les principes aux réalités.

La commission des affaires économiques appelle le Gouvernement à prendre le temps du dialogue et de l’écoute, avant de confirmer des décrets qui suscitent davantage d’interrogations qu’ils n’actent d’avancées. Ce dialogue est déjà installé, s’appuyant sur les « conférences des SCoT » défendues et instaurées par le Sénat, qui rassemblent les élus locaux et font déjà œuvre remarquable au sein des territoires. La prolongation de six mois des délais laissés pour réviser les documents d’urbanisme, votée dans la loi "3DS", si elle doit être saluée, est toutefois de portée limitée. Comme le Sénat l’avait déjà affirmé en 2021, repenser les politiques nationales et locales d’aménagement, d’habitat et de transport, ne se fait pas en un an.

Elle l’appelle à rendre au SRADDET le rôle qui lui a été confié par loi – ni plus, ni moins – en respectant la répartition actuelle des compétences entre région, intercommunalités et communes, en vertu du principe constitutionnel de non‑tutelle d’une collectivité sur une autre. L’inscription de règles au sein du fascicule doit rester une faculté, car elles ne sauraient résulter que d’un choix délibéré et consensuel des acteurs du territoire.

Elle l’appelle enfin à inscrire l’État dans un rôle de facilitateur, d’accompagnateur des projets, plutôt que dans celui de censeur ou d’arbitre entre intérêts locaux. C’est à ces conditions que pourra se créer un réel élan national en faveur de la préservation des sols et des espaces, sans mettre en danger la cohésion territoriale ni tomber dans le piège d’une opposition entre espaces urbains et ruraux.

La commission des affaires économiques est présidée par Sophie Primas (Les Républicains – Yvelines).

Philippe Péjo
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