PRISE EN CHARGE ADAPTÉE DE L'AUTISME

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 249, 1995-1996), adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme. [Rapport (n° 350, 1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, votre Haute Assemblée examine aujourd'hui en première lecture une proposition de loi sur l'autisme, qui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 22 février, avec l'assentiment du Gouvernement.
Vous n'ignorez pas que M. Jacques Barrot et moi-même, alors que nous étions parlementaires, avions tous deux signé, en février 1995, une proposition de loi présentée par M. Jean-François Chossy, proposition qui a donné naissance au texte qui vous est aujourd'hui soumis.
Une telle unanimité était naturelle, devrais-je ajouter, car cette proposition de loi nous tient particulièrement à coeur.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner devant l'Assemblée nationale, j'ai moi-même, en qualité de parlementaire, reçu des parents d'enfants autistes dans ma circonscription à de nombreuses reprises. J'ai pu mesurer alors toutes les souffrances liées au terrible handicap qui résulte des troubles autistiques.
J'ai également compris, en ces occasions, que notre pays avait pris un certain retard pour promouvoir des prises en charge adaptées aux autistes, même si la bonne volonté des professionnels concernés n'est bien évidemment pas à mettre en cause.
Force est toutefois de constater que les conceptions très éloignées entre les tenants du tout thérapeutique et ceux du tout éducatif rendaient impossibles, dans le passé, la mise en oeuvre d'une politique volontariste dans ce domaine. C'est ainsi que, pendant trop longtemps, les personnes autistes et leurs familles sont restées les oubliés de notre société faute d'une politique clairement définie et résolument mise en oeuvre.
Au cours des dernières décennies, les familles se sont très souvent usées à rechercher des solutions adaptées pour leurs enfants.
Trop souvent, faute de trouver un établissement adapté et acceptant de prendre en charge leurs enfants, les parents n'ont eu d'autre choix que l'hôpital psychiatrique. Cette formule n'était, à l'évidence, pas toujours satisfaisante, car l'hôpital psychiatrique n'est pas un lieu de vie mais un lieu de soins.
Dans d'autre cas, les parents ont dû se résigner à un maintien à domicile, maintien souvent imposé plutôt que librement choisi, au prix de souffrances extrêmes tant pour l'enfant que pour son entourage.
Je tiens solennellement à rendre aujourd'hui hommage à l'immense courage de toutes ces familles qui, au travers de leurs associations, se sont mobilisées fortement pour faire reconnaître les droits des personnes autistes dans notre société : droit à une insertion scolaire ou sociale, droit à des prises en charge individualisées, droit à un diagnostic précoce, droit, enfin, à une recherche de qualité sur les origines de ces troubles.
Si mon prédécesseur, Mme Simone Veil, a initié en 1995 un plan national d'action sur l'autisme et si, aujourd'hui, un débat national s'instaure au Parlement sur ce sujet, c'est principalement aux familles et à leurs associations que nous le devons. Je sais qu'elles sont présentes aujourd'hui dans les tribunes du public et je les remercie vivement d'avoir sensibilisé les parlementaires et le Gouvernement - les différents gouvernements - aux problèmes des personnes autistes.
Permettez-moi à présent d'insister particulièrement sur deux points.
Tout d'abord, les plans régionaux sur l'autisme sont progressivement transmis aux services du ministère des affaires sociales. Ils témoignent du sérieux dont font preuve les services déconcentrés pour évaluer les besoins à satisfaire et programmer les réponses adaptées. Grâce aux 100 millions de francs obtenus en 1995 pour l'autisme, grâce à l'implication personnelle de Mme Simone Veil, il a été ainsi possible de créer 631 000 places nouvelles, qui s'ouvrent actuellement sur quarante-sept sites bien répartis sur notre territoire.
Ce premier effort est déjà très significatif, mais il ne correspond qu'à la moitié des demandes qui avaient été formulées par les préfets de région. Depuis lors, de nouveaux projets ont émergé. Il faut donc poursuivre l'effort entrepris pour accompagner la montée en charge de ces plans régionaux au cours des quatre dernières années d'exécution de ces dispositifs.
Je mesure parfaitement la difficulté de la tâche compte tenu des difficultés budgétaires actuelles, mais, le Premier ministre l'a clairement rappelé lors de l'installation du délégué interministériel aux handicapés le 21 septembre dernier, l'autisme constitue l'une des priorités du Gouvernement.
J'en viens à la proposition de loi elle-même.
Elle est, à l'évidence, de nature à conforter l'action du Gouvernement, dans le droit-fil de ce qui a déjà été entrepris à propos de l'autisme.
Votre rapporteur, M. Machet, qu'il me plaît de saluer ici pour le travail remarquable qu'il a fourni, proposera un certain nombre d'amendements au texte adopté par l'Assemblée nationale. Ces amendements, qui sont le fruit d'un travail de très grande qualité de la commission des affaires sociales, sont opportuns. Le Gouvernement y sera donc favorable.
Permettez-moi encore, monsieur le rapporteur, de vous remercier de votre remarquable contribution, sur un sujet aussi important que sensible. Je dois vous avouer que cela ne me surprend pas, connaissant bien l'intérêt que vous portez depuis de très longues années à la question du handicap, tant dans le département de la Marne, dont vous êtes l'élu, qu'au sein de la Haute Assemblée en tant que rapporteur pour avis du budget des personnes handicapées.
En légiférant sur l'autisme, le Parlement s'inscrit dans une démarche très attendue par les familles ayant un enfant atteint de cette maladie. Celles-ci ont souvent eu l'impression, dans le passé, de ne pas trouver de réponse à leur très douloureux problème : les autistes et leur entourage sont en effet trop longtemps restés les exclus des exclus.
Cette proposition de loi contribuera à leur reconnaître, dans le respect de leur liberté de choix, toute leur place dans notre société.
Bien sûr, ce n'est pas une loi, quelle que soit sa portée juridique, qui résoudra tous les problèmes, nous le savons bien. Il nous paraît cependant important aujourd'hui - et tel est le sens de nos débats - de marquer notre particulière attention et notre volonté d'agir en faveur de nos compatriotes atteints par ce syndrome, ainsi qu'en faveur de leur entourage. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Machet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens d'emblée à vous remercier de vos paroles, qui m'ont fait chaud au coeur et qui ont montré votre connaissance du travail et du rapporteur et de la commission.
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous faire part de mon état d'esprit de rapporteur vis-à-vis de cette proposition de loi tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme.
Personne - je dis bien personne - d'autre que lui-même ne peut se mettre à la place de l'enfant, de la personne, jeune ou adulte, atteinte d'autisme, et surtout d'en connaître la souffrance.
Personne - je dis bien personne - d'autre que lui-même ne peut se mettre à la place du parent, de la maman, du papa d'un enfant atteint d'autisme et en connaître la souffrance physique, psychique, psychologique, matérielle et celle de toute sa famille. Personne - je dis bien personne - d'autre que lui-même ne peut se mettre à la place d'un président d'association, souvent parent d'autiste, dans sa mission. Et, s'il insiste, c'est qu'il n'a qu'un seul but : le bien des malades et de leur famille.
C'est, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, imprégné de ce constat que j'ai placé ma mission de rapporteur de cette proposition de loi sous le signe de l'humilité, ainsi que me l'a demandé M. Fourcade, président de la commission des affaires sociales du Sénat - qui est, je le répète chaque fois, mon « professeur » puisqu'il a aidé mes débuts au Sénat - lorsqu'il m'a confié ce rôle.
Oh, il s'agit non pas d'une humilité de faiblesse, mais d'une humilité forte du respect de l'autre, du respect des autres ; une humilité forte de l'écoute de l'autre, de l'écoute des autres ; une humilité forte enfin de l'amour au sens noble du terme : aimer l'autre, aimer les autres.
C'est empreint de ces trois valeurs essentielles, qui, entre nous, sont valables pour toutes nos missions et pas suelement pour ce dossier - la France se porterait bien mieux si tous avaient cet esprit - et de sérénité que j'ai pu vous présenter le résultat de mes réflexions.
J'ai baucoup écouté, J'ai beaucoup reçu, et je peux maintenant vous présenter le résultat de mes réflexions, approuvé par la commission des affaires sociales et qui a donné naissance au rapport n° 350 qui a été mis en distribution depuis plus de quatre semaines.
La présente proposition de loi, qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, vous venez de le dire monsieur le secrétaire d'Etat, le 22 février 1996, et qui est soumise aujourd'hui à l'examen de la Haute Assemblée, traite un sujet, vous l'avez dit, douloureux et particulièrement sensible. Vous avez employé les mêmes mots.
La discussion de ce texte, qui résulte d'une proposition de loi déposée le 1er février 1995, voilà donc plus d'un an, et signé par 200 députés de la majorité dont M. Jean-François Chassy, a coïncidé, d'une manière tout à fait fortuite, au procès dit de Montpellier où une mère - une maman - a été condamnée à cinq ans de prison avec sursis pour le meurtre de sa fille de vingt-trois ans, autiste.
Le retentissement de ce procès n'a pas été sans influence sur les débats de l'Assemblée nationale qui adopté le présent texte à l'unanimité.
Compte tenu de ce contexte, la commission, qui a voulu oeuvrer dans un climat plus serein, a souhaité conjuguer humanité et réalisme. Le rapporteur du texte puis la commission se sont fortement interrogés sur la nécessité ou non de légiférer. Trois faits au moins nous poussaient à cette interrogation. Tout d'abord, il est toujours délicat de légiférer sous le coup de l'émotion ; ensuite, la mise en oeuvre très récente de la circulaire relative au syndrome autistique, puisque celle-ci date du 27 avril 1995, inclinait à penser que l'intervention du législateur arrivait ou trop tôt ou trop tard. Dans la mesure, en particulier, où cette circulaire faisait quasiment l'unanimité chez les différents intervenants, il était permis de se demander s'il n'était pas plus sage d'attendre les premiers résultats de l'application de celle-ci. Enfin, n'a pas été appréhendée l'influence de l'ordonnance du 24 avril 1996 qui réforme la gestion des établissements en remplaçant les DRASS par des agences, avec ses conséquences sur la politique menée en matière d'autisme, ce que nous regrettons, monsieur le secrétaire d'Etat.
Toutefois, la commission vous propose d'examiner ce texte en l'amendant compte tenu des espoirs soulevés auprès des familles d'enfants autistes et qu'il ne faut pas décevoir. Il convient d'envoyer un signal fort à ces familles qui, à juste raison, ne comprendraient pas notre refus.
Avant de vous faire part du contenu du texte tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale et de ses propositions, la commission souhaite faire un état des lieux de l'autisme et de sa prise en charge en France.
Avant tout, la commission veut souligner combien il serait inexact de prétendre que très peu a été fait en faveur de la prise en charge de l'autisme. Tout d'abord, elle tient à remarquer qu'une fédération de handicapés comme l'UNAPEI, l'union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés, accueille dans ses établissements environ 20 p. 100 d'autistes.
Ensuite, elle souhaite - comme vous l'avez fait vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat - rendre hommage à Mme Simone Veil, alors ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, dont l'intérêt pour la question a permis l'impulsion nécessaire pour dresser un état des lieux et en tirer les conséquences par l'intervention de la circulaire précitée du 27 avril 1995.
C'est en effet Mme Veil qui a diligenté pas moins de trois rapports, soit, chronologiquement, celui de l'inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, d'octobre 1994 sur la prise en charge des enfants et des adolescents autistes, celui de l'agence nationale pour le développement de l'évaluation médicale, l'ANDEM, intitulé L'Autisme, de novembre 1994, et, enfin, celui de la direction de l'action sociale de janvier 1995, consacré aux propositions pour l'accueil des adultes touchés par cette affection. Ces rapports ont constitué un grand progrès et ont servi de fondement à la circulaire du 27 avril 1995.
Par ailleurs, le conseil consultatif national d'éthique a rendu un avis sur la prise en charge des autistes le 10 janvier 1996, avis dont le principe même et le contenu ont été contestés par les associations de pédopsychiatres.
Malgré tout, l'autisme reste une affection mal connue, qui touche une population évaluée d'une manière encore imprécise et dont la prise en charge est insuffisante, vous venez de le dire, monsieur le secrétaire d'Etat.
C'est le psychiatre allemand réfugié aux Etats-Unis, Léo Kanner, qui, le premier, en 1943, a fait une description de l'autisme qui fait encore référence aujourd'hui.
Il ne semble pas inutile à la commission de rappeler en substance la définition donnée par le rapport del'ANDEM précité : « Le syndrome autistique infantile est un trouble global et précoce du développement, apparaissant avant l'âge de trois ans, caractérisé par un fonctionnement déviant et/ou retardé dans chacun des domaines suivants : interactions sociales, communication verbale et non verbale, comportement. Il existe un retrait social caractéristique. Les comportements sont restreints, répétitifs, ritualisés, stéréotypés. De plus, les autistes présentent souvent des peurs, des troubles du sommeil ou de l'alimentation, des crises de colère et des comportements agressifs. »
A cet égard, la commission souhaite faire deux remarques.
Tout d'abord, il n'existe pas - tout le monde le sait, mais il faut le redire - une seule forme d'autisme, mais des autismes. Les troubles inhérents à cette affection évoluent avec l'âge et, vraisemblablement, avec les événements de la vie de chaque enfant atteint. De plus, la gravité de l'atteinte par ce syndrome est très variable. Le cas limite décrit par le film Rainman où Dustin Hoffmann interprète le héros éponyme est très rare.
Ensuite, il convient de noter que la classification française inclut l'autisme dans les psychoses infantiles, au contraire des classifications américaines et de l'organisation mondiale de la santé, ce qui n'est pas sans poser des problèmes en matière de comparaisons internationales.
Par ailleurs, actuellement, plus de cinquante ans après sa définition, les causes de l'autisme n'ont pas encore été clairement déterminées. Deux thèses coexistent : la théorie organique et celle des causes psychogénétiques. S'agissant de cette dernière, il convient de préciser que la théorie psychanalytique, qui attribue à une dysharmonie entre la mère et l'enfant la cause de l'autisme et qui a été popularisée par les travaux de Bruno Bettelheim avec, notamment, La Forteresse vide, n'est plus guère invoquée par les psychiatres. Mais son influence a été très négative. Non étayée par une évaluation rigoureuse, elle a culpabilisé nombre de familles, notamment des mères, des mamans.
A l'heure actuelle la recherche s'oriente plutôt vers une approche plurifactorielle.
Sur ce point, il convient de rappeler qu'il n'appartient bien évidemment pas à la représentation parlementaire de trancher le débat sur la nature de l'autisme, maladie mentale ou handicap, d'où la difficulté des mots et de leur interprétation.
Conséquence des incertitudes sur la nature de l'autisme, les traitements sont multiples et insuffisamment évalués. Pour plus de précision, la commission vous propose de vous reporter à son rapport écrit.
Compte tenu de ces incertitudes, il n'est pas surprenant de constater les lacunes dans l'évaluation statistique de la population touchée par cette affection. La commission estime cette carence tout à fait regrettable. Nous ne disposons, en effet, que des extrapolations de l'ANDEM à partir d'études parfois anciennes ou des résultats de deux études de 1988 et 1991. Selon l'ANDEM, le taux de prévalence serait de 4 à 5,6 p. 10 000, s'agissant des populations âgées de zéro à dix-neuf ans. La population autiste de moins de vingt ans serait donc comprise entre 6 200 et 8 000 personnes. Les moins de cinquante-cinq ans atteints du syndrome autistique pourraient être 17 400 à 23 700.
Or la prise en charge se révèle tout à fait insuffisante, cela a été dit. En effet, le nombre total de places affectées aux autistes de moins de vingt ans est évalué à 4 200 : 2 000 dans les établissements psychiatriques et 2 200 dans le secteur médicosocial.
Les adultes autistes étaient 2 648 à être accueillis dans les établissements médico-sociaux gérés par les associations, en particulier l'UNAPEI, pour 10 000 à 15 000 personnes atteintes.
Dans le secteur sanitaire, une enquête partielle de la direction générale de la santé datant de 1993 concluait à la présence d'environ 3 000 autistes en psychiatrie générale. Parmi eux, 1 600 environ étaient hospitalisés à temps complet. C'est très pénible de prononcer ces chiffres, mais le constat est pour moi un passage obligé.
Plus généralement, la commission en particulier son rapporteur n'ont pu qu'être sensibles au drame que vivent ces parents qui ne trouvent pas de structures pour accueillir leurs enfants dans leur région et qui n'ont d'autre choix que de les envoyer à plusieurs centaines de kilomètres de leur domicile, voire en Belgique, ou de les garder chez eux avec les conséquences pour l'équilibre de la famille que cela implique. De plus, s'il est déjà difficile de trouver une place pour un enfant autiste - et à cet égard, on ne peut que rappeler que les autistes subissent également les effets pervers de l'amendement Creton - la situation pour les adultes est encore plus préoccupante.
C'est dans ce contexte insatisfaisant qu'est intervenue la circulaire du 27 avril 1995 relative au syndrome autistique.
Cette circulaire constitue un progrès indéniable. Après avoir dressé un état des lieux, cette circulaire a décrit « l'impérieuse nécessité de promouvoir des programmes d'action fondés sur des techniques adaptées aux enfants, adolescents et adultes autistes, comprenant six principales composantes : dépistage, soins, éducation, socialisation, insertion et accompagnement de l'entourage, et s'inscrivant dans un réseau de prise en charge gradué, coordonné et de proximité. » S'agissant du dépistage, la commission ne saurait trop insister sur le rôle essentiel des professionnels de la petite enfance et sur la nécessité de leur donner une formation adéquate sur ce point, j'insiste.
Afin de promouvoir ce programme, cette circulaire a invité les préfets de région à élaborer un plan d'action pour cinq ans, dans chaque région, afin de mieux répondre aux besoins des populations atteintes.
Pour sa mise en oeuvre, cette circulaire bénéficie, vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, pour 1995 et 1996, d'une enveloppe de crédits de 100 millions de francs financés par l'assurance maladie et destinés à la création de places en établissements.
Parallèlement, une lettre-circulaire du 21 août 1995 a décrit les principaux critères techniques et financiers auxquels devaient se conformer les projets. Finalement, 45 projets ont été sélectionnés, ce qui correspond à la création de 631 places nouvelles. Tenant notamment compte du fait que la région d'Ile-de-France est sous-équipée, ce sont 23 p. 100 des 100 millions de francs prévus qui ont été attribués à celle-ci, correspondant à la création de 145 places.
Les crédits correspondant aux projets ont été notifiés et vont faire l'objet d'une consommation progressive au cours de l'exercice 1996. On peut, à cet égard, se demander si l'enveloppe de 100 millions de francs sera suffisante, compte tenu des besoins et quelle enveloppe sera attribuée en 1997, eu égard aux contraintes budgétaires. Notre commission souhaite vous entendre sur ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat.
Les plans quinquennaux auraient dû être arrêtés à la fin du premier trimestre de l'année 1996. Toutefois, seuls une dizaine d'entre eux sont parvenus au ministère. Le reliquat devait être élaboré à la fin du deuxième trimestre. La commission entendra avec intérêt le Gouvernement faire le point sur l'état d'avancement de ces plans.
Quelles que soient les interrogations que peut encore susciter sa mise en oeuvre, cette circulaire de Mme Veil apparaît comme un premier pas décisif dans l'amélioration de la prise en charge de l'autisme.
J'en viens aux propositions de loi initiale, à la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, ainsi qu'à l'analyse effectuée par votre commission.
Le rapport de M. Christian Kert, rapporteur à l'Assemblée nationale, porte sur deux propositions de loi, l'une de M. Jean-François Chossy, tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme, l'autre de M. Laurent Fabius, tendant à améliorer cette prise en charge. Mais la seconde proposition de loi, qui intervenait dans le code de la santé publique en y instituant un plan régional d'action et, à titre transitoire, des expérimentations évaluées par un comité national, présentait, selon la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale « indubitablement des problèmes de recevabilité tant financière que législative ».
La proposition de loi de M. Jean-François Chossy, signée par deux cents parlementaires de la majorité, tendait, elle, dans un article unique, à modifier l'article 2-2 de la loi du 30 juin 1995 relative aux institutions sociales et médico-sociales et donc le contenu du schéma départemental.
Dans un premier paragraphe, l'article unique de cette proposition de loi faisait référence non seulement à l'autisme, mais aussi au polyhandicap parmi les handicaps pris en charge par les établissements mentionnés dans le schéma départemental.
Une telle rédaction posait des problèmes : tout d'abord, l'autisme était reconnu comme un handicap alors que, jusqu'à présent, sa nature n'est pas déterminée. Ensuite, le polyhandicap n'apparaît pas comme une notion suffisamment précise. De plus, en « pointant » deux types particuliers de handicaps dans la loi de 1975, ce texte risquait d'inciter à ce que d'autres handicaps soient mentionnés. Enfin, la rédaction donnait l'impression que les créations d'établissements dans le cadre du schéma ne concernaient que les handicapés et non les autres populations mentionnées à l'article 1er de la loi de 1975, dont les personnes âgées.
Le deuxième paragraphe de cet article unique posait aussi des problèmes, puisqu'il instituait une obligation de collaboration entre les différentes collectivités dans le cadre du schéma départemental.
La proposition de loi telle qu'elle a été soumise à l'examen de notre commission comporte désormais deux articles. Dans le premier, certains problèmes qui viennent d'être soulevés ont été résolus. Ainsi, la mention du polyhandicap et de l'autisme n'apparaît plus.
Ensuite, pour justifier le titre de cette proposition de loi, un article additionnel a été introduit, qui mentionne explicitement cette affection. Cet article pose d'abord le principe que les conséquences de l'autisme aboutissent à un handicap, sans préjuger la nature de cette affection, ce que votre rapporteur approuve. Mais il instaure également une priorité en faveur des autistes. Or cela ne semble pas acceptable, aucune catégorie de handicapés n'étant plus digne d'intérêt qu'une autre.
Ensuite, si cet article additionnel reconnaît la nécessité d'une prise en charge pluridisciplinaire, ce qui est assurément positif, il introduit dans la loi un plan d'action régional, sans que l'on sache s'il s'agit bien de celui qui a déjà été mis en oeuvre par la circulaire. Or il n'apparaît pas pertinent de rendre ce plan pérenne dans la loi, dans la mesure où une telle inscription apparaîtrait comme établissant aussi une discrimination au profit d'un handicap particulier. Cela semble tout à fait dangereux pour la pérennité de la politique globale du handicap mise en oeuvre en France depuis la loi du 30 juin 1975 : chaque catégorie de handicapés se trouverait fondée à demander son plan particulier. De plus, aucune articulation n'est prévue entre ce plan, dont on ne connaît pas les modalités d'établissement ou de révision, et le schéma départemental mentionné à l'article 1er.
Ces quelques remarques ont guidé l'analyse de la commission.
Compte tenu des espoirs soulevés par ce texte et de certains de ses aspects positifs, la commission a finalement considéré qu'il était pertinent de légiférer. Mais elle a également tenu compte de tous les acteurs - je dis bien : tous les acteurs - concernés par ce texte, en particulier les autres handicapés, dont les difficultés sont tout aussi dignes d'intérêt, et les conseils généraux, dont il convient de ne pas accroître les charges par le biais d'une loi particulière sans qu'ils aient été consultés et alors même qu'un texte réformant les compétences doit être élaboré.
Souhaitant avoir oeuvré avec réalisme et humanité, la commission a dégagé cinq principes autour desquels elle a articulé ses propositions.
Premier principe : conserver les apports importants de cette proposition de loi.
Il s'agit de reconnaître, d'une part, les conséquences de l'autisme comme un handicap, ce qui permettra à chaque autiste de pouvoir bénéficier des prestations ouvertes aux handicapés et, d'autre part, le caractère pluridisciplinaire de la prise en charge.
Il faut, à cet égard, insister sur la nécessité d'une coordination entre les différents intervenants autour de la personne atteinte du syndrome autistique. Il serait vain d'opposer la prise en charge thérapeutique à celle qui repose sur une approche pédagogique ou éducative. Toutes les approches et traitements doivent avoir pour unique objet l'amélioration de l'état de la personne et être centrés autour d'elle.
J'ai beaucoup écouté, visité et, hier encore, dans mon bureau, j'ai reçu les responsables d'une association gérant un hôpital de jour. Or ces personnes étaient très inquiètes pour l'avenir de leur établissement.
Deuxième principe : ne pas remettre en cause la politique globale du handicap telle qu'elle a été définie depuis vingt ans. Sous cet aspect, instaurer une priorité et un plan d'action régional pérenne pour une catégorie particulière de handicapés n'est pas apparu acceptable.
Troisième principe : ne pas accepter, à l'occasion d'un texte particulier, une remise en cause des principes de la décentralisation.
La commission ne peut approuver que, dans le cadre du schéma départemental, les départements puissent obliger d'autres collectivités à collaborer à la prise en charge non seulement des handicapés, mais aussi de toutes les populations concernées par ledit schéma. Il convient donc de laisser une grande souplesse aux conseils généraux pour l'élaboration de ces schémas qu'ils ne sont que deux tiers à avoir établis. Les contraindre fortement concernant le contenu de ceux-ci aboutirait au résultat inverse de celui qui est recherché. En effet, ceux qui n'ont pas élaboré de tels schémas seraient d'autant plus réticents à le faire.
Quatrième principe : ne pas limiter le contenu de ces schémas.
A cet égard, la commission a voulu lever l'ambiguïté de la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qui semblait limiter la création d'établissements aux handicapés. Par ailleurs, concernant la possibilité de collaboration, et non plus l'obligation, elle a souhaité également introduire le terme d'« organismes », dans la mesure où la sécurité sociale, en particulier l'assurance maladie, est un partenaire important qui n'apparaissait plus dans la proposition.
Cinquième principe : il convient de disposer à terme d'un outil statistique fiable et d'une évaluation des dispositifs mis en oeuvre depuis 1995.
Ne pas disposer de données statistiques fiables n'apparaît pas acceptable à votre commission si l'on veut conduire une politique de programmation des équipements rigoureuse et efficace, dans un contexte budgétaire plus que jamais contraint. De plus, il apparaît important d'évaluer les dispositifs mis en oeuvre depuis l'intervention de la circulaire du 25 avril 1995.
Il est enfin opportun de montrer aux parents d'enfants autistes que l'intérêt de la représentation nationale pour leurs problèmes est non pas passager mais constant, sur le moyen et le long terme.
Le chemin sera long, parsemé d'embûches, de difficultés, de souffrances. Puissions-nous humblement, chacune et chacun, éclairer ce petit sentier d'espérance en nous inspirant de cette phrase de Vaclav Havel : « Les seuls combats perdus sont ceux que l'on ne livre pas ».
Telles sont les remarques et propositions dont votre commission souhaitait vous faire part. Sous réserve des amendements qu'elle vous présentera plus précisément lors de l'examen des articles, elle vous demande, mes chers collègues, d'adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Poirieux.
M. Guy Poirieux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il me soit tout d'abord permis de souligner la densité, la profondeur, en même temps que l'humilité du rapport de notre collègue M. Jacques Machet.
La qualité de ce rapport traduit bien, selon moi, l'esprit humaniste dans lequel la commission des affaires sociales, sous la présidence de M. Fourcade, a abordé le sujet, tenant à prendre en compte tous les aspects de ce drame trop peu connu, tout en acceptant des limites qu'imposent au législateur les lacunes actuelles de la recherche scientifique.
Chacun sait bien que la complexité du syndrome autistique est telle que l'unité n'est pas faite dans la famille médicale sur son étiologie - psycho-pathogénique ou neuro-biologique - sur la variété extrême de ses aspects cliniques, sur ses différentes formes évolutives. Mais chacun sait bien aussi et s'est plu à souligner que ces querelles scientifiques, bien naturelles dans le domaine des sciences humaines - celles-ci sont par définition inexactes - apparaissent bien vaines aux parents qui sont confrontés aux redoutables réalités de ce syndrome.
Et c'est bien tout l'intérêt de cette proposition de loi de notre collègue M. Jean-François Chossy, député de ma circonscription, que d'avoir volontairement surmonté les incertitudes actuelles pour permettre aux autistes aussi de bénéficier des aides prévues par la loi de 1975.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale comme des discussions qui se sont déroulées au sein de notre commission des affaires sociales, nombreux ont été les orateurs qui ont fait référence à leur connaissance d'un drame familial particulier, d'un visage précis, sans compter le rappel du procès dit « de Montpellier ». Pour ma part, mon intervention se fait à la lumière de près de trente ans d'expérience de médecin généraliste attaché à un IMPro, un institut médico-professionnel, et à une association départementale de parents d'enfants inadaptés de la Loire.
A ce titre, je peux confirmer les propos de M. le rapporteur, pour avoir vu sur le terrain avec quelle générosité les autistes étaient accueillis par les centres dépendants de l'UNAPEI, l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés.
Mais la vérité m'oblige à dire que, malgré la bonne volonté et l'engagement magnifique des éducateurs, la présence de ces enfants autistes dans ces centres plutôt voués à l'accueil d'enfants trisomiques est, le plus souvent, source de grandes difficultés, et, en tout cas, d'une souffrance générale devant le manque d'adaptation de leurs démarches éducatives, qui laissent une impression amère d'imperfection et d'impuissance.
C'est à partir de ce constat et sous l'impulsion d'un ami proche, dont la fille a été déclarée autiste voilà deux ans, que nous avons créé, dans ma commune, un établissement spécifique pour l'accueil des autistes, à partir, bien entendu, de l'engagement exclusif du conseil municipal pour financer l'investissement et de la participation des familles et de leurs amis pour assurer le fonctionnement. Là encore, bien sûr, il est inutile d'insister sur la démarche profondément solidaire d'une communauté humaine, à l'échelle d'une petite ville, qui ne se résigne pas devant une lacune législative et qui préfère avancer et réagir.
Des expériences similaires ou différentes, cela a été rappelé, ont été menées sur l'ensemble du territoire, et je rejoins sur ce point encore notre rapporteur quand il souligne les magnifiques et méritoires démarches effectuées depuis quelques années et confortées, depuis le mois d'avril 1995, par la circulaire de Mme Veil, qui vise, dans le cadre de plans régionaux de cinq ans, à rattraper le retard accumulé par le passé dans le domaine de l'accueil des autistes.
Légiférer dans ce domaine n'est pas chose facile, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, car il faut se garder de toute sensiblerie qui rendrait le texte inapplicable et ne respecterait pas la stricte égalité entre tous les bénéficiaires de la loi de 1995.
L'Assemblée nationale, dans un élan de générosité qui lui est propre et qui l'honore, a eu l'initiative de la démarche.
Il revient à notre Haute Assemblée de veiller à la fiabilité du texte et à sa validité par rapport à la législation existante.
Je me réjouis pour ma part du travail de la commission des affaires sociales, qui a tenu, sur proposition de son rapporteur, à conserver l'essentiel du texte adopté par l'Assemblée nationale et qui consiste à faire bénéficier les autistes des bienfaits de la loi de 1975. Je me félicite que la prise en charge soit pluridisciplinaire et qu'elle ait lieu quel que soit l'âge de la personne atteinte. Il faut insister, en effet, sur la nécessité d'une démarche globale, à la fois éducative, pédagogique, thérapeutique et sociale, qui, seule, est susceptible de mobiliser en même temps, et à des degrés divers, tous les acteurs dans la prise en charge.
Le risque d'une démarche parcellaire serait, par exemple, de ne pas proposer une réelle éducation à un autiste de « bas niveau », car cela est difficile, alors même qu'une éducation visant à lui faire acquérir une certaine autonomie est importante pour lui. A l'inverse, chez un des rares autistes de « haut niveau » capables de mener une scolarité presque normale, il convient de ne pas négliger les soins médicaux visant, par exemple, à traiter l'anxiété ou la dépression. Une approche parcellaire permettrait ainsi de se limiter aux soins médicaux dans telle catégorie ou à tel âge, et à l'éducatif chez d'autres personnes autistes ou à un autre moment de leur vie.
La prise en compte globale de tous les problèmes des personnes autistes par une approche multidisciplinaire implique, à l'évidence, une simultanéité dans les différentes actions, et non pas une succession dans le temps. C'est ce qu'a bien compris la commission en nous proposant un texte modifié, qui fait clairement référence à une prise en charge pluridisciplinaire.
La commission nous propose également d'écarter toute notion de priorité qui tendrait à faire croire que nous souhaitons privilégier tel ou tel type de handicap parmi les bénéficiaires de la loi d'orientation de 1975. Telle n'est évidemment pas notre intention, et le rapporteur a bien fait de le souligner.
De même, notre souhait ardent de voir se concrétiser la coopération entre les différents partenaires, qui seule est gage d'efficacité, ne devait pas nous faire adopter un texte qui eût été inapplicable car en contradiction avec les principes des lois de décentralisation, lesquels s'opposent, nous le savons, à toute tutelle d'une collectivité sur une autre.
Là encore, le texte proposé par la commission est conforme à nos règles. Il sous-entend, certes, que la mobilisation des personnes concernées devra rester forte et constante pour venir à bout de certaines pesanteurs, mais n'est-ce pas la marque d'une bonne loi que celle qui laisse toute sa place à la participation active de l'individu à ce que l'on appelle communément « les forces vives de la nation » ?
Reste le problème des « moyens disponibles ». Je fais partie de ceux qui pensent que la référence à ces moyens disponibles était nécessaire dans la mesure où cette même référence était déjà présente dans la loi de 1975. Ne pas la faire figurer aujourd'hui pour les autistes reviendrait en réalité à leur reconnaître un traitement différent et prioritaire, ce qui, encore une fois, n'est pas dans notre intention.
M. Jacques Machet, rapporteur. Très bien !
M. Guy Poirieux. Il n'empêche, mes chers collègues, que l'on peut s'interroger sur les motivations profondes d'une société qui limite son action aux moyens disponibles quand il s'agit de handicapés ou de personnes en état de faiblesse, alors qu'elle refuse unanimement la maîtrise comptable des dépenses dès lors qu'il s'agit de malades « normaux », si vous me permettez l'expression.
Ne voyez dans mes propos aucune connotation démagogique. Je suis comme vous parfaitement conscient des contraintes budgétaires qui sont les nôtres ; je veux seulement, à l'occasion de cette discussion, poser le problème de la place du faible dans notre société moderne. Dans certains discours eugéniques, on retrouve cette notion économique mettant en balance les dépenses engendrées tout au long de sa vie par un handicapé et les gains qui seraient réalisés par sa suppression. Prenons conscience que l'eugénisme n'a pas besoin d'un régime totalitaire pour voir le jour. Il peut très bien se « contenter », si l'on peut dire, d'un régime démocratique qui, au nom de préoccupations économiques omniprésentes, glisserait imperceptiblement d'un eugénisme individuel, prenant en compte les cas particuliers, à un eugénisme collectif, qui cacherait son vrai visage sous le masque de la rentabilité.
C'est tout le problème de savoir si l'on considère que la présence du faible est une pénalité pour notre société ou, au contraire, un enrichissement potentiel. A n'en point douter, les personnes handicapées elles-mêmes et leur famille sont les premiers témoins de leur éclatante dignité, et c'est sur ces « pierres vivantes » que se construira la civilisation de l'amour que vous avez magnifiquement citée en référence, monsieur le rapporteur, et à laquelle, bien sûr, nous aspirons tous. Après tout, rien n'empêche d'imaginer que ces fameux moyens disponibles seront importants. On peut souhaiter en tout cas que leur montant soit calculé avant la signature, dans le service public, de certains contrats mirifiques - si vous voyez à quoi je fais allusion - et avant que ne soient consentis, dans le domaine des sports, certains salaires faramineux venant grever lourdement les budgets de certaines collectivités locales qui, par ailleurs, se font tirer l'oreille pour venir en aide aux handicapés.
Tout est question de choix, d'équilibre, de priorité, et c'est pourquoi je me réjouis que notre commission nous propose la création d'un rapport gouvernemental d'évaluation qui nous permettra très justement de faire le point, dans trois ans, des progrès réalisés sur le terrain, grâce à ce nouveau texte de loi amendé par notre commission des affaires sociales que tous les membres du groupe des Républicains et Indépendants, vous l'aurez compris, voteront aujourd'hui avec détermination et confiance. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on ne peut aborder cette proposition de loi sur l'autisme sans une triple réaction d'humilité, de satisfaction et d'interrogations.
Humilité : le mot a été prononcé par notre rapporteur, et comment ne présiderait-il pas à nos débats ? Alors que la recherche médicale progresse dans tant de secteurs, cette maladie, ce handicap, ce mal - quel que soit le mot que l'on emploie - cet enfermement terrible résiste à l'analyse et aux traitements.
Je ne reviendrai pas ici sur les débats engendrés par le livre de Bruno Bettelheim : La Forteresse vide. Je ne jetterai pas la pierre à tant de psychiatres et de psychanalystes qui ont cru trouver la solution et qui, de façon catégorique, ont fait peser tant de responsabilités sur les parents et sur la mère.
Certains diront qu'ils ont chargé la mère du fardeau de leur propre incapacité à trouver une origine à ce mal. Pour ma part, je constaterai simplement qu'ils ont fortement culpabilisé des parents, des mères, alors que, déjà, tous les parents, toutes les mères se sentent plus ou moins coupables du handicap de leur enfant. Les désigner nommément comme responsables a eu, dans bien des cas, dans tous les cas peut-être, des conséquences humaines incalculables, douleur qui s'ajoutait à la douleur.
Aujourd'hui, on sait au moins une chose, c'est qu'on ne sait rien. Ce constat ne peut qu'amener à une attitude de doute, de recherche, d'interrogations qui est plus conforme à un véritable esprit scientifique.
Satisfaction : nous devons nous féliciter de cette initiative parlementaire. La non-reconnaissance des conséquences de l'autisme comme handicap a été - est encore aujourd'hui dans nombre de départements - préjudiciable à la prise en charge des enfants autistes dans des établissements spécialisés. Enfin, la proposition de loi de Jean-François Chossy va mettre fin à une inégalité et à une injustice. Les autistes vont pouvoir bénéficier sur tout le territoire de la loi de 1975.
C'est une avancée considérable attendue par beaucoup de familles. La prise en charge spécialisée des enfants autistes amène, en effet - de nombreux parents l'ont souligné - une amélioration comportementale importante des enfants.
Restent, bien sûr, des interrogations. Devant l'ignorance profonde qui est la nôtre, la prudence s'impose. Etablissements spécialisés pour autistes, instituts médico-éducatifs, où ils sont mélangés avec d'autres enfants... Le choix ne doit pas relever de la loi ; la réponse ne doit pas être univoque ; nous en sommes trop aux balbutiements pour être à notre tour péremptoires. Laissons expérimenter différentes formules, en lien avec les parents et les professionnels, et ne fermons pas les portes ; elles ne l'ont été que trop.
Autre interrogation : la situation des autistes adultes, aujourd'hui presque tous en établissement psychiatrique. Leur sort devra être un élément de réflexion et de choix politiques, comme d'ailleurs celui de nombre de handicapés adultes ou vieillissants dont les situations sont souvent très difficiles.
Interrogations, enfin, sur les moyens financiers de la prise en charge. Ce point a fait l'objet d'une longue discussion en commission, et il va en être de même ici aussi, bien entendu. Je suis en désaccord avec un élément de la proposition de la commission des affaires sociales, à savoir la fameuse formule : « et eu égard aux moyens disponibles ».
J'ai peur, tout comme les associations de parents d'enfants autistes, que cette référence ne réduise sensiblement la portée du texte. Nous ne pouvons pas à la fois ouvrir une porte et dresser une barrière. J'ai donc déposé un amendement tendant à supprimer cette mention qui est terriblement réductrice et qui comporte au moins le risque d'un statu quo.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi va dans le bons sens. Elle a été amendée de façon positive grâce aux travaux de notre commission. Elle qualifie de handicap les conséquences de l'autisme, ce qui est fondamental. Ne bridons pas cette avancée, qui correspond à un réel besoin et qui est attendue avec impatience par de nombreuses familles. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain. M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « pourquoi opposer, au lieu de conjuguer, les méthodes éducatives et les soins appropriés, le traitement s'il en existe ? » Cette interrogation a été formulée par l'Inspection générale des affaires sociales au mois d'octobre 1994. Cette interpellation nous aspire dans un domaine qui est un sujet de conflits et de fantasmes : l'autisme.
Thème douloureux, il a suscité non seulement un vif intérêt chez les chercheurs, mais aussi de nombreux mythes. Cette maladie, qui devient un handicap, n'est pas la conséquence d'un déficit affectif ou d'un conflit familial. Elle est le résultat d'un trouble profond du développement cognitif qui pertube profondément la construction d'une image cohérente de l'espace chez l'enfant. Il y a obstacle à la représentation de ses pensées, de ses désirs et, bien sûr, des autres.
D'emblée, nous nous situons sur un terrain difficile. Le polyhandicap est exclu du champ d'application. Le syndrome d'autisme infantile est reconnu comme un trouble global et précoce du développement, apparaissant avant l'âge de trois ans. Les perturbations se situent dans le domaine des interactions sociales, dans celui de la communication verbale et non verbale, et dans les comportements.
Avec les formes moins typiques, marquées par des troubles plus tardifs, coexistent des distorsions graves du développement qui ne sont pas retenues pour créer des catégories à part entière.
Pour les familles, il faut susciter l'espoir. Si la révolte des parents est légitime, elle est sans doute l'aboutissement de nombreuses insuffisances. L'usage des classifications diagnostiques internationales, reconnues et validées, ne devrait plus soulever des montagnes de réticences. Les retombées de la recherche concernant le dépistage, les soins et l'éducation spécialisée sont longues et, pour beaucoup, tardives ; les familles dans l'attente se réfugient souvent dans des solutions miracles via les marchands de bonheur.
La reconnaissance de l'autisme comme responsable d'un handicap permettant de bénéficier des mesures prévues en faveur des personnes handicapées n'est pas une injustice, bien au contraire. La reconnaissance du droit à l'éducation est acquise pour les personnes handicapées ; néanmoins, les insuffisances sont criantes en matière d'hébergement : il faut certes créer des centres, mais surtout les adapter.
On ne peut encourager la formation médicale en isolant les formations de pointe, à l'intérieur des spécialités ; il faut développer des spécificités qui s'adaptent aux individus chez qui l'autisme s'exprime de façon très variée et multiple. On ne peut souhaiter le développement de filières par redéploiement, au détriment d'autres pathologies. Il s'agit de répondre à des besoins clairement évalués par des prises en charges mieux adaptées.
Il convient de donner l'espoir au-delà d'une revanche anti-psychiatrique destructrice. Les idées sur la thérapie et sur l'éducation réparatrice sont difficiles à traduire en conseils pratiques. L'autisme s'est révélé impossible à traiter définitivement en l'état actuel. Cependant, des recommandations ont démontré leur validité en matière de savoir-faire et d'éducation.
Il faut être critique en ce qui concerne les traitements fondés sur des bases prétendument scientifiques, mais non vérifiées. Il faut l'être encore plus lorsque l'on parle de « succès garanti ».
Le talent et le dévouement de parents, d'enseignants et de thérapeutes permettent d'obtenir des résultats. Eviter de faire surgir des troubles associés, d'entreprendre des thérapies trop brutales mais essayer de compenser des handicaps après les avoir identifiés rendent possible la limitation des souffrances.
Mieux appréhender un phénomène permet d'être plus tolérant. Les incapacités partielles sont alors plus supportables. Il faut toujours se méfier des réussites, souvent trompeuses.
Pourra-t-on guérir l'autisme ?
Peut-être, lorsque sera comprise son origine, pourra-t-on concevoir de réparer les dommages. Uta Frith pense que, même si un traitement biologique est trouvé, il sera toujours nécessaire de s'intéresser au symptôme psychologique.
S'agissant de la position de la commission, j'aimerais souligner l'humanité de notre collègue rapporteur, dont l'avis pertinent rendra possible la reconnaissance des conséquences du syndrome autistique comme « handicap ». Il est intolérable que des commissions départementales d'éducation spéciale - CDES - refusent des prestations à des enfants, en qualifiant leur affection de « maladie mentale », alors que l'approche doit être pluridisciplinaire.
Le maintien d'une politique globale du handicap, définie par la loi du 30 juin 1975, est indispensable. La souffrance d'enfants et de familles a fait ressortir des besoins criants et insatisfaits sur le plan du diagnostic, du soutien familial, des structures d'accueil et des divers types de prises en charge. Ces raisons sont suffisantes pour justifier l'intérêt que nous portons à ce sujet, mais nous devons veiller à la prise en compte de tous les handicaps, d'où le rejet de la notion de priorité.
La mobilisation médiatique est devenue un phénomène de société, avec ses excès et ses succès. Les programmes de recherche ont besoin de recul et de compétence. La psychogénicité affrontant les neurosciences, la saisine du comité national d'étique surprenant d'éminents psychiatres, tous ces éléments contribuent à rendre difficile à l'humble parlementaire que je suis le choix d'orientations solides préservant l'intérêt des enfants et des adolescents.
Les schémas départementaux me semblent limités et la dimension régionale devrait être retenue. La collaboration entre les divers organismes devra être revue à la lecture des ordonnances sur la protection sociale. L'Etat, les organismes de sécurité sociale, les associations, les collectivités locales doivent être étroitement unis et consultés.
Que peuvent proposer les schémas régionaux ?
La circulaire du 27 avril 1995 répond à cette question. Les objectifs généraux passent par l'amélioration de la connaissance épidémiologique locale et par la nécessité d'offrir une prise en charge globale et multidisciplinaire. Le jeune autiste doit pouvoir s'intégrer dans un dispositif cohérent, coordonné, agissant en étroite collaboration avec sa famille.
Le développement des connaissances est lié à la mise à disposition d'informations par des structures existantes telles que les CAMSP - les centres d'action médico-sociale précoce - les secteurs pédo-psychiatriques, les services de pédiatrie et de protection maternelle et infantile - PMI. La mise en place de grilles fiables et pratiques, en liaison avec les CDES - commissions départementales de l'éducation spéciale - et les COTOREP, apparaît indispensable.
L'amélioration du dépistage précoce dépend de la formation des intervenants auprès des jeunes enfants. Il serait donc souhaitable de mener des actions de formation sur l'autisme et les psychoses infantiles à l'intention des médecins, des auxiliaires de puériculture, des assistantes sociales, des éducatrices de jeunes enfants, des enseignants de maternelles.
Il apparaît indispensable de donner aux services de psychiatrie infanto-juvénile les moyens de mettre en place des structures de proximité pouvant délivrer des soins intensifs dès le jeune âge et assurer le travail de liaison avec d'autres institutions.
Le rôle de la PMI est important, mais il nécessite des moyens, notamment pour assurer l'examen systématique après la première année de scolarité maternelle.
Les associations de parents ont un rôle important à jouer en matière d'informations à transmettre aux familles sur les possibilités de diagnostic et de prises en charge.
Pour les enfants et les adolescents, les établissements médico-éducatifs prenant en charge les jeunes autistes doivent disposer de sections spécialisées ayant un agrément spécifique, d'internat ou de semi-internat, d'un encadrement spécialisé et renforcé.
La nécessité de conventions multipartenariales, notamment avec les services de psychiatrie infanto-juvénile, est incontournable.
Les structures alternatives pour moments de crise sont complémentaires. L'hébergement temporaire en famille d'accueil, en divers lieux de vie, permettrait d'assurer une souplesse d'adaptation du projet en faveur du jeune autiste, en liaison avec l'établissement médico-éducatif.
Le versant sanitaire de la prise en charge des enfants autistiques exige un renforcement du rôle des liaisons des secteurs pédo-psychiatriques pour assurer le soutien aux équipes, la formation continue, le suivi thérapeutique individuel, sans empiéter sur les attributions propres des praticiens de l'établissement d'accueil.
Le versant scolaire doit également être pris en compte, quand le niveau de l'enfant le permet. L'accès à une scolarité adaptée, définie en collaboration avec les services de l'éducation nationale, doit être rendu possible.
Pour les adultes, un travail d'adaptation maintenant la continuité entre les structures est devenu indispensable. A l'âge adulte, il faut faire refaire le diagnostic d'autisme et évaluer la gravité de l'atteinte spécifique ou des troubles apparentés, surtout au moment de la transmission des dossiers de la commission départementale d'éducation spéciale à la COTOREP.
Des sections spécifiques de faible capacité devraient être créées dans chaque établissement et bénéficier d'une tarification particulière qui s'ajouterait au prix de journée dans les structures d'accueil. Ce forfait devrait permettre de prendre en compte la poursuite des soins et de l'éducation spécifique. Une collaboration efficace entre les secteurs sanitaire et médico-social serait particulièrement utile, voire indispensable.
La formation spécifique du personnel appelé à s'occuper des autistes adultes doit être intégrée dans la démarche pour une meilleure prise en compte de la pluridisciplinarité du syndrome autistique. Les critères d'attribution des allocations d'aide aux familles ou à la personne réclament une attention particulière.
Le débat parlementaire doit permettre la mise en évidence de réflexions et de propositions indispensables à la mise en oeuvre d'actions concrètes.
Pour la petite enfance, il s'agit d'offrir un dépistage et un diagnostic précis afin de permettre une prise en charge précoce et intensive, avec une guidance parentale.
Pour les enfants et les adolescents, la prise en charge est partiellement réalisée, mais avec des moyens insuffisants ; le secteur médico-social en l'état ne peut que répondre partiellement aux besoins spécifiques de la population autiste par manque de personnel formé.
Il est primordial de fournir une plus grande cohérence au dispositif en décloisonnant les secteurs et en permettant les interventions multidisciplinaires. Une réflexion spécifique est à mener avec l'éducation nationale pour les jeunes autistes sans déficit intellectuel.
Pour les adultes, il s'agit de mieux identifier la prise en charge actuelle, ainsi que les moyens mis en oeuvre afin de proposer l'adaptation des structures.
Mes chers collègues, l'énigme de l'autisme est particulièrement envoûtante, à une époque dominée par les moyens les plus sophistiqués de communication. Nous savons que l'autisme est un handicap mental particulier, lié à des anomalies du développement cérébral. Si l'autisme pur est rare, de nombreux enfants ont des problèmes fonctionnels et sensoriels. Beaucoup sont coupés complètement de leur environnement et ne peuvent communiquer.
Le spécialiste nous parle de « l'incapacité de regrouper l'information pour en déduire des idées cohérentes et pourvues de sens. »
Ce paradoxe avec notre quotidien interpelle notre vigilance. La planification des structures devra tenir compte de la qualité de service appropriée au handicap et des prix de revient qui doivent rester acceptables. Il faudrait une politique courageuse, en ces temps difficiles, pour répondre à la souffrance des familles. Tel est le voeu du groupe de l'Union centriste.
Mes chers collègues, dans les pires périodes de l'histoire les hommes n'ont-ils pas poursuivi la construction des cathédrales et la création d'oeuvres sublimes ? Pourquoi serions-nous impuissants devant ce grave problème ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - Mme Dusseau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd'hui une proposition de loi tendant à améliorer la prise en charge de nos concitoyens atteints d'autisme.
Ce sujet est sensible à bien des égards ! Il est sensible et douloureux parce que nous abordons les difficultés de la vie, les drames intimes liés aux troubles mentaux qu'affrontent quotidiennement les personnes atteintes du syndrome autistique et leur famille.
Il est également sensible parce que le dysfonctionnement des divers dispositifs d'accompagnement de ces personnes constitue une atteinte à un droit de l'homme essentiel : celui d'être soigné, éduqué, quels que soient son âge et sa situation.
Comment a-t-on pu aussi longtemps refuser l'accès des autistes à certaines structures au motif que l'on ne pouvait pas les qualifier de « handicapés » ?
Ce sujet est sensible aussi car les recherches menées autour de ce syndrome sont relativement récentes et que les conclusions des scientifiques sont controversées. Il y a divergences sur l'étiologie de l'autisme, sur les traitements à apporter. Tous les avis convergent en revanche pour constater qu'il n'y a pas « un » mais « des » autismes. Dès lors, l'accompagnement des personnes ne peut être que singulier et individualisé.
Je voudrais évoquer les quelques réactions d'incompréhension manifestées par une partie du corps médical qui se demande ce que vient faire le législateur dans cette affaire. On a cru que nous voulions, au travers de cette loi, trancher le débat sur la nature de l'autisme tout d'abord, sur son accompagnement ensuite.
Loin de nous cette idée !
Nous entendons simplement intervenir là où se situe notre responsabilité. Dès lors que l'on admet la valeur, l'efficacité d'une approche pluridisciplinaire dans le traitement de l'autisme, dans les communautés tant soignantes que médico-sociales, nous nous devons d'intervenir afin que l'on ne puisse plus opposer une fin de non-recevoir aux familles qui souhaitent s'orienter vers une institution médico-sociale, en particulier lorsque leur enfant atteint l'adolescence et l'âge adulte.
Il a donc été précédemment affirmé que le syndrome de l'autisme était source de handicap.
Le libre choix des familles et la pluridisciplinarité des interventions sont les fils conducteurs de la circulaire de Mme Veil de 1995, qui pose, dans leur globalité, les nouveaux fondements de la prise en charge des autistes. L'éventail des lieux d'accueil est d'ailleurs suffisamment large, que l'on se situe dans le secteur sanitaire - on a cité les centres d'action médico-sociale précoce, les CAMSP, les services de pédopsychiatrie et les hôpitaux de jour - dans le secteur médico-social, avec les instituts médico-éducatifs, les IMF et les IMPro dans le secteur éducatif, avec les classes intégrées - trop peu nombreuses - ou même dans le secteur professionnel avec les centres d'aide par le travail, les CAT.
Cet éventail de possibilités devrait, en principe, permettre d'offrir, dans tous les cas, une solution adaptée à l'âge et à l'état des personnes autistes. Pourtant, on se heurte à deux obstacles majeurs.
Le premier, reconnaissons-le, s'efface progressivement : il s'agit de l'absence d'une qualification incontestée et claire de l'autisme, qui entraîne l'inapplicabilité de la loi de 1975 et qui prive, bien entendu, les intéressés des droits afférents.
Le second obstacle est de taille : c'est le manque de crédits dont souffrent toutes les institutions, quelles qu'elles soient. Cette pénurie est vraisemblablement le motif véritable de nombreux refus opposés par les commissions départementales de l'éducation spéciale, les CDES, celles-ci se retranchant derrière l'inapplicabilité de la loi de 1975 aux cas d'autisme.
La circulaire de 1995 met donc en place une architecture nouvelle, tenant compte de l'âge des autistes. Elle distingue quatre tranches, tout en reconnaissant que l'on peut accorder des dérogations.
A ce sujet, vous redoutez, monsieur le rapporteur, que ces dérogations n'entraînent des effets pervers, du type de ceux qui ont été engendrés par l'« amendement Creton ». Je comprends vos interrogations et vos craintes, mais je crois que c'est en individualisant au maximum l'accompagnement d'un enfant autiste tout au long de sa vie qu'il sera possible de favoriser son éveil et son épanouissement. Cette individualisation peut parfois exiger qu'un enfant ou un adolescent demeure plus longtemps dans une institution.
La circulaire de 1995 prévoit également une mise en réseau des différents intervenants, et ce dans le cadre d'un plan régional d'action spécifique à l'autisme.
Ce plan se doit d'être également un outil d'évaluation tant la confusion est grande dans ce domaine. On parle de plus de 4 000 enfants et adolescents et de plus de 5 000 adultes pris en charge. On parle aussi de 1 600 autistes accueillis dans les institutions belges. On dit que trois dossiers sur quatre seraient refusés. Quant aux taux de prévalence utilisés pour effectuer une projection au niveau national, ils vont du simple au double ! Je reviendrai ultérieurement sur ce plan régional.
Le texte réglementaire envisage par ailleurs la possibilité de prévoir des structures spécifiquement destinées à l'accueil de personnes autistes. Il est vrai que cet accueil requiert des compétences particulières et que l'on relève trop souvent des carences en termes de personnel et de formation.
Toutefois, les rencontres que nous avons organisées préalablement à l'examen de ce texte nous ont convaincus de l'importance qu'il y avait à favoriser, dans toute la mesure possible, des lieux où existe une pluralité des pathologies traitées.
Afin de rattraper le retard important enregistré, la circulaire a permis de débloquer 100 millions de francs destinés à renforcer les capacités d'accueil. Ces 100 millions de francs, attribués dans le cadre d'appels d'offres, ont permis de financer la création de 631 places, dont 294 pour des enfants et adolescents et 337 pour des adultes.
Nous attendons désormais le renouvellement de ces engagements financiers puisque le plan est élaboré pour cinq ans. Certains projets déposés l'année dernière n'ont pu être retenus, faute de crédits disponibles.
Ce plan s'inscrivant dans la durée, il a paru nécessaire d'assurer la pérennité de ces dispositions financières et d'engager formellement les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales, à offrir des lieux de vie aux autistes et à en tirer les conséquences budgétaires.
La difficulté à laquelle nous avons été confrontés dans l'élaboration de cette proposition de loi fut de reconnaître l'obligation de créer ou de renforcer des sections en capacité d'accueillir des autistes sans pour autant contrevenir à l'esprit généraliste et universel de la loi de 1975, qui exclut toute référence et énumération de handicaps précis. Cela explique la construction atypique de cette proposition de loi, où la reconnaissance du syndrome autistique n'est pas codifiée.
Il est donc demandé que les schémas départementaux relatifs aux institutions sociales et médico-sociales énoncent les besoins sociaux débouchant sur la création de structures qui tiennent compte de la diversité et la spécificité des handicaps. Il ne devrait donc plus être possible d'invoquer la loi de 1975 pour rejeter des demandes d'admission. Les sénateurs du groupe socialiste souscrivent à l'extension du champ d'intervention de ces institutions.
En revanche, ils rejoignent l'opinion de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, qui s'est voulue, il faut bien le dire, plus « directive » quant aux modalités de collaboration et de coordination des collectivités dans ce domaine.
Je comprends votre argument, monsieur le rapporteur, invoquant les lois de décentralisation pour refuser qu'une collectivité puisse exercer une quelconque contrainte sur une autre. Cependant, ne voyez-vous pas qu'il y a un écueil, ô combien plus dangereux, à éviter ? Je veux parler du retranchement de certaines collectivités derrière ces dispositions pour ralentir ces collaborations et, par là même, les entraver.
Trop de retard a été pris. Il nous faut faire preuve de plus de volontarisme, fût-ce au risque de froisser quelques susceptibilités.
En revanche, monsieur le rapporteur, les socialistes approuvent votre suggestion d'élargir les intervenants à l'Etat et aux organismes concernés.
L'article 2 constitue la déclaration de principe, l'engagement officiel de la représentation nationale de voir le syndrome autistique reconnu et assumé, sans que, pour autant, je le rappelle, celle-ci ait à se prononcer sur la nature de ce syndrome.
Le Parlement confirme ainsi l'approche pluridisciplinaire, d'ordre à la fois éducatif, pédagogique, thérapeutique et social, amorcée dans la circulaire de 1995.
Des divergences existent entre les députés et nous-mêmes.
Faut-il faire de l'autisme une priorité ? Nos discussions autour de cette terminologie peuvent apparaître bien dérisoires aux yeux de ceux qui vivent cette situation tous les jours.
La circulaire de Mme Veil indique que « la restructuration de la psychiatrie... doit notamment bénéficier à l'amélioration des prises en charge thérapeutiques des autistes », que « la reconversion des lits de court séjour peuvent pour partie bénéficier à la psychiatrie » et que, « à cet égard, la prise en charge des autistes constitue l'une des priorités ». Les mêmes recommandations sont faites dans le cadre des restructurations d'établissements médico-sociaux.
L'ampleur des carences a donc justifié que les pouvoirs publics mettent l'accent sur l'accueil de cette population dans des recommandations opérationnelles. Je reconnais qu'il puisse être ambigu de consacrer législativement une « priorité », ce qui laisserait entendre que le législateur induit une hiérarchie des urgences.
Je comprends la proposition de modification de notre rapporteur. En revanche, je m'élève contre la mise sous condition qu'il introduit en affirmant que cette prise en charge se fait « eu égard aux moyens disponibles. - mais je ne suis pas la première à le dire, ni sans doute la dernière.
Par cette proposition de loi, nous voulons répondre aux attentes, notamment à celles des parents. Comment, dans un même texte, accepterions-nous de relativiser la portée de cet engagement en le laissant à la libre évaluation de chaque collectivité intervenante ?
Cet article 2, bien que non codifié, représente la clé de voûte du texte. Je crois qu'y affirmer le droit pour toute personne autiste à bénéficier d'une prise en charge et, dans le même temps, laisser entendre que celle-ci serait fonction des moyens disponibles ouvre la porte à des traitements différenciés, selon la richesse des collectivités, voire selon leur sensibilité à ce sujet.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste a déposé un amendement tendant à supprimer cette mention dans le texte de la proposition de loi.
Il existe un autre sujet de divergence entre les députés et notre commission : faut-il intégrer dans la loi les plans régionaux mis en place dans le cadre de la circulaire de Mme Veil ?
Nous l'avons vu, ces plans ont à la fois vocation à recenser les besoins, à organiser une mise en réseau des services compétents et à permettre de mobiliser les professionnels de santé autour du diagnostic et de la prise en charge précoce. Quel programme ! Leur existence est-elle liée à la durée quinquennale du dispositif résultant de la circulaire de Mme Veil ? Probablement ; en tout cas c'est ce qui apparaît à la lecture de cette circulaire.
Notre rapporteur est réservé face à la pérennisation par la loi d'un plan axé uniquement sur l'autisme, étant entendu que des dispositifs semblables n'existent pas pour d'autres pathologies. C'est la raison pour laquelle il a supprimé cette référence.
Pour notre part, nous estimons que la logique qui sous-tend ces plans doit inspirer une nécessaire réforme de la loi de 1975, concernant l'ensemble des handicaps, puisque le niveau régional - en matière d'évaluation, notamment - apparaît tout à fait pertinent.
Enfin, l'article additionnel qu'il est proposé d'insérer après l'article 2 permet d'ajouter une dimension au texte initial. Nous demandons, en effet, qu'il soit procédé à une évaluation de cette prise en charge.
Mes chers collègues, la proposition de loi que nous allons voter aujourd'hui a un triple objectif : faire sauter définitivement le verrou qui, jusqu'à l'année dernière, permettait de se retrancher derrière les imprécisions sur l'autisme pour refuser l'accès à certaines institutions ; consacrer l'approche pluridisciplinaire de la prise en charge ; obliger les collectivités à intégrer cette nouvelle donne dans leur budget et dans les schémas départementaux.
Reste à assurer la poursuite de l'engagement financier des pouvoirs publics.
L'année dernière, 112 projets, représentant 1245 places, ont été déposés devant le comité national de sélection. L'enveloppe financière étant de 100 millions de francs, seuls 47 projets furent retenus, permettant tout de même la création de 631 places. Mais les projets en suspens sont nombreux.
Certains émanent du réseau associatif ; d'autres tendent à renforcer les unités du secteur sanitaire qui intègrent désormais cette dimension pluridisciplinaire. Par ailleurs, les classes intégrées sont encore trop peu développées.
Le plus souvent, ce sont des micro-projets, concernant de petites unités, permettant un suivi plus individualisé de l'autiste.
Je regardais hier soir une émission de télévision où, justement, était présentée l'expérience d'une petite unité regroupant des autistes et des handicapés affectés d'autres pathologies. Cette expérience était tout à fiat instructive quant à l'intérêt des petites unités au regard d'un suivi individualisé.
L'effort amorcé en 1995 doit se poursuivre. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous puissiez donner des assurances aux familles, aux professionnels et à la représentation nationale sur ce point.
Ce texte est applicable ; donnons-nous donc les moyens de l'appliquer. Le groupe socialiste le votera. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Metzinger.
M. Charles Metzinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à ce jour, nul n'est en mesure de dire combien de personnes en France sont touchées par l'autisme, mais les Français en parlent et sont désormais conscients de l'exclusion à laquelle sont exposées les personnes dites « autistes ». Y a-t-il 30 000 autistes ? Y en a-t-il 100 000 ? Est-il possible qu'une personne sur 2 000 soit touchée par l'autisme ?
N'étant qu'imparfaitement renseigné sur le syndrome clinique de l'autisme, le législateur ne saura sans doute pas encore faire oeuvre parfaite en 1996, pas plus qu'il ne l'a pu en 1975, quand fut élaborée la grande loi d'orientation. Mais il a raison d'aborder le problème et de vouloir apporter une solution à la situation de milliers d'enfants et d'adultes atteints du syndrome autistique.
Quelles que soient les causes de ce syndrome, qui se traduit par de graves troubles de communication sociale, les personnes qui en sont atteintes souffrent d'un véritable handicap. Si un consensus se dégage pour affirmer cela, rien ne doit empêcher le législateur de faire bénéficier réellement les autistes du dispositif de la loi de 1975 en la modifiant en conséquence.
Apparemment, 25 p. 100 seulement des personnes atteintes du syndrome autistique se trouvent, en application de la loi d'orientation, accueillies dans des structures spécialisées. On peut donc affirmer que la prise en charge des populations atteintes du syndrome autistique et de troubles apparentés doit constituer une priorité éducative, pédagogique, thérapeutique et sociale.
Nous savons que de nombreux parents souhaiteraient la création d'établissements d'accueil spécifiques pour autistes. Nous savons aussi que cela pose des problèmes auxquels il serait difficile de trouver des solutions immédiatement et, sans doute aussi, à moyen terme.
Il me paraît important de faire valoir le risque de ségrégation qui résulterait de la création de structures exclusivement réservées aux autistes.
Je voudrais faire remarquer à ce propos que le fait de ne pas connaître exactement le nombre d'autistes dans notre pays rendrait encore plus difficile la mise en place d'établissements d'accueil trop spécifiques. En effet, combien faudrait-il d'établissements ? Comment seraient-ils répartis dans le pays ?
La circulaire AS/EN n° 95-12 du 27 avril 1995 qui a déjà été citée prévoit l'élaboration, dans chaque région, dans les meilleurs délais d'un plan d'action permettant de répondre aux besoins des populations particulièrement vulnérables. C'est ce cadre qui semble être le plus adéquat pour apporter une réponse à une indispensable planification. Mais nous sommes encore loin de ces plans d'actions régionales.
Aussi, mes chers collègues, puisque le législateur semble déterminé à faire bénéficier pleinement les autistes de la loi de 1975, je crois qu'il faut trouver dans l'immédiat la solution pour l'accueil, à l'intérieur des structures existantes, avec une prise en charge adaptée aux besoins éducatifs, pédagogiques et thérapeutiques, tels que l'établissement spécialisé concerné peut les offrir, avant même que des plans d'action régionaux couvrent l'ensemble des besoins dans le pays.
Voilà qui m'amène malheureusement à faire deux constats peu encourageants : d'une part, le manque de places est toujours patent dans les structures actuelles et, d'autre part, les handicapés ne sont pas égaux devant la loi selon qu'ils habitent tel ou tel département, ce qui me préoccupe beaucoup. Les départements en charge de la politique sociale à mener en l'espèce n'ont pas les mêmes facultés financières ni les mêmes priorités dans leurs politiques.
Les départements obligés de faire des choix sont amenés à traiter différemment leurs ressortissants. Nous nous éloignons de plus en plus du principe de l'égalité devant la loi et devant l'impôt.
Le législateur, par cette proposition de loi, veut renforcer le droit des personnes atteintes d'autisme de trouver une place dans les structures créées depuis 1975 et qui ont une vocation éducative et sociale et non psychiatrique.
Cela ne signifie pas pour autant, selon moi, qu'il appartient au législateur de se prononcer sur le fond et la nature de cette maladie. Le législateur confère néanmoins à une personne touchée par le syndrome clinique de l'autisme les droits ouverts par la loi de 1975 à une personne dite handicapée.
Permettez-moi de mettre en garde contre la tendance à traiter les personnes handicapées comme des personnes inadaptées à la société. Mieux vaut résolument chercher tous les moyens possibles pour faciliter l'intégration que mettre l'accent sur l'inadaptation.
A propos de la capacité d'accueil des établissements spécialisés, le plan pluriannuel de création de places dans les centres d'aide par le travail, les CAT, et dans les maisons d'accueil spécialisées, les MAS décidé en 1989 a été convenablement appliqué au 31 décembre 1993. Le nombre de places est passé à 80 127 dans les premiers et à 8 897 dans les secondes.
Durant la période 1994-1995, 4 000 places nouvelles en CAT ont été financées.
La loi de finances pour 1996 prévoit 2 750 places en CAT, notamment pour accueillir les personnes protégées par l'amendement Creton. Il faut souligner l'effort prévu pour répondre aux besoins des populations autistes en 1995 et en 1996. Mais il faut déplorer, dans le même temps, que seules 213 places en MAS aient été retenues en 1995.
Par ailleurs, mes chers collègues, la décision du Gouvernement de ne pas abroger la circulaire qui empêche les travailleurs handicapés en atelier protégé ou en emploi protégé en milieu ordinaire de bénéficier d'une prise en charge complète en matière de formation professionnelle est critiquable.
De même sont critiquables les choix qui ne répondent pas aux aspirations fondamentales des personnes handicapées en quête d'autonomie, d'intégration, de responsabilités et de citoyenneté.
M. le Président de la République a déclaré, à l'occasion du vingtième anniversaire de la loi du 30 juin 1975 : « Les cinq millions de nos compatriotes qui sont en situation de handicap aspirent à une vraie intégration dans la cité ».
Nous sommes, pour le moment encore, loin des moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Il y a loin des paroles aux actes, même si, comme le reconnaît d'ailleurs le Gouvernement, le processus engagé depuis dix ans vise à optimiser les moyens en faveur des personnes handicapées.
S'il est indispensable que les personnes souffrant du syndrome autistique bénéficient des dispositions de la loi de 1975, il faut bien se rendre compte que ce n'est qu'un premier pas qui sera franchi.
Il faut admettre que les moyens en structures d'accueil et en AAH n'atteignaient pas un niveau optimal en 1996 pour les bénéficiaires actuels ; ils ne sauraient être suffisants quand s'ajouteront quelques dizaines de milliers d'autistes.
Rappelons aussi que les allocations n'ont pas été revalorisées au 1er juillet 1993. Elles n'ont été augmentées que de 2 p. 100 au 1er janvier 1994 et de 1,4 p. 100 au 1er janvier 1995. La modification des conditions d'attribution de l'AAH n'a pas été favorable aux allocataires.
L'effort à entreprendre dès maintenant est considérable. Il nous appartient de demander qu'il soit accompli.
Nous ne pourrions nous contenter de voter la proposition de loi, si, dans le même temps, nous n'exprimions pas notre crainte de voir augmenter les inégalités de traitement des personnes handicapées, et donc des autistes, d'un département français à l'autre. Tous doivent être égaux devant la loi républicaine. La meilleure solidarité, en la matière, est, pour moi, nationale. Il faut répondre à la demande d'un accès aux droits sociaux par la correction des inégalités territoriales quant aux critères d'accès à ces droits.
En conclusion, je voudrais réitérer les propos que j'ai tenus devant la commission des affaires sociales. Je rejoins volontiers les conclusions de M. le rapporteur, qui a abordé le sujet d'une manière optimale. Mais s'il est indispensable de faire bénéficier les autistes de la loi de 1975, il est tout aussi impératif que nous veillions à un accroissement important des moyens mis à la disposition des personnes handicapées, qu'il s'agisse des structures d'accueil, des ressources personnelles ou des chances de s'engager dans la voie de l'intégration à laquelle aspirent nos concitoyens handicapés.
La répartition des compétences issue de la décentralisation et les réformes menées par ailleurs dans le domaine hospitalier en faveur des personnes âgées ou des inadaptés sociaux nécessitent de consolider encore le cadre juridique des politiques mises en oeuvre pour les handicapés, y compris désormais pour les autistes.
La nation lutte contre les exclusions. Ce n'est pas l'assistanat qui « réhabilite » les exclus. Au contraire, il aggrave la disqualification sociale. Il faut rechercher tous les moyens permettant aux personnes dites handicapées de participer directement ou indirectement aux décisions qui les concernent.
C'est dans cet esprit qu'il fallait apporter les premières réponses législatives aux problèmes des autistes. Cette proposition de loi répond, selon nous, à cet objectif. C'est pourquoi nous approuvons ce texte s'il est amendé comme le souhaitent la commission des affaires sociales et le groupe socialiste, tout en regrettant que la solidarité nationale ne joue pas davantage en faveur des personnes handicapées. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Taugourdeau.
M. Martial Taugourdeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis de la discussion de cette proposition de loi qui nous permet de débattre de la situation de l'autisme en France.
Comme la plupart d'entre vous, je me suis entretenu avec les parents d'enfants autistes. J'ai été profondément ému par leur amour et par la force qu'ils en tirent pour faire face à cette épreuve si cruelle.
Notre rôle de législateur est de les aider dans cette lutte et de soutenir leurs efforts afin qu'ils ne soient pas vains.
De nombreux progrès sont déjà intervenus grâce à l'action de ces parents et des associations, telles que l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés, l'UNAPEI, qui accueillent des autistes dans leurs établissements.
M. Jean Chérioux. Par exemple, dans le XVe arrondissement.
M. Martial Taugourdeau En outre, la circulaire du 27 avril 1995 de Mme Simone Veil, alors ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville, a constitué une importante avancée en prévoyant la mise en place de comités techniques régionaux sur l'autisme chargés d'élaborer des plans régionaux sur cinq ans.
Cette mobilisation de tous est confrontée à l'ampleur encore mal connue de l'autisme. Ainsi, dans mon département qui compte 400 000 habitants, une étude épidémiologique menée en 1994 répertorie plus de 85 enfants âgés de 4 à 16 ans atteints d'autisme et estime que 239 adultes âgés de 20 à 59 ans nécessiteraient une prise en charge adaptée pour le même syndrome. Ces chiffres reflètent une situation réelle et non négligeable.
Tout le monde s'accorde pour constater le manque latent de structures de prise en charge adaptées à la population autiste en France. D'une part, le nombre de places en établissements est, de manière générale, insuffisant et, d'autre part, les structures traditionnelles sont trop souvent inadaptées et n'offrent pas toujours l'encadrement susceptible de favoriser l'épanouissement psychique.
Or l'hébergement en institution psychiatrique demeure pour beaucoup le seul recours. Il restera malheureusement nécessaire pour les autistes ayant une pathologie associée trop lourde.
Cependant, de nombreux parents refusent de plus en plus l'intervention du système psychiatrique dont on connaît les aspects positifs mais aussi les limites.
Ils choisissent alors de garder leur enfant chez eux, en dépit des difficultés que cela entraîne pour leur famille ou l'exercice de leur profession, et l'entourent de toute leur affection. Il faut rappeler, en outre, les obstacles qui se dressent devant eux lorsqu'ils tentent d'insérer leur enfant socialement et de lui offrir une éducation, et le désespoir auquel ils sont confrontés quand on leur refuse ce droit.
Les familles ont alors parfois recours à des établissements étrangers qui ont acquis dans plusieurs pays une plus grande expérience pluridisciplinaire de la prise en charge des autistes.
Cependant, ce placement a pour conséquence d'éloigner les autistes de leur famille et d'entraver les progrès qui pourraient être réalisés.
En dépit des efforts de certains, le constat reste donc médiocre. Aussi, au-delà de toute polémique sur la nature de l'autisme, le texte que nous examinons aujourd'hui tente de pallier les manquements graves de la situation actuelle.
Il propose, d'une part, la reconnaissance des conséquences du syndrome autistique comme handicap, ce qui permettrait notamment à chaque autiste de pouvoir bénéficier des prestations ouvertes aux handicapés et de rendre homogène, sur ce point, la jurisprudence des commissions départementales de l'éducation spécialisée et des COTOREP.
Il organise, d'autre part, une prise en charge mieux adaptée de ce handicap. Il s'agit, notamment, d'offrir aux enfants des structures éducatives, pédagogiques et thérapeutiques qui ne relèvent plus exclusivement de la pédopsychiatrie.
En outre, il devrait permettre de réserver un meilleur accueil aux adolescents et adultes autistes, pour lesquels les structures d'hébergement manquent cruellement et qui rencontrent de réelles difficultés de prise en charge de leur handicap.
En effet, actuellement, les enfants sont placés dans des structures hospitalières de pédopsychiatrie jusqu'à l'âge de seize ans. Si pour la moitié d'entre eux, ces enfants connaissent une amélioration significative de leur état qui leur permet de vivre au sein de leur famille avec un accompagnement thérapeutique adapté, l'autre moitié continue d'avoir besoin d'une structure d'accueil spécifique.
Or les départements ne prennent en charge les autistes qu'à partir de dix-huit ans, à l'âge adulte. Qu'en est-il des adolescents de seize à dix-huit ans, qui auraient besoin d'un encadrement éducatif et thérapeutique spécialisé et qui n'ont d'autre choix que l'hôpital psychiatrique ? Cette solution de continuité doit disparaître. En effet, faute d'un soutien médico-psychologique même pendant quelques semaines, les acquis de plusieurs mois sont perdus.
De même, après vingt ans, on a constaté que les chances d'amélioration des personnes autistes sont très réduites. Le placement en hôpital psychiatrique ou l'hébergement en maison d'accueil spécialisée, qui sont, à l'heure actuelle, les deux branches de l'alternative, ne sont ni l'un ni l'autre une solution totalement satisfaisante. Ils sont tout particulièrement inadaptés en ce qui concerne les personnes ne souffrant pas d'un syndrome autistique trop accentué, ni de troubles associés trop importants.
Ce texte devrait donc permettre la création d'établissements spécialisés susceptibles d'offrir des prestations pluridisciplinaires prenant en compte l'ensemble des besoins spécifiques des personnes atteintes.
Il est vrai que cela imposera une nouvelle charge aux départements. M. le président de l'Assemblée permanente des présidents de conseils généraux a attiré votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur ce nouveau transfert, mais les départements ont accueilli, depuis la décentralisation, de nombreux adultes handicapés dans les foyers de vie, médicalisés ou non, provenant d'hôpitaux psychiatriques. Leur invalidité était définitive, et leur place n'était donc plus, pour la plupart, en milieu sanitaire.
Il convient donc que ces établissements pour autistes soient médicalisés, c'est-à-dire que le prix de journée au titre de l'hébergement soit pris en charge par le département, le prix de journée correspondant aux soins médicaux et paramédicaux l'étant par l'Etat.
Il s'agit là d'un problème grave et urgent que nous devons résoudre aujourd'hui afin d'éviter les conséquences parfois terriblement néfastes que peuvent avoir les placements dans des structures inadaptées.
Ce texte est donc essentiel pour les autistes et leurs familles. Son adoption suscite un énorme espoir chez toutes ces personnes, et nous devons être vigilants afin d'éviter qu'il ne soit déçu. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour la République votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et des Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais déclarer en préambule, après les orateurs qui m'ont précédée à cette tribune, que, face au problème de l'autisme, il nous faut faire preuve d'humilité.
L'humilité s'impose avant toute chose devant ceux qui en souffrent. Car il s'agit toujours d'un drame humain quotidien pour les enfants, les adolescents, puis les adultes atteints de ce syndrome.
Mais c'est aussi le drame de ces familles pour lesquelles le quotidien rime toujours avec souffrance.
L'humilité s'impose encore devant la complexité du problème scientifique. La genèse du syndrome de l'autisme est encore inconnue. S'agit-il d'une psychose infantile ou d'un trouble du développement ? Faut-il parler de l'autisme ou des autismes ?
Notre mission, en tant que parlementaires, ne peut être de décider de la vérité scientifique ou de nous poser en arbitres de querelles d'école. Toute autre position risquerait de relancer de véritables « guerres de religion » entre spécialistes : est-ce une maladie ou est-ce un handicap ? Le débat semble, au demeurant, quelque peu surréaliste lorsqu'on le ramène à l'échelle du vécu quotidien. La situation des personnes autistes est suffisamment grave pour qu'il ne soit pas besoin de créer de nouvelles difficultés.
Selon les normes actuelles, le taux de prévalence serait de 4 à 10 enfants autistes pour 10 000 naissances. Dans l'hypothèse la plus basse, le nombre d'autistes de moins de vingt ans serait alors d'environ 7 300.
Pourtant, l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, a recensé 2 000 places affectées à des autistes dans les institutions psychiatriques et environ 2 200 en institution pour handicapés. Selon ses calculs « plus de 3 000 enfants et adolescents autistes ne bénéficieraient pas d'une véritable prise en charge. »
La situation est donc dramatique pour ces jeunes, et pour leurs familles. Elle l'est encore plus pour les adultes. Les études montrent en effet qu'une minorité seulement des syndromes autistiques a été diagnostiquée chez ces derniers, sans doute en raison de l'ignorance que l'on avait de cette maladie. De sorte que, au total, l'IGAS reconnaît que, sur environ 30 000 adultes autistes recensés en France, 2 000 seulement bénéficient d'une prise en charge adaptée. Pour la majeure partie d'entre eux, ils sont accueillis de façon non spécifique dans les services de psychiatrie générale, qui reconnaissent eux-mêmes ne plus être adaptés à cette situation, ou reste à la charge de leurs parents.
Les études montrent combien les insuffisances de leur prise en charge hypothèquent l'avenir des autistes. Au caractère souvent tardif du diagnostic, on doit ajouter une prise en charge défaillante, notamment dans sa composante éducative et pédagogique, le manque criant de structures et de personnels spécialisés ainsi que les carences dans l'hébergement, la formation professionnelle et l'insertion tant scolaire, sociale que professionnelle.
Il aura fallu la circulaire Veil du 27 avril 1995 pour que, sous la pression des parents, on commence à prendre à bras le corps le problème des autistes.
La proposition de loi issue des deux propositions de M. Jean-François Chossy et de M. Laurent Fabius, est, elle aussi, portée par l'inquiétude des parents sur la poursuite du plan mis en place par Madame Veil.
Pour une part, le texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale, à l'unanimité de tous les groupes - c'est à noter - représente, selon nous, une avancée en faveur de la prise en charge multidisciplinaire des autistes et répond aux souhaits exprimés par les parents d'enfants autistes.
Ainsi, notamment, il étend aux personnes autistes, qui en étaient souvent écartées, le bénéfice de la loi de 1975 sur les personnes handicapées.
En effet, nombreux sont les exemples d'enfants autistes qui, bien que les parents souhaitent une orientation vers une prise en charge éducative, sont confiés néanmoins par les CDES au seul secteur sanitaire.
En outre, il évite les querelles scientifiques, dont les familles et les enfants sont trop souvent les otages, puisque le texte ne tranche pas sur la question du handicap. Le handicap dont il est question, ce n'est pas l'autisme en lui-même, c'est le résultat du syndrome. Ce point de vue n'écarte pas la psychiatrie, puisque la priorité thérapeutique est affirmée à côté des priorités éducative et pédagogique.
Pour autant, nous pensons, sans sous-estimer les progrès qu'il peut apporter, que sa portée reste insuffisante.
Les amendements que propose le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Machet, ne remettent certes pas fondamentalement en cause la proposition de loi, mais ils introduisent des verrous qui risquent malheureusement d'en limiter la portée.
J'approuve toutefois qu'il soit demandé au Gouvernement de rendre compte de son action en faveur des personnes autistes avant le 31 décembre 1999. Le Gouvernement doit, en effet, être placé devant ses responsabilités.
Cependant, il est tout de même inquiétant que la commission des affaires sociales, ait éliminé la référence au plan d'action régional, figurant pourtant dans la circulaire du 27 avril 1995.
Opérationnels assez vite dans les régions, les plans d'action régionaux ont déjà prouvé une certaine efficacité. Il est vrai qu'ils ont été dotés de moyens financiers, 100 millions de francs pour l'année 1996. Ils ont ainsi permis la création d'un peu plus de 600 places ; mais on est encore loin du compte.
Qu'en sera-t-il demain ?
Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le secrétaire d'Etat, la poursuite de cet engagement financier dans le cadre de ce plan pluriannel ?
Par ailleurs, je crains également que les autres amendements que nous propose le rapporteur ne remettent en cause, finalement, la prise en charge multidisciplinaire.
Celle-ci serait ainsi à la fois « adaptée à l'état » et pourrait être notamment, et non plus simultanément, d'ordre thérapeutique, pédagogique éducative et sociale, comme nous le propose, en fait, M. le rapporteur.
Cette nouvelle rédaction risque, à mon sens, de limiter l'aspect réellement multidisciplinaire de la prise en charge de l'autisme.
On pourrait, par exemple, exclure d'une réelle éducation les personnes autistes les plus gravement atteintes, alors que, même dans ces cas difficiles, une éducation visant à faire acquérir une certaine autonomie est importante pour elles.
En revanche, certains autistes légers, qui peuvent être capables de mener une scolarité quasi normale, pourraient fort bien être dispensés de soins, ou, du moins, pourraient les négliger.
Comme l'estiment la plupart des associations de parents, avec les amendements de la commission des affaires sociales : « Les efforts de prise en compte globale de toutes les personnes autistes par une approche multidisciplinaire à évidence simultanée sont mis en péril par cette rédaction. »
De plus, en proposant une prise en charge « eu égard aux moyens disponibles », le texte réduit les moyens qui pourront être obtenus pour la création ou l'amélioration des structures existantes et, pour le moins, risque d'aboutir au statu quo en ce qui concerne le développement des structures de prise en charge. De même, il peut se révéler un frein important venant gâcher tous les efforts menés depuis deux ans en faveur des personnes autistes.
Je crains que la formulation de notre rapporteur ne vise, en fait, qu'à couler le dispositif dans le moule de la politique du Gouvernement, qui cherche, au nom de la réduction des déficits publics, à limiter les dépenses de santé par le rationnement des soins, la remise en cause de certaines prestations et l'étranglement des structures médico-sociales.
Notre groupe a déposé plusieurs amendements et sous-amendements afin de corriger certaines insuffisances du texte.
Nous proposerons de substituer à la formule suivant laquelle la prise en charge « peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social » - ce qui permet, en fait, de négliger l'un ou l'autre de ces aspects - une rédaction qui permettra que cette prise en charge puisse être, dans tous les cas, réellement multidisciplinaire.
Nous proposerons également la suppression de la subordination de la prise en charge « eu égard aux moyens disponibles ».
Nous pensons qu'il faut, à partir de ce texte, faire plus pour l'autisme. Les rapports élaborés par les administrations concernées ainsi que de nombreuses propositions du monde associatif nous permettraient d'esquisser une politique ambitieuse.
Combler le déficit énorme en établissements spécialisés pour les jeunes autistes exige des moyens supplémentaires.
Sans que les jeunes autistes soient exclus du dispositif de santé auquel ils peuvent prétendre, l'approche éducative semble souvent non seulement leur apporter une aide considérable mais, surtout, constituer un facteur important d'intégration.
Nous déplorons, à ce propos, que l'éducation nationale ne fasse pas plus d'efforts pour développer des expériences de classes intégrées en milieu scolaire, notamment dans les écoles maternelles et primaires.
C'est regrettable, car il semble, c'est ce que note le rapport de l'ANDEM, que des progrès considérables aient pu être obtenus par ces structures.
L'intégration scolaire des enfants autistes exige aussi des moyens supplémentaires pour qu'ils soient pris en charge dans de bonnes conditions et sans accroître les difficultés que connaissent déjà actuellement les enseignants et les élèves. Je me permets de rappeler, à ce sujet, que M. Bayrou, ministre chargé de l'éducation nationale, avait promis d'intégrer trois ou quatre enfants handicapés par classe.
En ce qui concerne le domaine de l'insertion sociale et professionnelle, on ne peut que déplorer que sur 27 000 autistes au moins, seuls 150 soient correctement pris en charge dans des structures adaptées, comme les foyers occupationnels. Pourtant, ils ont besoin d'avoir des repères et d'être guidés dans leurs gestes et leurs actions.
De même, l'insuffisance des places en CAT est criante. Je rappelle que dans ma région, le Nord - Pas-de-Calais, le délai d'attente est de neuf ans, toute une partie de la jeunesse !
Nous pensons que le droit au travail est un droit inaliénable, en particulier pour ceux qui souffrent des handicaps dus à l'autisme, que ce soit ou non en milieu protégé et selon les capacités de chacun.
Accéder à un emploi protégé dans le milieu ordinaire du travail, n'est-ce pas le moyen le plus sûr pour acquérir une véritable citoyenneté et pour ne pas rester à la charge de la société sa vie durant ?
La circulaire du 27 avril 1995 préconise un hébergement qui soit un « vrai domicile » et « un cadre sans lequel toute action d'insertion sociale risque d'être vouée à l'échec ».
Créé en septembre 1995, un seul établissement à Paris offre aux autistes des activités de jour, un CAT et un centre d'insertion.
Dans leur détresse, les familles connaissent un véritable parcours du combattant : interminables listes d'attente pour les places disponibles, démarches compliquées et longues, enfin, angoisse de l'avenir pour savoir ce que deviendra l'enfant après le décès de ses parents.
Les mesures qui seraient nécessaires demandent des moyens. Cependant, à terme, une meilleure réponse aux problèmes spécifiques des autistes est porteuse d'économies importantes.
A l'heure actuelle, les moyens financiers engagés ne sont pas, selon nous, à la hauteur des besoins exprimés et des demandes non satisfaites.
Alors que les familles sont souvent démunies et désemparées pour assumer une mission parentale extrêmement difficile, nous voyons bien que l'actuelle politique gouvernementale qui rationne les soins, réduit les dépenses de santé et supprime des lits dans les hôpitaux risque d'aggraver les difficultés.
Je voudrais également vous faire part de mon inquiétude sur le financement de l'action en faveur des handicapés dans le cadre de la réforme de l'Etat.
En effet, dans les premiers documents de travail, on peut lire qu'il « conviendrait de transférer au département de nouvelles responsabilités concernant les handicapés, notamment pour le cadre de vie et les aides de proximité ».
Alors que les conseils généraux rencontrent des difficultés financières importantes, un tel transfert de charge risque de se faire, encore une fois, au dépend de la prise en charge des handicapés.
Je souhaiterais que vous m'apportiez des précisions sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, car il serait vain de légiférer alors que le Gouvernement s'apprêterait à organiser le transfert de cette compétence qui, pourtant, ne peut relever que de la solidarité nationale.
En conclusion, je souhaite que cette proposition de loi ne soit qu'une étape vers une prise en charge plus ambitieuse de l'autisme, qui redonne espoir à tous ceux qui en souffrent. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tous ici, autant que nous sommes, avons le point commun d'être réunis parce que nous sentons au fond de notre coeur, j'allais dire de nos tripes, la nécessité de reconnaître nos frères handicapés qui souffrent du syndrome autistique, de leur venir en aide et de les prendre en charge. En entendant les différents intervenants, j'ai été frappé, au-delà des divergences de conviction, par la profonde unité d'inspiration sur ce sujet important, délicat et qui doit retenir toute notre attention.
Je voudrais tout d'abord remercier, une fois de plus, le rapporteur, M. Machet, de la hauteur de vue de son propos et de ses rappels forts utiles qui ont éclairé la Haute Assemblée sur les origines du trouble autistique, sur les étapes et les développements des prises en charge qui ont été décidées jusqu'alors et sur le cadre dans lequel s'inscrit la présente proposition de loi.
Je voudrais, comme lui, rendre une fois de plus hommage à Mme Simone Veil, qui a fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait. Sans doute était-ce un peu tard puisque cette action était demandée depuis de nombreuses années par toutes celles et tous ceux qui étaient concernés par le syndrome autistique. Toutefois, je voudrais rendre hommage à la ténacité et au courage dont elle a fait preuve pour que soient prises cette circulaire et les décisions qui ont, en quelque sorte, précédé la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
S'agissant de l'avenir des directions régionales des affaires sanitaires et sociales, les DRASS, je formulerai une remarque, monsieur le rapporteur. Vous avez évoqué leur suppression en faveur de la création des agences régionales de l'hospitalisation. Je veux être clair sur ce point : il n'a jamais été et il ne sera jamais question de supprimer les DRASS.
Pourquoi avons-nous créé des agences régionales de financement de l'hospitalisation publique et privée ? Tout simplement parce que, jusqu'à présent, l'hôpital public relevait de l'Etat et l'hospitalisation privée de la caisse régionale d'assurance maladie. Chacun s'accordait sur le fait que, s'agissant de l'hospitalisation, qu'elle soit publique ou privée, il importait d'instaurer une unité de décision et de commandement, si j'ose dire.
Par conséquent, il ne s'agit absolument pas de supprimer les DRASS, car elles constituent un maillon essentiel de nos services extérieurs. Au moment où, notamment dans le cadre de la réforme institutionnelle de notre protection sociale, nous allons disposer des moyens et des structures pour mettre en oeuvre une politique dynamique et systématique de santé publique, les DRASS auront bien évidemment un rôle essentiel à jouer dans le cadre de ce renforcement de notre politique de santé publique.
Actuellement, des concertations ont lieu au sein du ministère du travail et des affaires sociales, sous l'égide de M. Pierre Gauthier, directeur de l'action sociale, et, dans les mois ou les semaines à venir, la représentation nationale sera informée des orientations vers lesquelles nous nous dirigeons en matière de réorganisation et de renforcement de nos services extérieurs, ainsi que de réforme et de renforcement de notre administration centrale.
Telle est la précision que je souhaitais vous apporter sur ce point, monsieur le rapporteur. Je le dis de nouveau, avec la plus grande netteté, il n'est pas question de supprimer les DRASS.
M. le rapporteur, Mmes Dusseau et Dieulangard ainsi que plusieurs autres intervenants ont évoqué la question de l'enveloppe pour 1997, la pérennité des 100 millions de francs et les moyens affectés à la prise en charge de l'autisme.
Les moyens seront ceux que nous déciderons - quand je dis « nous », cela englobe à la fois le Parlement et le Gouvernement - d'abord dans le cadre de la procédure budgétaire normale, ensuite dans celui de la nouvelle loi de financement de la protection sociale.
En effet, il ne vous a pas échappé que les 100 millions de francs en question sont financés par le budget de l'assurance maladie. Il ne vous a pas échappé non plus que le contexte institutionnel dans lequel nous allons désormais nous situer à compter de l'automne, avec cette loi de financement de la protection sociale, permettra de marquer la traduction budgétaire et financière de notre volonté politique d'une prise en charge plus adaptée du syndrome autistique.
M. Poirieux s'est exprimé avec la hauteur de vue que les Rhône-Alpins lui connaissent dans le cadre de ses fonctions exécutives au conseil régional. Je voudrais le remercier de son approche très impressionnante par ses aspects à la fois concrets mais aussi très philosophiques. C'est bien évidemment dans le cadre de cette approche humaine, globale et pluridisciplinaire que nous devons nous situer.
M. Jean-Louis Lorrain et Mme Dieulangard se sont posé une question : pourquoi légiférons-nous et comment le faisons-nous ? Le législateur doit-il prendre position sur tel ou tel terme de la prise en charge ? Bien évidemment, non. Si nous sommes là pour légiférer, c'est pour reconnaître le syndrome autistique, pour permettre sa prise en charge, puisque beaucoup d'entre vous ont rappelé quels étaient le parcours du combattant et les souffrances des familles jusqu'à une date très récente ; mais sur les aspects purement médicaux et scientifiques, ce n'est évidemment le rôle ni du législateur ni du Gouvernement de prendre parti sur cette question difficile, disputée, qui suscite beaucoup d'émotion et de trouble.
Dans ce secteur-là, comme dans d'autres, il faut permettre le libre choix de la prise en charge.
Je voudrais remercier également M. Taugourdeau de ses propos, qui émanaient d'un homme particulièrement impliqué dans ces questions, notamment dans le cadre de son activité départementale. Je lui suis gré d'avoir bien voulu évoquer, comme l'ont fait M. Lorrain et Mme Demessine, les problèmes liés à la coordination et à la prise en charge par l'éducation nationale.
Il est bien évident que la politique en faveur du handicap ne relève pas du seul ministère des affaires sociales et que la démarche éducative et la prise en charge des enfants handicapés dans les structures dépendant de l'éducation nationale sont capitales.
Sur ce point, les ministres concernés, MM. Bayrou, Barrot et moi-même allons continuer à travailler et à accroître les synergies entre les deux approches, car chacun sait bien la nécessité d'avoir une meilleure prise en compte dans tous les domaines, notamment dans l'éducation nationale, de l'enseignement adapté.
MM. Metzinger et Taugourdeau ainsi que Mme Demessine ont bien voulu évoquer la question de la répartition des compétences sous l'angle de l'inégalité de prise en charge entre les départements et de ce qu'on appelle communément les transferts de charges. De ce point de vue, je ferai plusieurs observations.
En étroite liaison avec mon collègue M. Perben, nous allons devoir, dans les semaines ou les mois à venir, réfléchir non pas à une nouvelle répartition - ce serait sans doute un peu ambitieux - mais à la clarification des compétences. Notamment dans le domaine social - et celui qui vous parle est également conseiller général et président de la commission sociale de son département - il est clair que nous devrons, par la concertation la plus large possible, aboutir à une clarification des compétences entre l'Etat et les départements.
C'est notamment le cas s'agissant des handicapés. En effet, pour simplifier, on peut dire que, durant la journée, ils dépendent de l'Etat - d'un ministère ou de l'autre, selon les établissements - et que, après dix-huit heures, ils relèvent du département. On sent bien que se pose de ce point de vue un problème qu'il convient de régler. En effet, alors que d'aucuns préconisent une « consolidation » des compétences des départements, s'agissant des handicapés, d'autres, comme de nombreuses associations de personnes handicapées notamment, estiment que cette question relève de la responsabilité de l'Etat. Un grand débat doit donc être engagé à cet égard, et nous aurons à répondre dans les prochains mois à cette question qui se pose au quotidien, comme les gestionnaires des collectivités locales, les responsables d'associations et les parents le savent bien.
J'en profite pour vous dire, madame Demessine, puisque vous avez évoqué la réforme de l'Etat, qu'il n'y a pas de transfert ou de répartition nouvelle des compétences sans loi. Il n'est donc pas question pour le Gouvernement de prendre une décision à cet égard au détour d'un texte ou d'une déclaration.
Si certains écrits peuvent exister - je ne vois notamment pas à quel document vous faites allusion - je n'ai cependant jamais entendu jusqu'à présent M. le Premier ministre ou aucun membre du Gouvernement s'exprimer sur le sujet que vous avez évoqué. Je crois néanmoins que la question institutionnelle doit être posée pour l'ensemble de la politique en faveur des handicapés.
Telles sont les réponses que je voulais apporter aux orateurs qui se sont exprimés au cours de cette discussion générale.
Enfin, sans chercher à polémiquer - ce n'est en effet pas mon style ! - je rappellerai à M. Metzinger que les deux grandes lois élaborées et votées en faveur des handicapés l'ont été toutes deux alors que M. Jacques Chirac était Premier ministre : en 1975 et en 1987.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. M. le Président de la République a prononcé un important discours àBort-les-Orgues le 1er juillet 1995, pour le vingtième anniversaire de la loi de 1975. A cette occasion, il a ouvert la voie de la relance et de la consolidation de la politique en faveur des personnes handicapées.
Voilà un mois, M. Barrot et moi-même avons réuni le conseil consultatif des personnes handicapées, présidé par Mme Roselyne Bachelot-Narquin, député du Maine-et-Loire. A cette occasion, nous avons annoncé aux associations de handicapés et de parents d'enfants handicapés, aux organismes de l'assurance maladie et à l'ensemble des responsables membres de ce conseil consultatif que nous allions engager, avant l'été, un travail de fond avec l'ensemble des partenaires du monde handicapé sur tous les problèmes qui se posent, afin d'adopter une démarche globale et, en conséquence, de prendre les décisions nécessaires dans les meilleurs délais.
Nous avons donc un gros travail à accomplir tous ensemble à propos tant de l'autisme que des autres formes de handicap. Je tiens à souligner ici que, sur ces sujets qui nous concernent tous, à la fois dans notre chair, dans notre âme et dans nos responsabilités de législateurs ou de gouvernants, il nous faut, par-delà nos différences, agir de concert. En effet, nous devons avoir toujours pour obsession d'aider nos frères et soeurs handicapés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jacques Machet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Machet, rapporteur. Je tiens à remercier M. le secrétaire d'Etat d'avoir apporté des précisions à propos des DRASS.
En effet, mon souci était simplement d'indiquer que les agences régionales de l'hospitalisation ne se substituent aux DRASS qu'en tant qu'elles sont désormais en charge de la politique régionale des établissements de santé.
Comment ne pas souligner, à cet égard, le rôle irremplaçable des DDASS et des DRASS dans la mise en oeuvre de notre politique sanitaire et sociale ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, avant de passer à la discussion des articles, je vous propose d'interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)