RÉGLEMENTATION
DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 357, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de réglementation des télécommunications. [Rapport n° 389, (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre délégué à La Poste, aux télécommunications et à l'espace. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'évoquer le projet de loi portant réforme de la réglementation des télécommunications, vous me permettrez d'évoquer l'échec du premier tir du lanceur Ariane 5.
Cet échec est douloureux pour l'Europe spatiale, en particulier pour tous ceux qui, depuis dix ans, préparaient le premier vol de ce qui devra être le lanceur européen pour les vingt ans à venir.
Cet échec, douloureux je le répète, n'était pas complètement improbable puisqu'il s'agissait d'un vol de qualification, donc d'un vol expérimental. L'histoire spatiale européenne, comme l'histoire spatiale des Etats-Unis ou celle de l'Union soviétique, est pleine de ces échecs qui ont permis ensuite la qualification des lanceurs.
Nous ignorons encore les causes qui ont conduit la fusée à quitter sa trajectoire et amené les responsables du centre spatial guyanais à la faire exploser en vol. Les premières indications qui nous ont été fournies semblent incriminer les systèmes de guidage, ce qui serait moins grave que si la structure même du lanceur était en cause.
Une mission d'enquête vient, comme c'est normal, d'être diligentée. Elle devra, avant le 15 juillet, rendre un rapport technique, à partir duquel nous établirons le calendrier du second tir, le vol 502, qui était prévu pour le mois de septembre. Il sera sans doute décalé de quelques mois mais il aura lieu : la détermination du Gouvernement français comme celle des gouvernements européens qui sont associés à l'aventure Ariane 5 est totale.
La mise au point de ce lanceur est essentielle pour que l'Europe conserve la première place dans le domaine des lanceurs de satellites commerciaux et qu'elle assure son indépendance dans le domaine des vols habités.
M. Emmanuel Hamel. Maastricht porte toujours malchance !
M. François Fillon, ministre délégué. C'est un très mauvais exemple, monsieur le sénateur, car la coopération spatiale européenne est une histoire faite de succès et, comme vous le savez, elle dépend non pas de l'Union européenne, mais d'une agence gouvernementale qui fonctionne fort bien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont vous allez maintenant débattre marque un tournant dans l'histoire des télécommunications françaises puisqu'il consacre la fin du monopole de l'Etat sur le téléphone.
Contrairement à une idée reçue, ce sont moins les réglementations européennes que les évolutions technologiques qui rendent aujourd'hui nécessaire cette réforme de la réglementation.
Dans notre histoire, ce sont souvent les évolutions technologiques qui ont provoqué les changements de société. On peut dire que c'est la maîtrise de l'énergie qui a introduit la société industrielle. Ce seront sans doute les technologies de l'information qui nous feront entrer dans ce qu'il est convenu d'appeler, à la fin de ce siècle, la société de l'information.
Cette révolution des technologies de l'information est déjà en marche, c'est le fruit du mariage de l'informatique et des télécommunications. Elle a déjà débouché sur une croissance exponentielle des services de télécommunications et sur l'avènement de ce qu'il est convenu d'appeler le multimédia.
Nous allons assister à la fin du vieux téléphone tel que nous le connaissions et à l'apparition de terminaux plus intelligents, capables d'échanger des informations sous forme aussi bien visuelle ou écrite que vocale. Ces terminaux nous relieront à toutes les sources d'information disponibles à travers le monde. La révolution de la société de l'information, c'est, au fond, la réalisation de réseaux de télécommunications mondiaux interactifs, c'est-à-dire sur lesquels chacun est à la fois récepteur et émetteur d'informations.
Les enjeux de cette révolution des technologies de l'information sont considérables, aussi bien sur le plan économique que sur le plan culturel ou social. Tous les pays développés ont d'ailleurs engagé, souvent depuis plusieurs années, la réforme de leur réglementation pour s'adapter à l'arrivée de ces nouvelles technologies.
Cette réforme, l'Union européenne l'a également entreprise, et on peut dire qu'elle a anticipé très largement ces évolutions puisque c'est en 1984 que, pour la première fois, a été décidée, par le conseil des ministres des télécommunications, la rédaction d'un livre vert des télécommunications qui faisait pressentir toutes les étapes de la libéralisation du marché à laquelle nous sommes en train de procéder.
En 1986, l'Acte unique a, d'une certaine manière, dessiné les contours d'un marché unique des télécommunications. Cette même année, le livre vert des télécommunications a lancé un mouvement de libéralisation qui s'est poursuivi depuis lors sans interruption. Je crois essentiel de souligner que ce mouvement a été soutenu par tous les gouvenements français, qu'ils aient été de droite ou de gauche.
C'est même sous présidence française, en 1989, que la décision fondamentale d'ouvrir progressivement à la concurrence la plupart des services de télécommunications, à l'exclusion de la téléphonie vocale, a été prise.
M. Gérard Delfau. C'est inexact !
M. François Fillon, ministre délégué. C'est la stricte réalité, mais elle vous gêne ! Et je vous défie de m'apporter la moindre preuve que les gouvernements français n'ont pas accompagné la libéralisation des télécommunications.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas une raison pour continuer !
M. Gérard Delfau. On s'expliquera !
M. Michel Pelchat. Ayez donc l'obligeance d'écouter M. le ministre !
M. François Fillon, ministre délégué. En 1989, sous présidence française, il a été décidé à l'unanimité d'ouvrir à la concurrence tous les services de télécommunications, à l'exclusion de la téléphonie vocale. Si vous voulez tout à l'heure m'apporter la preuve du contraire, je l'attends !
Mme Hélène Luc. Mais pourquoi poursuivre dans cette voie ?
M. François Fillon, ministre délégué. Cela, c'est une autre question, madame Luc.
La continuité de la position française a permis justement - et chacun devrait ici s'en réjouir - la transcription à l'échelon communautaire, dans le domaine des télécommunications, des principes fondamentaux qui sont ceux du service public à la française, c'est-à-dire la continuité et la qualité du service, l'égalité du traitement et de l'accès, l'universalité et l'adaptabilité.
Pourquoi une telle convergence de vues de la part de gouvernements aussi différents depuis dix ans ? Au fond, nous n'avions pas d'autre choix que de devancer les mutations en cours pour tenter de les tourner à notre avantage. Chercher à s'y soustraire, comme le souhaitent ceux qui sont tentés par la chimère du statu quo , ce serait aller nécessairement à l'échec.
Aujourd'hui, déjà, le monopole de l'Etat est très fortement entamé par les nouvelles technologies.
Je pense à Internet, qui permet de communiquer avec le monde entier pour le prix d'une communication locale, c'est-à-dire en échappant déjà aux règles du jeu et à la tarification mises en place par l'opérateur national.
Je pense aux techniques de call back , auxquelles ont recours certaines entreprises et qui permettent de détourner des flux considérables de communications par l'intermédiaire des pays où, du fait de l'ouverture à la concurrence, les tarifs sont plus bas.
Lorsque le téléphone mobile direct par satellite apparaîtra, c'est-à-dire dans moins de deux ans, un autre coup sera porté aux monopoles nationaux.
En outre, les consommateurs, les usagers, exigent de plus en plus, et avec raison, de nouveaux services - et de nouveaux services moins chers - qu'il est difficile d'offrir dans le contexte du monopole.
Pour la France, il s'agit bien sûr d'un défi. Or tous les défis inquiétent. Pourtant, il y a peu de domaines où nous disposions d'autant d'atouts.
France Télécom, chacun le sait, est le quatrième opérateur mondial. Nos entreprises de télécommunications comptent parmi les toutes premières du monde ; je pense en particulier à Alcatel, à Matra, à la SAGEM. Notre expérience de la télématique est pratiquement unique au monde, que ce soit du point de vue des concepteurs de services en ligne ou de celui des usagers. Enfin, notre recherche dans le domaine des télécommunications se situe au meilleur niveau.
Dans ces conditions, la libéralisation du secteur des télécommunications doit être une chance pour l'économie française.
J'ai toujours été convaincu que, dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, il fallait renvoyer dos à dos l'ultralibéralisme, pour lequel le marché est censé tout régler, et le conservatisme, qui est une défense inadaptée du service public.
Le Gouvernement a voulu une libéralisation du secteur des télécommunications qui soit à la fois maîtrisée et équilibrée : maîtrisée parce que nous voulons garantir le service public ; équilibrée parce que nous voulons une concurrence ouverte et stimulante, qui soit au service de l'usager.
C'est, au fond, ce double objectif qui fonde l'originalité du projet de loi de réglementation des télécommunications qui vous est aujourd'hui soumis.
Nous avons recherché l'équilibre entre le respect des valeurs républicaines auxquelles nous sommes attachés et l'ouverture sur l'avenir. Nous voulons démontrer que, en cette matière comme en d'autres, la concurrence, à condition qu'elle soit encadrée, n'est pas l'ennemi du service public.
Nos concitoyens, aujourd'hui, se posent, à propos de cette réforme du secteur des télécommunications trois questions essentielles.
Les usagers s'interrogent sur l'intérêt de la libéralisation pour eux-mêmes ; ils se demandent notamment quel en sera l'impact sur le service public.
Les entreprises s'interrogent sur les règles du marché et se demandent si la compétition sera réellement équitable.
Enfin, chacun s'interroge sur l'avenir de France Télécom.
Je voudrais essayer de répondre à ces trois questions.
L'ouverture à la concurrence profitera d'abord à l'usager. La concurrence, c'est le choix de l'opérateur, c'est-à-dire, en réalité, le choix de services et de conditions tarifaires adaptés aux besoins de chaque usager.
Dans les pays qui ont déjà libéralisé leur secteur des télécommunications, en particulier en Grande-Bretagne, beaucoup de services qui, chez nous, aujourd'hui, soit n'existent pas encore, soit existent mais sont payants, sont offerts gratuitement. C'est le cas de la facturation détaillée, du transfert d'appel, de l'identification du numéro d'appel ou encore du poste téléphonique lui-même.
En réalité, la concurrence aboutit, partout où elle a été introduite dans le secteur des télécommunications, à une baisse des prix pour toutes les catégories d'utilisateurs.
On profère beaucoup trop de contrevérités à ce sujet. Partout où la libéralisation est intervenue, les prix du téléphone ont baissé.
Mme Hélène Luc. Ça dépend pour qui !
M. François Fillon, ministre délégué. Si l'on appliquait aujourd'hui à la facture moyenne d'un ménage français les tarifs de British Telecom ou ceux de Télia, l'opérateur dominant suédois, cette facture devrait baisser de 30 p. 100.
M. Gérard Delfau. On verra !
M. François Fillon, ministre délégué. Oui, on verra, et plus tôt que vous ne le croyez !
Mme Hélène Luc. Vous pouvez le faire avec le service public !
M. François Fillon, ministre délégué. La concurrence va en fait provoquer un accroissement de l'offre de services ainsi qu'une augmentation du trafic.
En France, l'augmentation du trafic téléphonique est de l'ordre de 3 p. 100 par an, contre 7 p. 100 à 10 p. 100 par an dans les pays qui ont libéralisé le secteur des télécommunications, notamment aux Etats-Unis.
Je rappelle qu'un Français utilise son téléphone en moyenne huit minutes par jour, quand un Américain l'utilise vingt minutes.
Je veux démontrer par là que l'augmentation du nombre des services et la baisse des tarifs ont pour conséquence l'augmentation du trafic, qui entraîne elle-même une croissance de l'activité dans le secteur des télécommunications, donc la création d'emplois.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement affirme que la réglementation nouvelle qu'il souhaite mettre en place, c'est-à-dire l'ouverture à la concurrence, se traduira globalement par la création de nombreux emplois dans le secteur des télécommunications. Nous avons estimé à 70 000 les nouveaux emplois qui seront créés, soit par les nouveaux opérateurs, soit par ceux qui mettront en place les services nouveaux qui seront diffusés sur le réseau téléphonique.
Dans tous les pays où la libéralisation a eu lieu, le secteur des télécommunications, globalement, a vu ses effectifs croître.
Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer la part du secteur des télécommunications dans le produit intérieur brut de différents pays : 2,4 p. 100 aux Etats-Unis, 2,2 p. 100 à 2,3 p. 100 en Grande-Bretagne et en Suède, pour seulement 1,6 p. 100 en France.
Par ailleurs, la concurrence fera réellement entrer notre pays dans la société de l'information.
Il faut bien dire que la France est aujourd'hui, en Europe, l'un des pays les plus en retard dans le domaine de la diffusion des services en ligne. Une des principales raisons de ce retard tient à la tarification trop élevée qui est pratiquée pour l'utilisation de ces services. Un service en ligne ne peut fonctionner que s'il est facturé au coût d'une communication locale, et sans même que la durée de la communication soit prise en compte. Il en est ainsi aux Etats-Unis : lorsqu'on se connecte sur Internet, on paie le prix d'une communication locale, et cela quelle que soit la durée de la connexion, une minute ou une journée.
L'ensemble des services en ligne qui pourront être mis en oeuvre demain - Internet, la télévision à la demande, des services en ligne offerts par des opérateurs français ou européens - n'auront un véritable succès populaire que si le coût d'accès est extrêmement bas.
Nous avons commencé à rattraper notre retard en offrant, depuis deux mois, un accès au réseau Internet sur l'ensemble du territoire français au prix d'une communication locale ; mais la durée reste prise en compte. France Télécom vient d'ouvrir un service en ligne qui offre lui-même des accès à Internet : Wanadoo.
Nous réfléchissons à l'adaptation de la législation française sur le contrôle des contenus, qui constitue sûrement un point central pour le développement de ce service en ligne.
L'ouverture à la concurrence devra également être simple pour les usagers, qui peuvent craindre que la multiplication des opérateurs ne rende compliqué cet acte aujourd'hui très simple qu'est le fait de téléphoner.
Nous avons d'abord voulu, évidemment, que les réseaux soient interconnectés : ainsi, pour l'utilisateur, ils seront sans couture ; on n'aura pas le sentiment de passer d'un opérateur à l'autre.
Nous avons prévu la « portabilité » des numéros, c'est-à-dire la possibilité pour un usager de garder son numéro de téléphone tout au long de sa vie, même s'il change de résidence ou d'opérateur.
Nous avons également prévu l'édition d'un annuaire universel, de manière que chacun puisse, à tout moment, trouver les numéros téléphoniques de tous les abonnés au téléphone, quel que soit l'opérateur.
Enfin, l'ouverture à la concurrence ne se fera pas contre le service public.
Nous avons, dans ce domaine, une tradition. Je me fais, pour ma part, une certaine idée de la République, comme beaucoup d'entre vous, et je considère que le service public - l'égalité des chances, au fond - est au coeur de cette idée de la République. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu conforter et garantir le service public comme il ne l'avait jamais été.
C'est en effet la première fois que le service public des télécommunications fait l'objet, dans la loi, d'une définition et que ses moyens de financement sont clairement exposés.
Il s'agit en fait de définir un droit nouveau du citoyen : le droit à la communication. Chaque Français, quelle que soit sa situation financière, doit pouvoir, en tout point du territoire, accéder au réseau de télécommunications.
Ce droit à la communication est consacré par le présent projet de loi.
J'entends dire, ici ou là, que nous proposons un service public minimum des télécommunications. Rien n'est plus faux.
M. Gérard Delfau. Ce n'est pas sûr !
M. François Fillon, ministre délégué. D'ailleurs, lors des débats à l'Assemblée nationale, ceux qui défendaient cette idée n'ont jamais été capables de proposer une autre définition du service public ni, en particulier, d'indiquer quel type de service nouveau devrait être intégré à la définition du service public des télécommunications.
En réalité, le service public que nous proposons, c'est le service de la téléphonie vocale tel qu'il fonctionne aujourd'hui...
M. Gérard Delfau. Justement !
M. François Fillon, ministre délégué. ... mais avec la perspective d'une évolution en fonction des technologies et des besoins de la société.
La clé de cette évolution nous ne la donnons ni au Gouvernement ni à l'opérateur : c'est le Parlement qui la détiendra. Nous proposons en effet que ce soit le Parlement qui décide, à intervalles réguliers - nous avions prévu tous les cinq ans, mais l'Assemblée nationale a préféré un délai plus court, et je crois que le Sénat a des idées précises à ce sujet - du contenu de la définition du service public des télécommunications et de l'évolution de son mode de financement.
Le service public tel que nous le proposons dans ce projet de loi, ce sera d'abord le service universel, c'est-à-dire le téléphone pour tous au même prix, abordable, où que l'on se trouve sur le territoire, avec des cabines téléphoniques, un annuaire complet et un service de renseignements.
Nous avons maintenu ce qui est au fond le coeur du service public de téléphone, c'est-à-dire la péréquation géographique.
En outre, le service universel ne sera pas divisé. Certains pays, l'Allemagne notamment, ont choisi de diviser le service universel en le proposant à plusieurs opérateurs, essentiellement privés. Nous avons, nous, souhaité que France Télécom soit désigné par la loi comme l'opérateur public du service universel du téléphone.
Quant au financement de ce service universel, il est clairement indiqué dans ce projet de loi : il sera assuré par l'ensemble des opérateurs privés intervenant sur le territoire national puisque ceux-ci paieront une redevance d'interconnexion, qui permettra de financer le coût de la péréquation géographique et, de manière temporaire, le coût du déficit d'accès, et qu'ils participeront à un fonds de service universel, qui permettra de financer le coût des cabines téléphoniques, des services d'urgence et de renseignements, ainsi que le coût de l'annuaire.
Le deuxième élément constitutif du service public, ce sont les services obligatoires. Il s'agit de permettre, sur tout le territoire et dans le respect des principes du service public, l'accès aux services spécialisés de télécommunications, pour les entreprises comme pour les particuliers. Par services spécialisés de télécommunications, j'entends, aujourd'hui, le réseau numérique à intégration de services, le RNIS, les liaisons louées, les transmissions de données et le télex. Je le répète, ces services obligatoires devront être offerts par France Télécom sur l'ensemble du territoire et selon les principes du service public. La seule différence, au fond, avec le service universel, c'est, dans le respect des principes de service public, la liberté de tarification qui est laissée à France Télécom sur ces services obligatoires.
Enfin, j'en viens au troisième élément constitutif du service public, à savoir les missions d'intérêt général, les missions de sécurité publique, de défense, d'enseignement supérieur et de recherche, qui seront totalement assumées par l'Etat.
Cette définition du service public est la plus large et la plus généreuse que l'on puisse trouver dans tous les Etats de l'Union européenne. Cette définition sera évolutive puisque, au moins tous les cinq ans, comme le prévoit le texte en l'état actuel - mais je sais que, dans un amendement du Sénat, une périodicité de quatre ans est proposée - le Parlement pourra réviser cette définition et introduire de nouveaux services. Je prends l'exemple du visiophone, qui permettra peut-être, demain, à chacun de voir son interlocuteur au téléphone. Si l'on estime, dans quatre ans, que le visiophone doit être introduit dans le système universel, il reviendra au Parlement de l'y introduire.
J'insiste sur le fait que l'Etat reste le garant du service public, puisque c'est lui qui en contrôlera le contenu, le prix et le financement. Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, notre conception du service public.
Mme Hélène Luc. Ce n'est plus le service public !
M. François Fillon, ministre délégué. Elle préserve le service du téléphone tel que nous le connaissons aujourd'hui, comme elle respecte l'ouverture à la concurrence qui a été décidée par l'Union européenne.
Cette ouverture à la concurrence devra être équitable pour tous les acteurs du marché.
Qu'on ne se méprenne pas : le Gouvernement souhaite l'ouverture à la concurrence, une concurrence libre et stimulante. D'ailleurs, à quoi servirait de libéraliser notre marché des télécommunications si cela devait conduire les opérateurs privés à s'installer chez nos voisins pour « écrémer » le marché français ? Nous voulons que les nouveaux opérateurs s'installent dans notre pays pour participer au service des télécommunications, en particulier au financement du service universel.
Pour cela, nous avons prévu que les autorisations délivrées aux nouveaux opérateurs ne seront pas limitées, sous réserve de réciprocité s'agissant des opérateurs étrangers. Nous avons également prévu que le cahier des charges et les modalités de financement du service public seront transparents, afin que chacun puisse juger, lorsqu'il s'engagera sur le marché français, des conditions réelles de l'exercice de la concurrence.
Surtout, et c'est la pièce maîtresse du dispositif dont nous souhaitons la mise en place, le Gouvernement vous propose de créer une autorité de régulation des télécommunications indépendante, qui permettra à l'Etat de continuer à assumer ses responsabilités en matière de service public et d'exercer ses responsabilités d'actionnaire majoritaire de France Télécom, tout en laissant la régulation du marché sous l'autorité d'un certain nombre de femmes et d'hommes désignés de manière à leur assurer une réelle indépendance, par rapport aux opérateurs comme par rapport au Gouvernement.
Il a été dit, lors des débats qui ont présidé à l'introduction de cette autorité de régulation des télécommunications dans notre projet de loi, qu'au fond elle n'était pas conforme à nos traditions juridiques. Ce serait vrai si un très grand nombre d'autorités indépendantes n'avaient pas été introduites dans notre système juridique depuis quinze ans, et par tous les gouvernements. Permettez-moi d'en citer quelques-unes : le Conseil supérieur de l'audiovisuel...
M. Gérard Delfau. Cela n'a rien à voir !
M. François Fillon, ministre délégué. Cela a beaucoup à voir ! Nous y reviendrons.
Je poursuis mon énumération : la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la Commission des sondages, la Commission des opérations de bourse, le Conseil de la concurrence, la Commission de la réglementation bancaire, le Comité des établissements de crédit, le Conseil de la politique monétaire, ou encore la Commission de contrôle de la concurrence, pour ne citer que quelques exemples.
En réalité, l'autorité de régulation des télécommunications n'est pas une innovation juridique. Au contraire, la répartition des pouvoirs entre l'autorité de régulation et le Gouvernement s'inscrit parfaitement dans notre tradition républicaine, puisque le Gouvernement conserve les prérogatives essentielles, celles d'édicter la réglementation, de délivrer les licences ainsi que contrôler le contenu et les tarifs du service universel.
Pour ce qui est de l'avenir de France Télécom, le projet de loi de réglementation prévoit très clairement que France Télécom est l'opérateur public du service universel et donc que cet opérateur doit rester sous le contrôle de l'Etat.
Vous l'aurez noté, le projet de loi ne dit rien ni sur le statut futur de l'entreprise, ni sur les ambitions du Gouvernement pour notre champion national. Ce choix, c'est le mien ; j'en assume la responsabilité.
En août 1995, j'avais indiqué que le Gouvernement s'était fixé trois priorités dans le domaine des télécommunications. Il s'agissait, dans un premier temps, de réussir l'alliance entre France Télécom, Deutsche Telekom et l'américain Sprint, ce qui semblait, à l'été 1995, difficile, compte tenu, en particulier, de l'opposition de la Commission de Bruxelles et des autorités américaines. La deuxième étape devait être la concertation en vue de la mise au point d'un projet de loi sur la réglementation, de manière que le paysage des télécommunications pour « l'après 1er janvier 1998 » soit clair et que les salariés de France Télécom puissent constater que le Gouvernement entendait bien leur conserver le rôle qui est le leur aujourd'hui en matière de service public. Ce pouvait être, après tout, une de leurs inquiétudes majeures tant que le projet de loi de réglementation n'était pas connu.
Ce texte est maintenant connu. Il a fait l'objet d'une très large concertation et reprend d'ailleurs nombre de propositions des organisations syndicales qui ont souhaité négocié le texte avec le Gouvernement. Maintenant que ce projet de loi est sur la place publique, qu'il a déjà fait l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale et qu'il vient devant votre assemblée, le Gouvernement estime nécessaire d'indiquer clairement la troisième étape, celle du changement de statut de notre opérateur national.
Ce changement de statut est rendu nécessaire par l'abandon du monopole. Dans une situation de monopole, on peut considérer qu'un établissement administratif qui fonctionne, pour une large part, selon des règles administratives est viable. Dans un monde ouvert à la concurrence, il est incontestable que seul un établissement disposant des mêmes règles de fonctionnement et de gestion que ses partenaires ou ses concurrents peut tirer son épingle du jeu.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vient de déposer un texte qui modifie le statut de France Télécom pour en faire une société commerciale dotée d'un capital social.
Il faut bien voir que le monde des télécommunications est en train de changer à très grande vitesse. La nécessité de mettre en oeuvre ce qu'on appelle des « réseaux mondiaux sans couture » a conduit les grands opérateurs de téléphone à se regrouper. Nous le voyons bien aujourd'hui, le marché des télécommunications est en passe de s'organiser autour de trois ou quatre grandes alliances internationales. La première s'est organisée autour de ATT et de plusieurs opérateurs européens ; la deuxième autour de British Telecom et d'un opérateur américain ; la troisième autour de France Télécom, de Deutsche Telekom et de l'américain Sprint.
Pour que France Télécom puisse être, demain, un opérateur performant en France, en Europe, en Amérique et en Asie, c'est-à-dire sur l'ensemble du marché mondial, son alliance avec Deutsche Telekom et Sprint doit être durable. Or, mesdames, messieurs les sénateurs, cette alliance ne sera durable que si les règles de fonctionnement à l'intérieur de ces trois entreprises sont identiques.
Comment imaginer, en effet, une alliance durable entre des entreprises qui, par exemple, n'ont pas la même façon d'établir leur bilan, de gérer leurs comptes ou de décider leurs investissements ?
J'ajoute que la possibilité donnée à France Télécom d'échanger des participations croisées avec ses partenaires Deutsche Telekom et Sprint est incontestablement un atout supplémentaire pour permettre à notre opérateur national de consolider autour de lui cette alliance mondiale essentielle.
Nous voulons que France Télécom puisse se battre à armes égales avec les grands opérateurs de téléphone, dont aucun dans le monde, en dehors de France Télécom, n'est doté d'un statut administratif.
M. Gérard Delfau. Ce n'est plus le cas !
M. François Fillon, ministre délégué. Tous les grands opérateurs, monsieur Delfau, sont aujourd'hui des sociétés commerciales dotées d'un capital social. C'est le cas pour les vingt premiers opérateurs de téléphone du monde et pour tous les opérateurs de l'Union européenne, à l'exception des opérateurs grec et autrichien, qui ont entrepris leur transformation en société commerciale dotée d'un capital social.
D'ailleurs, nous avons l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire avec la société Air France. Lorsqu'il a été décidé d'ouvrir à la concurrence le transport aérien, le gouvernement français aurait dû adapter l'entreprise Air France aux nouvelles conditions du marché. Il ne l'a pas fait, et l'un des fleurons de l'économie française est aujourd'hui l'une des entreprises les plus mal en point du transport aérien.
Nous ne voulons pas faire la même erreur avec France Télécom. C'est la raison pour laquelle nous ne laisserons pas France Télécom affronter la concurrence le 1er janvier 1998 sans l'avoir dotée d'un statut de société commerciale,...
Mme Hélène Luc. Vous bradez tout !
M. François Fillon, ministre délégué... d'une autonomie de gestion et de la possibilité de recourir à des financements extérieurs pour assurer son développement et réduire son endettement.
M. Robert Pagès. Et licencier plus facilement !
M. François Fillon, ministre délégué. Pour conduire cette réforme, le Premier ministre a choisi le dialogue et la concertation.
Mme Hélène Luc. Avec des milliers de manifestants dans la rue ? C'est cela, la concertation ?
M. Michel Pelchat. Ah oui !
M. François Fillon, ministre délégué. N'en parlez pas trop, madame Luc ! Je vais y venir.
Le Premier ministre a donc engagé le dialogue avec les organisations syndicales, en commençant par leur donner un certain nombre d'assurances.
C'est la garantie pour tous les personnels de France Télécom qui sont fonctionnaires de conserver leur statut de fonctionnaire et tout ce qui s'y attache. C'est la garantie que l'Etat prendra à sa charge les retraites des agents de France Télécom qui sont fonctionnaires. C'est la garantie que tous les personnels de France Télécom, y compris les fonctionnaires, pourront devenir actionnaires de la future entreprise. C'est la possibilité ouverte à France Télécom de continuer à engager un certain nombre d'agents fonctionnaires jusqu'en 2002. C'est, enfin, la garantie que l'Etat conservera 51 p. 100 du capital de France Télécom. Il s'agit non seulement de permettre le fonctionnement du service public qui est confié à France Télécom, mais aussi, vous le savez, de respecter notre droit constitutionnel, qui en fait une condition pour que l'intégration des fonctionnaires dans une société commerciale dotée d'un capital social puisse se réaliser.
Il n'y a donc pas, vous le voyez bien, privatisation. (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau. Mais si, il y a privatisation !
Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, il faut appeler les choses par leur nom !
M. Robert Pagès. Il faut avoir le courage de ses actes !
M. François Fillon, ministre délégué. Si vous parlez de privatisation au sujet d'une entreprise qui reste détenue par l'Etat à 51 p. 100, dont le personnel est à 90 p. 100 composé de fonctionnaires de l'Etat...
M. Claude Billard. Jusqu'à quand ?
M. François Fillon, ministre délégué... et qui a des missions de service public,...
M. Guy Fischer. Pour mieux brader par la suite !
M. François Fillon, ministre délégué... alors, évidemment, nous n'avons pas la même conception de la privatisation !
Mme Hélène Luc. On ne maintient pas le service public en le privatisant !
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Voyez les propositions de Michel Rocard !
M. François Fillon, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, ces garanties qui ont été offertes par M. le Premier ministre à l'ensemble des salariés de France Télécom sont intégralement reprises dans le projet de loi qui a été adopté par le Conseil des ministres la semaine dernière et dont le Sénat débattra dans quelques jours.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons procéder à une réforme historique. Il s'agit pour la France de prendre toute sa place dans la société de l'information sans pour autant sacrifier ses valeurs républicaines. Nous avons choisi une démarche originale, qui consiste à donner une place prédominante au service public tout en ouvrant la concurrence dans l'intérêt des usagers. Pour cela, nous sommes allés jusqu'au bout de ce que nous permettait la réglementation européenne.
Ne tournons pas le dos au progrès, et sachons saisir la chance qui nous est offerte de prendre une place de premier plan dans un secteur clé de notre économie, qui comptera demain plus d'emplois que l'industrie automobile. Ne soyons pas frileux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une nouvelle société est en train de naître. Il vous appartient de décider de la place que la France y occupera. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jacques Valade.)