SNCF

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la SNCF.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'Etat aux transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici aujourd'hui devant le Sénat, dont l'intérêt pour les questions de transport est bien connu. J'ai personnellement le souvenir du débat qui avait été organisé devant votre assemblée à l'automne 1993. C'est donc au Sénat que reviendra le privilège de conclure la grande réflexion sur le transport ferroviaire que le Gouvernement avait voulue en préalable à l'élaboration d'une véritable solution de redressement pour la SNCF.
A vrai dire, c'est en bonne partie le Sénat qui avait depuis plusieurs années, à l'initiative notamment de MM. Haenel et Belot, engagé ce débat. Quand je dis « conclure », il s'agit de la conclusion d'une étape essentielle certes, mais d'une étape seulement, car l'avenir du transport ferroviaire et de la SNCF est devant elle et devant nous.
Compte tenu de la place éminente du chemin de fer dans la politique des transports, compte tenu de l'attachement de tous les Français à la SNCF, compte tenu aussi de l'ampleur des enjeux financiers et budgétaires en cause, certaines options à prendre revêtent en effet le caractère de véritables choix de société.
Nous sommes donc, comme nous l'avons été pendant toute la phase de préparation de la réforme, à l'écoute, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos analyses et de vos propositions. Il appartiendra à Bernard Pons de vous présenter dans quelques minutes les grandes lignes de la solution française originale que nous avons bâtie ensemble pour assurer l'avenir du transport ferroviaire.
Pour ma part, je souhaiterais revenir sur les principales conclusions du débat qui vient d'avoir lieu et rappeler à cette occasion le principales données du problème que nous avons à résoudre ensemble.
Je voudrais, en premier lieu, vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir souligné la nécessité qu'il y avait à ouvrir ce débat. Les parlementaires qui se sont penchés sur la situation de la SNCF - MM. Haenel et Belot, plus récemment M. About - avaient en effet souligné l'importance d'une telle réflexion nationale.
Pendant de trop nombreuses années, les Français et, dans une large mesure, les cheminots avaient été tenus dans l'ignorance de la réalité des causes et de la gravité de la situation qui met aujourd'hui, vous le savez bien, nous le savons tous, la SNCF en grand danger.
Pendant de trop nombreuses années, on avait préféré la fuite en avant dans l'endettement et les déficits au courage des adaptations nécessaires ; on avait préféré le non-dit à la lucidité et à la concertation, qui sont l'une et l'autre absolument indispensables pour mener à bien les réformes. On avait préféré le risque de l'enlisement à la préparation constructive du XXIe siècle.
C'est pour rompre avec cette forme d'abandon de la SNCF à elle-même, et des cheminots à eux-mêmes, alors que cette entreprise appartient à la nation tout entière, qu'il fallait ouvrir une large confrontation des idées. Il fallait une prise de conscience collective pour traiter ce problème trop longtemps différé.
C'est dans cet esprit que nous avons lancé un débat, sans tabou, ni préjugé. Nous l'avons aussi voulu ouvert à tous et déconcentré sur l'ensemble du territoire.
Vous avez été informés, mesdames, messieurs les sénateurs, de chacune des étapes de ce débat initié au début de cette année. Je les rappellerai brièvement. Nous avons tout d'abord demandé un rapport introductif à un groupe d'experts présidé par M. Claude Martinand. Puis le débat s'est déroulé au cours des mois de mars et avril au sein des conseils régionaux - beaucoup d'entre vous y ont personnellement participé - et des conseils économiques et sociaux régionaux. Ces contributions ont alimenté les travaux du Conseil économique et social et du conseil national des transports. Je tiens à saluer la qualité de l'ensemble de ces réflexions extrêmement ouvertes et constructives.
Il était très important, en effet, que de tels échanges permettent une prise de conscience collective et une diffusion d'un sujet trop souvent confiné jusqu'alors aux seuls milieux spécialisés. Il en résulte une maturation des esprits, de tous les esprits, sans laquelle la solution que nous vous proposons n'aurait sans doute été ni convenable ni acceptable. Il y a dans cette démarche, me semble-t-il, une sorte d'exemplarité dont nous pourrions peut-être nous inspirer pour mener dans d'autres domaines la nécessaire réforme de l'Etat et du secteur public.
L'ampleur de la crise, dont le traitement a été trop longtemps différé, apparaît dans les chiffres. Vous les connaissez, je ne rappellerai que les principaux. Les recettes commerciales de la SNCF de l'exercice 1995 s'élève à 40 milliards de francs, soit moins, malheureusement, que le montant des charges salariales, ainsi que le rappelle souvent le président M. Loïk Le Floch-Prigent. Les concours publics ou parapublics sont de l'ordre de 50 milliards de francs, dont 18,5 milliards de francs, il est vrai, au titre des charges de retraite. Le déficit s'élève à 16,6 milliards de francs tandis que l'endettement accumulé au 31 décembre 1995 atteint près de 200 milliards de francs.
Ces enjeux financiers et budgétaires, qui frappent par leur importance - ils rappellent des ordres de grandeur que l'on connaît dans d'autres domaines - il convient de les garder à l'esprit. L'ampleur des sommes en jeu appelle, de la part de tous, un esprit de responsabilité et une grande vigilance. Il conviendra bien sûr de payer le prix du passé, mais il faudra surtout s'inscrire dans une perspective d'avenir en veillant à ce que chaque franc dépensé soit le meilleur investissement de l'argent public dans le transport ferroviaire. Il faudra, là comme ailleurs, savoir faire des choix responsables. Ces choix devront être éclairés par des débats préalables, concertés, expliqués, partagés dans toute la mesure du possible. C'est une exigence moderne de démocratie et d'efficacité.
Je voudrais souligner que la crise du transport ferroviaire n'est pas propre à la France. A la vérité, tous les pays européens y sont confrontés. La France est même, contrairement à certaines idées reçues, le pays d'Europe où le transport ferroviaire garde encore en pourcentage du trafic la place la plus importante par rapport aux autres modes. Bien entendu, nous nous en réjouissons.
Nous convenons tous, je le crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que la politique des transports doit être résolument conçue dans un cadre intermodal. C'est bien une approche intermodale, sous l'angle du service rendu aux usagers, voyageurs ou chargeurs de fret, que nous avons retenue pour l'élaboration des schémas d'infrastructure de transports prévus par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire. Ces schémas feront l'objet de discussions auxquelles vous serez associés.
Les transports sont d'abord au service du développement économique et social. Ce sont les évolutions des modes de vie et des techniques qui ont bouleversé le monde des transports, qu'il s'agisse de la généralisation de la voiture individuelle, des programmes routiers et autoroutiers mis en oeuvre avec l'appui des élus et des populations pour disposer d'une bonne desserte du territoire, ou qu'il s'agisse du développement plus récent de l'avion, qui s'est affirmé comme un mode de transport ordinaire sur des destinations intérieures.
Face à ces bouleversements, le chemin de fer est trop largement resté en Europe, et pas seulement chez nous, sur un schéma d'organisation mis en place à l'époque où il représentait le mode de transport dominant, supposé universel, exploité trop souvent dans une logique d'offre, c'est-à-dire dans laquelle les services sont définis davantage sur la base de considérations techniques unilatérales de la part de l'entreprise qu'en fonction des besoins de la clientèle.
Certes, le chemin de fer européen, et la SNCF en particulier avec le TGV, a su s'adapter aux évolutions techniques, mais insuffisamment car il s'est trop souvent réfugié dans une attitude défensive à l'égard des autres modes de transport, en particulier à l'égard de la route qui est devenue, il faut bien le constater, le mode de transport dominant.
Je suis convaincue, pour ma part, qu'il eût mieux valu que le chemin de fer s'engage dans une coopération avec la route, en jouant de leur complémentarité et de l'intermodalité.
Certes, on peut considérer avec quelque raison que la structure des coûts des différents modes de transport ne reflète pas assez les atouts du chemin de fer en matière d'environnement, je suis tout à fait prête à en convenir, les discussions européennes les plus récentes - encore celles qui ont été engagées la semaine dernière - montrant la nécessité d'approfondir les travaux d'experts sur cette question. Quoi qu'il en soit, cet argument de l'environnement a trop souvent servi dans le passé d'alibi. Les observateurs les plus objectifs savent en effet que le facteur déterminant de la concurrence entre les modes de transport porte au moins autant sur le service rendu que sur le prix. Il faut, bien sûr, comprendre ici le mot service au sens large : rapidité, ponctualité, correspondances et confort. C'est tout l'enjeu de la réorientation au service des clients que le président Le Floch-Prigent a engagée avec les premiers effets immédiats et concrets qu'il vient très heureusement d'annoncer.
Pour autant, le chemin de fer n'est évidemment pas, s'il sait s'adapter, un mode de transport dépassé. Il peut être plus que jamais un mode de transport tout à fait moderne. Le débat national a permis de souligner ses atouts, qui le rendent capable de satisfaire les besoins des usagers et de ses clients, ce qui est bien le premier enjeu, tout en apportant des avantages collectifs en matière d'environnement, de sécurité, de service public et d'aménagement du territoire.
Le chemin de fer se révèle particulièrement performant sur de nombreux créneaux, notamment de transport de masse. Tel est le cas des liaisons de voyageurs sur grandes distances avec les TGV, des déplacements urbains et périurbains où les usagers attendent, nous le savons bien, énormément du chemin de fer - c'est l'un des enjeux de la réforme des transports régionaux - ainsi que du transport de fret sur grande distance, avec notamment le transport combiné, en particulier dans un pays de transit comme le nôtre.
A cet égard, il est clair que l'ouverture des frontières européennes, comme l'affirme à juste titre M. About dans son récent rapport, constitue bien une chance pour le chemin de fer, car elle va lui ouvrir des champs d'expansion considérables, en particulier pour le fret, en lui permettant d'accéder à des marchés où ses atouts trouvent bien à s'exprimer. La SNCF rénovée pourra, j'en suis persuadée, s'y déployer avec les meilleures chances de succès.
Enfin, je souhaiterais évoquer un dernier enjeu, celui de la modernité du service public, auquel je sais votre assemblée particulièrement attentive. Il faut bien reconnaître que cette question est souvent à l'origine d'incompréhensions. Pour ma part, je voudrais être très claire et souligner que le Gouvernement se réfère au seul principe de l'article 1er de loi d'orientation sur le transport intérieur, la LOTI : le service public de transport, c'est « la satisfaction des besoins de l'usager dans les conditions économiques et sociales les plus avantageuses pour la collectivité ».
Cette définition atteste bien que le service public c'est d'abord, avant tout et essentiellement le service du public.
Deux constats découlent des principes posés par la LOTI : le service public n'est pas lié à un mode de transport ou, si vous préférez, aucun mode de transport n'est un service public en soi ; par ailleurs, il appartient à des autorités responsables devant les électeurs et les contribuables de définir les missions de service public - et non aux opérateurs eux-mêmes - dans le respect, bien sûr, des principes traditionnels fondateurs du service public tels que les a rappelés récemment le vice-président du Conseil d'Etat : égalité d'accès et de traitement des usagers, continuité, adaptabilité.
Le débat national qui s'est engagé sur ces bases a permis de bien faire ressortir quatre grandes conclusions, qui ont inspiré la solution que M. Bernard Pons et moi-même avons élaborée.
Première conclusion : il faut clarifier les responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF, tout particulièrement quant à l'infrastructure.
Deuxième conclusion : un effort financier très important doit être engagé afin de désendetter la SNCF et de la responsabiliser en créant les conditions d'une mobilisation effective des cheminots autour d'un objectif, devenu enfin crédible, de redressement.
Troisième conclusion : si désendetter la SNCF est indispensable, cela ne suffira pas à résoudre tous les problèmes. En effet, sans changements internes s'appuyant, d'une part - je l'ai déjà dit - sur une priorité accordée au client et au service et, d'autre part, sur une véritable maîtrise des coûts, aucun redressement durable ne sera possible. Des performances nouvelles et mesurables devront être atteintes : les contribuables et les clients, les usagers, doivent « en avoir pour leur argent », et la mesure des progrès doit être transparente.
Quatrième conclusion : il faut franchir une étape nouvelle de la régionalisation des services régionaux de voyageurs. Il s'agit là d'un facteur clé de modernisation tant pour la SNCF que pour ses clients et pour le service public. Je sais à cet égard la part que le Sénat, en particulier M. Haenel et M. Belot, ont prise dans la maturation de cette réforme, et je veux les saluer.
Je me réjouis très sincèrement que le long processus que M. Haenel a animé avec passion et compétence puisse devenir réalité, sur les bases mêmes qu'il avait proposées et que, s'il veut bien s'en souvenir, nous avions longuement travaillées ensemble.
Cette nouvelle étape dans un processus de coopération déjà ancien et fructueux entre la SNCF et les régions est un enjeu tout à fait important de la réforme que nous vous proposons.
C'est à partir de ces quatre conclusions issues du débat national, dans le prolongement, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos propres idées que nous avons, M. Bernard Pons et moi-même, proposé à M. le Premier ministre d'adopter un projet de solution française originale et novatrice, ambitieuse pour la SNCF.
Cette réforme repose, vous le savez, sur deux piliers : d'une part, les infrastructures et, d'autre part, la régionalisation. M. Bernard Pons vous en parlera mieux que je ne saurais le faire.
Nous savons bien que le redressement de la SNCF sera long et coûteux et que la rénovation interne est particulièrement indispensable.
Avec l'ensemble du Gouvernement, j'ai tout à fait confiance dans la capacité des cheminots à redresser la situation.
Bien entendu, rien ne se fera sans eux ou contre eux. Bien au contraire, puisqu'ils sont les premiers acteurs de ce redressement.
Pour ma part, j'ai totalement confiance dans l'ambition qu'il nous appartient, tous ensemble, de donner aujourd'hui au transport ferroviaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat a marqué, ces dernières années, un intérêt tout particulier pour les questions ferroviaires.
Votre assemblée a en effet élaboré et adopté plusieurs rapports importants, qui ont fortement contribué à mieux faire connaître la réalité de la situation générale de la SNCF et à éclairer les voies de sa modernisation.
Je pense en particulier au rapport adopté par le Sénat au mois de juin 1993, à la suite des travaux de la commission d'enquête présidée par M. Haenel et dont le rapporteur était M. Belot, que votre Haute Assemblée avait « chargé d'examiner la situation financière de la SNCF, les conditions dans lesquelles cette société remplit ses missions de service public, les relations qu'elle entretient avec les collectivités locales et son rôle en matière d'aménagement du territoire. »
Je pense aussi au rapport, adopté à l'unanimité le 31 mars 1994, à la suite des travaux d'une commission à nouveau présidée par M. Haenel et intitulé « Régions-SNCF : vers un renouveau du service public ».
Je pense également au rapport d'information adopté le 24 avril dernier par la délégation du Sénat à l'Europe, sur l'initiative de M. About, et intitulé : « L'Europe, une chance pour la SNCF ».
Je pense enfin au rapport élaboré ce mois-ci par le groupe du RPR du Sénat, intitulé : « La SNCF demain. Des responsabilités partagées, mais assurées pour sauvegarder et développer le transport ferroviaire français ».
Ainsi, votre assemblée a participé d'ores et déjà très largement au grand débat national que le Gouvernement avait appelé des ses voeux, à l'issue du conflit de la fin de l'année dernière.
Elle a même, en quelque sorte, anticipé ce débat par des travaux qui n'ont en rien perdu leur actualité et qui ont été, pour nous, des éléments de référence dans l'élaboration des décisions que le Gouvernement vient d'arrêter.
Vous savez, en outre, que l'un des volets essentiels de la réforme de la SNCF décidée par le Gouvernement concerne - j'y reviendrai tout à l'heure plus précisément - la régionalisation.
Celle-ci implique un rôle accru pour les collectivités territoriales, auxquelles le Sénat est, par vocation, traditionnellement très attentif.
Ces deux raisons confèrent, à mes yeux, un très grand intérêt à la discussion qui s'offre à nous aujourd'hui.
Votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, connaît trop bien la situation de la SNCF, en raison même des travaux qu'elle a menés et que je rappelais voilà quelques instants, pour que j'y revienne longuement. Mme Idrac, secrétaire d'Etat aux transports, vient d'ailleurs excellemment de rappeler l'essentiel.
C'est pourquoi, sans plus attendre, je veux vous présenter les décisions que nous avons arrêtées, sous l'autorité de M. Alain Juppé, Premier ministre, afin de créer les conditions d'un renouveau du transport ferroviaire dans notre pays.
La réforme qui a été décidée s'inspire très directement des conclusions que vient de dégager Mme Idrac du débat national. Mais vous y retrouverez aussi, je le crois, mesdames, messieurs les sénateurs, un écho très direct des principes qui ont animé, ces dernières années, vos réflexions en la matière.
Cette réforme est ambitieuse. Elle porte sur deux volets essentiels de l'ensemble des structures du chemin de fer : premièrement, la clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF ; deuxièmement, la régionalisation.
La conjugaison de ces deux volets permet de dessiner une solution française originale pour assurer l'avenir du transport ferroviaire.
J'aborderai tout d'abord la clarification des responsabilités.
Le débat national qui s'est développé dans les comités économiques et sociaux à l'échelon régional, dans les conseils régionaux, puis au Conseil économique et social et même devant le Parlement, a fait apparaître qu'on avait jusqu'ici demandé beaucoup trop à la fois à la SNCF.
On lui avait demandé en effet de construire et de financer un réseau de lignes nouvelles, qui reste, à ce jour, sans véritable équivalent dans aucun pays du monde, de s'équiper du matériel roulant nécessaire pour exploiter ces lignes nouvelles dans les conditions optimales, d'assurer l'entretien et la maintenance du réseau classique et, enfin, d'exécuter des missions de service public, définies avec plus ou moins de précision par la puissance publique et, à ce titre, compensées par des concours publics.
C'est pourquoi le Gouvernement a considéré que le moment était venu de clarifier enfin les responsabilités respectives de la puissance publique et de la SNCF.
Telle est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a décidé de proposer au Parlement, avant la fin de cette année, la création par la loi d'un nouvel établissement public qui devra être mis en place avant le 1er janvier 1997.
Ce nouvel établissement reprendra les 125 milliards de francs de la dette que la SNCF avait contractée à ce jour pour financer les infrastructures et il recevra en contrepartie les actifs constituant l'infrastructure ferroviaire. Ces actifs n'auront pas vocation à être vendus pour rembourser la dette.
M. Roland Courteau. Ce n'est pas sûr !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Le nouvel établissement public n'est donc pas une structure de cantonnement de dette comparable à celle qui a été mise en place ces dernières années dans d'autres secteurs. Il s'agit au contraire d'une entité destinée à assumer durablement la responsabilité du réseau ferroviaire, de son évolution et de son financement.
C'est à cet établissement public en effet qu'il appartiendra désormais de mobiliser pour l'avenir les financements nécessaires à la construction des futures lignes.
Seuls les travaux qui vont s'engager pour la rédaction du projet de loi correspondant permettront de répondre de manière précise à toutes les questions d'ordre juridique, technique ou financier soulevées par la création de ce nouvel établissement. Mais, d'ores et déjà, plusieurs points essentiels sont acquis.
Premièrement, le réseau restera national dans le cadre du nouvel établissement public. Il appartiendra à l'Etat d'en définir la consistance et les caractéristiques à travers le schéma du réseau ferroviaire, dont l'élaboration est prévue, comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, par la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
Je vous confirme que la préparation de ce schéma s'effectue dans une perspective intermodale et que, comme j'ai eu l'occasion de le dire ici même à l'occasion du colloque organisé à l'initiative de M. Jean François-Poncet relatif à l'application de la loi du 4 février 1995, sa publication interviendra en 1997.
Deuxièmement, le niveau de rémunération de la SNCF par le nouvel établissement public pour l'entretien et la maintenance du réseau, et celui, en sens inverse, des péages d'infrastructure que la SNCF versera à cet établissement pour l'usage de l'infrastrucutre mise à sa disposition seront déterminés à l'issue d'un audit du compte d'infrastructure.
Cet audit sera confié, comme cela a été fait pour les services régionaux de voyageurs, à un consultant indépendant.
En tout état de cause, le niveau de tarification devra tenir compte de la capacité contributive de la SNCF comme transporteur ferroviaire : il est évidemment exclu - ce serait d'ailleurs totalement absurde - de reprendre d'une main à la SNCF sous forme de péage ce qu'on lui donne de l'autre sous forme de désendettement.
M. Bernard Seillier. Très bien !
Mme Hélène Luc. Ça, c'est sûr !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Oui, mais il vaut mieux le dire !
M. Ivan Renar. Et le faire !
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Troisièmement, comme pour tout organisme de ce type, l'Etat apportera au nouvel établissement public les concours financiers et les dotations en fonds propres à un niveau suffisant pour assurer sa viabilité financière.
Quatrièmement, enfin, la loi de démocratisation du secteur public s'appliquera au nouvel établissement public, dont le conseil d'administration comprendra des représentants des salariés et des usagers.
Ainsi, sans porter atteinte ni à l'unité de la SNCF, ni à ses missions de service public, ni, bien sûr, au statut de ses personnels, cette réforme clarifie - le Sénat l'avait demandé à plusieurs reprises - les responsabilités respectives de la puissance publique et de la SNCF.
Elle traduit en particulier la volonté de l'Etat de prendre pleinement ses responsabilités, pour le passé comme pour l'avenir, dans le domaine de l'infrastructure.
Elle doit permettre également à l'entreprise et aux hommes qui la constituent de trouver une véritable perspective et un espoir.
Aujourd'hui, en effet, le poids des charges financières était devenu tellement accablant qu'aucune mesure relevant de la seule gestion interne n'était susceptible de permettre le retour à l'équilibre et à la viabilité. Bien entendu, tout le monde le percevait, et le désespoir s'était emparé de toutes les structures de l'entreprise.
Le second pilier de la réforme que le Gouvernement engage pour la SNCF, c'est la régionalisaiton des services régionaux de voyageurs.
Depuis une quinzaine d'années, la SNCF et les collectivités régionales ont pris l'habitude de travailler ensemble.
La quasi-totalité des régions a en effet conclu avec cette entreprise des conventions concernant la gestion des services régionaux de voyageurs, c'est-à-dire, pour l'essentiel, les trajets domicile-travail ou domicile-étude.
De l'avis général, et le Sénat l'avait relevé dans ses travaux, ces conventions ont amélioré le service et permis la modernisation d'une partie significative du parc du matériel roulant régional.
Toutefois, des insuffisances sont également apparues dans l'application de certaines de ces conventions.
En l'absence d'une comptabilité analytique interne à la SNCF suffisamment complète et suffisamment transparente, les régions ont, dans certains cas, eu quelques difficultés à établir un lien précis entre l'évolution des services et les facturations auxquelles elles donnaient lieu.
M. Charles Descours. Oh oui !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. C'est pourquoi le Gouvernement a fait procéder, avant de lancer une régionalisation expérimentale plus ambitieuse, dans les conditions prévues à l'article 67 de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, à un audit indépendant et complet des services régionaux de voyageurs.
Cet audit, monsieur Descours, a été défini, financé et analysé conjointement par l'Etat, l'Association des présidents des conseils régionaux et la SNCF.
Ses conclusions, aujourd'hui connues et acceptées de toutes les parties concernées, nous permettent de décider de franchir, dès le 1er janvier prochain, une nouvelle étape dans le cadre d'une expérimentation.
L'Etat va en effet transférer aux régions candidates à cette expérimentation la part des concours financiers qu'il versait jusqu'ici à la SNCF au titre des services régionaux de voyageurs.
Ces concours seront réactualisés sur la base des conclusions de l'audit auquel je viens de faire allusion.
Il est donc bien clair, et je sais que le Sénat y tient particulièrement,...
M. Ivan Renar. Pas seulement le Sénat !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transport et du tourisme. ... que ce transfert de compétence se fera sans transfert de charge et donc sans peser davantage sur la fiscalité régionale.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est un progrès !
M. Henri de Raincourt. On avance !
M. Robert Pagès. On voudrait y croire !
M. Ivan Renar. Nous frémissons, monsieur le ministre !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Mais j'espère bien ! (Sourires.)
Désormais, ces régions assumeront pleinement la responsabilité de la définition des services correspondant à ces liaisons. Elles auront la responsabilité de faire évoluer l'offre en l'ajustant au mieux aux besoins des populations.
En revanche, je le souligne, le réseau d'infrastructures reste national.
M. Ivan Renar. C'est important !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Il n'y a donc, là non plus, ni démembrement ni partition de la SNCF.
Il s'agit bien, en revanche - et c'est l'essentiel - de rapprocher le lieu de décision de l'utilisateur final.
L'expérience de la décentralisation a en effet montré, depuis plus de quinze ans, dans d'autres domaines de compétence, que ce type de transfert de responsabilités s'accompagne d'un meilleur service au meilleur coût.
Cette expérimentation - j'insiste bien sur ce point - se déroulera selon trois principes : la transparence, la réversibilité, le transfert de compétence sans transfert de charge.
Mme Hélène Luc. J'espère que ce ne sera pas comme pour les collèges dans les départements !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. J'ai dit, madame, la transparence et la réversibilité. C'est clair !
M. Jacques Oudin. Et c'est bien !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. J'ai la conviction que la dynamique qui va ainsi se mettre en place se traduira effectivement par une amélioration du service rendu et du rapport qualité-prix, qui est essentiel pour l'usager contribuable.
M. Jacques Oudin. Tout à fait !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. D'autres régions voudront sans doute à leur tour s'engager dans ce nouveau système. Certaines sont déjà candidates et nous en avons pris acte.
Bien entendu, les ralations entre la SNCF et les régions non concernées par l'expérimentation ne seront pas affectées. Elles continueront à se dérouler dans le cadre actuel.
Je connais, mesdames, messieurs les sénateurs, l'attention scrupuleuse, et d'ailleurs parfaitement conforme à sa vocation, que porte votre assemblée à tout ce qui concerne la vie des collectivités territoriales.
C'est pourquoi je voudrais préciser davantage le cadre expérimental tel que nous l'envisageons, et ce à compter de janvier prochain.
En premier lieu, le principe général est que le rôle et les engagements des trois partenaires - Etat, régions, SNCF - seront clairement précisés dans deux conventions distinctes : la première fixera les principes des relations entre la région et l'Etat ; la seconde liera la région et la SNCF et définira les services de transport assurés par la SNCF pour le compte de la région autorité organisatrice.
En deuxième lieu, en termes de calendrier, l'expérimentation débutera le 1er janvier 1997 et durera au maximum trois ans.
En troisième lieu, la convention entre la région et la SNCF sera fondée sur un certain nombre de principes.
La région exercera pleinement sa responsabilité d'autorité organisatrice des transports régionaux. Elle définira les dessertes, la qualité du service et l'information à l'usager.
Elle pourra mettre en place, avec la SNCF, des tarifs commerciaux spécifiques sur les liaisons régionales.
En revanche, le système actuel de tarification sociale défini au niveau national restera inchangé.
M. Philippe François. Que Dieu vous entende !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. La SNCF assurera le service défini par la région. Elle décidera des moyens à mettre en oeuvre pour produire les services demandés par la région de manière optimale. Elle assistera et conseillera la région dans la définition des services ferroviaires régionaux.
En quatrième lieu, pendant l'expérimentation, de nouvelles relations de type contractuel seront testées entre la région et la SNCF.
Le système de conventionnement actuellement en place constituait une première étape dans les relations région-SNCF, mais il ne permettait pas à la région de jouer pleinement son rôle, puisque celle-ci n'avait aucune vision d'ensemble sur les services.
Elle ne prenait à sa charge que les aménagements de service par rapport à un service de référence qui était figé artificiellement.
Ce système - M. Haenel le sait bien pour l'avoir dénoncé - n'incitait donc en fait ni la région ni la SNCF à faire évoluer réellement les services offerts aux voyageurs. Le nouveau cadre que nous allons mettre en place rendra désormais possible une telle évolution.
En cinquième lieu, enfin, l'objectif est aussi de responsabiliser la SNCF sur l'ensemble de ses coûts afin qu'elle puisse présenter a priori à la région le prix du service commandé et non plus, comme aujourd'hui, simplement facturer a posteriori les coûts constatés.
Ainsi, la SNCF sera désormais conduite à exercer ses missions dans un cadre nouveau, permettant d'identifier plus clairement les responsabilités, de sorte que le contrat de plan, tel qu'il était conçcu jusqu'à présent, n'a plus sa raison d'être.
Pour autant, comme pour toute entreprise publique, il importe - c'est fondamental - que la SNCF ait connaissance des priorités essentielles qui lui sont fixées par l'Etat au nom de la nation.
C'est pourquoi le Gouvernement va confirmer au président de la SNCF, par un courrier qui lui sera adressé dans les tout prochains jours,...
M. Roland Courteau. Ce n'est pas suffisant !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. ... les décisions prises en matière d'infrastructure et de désendettement, ainsi que les conditions de l'expérimentation du transfert aux régions de la compétence en matière de services régionaux de voyageurs.
Ce courrier précisera également les orientations essentielles qui lui sont assignées et qu'il lui appartiendra de mettre en oeuvre dans le cadre de son projet industriel. Ces orientations porteront à la fois sur les activités de la SNCF en tant que gestionnaire de l'infrastructure et en tant que transporteur ferroviaire, mais aussi sur le groupe que contrôle la SNCF.
Le Gouvernement a défini en particulier deux priorités fondamentales pour l'élaboration du projet industriel de la SNCF : d'une part, la reconquête de la clientèle - voyageurs et fret - d'autre part, le retour à un équilibre durable de chacune des activités de transport - fret, grandes lignes, SERNAM, services régionaux de voyageurs.
M. Charles Descours. Et les filiales !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Nous inviterons le président de la SNCF à porter ce courrier à la connaissance du conseil d'administration et du comité central d'entreprise afin que les représentants du personnel soient clairement informés.
C'est sur ces bases que le projet industriel interne sera ensuite élaboré, en concertation avec les personnels.
Plusieurs questions, qui relèvent de la responsabilité exclusive de l'entreprise, y trouveront leur réponse, telles que l'établissement des budgets prévisionnels ou les conditions de gestion de la dette restant à la charge de la SNCF, dette à laquelle nous estimons qu'elle est désormais en mesure de faire face.
M. Roland Courteau. On verra !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Je suis, pour ma part, convaincu que cette réforme, qui se situe dans le prolongement des conclusions du débat national, constitue une solution française originale, à même d'assurer un véritable renouveau au transport ferroviaire.
Dans un cadre de responsabilités clarifié, il appartient maintenant à la SNCF, c'est-à-dire à l'ensemble de ses agents, de se mobiliser pour assurer un redressement durable de l'entreprise. Cette mobilisation doit s'engager dès à présent. Je fais à cet égard toute confiance aux cheminots, à leur compétence, à leur dévouement et à leur sens des responsabilités. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sénateurs des Français de l'étranger, c'est bien connu, voyagent toujours en avion. Les mauvaises langues disent même que certains d'entre eux passent la moitié de leur mandat dans les airs, ce qui, certes, est très exagéré. (Sourires.)
Il leur arrive cependant de prendre le train, surtout lorsqu'ils se trouvent en France, où ce moyen de transport garde des faveurs qui n'existent plus dans la plupart des pays du monde.
Les chemins de fer ont, en effet, disparu dans bien des nations où ils tenaient jadis une place de premier plan. C'est le cas, par exemple, aux Etats-Unis et l'on en comprend parfaitement les raisons lorsque l'on constate que, dans ce vaste pays, les meilleurs trains d'est en ouest mettent cinq jours pour faire le trajet tandis qu'il suffit de cinq heures pour les voyageurs en avion. Aussi, les puissantes locomotives du siècle dernier n'existent-elles plus que dans les musées ferroviaires ou dans les films du Far West.
La situation est bien différente en France et dans une partie de l'Europe, où l'on croit encore aux chemins de fer. Cela se comprend puisque leur utilité est considérable, en fonction de la superficie des pays.
Le train en effet convient pour des distances petites ou moyennes, disons jusqu'à cinq cents ou six cents kilomètres ; au-delà, il ne peut évidemment rivaliser, pour ce qui est du temps de voyage, avec les transports aériens. Par ailleurs, le rail doit faire face à la concurrence de la route, et là, il ne se trouve pas à son avantage, étant donné le grand nombre, la diversité et la souplesse des transports routiers.
Dans cette situation de concurrence, il y avait des décisions à prendre sur la politique que l'on suivrait et les choix que l'on ferait, tant pour le matériel que pour les nouveaux réseaux à mettre en place.
Une phrase de la déclaration du Gouvernement m'a paru très claire à ce sujet : « Le chemin de fer, tout particulièrement la SNCF, a su s'adapter aux évolutions technologiques, comme le prouvent notamment les succès nationaux et internationaux du TGV. Il n'a cependant pas suffisamment pris la mesure des évolutions nécessaires, s'étant trop souvent réfugié dans une attitude défensive à l'égard des autres modes de transport.
« Il eût mieux valu, avez-vous ajouté, que le chemin de fer s'engage dans une coopération avec les autres moyens de transport en jouant de leur complémentarité et de l'intermodalité. »
Nous sommes tout à fait d'accord avec cette remarque. Plutôt que de « se défendre » en luttant contre les avions et les routiers, la SNCF aurait eu avantage à s'entendre et à coordonner son action avec eux.
Parlons donc du TGV. A l'étranger, on a appris à connaître ces initiales. On sait qu'il s'agit d'une très belle réussite technique de la France. On sait que ce train rapide détient le record de vitesse sur rail, que lui a disputé, un instant seulement, le tokkaïdo japonais.
Mais beaucoup d'étrangers se demandent si le TGV n'est pas un luxe inutile, et surtout s'il est rentable, quand on considère le poids et le prix des infrastructures spéciales qui lui sont nécessaires. Certains comparent le TGV au Concorde, devant la réussite technique duquel chacun s'incline, mais dont on souligne l'échec commercial.
Madame le secrétaire d'Etat, lorsque vous parlez des « succès internationaux » du TGV, n'êtes-vous pas un peu optimiste ? Malgré quelques espoirs qui avaient été exprimés en Floride ou au Texas, nous n'avons pas vendu un seul TGV. Si nous avons fait affaire avec la Corée du Sud pour la ligne allant de Séoul à Pusan, c'est en cédant à ce pays toute notre technologie et en lui donnant ainsi la possibilité ultérieure de devenir notre concurrent.
En France, cependant, on peut effectivement parler de « succès national ». Le TGV est populaire, encore que son système de réservation soit trouvé trop rigide et que son prix soit jugé excessif. Mais enfin, de grandes villes, comme Lyon, Lille, Tours, Le Mans se trouvent maintenant à deux heures ou moins de Paris et, grâce aux correspondances, même pour les trains roulant sur les voies normales, les délais de desserte se sont considérablement réduits vers le nord, le sud-est et la Méditerranée, le sud-ouest et l'Atlantique.
Ce succès n'a pas été sans présenter quelques inconvénients. Nos lignes aériennes intérieures ont beaucoup souffert de cette concurrence, notamment Air Inter sur Paris-Lyon, qui était l'une des lignes très rentables. Et puis, toutes les régions rêvent d'avoir leur TGV, les autres trains paraissant désuets par comparaison, alors que, récemment encore, les rames du Corail étaient réputées en Bretagne, et que Toulouse se pensait bien desservie par le très rapide Capitole.
On réclame aussi un TGV Est, de Paris à Strasbourg. Il est peut-être le seul à devoir, nous semble-t-il, être mis en oeuvre. Tous les gouvernements successifs en ont soutenu le projet, en dépit de sa rentabilité discutable, en raison de l'importance symbolique du lien franco-allemand et de la nécessaire ouverture vers l'Europe.
En revanche, faut-il un TGV Lyon-Turin, ce qui implique le creusement d'un tunnel fort onéreux et des aménagements de ferroutage également d'un coût très élevé ? Faut-il un TGV Montpellier-Espagne, ce qui suscite les espoirs de la généralité de Catalogne mais l'inquiétude des départements du Languedoc, qui verraient leurs vignobles entamés ? Personnellement, je ne le pense pas. Nous n'avons pas à construire des TGV pour transporter les touristes le plus rapidement possible en Italie ou en Espagne, où la vie est moins chère et où ils se rendent pour leurs vacances, en négligeant la France.
Une remarque analogue peut être faite pour le TGV Marseille-Côte d'Azur. Faut-il mutiler les merveilleux paysages de Provence pour gagner quinze ou vingt minutes sur ce parcours alors que les avions vont de Paris à Nice en un peu plus d'une heure à peine ? Fort heureusement, ce projet est resté dans les cartons. En revanche, on pourrait davantage utiliser la ligne, très ancienne et si pittoresque, qui serpente le long de la côte, de Nice à Cannes ou à Saint-Raphaël, et y prévoir des trains plus nombreux, car ils sont incomparablement plus rapides, surtout en été, alors que les routes sont encombrées par les autobus ou les voitures particulières.
C'est là une question dont pourraient se charger les autorités régionales, notamment celles de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. A cet égard, l'idée du Gouvernement de confier aux collectivités territoriales certains services régionaux de voyageurs me paraît excellente. C'est en tout cas une voie à explorer. Mais, naturellement, se pose immédiatement la question suivante : qui financerait ? La déclaration que nous avons entendue s'efforce à une clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de l'entreprise ferroviaire. Nous attendons le projet de loi que vous avez promis de nous soumettre avant la fin de l'année.
La création d'un établissement public pour les infrastructures est une idée novatrice. Mais, de toute façon, cet établissement devra être alimenté par des fonds d'Etat.
Qui d'autre en effet pourrait l'alimenter alors que l'endettement de la SNCF atteint 208 milliards de francs ? Il faut saluer la proposition du Gouvernement de prendre à sa charge 125 milliards de francs de dettes mais, par un calcul simple, on s'aperçoit que 83 milliards de francs, en principe, resteront à la charge de la SNCF. Comment cet endettement sera-t-il financé ? La charge de la dette ne risque-t-elle pas de s'alourdir automatiquement, à nouveau, dans l'avenir ? Autant de questions pour lesquelles nous souhaiterions, monsieur le ministre, connaître les intentions du Gouvernement.
Enfin, il est un problème qui n'a pas été du tout évoqué dans la déclaration, mais dont je crois devoir dire un mot rapide.
A l'étranger - puisque je me place toujours de ce point de vue - quand on parle des chemins de fer français, deux noms viennent immédiatement dans la conversation : « TGV » - ce qui est positif - mais aussi un autre, très négatif, celui de « grève ». (Murmures sur les travées socialistes.) On prétend qu'il y a beaucoup de grèves en France, et il est vrai qu'il y en a eu de très spectaculaires, comme en décembre dernier, ce qui, je dois dire, n'a pas du tout favorisé ni l'image de nos chemins de fer ni celle de la France.
Voilà deux jours encore, alors que je prenais l'avion pour rentrer après une rapide mission au Canada et aux Etats-Unis, on m'assurait à l'aéroport du Newark qu'il y aurait des grèves à Paris en juin, à la veille des vacances. Un agent de voyage me confiait qu'il avait renoncé à organiser des visites de groupe, par train, à travers la France...
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur Habert.
M. Roland Courteau. Ce serait préférable, en effet !
M. Jacques Habert. Je vais conclure, monsieur le président, mais je n'ai pas encore atteint la limite des neuf minutes qui me sont accordées.
Vraiment, comment un grand pays comme le nôtre peut-il, presque sans broncher et, il faut bien le dire, pour la sauvegarde de quelques intérêts catégoriels, laisser paralyser sa vie économique pendant des jours, voire des semaines ? Voilà ce que comprennent mal nos amis de l'étranger. Il faut que nous soyons conscients des conséquences néfastes que cela peut avoir sur la réputation de la France dans le monde entier.
M. le président. Je vous demande de conclure !
M. Jacques Habert. Vous vous souvenez qu'à cet égard, lors de la discussion de la loi relative aux transports, en décembre 1995, on avait envisagé la possibilité d'un service minimum. Il s'agit là d'une idée sur laquelle il faudra revenir, si des menaces analogues se renouvellent.
Mes chers collègues, je ne voudrais pas que le regard de l'étranger que j'ai voulu porter à l'occasion de ce débat vous apparaisse comme trop critique. Comparée à certains de nos homoloques européens, la SNCF n'a pas à rougir de ses performances.
A bord de l'Eurostar, après avoir emprunté l'Eurotunnel - magnifique réalisation franco-britannique - pour quiconque est amené à rouler lentement dans le Kent, entre Douvres et la gare de Waterloo, ou, sur une autre ligne, après avoir franchi la frontière de la Belgique, se retrouve à aller à petits pas entre Lille et Bruxelles, une évidence s'impose.
M. Ivan Renar. Le chemin de fer aux Etats-Unis, ce n'est pas terrible !
M. le président. Monsieur Habert, je vous demande instamment de conclure, car vous avez dépassé votre temps de parole.
M. Jacques Habert. On peut donc conclure, monsieur le président, qu'en Angleterre comme en Belgique, ni l'hyperlibéralisme britannique ni le fédéralisme belge n'ont su construire de lignes de chemin de fer aussi bonnes que les nôtres. (M. le président coupe le micro et la fin de l'intervention de l'orateur est presque inaudible.)
Monsieur le ministre, je veux vous remercier de la déclaration sur la SNCF que vous venez de faire au nom du Gouvernement. Il était important que la représentation nationale puisse vous donner son sentiment sur cette question.
On nous a dit que la SNCF voulait reconquérir sa clientèle. Le succès de ce pari suppose la coopération de l'ensemble du personnel de cette entreprise. Il faut espérer que, cette fois-ci, cette indispensable collaboration pourra se faire dans le sens de la raison. Il faudra à chacun beaucoup de lucidité, de détermination et de courage pour y parvenir.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que ce pari soit gagné. C'est dans cet espoir que les sénateurs non inscrits, au nom desquels je m'exprime, approuvent la déclaration du Gouvernement sur les chemins de fer français. (Applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - M. Durand-Chastel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Madame le secrétaire d'Etat, le 5 décembre 1995, en pleine crise, alors que la France s'engluait, s'empêtrait dans les grèves, que les Français peinaient, souffraient sur des routes encombrées, je vous disais : « Pourquoi ne parlerions-nous pas d'avenir ? »
Et je précisais : « Avenir d'un réseau ferroviaire dont la construction est liée au développement de la France ; avenir des savoir-faire français dans ce domaine ; avenir de l'industrie ferroviaire française ; avenir d'une technique essentiellement au service de l'homme ; avenir d'une entreprise publique ; avenir des cheminots ; avenir d'un réseau conçu comme un instrument puissant d'aménagement et de développement du territoire national. »
L'avenir, vous venez de nous le faire entrevoir, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat. L'avenir est maintenant possible.
J'aurais pu, comme d'autres, m'étonner, pester, protester, m'impatienter : pourquoi, alors que les sirènes retentissaient de partout, que l'ensemble de la signalisation sociale au sein de l'entreprise et chez de nombreux usagers était au rouge ou à l'orange, oui pourquoi avoir tant attendu ? Pourquoi en être arrivé là ?
En effet, ce ne sont pas les constatations et les mises en garde qui manquaient. Mais à quoi bon se lamenter sur le lait versé ! La France est ainsi faite qu'il faut passer par ces tensions, ces ruptures, ces révoltes même, pour prendre conscience des réalités et avancer.
« Le temps détruit ce que l'on fait sans lui », disait Sénèque. Eh bien, il a fallu ce temps, perdu diront les uns, salutaire estimeront les autres, pour qu'ait lieu une prise de conscience des enjeux et des défis à relever.
Il a fallu en effet ce temps pour que, au niveau du dispositif d'Etat, et notamment du trop fameux Quai de Bercy, on admette les réalités, on conçoive des réformes, on mesure les enjeux, et que peut-être aussi on prenne peur.
Apparemment, c'est fait. Nous ne pouvons que nous en réjouir et vous en féliciter, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat. Vous avez choisi la voie tracée par le Président de la République : donner du temps pour écouter, dialoguer, décider puis expliciter.
M. André Vezinhet. Donner du temps au temps, c'était le prédécesseur !
M. Hubert Haenel. Je n'ai pas la réputation d'être un adepte de la langue de bois, quitte - et c'est un risque que j'assume - à être incompris ou à être considéré comme « incontrôlable », ainsi que se sont parfois plu à le susurrer certains fonctionnaires.
Mais, aujourd'hui, vous avez devant vous un parlementaire presque étonné, mais ô combien agréablement surpris, du contenu et de l'ampleur du dispositif arrêté en faveur du transport ferroviaire, dispositif que vous venez de préciser, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat.
C'est à juste titre que l'hebdomadaire La Vie du rail a pu, cette dernière semaine, titrer ainsi sa page de couverture : « SNCF, le grand tournant ».
C'est un tournant, en effet, qu'il va falloir « négocier » ensemble, et qu'il ne va surtout pas falloir « louper ».
La SNCF, c'est-à-dire son président, sa direction générale, ses cadres, l'ensemble de son personnel, directement ou via les organisations syndicales, doivent saisir cette chance, cette occasion qui est peut-être la dernière.
La SNCF doit savoir interpréter ce signal fort, porteur de l'avenir qu'elle réclamait en vain ces dernières années et qui lui est aujourd'hui, enfin, proposé. Car, aujourd'hui, sans oser toujours le dire, beaucoup de personnes profondément attachées à l'entreprise ont pris conscience que la SNCF était mortelle.
M. Charles Descours. Tout à fait !
M. Hubert Haenel. Je tiens à souligner que le président Le Floch-Prigent a abordé le problème « par le bon bout », comme on dit dans les campagnes.
M. François Gerbaud. C'est vrai !
M. Hubert Haenel. Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, les décisions que vous avez prises, non sans difficulté - nous savons bien quelles réticences il faut vaincre, quels combats d'arrière-garde il faut affronter avant tout arbitrage - sont à la mesure des problèmes, que nous ne connaissons que trop bien, et des enjeux.
Ces enjeux, quels sont-ils ?
Ils relèvent, en premier lieu, de ce que l'on considère comme le service public : quelles missions de service public, définies par l'Etat et les conseils régionaux, sont assignées à la SNCF.
Ils sont liés, en second lieu, à l'aménagement du territoire. La SNCF est certes un instrument d'aménagement du territoire, mais où et jusqu'où ?
Ce sont là des enjeux évidents, mais il en est d'autres d'une nature différente.
Par exemple, quel est, dans la compétition internationale, et particulièrement en Europe, l'avenir du système ferroviaire français, considéré à juste titre pendant longtemps comme bénéficiant de la technique ferroviaire la plus performante du monde ?
Quel avenir envisage-t-on par ailleurs pour l'industrie ferroviaire française ?
En juin 1993, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale, rapport établi par notre collègue M. Belot, avait mis en exergue trois pistes ou piliers d'une réforme en profondeur de la SNCF : recadrer l'entreprise en définissant ce qu'on attend d'elle pour éviter le grand écart ; revoir la nature et la qualité des relations entre la SNCF et les collectivités locales ; définir, au sein de la SNCF, un projet industriel d'entreprise en faveur des usagers.
Dans votre projet, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, nous retrouvons ces trois piliers.
En engageant, pour la première fois depuis longtemps, une réforme en profondeur de l'outil ferroviaire national, vous mettez la SNCF en mesure de s'adapter pour relever un ensemble de défis dont celui, essentiel, fondamental, qui consiste à considérer, en tous lieux et en toutes circonstances, l'usager, pour les uns, ou le client, pour les autres, comme la seule raison d'être de l'entreprise.
Selon un maître mot, qui pourrait être à l'avenir celui de la SNCF, « le client, notre raison d'être », le client-usager est donc la clef de voûte de l'ensemble du dispositif, qu'il soit une personne souhaitant se déplacer sur de courtes, moyennes ou longues distances ou qu'il soit une entreprise désirant faire circuler les marchandises.
Par la présente réforme, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, permettez à la SNCF de « se mettre en posture », pour employer une expression militaire, afin de faire face aux conséquences des diverses dispositions prises, ou à prendre, à l'échelon de l'Union européenne, notamment de la directive 91/440, pour aborder dans les meilleures conditions possibles l'Europe des transports ferroviaires.
Surtout, n'ayons pas peur de ces rendez-vous européen ; ils sont inévitables, et je le crois, salutaires.
Vos décisions, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, s'appuient sur les constatations et propositions du Parlement, du Conseil économique et social, des conseils économiques et sociaux régionaux, ainsi que sur les travaux des missions de MM. Martinand et Rouvillois. Nous attendons aussi avec impatience les résultats des réflexions et évaluations de la mission Brossier sur le réajustement du taux de rentabilité interne pour le TGV concernant l'est de la France, et notamment le franchissement du Rhin, le financement de ces infrastructures nouvelles et le phasage des travaux.
Nous attendons avec une égale impatience les décisions qui doivent intervenir sur ces dossiers. Nous n'avons aucune raison d'avoir des craintes puisque nous avons une promesse et un engagement d'Etat. Cependant, chat échaudé craint l'eau froide !
Nous reviendrons en temps utile sur ces préoccupations, au fil des semaines, au fur et à mesure que seront dévoilées vos intentions et décisions.
En automne, la discussion budgétaire sera particulièrement propice à un nouveau débat.
Un autre rendez-vous important - vous venez d'ailleurs de le rappeler, monsieur le ministre - sera celui des schémas nationaux des transports, définis en application de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
Nous n'avons donc pas fini de vous accompagner dans la mise en point du concept de transports publics, dans l'établissement de schémas et de réseaux ferroviaires et, bien entendu, dans la définition de l'intermodalité.
Enfin, pour celles et ceux qui sous-estiment le travail sérieux du Parlement, et singulièrement du Sénat, travail qui s'accomplit dans la durée, la détermination et la sérénité, j'ajouterai que tous, ici, nous pouvons être légitimement fiers d'avoir contribué, chacun à sa façon, à la réflexion, à la prise de conscience et aux décisions concernant l'avenir de cette belle et grande entreprise.
Avant que mes collègues MM. Paul Masson, François Gerbaud, Charles Descours, Auguste Cazalet et Jean Bernard, qui s'exprimeront après moi au nom du groupe du RPR, ne traitent successivement, comme nous en sommes convenus, les différents aspects du dossier ferroviaire, je conclurai en disant que la régionalisation, qui est issue des travaux du Sénat, a permis de mettre en pratique une méthode qui pourrait utilement être appliquée dans d'autres domaines : la méthode de la décentralisation expérimentée et négociée. C'est sans doute l'une des voies possibles pour réformer notre meccano institutionnel que constituent les domaines de l'Etat et des collectivités locales.
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, comptez sur les compétences et la détermination de la plupart d'entre nous pour, avec vous, redonner vie au transport public et le développer.
Nous illustrerons ainsi la définition que le général de Gaulle donnait de la politique : « Un ensemble de desseins communs, de décisions mûries et de mesures menées à bon terme. » Il me semble, monsieur le président, mes chers collègues que, même si un certain nombre de questions se posent encore, nous prenons bien ce chemin ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est au nom du groupe des Républicains et Indépendants que je voudrais présenter quelques observations dans ce débat. Le temps très bref qui m'est imparti fera sans doute excuser le caractère schématique de mon propos.
Ces quelques observations, je les tire aussi de la pratique du conseil d'administration de la SNCF, au sein duquel un de vos prédécesseurs, monsieur le ministre, a bien voulu me demander de siéger, ce qui m'a conduit à « cohabiter » avec trois présidents successifs et m'a permis d'apprendre beaucoup sur cette entreprise.
Le projet auquel vous êtes parvenu et que vous nous avez présenté me paraît important et positif.
Face aux énormes difficultés d'une entreprise de transport dont les charges financières augmentent selon une progression géométrique et dont le trafic diminue de manière régulière, la distinction entre gestion de l'infrastructure et exploitation des lignes de chemin de fer est une bonne mesure, qui clarifie les responsabilités, qui correspond à l'esprit de la directive européenne et qui devrait permettre d'améliorer l'exploitation générale de la SNCF. Sera-t-elle suffisante ? Permettez-moi de dire que je n'en suis pas certain.
Dans la présentation du budget de 1996 selon les directives européennes, le compte d'infrastructure fait apparaître un déficit de 10,2 milliards de francs et le compte du transporteur un déficit de 1,9 milliard de francs. Je ne suis pas sûr que les deux mesures que vous avez décidées, c'est-à-dire la décharge d'une grande partie de la dette et l'expérience de régionalisation, seront suffisantes pour supprimer ces déficits.
Au demeurant, les conditions nécessaires à la pleine efficacité de ce dispositif ne sont pas encore tout à fait réunies.
Vous nous avez apporté, monsieur le ministre, des informations précises sur le fonctionnement de l'établissement public chargé de l'infrastructure. Celui-ci doit disposer de ressources stables mais il faut surtout - et ce point me paraît encore plus important - que les décisions concernant les investissements futurs soient bien étudiées et que l'on raisonne plus en termes d'augmentation du trafic...
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Très bien !
M. Charles Descours. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... qu'en termes de gain de temps. Ce point est essentiel pour l'avenir de la gestion des infrastructures.
M. Paul Masson. C'est une révolution !
M. Jean-Pierre Fourcade. S'agissant de la régionalisation, il ne faudrait pas que votre projet bouleverse les contrats de plan actuellement conclus entre l'Etat et l'ensemble des régions. Ces contrats de plan s'exécutent tant bien que mal au hasard des difficultés budgétaires.
Je souhaite que la région d'Ile-de-France puisse rapidement participer à l'expérimentation...
M. Charles Descours. Enfin !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... tant la chute du trafic qu'elle connaît est forte et régulière - elle est de quelque 3 p. 100 par an - quels que soient les effets annexes et tant il est nécessaire que cette partie de l'exploitation de la SNCF redevienne équilibrée.
Enfin, le projet industriel que prépare l'entreprise, sous la direction de son président, que je salue au passage, doit tenir compte de tous les gisements de productivité qui peuvent exister. Cela signifie qu'elle doit se recentrer sur les métiers ferroviaires...
M. Charles Descours. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... et donc négocier la cession de ses activités routières, et qu'elle aborde franchement l'ouverture vers l'Europe et les réseaux des pays voisins. (M. Descours applaudit.)
Distinguer l'infrastructure de l'exploitation est une chose, assainir le groupe SNCF qui doit se réorganiser autour de sa mission fondamentale, à savoir le développement du trafic, chaque fois que le transport de masse est plus rentable et plus efficace que les autres modes de transport, en est une autre.
J'en viens, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, aux problèmes de fond que la modification de la présentation comptable et la régionalisation ne doivent pas masquer. J'en citerai quatre.
Réduite à l'exploitation du chemin de fer et débarrassée d'un certain nombre de filiales ou de services inutiles, la SNCF doit d'abord mettre en place, dans les meilleurs délais, une comptabilité analytique moderne et diversifiée...
M. Charles Descours. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... qui doit permettre de faire apparaître les coûts et les marges dégagés par chaque activité.
M. Charles Descours. C'est une révolution !
M. Jean-Pierre Fourcade. Jusqu'à présent, la priorité accordée à la technique l'a emporté sur la recherche de la productivité.
Si l'on veut augmenter le trafic et retrouver la clientèle, tant des expéditeurs que des voyageurs, il faut connaître avec précision les dépenses et les recettes de chaque secteur d'activité. Monsieur le ministre, c'est la clef de vos futures négociations avec les régions. S'il n'y a pas une véritable comptabilité analytique acceptée par tous, aucune expérience de régionalisation ne réussira. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Le deuxième problème, et je sais qu'il est douloureux, tient au financement du régime de retraite de la SNCF. Le déficit de l'ordre de 18 milliards de francs qu'il enregistre aujourd'hui tient non pas au fait que les retraités de la SNCF disposent d'avantages exorbitants, mais tout simplement, hélas ! au fait qu'ils sont plus nombreux que les actifs. Or, dans un système de répartition dont on nous vante tant les mérites, lorsque les retraités sont plus nombreux que les actifs, le déficit se creuse obligatoirement.
Ce déficit doit être financé par quelqu'un. Grâce à des artifices comptables et à des procédures budgétaires confidentielles, l'Etat prend en charge 14 milliards de francs sur les 18 milliards de francs de déficit, le reste étant renvoyé à la surcompensation des régimes de retraite excédentaires. C'est ainsi, mes chers collègues, que la caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, est ponctionnée chaque année de quatre à cinq milliards de francs pour financer le déficit des retraites de la SNCF.
Monsieur le ministre, vous qui réclamez la transparence, l'efficacité et la rigueur, reconnaissez que ce système doit cesser. Le déficit du régime de retraite de la SNCF doit ête financé par d'autres méthodes que par la surcompensation qui pèse sur les employés des hôpitaux et des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants).
J'en viens au troisième problème : pour regagner des clients et pour équilibrer le compte d'exploitation - le déficit du transporteur, je le rappelle, est de 1,9 milliard de francs cette année - la SNCF ne pourra pas ne pas définir avec les organisations syndicales une nouvelle déontologie de la revendication sociale et des rapports entre les cheminots et les clients du chemin de fer.
La notion de service public doit être fondée sur deux grands principes : celui de la péréquation des tarifs dans une optique d'aménagement du territoire et celui de la continuité du service dans une optique de satisfaction de la clientèle.
On ne parviendra pas à rééquilibrer le compte d'exploitation si l'on n'arrive pas à substituer aux modalités actuelles des conflits sociaux une meilleure approche des rapports sociaux dans l'entreprise laissant les clients à l'écart des conflits internes.
Il faut envisager un système de médiation obligatoire et généralisé et adopter les mécanismes de gestion appliqués par tous les pays développés. Nous ne devons pas essayer de régénérer la SNCF en utilisant des techniques qui étaient valables en 1930. C'est ainsi qu'il faut envisager la modernisation de cette entreprise. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le dernier problème concerne le mécanisme de la décision en matière d'investissement. Il s'agit d'un problème fondamental car le poids de la dette de la SNCF, dénoncé à juste titre par les cheminots, résulte en partie des décisions d'investissements prises à contretemps des cycles économiques et sans se préoccuper des demandes réelles de la clientèle. Il est nécessaire d'envisager de nouveaux mécanismes en matière de décision d'investissement associant les cofinanceurs et les investisseurs, fondés sur une meilleure étude des coûts et surtout sur un lien plus étroit entre le coût d'investissement et l'augmentation prévisible du trafic.
Le lien obligatoire entre les dépenses d'investissements et les perspectives d'augmentation du trafic est beaucoup plus important que le lien entre les dépenses d'investissements et la réduction du temps de parcours. C'est cette culture nouvelle qu'il faut essayer de faire pénétrer dans l'entreprise.
A cet égard, permettez-moi de prendre comme exemple l'Ile-de-France.
Les opérations ferroviaires qui sont engagées sont très importantes. Le coût d'Eole est extraordinaire et il est d'ailleurs majoré par le lancement simultané de Météor. Une quinzaine de milliards de francs de travaux vont être réalisés dans le sous-sol de notre capitale. La RATP et la SNCF vont construire chacune une magnifique gare souterraine distante, l'une de l'autre, de moins de 500 mètres. Aucune autorité n'a demandé aux deux entreprises de coordonner leurs opérations, ce qui prouve bien le manque de coordination en ce domaine.
M. Charles Descours. Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade. La plupart des clients de banlieue veulent une extension du réseau, un meilleur confort, une plus grande sécurité, une régulation améliorée, une bonne adaptation aux problèmes de la vie quotidienne et une solution à toutes les difficultés de déplacements.
Mme Hélène Luc. Ils veulent aussi des tarifs qui n'augmentent pas.
M. Jean-Pierre Fourcade. Est-il nécessaire de leur donner de grands tunnels et des gares gigantesques et peu sûres ?
Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, les décisions concernant l'investissement dans une entreprise de transport aussi endettée et aussi importante sont au coeur du débat. J'espère que vous allez clarifier cette question. Mais je n'en vois pas encore les prémices.
C'est pourquoi j'estime, en définitive, que la réforme proposée par le Gouvernement est susceptible de redonner l'espoir aux cheminots et de faire évoluer dans le bon sens l'entreprise nationale.
Mais le temps des demi-mesures est passé. Il faut promouvoir une politique authentiquement plurimodale et déterminer tous azimuts des objectifs de rigueur et des mesures de qualité de service. La construction européenne qui s'effectue sous nos yeux risque de rendre inopérantes les mesures de colmatage auxquelles on se résout depuis un certain nombre d'années. Vous avez essayé de trancher dans le vif, et nous vous soutenons dans votre action. Il ne servirait à rien de vouloir retarder des évolutions inéluctables ou de subventionner un transporteur peu familier de la recherche inlassable de la compétitivité.
C'est parce que je considère qu'un bon fonctionnement de la SNCF peut devenir un facteur important de l'aménagement du territoire et de la croissance globale de notre économie que je demande au Gouvernement de dépasser les corporatismes et les petites économies inutiles...
Mme Hélène Luc. Qu'est-ce que le corporatisme ?
M. Jean-Pierre Fourcade. ... pour faire de la SNCF une grande entreprise performante, qui fasse la fierté de ses employés comme de ses clients. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Belot.
M. Claude Belot. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui à un moment important de l'histoire des chemins de fer français, et donc de la SNCF. En effet, cette entreprise vit le drame de la conversion des transports ferroviaires. Ce phénomène est apparu non seulement en France, mais aussi dans l'ensemble des pays développés. Le chemin de fer doit pourtant s'adapter à une nouvelle donne. En effet, il doit cohabiter avec l'avion pour les grandes distances, mais aussi avec l'automobile et le camion. Voilà la situation !
C'est la raison pour laquelle, conscient de cette difficulté, le Sénat avait créé, voilà deux ans et demi, une commission d'enquête. Il s'agit d'une procédure lourde au terme de laquelle l'ensemble des acteurs viennent, sous serment, témoigner de leurs conditions de travail et de vie et donnent leur avis.
Mais le président de cette commission, M. Haenel, avait souhaité que nous allions bien au-delà et que nous rencontrions, si possible sur place, le plus grand nombre possible de personnes, qu'il s'agisse des clients, des élus locaux, des directeurs de régions ou, bien sûr, des cheminots. Nous avons ainsi pu constater la grande dégradation de cette entreprise. Toutefois, même s'il est de bon ton de la critiquer, celle-ci est et demeure la plus belle entreprise ferroviaire au monde.
Mme Hélène Luc. Absolument.
M. Louis Minetti. Voilà une vérité !
M. Claude Belot. Nous en sommes tous d'accord.
M. Charles Descours. Absolument.
M. Claude Belot. Elle est aussi l'entreprise qui, sur le plan technologique, maîtrise le mieux la grande vitesse. C'est un fait.
Le créneau qu'elle occupe était, selon la commission d'enquête, un créneau d'avenir à un moment où nous ne parvenons pas à satisfaire la demande routière et autoroutière, où, manifestement, les grands axes sont totalement saturés et où les considérations d'ordre écologique ou énergétique ne sont pas sans importance.
Le transport ferroviaire nous avait donc paru très pertinent et un moyen de transport d'avenir, sous réserve que les zones d'ombres - elles existent aussi - s'estompent. Nous en avons perçu un certain nombre.
Tout d'abord, la SNCF enregistre un déficit commercial. C'est une entreprise dans laquelle l'histoire pèse très lourd. Pendant longtemps, les chemins de fer ont été en situation monopolistique et c'est pourquoi on parlait d'usagers. Puis l'automobile et l'avion se sont développés. Mais on parle toujours d'usagers.
Mme Hélène Luc. C'est très bien de parler des usagers pour le service public !
M. Claude Belot. Un usager, ce n'est pas comme un client. Celui-ci choisit, alors que l'usager, lui, ne le peut pas. Aujourd'hui, nul n'est obligé de prendre le train. Ce qui veut dire qu'il faut s'adapter à cette nouvelle donne, dans les têtes et dans les termes, c'est-à-dire, tout simplement dans la façon dont on parle aux gens. Il n'est pas plus long de s'adresser aux personnes avec courtoisie en leur donnant du « chers clients » que de leur intimer des ordres du style : « Les usagers voudront bien se présenter à telle heure et subir tel régime. » C'est aussi très important.
M. Nicolas About. Les clients-citoyens !
Mme Hélène Luc. Cela change la notion de service public.
M. Claude Belot. Ne mélangeons pas tout, madame ! Vous n'êtes pas obligée de prendre le train si vous n'êtes pas bien traitée, et moi non plus ! Les Français sont comme nous.
Mme Hélène Luc. Le train, si je le prends, c'est parce qu'il est bien !
M. Claude Belot. Mais ce n'est pas le seul moyen de transport !
M. Nicolas About. Le service public implique la continuité !
M. Claude Belot. Même s'il subsiste toujours une volonté d'attirer le chaland, il y a une autre ombre : l'absence ou l'insuffisance d'esprit commercial.
Mais il y a aussi des pertes. C'est un fait que la SNCF a perdu des parts de marché, aussi bien sur le transport des voyageurs que sur le transport du fret. C'est de notoriété publique.
Il me restait encore à citer, au nombre des ombres dont je parlais, la dégradation des comptes. Cette dégradation fait qu'aujourd'hui cette entreprise a environ un peu plus de 100 milliards de francs de dépenses qu'elle ne couvre qu'à hauteur de 35 p. 100 environ, à charge pour le contribuable d'apporter la différence.
C'est un fait qu'il n'est pas possible de nier. Or aucune entreprise, comme l'avait relevé la commission d'enquête, ne peut vivre sur de telles bases ; ce n'est pas pensable, la nation n'en a pas les moyens.
Cependant, la SNCF n'est pas totalement responsable de cette situation. Si nous essayons de comprendre les causes de cette situation, il en est une, majeure, qu'il nous faut dire ici : depuis des années, la France n'a pas eu de politique vis-à-vis de la SNCF. On ne lui a jamais fixé d'objectif clair. Et cela ne date pas des dernières années, cela dure depuis bien longtemps.
M. François Blaizot. Depuis quinze ans !
M. Claude Belot. Tout à fait au début des contrats de plan, on a dit aux responsables de la SNCF que les bénéfices du TGV compenseraient les déficits des autres lignes. C'était une solution de facilité, qui, du reste, n'a pas marché très longtemps. Lorsque le TGV de Lyon puis les autres sont arrivés, les dirigeants se sont exténués à assurer l'équilibre de l'entreprise sur ces bases-là.
Donc, la responsabilité de l'Etat est réelle dans cette affaire, car l'Etat n'a jamais dit clairement, même au moment des contrats de plan, ce qu'il attendait de l'entreprise, en dehors du maintien du plus grand nombre possible de lignes, parce que cela évitait la grogne des usagers et des élus concernés.
L'Etat a donc laissé l'entreprise dans cet état, s'engageant à financer le complément de retraite, les lignes déficitaires, à hauteur de cinq milliards de francs, ainsi que le déficit des transports parisiens, soit au total 38 milliards de francs, sans compter le déficit, déjà extrêmement important et qui n'a cessé de croître. Bref, c'était un contrat intenable.
Si la procédure du contrat de plan consiste à dessiner sur des feuilles de papier deux colonnes dont l'une seulement sera tenue, je veux parler de la colonne « dépenses », et l'autre jamais, alors, monsieur le ministre, ce n'est pas un mauvais choix que vous renonciez à ce type de procédure pour lui substituer un suivi au plus près. Telle est votre intention, et je crois qu'elle est bonne.
En parlant d'Etat, et je ne trahis pas ici un secret, puisque le document est aujourd'hui public, j'ai souvenir - ceux qui siégeaient avec nous au sein de cette commission d'enquête s'en rappellent sans doute aussi - d'un moment extraordinaire, quand le directeur du budget de l'époque chargé de contrôler les comptes de la SNCF...
M. Hubert Haenel. Ah oui !
M. Claude Belot. ... nous a déclaré sous serment qu'il n'avait pas les moyens de faire ce qu'on lui demandait et qu'il était dans les usages non pas d'examiner les comptes de la SNCF, mais de les certifier...
M. Charles Descours. Incroyable !
M. Claude Belot. C'est tout de même assez exceptionnel et cela rejoint tout ce que nous avons observé depuis nombre d'années, les uns et les autres, nous qui suivons les comptes des entreprises publiques.
Avec M. Arthuis, au temps où il avait des loisirs, M. Philippe Marini et moi-même avons rédigé un opuscule peu épais sur les ambiguïtés de l'Etat actionnaire. Partout, nous les avons rencontrées : l'Etat actionnaire, notamment l'Etat actionnaire de la SNCF, n'a pas été à la hauteur de ce que l'on attendait de lui ; il s'est contenté de payer, et de payer en général dans l'urgence parce qu'il n'y avait plus d'autre solution.
Il faut donc en sortir, et traiter les problèmes au fond. C'est, j'en ai le sentiment, ce que vous êtes en train de faire, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat.
Mme Hélène Luc. Mais les cheminots, en décembre, avaient trouvé la bonne solution !
M. Charles Descours. Ah !
M. Claude Belot. Vient ensuite la responsabilité de l'entreprise.
La SNCF est une entreprise admirable par certains côtés. Cette identité, ce sentiment d'appartenance à une collectivité particulière qui a donné à notre pays la « bataille du rail » et d'autres moments forts de son histoire, c'est une force de l'entreprise.
Beaucoup sont cheminots de père en fils, fils de cheminot, arrière-petits-fils de cheminot, et depuis le XIIe siècle. (Sourires.) C'est une force de l'entreprise, mais c'est aussi une rigidité tout à fait exceptionnelle.
Mais il y a plus, et je me dois de le signaler. Dans cette entreprise règne, avant toute chose, avant le pouvoir commercial, avant le pouvoir financier, le « pouvoir ingénieur ».
Des ingénieurs, il en faut, nous en avons besoin. Mais, à la SNCF, ce sont eux qui font la loi, ce sont eux qui dirigent la maison, du moins que la dirigaient.
Et j'ai le souvenir d'une discussion concernant la liaison Paris-Toulouse. Il fallait un Paris-Toulouse en TGV...
M. François Gerbaud. C'est ridicule !
M. Claude Belot. ... non pas parce que la liaison présentait un intérêt, non pas parce qu'elle devait être rentable, mais tout simplement parce que les « copains » de promotion travaillaient à l'Aérospatiale et que le TGV devait égaler Airbus, et si possible le dépasser. Autrement dit, on avait perdu toute raison !
M. François Gerbaud. Vous avez raison !
M. Claude Belot. Je crois donc qu'il nous faut ramener l'entreprise à une plus juste ambition, définir clairement ses missions et ne pas lui permettre d'imposer ses choix à la puissance publique. Et puis, s'agissant des ingénieurs, vous connaissez bien l'adage, mes chers collègues : si vous voulez vous ruiner agréablement et sûrement, choisissez les dames ; si vous voulez vous ruiner rapidement, allez jouer ; si vous voulez vous ruiner sûrement, agréablement et rapidement, allez voir les ingénieurs, et vous êtes sûrs du résultat ! (Sourires.) Je crois que cela s'applique particulièrement à la SNCF !
La SNCF, pour moi comme, je crois, pour tous les membres de la commission d'enquête, c'était une maison admirable par certains côtés, capable de préparer l'avenir du ferroviaire. Il faut en effet que le ferroviaire ait, dans ce pays, un avenir clair et défini, il y va de l'intérêt national ; mais il faut aussi tenir compte des réalités et des exigences budgétaires, tant il est vrai que la France n'aura pas la possibilité de tenir éternellement un budget qui se dégrade de cette façon.
Voilà où nous en sommes, monsieur le ministre. Vous nous proposez plusieurs solutions.
L'une est fondamentale ; il s'agit de la reprise des 125 milliards de francs de dette correspondant aux infrastructures. Cette affaire pesait, pesait, pesait sur la SNCF et sur ses comptes, et il n'y avait aucune solution pour que l'entreprise se redresse. La décision est courageuse, la décision est coûteuse. Cependant, je souhaiterais que la situation soit très claire : quelle sera la contrepartie pour la SNCF ? S'il y en a une, elle doit être supportable pour l'entreprise. Mais qu'on le sache exactement, afin que ne soient pas maintenues les ambiguïtés de l'Etat-actionnaire qui ont pu être dénoncées par ailleurs.
Vous avez voulu également la reconquête commerciale. Il me semble qu'elle est en cours, et l'on voit aujourd'hui les personnels de la direction générale comme le président de la SNCF « mouiller leur chemise ». Tant mieux !
La mobilisation de l'entreprise est également en cours. Sachant que je devais intervenir aujourd'hui, j'ai souhaité rencontrer le week-end dernier des cheminots pour connaître leur point de vue. C'est la première fois depuis bien longtemps que je sens dans la base « cheminote » la foi dans ce que leur propose le Gouvernement ; c'est la première fois que je vois vraisemblablement une perspective de réussite. Monsieur le ministre, c'est très important et de bon augure : vous avez des chances de gagner le pari !
Mme Hélène Luc. Ils ont gagné aussi leur pari !
M. Claude Belot. Pour ce qui est de la régionalisation, lors de notre pérégrination, nous avions été particulièrement frappés de constater à quel point les élus locaux se méfiaient de la SNCF. C'est qu'il était impossible, jusqu'à ce jour, de connaître la vérité des comptes de la SNCF. M. Fourcade l'a rappelé tout à l'heure, l'entreprise ignorait la comptabilité analytique, c'est vrai, comme elle ignorait la notion de « coût marginal ». Or l'opération ne peut réussir si la confiance entre les élus locaux et la SNCF n'est pas rétablie sur des bases loyales et durables. C'est fondamental !
Dans ma région, j'entends les réticences des uns et des autres - « ils ne nous disent jamais la vérité » - et leur incompréhension devant certaines situations parfaitement stupides. Pourquoi un bus géré par la SNCF repart-il d'Angoulême à destination de Jonzac quatre minutes avant l'arrivée du TGV, alors qu'il pourrait prendre nombre de voyageurs ? A l'heure où je vous parle, aujourd'hui, comme hier, c'est ce qui se passe, sans que l'on puisse obtenir la moindre justification. Et cela se traduit par un déficit déclaré. Du reste, comment pourrait-il en être autrement, puisque l'on fait tout ce qu'il faut pour qu'il n'y ait pas d'usagers ?
M. Ivan Renar. Des clients ou des usagers ?
M. Claude Belot. Ils n'ont pas d'autre solution ; ce ne sont donc même pas des clients !
Mais je prends un autre exemple. Il y a quelques jours à peine, quand nous avons adopté l'heure d'été, dans une ville connue non seulement pour sa belle Hélène et pour son beurre, mais aussi pour ses manifestations ferroviaires, certes assez locales, je veux parler de Surgères, n'a-t-on pas vu les maires et les élus locaux manifester au côté de membres de la CGT, de cheminots et d'usagers ? Il avait été en effet décidé que le train desservant l'île d'Oléron, Rochefort et le sud de la Vendée, soit un bassin de clientèle de 100 000 personnes, ne s'arrêterait plus à Surgères.
Voilà quatre ans, le même phénomène s'était déjà produit. Avec M. François Blaizot, mon prédécesseur à la tête du conseil général de la Charente-Maritime, flanqués du député-maire et de tous les élus concernés, pendant quatre mois nous étions allés arrêter des trains pour qu'enfin les choses changent et qu'un directeur régional veuille bien se déplacer afin de rencontrer le président du conseil général.
Les choses changent puisque, maintenant, quatre jours seulement après le premier arrêt, le député-maire de Surgères était reçu par le président de la SNCF. Le lundi suivant, le problème était réglé et, ô miracle ! le train est arrivé à La Rochelle à l'heure qui était prévue ! (Sourires.)
Cela signifie qu'il y a vraiment un travail considérable à faire pour susciter la confiance. Je m'adresse là à l'autorité de tutelle de la SNCF mais aussi aux personnes de cette société qui sont présentes ; j'ai d'ailleurs aperçu son président dans les tribunes du public.
Je suis favorable à la région, sur des bases loyales, à condition que l'on discute sur une base très claire et dénuée d'ambiguïté pour les élus locaux.
Aujourd'hui, l'Etat verse une compensation de cinq milliards de francs à la SNCF au titre des déficits des lignes dites de service public. C'est un fait. Il est prêt à les redistribuer aux régions. Qu'il le fasse selon une règle fondée sur la loyauté, c'est-à-dire que les régions sachent combien elles peuvent percevoir, tout simplement au nom du principe selon lequel, en matière de régionalisation, on n'administre bien que de près. Dès lors, elles choisiront les lignes qui leur semblent utiles à la population dont elles ont la responsabilité et décideront de ne pas poursuivre l'exploitation d'autres lignes ou prévoiront un autre moyen de transport de remplacement, mais si possible, à coûts constants. Si les régions qui fédéreront les départements souhaitent mettre un peu plus pour améliorer le transport ferroviaire - je fais partie de ceux qui s'en réjouiront - elles le feront, mais il leur appartiendra d'en décider.
Voilà, messieurs les ministres, madame le secrétaire d'Etat, une adhésion forte à ce que vous nous proposez aujourd'hui. Il s'agit d'un moment historique pour la SNCF. Je souhaite que nous le vivions tous comme un acte de foi. Je souhaite aussi que nous prenions toutes les précautions pour ne pas avoir à faire dans quelque temps des actes de contrition, ce qui n'est jamais très réjouissant.
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe de l'Union centriste, au nom duquel je m'exprime, vous apportera son soutien sans faille, car vous faites ce qu'il faut pour redresser cette entreprise. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui n'était pas dans l'air du temps voilà un an. Il faut dire, que, à l'époque, le Gouvernement et la direction de la SNCF avaient concocté, en catimini, un projet de contrat de plan, qui prévoyait un amoindrissement considérable du réseau avec la suppression de plusieurs milliers de kilomètres de lignes.
On sait ce qu'il advint de ce projet, qui n'a pas résisté à la volonté des cheminots et des usagers de défendre un service public de qualité. Ce service public, comme tous nos grands services publics, subit une offensive sans précédent du Gouvernement, soucieux de répondre aux injonctions de la Commission de Bruxelles.
Alors que le TGV, comme élément de modernisation d'un ensemble ferroviaire à promouvoir, aurait pu être un atout considérable, il faut bien mesurer combien le choix du « Tout-TGV » a été préjudiciable à la France. Comme le dit M. Jean-François Troin, dans son livre Rail et aménagement du territoire, « Le TGV n'est pas un instrument d'aménagement du territoire, mais une nouvelle structure de transport accentuant les polarisations urbaines. »
A cela s'ajoute le choix délibéré de la route sur le rail pour le fret, sous l'effet de deux actions conjointes, une priorité des pouvoirs publics en faveur de la route au détriment du rail et la pratique des flux tendus dans la production qui se traduit par une flexibilisation et une précarisation accrues.
C'est ce modèle de guerre économique entre les territoires, qui remet en cause le double principe efficacité-solidarité à la base de la légitimité du secteur public en France, qui a été mis à mal.
Les propositions du Gouvernement que vous avez présentées le 11 juin dernier à l'Assemblée nationale et que vous venez de nous présenter portent la marque du mouvement de novembre-décembre. Cependant, les attaques contre France-Télécom et EDF-GDF montrent, si besoin en était, que le Gouvernement n'a pas renoncé à ses projets de déréglementation de l'ensemble du secteur public.
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Félix Leyzour. Si sur des questions essentielles vous avez dû tenir compte de la demande exprimée par le mouvement social et bouger les lignes du projet gouvernemental, de profonds aspects contradictoires méritent cependant des clarifications et des garanties. Cela est d'autant plus nécessaire que les interprétations sur la régionalisation ou sur la séparation de l'infrastructure et de l'exploitation sont diverses dans votre majorité.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Pas dans mes propos !
M. Félix Leyzour. J'ai dit « dans votre majorité », monsieur le ministre. Mais nous verrons, parce que les propos d'un ministre ne suffisent pas. Celui-ci compte sur une majorité.
Le débat à l'Assemblée nationale n'aura pas manqué de soulever des inquiétudes. Le présent débat, qui lui fait suite et qui précède le processus législatif concernant la création de l'établissement public, donne l'occasion, avant l'été, de clarifier les données, de préciser les intentions et les propositions. C'est en tout cas ce que nous en attendons.
Nous avons écouté Mme le secrétaire d'Etat et vous-même, monsieur le ministre. Bien des questions nécessitent des approfondissements pour que l'on sache en quels termes votre projet de loi traduira les solutions.
Le premier souci qui nous anime concerne l'unicité de l'entreprise. Monsieur le ministre, vous avez affirmé que l'unicité n'était nullement remise en cause par la création d'un établissement public responsable de l'infrastructure, qui, par là-même, reprendra 125 milliards de francs de dette.
Bien entendu, la responsabilité de l'Etat dans la dette imputable aux nouvelles infrastructures est ainsi reconnue, mais n'est-ce pas le moyen, pour le Gouvernement, d'enclencher un processus beaucoup moins avouable ?
L'expérience prouve que la séparation de l'infrastructure et de l'exploitation a été un levier au service des gouvernements pour la mise en concurrence de différentes compagnies, voire pour une privatisation. Il suffit d'observer ce qui s'est passé en Grande-Bretagne et au Japon pour percevoir ce risque !
M. Roland Courteau. C'est aussi notre position !
M. Félix Leyzour. En effet, avec un tel schéma, vous répondez totalement aux injonctions de la Commission de Bruxelles et de la directive 91/440, qui exige cette autonomie entre le réseau et son exploitation. L'objectif est clair : il s'agit de permettre l'accès des tiers au réseau, conformément à la sacro-sainte loi de la concurrence qui est énoncée dans le traité de Rome et confortée par le traité de Maastricht.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Félix Leyzour. Tant pis si cela provoque des dégâts en termes d'emploi, de sécurité, de qualité du service public et d'aménagement du territoire.
Cette séparation apparaît donc comme une étape permettant de faire de la SNCF un simple exploitant commercial parmi d'autres. Comme pour France Télécom ou EDF - GDF, on ouvrira les réseaux les plus rentables, et la société nationale devra assurer ce qui est moins rentable, sans pouvoir faire jouer la péréquation !
M. Roland Courteau. Exact !
M. Félix Leyzour. Voilà ce qui risque d'arriver !
Notre crainte est d'autant plus grande que nous relevons, entre autres exemples, les propos de M. Claude Champaud, conseiller régional de Bretagne, que je connais très bien et qui est membre de votre majorité, monsieur le ministre. Le 12 juin dernier, dans un quotidien national, il expliquait le bienfait de la séparation des infrastructures et de l'exploitation précisant : « Si nous pouvions mettre en concurrence plusieurs fournisseurs en disant : nous voulons telle liaison pour tels horaires, la situation serait différente. »
Vous comprendrez que de tels propos nous inquiètent, comme ils inquiètent les cheminots et les usagers. La question de l'unicité ne saurait souffrir de telles ambiguïtés. Aussi, nous souhaiterions que, au nom du Gouvernement, vous affirmiez clairement que vous êtes opposé à la mise en concurrence d'autres exploitants avec la SNCF, et que vous confirmiez que l'entreprise nationale est le seul gestionnaire de l'infrastructure.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Félix Leyzour. La nouvelle organisation que vous proposez a des conséquences sur les questions de la dette et du financement des infrastructures. Vous avez annoncé que l'Etat reprendrait, par l'intermédiaire de l'EPIC, établissement public industriel et commercial, 125 milliards de francs sur les 208 milliards de francs qui constituent l'ensemble de la dette.
Vous affirmez que cela correspond au total des investissements commandés par l'Etat, essentiellement les investissements concernant le TGV. Outre le fait que des organisations syndicales estiment ce total à 145 milliards de francs, vous oubliez ce que les usagers, les cheminots et les contribuables ont versé aux banques, par le biais des intérêts de la dette, et qui s'élève à plus de 100 milliards de francs ! Ce chiffre est trop important pour que l'on puisse laisser en l'état les relations entre la SNCF et les institutions de crédit.
Ainsi, monsieur le ministre, nous souhaiterions savoir si, pour ce qui concerne les 83 milliards de francs de dette restant à la charge de l'entreprise, vous envisagez une intervention auprès des prêteurs dans le but d'une renégociation, voire de taux bonifiés. Ce qui est possible pour Euro Disney devrait pouvoir se faire, au prix de quelques aménagements techniques, pour une des plus grandes entreprises françaises au service de la nation. La dette de la SNCF ne doit pas seulement être sortie de la comptabilité de la SNCF, elle doit aussi être déconnectée des taux des marchés financiers.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Félix Leyzour. La question des droits de péage, dans ce nouveau cadre, nécessite également des clarifications. Il ne faudrait pas que l'Etat reprenne d'une main ce qu'il aurait accordé de l'autre. Vous avez dit que tel ne sera pas le cas, monsieur le ministre, nous en prenons acte, mais chacun sait, malheureusement, à quoi conduisent à terme l'alignement sur les directives européennes et l'obsession d'une concurrence dont la vie de tous les jours nous montre les dégâts.
Et puis, comment ne pas noter la dramatisation qui entoure la dette de la SNCF, alors qu'on ne parle jamais des 160 milliards de francs transférés de France Télécom aux caisses de l'Etat ? Soit dit en passant, cela pose la question de coopérations technologiques, financières et commerciales entre les entreprises du service public, qui structurent notre économie nationale.
Concernant les investissements, il s'agit de ne pas tricher. La SNCF ne retrouvera des parts de marché dans les domaines voyageurs et fret qu'en modernisant son réseau et en faisant jouer pleinement la complémentarité entre les divers modes de transport.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Félix Leyzour. Cela nécessite un effort considérable. Or, on connaît le discours sur la réduction des déficits publics. C'est donc bien vers des sources de financement non encore explorées qu'il faut nous tourner. J'en proposerai cinq.
Les fonds européens doivent être mobilisés de façon plus importante pour contribuer aux financements des équipements et infrastructures réalisés sur la demande de la Commission européenne, TGV Nord, TGV Méditerranée, etc.
Autre ressource possible : le label SNCF, qui sert de carte de visite et d'argument publicitaire à toute l'industrie ferroviaire, sans que l'entreprise publique n'en tire avantage.
Les plus-values foncières liées aux opérations immobilières autour des gares et des dessertes de lignes nouvelles TGV devraient être taxées.
Selon les comptes « transport » de la nation, le total des capitaux dégagés en 1994 par les assurances au titre de la couverture du risque transport, tous sinistres remboursés, a produit un solde positif de 19 milliards de francs. On pourrait affecter une partie de cette somme à l'amélioration de la sécurité des transports.
Enfin, le montant de la taxe intérieure sur les produits pétroliers pour le budget de 1996 s'élève à 148,5 milliards de francs. Un prélèvement sur cette taxe pourrait financer les plates-formes multimodales, qui constituent un outil essentiel pour la reconquête du fret par le réseau ferré.
M. Roland Courteau. Sur ce point aussi, nous sommes d'accord !
M. Félix Leyzour. Bien entendu, ces propositions nécessitent un effort particulier de l'Etat dans l'utilisation de l'argent public et des missions qui seront assignées à la SNCF. En effet, un aménagement du territoire harmonieux et équilibré, assurant l'accès de tous les citoyens à un service de qualité, se mesure non pas à la longueur des phrases que l'on peut tenir à ce sujet, mais bien à l'importance des crédits que l'on y consacre, et à leur bonne utilisation démocratiquement contrôlée.
Cela est à l'opposé, monsieur le ministre, des paroles de l'un de vos conseillers techniques qui, le 12 juin, affirmait dans le journal Libération : « La SNCF sait maintenant de quoi elle est responsable. Les cheminots ne pourront plus dire : c'est la faute de l'Etat. »
Serait-ce à dire, monsieur le ministre, que l'Etat ne serait plus maître d'oeuvre de la politique des transports ? Vous comprendrez que de telles phrases ne peuvent que susciter la suspicion envers les intentions réelles du Gouvernement.
Ces garanties sont d'autant plus nécessaires que, dans le même temps, sont instituées des expériences de régionalisation dont chacun peut mesurer l'intérêt et le danger. Mon ami Louis Minetti reviendra plus précisément sur ce point, mais je voudrais juste réaffirmer notre souci d'une approche régionale des problèmes, qui va de pair avec notre volonté de garder au réseau sa cohérence nationale, ce qui est à l'opposé de la vision d'une régionalisation qui segmenterait le réseau.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Félix Leyzour. Pour justifier une certaine autonomie et l'ouverture au privé, il est souvent fait mention des lignes gérées, en Bretagne, par la CFTA, filiale de la Compagnie générale des eaux. Je souhaiterais évoquer ce sujet pendant quelques instants.
L'une de ces lignes dont il est question, qui était menacée d'être transférée sur route voilà quelques années et dont on parle désormais tant parce qu'elle est gérée par la CFTA, se situe dans mon département : elle relie à la ligne Paris-Brest un secteur côtier et un secteur de la Bretagne intérieure. Elle dessert notamment la ville dont je suis maire.
Si cette ligne a pu être maintenue, c'est que nous nous sommes mobilisés pour la défendre. Comme maire et vice-président du conseil général en charge des transports, et à une époque conseiller régional, j'ai contribué à y transférer pour des raisons de sécurité, surtout en hiver, des scolaires se rendant au lycée, ce qui a apporté à la ligne un ballon d'oxygène du point de vue financier.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Félix Leyzour. Il s'agit de la seule voie ferrée restante de l'ancien réseau breton, qui ne faisait pas partie de la société nationale mais qui lui était lié. Ce que nous avons réussi à y faire ne plaide pas en faveur du dépeçage du réseau de la SNCF, mais montre tout l'intérêt du service ferroviaire.
J'ajoute que le matériel roulant n'est pas renouvelé, ce qui pose de plus en plus un problème et inquiète le personnel. Celui-ci manifeste aussi de l'intérêt pour une révision de son statut en se référant à celui des cheminots.
Le dernier point que j'évoquerai nous tient particulièrement à coeur : il s'agit de la décision de la suppression du contrat de plan Etat-SNCF. Cette décision ne nous paraît pas judicieuse au moment où l'on parle sans cesse d'aménagement du territoire, et alors qu'un schéma national des infrastructures de communication est prévu dans la loi du 4 février 1995.
En effet, les cheminots ont rejeté non pas le principe du contrat de plan, mais le contenu de ce dernier. D'ailleurs, au cours des premiers mois de l'année, le groupe de travail dirigé par M. Martinand, les conseils économiques et sociaux régionaux, les conseils régionaux, les organisations professionnelles, les groupes parlementaires ont travaillé sur la réécriture d'un nouveau contrat de plan. Dès lors, l'abandon du contrat de plan ne peut pas être fortuit. Il traduit, à notre avis, une volonté de dissimulation qui ne va pas dans le sens du développement du service ferroviaire.
Pour étayer mon propos, je citerai notre collègue M. Haenel qui, dans la Tribune Desfossés du 4 mars dernier, exprimait ainsi ses craintes : « Une remise en cause du contrat de plan qui se traduirait par des engagements de non-réduction des effectifs, de non-fermeture des lignes déficitaires et/ou de non-privatisation de filiales est-elle économiquement tenable et politiquement justifiable ? »
Le refus du Gouvernement d'engager l'Etat sur ce point équivaut à répondre favorablement à notre collègue.
Evidemment, les résistances sont telles qu'il vaudrait mieux, pour les partisans de la déréglementation, ne rien écrire !
La SNCF appartient à la nation, et la nation attend de l'Etat que des orientations soient fixées, après une procédure qu'il convient de démocratiser, pour associer aux décisions cheminots, élus et populations.
Il s'agirait d'aller bien au-delà des actuelles « consultations pour avis », pour parvenir à une réelle efficacité sociale et territoriale. Le service public n'aurait désormais plus comme unique critère l'équilibre financier, mais recevrait mission d'entraîner le secteur privé vers des objectifs communs : insertion dans l'emploi, cadre de vie, citoyenneté active.
Un document contractuel est donc bien nécessaire afin de préciser les missions de la SNCF tant dans son rôle de gestionnaire de l'infrastructure que d'exploitant du réseau, en conformité avec les principes du service public pour les voyageurs, et dans la recherche de synergie entre les différents modes de transport de marchandises. Qu'en sera-t-il du schéma national des transports combinés, des expérimentations de nouvelles techniques, telles que le système Commutor, expérimenté au triage de Trappes ?
Il est un fait qu'il serait incohérent que la SNCF seule décide des objectifs, des priorités, des missions à remplir, de ce qui serait bon pour la collectivité.
M. le président. Monsieur Leyzour, je tiens à vous indiquer qu'il ne reste plus que cinq minutes de temps de parole pour l'orateur suivant du groupe communiste républicain et citoyen.
M. Félix Leyzour. Je vous remercie, monsieur le président, et je termine.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous expliquer comment seront établies les relations contractuelles entre l'Etat et la SNCF et comment vous comptez en assurer la démocratisation et la transparence ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont attentifs au devenir de la SNCF. A leur avis, il y a là toutes les possibilités de faire quelque chose de neuf.
Leur choix est clair : ils oeuvrent pour que la SNCF retrouve sa place grâce à la définition de nouvelles missions de service public et à une « décentralisation-démocratisation » qui reste à faire.
Les missions et critères qui sont à la base du service public « à la française » doivent être préservés comme moyens d'un aménagement du territoire équilibré et de résorption des inégalités sociales et géographiques : unicité des systèmes tarifaires, péréquations financières entre activités, tant sur le plan du développement des infrastructures que pour l'utilisation des réseaux.
Les missions de service public ne peuvent en rester là. Il s'agit de prendre en compte les enjeux nouveaux de notre société rongée par le chômage endémique, les compétitions entre territoires et entre salariés.
Dans ce sens, les missions du service public doivent être étendues à la création d'emplois qualifiés et à la formation, à la préservation de l'environnement et à l'économie des ressources naturelles, à la promotion d'une coopération internationale qui soit autre chose que la guerre économique sur un marché libéralisé.
Je terminerai mon intervention en saluant ces femmes et ces hommes qui, par leur ténacité et grâce au statut qu'ils ont conquis, ont su mener si haut l'entreprise ferroviaire en France. Je ne crois pas qu'il pourrait y avoir de meilleure reconnaissance que la garantie du maintien de leur statut, en annonçant d'abord le gel des 4 500 suppressions d'emploi prévues.
Trop souvent, certains leur tirent leur chapeau pour faire croire qu'ils les estiment et, en fait, pour mieux s'opposer à leurs justes revendications, qui vont dans le sens de la défense de l'intérêt public.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat d'orientation est important. Nous souhaitons qu'il apporte les précisions attendues sur nos interrogations concernant la séparation organique entre l'infrastructure et l'exploitation, le financement des équipements, la régionalisation, les relations contractuelles Etat-SNCF et le statut des personnels.
Pour l'heure, monsieur le ministre, comme les usagers et les cheminots, nous restons vigilants quant à vos projets, car nous savons que votre position actuelle est le résultat d'un rapport de forces dont vous n'êtes pas satisfait.
Nous exprimons dès aujourd'hui, comme nous le ferons à l'occasion du débat qui aura lieu avant la fin de l'année dans cette enceinte, notre attachement à la réussite dans notre pays d'une politique nouvelle des transports dans laquelle la SNCF doit jouer un rôle important. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur Leyzour, il ne restera que deux minutes à M. Minetti pour présenter son intervention. En effet, ce débat, je le rappelle, est organisé, et je veillerai donc au respect des temps de parole.
La parole est à M. Aubert Garcia.
M. Aubert Garcia. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en novembre 1996, la présentation par le Gouvernement d'une refonte du système de retraite des cheminots et d'un projet de contrat de plan purement financier et productiviste amena les syndicats à un mouvement de grève très dur, massivement suivi par les cheminots et parfaitement compris par la population.
Cette exceptionnelle mobilisation amenait en fin d'année le Gouvernement à retirer l'ensemble de ces projets et à lancer un débat national. Il s'agissait, certes, d'un débat sur l'avenir du transport ferroviaire, mais, en même temps, d'un débat sur l'avenir d'une entreprise publique : la société nationale des chemins de fer français.
Ce débat est aussi l'occasion de mettre en jeu les choix fondamentaux pour le pays que sont la décentralisation, le service public, la construction européenne et l'aménagement du territoire. M. Claude Martinant, directeur des affaires économiques et internationales au ministère des transports, était chargé de diriger un groupe de travail en vue d'établir un rapport dont l'objectif était, en partant de la situation actuelle, de lancer le débat dans les conseils économiques et sociaux régionaux par une série de questions.
Publié le 29 février 1996, ce rapport, s'il posait effectivement des questions, le faisait de façon particulièrement orientée, et il laissait au lecteur, par la forme et le fond de ses interrogations, l'impression un peu pénible qu'il venait de lire la « chronique d'une mort annoncée », tant paraissaient insolubles les problèmes de l'endettement et irréversible la prédominance de la route sur le rail, pour le transport tant des voyageurs que, surtout, du fret. Bien peu de choses sur l'intermodalité, sur l'indispensable recherche des complémentarités entre le rail, la route et les autres modes de transport figuraient dans ce rapport.
Rail et route, en tout cas, restaient concurrents, et la route avait définitivement gagné ! Cela n'est d'ailleurs pas une simple impression de lecture. En effet, lorsque le groupe des députés et sénateurs socialistes a rencontré M. Martinant, ce fut pour entendre les conclusions de son rapport et non pour lui poser éventuellement de nouvelles questions.
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Aubert Garcia. Le 11 juin dernier, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, vous avez présenté aux députés non pas le résultat de consultations, mais les décisions que le Gouvernement avait prises pour l'avenir de la SNCF ; vous venez de renouveler votre prestation devant les sénateurs.
Je ne prétends pas faire ici l'analyse ou la critique de toutes ces décisions, laissant aux autres intervenants de mon groupe le soin de s'exprimer sur celles qui les concernent et les mobilisent plus particulièrement.
Classification des responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF et régionalisation en sont les deux axes principaux.
Deux mesures concernent la clarification des compétences.
Notons tout d'abord qu'un établissement public à caractère industriel et commercial, un EPIC, responsable de l'infrastructure, sera mis en place au 1er janvier 1997. Cet organisme aura avant tout à régler le problème de la dette.
S'élevant actuellement à 208,5 milliards de francs, la dette sera prise en charge par l'EPIC à hauteur des 125 milliards de francs qui, selon les estimations, correspondent à l'endettement relatif aux seules infrastructures. La question reste toutefois posée des 80 milliards de francs restant à la charge de la SNCF et des moyens prévus pour leur apurement.
Au demeurant, n'est-ce pas, pour l'EPIC lui-même, qui est par ailleurs chargé pour l'avenir des « investissements nécessaires sur le réseau classique » et qui devra réunir, sous le contrôle de l'Etat, les fonds nécessaires pour financer les nouvelles infrastructures, démarrer sous une lourde charge, qui rendra bien difficiles les investissements indispensables à une politique de relance capable de renverser la tendance au déclin amorcée depuis 1991, et peut-être même bien avant, 1991 étant la dernière année pendant laquelle l'exploitation a été positive ?
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Aubert Garcia. L'EPIC recevra un péage de la SNCF pour l'utilisation, celle-ci recevant du premier, pour l'entretien et l'exploitation du réseau, une rémunération fixée à l'issue d'un audit du compte d'infrastructure.
Je voudrais être sûr, monsieur le ministre, que cela ne débouchera pas tout simplement sur la répartition de la dette sur deux établissements publics au lieu d'un, dans le domaine du transport ferroviaire, et que, les moyens d'apurement de leur part respective de dette restant du domaine du non-dit, tout au moins du non-précisé, ils ne soient à l'avenir, malgré leurs rémunérations ou péages réciproques, deux établissements publics en difficulté au lieu d'un seul.
M. William Chervy. Très bonne question !
M. Fernand Tardy. Ça, c'est certain !
M. Aubert Garcia. Par ailleurs, quelle garantie pouvons nous avoir pour l'avenir que la SNCF restera le seul utilisateur du réseau ? S'il n'en allait pas ainsi, qu'adviendra-t-il alors de l'unicité de l'entreprise publique SNCF ?
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Aubert Garcia. Le second volet de la clarification des compétences concerne la SNCF elle-même. Cette dernière se voit confier la responsabilité de la politique commerciale et de la maîtrise des charges de l'exploitation, comme c'est normal ; c'est en effet sa vocation première.
Mais, sans aucun doute, ledit « projet industriel » verrait plus facilement s'équilibrer ses comptes, et la dynamique impulsée par la « révolution culturelle des cheminots » que vous appelez de vos voeux, monsieur le ministre, serait plus forte et plus enthousiaste s'il n'y avait le boulet des 80 milliards de francs de dette résiduelle que j'évoquais à l'instant, boulet qui va singulièrement peser sur les comptes et grever les chances de succès.
En fait, à cet instant de mon propos, une phrase de votre intervention devant l'Assemblée nationale me revient en mémoire. Je la cite, monsieur le ministre, non pour la dénoncer ou la démentir, car c'est un constat : « Si le chemin de fer conserve de solides atouts, il a cessé d'être le mode de transport dominant ».
J'ai trouvé, sinon dans les mots eux-mêmes, tout au moins dans l'idée et dans l'esprit qui sous-tend cette phrase la même tonalité de renoncement que dans les conclusions du rapport Martinant.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. C'est un procès d'intention !
M. Aubert Garcia. Une reconquête et une révolution culturelle, monsieur le ministre, ne se font pas sans la volonté forte et l'enthousiasme de ceux qui doivent les motiver et les provoquer. Et, pourtant, que d'atouts pour le rail dans le monde où nous vivons aujourd'hui et compte tenu des points d'interrogation qui pèsent sur l'avenir de nos enfants !
Parlons de sécurité, pour souligner qu'il y a eu 140 000 tués sur les routes de France entre 1978 et 1992, contre 158 dans les accidents de trains. Rapporté au trafic voyageurs/kilomètre, cela représente 90 morts sur la route pour 1 dans le train.
Parlons d'énergie, pour constater qu'avec un litre de pétrole ou son équivalent une tonne de marchandises parcourt 127 kilomètres par le train contre 64 seulement par la route.
Parlons d'espace, pour dire qu'il faut 6 hectares par kilomètre de voie ferroviaire et 10 hectares par kilomètre pour la route.
Parlons, enfin, de pollution, pour constater que 75 p. 100 des émissions de gaz à effet de serre résultent des transports utilisant l'essence et le gazole. La contribution globale du transport ferroviaire à ces émissions serait de l'ordre de 1 p. 100.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Aubert Garcia. On peut se demander si ces considérants, qui concernent au premier chef la santé et la vie des hommes de demain, ne méritent pas que les hommes politiques d'aujourd'hui leur accordent une place plus importante et s'ils ne devraient pas peser plus lourd sur leurs décisions et leurs choix.
Quant à la SNCF elle-même, elle a vécu une période de « tout technologique » et de « tout technocratique » extrêmes. Elle a, comme dans beaucoup d'autres secteurs de notre économie, cru que la mécanisation et l'automatisation à outrance étaient les clés du progrès et les garants du succès. Dans sa recherche acharnée d'abord, puis quelque peu désespérée ensuite, du « Graal de l'équilibre financier », elle a sacrifié et perdu beaucoup de ses hommes : plus de 100 000 en vingt ans, et elle est aujourd'hui victime de sa déshumanisation.
Là est la véritable révolution culturelle à faire, car on ne remplace pas partout et toujours la présence des hommes par des distributeurs automatiques de tickets, d'ailleurs plus ou moins fiables, nous en avons vécu l'expérience. Rien n'est moins engageant qu'un hall de gare vide, dans lequel personne ne peut répondre à la moindre de vos questions.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. C'est bien vrai !
M. Aubert Garcia. Dans cette démarche, la SNCF a perdu une partie importante de sa clientèle. Dans le même temps, comme elle s'est davantage préoccupée de la rentabilité que du service des hommes, elle a même perdu sa vocation de transporteur de fret.
Devra-t-elle aujourd'hui, pour 12 petits milliards de francs qui ne combleront rien, brader la totalité de ses filiales au nom de la recherche de rentabilités nouvelles fondées sur la complémentarité et au nom d'un service public plus affiné ?
Le deuxième axe du débat est la régionalisation à partir du 1er janvier 1997, dans le cadre d'une expérimentation de deux ou trois ans dans six régions test, financée par les concours que verse aujourd'hui l'Etat à la SNCF au titre des services régionaux réactualisés sur la base d'un audit indépendant.
Nous ne sommes pas hostiles au principe de cette régionalisation, dont le projet, figurant dans la LOTI, a été repris par l'article 67 de la loi d'orientation sur le développement et l'aménagement du territoire en 1995.
Si cette démarche n'est pas exempte de bien des aspects positifs, elle n'en présente pas moins des risques que n'ont pas manqué de souligner les comités économiques et sociaux régionaux dans leurs réflexions.
Permettez-moi de citer la contribution de celui de la région Midi-Pyrénées, qu'en ma qualité de sénateur du Gers j'ai, bien sûr, particulièrement étudiée : « Le conseil économique et social de Midi-Pyrénées souligne en outre qu'en l'absence de garanties plus précises et compte tenu de l'état d'un legs pour l'heure inconnu dans le détail mais nécessairement variable d'une région à l'autre une telle réforme risque, en l'absence de péréquation, de pénaliser lourdement et à long terme les régions les plus pauvres et les moins bien équipées, dont Midi-Pyrénées. »
Quelques lignes plus loin, on peut lire : « Le conseil économique et social de Midi-Pyrénées tient absolument à éviter tout risque de faire endosser à la région la responsabilité de fermetures de lignes ».
Et j'ajoute, quant à moi : ou de les concéder à des entreprises privées, soit par volonté, soit par pauvreté, ce qui déboucherait sur un démantèlement. Quid alors, à plus ou moins longue échéance, du statut de ces personnels ? Quid de l'unification des tarifs ? Quid du service public et des principes de base mêmes de la LOTI ?
M. Fernand Tardy. Très bien !
M. Aubert Garcia. Or tous ces problèmes essentiels ne sont ni abordés, pour certains d'entre eux, ni éclaircis, pour beaucoup d'autres.
Il me surprendrait enfin, monsieur le ministre, que l'abandon pur et simple, après ses retards et ses reports successifs, du contrat de plan Etat-SNCF soit une bonne chose. Vous le considérez comme un instrument inadapté et insuffisant. Mais il était, à ce jour, le seul document capable, fût-ce, justement, dans une période intermédiaire, de formaliser les engagements réciproques de l'Etat et de la SNCF.
Son abandon, au moment où l'on prétend redéfinir les missions et les responsabilités respectives de chacun des partenaires et alors que restent en suspens tant de questions auxquelles il faudra bien répondre, ne me paraît pas de nature à nous rassurer. En particulier, où seront définies les missions de service public de la SNCF et sa politique tarifaire ?
J'évoquais tout à l'heure, en parlant des distributeurs automatiques de tickets, le nom de Socrate, le maître de l'art du dialogue selon Platon, un art que la SNCF devra retrouver pleinement avec sa clientèle. Encore faudrait-il qu'entre-temps elle n'ait pas elle aussi bu la coupe de ciguë ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. William Chervy. Très bonne conclusion !
M. le président. La parole est à M. Berchet.
M. Georges Berchet. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, la SNCF est effectivement l'entreprise nationale la plus endettée de France - on l'a vu, on l'a démontré, tout a été dit - mais son désendettement est une nécessité incontournable.
Initialement, vous aviez évoqué, monsieur le ministre, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1996, un mécanisme exceptionnel d'allégement de la dette accompagnant les efforts propres de l'entreprise. C'était le « donnant-donnant » - souvenez-vous - assorti de certaines réalisations de l'actif immobilier.
Aujourd'hui, la solution retenue par le Gouvernement est intéressante et, à mes yeux, équitable sur le plan financier.
En transférant à un établissement public les infrastructures contre la prise en charge de 125 milliards de francs de dettes, l'Etat ne fait finalement que rembourser, directement ou indirectement, à la SNCF les sommes qu'elle a avancées à sa place pendant plusieurs années au titre des infrastructures. Mais l'endettement constaté a atteint 208 milliards de francs. Il restera donc - certains de mes collègues l'ont souligné - 83 milliards de francs à la charge de la SNCF. Cela signifie que devront être encore remboursées chaque année des annuités, capital et intérêts, au titre du passé.
En clair, la purge n'est pas complète et les charges financières ne seront pas totalement effacées.
Pensez-vous, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, que cette solution soit économiquement satisfaisante ?
Par ailleurs, à part les infrastructures utilisées, donc transférées, qui donneront lieu au versement d'une location au nouvel établissement public, que deviendra l'actif immobilier aujourd'hui non utilisé ou déclassé ?
Qui en sera propriétaire ? Sera-t-il vendu aux collectivités territoriales intéressées pour un aménagement de zone d'activité ? Dans ce cas, au profit de qui se fera la vente ? Quel sera le sort réservé aux réseaux de télécommunications - câbles et fibre optique - qui présentent quelquefois, et par nature, un caractère immobilier ?
Le récent vote de la loi de réglementation des télécommunications confère à ce réseau dit « alternatif » par rapport à celui de France Télécom une grande valeur potentielle.
La vente ou la location des capacités de transport de données permettant de relier entre eux différents sites industriels se fera-t-elle au profit de l'établissement public ?
En dépit de quelque 20 milliards de francs d'investissements par an, la SNCF n'a pratiquement pas gagné de client depuis cinq ans.
La dette partiellement apurée, ne conviendrait-il pas que la SNCF améliore encore son esprit commercial et recentre son activité ferroviaire, en matière de fret par exemple ?
J'accueille, pour ma part, avec beaucoup de satisfaction la qualification de « client » que vient de substituer le président de la SNCF à l'appellation d'« usager », d'autant qu'en fait c'était un « usager captif ».
Aujourd'hui, chacun sait que le pôle routier de la SNCF développe - et c'est paradoxal - 20 milliards de francs de chiffre d'affaires, soit le double de celui du fret SNCF et le quintuple de celui du SERNAM.
Mais, plus généralement, c'est au défi de la productivité qu'est confrontée de façon éclatante la SNCF, c'est-à-dire à l'amélioration du service des clients sans alourdissement des frais de gestion.
Au-delà du système de désendettement - opération justifiée - convient-il de régionaliser sans précaution et dans la précipitation les « transports régionaux de voyageurs » qui assurent une mission de service public ?
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que l'Etat allait transférer aux régions la part des concours financiers qu'il versait à la SNCF au titre des services régionaux de voyageurs.
Actualisé, dites-vous, sur la base d'un coût indépendant - que l'on connaît d'ailleurs - ce transfert « se fera sans effet sur la fiscalité régionale ». Mais qu'en sera-t-il dans l'avenir ?
Qui peut aujourd'hui garantir la pérennité de cette dotation de l'Etat et son actualisation dans le temps ? Chacun a en mémoire le transfert aux départements d'une partie des routes nationales effectué en 1972 ! La subvention spécifique annuelle de l'Etat à ce titre a disparu. Elle est aujourd'hui fondue dans la dotation générale de décentralisation et il est impossible d'en mesurer l'évolution, voire l'existence.
La régionalisation que vous proposez, monsieur le ministre, tiendra-t-elle compte d'un aménagement du territoire équilibré alors même que le service public des transports régionaux de voyageurs sera d'autant plus onéreux ou déficitaire que la densité démographique et les possibilités financières des régions à desservir seront faibles ?
Verra-t-on naître des prix de billets SNCF différents d'une région à l'autre, ou des tarifs spécifiques à chaque région, comme vous l'avez évoqué tout à l'heure, avec le risque d'une fracture territoriale fort pénalisante ?
Régionaliser les transports de voyageurs est une forme de décentralisation et, comme toutes les décentralisations connues à ce jour, elle finira, si nous n'y prenons pas garde, par alourdir les charges des régions.
J'observe d'ailleurs, monsieur le ministre, que les régions volontaires pour expérimenter le système sont parmi les plus urbanisées, les plus denses en population, sinon les plus riches, et qu'elles sont déjà pourvues, dans bien des cas, de moyens de transport interurbains.
Comment oublier, à cet égard, les propos de M. Jean Arthuis, tenus ici même le 22 mai 1996 : « Je ne ferai pas ici le procès de la décentralisation, qui a sans doute fait peser sur les collectivités des charges qui, corrélativement, ont allégé ce qu'avait à supporter l'Etat » ?
Expérimenter les dispositions visant la régionalisation prévues à l'article 67 de la loi d'orientation, c'est très bien, monsieur le ministre. Mais pourquoi ne pas prendre et publier les décrets d'application de cette loi, qui prévoit également une certaine péréquation financière entre les régions ? Ce serait plus rassurant pour certains.
La définition des missions de service public est à la charge des autorités responsables et non des opérateurs, avez-vous dit ! C'est vrai. Mais l'autorité responsable dans un aménagement du territoire équilibré n'est-elle pas l'Etat, dans le cadre de la solidarité nationale ?
Enfin, certains cadres supérieurs de la SNCF appréhendent une éventuelle ouverture à la concurrence de la circulation sur le réseau ferroviaire. Il y a là un vrai problème, qu'il faudra bien étudier en complétant la LOTI si l'on veut éviter que ne règne la loi de la jungle sur les lignes ferroviaires entre la SNCF et des opérateurs concurrents, français ou étrangers.
Peut-être faudrait-il envisager dès à présent de mettre en place - comme cela a été fait dans d'autres domaines - une autorité de régulation, indépendante et respectée aussi bien par les cheminots que par les gouvernements.
Madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, toutes les orientations présentées sont excellentes, et je vous souhaite de les concrétiser rapidement sur le plan législatif, en espérant que votre projet de loi sera déposé d'abord devant le Sénat, qui reste un précurseur en matière d'aménagement du territoire.
En quelques mots, et dans un tout autre domaine, permettez-moi d'attirer une nouvelle fois votre attention sur la situation particulière de la Champagne méridionale.
Par nécessité économique et par solidarité territoriale, ne laissez pas dépérir cette région, dont l'avenir dépend de la ligne Paris-Troyes-Chaumont-Bâle, axe vital qui mérite l'électrification et son raccordement au réseau international des TGV à Paris.
Cette liaison conditionne le devenir économique de tout un secteur géographique, fort de potentialités qui ne demandent qu'à s'épanouir.
Madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, grâce à vous, un tournant historique est armorcé aujourd'hui avec ce débat. Cette initiative originale doit réussir, car il n'y a pas d'autre solution rationnelle.
Tout dépendra cependant de la compréhension et de la mobilisation de l'équipe dirigeante de la SNCF face à ce projet industriel.
Tout dépendra également de la confiance en l'avenir des personnels de la SNCF qui restent, avant tout, des cheminots de très haute qualité ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, clarification des responsabilités respectives de l'Etat et de la SNCF dans le respect de l'unité du service public et régionalisation, tels sont les deux piliers de la nouvelle politique que le Gouvernement vient de proposer pour résoudre la redoutable crise que connaît cette grande entreprise nationale.
Nous sommes nombreux, sur ces travées, monsieur le ministre, à saluer le courage du Gouvernement qui propose, là encore, une véritable rupture avec la politique traditionnellement pratiquée en la matière.
Voilà donc les régions en charge d'une réforme essentielle. Avant même de connaître toutes les données de la nouvelle règle du jeu, ces jeunes collectivités se trouvent lourdement porteuses d'un service public de proximité jusqu'à présent assuré par une entreprise qui nous paraît, faut-il le dire, plus inspirée par le culte de la performance et par le principe de la spécialisation que par les transports de proximité.
Cette nouvelle voie, si j'ose dire, pose bien des problèmes. Je n'en retiendrai que deux, monsieur le ministre, pour ne pas faire long, le premier de nature technique, le second de nature politique.
Quelle est la situation actuelle dans les régions concernées ? La plupart des lignes régionales dont elles auront la charge sont déficitaires, parfois lourdement. Par ailleurs, les infrastructures et le matériel qui circule sur les voies sont le plus souvent fatigués. Il est évident que les transferts de responsabilité ne pourront être réalisés sans qu'un examen d'experts soit effectué non pas globalement mais ligne par ligne. M. le président de la SNCF nous assure que cette comptabilité analytique détaillée, actuellement embryonnaire, pourra être mise en place dans les six mois. Ce sera une performance. Nous en acceptons l'augure. Il doit être clair cependant que les régions ne pourront pas avancer dans la négociation sans cet inventaire détaillé qui nous permettra seul d'engager la responsabilité financière de nos collectivités.
L'audit auquel vous avez fait allusion tout à l'heure, monsieur le ministre, est une bonne chose. Il est, en effet, utile, mais il nous paraît insuffisant pour que les régions s'engagent dans cette expérience avec une connaissance exacte de ce qui les attend.
La dotation d'Etat transférée - soit 4 milliards de francs plus une rallonge de 800 millions de francs, que vous nous avez annoncée, monsieur le ministre - est censée couvrir le déficit d'exploitation actuel de la SNCF sur ses lignes régionales. Bien évidemment, le partage ne sera pas fait entre les régions sur le seul critère du kilométrage transféré, mais selon les déficits réels affectés à chaque ligne, d'où l'intérêt de cette analyse comptable détaillée.
Mais comment les régions vont-elles réagir devant les investissements importants nécessaires à la mise à niveau de la plupart de ces lignes ? Devront-elles engager leurs propres ressources financières pour aller au-delà de la seule consolidation des déficits actuels ?
Aujourd'hui, certaines régions investissent lourdement sur des axes régionaux. Je prendrai un exemple que je connais bien : l'inter-Loire, entre Orléans et Tours, entre Orléans et Nantes, ou encore Vierzon-Bourges, ou Tours-Vierzon. Mais elles investissent toujours avec la SNCF et souvent avec l'Etat. Dans la redistribution des cartes que vous nous proposez, monsieur le ministre, à l'évidence, la SNCF ne sera plus partie prenante puisqu'elle sera simplement l'opérateur unique chargé de la gestion des lignes. Où sera l'Etat ? Réfugié derrière l'EPIC, lui-même accaparé par l'apurement de la dette et essentiellement préoccupé par la couverture de ses déficits de gestion - 10 milliards de francs, dit-on. Il est à craindre que dans la nouvelle configuration les régions ne se trouvent bien seules.
S'il n'existe aucun dispositif de participation contractuelle de l'EPIC à ces investissements lourds et spécifiques, les régions n'auront que deux choix possibles : soit la perpétuation des déficits qui s'accentueront parce que le client ne trouvera ni confort ni rapidité dans l'utilisation de ces lignes du fait du vieillissement de la traction et des infrastructures, soit la fermeture, solution politiquement difficile et peu compatible avec la politique d'aménagement du territoire à laquelle les régions sont justement attachées et qui justifie, aujourd'hui, le maintien de l'essentiel du réseau régional.
La solution pourrait être trouvée dans la création d'un fonds d'investissement affecté aux lignes régionales gérées par l'EPIC et doté des ressources provenant d'une péréquation pratiquée sur les tarifs grandes lignes, un peu à l'image de ce qui se pratique aujourd'hui pour les péages autoroutiers. Il y aurait donc, pour chaque région, une convention-cadre passée avec l'Etat, une autre convention passée avec la SNCF opérateur unique, et une troisième convention passée avec l'EPIC investisseur unique. Ce dernier aurait alors des moyens d'encourager les régions à investir par voie de fonds de concours sur les lignes qu'elles souhaitent développer et sur le matériel adapté qui pourrait y circuler. L'absence de participation de l'Etat à des investissements nouveaux condamnerait, à terme, la tentative de régionalisation, j'en ai la conviction.
Les six régions candidates, monsieur le ministre, ne s'engageront pas dans cette affaire sans « biscuit ». Elles l'aborderont sans complexes et sans arrière-pensées parce qu'elles veulent la maintenance d'un service public ferroviaire ; elles l'ont prouvé au-delà du discours dans un passé récent. C'est d'ailleurs pour cela qu'elles sont déjà engagées - et certaines depuis longtemps - dans cette aventure. Mais l'Etat doit bien se persuader que la seule notion de transfert de charge, même intégralement compensé, n'est pas suffisante parce que cette notion est statique. Dans les transports, il faut non seulement conserver, mais encore améliorer. La loi de ce marché est simple : qui n'investit pas régresse ! (M. le ministre sourit.)
Aucune région ne suivra l'exemple des six si elles n'ont pas le sentiment de pouvoir espérer entrer dans une dynamique de l'investissement et si elles constatent qu'elles n'ont comme perspective que la spirale du déficit croissant ou la fermeture.
Bien évidemment, les expertises conduiront à des constats très divergents. Les régions seront mieux armées pour transférer sur route certains trafics, si, par ailleurs, elles rénovent, modernisent et développent le trafic sur rail, là où les lignes bénéficiaires conduiront à des retours sur investissements significatifs. Elles sont mieux placées que l'Etat pour déterminer les enjeux et conduire les arbitrages. Encore faut-il qu'elles aient un interlocuteur unique et responsable ; encore faut-il qu'elles n'aillent pas seules dans cette nouvelle expérience. Elles sauront réussir si l'Etat se comporte en partenaire solidaire, mais le choix serait aventureux si l'Etat se contentait de compenser les déficits actuels, en laissant les régions se débrouiller avec la modernisation de ses réseaux transférés.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. De là à parler de « biscuit », il y a une marge !
M. Paul Masson. En d'autres termes, il ne faudrait pas que l'Etat ait des arrière-pensées : « Passons-leur le mistigri - excusez l'expression - après, on verra bien ce qu'elles en feront ! »
Sur ce sujet, votre actuel propos, monsieur le ministre, me paraît porteur d'espoir. Il reste à préciser ce point capital d'un investissement spécifique partagé sur les lignes régionales. Bien individualisées au sein de l'EPIC, chargé des infrastructures, je ne doute pas que nous saurons trouver sur ce terrain un bon accord.
La seconde partie de mon intervention est de nature tout à fait différente, je dirai hors de votre compétence immédiate, monsieur le ministre.
Les régions vont se trouver en charge d'une partie essentielle de la réforme du service public de proximité, six régions, dit-on, plus ou moins volontaires et qui y regarderont néanmoins à deux fois avant de franchir le pas. L'expérience durera trois ans. Elle aura valeur d'exemple pour d'autres régions.
Ces collectivités régionales sont toutes jeunes ; elles n'ont pas, comme les départements ou les communes, la patine de l'expérience. Elles sont parfois contestées dans leurs attributions.
Le mode de scrutin régional que nous connaissons conduit à un exécutif fragile. Dans la plupart de ces régions, il n'y a pas de majorité stable. Des assemblées où l'addition des contraires tient souvent lieu d'opposition trouveront-elles, en leur sein, la continuité, ou même, tout simplement, le courage nécessaire pour prendre des responsabilités fortes dans la gestion de réseaux régionaux, je le répète, pour la plupart déficitaires ? Il est permis d'en douter.
S'il est décidé, comme on le dit, de ne pas réformer le système électoral actuellement en vigueur, ne peut-on trouver des procédures qui mettent à l'abri les exécutifs régionaux de coalitions de rencontre ? Est-il possible de prévoir que le vote de certaines dispositions essentielles, comme les budgets, bien sûr, mais aussi la politique des transports, puisse faire l'objet d'un engagement de responsabilité de la part de la majorité de l'exécutif qui serait soumis à une procédure qui imposerait aux oppositions conjuguées des obligations de responsabilité ?
Sans cette mesure, mes chers collègues, à mon sens indispensable, je redoute que la régionalisation des lignes d'intérêt local trébuche sur une fragilité institutionnelle des régions. Il me paraît aléatoire de confier à des collectivités fragiles un rôle majeur dans une réforme dont l'enjeu, pour le pays, est particulièrement grave, alors que ces collectivités sont pour beaucoup aujourd'hui instables à l'heure des choix importants.
M. Emmanuel Hamel. Jugement sévère, mais vrai !
M. Roland Courteau. Il faut changer le mode de scrutin !
M. Paul Masson. Beaucoup vivent ces péripéties tous les jours. Sans doute n'êtes-vous pas comptable de cette réforme-là, monsieur le ministre, vous avez bien assez de la vôtre, mais la politique gouvernementale forme un tout et je ne doute pas que vous ayez, sur ce thème, de bons arguments à faire valoir, si vous le souhaitez, pour avancer dans cette voie.
La réforme dans laquelle le Gouvernement s'engage a le mérite de la clarté. La SNCF ne pourra plus s'abriter derrière les coûts d'infrastructures pour justifier son incapacité à redresser ses résultats. Les gouvernements seront eux-mêmes conduits à des arbitrages, n'en doutons pas, douloureux, entre le rail et la route.
Le Gouvernement a l'indéniable courage de proposer des solutions en sortant de la fausse logique des contrats de plan qui n'ont jamais conduit qu'à la confusion des responsabilités ; l'heure de vérité approchera vite. L'entreprise saura-t-elle comprendre que l'appel aux fonds publics a des limites et que le contribuable n'est plus aujourd'hui prêt à accepter de nouveaux prélèvements obligatoires du style « résorption de la dette SNCF » ?
Les régions auront-elles le courage de faire des choix difficiles et de dégager les ressources nécessaires pour persévérer dans une politique d'aménagement du territoire au moment où elles se trouveront seules en face des déficits ?
L'Etat lui-même saura-t-il imaginer rapidement un mécanisme de désendettement du nouvel établissement qui va hériter de 125 milliards de francs de dette à laquelle s'ajoutera un déficit annuel d'exploitation de 10 milliards de francs, condition préalable à tout programme d'investissement lourd ?
Ces questions ne trouveront de réponse positive que dans le courage politique.
Cette réforme ouvre de nouvelles voies, les seules en vérité susceptibles de sauver l'unité du service public tout en lui laissant un avenir. Chacun comprend bien que le nouveau parcours proposé ne sera pas de tout repos ; la crise de l'hiver dernier ne pourrait se renouveler sans laisser à l'opinion publique le sentiment qu'il n'y a, décidément, entre les partenaires sociaux, aucune voie d'entente possible. Dans ce quitte ou double, qui approche, nous avons bien compris qu'il ne s'agit plus d'un débat entre spécialistes ; il s'agit d'un débat politique majeur qui ne peut laisser le pays indifférent.
La SNCF appartient à la nation tout entière. Elle a un grand avenir devant elle, à l'échelle de l'Europe. Rien ne se fera sans ou contre les cheminots, mais rien ne se fera non plus sans une vision plus large, globale, de cette nouvelle ambition nationale du service public.
La SNCF appartient à la nation tout entière, mais la SNCF est mortelle. Les enjeux actuels sont lourds. Nous sommes à l'heure où tout se noue, le meilleur comme le pire. Que chacun des partenaires, l'Etat, les partenaires sociaux, les régions, mesurent bien où nous voulons aller, et où nous en sommes. Aujourd'hui, il ne nous est plus possible de nous tromper sur nos choix. La compétition, demain, ce n'est pas le record du monde ; c'est la régularité du service, le confort, la commodité. C'est une autre SNCF qu'attend la nation. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, nous approuvons les orientations que vous venez de nous présenter parce qu'elles permettront enfin de clarifier les relations entre l'Etat et la SNCF.
Il n'est pas admissible que l'entreprise nationale supporte la charge d'infrastructures dont elle n'avait pas décidé la construction.
La SNCF, comme l'Etat, se sont très bien accommodés de l'opacité qui a prévalu pendant des décennies. Le résultat n'en est pas moins là : 200 milliards de francs de dettes. Le plan que vous nous présentez fait prévaloir un principe qui me paraît très sain : qui décide paye.
Il faut maintenant mettre en oeuvre rapidement cette séparation entre infrastructures et exploitation en évitant, bien sûr, toute possibilité de retour aux errements du passé.
La création de l'établissement public et son contenu exact, nous en reparlerons dans quelques mois. Je crois qu'il serait prématuré d'en débattre ce soir.
Le désendettement de l'entreprise nationale à hauteur de 125 milliards de francs constitue un effort sans précédent de la part de l'Etat et permettra surtout une remotivation de la SNCF et de son personnel. En effet, les gains de productivité que pouvait jusqu'à présent accomplir l'entreprise constituaient une goutte d'eau dans la mer au regard de son endettement.
Toutefois, on peut s'interroger sur la part de la dette qui restera à la charge de la SNCF. Je suis persuadé que, déchargée du poids de l'infrastructure, celle-ci est capable d'atteindre l'équilibre comptable et, même, d'être bénéficiaire.
Pour autant, je ne suis pas sûr qu'elle soit en mesure d'envisager un remboursement de la part de la dette qui lui est laissée. En Allemagne, lorsqu'a été mise en oeuvre une réforme du transport ferroviaire, l'Etat a repris la totalité de la dette de la Deutsche Bahn. Il ne faudrait pas que cette dette résiduelle porte en elle le germe d'une nouvelle dérive de la situation financière de l'entreprise.
Cela dit, je ne m'associe pas à ceux qui réclament la reprise immédiate de la totalité de la dette, pas plus que je n'approuve ceux qui contestent la reprise par l'Etat de 125 milliards de francs en en parlant comme d'un cadeau injustifié. La proposition de l'Etat est courageuse et novatrice, et constitue un pas considérable dans le règlement du passif de la SNCF.
La SNCF doit y répondre par la volonté clairement affichée de remettre en cause son fonctionnement. Nous reparlerons du reste de la dette, je l'espère, lors d'une nouvelle étape qui, je n'en doute pas, aura lieu d'ici à quelques années. Concernant la régionalisation, je suis convaincu qu'elle est indispensable afin de rapprocher les décisions des usagers, à la condition que les élus soient prêts à faire des choix parfois difficiles.
M. Emmanuel Hamel. Le sont-ils ?
M. Nicolas About. Je n'en sais rien, nous le verrons. C'est un risque à prendre.
La méthode que vous avez choisie me paraît excellente, monsieur le ministre, car certaines expériences douloureuses dans d'autres domaines font craindre à de nombreux conseils généraux que cette régionalisation ne soit un simple transfert de charges et que les régions les moins riches soient pénalisées par rapport aux autres. Ainsi l'expérimentation progressive et réversible me semble-t-elle être la seule méthode possible.
Je crois donc, monsieur le ministre, que le plan que vous venez de nous présenter est en mesure de permettre à la SNCF de prendre un nouveau départ. A la SNCF de saisir sa chance !
J'aimerais maintenant insister sur quelques thèmes qui me paraissent essentiels pour le développement du transport ferroviaire.
Le premier concerne l'Europe.
Le transport ferroviaire a perdu des parts de marché considérables au cours des trente dernières années, du fait de la concurrence des autres modes de transport, notamment de la route. On ne reviendra pas là-dessus, pas même en internalisant le coûts externes.
En revanche, je suis convaincu que la dimension européenne offre au rail de nouvelles perspectives. Les marchés sur lesquels le rail conserve une pertinence incontestable sont, en effet, les distances transeuropéennes pour le transport à grande vitesse, mais aussi pour le transport de marchandises et pour les transports régionaux dans les zones à forte densité de population. Il faut exploiter ces potentialités. Les échanges entre pays de l'Union européenne se développent, mais de manière encore trop timide.
Il est important que soit mise en oeuvre une politique communautaire des transports, dynamique. Il est important que les actions d'harmonisation soient accélérées afin de faciliter la circulation sur le territoire communautaire. Je crois également que, pour le fret, la dimension communautaire offre de nouvelles possibilités. C'est sur des distances assez longues que le rail peut concurrencer le transport routier. Là encore, il est important d'avoir une politique communautaire dynamique, en particulier dans le domaine du transport combiné.
Le deuxième thème concerne la concurrence.
Vous le savez, mes chers collègues, la directive communautaire de 1991 a introduit une dose très limitée de concurrence sur le marché européen. En pratique, cet aspect de la directive n'est pas appliqué. En France, on serait d'ailleurs incapable aujourd'hui de la mettre en oeuvre, puisque le péage pour l'accès à notre réseau n'a pas été défini. La Commission européenne a formulé une nouvelle proposition de directive dont l'adoption conduirait à ouvrir à la concurrence l'ensemble du transport de marchandises ainsi que le transport international de voyageurs.
Soutenu par notre délégation pour l'Union européenne, j'ai déposé une proposition de résolution demandant que le Gouvernement s'oppose à cette nouvelle proposition de directive afin que la précédente directive puisse être pleinement appliquée, qu'on en dresse un bilan et que les conséquences d'un éventuel élargissement de la concurrence soient évaluées avec précision. Notre commission des affaires économiques et du Plan a bien voulu adopter cette résolution il y a peu.
Cependant, je suis convaincu que la SNCF doit utiliser le temps qui lui est laissé pour se préparer à faire face à une concurrence plus vive. Le secteur du transport ferroviaire n'est pas celui des télécommunications et le nombre des opérateurs ne peut pas y être aussi important.
Néanmoins, la SNCF devra très probablement, à l'avenir, faire face à la concurrence d'autres compagnies. Si l'entreprise y est bien préparée, cela me paraît être un stimulant utile. Pourquoi faudrait-il présupposer que la SNCF, quoi qu'il arrive, ne sera pas en mesure de faire face à cette concurrence ? Ses performances techniques et la valeur de son personnel permettent, au contraire, de penser qu'elle pourra jouer un rôle majeur sur le continent européen. Naturellement, elle doit, dès à présent, entreprendre des efforts importants dans la qualité des services qu'elle rend, dans l'attention qu'elle porte à ses clients. Les usagers captifs d'hier sont aujourd'hui des clients, des clients qui ont le choix entre plusieurs modes de transport. La SNCF se doit de concentrer toute son attention à les satisfaire. C'est là le rôle de l'entreprise elle-même, et je crois très sain qu'il existe en ce domaine une autonomie la plus large possible de la SNCF à l'égard de l'Etat.
Dans ces conditions, que devient le service public ? Je n'en sais trop rien. La première question à se poser est la suivante : la SNCF est-elle toujours globalement un service public ? La grève de décembre 1995 apporte des éléments de réponse. Cette grève a démontré que la SNCF n'est plus un service public global, même si elle a mis au jour l'existence incontestable de certaines missions de service public.
L'action paralysante de la grève dans les banlieues des grandes agglomérations, en particulier dans la région parisienne, démontre que la SNCF y remplit, en dehors des grèves, une mission irrempaçable de service public. Mais, là encore, les grèves de décembre ont porté un coup très dur à la SNCF et à ses missions de service public en portant atteinte à une règle sacro-sainte du service public : la continuité.
Mme Hélène Luc. Le droit de grève existe-t-il ?
M. Nicolas About. M. Fiterman a introduit l'obligation de service minimum dans les contrôles aériens !
Mme Hélène Luc. Répondez à ma question !
M. Nicolas About. Pourquoi considérer que la SNCF est un service public inférieur à celui de l'aviation ? Il y a là mépris de votre part. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) Ce que M. Fiterman a fait pour le contrôle aérien, il faudra le faire pour la SNCF.
M. Paul Masson. Très bien !
Mme Hélène Luc. Il avait le soutien de la population. C'est cela qui vous fait mal !
M. Nicolas About. L'usager captif est devenu un citoyen écoeuré et déjà, en puissance, un client exigeant et friand de transports alternatifs.
Attention, il faudra donc, dans l'avenir, instaurer pour toute mission de service public rendue par le privé ou par le public la règle de la continuité ou du service minimum. Dans le cas contraire, il appartiendra aux clients-citoyens de se tourner vers d'autres solutions, et aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre des transports alternatifs adaptés au service public.
Je ne crois absolument pas incompatible pourtant une ouverture maîtrisée à la concurrence et le maintien de missions de service public conçues de manière ambitieuse. Il faut simplement prendre conscience du fait que la notion de service public est évolutive et que ses contours se modifient avec le temps. Je ne pense pas que le transport ferroviaire soit aujourd'hui un service public dont l'accès doit être accordé à chacun, quelle que soit sa situation sur le territoire.
Le service public pertinent, c'est celui du transport collectif de voyageurs, et ce service-là peut se faire selon des modalités variables. C'est notamment pour cette raison que la régionalisation est utile. Les conseils régionaux apprécieront d'une manière probablement plus satisfaisante que l'Etat le meilleur moyen d'assurer le service public. Ils pourront mettre en oeuvre avec la SNCF, et en associant les citoyens - je n'ai pas dit les usagers, car j'espère qu'ils trouveront d'autres citoyens - des expériences de redynamisation de certaines lignes ; d'autres dessertes pourront être mieux assurées par car ou par taxi collectif.
Cela ne signifie aucunement la mort du service public ou la mort du rail. Il faut permettre au transport ferroviaire de se développer là ou il est le plus pertinent plutôt que de s'acharner à préserver un statu quo qui, lui, conduira très certainement à la disparition du transport ferroviaire. Mais, attention, que personne ne s'y trompe : la défense du service public, à travers des concessions de missions de service à la SNCF ou à d'autres, devra, je le répète, s'accompagner d'une prise de conscience, à savoir qu'elle n'est compatible qu'avec l'apparition d'une obligation de service minimum.
Madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crois profondément qu'à l'échelle de l'Europe le transport ferroviaire a un rôle majeur à jouer. Je crois également qu'une ouverture maîtrisée et contrôlée à la concurrence n'empêchera aucunement le maintien d'un service public de haut niveau auquel nous sommes tous attachés. Je crois enfin que les mesures qui nous sont présentées aujourd'hui constituent une chance pour la SNCF, et qu'il lui revient maintenant de ne pas la laisser passer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, compte tenu du temps de parole qui me reste, je vais directement vous poser les cinq questions qui sont au coeur de ce que je devais dire.
Premièrement, et je souhaite que vous preniez des engagements tout à l'heure dans votre réponse, la liberté tarifaire sera-t-elle la règle, au risque de provoquer des distorsions entre les régions ?
Deuxièmement, les régions pourront-elles négocier avec d'autres exploitants que la SNCF, ce qui signifierait que la SNCF ne serait plus qu'un prestataire de services parmi d'autres ?
Troisièmement, l'Etat prendra-t-il en charge tous les coûts induits par cette politique de régionalisation ?
Quatrièmement, une clarification entre transport régional et ligne d'intérêt national est-elle prévue, afin que le tronçonnage de certaines lignes, telles que Nantes-Lyon, ne soit pas le prélude à l'amoindrissement du service rendu ?
Cinquièmement, enfin, quand la France bénéficiera-t-elle d'une politique globale des transports ?
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Louis Minetti, Plus les voitures et les camions « s'entassent » sur les routes, plus augmentent les embouteillages dans notre pays.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Louis Minetti, Vive la pollution ! Vive le stress ! Vive les accidents de la route ! Vive le temps perdu ! Vive le coût pharaonique des tranports !
M. Emmanuel Hamel. Excellent !
M. Louis Minetti. Monsieur le président, si vous me le permettez, car je crois disposer encore d'un peu de temps de parole, je ne peux pas, après avoir entendu certains de mes collègues, laisser insulter les cheminots et mettre en cause le droit de grève. (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Si ce débat est engagé aujourd'hui, si nous enregistrons quelques avancées positives, c'est parce que les cheminots ont été en grève et qu'ils ont renouvelé, quelque cinquante ans après, ce que l'on a héroïquement appelé la « bataille du rail ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur des travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Nicolas About. Personne ne conteste le droit de grève !
M. Jean-Pierre Fourcade. Quel mépris des clients !
M. Louis Minetti. Nous ne serions pas conviés aujourd'hui,...
M. Jean-Pierre Fourcade. Vous vous moquez du monde, monsieur Minetti !
Mme Hélène Luc. Vous n'étiez pas si fiers au mois de décembre !
M. le président. Laissez parler M. Minetti, s'il vous plaît !
M. Louis Minetti. Nous ne serions pas conviés, disais-je, à discuter, nous serions invités aux obsèques de la SNCF s'il n'y avait pas eu la grève de novembre et décembre. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
Je termine en disant, sans hausser le ton, avec gravité et peine, que mettre en cause le droit de grève tout en rappelant les années noires que furent les années trente relève d'une certaine impudence, car cette époque de l'histoire de France est précisément celle de la répression contre les cheminots et celle de licenciements massifs à cause d'une grève perdue, dont on n'a rattrapé les effets qu'après la grande victoire historique de 1936.
M. Ivan Renar. Très bien !
M. Louis Minetti. Je ferai donc un voeu pour que la sagesse gagne et le Sénat et le Gouvernement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)
M. le président. Comme quoi la concision n'exclut pas la vigueur !
Mme Hélène Luc. Je voudrais faire remarquer, monsieur le président, qu'en conférence des présidents j'avais demandé que cinq heures de discussion soient prévus pour ce débat parce que quatre heures me semblaient insuffisantes.
M. Hubert Haenel. Ça le méritait madame !
M. le président. Je suis obligé d'appliquer les décisions de la conférence des présidents, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Une autre fois, vous me soutiendrez, j'espère !
M. le président. La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aux mois de novembre et de décembre derniers, à la suite de l'annonce faite par certains membres du Gouvernement concernant, entre autres choses, la retraite des cheminots, la France a connu l'un de ses plus importants conflits sociaux depuis trente ans.
La mobilisation exceptionnelle a conduit votre gouvernement à retirer son projet et à lancer un débat politique ferroviaire. Mais ce débat n'en a que le nom.
En effet, avant même que nos collègues de l'Assemblée nationale aient pu faire part de leur vision d'avenir pour la SNCF, votre projet faisait la une de toute la presse, monsieur le ministre.
Aujourd'hui, il en est de même puisque, en plus de vos propositions, le président de la SNCF a annoncé toute une série de mesures, la semaine dernière.
Aussi, ai-je vraiment l'impression qu'une fois de plus les parlementaires - et plus particulièrement les sénateurs - sont négligés.
Je le regrette fortement, car l'avenir de la SNCF nous concerne et, au-delà, l'avenir du transport ferroviaire et l'aménagement du territoire de notre pays.
Cependant, je ne m'en étonne guère, puisque l'opinion publique - comme nous-mêmes - est habituée à cette politique de votre gouvernement qui consiste à annoncer certaines décisions avant même de les avoir discutées avec les personnes concernées.
Je voudrais vous dire, monsieur le ministre, que le groupe socialiste du Sénat est particulièrement sceptique, et surtout très inquiet non seulement devant vos propositions, mais aussi face à vos silences.
Vos propositions ne sont certes pas nombreuses, mais elles sont terriblement menaçantes pour l'avenir de la SNCF et sa mission de service public.
En créant un EPIC, établissement public à caractère industriel ou commercial, chargé des infrastructures et d'une partie de la dette, vous allez scinder en deux le service public ferroviaire.
Ce transfert ne sera pas seulement comptable, il sera également organique.
Rien ne garantit alors que la SNCF sera le seul gestionnaire. Elle deviendra ainsi un exploitant comme un autre, qui devra s'acquitter d'un péage, laissant la porte ouverte à tout autre.
Ce désendettement est un trompe-l'oeil, car la SNCF accuse toujours 80 milliards de francs de dette.
La SNCF, on le sait, est malade, et ce n'est pas en mettant un terme à son unicité qu'on la sauvera.
Vous allez confier des pans entiers du réseau aux régions : la mienne, le Nord - Pas-de-Calais, était favorable à l'expérimentation, car elle avait déjà, depuis de nombreuses années, une excellente convention en matière de transport régional avec la SNCF.
Mais, force est de constater que les modalités financières de transfert sont d'ores et déjà insuffisantes ; cela prouve que l'Etat ne respectera pas sa parole une fois les contrats passés.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Comment pouvez-vous dire cela !
M. Léon Fatous. Cette situation ne sera pas tenable pour les régions ; elle les obligera, dans l'avenir, à fermer les lignes déficitaires. C'est déjà le cas, dans ma région, pour la ligne Arras-Etaples. Qu'en sera-t-il pour les usagers, en grande majorité des étudiants, des enfants scolarisés et des travailleurs ?
Par ailleurs, la fermeture de cette ligne n'entraînera-t-elle pas la fin du trafic du fret ?
Je vous parlais des silences ou plutôt des absences qui en disent long ; je relèverai notamment l'absence de contrats de plan, à savoir de documents formalisant les rapports entre les pouvoirs publics et la SNCF, leurs engagements réciproques.
On peut, à juste titre, se poser les questions suivantes : comment l'Etat s'y prendra-t-il pour coordonner son action et celle de la SNCF ? Où seront définis, non seulement les objectifs de la SNCF, mais aussi ses missions de service public ?
Vos silences masquent aussi l'absence de projets novateurs et sérieux pour développer le transport de fret.
En tant que ministre des transports, vous savez mieux que quiconque combien la route est dangereuse, l'accroissement du nombre de poids lourds circulant sur nos routes étant devenu insupportable.
L'Etat doit donc prendre ses responsabilités en favorisant le transport ferroviaire. Il faut qu'un schéma national de transport combiné définisse les infrastructures à réaliser, en planifiant les équipements et les financements. Cela aurait pu être prévu dans un contrat de plan !
Votre rôle, en tant que ministre des transports, est de rétablir une coordination intelligente entre la voie ferrée et le transport routier. Les transporteurs, notamment les petits, connaissent aussi des difficultés ; elles vous ont d'ailleurs été exposées lors de la clôture du congrès de l'UNOSTRA, l'Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles, auquel vous avez-vous même participé.
Vous devez montrer votre volonté de défendre le service public et l'aménagement du territoire ; vous devez montrer votre volonté de participer aux efforts de la Communauté européenne et de votre gouvernement en matière de protection de l'environnement.
Enfin - et je terminerai sur ce point extrêmement important - qu'adviendra-t-il des 180 000 cheminots ?
N'est-ce pas le public lui-même, selon l'enquête réalisée par la SNCF, qui souhaite être mieux accueilli dans les gares, que celles-ci soient plus agréables et que la sécurité y soit renforcée ?
Or, on constate que les effectifs fondent comme neige au soleil. Les agents partant à la retraite sont très peu remplacés.
Au cours de votre audition devant la commission des affaires économiques du Sénat, le 28 novembre 1995, vous avez abordé le problème des filiales de la SNCF, que vous estimiez trop nombreuses et dont certaines ne vous semblaient pas en rapport avec les activités premières de cette entreprise. Vous envisagiez même d'en céder un certain nombre.
Aujourd'hui, vous n'en parlez plus, mais quelle est votre position sachant pertinemment que la combinaison rail-route doit se poursuivre et même se développer pour les raisons que j'ai évoquées précédemment ?
Remobiliser les cheminots pour assurer l'avenir de la société, je suis d'accord ; mais, avec vos mesures, qui ont un avant-goût de démantèlement du service public et de privatisation, vous risquez de les remobiliser sur un objectif opposé à celui que vous souhaitez atteindre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

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