AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les affaires étrangères.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de saluer l'initiative que vous avez prise de procéder, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, à un débat sur la politique étrangère de la France. Je suis particulièrement heureux de constater que vous êtes nombreux pour ce débat, ce qui marque l'intérêt du Sénat pour la politique étrangère de notre pays.
Nous sommes à la veille d'échéances décisives pour l'Europe : 1997 sera une année charnière de l'histoire de notre continent. Aussi notre priorité absolue est-elle d'édifier une Europe rénovée, sans cesser de participer à la mise en place d'un monde plus démocratique, plus juste, plus sûr et qui ne perde rien de sa diversité.
Au moment où tant de voix s'élèvent pour mettre en doute le bien-fondé de notre choix européen, je voudrais vous redire, inlassablement, ma conviction : nous avons besoin de construire notre avenir avec les autres peuples d'Europe.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères. Ne croyez pas que je ne comprenne pas le découragement qui saisit certains de nos concitoyens lorsqu'on leur demande, au nom de l'Europe, de faire plus d'efforts, toujours plus d'efforts.
Pour des hommes et des femmes confrontés à des difficultés essentielles qui touchent à leur vie quotidienne, pour tous ceux qui sont privés d'emploi ou qui s'inquiètent pour leur logement ou l'avenir de leurs enfants, les problèmes d'institutions européennes ou d'architecture européenne de sécurité paraissent sans doute bien loin.
Les citoyens français, mais aussi les ressortissants des Etats partenaires, attendent des gouvernants des résultats concrets. Leur impatience est légitime : depuis trop longtemps, les barrières idéologiques qui bornaient l'horizon européen ont été abattues, sans que l'Europe accède à son nouvel équilibre économique, politique et social.
Cette impatience est donc la mienne et je suis sûr qu'elle est aussi la vôtre.
Pour autant, l'Europe est un gigantesque chantier de rénovation et de construction.
L'année 1997 sera sans doute une année clé pour quatre étapes essentielles de ce chantier.
Le premier de ces chantiers est incontestablement l'approfondissement de l'Union européenne. Deux échéances nous attendent en ce domaine : l'achèvement de la Conférence intergouvernementale et la préparation de la troisième phase de l'Union économique et monétaire. L'une et l'autre reposent sur la coopération franco-allemande, mais elles exigent aussi un dialogue attentif de notre part avec tous nos partenaires, je pense, en particulier, à l'Espagne, à l'Italie, et à beaucoup d'autres.
La Conférence intergouvernementale doit permettre de faire en sorte que les institutions européennees soient en mesure d'affronter l'élargissement qui se prépare. Elle devrait aboutir au milieu de l'année prochaine, sur la base des orientations qui ont été données par le Conseil européen de Dublin en octobre dernier, et qui seront, je l'espère, prolongées, précisées et développées à l'occasion du Conseil européen de Dublin en décembre.
Nous sommes engagés dans une oeuvre extrêmement importante de rapprochement des grands Etats souverains et démocratiques. Il est donc normal que les discussions soient âpres, que les idées circulent, que le temps de la réflexion soit pris. Mais l'heure où la négociation doit se nouer a désormais sonné. A l'issue de cet exercice, nous devons parvenir à une Europe à la fois plus démocratique et plus efficace, plus respectueuse de la diversité de ses membres, plus apte à agir sur la scène internationale et mieux armée, je l'espère, pour lutter contre les nouveaux fléaux qui menacent nos sociétés.
Pour qu'elle soit plus efficace, il faudra que nous ayons réglé la question de la pondération des voix au Conseil, de façon à mieux tenir compte du poids propre de chaque Etat dans l'Europe élargie.
Il faudra aussi que la commission, retournant vers ses origines, soit réduite en nombre et plus efficace. (M. Genton fait un signe d'approbation.)
La possibilité devra être donnée à un certain nombre d'Etats voulant aller plus vite et plus loin de s'organiser dans le cadre de l'Union, sans entraîner de force ceux qui ne seraient pas prêts, mais aussi sans être freinés par ceux dont le pas est plus lent.
Pour mieux tenir compte de la diversité, il faudra donner un rôle nouveau aux parlements nationaux et résoudre, enfin, l'interminable question de la subsidiarité, toujours évoquée, jamais résolue.
Pour être plus présente sur la scène internationale, l'Union devra avoir donné corps à cet outil de la politique étrangère et de sécurité commune que nous appelons de nos voeux.
Il faudra aussi que, dans ses dispositions, le traité sur l'Union fasse référence à la solidarité politique de ses Etats membres et à ses relations avec l'Union de l'Europe occidentale.
Enfin, pour être mieux armée contre les fléaux nouveaux que j'évoquais tout à l'heure, il conviendra que l'Union ait pris des décisions de forte importance concernant la lutte contre le terrorisme, la drogue et le trafic de main-d'oeuvre.
L'année 1997 sera, dans le même temps - tout le monde le sait - un moment décisif vers la création de la monnaie européenne. Il faut donc, au cours de cette année 1997, conforter le sentiment que le passage à la monnaie unique est définitif, et achever les travaux de préparation, notamment sur l'organisation des relations entre les pays de la phase III et ceux qui ne les rejoindront que plus tard. Une dynamique se met en place ; il convient qu'elle aille à son terme.
Enfin, l'importance de ces échéances monétaires ne nous empêche pas d'être conscients de la nécessité de préserver le modèle social : le nôtre, mais aussi, je crois pouvoir le dire, le modèle social européen qui est, dans ce monde nouveau, l'un des traits distinctifs de la société européenne, et que nous n'avons pas de raison de brader à l'encan.
Ainsi l'Union sera-t-elle en mesure, mesdames messieurs les sénateurs, d'accueillir de nouveaux membres. L'élargissement sera donc notre deuxième rendez-vous capital pour la fin de l'année 1997 ou le début de l'année 1998.
La France a pris position clairement pour l'accueil, au sein de l'Union, de ces peuples qui font naturellement partie de notre communauté culturelle et historique. Le processus d'élargissement sera mené de façon à intégrer aussi vite que possible ceux qui ont déjà parcouru une grande partie du chemin. Mais il ne faudra exclure personne de ce projet, de cette perspective, de cet objectif. C'est pourquoi la France propose l'organisation d'une conférence européenne permanente réunissant l'Union et l'ensemble des pays candidats, afin de développer entre nous, dès maintenant, une coopération politique renforcée.
Aucun Etat d'Europe, fût-il aux marches de notre continent, avec ou sans vocation à entrer dans l'Union, ne doit se sentir menacé par ces évolutions.
Nous aurons donc - ce sera le troisième chantier - à jeter les bases d'une nouvelle architecture de sécurité européenne en 1997.
Cela nous conduit à faire trois paris.
Le plus fondamental consiste à transformer une Alliance atlantique, hier dirigée contre un ennemi identifié, en une alliance qui, à des degrés divers, accueillera les nouvelles démocraties européennes et coopérera avec tous : l'élargissement de l'OTAN franchira en 1997 une étape décisive.
En même temps seront définis, avec la Russie, mais aussi avec tous les pays qui le souhaiteraient - je pense, notamment, aux pays Baltes - des liens de coopération particuliers et adaptés aux besoins de sécurité de chacun.
L'élargissement de l'OTAN ne doit pas renforcer la sécurité de quelques-uns aux dépens des autres. Il faut qu'il n'y ait, dans cette affaire, ni vainqueur ni vaincu, et que la sécurité de tous, y compris de la Russie, s'en trouve renforcée.
Dans le même temps, nous voulons arriver à donner naissance, au sein de l'OTAN, à une véritable identité européenne de défense. Après le conseil ministériel de Berlin, qui s'est tenu le mois dernier, de nouvelles étapes importantes seront franchies, je l'espère, en 1997, avec pour horizon une alliance nouvelle, dans laquelle l'Europe pourra agir et se faire entendre.
Si une telle alliance voit le jour en 1997, la France est prête à y prendre toute sa place. Toutefois, si les choses ne devaient pas évoluer ainsi, bien entendu, nous en resterions là.
Enfin, nous sommes convaincus que, pour réussir, cette révolution tranquille doit s'accompagner de l'approfondissement d'un solide partenariat qui, à travers l'océan Atlantique, nous attache aux Etats-Unis.
Certains prennent grand plaisir à monter en exergue tous les dossiers sur lesquels les intérêts de la France paraissent entrer en conflit avec ceux des Etats-Unis. Je voudrais les détromper et, si c'était nécessaire, mesdames, messieurs les sénateurs, vous rassurer. Les relations franco-américaines sont profondes et confiantes. Le nombre de sujets de désaccord est limité au regard de la densité des relations. Le caractère en apparence contentieux de certains d'entre eux traduit la réalité de notre relation : celle de deux partenaires prêts à dialoguer sur tout, qui ont des liens d'amitié extrêmement forts et qui sont, naturellement, déterminés à surmonter leurs divergences.
Le sommet de l'Alliance qui se tiendra l'an prochain permettra, je l'espère, d'atteindre ces trois objectifs, avec un principe de base : que nul Etat en Europe ne se sente diminué dans sa sécurité, et que, au contraire, celle-ci ait progressé de façon décisive.
Cette exigence d'égalité entre Etats, cette conviction que la sécurité en Europe doit être égale pour tous, nulle institution ne les incarne mieux que l'OSCE. C'est pourquoi nous proposerons à l'occasion du sommet de Lisbonne, en décembre prochain, de raffermir l'OSCE et de prendre des mesures concrètes qui manifesteront qu'aucun Etat européen n'est, selon nous, « secondaire » ou « moins important » en matière de coopération et de sécurité.
Au terme de cette énumération, je me sens à la fois conforté dans mes convictions européennes et forcé de mesurer l'ampleur de la tâche. En effet, qui aurait pu, il y a quelques années, imaginer qu'avant la fin du siècle notre génération aurait à ouvrir à la fois les chantiers de l'Europe politique, de son élargissement à l'Europe entière, de l'accession de l'Union européenne à la souveraineté monétaire, ainsi que de l'établissement de l'alliance effective des peuples établis de l'Atlantique à l'Oural ?
La France ne peut laisser sa chance d'imprimer à cette oeuvre, par la force de sa persuasion, sa marque singulière. Ne laissons pas passer notre chance, ne laissons pas « l'éternelle alliance de la démagogie et de la routine », que dénonçait le général de Gaulle en 1964, nous priver des réformes indispensables.
Dans cette phase de transition, la volonté - qui est de notre part profonde et sincère - d'aboutir à ce que l'Europe adopte des positions communes ne privera pas la France de sa voix. Le succès de la politique étrangère et de sécurité commune se mesure non pas à l'effacement des politiques nationales, mais à son aptitude à les rapprocher et à en amplifier l'impact à l'extérieur.
Je pense en particulier, évidemment, au Moyen-Orient et à la Méditerranée.
Au Proche-Orient, selon la ligne qui vient d'être tracée par M. le Président de la République lors de son récent voyage dans la région, nous continuerons à soutenir tous les efforts visant à relancer le processus de paix. Nous sommes convaincus que l'Europe, qui est l'un des principaux contributeurs, a son mot à dire dans cette affaire, d'autant qu'il s'agit, pour elle, d'intérêts essentiels, d'intérêts vitaux, qui lui donnent non seulement le droit mais le devoir de s'en mêler.
Nos efforts visent à faciliter la reprise des négociations sur la base des accords déjà conclus et à tracer une perspective dans laquelle l'Europe trouvera naturellement sa place dans le cours des négociations.
Nous nous réjouissons, et nous considérons qu'il s'agit d'un succès pour nous aussi, que l'Union européenne, lundi dernier, ait nommé un émissaire spécial pour le Proche-Orient et comptons bien contribuer activement à la définition du mandat politique qui lui sera confié.
Sur le plan économique, nous sommes prêts à aider toutes les parties dans le cadre plus large du partenariat euro-méditerranéen. Celui-ci prévoit, vous le savez, avec le programme MEDA une aide de 5 milliards d'écus sur cinq ans et autant sous forme de prêts. Mais il vise aussi un véritable dialogue politique et culturel, en offrant une enceinte qui rassemble tous les Etats riverains. En 1997, la France propose qu'une conférence interministérielle, voire, si les conditions sont réunies, un sommet des chefs d'Etat des vingt-sept pays réunis voilà un an à Barcelone, adopte un pacte euro-méditerranéen, qui donne à cette relation nouvelle sa pleine dimension politique.
Au-delà de l'Europe, avec nos partenaires de l'Union européenne, notre ambition est de contribuer à l'instauration d'un monde plus démocratique, plus juste, plus sûr et qui ne perde rien de sa diversité.
La principale enceinte de dialogue et de promotion de la stabilité à l'échelle mondiale doit demeurer l'Organisation des Nations unies.
Les valeurs que nous défendons - Etat de droit, égalité souveraine des Etats, respect des droits et libertés - constituent son fondement.
C'est pourquoi en 1997, nous continuerons d'être actifs dans la rénovation des Nations unies. Nous soutenons le secrétaire général M. Boutros Boutros-Ghali dans l'oeuvre remarquable de réforme qu'il a entreprise, en dépit des bâtons dans les roues qu'il a pu rencontrer. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
Face à la crise financière que connaissent les Nations unies, nous adoptons une attitude constructive : avec nos partenaires européens, nous avons fait des propositions concrètes destinées à assainir une situation obérée par d'énormes arriérés ; nous appelons nos amis américains à tenir leurs engagements pour contribuer à cet assainissement.
Nous sommes ouverts aux évolutions, y compris en ce qui concerne le Conseil de sécurité. La France soutient la candidature de son principal partenaire, l'Allemagne, ainsi que du Japon, au statut de membre permanent du Conseil de sécurité. De grands Etats « du Sud » appelés à jouer un rôle majeur à l'avenir devront également y trouver toute leur place.
Nous exerçons nos responsabilités, en dehors du Conseil de sécurité, dans toutes les enceintes de l'Organisation : nous encourageons tout particulièrement le patient travail accompli par la Commission des droits de l'homme qui, non sans mal, poursuit son effort quotidien contre les abus et fraye peu à peu la voie du droit.
A titre national, comme à travers l'Union européenne, nous continuerons à contribuer de façon significative à l'aide au développement. Nous avons été, en 1995, le deuxième contributeur mondial en valeur absolue - je dis bien « en valeur absolue » - immédiatement après le Japon et devant les Etats-Unis, avec une aide totale de 8,4 milliards de dollars, c'est-à-dire plus de 40 milliards de francs. A l'avenir, nous nous efforcerons de maintenir ces ordres de grandeur, mais nous aimerions bien nous sentir un peu moins seuls.
A cet égard, l'Afrique constitue toujours pour nous un objectif prioritaire. Pour la première fois, l'Afrique a connu, ces deux dernières années, une croissance de l'ordre de 5 % supérieure à la croissance démographique. Nous y voyons un encouragement à renforcer encore nos efforts. Si l'on additionne l'ensemble des aides bilatérales et multilatérales - notamment européennes - accordées par la France au développement, 60 % vont à l'Afrique, dont 47 % à l'Afrique subsaharienne, où les pays les moins avancés sont, hélas ! les plus nombreux.
Lors du G7 de Lyon, en juin dernier, nous avons insisté auprès de nos partenaires pour que, malgré les restrictions budgétaires pratiquées par tous les pays occidentaux, les plus pauvres ne soient pas, comme toujours, les plus oubliés. Tel n'est pas, hélas ! pas le cas et la France a réaffirmé la nécessité d'accorder à ces Etats un traitement plus généreux en ce qui concerne le remboursement de leur dette. Nous nous félicitons que nos partenaires aient confirmé leur participation à l'Agence internationale pour le développement, qui dépend de la Banque mondiale, et à la Banque africaine de développement.
Nous avons également plaidé pour que de nouveaux pays émergents adoptent la même politique de solidarité envers les moins avancés, comme le M. Président de la République l'a fait à Singapour, au printemps dernier.
Bien évidemment, dans notre esprit, le développement ne se réduit pas à un soutien financier, si important soit-il. Notre travail en faveur de la démocratie et du maintien de la paix demeure essentiel. Dans le cadre de « l'agenda pour la paix » du secrétaire général de l'ONU, les pays africains doivent être plus impliqués dans la prévention des crises qui secouent leur continent, ils doivent mieux protéger la stabilité politique sans laquelle il n'est pas de développement durable.
Nous voudrions aussi créer un monde plus prévisible.
La mondialisation ne doit pas servir d'exutoire à nos propres difficultés, à nos opinions désorientées. Elle nous impose d'être plus présents dans le nouveau paysage international et doit être vue comme une chance pour nos produits - puisque nous représentons le quatrième exportateur mondial - mais aussi pour nos idées et notre culture.
La mondialisation ne sera un facteur de stabilité pour notre société que si, au lieu de la subir, nous savons la maîtriser et faire en sorte que les rapports de forces soient encadrés par des règles du jeu claires et acceptées par tous. Promouvoir ces règles, notamment les règles sociales, et les faire respecter est l'un des enjeux essentiels de la mondialisation. Celle-ci n'est pas nécessairement un bien ; elle sera un bien à condition qu'elle suive des règles précises, coordonnées entre tous.
La France et l'Union européenne s'efforcent de renforcer les procédures de régulation que lui offrent les structures multilatérales mises en place au cours des dernières années, notamment l'Organisation mondiale du commerce. Sans loyauté, il n'y a pas d'échanges équilibrés. L'adoption par certains de mesures unilatérales et extraterritoriales nous a conduits à déclencher des procédures, et à nous doter d'instruments symétriques. C'est ce que nous avons fait lundi dernier à Bruxelles, pour répliquer à la loi Helms-Burton. Nous ferons le plein usage des voies de règlement des différends qui nous sont ouvertes, mais nous n'hésiterons pas, si nous y sommes contraints, à veiller par tous les moyens nécessaires au respect des règles du jeu.
En outre, la France utilisera toutes les enceintes multilatérales existantes, l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture - FAO - en vue du prochain sommet mondial sur l'alimentation et l'Organisation internationale du travail - OIT - où la France saura faire entendre son souci de cohésion et de justice sociale.
Dans le prolongement de cette action, notre diplomatie est également mobilisée pour soutenir concrètement nos entreprises à l'exportation, les grandes comme les moins grandes, lesquelles ne savent pas toujours suffisamment que nos ambassades peuvent les aider dans leur développement international.
C'est ainsi que, comme vous le savez, nous avons décidé de donner un nouvel élan à notre diplomatie économique, en faisant se rencontrer dans les régions françaises nos ambassadeurs et des chefs d'entreprise, notamment des PME et des PMI. Je lancerai bientôt cette opération à Nantes. Bien entendu, elle se poursuivra dans l'ensemble des régions de France.
Enfin, nous nous efforcerons de poursuivre la lutte contre les fléaux transnationaux qui posent un défi nouveau à la sécurité internationale et appellent des formes radicalement nouvelles de coopération internationale.
Le sommet du G7 a engagé une coopération en matière de lutte contre le terrorisme : vingt-cinq recommandations pratiques et concrètes ont été adoptées le 30 juillet à Paris, auxquelles nous entendons, bien sûr, donner suite.
La drogue est un autre sujet de préoccupation majeure : les Etats où se trouvent les consommateurs potentiels et ceux où s'effectue la production ont désormais conscience de l'imbrication des enjeux. L'union européenne a choisi de coordonner son action avec celle d'institutions multilatérales, comme le programme spécialisé des Nations unies. Ainsi, 1997 sera pour nous une année de préparation de la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations unies qui, l'année suivante, sera consacrée à la drogue.
En matière de désarmement, des voies nouvelles sont ouvertes. J'ai signé au nom de la France à New York, en septembre dernier, le traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Après des décennies, nous voyons enfin la menace d'une guerre atomique s'estomper. Cette convention apporte une contribution importante à la non-prolifération. Nous devons la compléter par une négociation sur l'interdiction de la production de matières fissiles à des fins d'armement. Nous oeuvrerons également à la conclusion d'un accord d'interdiction générale des mines anti-personnel qui doivent être impérativement éradiquées.
Enfin, il est vital à nos yeux que le monde en train de se construire ne renonce pas à sa diversité.
La promotion de la francophonie n'est pas le combat égoïste d'une France attachée à la perpétuation de son prestige ou de sa culture, encore que ce serait un objectif en lui-même suffisant. Notre engagement est celui de tous ceux et celles qui refusent l'uniformité et l'existence d'une seule langue dans le monde,...
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères. ... qui croient aux échanges entre cultures différentes et sont persuadés que le progrès s'appuie sur de telles constatations.
La diversité des Etats francophones en est le meilleur exemple : le prochain sommet francophone aura lieu en Asie, à Hanoi, en novembre 1997 ; il fera suite à celui de Cotonou, de décembre 1995, où deux priorités ont été définies : l'éducation de base et la place du français dans les réseaux modernes de communication.
Nous poursuivrons aussi notre politique d'extension des zones desservies par nos opérateurs de radio et de télévision, ainsi que notre réflexion sur l'adaptation de notre offre en la matière.
Le souci de la diversité nous anime aussi lorsque nous nous efforçons de renforcer nos liens avec des zones émergentes qui doivent être aujourd'hui les priorités de notre diplomatie : l'Asie et l'Amérique latine.
L'Asie doit être - je l'ai dit et je le répète - la « nouvelle frontière » de notre diplomatie. Lors de la visite du Président de la République à Singapour, au printemps dernier, la France a donné la mesure de cette ambition. Nos relations avec ce continent si dynamique, si riche aussi de ses traditions, de ses cultures et de ses savoirs, doivent être portées à un degré de qualité nouveau dans les domaines culturel, politique et naturellement économique.
Lors du sommet de Bangkok en mars dernier, qui a réuni les quinze Etats de l'Union européenne et dix pays d'Asie, le projet franco-singapourien de création d'une fondation euro-asiatique a été entériné. La mise en place de la fondation dans les prochains mois nous permettra d'encourager le rapprochement des chercheurs et des étudiants.
La priorité que nous attachons à l'Asie sera marquée par des visites importantes du Président de la République au Japon, en novembre prochain, et en Chine, en 1997.
Tout comme nos relations avec l'Asie, nos rapports avec l'Amérique latine doivent être renforcés. L'Union européenne est le premier partenaire commercial du marché commun d'Amérique du Sud, le MERCOSUR, qui rassemble l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, et nous y enregistrons des excédents importants.
D'une manière générale, nous jouissons dans cette région du monde, avec nos partenaires européens, d'un capital de sympathie important, fait d'affinités latines et de liens humains et accru par la qualité exceptionnelle de la coopération à quinze.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en un an, le Président de la République a marqué notre action extérieure d'un style nouveau, plus direct, plus simple, plus actif aussi, où les apparences protocolaires comptent peut-être moins qu'avant, mais la chaleur et la sincérité sans doute davantage.
M. Michel Caldaguès. Très bien !
M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères. Ce style nouveau nous a permis de confirmer notre engagement européen, d'explorer les nouveaux champs de notre diplomatie et de créer une relation d'une qualité nouvelle avec de nombreux partenaires.
Ce style nouveau est celui d'une France fiable, consciente de ses responsabilités internationales, dénuée d'arrogance, ouverte au dialogue, capable de faire face aux nouveaux chantiers de la vie internationale d'aujourd'hui et - soyez-en sûrs - absolument déterminée à faire valoir ses intérêts, à faire rayonner son prestige et sa culture, à porter l'étendard de l'Europe sur tous les continents de notre planète : la planète des hommes de demain, où l'Europe peut prétendre occuper la première place, où la France peut encore vouloir jouer les premiers rôles, la France, la France d'hier et d'aujourd'hui, la France de toujours ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération.
M. Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté du Gouvernement de maintenir et de renforcer son engagement en faveur de la coopération et de l'aide au développement s'inscrit dans le souci de solidarité exprimé de manière permanente par le Président de la République. Que ce soit à Cannes, au huitième sommet européen consacré en partie au Fonds européen de développement, à Halifax ou, plus récemment, à Lyon lors de la réunion du G7, ou encore lors de ses voyages en Afrique, il a fait en sorte que la France soit le défenseur de l'aide au développement et qu'au « mondialisme économique réponde aujourd'hui le mondialisme du développement ».
Certains, en effet, s'interrogent sur le bien-fondé d'une telle politique, notamment en faveur du continent africain.
D'une manière générale, il faut tout d'abord constater que, sous couvert d'un afro-pessimisme plus ou moins désabusé, se masque le plus souvent une volonté de désengagement de certains grands pays industrialisés.
La France renoncerait cependant à être elle-même si elle cédait à cette tentation de repli. Cette dernière doit être d'autant plus combattue que l'observation des faits nous confirme dans la conviction que les progrès importants constatés doivent être confortés : progrès économiques, fruits des efforts d'ajustement engagés depuis dix ans et permettant d'espérer une croissance annuelle supérieure à 5 % en 1996 ; progrès politiques en termes de liberté d'expression, d'amélioration de l'Etat de droit et, bien sûr, de démocratisation.
Des raisons économiques existent également : l'Afrique est et sera un marché porteur pour nos entreprises.
Il y a enfin les liens tissés par la culture et par l'histoire.
Par ailleurs, sans développement des pays africains, comment espérer réduire la pression migratoire dont les conséquences pèsent sur notre pays ?
Une politique de coopération forte et généreuse est donc bien une nécessité pour notre pays.
De plus, il s'agit véritablement d'un enjeu pour la construction européenne et pour l'avenir de l'Europe, car l'Europe ne peut se construire véritablement qu'autour d'une conception commune de l'homme qui doit se traduire dans les rapports Nord-Sud.
Dans ce contexte, quels sont les principaux objectifs et priorités autour desquels s'organise mon action ?
Tout d'abord, notre politique de coopération est guidée par la recherche d'un véritable partenariat ; nous avons à coeur de définir conjointement les priorités d'intervention, nous facilitons à nos partenaires l'appropriation des projets et nous établissons avec eux un véritable échange, en considérant que les relations ne doivent pas être à sens unique. Ce partenariat ne se limite d'ailleurs pas à l'aide au développement : il doit en effet inclure les relations culturelles et commerciales.
La finalité profonde de la coopération est l'amélioration de la vie quotidienne des personnes. Il faut donc que les populations, où qu'elles se trouvent, voient leur vie améliorée du fait de notre action de coopération.
Aujourd'hui, dans un contexte budgétaire rigoureux, pour les pays bailleurs comme pour les pays bénéficiaires, il est indispensable de définir de nouvelles formes de coopération aptes à compléter de manière efficace les politiques plus traditionnelles d'aide.
Il faut, bien sûr, poursuivre la politique d'assainissement et de rigueur entamée notamment avec la dévaluation du franc CFA, en confortant les progrès constatés et en renforçant au maximum notre coordination avec les autres bailleurs de fonds.
Dès que cela se révèle possible, cela se traduit par une priorité à l'aide-projet, c'est-à-dire par un effort accru en faveur des projets de développement remplaçant progressivement l'appui aux balances des paiements et les annulations de dettes.
Plus concrètement, cela se traduit par le renforcement à plusieurs niveaux du tissu et de la trame de ce continent.
Il convient tout d'abord de privilégier le développement de proximité, celui qui incite les populations à demeurer sur place et qui lutte autant contre l'exode rural que contre l'émigration excessive. Plus généralement, il faut encourager une politique de développement durable, soucieuse de préserver dès le départ l'aménagement du territoire et accordant la priorité au développement humain, richesse première de toute nation.
Ensuite, il s'agit de favoriser les mesures d'intégration régionale, tant par l'élaboration de projets de développement communs à plusieurs Etats que par le renforcement d'organisations d'intérêt régional.
Il faut, par ailleurs, renforcer l'appui à l'Etat de droit, dans toutes ses dimensions : droit public mais aussi droit privé, droit de la justice mais aussi droit des affaires, droit de l'Etat mais aussi droit du citoyen. En effet, seul le renforcement de l'Etat de droit permettra d'enraciner durablement le développement économique, lui-même indispensable à la stabilité des démocraties. C'est pourquoi, dans ce domaine, nous nous félicitons de la décision du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale de faire de la lutte contre la corruption un élément central de leur politique d'aide, ainsi que nous le demandions dès le mois de juin 1995, considérant que la coopération devait viser également la lutte contre les grands trafics.
Enfin, il est nécessaire - cela peut se faire grâce aux progrès de l'Etat de droit - d'encourager l'investissement privé et l'émergence d'un secteur privé dans les pays en voie de développement, et ce pour deux raisons principales : d'une part, si l'aide publique au développement est loin d'être suffisante, elle peut et doit cependant être le moteur qui entraîne derrière lui l'investissement privé ; d'autre part, la situation économique en Afrique offre des perspectives prometteuses en termes de croissance et d'opportunités d'investissements.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le voyez, la France ne participe pas au scepticisme ambiant à l'égard de l'utilité de l'aide, et, pour ma part, avec beaucoup d'autres, je suis résolument optimiste. Je ne méconnais pas les difficultés, les crises - nous en vivons - voire les échecs ; mais il y a aussi les enjeux, les avancées, les progrès. Il faut, bien sûr, que nos actions et notre aide soient appréciées en fonction d'exigences d'efficacité et de transparence, mais il faut aussi qu'elles expriment, d'une manière certes modeste, une certaine vision française de l'avenir du monde. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. Philippe de Bourgoing. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en dépit de moyens budgétaires fortement contraints, dont nous débattrons ici même dans quelques semaines en examinant les crédits du ministère des affaires étrangères pour 1997, la France tient son rang, affirme sa place et défend ses intérêts sur la scène internationale. C'est avant tout affaire de volonté politique, dès lors que notre diplomatie est capable d'un effort permanent d'adaptation et fait preuve de la mobilité intellectuelle et stratégique nécessaire.
Cette démarche volontaire de la France n'est pas contradictoire, bien au contraire, avec l'affirmation et l'approfondissement de solidarités, avant tout européennes, dont dépend en réalité la capacité d'influence et de rayonnement extérieur de notre pays. C'est pourquoi je me félicite du fait que le Président de la République et le Gouvernement aient clairement réaffirmé et renouvelé, depuis dix-huit mois, l'orientation politique majeure de notre pays en direction de l'Europe et de l'Alliance atlantique.
En effet, le choix européen n'est plus, loin s'en faut, de nature rhétorique. Il est aujourd'hui décisif, au moment où s'annonce une série impressionnante d'échéances capitales pour l'avenir de la construction européenne : conférence intergouvernementale, union monétaire, élargissement et - ne l'oublions pas - révision du financement communautaire.
Je me réjouis que la France maintienne un haut niveau d'ambition aux négociations de la CIG pour conjurer le risque de voir les institutions européennes paralysées par un élargissement à dix ou douze nouveaux Etats membres. Mais peut-on être réellement optimiste alors que l'unanimité des Quinze est requise et que l'accord, pour être positif, doit être nécessairement global ? Je ne vous cacherai pas mon inquiétude, monsieur le ministre : le processus actuel de négociation pourra-t-il aboutir sans crise ? Le résultat de la CIG, si l'échec est évité, sera-t-il à la hauteur de nos espérances ? Et, si tel n'était pas le cas, l'Union pourra-t-elle pour autant éviter d'entamer les négociations d'élargissement ?
Les choses paraissent aujourd'hui se présenter sous de meilleurs auspices pour la mise en place de l'union économique et monétaire. Les grandes puissances financières mondiales, longtemps incrédules, en paraissent aujourd'hui convaincues. L'euro est désormais sur la bonne voie. Sa mise en place, qui constitue naturellement un défi pour nos sociétés, qui vivent un douloureux processus d'adaptation, constituera un événement d'une portée considérable. D'abord, parce que l'euro doit permettre enfin à l'Europe de disposer d'une monnaie mondiale capable de faire contrepoids au dollar et au yen. Ensuite, parce que la monnaie unique, qui est le grand projet fédérateur européen de cette fin de siècle, créera une solidarité nouvelle essentielle entre les pays concernés ; c'est un projet politique majeur, qui favorisera lui-même de nouveaux progrès dans la construction européenne.
L'Union doit, en particulier, donner corps - enfin - à l'identité européenne de sécurité et de défense. Mais peut-on encore y croire, après des décennies de discours aussi sincères que vains ? Ma conviction est que oui, à la condition de ne pas laisser passer l'occasion historique qui s'offre aujourd'hui à nous, en particulier pour la rénovation de l'Alliance atlantique qui s'impose depuis la chute du mur de Berlin.
La France l'a bien compris en donnant, en décembre dernier, un signal politique très fort - même si sa portée pratique demeure modeste - qui lui permet de jouer désormais un rôle moteur pour favoriser le processus d'adaptation indispensable pour préserver et rendre plus efficace le lien transatlantique. Parlons clair : il est désormais vain de vouloir opposer « l'Europe européenne » à « l'Europe atlantique ». La seule chance que se développe concrètement une politique étrangère et de sécurité européenne, inscrite de manière abstraite dans le traité de Maastricht, réside dans la vitalité et le caractère harmonieux mais équilibré des relations transatlantiques.
Des principes importants ont été retenus, en juin dernier, à Berlin. Ils constituent un succès majeur, qui n'a pas été assez souligné, pour notre diplomatie. Mais il faut aujourd'hui les traduire au plus vite dans les faits pour introduire dans le fonctionnement militaire de l'Alliance la flexibilité nécessaire. Pouvez-vous, monsieur le ministre, préciser devant le Sénat l'état actuel et les perspectives des discussions engagées avec nos partenaires ? Car l'affaire est capitale. Il y va de notre ambition en matière de sécurité européenne. Il y va aussi, à certains égards, de la cohérence et de l'efficacité de la profonde réforme que nous avons entreprise de notre défense et que notre commission des affaires étrangères, dans sa majorité, approuve complètement.
Le drame qu'a connu l'ex-Yougoslavie au cours des dernières années illustre, si besoin en était, les ravages partiellement imputables à l'impuissance européenne en matière de sécurité et la nécessité de faire aboutir la démarche entreprise. Mais il faut dès aujourd'hui consolider sur le terrain une paix encore bien précaire, fragile et menacée.
Je n'oublie pas, monsieur le ministre, l'ampleur du chemin parcouru : les armes se sont tues, l'IFOR a rempli sa mission. Les premières élections générales de l'après-guerre ont eu lieu le 14 septembre dernier et, quelles qu'en aient été les imperfections, elles marquent une étape importante dans la mise en oeuvre des accords signés en 1995.
Les craintes que j'exprimais déjà il y a un an, à cette tribune, sont cependant loin d'être dissipées. Beaucoup reste à faire pour consolider la paix, aider à la reconstruction des territoires dévastés, encourager le retour des réfugiés, reconstituer la société civile. Les forces qui succéderont à l'IFOR devront y contribuer, car chacun sait que les difficultés politiques et institutionnelles demeurent immenses pour éviter de sceller la division ethnique du pays. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous livrer votre analyse des perspectives qui s'offrent aujourd'hui pour préserver la Bosnie des germes d'éclatement qui la menacent et écarter définitivement le risque majeur de nouveaux affrontements ?
Le processus de paix au Proche-Orient se trouve, lui aussi, à un moment sans doute décisif de son évolution. J'exprimerai, ici encore, mon inquiétude. Car le processus de paix au Moyen-Orient est en danger. Les perspectives ouvertes par les accords de Madrid, d'Oslo et de Taba sont compromises. De nouveaux drames se sont déjà produits. Or, chacun le sait, il n'y a pas d'autre alternative à ces tensions que la reprise du processus de paix pour dégager des solutions à long terme. Ces solutions ne peuvent, en particulier, éluder les questions de Jérusalem, des réfugiés et des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens. Tel doit être, à mes yeux, l'objectif commun des pressions que doit exercer la communauté internationale sur les parties, et d'abord sur les nouveaux dirigeants israéliens.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. La France et l'Europe n'ont choisi qu'un camp, monsieur le ministre, et vous l'avez dit clairement : celui de la paix. Elles doivent être présentes et disponibles pour jouer un rôle utile dans cette région comme force de proposition, dans l'amitié avec les différentes parties. Il va de soi que cette contribution ne saurait se limiter à des communiqués diplomatiques sans lendemain et à une participation majeure et coûteuse à la reconstruction et au développement de la région, car l'Europe est directement concernée par la paix ou la guerre au Proche-Orient.
La France a manifesté dans ce sens beaucoup de détermination, de constance et de persévérance au cours des derniers mois. Je rappelle et salue à cet égard, monsieur le ministre, votre remarquable engagement personnel à l'occasion de l'intervention israélienne du mois d'avril au Sud-Liban. Le Président de la République a, une nouvelle fois, défendu cette orientation positive avec force, clarté et courage au cours de son tout récent déplacement dans la région. Bien au-delà de l'incident, désormais clos, de Jérusalem-Est, l'aspect très positif de cette action est que la France a repris place au Moyen-Orient. Elle a aussi réveillé l'Europe dans la région. Je me réjouis, à cet égard, de la désignation d'un homme de qualité comme émissaire de l'Union européenne au Proche-Orient, mais pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, le contenu exact de sa mission ? Pouvez-vous aussi nous dire si la France envisage de prendre prochainement de nouvelles initiatives pour favoriser la sécurité et le développement de cette région ?
Les grands dossiers internationaux que je viens d'évoquer rappellent, si besoin était, l'importance de nos relations avec nos partenaires et alliés américains. Les Etats-Unis sont désormais la seule super-puissance mondiale ; elle est pleinement consciente de ses atouts, du rapport de forces réel, et déterminée à les exploiter pleinement.
Nous ne devons pourtant pas trouver là la limite, et encore moins une quelconque contradiction avec l'impératif, pour la France, de tenir pleinement son rang, dès lors qu'elle en a la volonté politique, sur la scène internationale.
J'en citerai brièvement, pour conclure, quelques exemples.
Il va de soi, d'abord, que la France doit continuer à défendre l'aide au développement et à l'orienter en priorité vers le continent africain. Il ne s'agit évidemment pas d'exclure quiconque de cet effort, bien au contraire : il s'agit de combattre inlassablement l'afro-pessimisme, qui dissimule le plus souvent, de la part des grandes puissances, une volonté de désengagement au moment même où l'Afrique progresse à sa manière sur la voie de la démocratie et s'est engagée, souvent avec courage, sur le chemin de l'ajustement et du redressement économiques.
Mais les difficultés demeurent immenses, les crises persistent, et la communauté internationale ne peut y demeurer indifférente. Je souhaiterais, à cet égard, recueillir l'analyse du Gouvernement sur la situation qui prévaut aujourd'hui au Zaïre. Elle peut faire craindre en effet un embrasement de cette région des Grands Lacs, transformée en poudrière par plus de trente ans d'affrontements et qui compte aujourd'hui plus de deux millions de réfugiés.
L'ensemble francophone a aussi une vocation particulière à marquer notre solidarité vis-à-vis de l'Afrique. Rassemblant désormais une cinquantaine de pays, l'espace francophone progresse et s'organise. Il doit, à mes yeux, être rapidement renforcé pour jouer un rôle politique capable de prendre des initiatives, de mener des actions de diplomatie préventive et d'agir en faveur de la diversité culturelle.
Enfin, je ne saurais mieux faire, monsieur le ministre, que de reprendre vos propres termes pour souligner que l'Asie doit être, aujourd'hui, « la nouvelle frontière de la diplomatie française ». La France, après y avoir tourné sa page coloniale, a trop longtemps oublié un continent qui constitue aujourd'hui la première zone d'expansion économique dans le monde. Il faut aujourd'hui y reprendre notre place dans tous les domaines. Nous ne manquons pas d'atouts pour y parvenir. Encore faut-il avoir la volonté de les exploiter pleinement, avec une stratégie cohérente et une véritable constance.
Je conclurai d'un mot. Partout où l'Europe saura s'exprimer d'une seule voix, la France sera plus forte et mieux entendue. C'est pourquoi nous devons peser de tout notre poids pour progresser sur la voie d'actions communes fortes en matière de politique étrangère. Notre liberté d'action n'en sera pas amoindrie : chacun le sait, une politique étrangère unique n'est pas pour demain. Mais ce sont nos intérêts que nous compromettrions en nous obstinant à agir seuls ou en ordre dispersé. Il y va du rôle et de l'influence de la France sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, parmi les changements politiques annoncés par le candidat Jacques Chirac lors de sa campagne présidentielle, ceux qui sont intervenus dans la politique étrangère répondent bien aux attentes profondes de notre pays.
L'universalité de la pensée française, toujours très présente dans notre imaginaire collectif et dans notre culture, correspond d'ailleurs parfaitement à la mondialisation actuelle des échanges économiques, encouragés par les accords du GATT et par la création de l'Organisation mondiale du commerce, je dirai même au mondialisme qu'ils inspirent.
En effet, la France se doit de maintenir sa vocation d'universalité, qui a fait la grandeur de son histoire, et de tracer l'avenir en se référant à cette tradition toujours ancrée dans le peuple français.
C'est dans cet esprit que notre politique de coopération avec les pays du champ - essentiellement l'Afrique, avec laquelle nous avons des attaches profondes - constitue une priorité que la France se doit toujours d'assumer, quelles que soient les circonstances. Nous saluons, à ce propos, le volontarisme dont fait preuve M. le ministre chargé de la coopération dans la conduite de son action.
En ce qui concerne la politique étrangère dans son ensemble, la nouvelle orientation donnée à notre diplomatie est excellente, et nous soutenons votre action, monsieur le ministre.
Je voudrais insister sur deux zones en développement rapide : l'Asie et l'Amérique latine.
Au début de cette année, à la veille du sommet Europe-Asie de Bangkok, dans son discours de Singapour, le Président de la République a défini les bases d'un nouveau partenariat de la France et de l'Union européenne avec l'Extrême-Orient et l'Asie, la « nouvelle frontière », selon votre propre expression, monsieur le ministre. Le retentissement de ce discours en Asie, où est située la moitié de la population de la planète, a été considérable.
C'est en Asie que se trouvent, précisément, quatre des huit pays émergents retenus comme cibles pour le commerce extérieur : la Chine, la Corée, l'Inde et l'Indonésie. C'est aussi en Extrême-Orient que les taux de croissance économique progressent à un rythme moyen encore jamais égalé, plus de 8 % par an.
Si la France avait jadis, avec l'Indochine, une forte position en Asie, elle n'est plus représentée aujourd'hui sur ce continent que par des communautés numériquement très insuffisantes. Comme il existe une corrélation étroite entre les flux du commerce extérieur et le nombre de ressortissants dans une même zone, il conviendrait de faire un effort important pour combler notre grave déficit humain si nous voulons atteindre l'objectif fixé, à savoir tripler nos parts de marché dans cette région dans les dix prochaines années. Des mesures spécifiques peuvent-elles être envisagées, monsieur le ministre ?
La situation est très différente en Amérique latine, où la France jouit depuis longtemps d'un immense prestige que le voyage historique du général de Gaulle, en 1964, a bien illustré.
Après la décennie perdue des années quatre-vingt, d'immenses transformations y ont eu lieu : une démographie galopante, associée à une immigration massive, a fait passer le nombre d'habitants de 50 millions, en 1900, à 500 millions aujourd'hui, soit un décuplement en un siècle ; des regroupements régionaux importants se sont constitués, avec le MERCOSUR, qui concerne 200 millions d'habitants, le groupe andin, le Centre Amérique ; enfin, il y a eu le retour à la démocratie.
En même temps, l'économie s'est sensiblement améliorée, et on a pu noter des taux de croissance moyenne de 4 %, soit le double des taux de croissance européens.
Malgré cette conjoncture favorable, le développement des échanges avec les pays d'Europe est médiocre. La part de marché de la France avec l'Amérique latine ne dépasse pas 2 %, soit le tiers seulement de notre part de marché dans le monde, voisine de 6 %. En revanche, les Etats-Unis d'Amérique, qui ont conclu, en 1994, l'Accord de libre-échange nord-américain, l'ALENA, avec le Canada et le Mexique, prologue à l'union de l'Alaska à la Terre de Feu, ont obtenu une augmentation de leurs parts de marché avec le Mexique de 65 %, en 1993, à 80 % en 1995.
Une attention particulière est à donner, à la frontière du monde anglo-saxon, au Mexique, qui constitue un rempart pour la culture latine.
Des pourparlers pour un accord commercial entre le Mexique et l'Union européenne ont commencé le 14 octobre dernier ; leur aboutissement revêt une grande importance pour éviter une intégration totale dans les Etats-Unis, d'abord du Mexique, qui ne le souhaite pas, puis de tous les autres pays latino-américains.
La visite du Président de la République dans les grands pays latino-américains, prévue en mars 1997, peut, à cet égard, marquer le début d'un renouveau d'intérêt français dans cette région, si proche de notre pays par sa langue latine et sa religion catholique. N'y a-t-il pas là une opportunité à saisir, monsieur le ministre ?
J'en viens à quelques réflexions plus générales concernant l'action française à l'étranger.
L'image de la France à l'étranger reste trop traditionnelle, basée sur la culture, les droits de l'homme et le bien-vivre. Notre pays peut s'enorgueillir aussi d'une place de premier plan dans les domaines scientifique, technique et industriel. C'est là une réalité encore trop souvent méconnue à l'étranger, malgré nos brillantes réalisations dans l'aéronautique, les transports ferroviaires à grande vitesse, l'armement, les télécommunications, etc.
Nos agences de presse et nos médias ne devraient-ils pas s'efforcer de relayer davantage les performances techniques françaises, en référence aux nombreux salons où notre pays expose et aux réussites de nos entreprises tant en France qu'à l'étranger ?
Ne conviendrait-il pas également de renforcer, dans nos ambassades et nos postes d'expansion économique, le personnel possédant une formation technique et d'ingénieur, et même de priviliégier les nominations de diplomates présentant ces caractéristiques ? C'est en effet grâce à ses innovations technologiques que notre pays sera amené à gagner les parts de marché demandées l'été dernier à nos ambassadeurs.
Il est important de rechercher aussi de nouvelles formules pour remplacer les coopérants du service national à l'étranger, dans la perspective de l'après-conscription ; ces jeunes constituent un excellent vivier pour l'expatriation. Le Gouvernement a-t-il déjà défini des orientations à ce sujet, monsieur le ministre ?
Il nous faut absolument pallier le grand handicap que représente l'insuffisance de nos communautés françaises à l'étranger. Si, autrefois, les candidats au départ étaient peu nombreux, aujourd'hui, le phénomène s'est inversé : ce sont les offres d'emploi à l'étranger qui manquent.
A ce sujet, j'ai accueilli avec satisfaction la réponse que m'a faite Mme le ministre délégué pour l'emploi, il y a deux jours, au Sénat, annonçant la création d'un groupement d'intérêt public qui associera l'Office des migrations internationales, l'ANPE International et la Maison des Français de l'étranger pour une meilleure efficacité du soutien à l'emploi à l'étranger.
Il conviendra, monsieur le ministre, de bien coordonner les actions de ce groupement avec les comités consulaires pour l'emploi et la formation, les conseillers du commerce extérieur, les chambres de commerce et d'industrie française, les postes d'expansion économique, car c'est à l'étranger qu'existent les offres d'emploi.
S'agissant de l'enseignement français à l'étranger, trois orientations me paraissent souhaitables pour préparer l'avenir : d'abord, le redéploiement de nos implantations scolaires pour tenir compte des nouvelles zones économiques prioritaires ; ensuite, un réajustement des droits d'écolage des élèves non français pour les rapprocher des coûts réels de l'enseignement que nous dispensons dans les différents pays d'accueil, en même temps qu'un accroissement des bourses aux élèves français ; ainsi, le recrutement étranger de nos établissements se concentrerait mieux sur les véritables élites sociales des pays d'accueil, conscientes de la haute qualité de nos établissements ; enfin, l'intégration de la dimension européenne dans les pays où les communautés des Etats membres de l'Union européenne sont peu nombreuses.
Ces mesures, déjà préconisées dans l'excellent rapport présenté au Premier ministre par notre collègue député Pierre Lequiller, ont-elles votre approbation, monsieur le ministre, et seront-elles mises en application ?
Pour conclure, reprenant un voeu du Conseil supérieur des Français de l'étranger, la création d'une grande chaîne française de télévision, d'audience internationale, avec un journal sous-titré et des programmes français, ne correspond-elle pas à la première priorité pour le rayonnement de la France à l'étranger ?
L'ensemble de nos compatriotes de l'étranger appellent de leurs voeux une telle vitrine médiatique et, avec eux, toutes les populations francophones, francophiles et amoureuses de notre pays et de la culture française dans le monde.
Monsieur le ministre, j'écouterai avec attention les réponses que vous ferez à ces quelques questions. Je vous en remercie d'avance. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, appartenir à une majorité parlementaire requiert une certaine capacité de renoncement. (Sourires.) On la qualifie le plus souvent de témoignage de solidarité. Chacun de nous ici présent l'a éprouvé à un moment ou à un autre.
Si l'on perçoit aisément que cette capacité de renoncement n'anime pas actuellement au même degré tous les membres de la majorité, c'est dans le domaine de la politique intérieure que ce constat peut être dressé. L'expérience le démontre quotidiennement. Mais il s'agit là d'une affaire de famille et, fort heureusement, elle ne se prolonge pas dans le domaine de la politique extérieure,...
M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères. Ouf ! (Sourires.)
M. Jean Clouet... où, à l'exception de quelques divergences techniques mineures, parfois gonflées par un effet d'optique, un quasi-consensus règne sur les grands axes d'action de notre diplomatie : comme il convient, nos dissensions s'arrêtent aux frontières.
A cet égard, monsieur le ministre, vous ne vous heurterez de la part du groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel je m'exprime, à aucune divergence notable.
Comment, d'ailleurs, pourrait-il en être autrement, dans la mesure où notre politique extérieure procède de quelques données simples, mais fortes, issues de notre long passé et qui se trouvent actuellement confrontées au nouvel état du monde ?
Ces données simples, mais fortes, chacun les connaît ; elles ont fait de la France, depuis des siècles et sans interruption, une puissance mondiale sur le plan de l'histoire comme sur le plan de la géographie. Il convient qu'elle le demeure, sans cocoricos déplacés, mais avec une totale détermination.
Pour ce faire, elle peut s'appuyer sur la persistance de son rayonnement intellectuel et sur la capacité de survie de sa langue, qui est aussi celle de millions d'hommes et de femmes, et je pense, en cette circonstance, à Léopold Sédar Senghor dont nous venons de célébrer le quatre-vingt-dixième anniversaire.
Le français est à la fois une langue véhiculaire et une langue de culture. De telles langues ne sont pas si nombreuses au monde que l'on puisse se désintéresser de l'avenir de l'une d'elles.
Elle peut s'appuyer, enfin, sur la légitimité de son combat, séculairement affirmé, en faveur du respect et de la défense des droits de l'homme, qui peuvent prendre des formes institutionnelles parfois différentes, mais que nous devons obstinément aider à survivre dans un monde qui en fait souvent peu de cas.
Toutes ces données essentielles qui ont constitué, avec des fortunes parfois diverses, au long des ans, la légitimité de notre action, se sont bruquement trouvées inscrites dans un contexte totalement nouveau avec l'implosion de l'URSS et la chute du mur de Berlin ; je me souviens que nous y avons assité côte à côte, monsieur le ministre.
La fin d'un demi-siècle de guerre, dite froide, mais dont l'intensité hypocritement meurtrière démentait l'épithète, a créé, c'est un euphémisme, une situation nouvelle sur le théâtre des nations. Depuis 1991, un acteur majeur a disparu. Il n'en reste désormais plus qu'un seul.
On ne peut, fût-il animé de ces bonnes intentions dont on dit que l'enfer est pavé, le laisser pratiquer sans réagir ce que le traité de Rome qualifie d'abus de position dominante.
En effet, et même si la nature a horreur du vide, il ne convient pas que ce vide ne soit comblé que par une seule puissance. Toutes doivent y trouver leur rôle, et singulièrement la France au sein de l'Europe. Une Europe dont le bon sens, bien au-delà d'une quelconque realpolitik , exige qu'elle comporte un noyau dur et moteur, sauf à ne devenir qu'une marmelade géographique, de l'Irlande aux pays Baltes et de la Finlande au Portugal ou à la Grèce.
Sans squelette et sans muscles, cette Europe ne serait qu'une attristante gélatine. Je mesure bien que la construction de ce pilier, indispensable à un véritable équilibre mondial, s'apparente à la tapisserie de Pénélope mais, après tout, Ithaque est en Europe et Ulysse a bien fini par rentrer au foyer ! (Applaudissements.)
M. Jacques Genton. Excellent !
M. Jean Clouet. L'édification de cet indispensable contre-pouvoir, non hostile, mais amicalement positif, et qui devra aider les Etats-Unis à ne pas céder à la tentation d'un impérialisme dominateur et sûr de lui, montre bien que c'est le monde entier, monsieur le ministre, qui s'offre à l'action du Président de la République et du Gouvernement, depuis le Proche-Orient jusqu'aux atolls du Pacifique, depuis le coeur meurtri de l'Afrique jusqu'à cette Algérie qui nous demeure si chère et, plus largement, partout où les hommes souffrent et où les frontières éclatent dans les excès d'un sanglant renouveau du chauvinisme.
M. Guy Penne. Très bien !
M. Jean Clouet. C'est alors qu'apparaît inévitablement la grande question qui domine nos débats : avons-nous les moyens de notre politique ?
Pour que la réponse à cette question puisse être positive, plusieurs conditions doivent être réunies : un solide réseau d'alliances soigneusement entretenues ; une structure diplomatique et culturelle solidement ancrée en des lieux judicieusement choisis et animée par des hommes et des femmes de qualité ; une capacité d'intervention efficace et toujours disponible ; une situation économique et financière solide et assurée.
Vaste programme, aurait dit celui qui a replacé la France à son rang dans le monde, vaste programme mais, sur plusieurs points déjà, bien amorcé.
Au surplus, ce n'est pas seulement quantitativement que l'on peut être puissant. L'histoire abonde en exemples qui montrent qu'on peut l'être aussi qualitativement. Nul n'a oublié la fameuse question de Staline : « Le pape, combien de divisions ? »...
M. Guy Penne. Plus que le dalaï-lama !
M. Jean Clouet. Rechercher le meilleur rapport efficacité-coût, c'est l'objectif, et non le moindre, de toutes les politiques.
Enfin, et en raison de son essence même et de la diversité de ses caractéristiques, la France semble, mieux que d'autres, à même de jouer, au sein des problèmes de notre époque, un véritable rôle de catalyseur.
Rappellerai-je qu'un catalyseur, s'il transforme les choses, reste finalement lui-même ? Ce qui veut dire que la France peut demeurer elle-même - elle le doit au monde - sans renier ni ses alliances ni ses amitiés, et sans perdre son âme.
M. Philippe François. Très bien !
M. Jean Clouet. Cette tâche est lourde, monsieur le ministre, et l'on peut certaines fois être tenté par le renoncement. C'est alors qu'il faut se souvenir de mère Teresa : « Je ne suis, a-t-elle dit, qu'une petite goutte d'eau dans l'océan mais, sans cette petite goutte, l'océan ne serait pas ce qu'il est. »
La France, elle, n'est démographiquement qu'une petite goutte d'eau dans l'océan du monde mais, sans elle, il ne serait pas ce qu'il est ni ce que nous devons l'aider à devenir.
Bon courage, monsieur le ministre, et bonne chance ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Messieurs les ministres, participant, comme M. Clouet, du consensus qu'il a évoqué, je souhaiterais, dans le cadre de ce débat, insister sur l'action originale, courageuse et novatrice que le Gouvernement et vous-même menez en matière de politique extérieure.
Malgré d'importantes contraintes financières, en quelques mois, vous avez su renouveler la politique extérieure de la France. A titre d'exemple, je m'attarderai sur trois régions du monde où votre action est particulièrement remarquable.
La première région du monde où un nouvel élan a été insufflé me paraît être l'Amérique latine. Vous avez récemment réuni, lors d'un voyage que vous avez effectué dans cette région, tous les ambassadeurs de la zone. Dans votre volonté de revivifier les liens économiques, culturels et politiques avec les « différentes Amériques latines », nous avons apprécié combien votre méthode était innovante.
Il ne s'agissait pas simplement de renouveler les liens plus ou moins distendus. Je crois que votre ambition, monsieur le ministre, a été que la France se tourne vers la nouvelle Amérique latine, celle qui émerge après des années de dictature et d'affrentements entre les nations, celle des regroupements régionaux, du MERCOSUR, de l'Union andine, du groupe de Rio, ou encore celle du Caricom.
Cette nouvelle Amérique latine, en gestation depuis une dizaine d'années, tente, un peu comme nous en Europe il y a quarante ans, la grande aventure des regroupements régionaux pour ainsi dépasser les protectionnismes économiques et les heurts nationalistes.
La France mène, avec cette Amérique, un triple niveau de relations. Outre des relations bilatérales, bien sûr, de pays à pays et des relations avec les organisations de regroupements régionaux en tant que tels, il existe aussi un troisième aspect original qui conduit la France à se trouver au coeur des relations multilatérales que l'Amérique du Sud entretient avec l'Europe prise, elle aussi, de façon globale.
Les accords de Madrid, signés au mois de décembre dernier, sont une innovation dans le domaine des relations internationales. Pour la première fois dans l'histoire, deux ensembles régionaux, l'Union économique et le MERCOSUR, qui regroupent quatre pays plus deux à titre d'observateurs, ont décidé d'établir des relations que l'on pourrait qualifier de « bloc à bloc », si, à ces termes, n'était attachée une connotation péjorative et qu'il est donc préférable de qualifier « d'ensemble à ensemble ». Et, dans ce dialogue entre ensembles régionaux, la France a aussi un rôle de médiateur à jouer.
Une nouvelle politique française pour une nouvelle Amérique latine, une nouvelle politique française à trois étages, en quelque sorte. Monsieur le ministre, vous en avez été l'un des principaux auteurs, et je tenais ici à vous en rendre hommage.
L'autre continent vers lequel je souhaite me tourner est celui auquel tant de liens nous unissent, je veux parler de l'Afrique. Combien est mal comprise la politique de la France en Afrique !
Cette politique, nous le savons bien, n'est ni un legs, ni une résurgence du colonialisme. La décolonisation a été entamée voilà bientôt plus de quarante ans, avec la loi-cadre Defferre, puis poursuivie sous la Ve République.
Dès cette époque, la France a souhaité accompagner cette décolonisation, ainsi d'ailleurs que celle de pays qui n'étaient pas dans son orbite politique, comme le Zaïre, le Rwanda ou le Burundi, puis, par la suite, des pays de l'Afrique francophone ou lusophone, voire hispanophone.
Je souhaiterais dire ici un mot sur le tragique retour à la une de l'actualité du conflit Hutus-Tutsis ; avec ses cohortes de réfugiés jetés sur les routes et ses horribles bains de sang, qui ne doit pas nous faire oublier l'essentiel : pourquoi cette nouvelle crise autour des grands lacs ?
Au-delà des rivalités ethniques exacerbées par une volonté identitaire dont la spontanéité n'est pas avérée, la déstabilisation de l'ensemble de cette zone serait dramatique pour l'Afrique.
Le passé nous enseigne que des intérêts financiers et stratégiques étrangers à ceux de la France peuvent conduire à des situations catastrophiques.
La France, par votre intermédiaire, monsieur le ministre, fidèle à sa vocation africaine et à son idéal humanitaire, j'en suis convaincu, se doit d'agir au service de la paix dans cette région du monde. Vous ne manquerez pas de nous indiquer quels voies et moyens vous comptez utiliser pour que nous soyons présents dans cette région.
La politique de la France en Afrique, que vous défendez courageusement avec M. le ministre délégué à la coopération, est une grande politique, bien au-delà d'une simple politique exclusivement au service de nos intérêts économiques. Elle a pour ambition de permettre aux sociétés africaines d'entrer de plain-pied, politiquement, économiquement et socialement, dans le XXIe siècle. Et, comme en Amérique du Sud, le rôle de la France en Afrique est également d'être le médiateur, pour ne pas dire l'intercesseur, de l'Afrique vis-à-vis de l'Union européenne.
L'actualité ne peut que renforcer cette attitude de la France au service de la paix.
Là aussi, votre action s'est caractérisée par des relations bilatérales et multilatérales de l'Europe avec le monde africain. J'en veux pour preuve certaines rationalisations administratives ou ministérielles, comme la redéfinition des pays du champ, qui regroupent désormais les pays ACP. Je vois, pour ma part, dans cette modification technique l'expression d'une prise de conscience de plus en plus européenne des relations franco-africaines.
L'Afrique n'est pas la chasse gardée de la France. Elle ne l'a jamais été, même à l'époque de l'Union française, voire à l'époque antérieure de l'empire colonial. Cette expression polémique dénature les quarante années de coopération et d'efforts menés par notre pays pour stabiliser politiquement l'Afrique, la développer économiquement et lui permettre de conserver ses racines tout en pesant davantage, tout en jouant de plus en plus un rôle international important.
La France s'intéresse et se passionne pour l'Afrique, non parce que l'Afrique serait à elle, mais parce que l'Afrique, à un moment de sa longue histoire, a rencontré le monde européen et, au sein de ce monde européen, la réalité française.
Indépendamment des motifs de cette rencontre, les résultats sont là, et je fais partie de ceux qui savent que les liens entre l'Afrique et la France ne sont pas purement conjoncturels. Une véritable osmose, faite d'influence réciproque, s'est forgée en un siècle. Ainsi, l'Afrique francophone, inspirée dans son organisation administrative et juridique par le droit français, s'est nourrie, depuis son indépendance, de cette amitié. Il y aura toujours chez des parlementaires, chez des universitaires et des scientifiques, des hommes et des femmes qui se prendront de grandes passions pour l'immense et diverse Afrique.
Le troisième thème que je souhaiterais évoquer à cette tribune, messieurs les ministres, concerne le monde arabe, ou plutôt les mondes arabes. Le monde arabe est l'un des horizons géopolitiques, historiques de la France depuis très longtemps, bien avant l'époque de l'expansion coloniale. Ce monde arabe, évoqué à l'instant, est divers, marqué par des régionalismes qui s'articulent en quatre ensembles : le Maghreb, la zone nilotique, la péninsule Arabique et le Croissant fertile.
Divers, le monde arabe l'est aussi dans ses définitions religieuses : il pratique plusieurs formes d'Islam dont le sunnisme et le chiisme. Sont présents aussi plusieurs milliers de chrétiens. Ces faits me conduisent à penser que nous ferons un grand pas le jour où nous cesserons de parler du « monde arabe », qui n'est unifié finalement que par sa langue, pour plutôt employer des termes plus appropriés aux diversités nationales arabes.
Ce sens de la réalité plurielle du monde arabe, la diplomatie, au gouvernement, a su en tenir compte. Aujourd'hui, la France peut s'enorgueillir d'avoir de bonnes relations avec chacun des pays arabes, de l'Atlantique au Golfe et de la Méditerranée à l'océan Indien. Nons entretenons des relations diplomatiques, économiques et culturelles avec tous ces pays, quelle que soit leur orientation politique.
Là aussi, la vocation de la France n'est pas simplement de réussir des relations bilatérales. Elles est aussi, comme nombre de nos amis arabes l'attendent, d'être l'élément avancé du dialogue euro-arabe. Cette rencontre de l'Europe et des pays arabes n'est pas simplement une réalité méditerranéenne. Le monde arabe ne se résume pas aux pays bordant cette mer. Aujourd'hui, émerge dans l'économie mondiale un pôle d'une fabuleuse concentration de richesses : le Golfe. Ce Golfe, riverain de l'océan Indien, vous avez su fort bien, messieurs les ministres, en prendre la mesure politique et y redynamiser une présence française à tous points de vue : militaire, économique et aussi culturel.
Je crois que, là aussi, messieurs les ministres, la politique de la France n'est pas une politique pour ou contre un camp. Les garanties ininterrompues données à l'Etat d'Israël quant à son droit à l'existence, son droit à la protection, attestent que la politique française n'est pas une politique pro-arabe et anti-israélienne.
Fidèle à sa grande tradition, la diplomatie française aspire à rétablir partout les équilibres, afin que les hommes puissent connaître la paix. Cela est particulièrement exemplaire dans le cas du monde arabe.
Le refus de certains de nos partenaires occidentaux de voir l'Europe prendre part à la négociation proche-orientale, est, comme l'a dit un de vos grands prédécesseurs, M. de Talleyrand : pire qu'une erreur, c'est une faute.
Ce n'est pas seulement la France qui est en cause, c'est l'ensemble des pays européens qui, eux aussi, ont des intérêts majeurs dans le monde arabe. Qu'il s'agisse de l'Italie, de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de l'Espagne, l'intérêt même des protagonistes serait que les pays de la vieille Europe, qui connaissent et comprennent le monde proche-oriental et moyen-oriental, puissent participer à la négociation, car eux seuls, finalement, sont à même d'engager un processsus de détente et de coexistence, afin de rapprocher les points de vue.
Dans les situations aussi tendues que celle de la crise israélo-palestinienne, l'humanisme européen ne sera pas de trop pour éviter les face-à-face identitaires et meurtriers.
De même, il est temps que les exclusions porteuses de nouvelles guerres cessent. Comme l'a dit le Président de la République, l'Irak doit un jour rejoindre la communauté internationale, sinon il n'y aura aucune stabilité politique dans cette région.
La France a choisi la paix et la coopération avec les pays arabes, que ceux-ci soient pauvres ou riches, progressistes ou conservateurs, sans jamais faillir à son idéal de démocratie.
Voilà, monsieur le ministre, ce que je souhaitais vous dire comme sénateur, et, au nom de mes collègues du groupe de l'Union centriste, je vous informe que nous approuvons fermement et publiquement les orientations de votre politique extérieure, qui nous rendent encore plus fiers d'être Français. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guéna.
M. Yves Guéna. Au nom du groupe du RPR, je voudrais d'abord exprimer les satisfactions que nous éprouvons, s'agissant de la politique étrangère de notre pays, devant la détermination du Président de la République et le savoir-faire, je dirai le talent, de son ministre. Mais, comme je sais mal farder la vérité, monsieur le ministre, je me devrai aussi de vous livrer nos interrogations sur quelques points.
Il est vrai - et je me plais à le souligner - qu'après le flou crépusculaire d'où nous sortions, la diplomatie française a su s'affirmer dans des domaines essentiels. Vous avez évoqué le « style nouveau », c'est vrai !
Nul ne conteste aujourd'hui le bien-fondé de notre politique nucléaire. Les derniers essais, irremplaçables soit pour tester des armes, soit pour préparer les simulations futures, n'ont porté nul préjudice d'aucune sorte, ni moral ni économique, à notre pays. Et le traité d'interdiction a été adopté dans une version que, de ce fait, nous avons pu rendre plus exigeante.
En Bosnie, où certes tout n'est pas parfait, les armes se sont tues et des élections se sont tenues. C'est sur une initiative du Président de la République, avec la constitution de la Force de réaction rapide en lieu et place de l'impuissante mission de l'ONU, qu'a été étouffé ce foyer de guerre, avec son cortège de massacres et de déportations, tandis que les armes de la République étaient désormais respectées.
Au Liban, la France a été présente, et avec quel bonheur - nous vous y associons, monsieur le ministre - dans l'apaisement du heurt entre l'armée israélienne et le hezbollah. Je soulignerai au passage la prescience du Président de la République qui, faisant fi des critiques, s'était rendu à Beyrouth quelques semaines plus tôt, affirmant ainsi par avance la permanence de notre attention pour le Liban.
Puis, il y a quelques jours, dans les terres palestiniennes et en Israël, le Président a su s'adapter aux circonstances, ce que l'on ne peut faire que si l'on s'appuie sur des idées claires, en l'espèce la dignité de la France et sa place particulière sur la scène internationale comme membre permanent du Conseil de sécurité.
Puisque l'une des parties récusait son arbitrage, il était normal pour le Président, parlant au nom de la France, non seulement de marquer la nécessité de renouer le processus de paix, mais aussi de rappeler les droits des Palestiniens. « Il a pris parti » lui reprocherait-on... J'espère bien ! En diplomatie, demi-teinte et timidité n'ont jamais payé.
M. Michel Caldaguès. Bravo !
Mme Paulette Brisepierre. Très bien !
M. Yves Guéna. On a pu juger du bien-fondé de son attitude à l'accueil qui fut réservé à Jacques Chirac, non seulement dans les territoires palestiniens, mais dans les capitales arabes : Beyrouth, Amman, Le Caire, et, quelques jours plus tôt, Damas.
Naturellement, ce voyage, par son éclat même, conduit à poser la question, et le Président l'a évoquée : action de la France ou action de l'Europe ? Difficile débat ! Seul, on a plus de résolution, mais moins de poids. A quinze, on pèse plus lourd, mais l'on est moins déterminé. Quadrature du cercle !
Et cette question me conduit à rappeler, pour m'en féliciter, les propositions françaises lors de la Conférence intergouvernementale sur la révision de Maastricht. L'on comprendra que je me réfère à vos déclarations de Strasbourg du 20 septembre dernier.
D'abord, puisque nous y sommes, sur la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Comment donc résoudre cette quadrature du cercle, comment atténuer d'abord la cacophonie, la confusion au moins verbale entre les Quinze, entre ceux qui veulent aller dans un sens, ceux qui souhaitent agir à rebours, ceux qui ne veulent rien faire du tout et ceux qui veulent empêcher qu'on fasse ? Comment museler les déclarations intempestives et inconvenantes de la Commission, laquelle n'est pas compétente, ou d'un sir Leon Brittan qui, piteux négociateur de Blair House, n'a vraiment plus de leçon à donner à quiconque ?
La création d'un poste de haut représentant, suggérée par la France, ne réglera sans doute pas le problème, mais elle peut y contribuer. Nous en sommes d'accord. Ce n'est qu'un pas au milieu de fourrés épais, mais c'est un pas, et dans la bonne direction. Il en va de même du choix de l'ambassadeur d'Espagne en Israël pour traduire la volonté de l'Union européenne d'être présente dans la négociation.
Toujours à propos de la Conférence intergouvernementale, vous n'avez pas perdu de vue, au contraire de bien d'autres délégations, que l'Union européenne devra accueillir de nouveaux membres - vous l'avez rappelé dans votre propos, monsieur le ministre - ces pays naguère dépendants, redevenus souverains et démocratiques, et qui frappent à notre porte. Il est temps, il n'est que temps de corriger ce pied de nez à l'histoire que fut à cet égard Maastricht, renforçant la petite Europe mercantile et atlantiste, alors que tout était remis en cause sur notre continent avec l'effondrement de l'Union soviétique.
Vous avez parfaitement souligné - et il eût été préférable de l'entreprendre, mais ce n'est pas une critique qui s'adresse à vous ni à la France, avant d'accueillir les trois derniers membres - que les institutions européennes doivent être réformées : Commission plus restreinte, extension du vote majoritaire, à une condition avez-vous dit : la pondération des voix au sein du Conseil. La seconde condition va sans dire, mais, le moment venu, vous la rappellerez, j'en suis sûr, c'est le maintien du compromis de Luxembourg.
Enfin, pour m'en tenir à l'essentiel sur la Conférence intergouvernementale, vous avez affirmé que l'Europe doit devenir plus démocratique, et vous avez souligné à cet égard le rôle irremplaçable des parlements nationaux. Nous en sommes d'accord, ô combien ! d'autant que le Sénat n'a cessé de se battre sur ce terrain. Or, la persévérance paie. La réunion de la conférence des organes spécialisés des assemblées de la communauté, la COSAC, se tenait à Dublin voilà quinze jours.
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Vive la COSAC ! (Sourires.)
M. Yves Guéna. Nous avions par avance formulé nos propositions à la présidence irlandaise. Les délégués de l'Assemblée nationale et ceux du Sénat, M. Genton et moi-même, les ont défendues toute la journée...
M. Jacques Genton. C'est vrai !
M. Yves Guéna. ... et, au soir, nous n'avons pas été dévorés comme la chèvre de M. Seguin ! Nous avons obtenu des résultats, qui sont là.
Tous les délégués, et c'est la première fois, ont reconnu que la référence aux parlements nationaux devrait s'inscrire dans le texte même du traité - et non en annexe, à la suite d'une recommandation « contre les mauvais traitements aux animaux » (Sourires.) - que l'existence de la COSAC devrait être reconnue ; qu'elle pourrait jouer un rôle dans la définition de la subsidiarité, ce qui est normal puisque la subsidiarité s'analyse d'abord comme un dessaisissement des parlements nationaux ; qu'elle serait informée et consultée sur les actions relevant du second et du troisième pilier.
Nous sommes bien conscients que ce consensus n'aurait pu se dégager si nos collègues des autres parlements n'avaient su les intentions du Gouvernement français, qui ont pesé pour beaucoup, j'en suis sûr, dans cette évolution.
Maintenant, pour user d'une image familière aux gens du Sud-Ouest, monsieur le ministre, vos avants ont sorti le ballon de la mêlée, à vous d'aller le plaquer derrière la ligne d'en-but. (Sourires.)
Mais je vous ai dit en commençant que nous avons aussi des interrogations, voire des inquiétudes, que je ne puis passer sous silence.
Naturellement, je n'irai pas jusqu'à dire, comme Paul Valéry, que la part brillante de notre politique étrangère « suppose d'ombre une morne moitié ». Ce serait exagéré, ce n'est pas moitié-moitié.
Mais comment se satisfaire de ce que l'on sait de notre attitude vis-à-vis de l'OTAN ? J'avais posé le 1er février dernier une question d'actualité sur ce sujet ; M. Barnier me répondit ainsi : « Je serais tenté de vous dire : faites confiance au Président de la République et au Gouvernement. » C'est ce que nous souhaitons faire naturellement.
Il poursuivait : « Nous ne sommes prêts à aller de l'avant dans notre engagement qu'à la seule condition que notre engagement soit proportionnel à la disponibilité de nos partenaires à réformer en profondeur l'Alliance atlantique et à bâtir en son sein un "pilier européen" de défense, en accord naturellement avec les Américains...
« Nous devons également, me semble-t-il, faire plus confiance que par le passé à nos partenaires. Nous ne bâtirons pas seuls le "pilier européen de défense" ; nous avons besoin d'eux autant qu'ils ont besoin de nous. »
A travers la prudence du propos, je crois discerner la démarche. La France souhaite aller vers une identité européenne de défense ; et, pour vaincre les résistances ou les timidités de nos partenaires, elle essaie de les y entraîner par le détour de l'OTAN. Mais, de ce fait, nous y entrons.
Est-ce la bonne méthode ? Dans votre propos, vous avez employé le mot « pari ». Je me rappelle ce que nous avons demandé à Berlin en juin, et je crois bien que nous ne l'avons pas obtenu à Bergen en septembre, je veux dire essentiellement, et sans m'étendre sur l'hypothétique répartition des commandements, « la reconnaissance des forces interarmées multinationales - GFIM - avec une chaîne de commandement européenne autorisant les responsables politiques européens à disposer, lorsqu'ils le désirent, des instruments indispensables à la conduite de leur politique ». Je viens de citer les propos de M. Millon à cette tribune.
Je ne sache pas qu'on ait beaucoup avancé dans ce sens.
D'après ce que je sais, et qui est public, il a été convenu que cela ne serait possible qu'après une décision du Conseil atlantique, c'est-à-dire à la condition que les Etats-Unis en soient d'accord. Une discussion a eu lieu sur la formulation de cette condition. Il a été convenu que le verbe employé dans le texte anglais de l'accord serait to monitor .
Cela veut dire que les Etats européens ne pourraient employer leurs forces intégrées dans l'OTAN que si les Etats-Unis en sont d'accord, quand ils le seront et à leurs conditions.
Alors, allons-nous faire un pas de plus dans le système atlantique intégré ou allons-nous nous en tenir à ce que nous présentons comme un petit pas, mais les Américains, Britanniques et autres estiment que nous y sommes entrés complètement ? Ou bien allons-nous faire marche arrière, ce qui serait la conclusion logique des propos de M. Barnier ? Tout à l'heure, votre propos a été à cet égard plutôt elliptique, monsieur le ministre.
De toute façon, il est illusoire de penser que les Américains céderont sur quoi que ce soit. Leur hégémonie, la logique de leur puissance leur commandent, et ils l'ont affirmé sans vergogne, de tenir toutes les parties du monde sans que s'implante nulle part aucun pouvoir régional en dehors du leur. C'est vrai en Europe, avec leur volonté d'installer une nouvelle frontière militaire aux limites de la Russie. C'est vrai au Moyen-Orient, où ils ont diabolisé Saddam Hussein - je reconnais qu'il n'est pas un ange - pour garder sous leur aile protectrice les pays voisins prétendument menacés. Et on les voit braquer maintenant le projecteur sur l'Afrique comme si nos liens spéciaux avec tant d'Etats de ce continent les indisposaient ; je n'invente rien, ils l'ont dit, et le ministre délégué à la coopération a eu raison, de mon point de vue, de répliquer.
Je sais bien qu'on n'a pas bonne conscience à s'opposer à ce grand allié auquel on doit tant, mais rappelons-nous Fichte au pire moment de l'histoire de la Prusse, après Iéna : « On se pose en s'opposant ».
Reste un dernier dossier, plus préoccupant encore. Je ne parle pas de la monnaie unique, dont on peut considérer qu'elle n'est pas, d'abord, une affaire de politique étrangère. Mais je veux évoquer ses suites que nous venons de découvrir : le pacte de stabilité, qui est, comme je vais le démontrer je l'espère, indirectement mais gravement un problème de politique étrangère.
Comment ? Nous irions nous mettre sous la tutelle de la Banque centrale européenne, par avance et de notre plein gré ? Nous acceptons, si nous ne sommes pas de bons élèves, si nous ne sommes pas des comptables tatillons, de nous faire rappeler à l'ordre, tancer, morigéner, mettre à l'amende ! Cela veut dire, mes chers collègues, que nous renonçons à être maîtres de notre budget.
M. Michel Caldaguès. Très juste !
M. Yves Guéna. Je parie d'avance : quel est le fascicule budgétaire qu'on nous forcera à réduire en premier lieu ? Celui de la défense, bien entendu, atteinte indirecte à notre politique étrangère car, vous le savez mieux que personne, il n'est point de diplomatie sans canons : Ultima ratio regum.
Mme Paulette Brisepierre. Bravo !
M. Yves Guéna. Est-ce acceptable ?
Monsieur le ministre, la France a mille ans, peut-être plus. (M. le ministre sourit.) Je vois que vous souriez et que le qualificatif que je vais m'attribuer tout à l'heure, vous l'utilisez déjà. Peu importe !
En tout cas, depuis les premiers Capétiens, la France est identifiée : c'est une personne, « la madone aux fresques des murs ». Elle a connu des périodes superbes et d'autres tragiques, mais elle a toujours existé dans sa souveraineté et son indépendance. Elle n'a jamais accepté de fléchir le genou devant une puissance extérieure, ni le pape, ni l'empereur. Durant un quart de siècle, nous sommes passés comme un ouragan sur l'Europe, y laissant notre empreinte et nos lois. Et c'en serait fini ? On nous mettrait au piquet avec le bonnet d'âne ? Et qui donc le ferait ? Les gnomes de Düsseldorf ou de Francfort, je ne sais plus, peu importe, comme si la vie d'une nation et d'un peuple était faite de pourcentages et de courbes, et non d'orgueil, d'ambitions et de passions ?
Je ne pense pas que tenir ce langage ce serait, ainsi que le soutient un commissaire européen, se conduire comme un dinosaure.
Mais sur l'essentiel, nous sommes d'accord avec le Président de la République. La France ne saurait se dissoudre, s'abîmer dans une Europe sans visage et sans âme. Elle doit avoir pour ambition d'être le levain dans la pâte. Déjà des points ont été marqués ; il faut poursuivre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quelles sont les grandes orientations de la politique extérieure de la France ? Nous avons du mal à en discerner les lignes directrices. On y voit beaucoup d'agitation avec peu de résultats.
Il existe une certaine confusion, au plus haut niveau de l'Etat, entre diplomatie et affaires de commerce extérieur. Il semble que le dogme du Gouvernement est que le rayonnement d'une nation se mesure, parfois exclusivement, à la présence économique. C'est une fausse bonne idée qui ne rend pas compte de la place et des ambitions de la nation française dans le monde. La baisse des crédits affectés au ministère de la coopération en est un témoignage supplémentaire.
La politique extérieure de la France se caractérise donc en ce moment par la confusion, l'ambiguïté, l'improvisation.
Confusion : la politique européenne et l'élargissement de l'Union.
Ambiguïté : l'attitude face à l'OTAN et à la question de l'identité européenne de défense.
Improvisation : la politique à l'égard de l'Algérie et de la rive sud de la Méditerranée ; la reprise des essais nucléaires - il a fallu attendre une année pour que les Français expatriés, particulièrement en Australie et en Nouvelle-Zélande, n'aient plus à en subir les conséquences redoutables ; enfin, l'accrochage récent avec nos amis italiens.
S'ajoute à tout cela la diminution constante des moyens budgétaires.
Mon intervention portera sur trois points : l'Europe, le Proche-Orient, le budget.
Les conditions dans lesquelles se préparent les prochains rendez-vous européens et celui de la monnaie unique me paraissent fort préoccupantes, pour les intérêts de la France, comme pour une certaine conception de l'Europe.
Je fais les constats qui s'imposent.
Premièrement, le projet d'union monétaire, une monnaie européenne incomplète, qui semble exclure l'Italie et l'Espagne, géographiquement et culturellement, n'exprime donc pas vraiment la vision française d'un certain équilibre de l'Europe.
Deuxièmement, le pacte de stabilité, dont le contenu n'est pas en tous points scandaleux et sur le caractère contraignant duquel on discute, porte une empreinte qui n'est pas la nôtre.
On ne comprend d'ailleurs pas comment des ministres des finances ont pu renégocié un traité ; il s'agit là d'une décision essentielle qui a largement dépassé le mandat du traité sur l'Union européenne.
En effet, le conseil Ecofin du 21 septembre dernier, de façon non démocratique, à fixé des critères nouveaux de passage à la monnaie unique ; on a ainsi subrepticement glissé vers les sanctions que souhaitaient les Allemands sans obtenir, me semble-t-il, aucune contrepartie politique.
Il s'agit bien de la stabilité budgétaire, mais celle-ci devra s'accompagner du développement de la croissance, sinon il n'y aura pas de stabilité budgétaire sans récession. Ce pacte de stabilité devrait utilement faire place à un pacte de solidarité et de croissance.
Troisièmement, l'euro sera un élément positif pour la France, d'une part en nous rendant moins dépendants du mark, pour l'Europe, d'autre part en nous affirmant face au dollar, mais à la condition, bien sûr, qu'on ne surévalue pas l'euro par rapport au dollar. La formule « un euro pour un dollar » lancée par Laurent Fabius me paraît être une bonne approche.
Quatrièmement, fait défaut un gouvernement économique, qui pourrait constituer le contrepoids nécessaire à la création d'une banque européenne. On a parlé d'un futur « comité informel de stabilité ». Finalement, il n'a pas été retenu. De toute façon, croit-on vraiment qu'un comité informel de stabilité pourrait faire le poids face à un gouverneur de Banque centrale européenne, qui ne sera pas du tout informel, lui ?
Cinquièmement, aucune réforme en profondeur des institutions ne figure dans les projets de la CIG. Quelle proposition française y a-t-il sur la table de la CIG ? Rien, si ce n'est cette histoire de troisième chambre pour contrer le Parlement européen.
Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que vous vouliez militer en faveur de la désignation éventuelle d'un envoyé spécial de l'Union européenne au Proche-Orient, en soulignant que la France n'était pas minoritaire en Europe.
Il semble que seules l'Italie et la France étaient d'accord au départ pour désigner un tel envoyé spécial et vous n'avez pas réussi à obtenir l'accord de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne. Le vice-président de la Commission européenne M. Leon Brittan a, dès la semaine dernière, rejeté toute idée de participation de l'Union européenne au processus de paix au Proche-Orient dans l'immédiat.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur le mandat de l'ambassadeur d'Espagne en Israël, qui, finalement, est investi du rôle de coordinateur des Etats membres de l'Union européenne dans la région.
Le Gouvernement se doit de faire très vite des propositions sur l'intégration politique nécessaire, sur l'extension du vote à la majorité, sur l'approfondissement du contrôle démocratique par le Parlement européen sur les institutions européennes et par les parlements nationaux sur les gouvernements nationaux.
Sixièmement, l'accélération improvisée et aventureuse d'un élargissement bâclé - je pense en particulier au discours du Président de la République sur l'entrée de la Pologne avant l'an 2000 - après une CIG insuffisante sonnerait le glas d'une Europe puissante et généreuse telle que nous la voulons. M. Barnier lui-même le reconnaissait en disant qu'« un élargissement s'effectuant dans le cadre des institutions actuelles serait un marché de dupes ! »
En effet, l'élargissement futur de l'Union doit être un enrichissement et non un affaiblissement. La décision politique d'ouvrir l'Union aux six pays d'Europe centrale et orientale et aux trois Etats baltes est prise. Les socialistes ne peuvent que s'en réjouir. Mais ils veulent que cet élargissement soit une réussite et un enrichissement mutuel. Il n'est donc pas question d'affaiblir à cette occasion la construction européenne ou de la faire régresser à une simple zone de libre-échange en liquidant au passage les politiques communautaires comme la PAC ou les fonds structurels. Pour cela, il faut une CIG solide et positive, et nous craignons qu'elle ne le soit pas.
Septièmement, il faut noter la réduction des ressources du budget communautaire ; je pense à l'agriculture, aux fonds structurels.
Le budget de l'Europe marque donc le pas. Les adversaires de l'Europe se réjouissent d'une évolution qu'ils interprètent ainsi : moins d'argent pour l'Europe, ce sera moins d'Europe ! Nous considérons, pour notre part, qu'un budget mieux maîtrisé, un contrôle plus rigoureux des crédits rendent l'Europe plus crédible ! Certes, au moment même où la plupart des Etats membres se sont engagés dans la réduction de leurs dépenses publiques, un accroissement du budget ne serait pas compris. Mais un consensus fort sur une initiative européenne de croissance nous aurait permis d'aborder autrement la question.
Hélas ! la France et l'Allemagne ont refermé le programme de grands travaux transeuropéens d'infrastructures qui figurait à la meilleure place dans le livre blanc de la commission Delors parmi les moyens à mettre en oeuvre pour renforcer la compétitivité des entreprises communautaires et pour favoriser l'emploi.
Les quatorze grands travaux européens définis par les chefs d'Etat et de Gouvernement lors du sommet d'Essen, qui auraient dû commencer avant la fin de 1996, ne sont plus une priorité pour notre gouvernement. L'augmentation de un milliard d'écus des perspectives financières, indispensable au bouclage financier de ces projets, a été refusée, enterrant pour longtemps, je crois, ces grands travaux.
Le projet de TGV Est, par exemple, si nécessaire à l'amélioration de la desserte de la capitale européenne de Strasbourg et au maintien dans cette ville du siège du Parlement européen, auquel la France est à juste titre très attachée, est reporté, à la suite d'une cacophonie gouvernementale, notamment à propos de la conception technique, à une date ultérieure inconnue.
Si j'ajoute à cela la réintégration progressive de la France dans l'OTAN, au mépris d'une approche européenne - et qui fait que nos partenaires de l'Union européenne considèrent aujourd'hui que tout est réglé et que le débat sur la PESC n'a plus de contenu - c'est bien une série d'évolutions très négatives qu'il me faut enregistrer.
Ce ne sont pas nos conceptions qui s'imposent en Europe, c'est la vision des autres qui s'impose à nous.
Je vois mal en quoi cette conception de l'Europe s'inspire de la vision historique, non pas seulement des socialistes, mais de la France. Une Europe élargie à vingt-cinq ou à trente, simple zone de libre-échange, réduite à la seule protection américaine et à un mark européanisé, même Mme Thatcher n'aurait pas osé en rêver !
Vous engagez le pays dans une direction qui, je le crois, n'est pas la bonne. Et si une fausse réforme nous est proposée, il faudra, avoir le courage de refuser le nouveau traité. Mieux vaudrait encore la crise plutôt que l'enlisement pour toujours de la construction européenne !
Nous pourrions, me semble-t-il, trouver une majorité chez nos partenaires européens pour approuver un corps de propositions en six points : l'introduction d'un chapitre « emploi » dans le traité, articulé avec un gouvernement économique ; l'élaboration d'une proposition sur les services publics qui aille au-delà du simple ajout au traité de Maastricht suggéré par la France ; l'abandon de l' opting out et la réintroduction du protocole social dans le corps du traité ; l'extension du vote à la majorité ; le renforcement des institutions communes en vue d'un meilleur contrôle démocratique et d'une efficacité accrue ; la définitiion d'une vraie politique étrangère et de sécurité commune.
Sur tous ces points je souhaiterais, messieurs les ministres, que vous nous éclairiez.
En ce qui concerne le Proche-Orient, il est évident que le rôle politique des Européens au sein du processus de paix enclenché à Oslo entre Israël et l'OLP est loin d'être proportionnel à l'ampleur du soutien financier qu'ils accordent à l'effort de stabilisation dans la région. L'Union européenne fournit en effet les trois quarts de l'aide internationale aux Palestiniens.
Elle a signé, il y a un an, un accord d'association très ambitieux avec Israël. Cet accord n'a pas encore été ratifié du côté européen. On ne peut pas ignorer le rôle politique de l'Europe dans cette région. C'est justement pourquoi il fallait oeuvrer de concert avec nos partenaires de l'Union, en évitant de donner l'impression de faire cavalier seul.
Bien entendu, il faut compter avec la volonté excessive et déterminée des Etats-Unis de régenter les affaires du monde à partir d'une impériale solitude. La France doit-elle s'accommoder du rôle qu'on veut bien prêter à l'Europe, celui d'assurer le service après vente ? Manifestement non !
Toutefois, tout le monde le savait, le gouvernement allemand, en particulier M. Klaus Kinkel, ministre des affaires étrangères, était très réticent quant au « coparrainage » du processus de paix au Proche-Orient. M. Kinkel expliquait au début du mois d'octobre que, « politiquement, les Américains jouent le rôle décisif dans le processus de paix ».
ll est de tradition que l'Allemagne s'interdise de prendre position chaque fois qu'Israël se trouve concerné et, depuis de nombreuses années, la Grande-Bretagne s'ingénie à ne jamais contrarier les Etats-Unis.
En France, le voyage du Président de la République, peut donner lieu à un large accord sur les objectifs de fond : relancer le processus de paix, assurer une place pour l'Union européenne, conforter la France dans le jeu proche-oriental.
J'émettrai cependant des réserves. S'agissant de la préparation du voyage, notamment, la chronolgie des étapes me semble discutable. On souhaite être médiateur, mais on risque d'apparaître comme étant trop engagé d'un seul côté. En outre, les désaccords européens ont été sous-estimés : le consensus, il fallait le rechercher et l'obtenir avant le voyage.
Cette épopée diplomatique mérite néanmoins d'être saluée pour ce qu'elle est. La France essaie de rester active dans cette partie du monde, que les Etats-Unis ont tendance à considérer comme leur chasse gardée. La France voudrait devenir l'interprète du monde arabe auprès de l'Union européenne. La France souhaite que l'Europe ne soit pas qu'un tiroir-caisse.
Toutefois cette politique, telle qu'elle est menée, comporte aussi des risques. La France pourrait être durablement récusée par Israël, donner le sentiment d'être partiale, d'être l'avocate des seules puissances arabes.
Espérons simplement que, dans quelques mois, nous n'aurons pas à dire : « Beaucoup de bruit pour rien ».
Je voudrais, à ce sujet, rappeler la position du président François Mitterrand telle qu'il l'a exprimée devant la Knesset, en 1982 : « Le dialogue suppose que chaque partie peut aller au bout de son droit, ce qui, pour les Palestiniens, peut, le moment venu, signifier un Etat... »
La France a fait apparaître les divisions de l'Europe au grand jour. Ce voyage a servi à démontrer qu'il n'y avait pas de politique européenne au Proche-Orient ; était-ce bien nécessaire d'en faire la démonstration sur place ?
Concernant le budget, peut-on parler de réussite ? Certes non ! Je suis convaincu que la France mérite mieux.
Les titres III - moyens des services - et V - investissements - sont en baisse sensible. Les titres IV - interventions publiques - et VI - subventions d'investissements - sont en chute libre.
Globalement, et compte tenu des missions imparties à votre département, monsieur le ministre, vous venez de dépasser l'extrême limite des efforts de rigueur. Le Quai d'Orsay ne peut fournir davantage d'efforts sans dommages graves pour notre action politique extérieure.
Déjà l'année dernière, nous tirions le signal d'alarme. Des membres de votre majorité partageaient alors nos inquiétudes. Et pourtant, la situation s'est aggravée ! Le « tour de vis » sur le budget de 1997 met votre département dans le rouge. Les syndicats de votre ministère ont donné l'alerte l'année dernière. Ils risquent, cette année, de sonner le tocsin.
La portion congrue que représente votre budget vous impose de recruter de plus en plus de personnels vacataires, auxquels vous n'offrez aucune formation, aucune reconnaissance sociale, et qui désespèrent d'obtenir un statut qui ferait cesser l'état de précarité dans lequel ils se trouvent.
Le Président de la République a exprimé devant la conférence des ambassadeurs sa volonté de développer « une politique étrangère ambitieuse et cohérente ». Force est de constater que le Gouvernement ne se donne pas les moyens budgétaires de concrétiser cette volonté.
Il faut bien lire entre les lignes budgétaires : les crédits pour les établissements culturels, alliances françaises et bureaux de coopération linguistique et éducative augmentent de 39 millions de francs. Mais, dans la même partie, les crédits destinés aux affaires francophones enregistrent une baisse de 2,7 millions de francs, ceux de la coopération éducative et linguistique une baisse de 56,8 millions de francs, ceux qui sont dévolus aux établissements de recherche et aux échanges scientifiques et technologiques une baisse de 9 millions de francs.
Triste image d'une France frileuse, qui se referme sur elle-même, qui n'a plus la volonté d'attirer les élites des pays étrangers !
Dans le titre IV, la ligne budgétaire « diffusion et coopération scientifique et technique » perd 131,9 millions de francs.
L'assistance aux Français à l'étranger est tout juste maintenue. Notons toutefois une légère augmentation - de un million de francs - des crédits pour l'emploi et la formation professionnelle des Français à l'étranger. Il reste que, chaque année, les besoins sont en augmentation.
Le budget de M. Godfrain n'est pas bon non plus et oblige le ministre délégué à supprimer de nombreux emplois de coopérant dans des postes qui étaient déjà au niveau le plus bas. Or il me semble que l'envoi de coopérants de haut niveau peut favoriser le développement de l'état de droit.
Un bon point peut être décerné en ce qui concerne les échanges et la coopération dans le domaine audiovisuel, dont les crédits augmentent de 64 millions de francs. Toutefois, nous aimerions avoir des précisions sur l'utilisation de ces crédits.
La France, en réduisant encore les sommes destinées à ses contributions bénévoles et à son action internationale se met dans une situation peu compatible avec son statut de membre permanent du Conseil de sécurité.
Je voudrais maintenant formuler quelques questions.
La tournée agressive de M. Warren Christopher en Afrique contre le renouvellement du mandat du secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali, et ses déclarations sur la force interafricaine « à l'américaine » contrarient les projets français énoncés lors de la conférence de Biarritz.
Sur ces deux sujets, jusqu'où veut et peut aller le Gouvernement français ?
L'aide publique au développement chute encore. La fracture sociale entre le Nord et le Sud continue pourtant de se creuser, et vous pourrez en percevoir quelques échos, messieurs les ministres, lors de la prochaine conférence franco-africaine.
Dans le domaine de la rationalisation des services extérieurs de l'Etat, vous souhaitez le regroupement, en trois ans, des fonctions d'ambassadeur et de chef de mission de coopération et d'action culturelle dans cinq postes. Nous savons que les postes de Sainte-Lucie, du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau sont programmés. Quels autres postes seront concernés par le nouveau dispositif ?
Vous envisagez la fermeture de l'ambassade de Freetown. Quelles seront les modalités d'attribution des responsabilités à Conakry - car je présume qu'il s'agira de Conakry - et quels moyens seront transférés ? Par exemple, la Caisse française de développement, qui intervient en Guinée, pourra-t-elle intervenir en Sierra Leone ?
Les restrictions budgétaires sont-elles compatibles avec le maintien d'un réseau diplomatique et consulaire qui est le plus important du monde ? Qu'adviendra-t-il si ce réseau est insuffisamment doté en ressources humaines ?
Il me semble qu'il faut songer à préserver, pour la défense des Français expatriés et pour le rayonnement de la France, nos consulats, nos postes d'expansion économique et nos écoles.
Le ministère des affaires étrangères et le ministère de la coopération devraient se tourner vers d'autres ministères plus riches, afin de pallier leurs propres difficultés ; c'est une suggestion. En ce qui concerne l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, par exemple, nous avons suggéré que l'éducation nationale soit sollicitée non seulement pour les contrôles pédagogiques mais aussi pour une contribution financière.
Afin de remédier aux difficultés que rencontrent dans leur fonctionnement les consulats, peut-être conviendrait-il que des fonctionnaires du ministère de l'intérieur ou du ministère de la justice fassent leur mobilité à l'étranger. Les agents de la direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, tout comme ceux qui sont chargés de l'immigration dans les préfectures, comprendraient mieux les difficultés rencontrées à l'étranger par les personnes qui sollicitent des visas, demandent des documents d'état civil ou souhaitent obtenir un certificat de nationalité.
Pour conclure, je poserai une question qui intéresse surtout les sénateurs représentant les Français établis hors de France : quelles dispositions comptez-vous prendre, monsieur le ministre, en ce qui concerne les prochaines élections des délégués au Conseil supérieur des Français de l'étranger, notamment en Algérie ? Pensez-vous proroger le mandat des actuels délégués, ou comptez-vous proposer une autre solution, par exemple le vote par correspondance ? En tout cas, une décision est nécessaire et, à mon sens, elle devra faire l'objet d'une loi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
(M. Yves Guéna remplace M. Jean Delaneau au fauteuil de la présidence.)

présidence de m. yves guéna
vice-président

M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vivons depuis quelques années de gigantesques mutations. D'un monde bipolaire, où deux grandes puissances, dans un équilibre fragile, cherchaient à se neutraliser, nous sommes passés à un monde unipolaire, instable, où se développe un système de guerre économique sans merci, où la principale puissance capitaliste veut imposer son hégémonie en s'appuyant sur ses transnationales économico-financières.
Ce qui s'installe, c'est un monde dur, fondé sur la course sans fin à le rentabilité financière, sur la mise en concurrence des peuples entre eux, sur les ajustements structurels imposés par le plus fort. Voilà le contenu de ce que la pensée unique appelle « mondialisation ».
Ce monde est malade des injustices et des inégalités qu'il engendre.
Ce monde, nous voulons le changer.
En affirmant clairement que nous souhaitons défendre le respect de la souveraineté des nations et de l'égalité entre elles, favoriser la réduction des déséquilibres et des fractures économico-sociales par une véritable politique de développement, promouvoir la multiplication des coopérations dans la complémentarité et la solidarité, nous rejoignons les humanistes qui veulent construire un monde plus juste et plus humain.
Nous retrouverons aussi tous ceux qui pensent que des négociations menées avec des règles équitables et égales pour tous sont bien supérieures aux affrontements armés lorsqu'il s'agit de garantir durablement des espaces de sécurité et de paix.
C'est en fonction du respect de ces principes que nous apprécions et apprécierons positivement ou négativement les actions menées par le Gouvernement en matière de politique étrangère.
Pour illustrer mon propos, dans le temps qui m'est imparti, je me limiterai à trois dossiers : le Proche-Orient et, plus particulièrement, le conflit israélo-palestinien, les rapports Nord-Sud, envisagés à travers la situation de l'Afrique et, enfin, la construction européenne telle qu'elle est menée aujourd'hui.
Depuis l'élection de M. Netanyahou, la tension grandit de nouveau entre Palestiniens et Israéliens.
Après l'assassinat d'Yitzhak Rabin, il avait déjà fallu toute l'intelligence des hommes de paix israéliens et palestiniens pour dépasser ce drame et maintenir le processus de paix.
Le nouveau Premier ministre israélien s'écarte de ce chemin. Il refuse l'application des accords signés à Oslo, puis à Washington, favorise le développement de nouvelles colonies, renforce le bouclage militaire des zones palestiniennes et multiplie les provocations.
Afin de mieux apprécier la situation, les parlementaires communistes ont envoyé dans la région, à la mi-octobre, une délégation dont je faisais partie, avec mes amis Georges Hage, député, et Francis Wurtz, député européen.
A Jérusalem, à Ramallah, à Gaza, nous avons rencontré les représentants des forces de gauche. Nous avons écouté les positions d'un député du Likoud. Nous avons été reçus par M. Arafat.
Partout, nous avons ressenti la même angoisse, la même peur devant les risques de confrontation militaire. Nous avons pu constater la même aspiration profonde à vivre dans la sécurité chez les Israéliens et chez les Palestiniens. D'où l'importance de l'objectif : deux peuples, deux Etats.
Pour faire contrepoids à l'attitude dangereuse de M. Netanyahou, soutenue par les Etats-Unis, la plupart de nos interlocuteurs ont souhaité une pression internationale de l'Europe et de la France, ainsi qu'une aide économique pour les populations étranglées par le blocus.
Nous avons compris cet appel à l'aide.
Nous apprécions positivement le récent voyage du Président de la République et les déclarations qu'il a faites à cette occasion, tout comme la mission d'un « Monsieur Proche-Orient » européen qui consistera à établir et à maintenir les contacts entre Palestiniens et Israéliens pour mettre en oeuvre les accords déjà signés.
La France a donc réussi à convaincre ceux qui, en Europe, résistaient à cette demande palestinienne, laissant ainsi le devenir de la paix au bon vouloir des décisions du Président des Etats-Unis en pleine période électorale.
Ces faits illustrent bien le rôle et la place originale de la France quand elle ne renonce pas à être elle-même et qu'elle pèse de tout son poids historique, politique et économique pour un règlement juste et équilibré des conflits.
Le second point que je souhaite aborder est celui des rapports Nord-Sud, et plus particulièrement le cas africain. Les rapports Nord-Sud sont de plus en plus dominés par la prégnance des marchés financiers.
Des institutions, comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international, sont des relais pour la mise en oeuvre de plans d'austérité qui affaiblissent les pays du tiers-monde. Désormais - cela commence à être su - ce sont les pays du Sud qui financent ceux du Nord.
Les transferts financiers se font du Sud vers le Nord pour un peu plus de 20 milliards de dollars par an depuis 1983, alors que c'était l'inverse dans la décennie précédente. Dans le projet de loi de finances pour 1997, les comptes spéciaux du Trésor font apparaître que notre pays devrait enregistrer 1,6 milliard de francs de recettes contre 1 milliard de francs de dépenses.
Enfin, comment ignorer les conséquences dramatiques de la dévaluation du franc CFA pour les peuples africains ?
La misère avive les fractures et développe les nationalismes souvent belliqueux et guerriers. Elle est un terreau de choix pour les intégrismes, parfois soutenus pour servir les intérêts des grandes puissances économiques. Je pense, bien sûr, en ce moment à la situation tragique des populations du Zaïre et du Rwanda.
La France pourrait prendre des initiatives et montrer le chemin, notamment en Afrique envers laquelle elle a une responsabilité particulière.
Tout d'abord, arrêtons le véritable pillage que constitue la dette. Les créances détenues par la France s'élèvent à quelque 200 milliards de francs, soit un budget militaire.
Cette question de la dette des pays du Sud est fondamentale, car c'est une charge qui plombe toute initiative de développement et place ces pays en situation de dominés. Un rapport de l'ONU notait d'ailleurs que « l'Afrique dépense quatre fois plus pour le service de sa dette que pour ses services de santé ». Voilà la réalité !
C'est pourquoi il est urgent que la France s'engage pour obtenir des pays créanciers l'abrogation de tout ou partie de la dette. Elle pourrait également annoncer qu'elle renonce à la sienne.
Il faut, ensuite, réparer les dégâts, c'est-à-dire participer au développement et au financement des infrastructures nécessaires, notamment pour les travaux d'irrigation. Ce sont des moyens de développement dont ont besoin tous les peuples du Sud.
Cette question du développement est indissociable du problème de l'immigration. L'immigration « zéro », il faut le dire, est un leurre dans la situation déséquilibrée que l'on connaît.
Le célèbre économiste Malthus expliquait : « La force d'inertie qui enchaîne l'homme et les liens d'affection qui l'attachent à son foyer sont si forts et si puissants, qu'on peut être certain qu'il ne songera à migrer que s'il y est contraint par des mécontentements politiques ou l'extrême pauvreté. »
Enfin, nous pourrions agir pour parvenir à de véritables coopérations mutuellement avantageuses permettant aux Africains d'assurer, en utilisant leurs matières premières, leur propre développement.
Ce développement renforcerait la sécurité du monde entier. Le codéveloppement est, bien entendu, un partage des connaissances, du coût des recherches, et le transfert de nouvelles technologies. Cela passe d'abord par des moyens favorisant l'autosuffisance alimentaire.
L'ONU estime à 200 milliards de francs par an le montant des dépenses nécessaires pour atteindre, d'ici à 2005, les objectifs essentiels du développement humain.
La taxe sur les mouvements de capitaux proposée par le prix Nobel américain d'économie, James Tobin, soit 0,5 %, rapporterait chaque année trente-sept fois plus que les fonds requis par les Nations Unies en faveur du développement.
Enfin, le Gouvernement français vient de décider, en pleine crise d'austérité, de mobiliser dans les années à venir, pour les seuls travaux de recherche sur un nouveau missile nucléaire, le M51, 30 milliards de francs.
Le financement du développement ne représente certes pas un effort négligeable, mais il est à coup sûr supportable, si la volonté politique existe de prendre à bras-le-corps et à temps un problème aussi crucial à notre époque.
Les organismes internationaux, tels que l'UNICEF, l'UNESCO et la CNUCED, doivent également jouer un rôle accru, et nous déplorons que la France ait décidé de réduire ses contributions volontaires. Celles-ci passent en effet de 405 millions de francs à 345 millions de francs, soit une diminution de 16 % en francs constants. Nous souhaitons, par ailleurs, voir l'ONU jouer un rôle accru, et ce en toute indépendance.
Quant à l'Europe, soyons clairs, si nous sommes favorables à une construction européenne respectueuse des besoins des hommes, nous sommes, en revanche, hostiles à celle qui se prépare, avec la monnaie unique et les discussions de Dublin.
L'existence du pacte de stabilité renforce les critères de convergence, qui deviennent encore plus contraignants puisque des principes de sanctions financières sont évoqués pour les pays qui ne pourraient remplir les conditions imposées.
La Banque centrale européenne a d'ailleurs été conçue indépendante afin d'accroître sa puissance et de réduire la souveraineté nationale. Elle place les parlements nationaux en position de subordination.
Quant à la monnaie unique, ne nous cachons pas la vérité ; elle risque d'être alignée sur le mark allemand et favoriser économiquement notre voisin. La présenter comme un contrepoids au dollar américain me paraît illusoire, car la puissance de feu de celui-ci est gigantesque et l'agressivité des multinationales américaines sans limite.
Nous voulons modifier la donne et permettre à l'Europe et aux nations qui la composent de s'extraire de la guerre économique.
C'est pourquoi nous estimons que la monnaie unique n'est pas une bonne réponse. M. Tietmeyer, président de la Bundesbank, l'explique franchement, à sa façon : « Les faux arguments et les illusions ne servent pas l'Union monétaire européenne... L'Union monétaire ne met pas un terme aux changements du cours des monnaies en Europe et sûrement pas au plan international. Elle ne peut pas être directement créatrice d'emplois puisqu'elle aiguise la concurrence entre chefs d'entreprise et lieux de production européens ».
Oui, la construction européenne telle qu'elle est conçue est un élément actif de la mondialisation financière, du cancer financier. Elle s'oppose à la création d'emplois et de richesses ainsi qu'à des coopérations mutuellement avantageuses tant à l'intérieur de ses frontières qu'en direction du Sud et de l'Est.
C'est pourquoi, au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je réaffirme notre exigence de voir consulter notre pays sur cette nouvelle échéance de la monnaie unique.
Quant à la position de La France sur son retour au sein de l'OTAN et à la réforme de cet organisme pour se dégager des Etats-Unis, il s'agit là d'une grande illusion. Washington n'acceptera pas de partager « sa chose » ni de mettre sa logistique au service d'une Europe réellement autonome.
Chacun s'accorde à reconnaître l'importance des enjeux de civilisation dans ce monde déstabilisé, porteur de contradictions pouvant déboucher sur des poussées de nationalisme, d'intégrismes divers et de tragiques conflits armés.
Cette situation, quelles que soient nos différences politiques, n'est plus vivable. Les communistes veulent travailler, avec d'autres, à l'instauration d'un nouvel ordre international juste et démocratique. Mais ce véritable nouveau monde reste à construire.
Il implique l'indépendance et la souveraineté des Etats caractérisées par la non-ingérence dans leurs domaines économique, politique et social. Il implique également le respect de la dignité des peuples dans leur difficile marche vers une plus grande humanité. Il s'agit d'une autre conception de la mondialisation et des rapports internationaux.
Tel est le sens de notre engagement. Mais nous sommes lucides. L'enjeu est considérable. Nous mesurons la lourdeur de la tâche à accomplir. Plus nous serons nombreux à emprunter ce chemin, ne fût-ce qu'un moment, plus vite nous progresserons. Nous le ferons avec la volonté de soutenir toutes les actions allant en ce sens mais nous combattrons tous les processus inverses.
Nous affirmons dans la clarté et l'honnêteté politique nos accords et nos désaccords. C'est ce que, au nom de mon groupe, j'ai tenté de faire aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lors de ce débat trois intervenants du groupe du RDSE s'exprimeront. Pour ma part, j'aborderai la politique étrangère au Moyen-Orient et au Proche-Orient, qui sont souvent confondus, mais que je continue à séparer, le second n'étant qu'une partie du premier.
Le Moyen-Orient a des dimensions variables selon les spécialistes des différents pays, ce qui tient sans doute aux éloignements relatifs et explique des différences de jugements, d'objectifs et donc de politique.
Ainsi, de nombreux spécialistes des Etats-Unis englobent dans un pseudo-continent de 538 millions d'habitants les pays du Maghreb. Pour d'autres, l'Egypte, le Soudan, la Turquie et le Pakistan y figurent ou non, ce qui, en ce dernier cas, réduit la population à 178 millions d'âmes.
De toute façon, le Moyen-Orient est une grande région du monde, des berges du Nil à celles de l'Indus, où s'affronte souvent, depuis l'Antiquité et en dehors des périodes de domination, une grande diversité de peuples avec une répartition religieuse hétérogène qui joue un rôle important, sinon essentiel, dans bien des pays et de véritables fossés entre les densités démographiques, ainsi qu'entre les ressources économiques, qui tiennent, pour une part, aux gisements pétroliers.
Le PNB par habitant varie, par exemple, de 23 350 dollars au Koweït à 520 dollars au Yémen, sans que les indicateurs de développement humain en suivent les paramètres, Israël se plaçant au 21e rang mondial, le Koweït au 61e et le Yémen au 137e.
Cela explique la diversité des approches en politique étrangère, d'autant que bien des régimes locaux sont loin de partager notre vision de la démocratie et que demeurent de nombreux conflits, patents ou larvés, entre les pays, ou à l'intérieur de leurs frontières, comme actuellement en Afghanistan.
Dans sa complexité, le Moyen-Orient demeure un marché économique intéressant pour la France, puisque 25,7 % de notre excédent commercial, qui s'élève à 52 milliards de francs, y est réalisé.
A la dénomination de Proche-Orient et à sa composition qui correspond au croissant fertile, auquel s'ajoute cependant l'Irak, ne vaut-il pas mieux substituer celle d' « Orient méditerranéen », en fonction de l'obligatoire insertion de ces pays dans son bassin ?
N'est-ce pas celui que le Président de la République, M. Chirac, a défini dans ses voeux devant le parlement jordanien le 24 octobre dernier, à savoir « un Orient réconcilié » avec un « Etat palestinien riche et prospère, un Israël accepté par tous et libéré du terrorisme, une Jordanie hachémite de démocratie et de développement, une Syrie maîtresse de son territoire et en paix avec l'ennemie d'hier, un Liban pleinement libre, souverain et dynamique, une Egypte forte et sage, pionnière de la paix ».
Il est évident que le conflit israélo-arabe avec ses rebondissements, les positionnements politiques des populations et leur intrication dans les territoires, avec des espoirs devenus plus incertains de paix, obère le développement de ces pays eux-mêmes et pose de difficiles problèmes diplomatiques.
L'Europe, victime après la guerre mondiale de son ancien colonialisme, a dû céder son influence après la nationalisation du canal de Suez en 1956 aux deux grands blocs, les Etats-Unis et l'Union soviétique, qui s'affrontèrent là comme ailleurs. Toutefois, l'Union européenne à Cannes et à Barcelone en 1995 a révisé son approche du monde méditerranéen et, dans ce secteur oriental, apporte son aide aux uns comme aux autres.
En effet, un accord d'association avec Israël signé par l'Union européenne en juin 1995 devra être ratifié à l'échelon national pour prendre effet en janvier prochain.
Israël bénéficiera d'un abaissement des droits de douane de l'Union européenne sur un volume de 16 milliards de dollars d'échanges, de la possibilité de participer à d'importants programmes de recherche et de développement et surtout d'une entrée garantie dans la future zone de libre-échange euro-méditerranéenne.
Par ailleurs, rappelons que l'Union européenne est le plus important bailleur de fonds de l'autorité palestinienne. Avec ses 120 millions de dollars d'aide à la Cisjordanie et à Gaza engagés en 1996, l'Europe joue un rôle que ne peut négliger Israël en matière d'apaisement des problèmes sociaux et sécuritaires dans les territoires.
Monsieur le ministre, j'en reviens au rôle que pourrait tenir l'Union européenne dans le cadre d'une politique étrangère commune. Existante, elle pourrait faciliter la recherche d'un processus de paix, non point en arbitre, mais en conciliateur, en tenant compte des opinions et oppositions locales et des si délicats problèmes humains et même religieux.
La très récente décision du 28 octobre par les quinze ministres des affaires étrangères de l'Union européenne à Luxembourg de nommer un émissaire au Proche-Orient avec mission de contribuer, autant que faire se peut, à la relance du processus de paix, est un premier pas, en sachant qu'il n'y a de bonne paix que celle qui dure.
Mais dans l'attente de cette politique européenne, la France doit poursuivre, comme avant et maintenant, sa mission historique par sa diplomatie, sans oublier sa défense de la francophonie, son maintien culturel et scientifique, accompagnée du développement de son potentiel économique dans le Moyen-Orient, dans le Proche-Orient et dans l'Orient méditerranéen.
M. le président. La parole est à M. Peyrefitte.
M. Alain Peyrefitte. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la nation française a-t-elle encore quelque chose à dire ? Ceux qui le pensent ne peuvent que se féliciter, monsieur le ministre, de la politique étrangère que vous conduisez, sous la haute autorité du Président de la République.
La preuve a été faite, depuis l'an dernier, en différents points névralgiques de la planète où notre pays a pris une position énergique et claire, qu'il pouvait substituer l'efficacité à l'impuissance et le dynamisme à l'inertie, qu'il pouvait même refuser de s'en remettre purement et simplement à ce qu'on pourrait appeler l'« hégémonie de velours » des Etats-Unis.
En donnant l'ordre à une unité française en Bosnie de reprendre le pont de Verbania, le Président de la République a, en quelque sorte, rompu le maléfice par lequel les forces de l'ONU s'étaient laissé anesthésier. Cette décision, et elle seule, a changé l'âme des combats. Les Britanniques ont accepté, sous cette impulsion, de constituer avec nous la Force de réaction rapide. La situation s'est retournée aussitôt.
En proposant à nos partenaires européens de se retrouver à Bangkok pour offrir un front uni face à l'Asie du Sud-Est, le Président de la République a montré à ces nations émergentes que les Etats-Unis et le Japon ne disposaient pas dans cette région d'un monopole.
En se rendant à deux reprises au Proche-Orient ; en affirmant le droit du Liban à l'indépendance ; en disant aux Syriens qu'ils devraient évacuer le Liban ; en disant aux Israéliens qu'ils devraient évacuer le plateau du Golan et reconnaître les droits des Palestiniens ; en affirmant aux Palestiniens qu'ils devraient respecter la sécurité d'Israël - le Président de la République, auquel vous aviez fort utilement préparé les voies, a fait progresser les idées-forces, à défaut desquelles il n'y aura pas de paix durable au Proche-Orient. Ici, il y a un paradoxe que je voudrais essayer d'éclairer.
Déjà, à la veille de la guerre du Golfe, le ministre des affaires étrangères d'Irak se déclarait prêt à voir à tout instant votre prédécesseur, M. Roland Dumas, mais il infligeait à la troïka hollando-italo-luxembourgeoise, qui demandait à le rencontrer au nom de la Communauté européenne, le camouflet de refuser de la recevoir.
Pourtant, votre prédécesseur ne représentait guère que cinquante millions de Français, alors que la troïka représentent trois cents millions d'Européens.
Pourquoi ce paradoxe ?
Parce que la France, forte de nombreux siècles d'influence dans le monde, compte plus, beaucoup plus, que si elle se confondait dans un magma, pour n'être plus qu'une province parmi quinze, dans un super-Etat fédéral.
Ce que vous avez démontré avec éclat, c'est l'efficacité de l'indépendance, dans la coopération avec nos partenaires européens, par opposition à l'Europe des eurocrates, où la France cesserait d'exister en tant que telle et se laisserait dissoudre dans la multilatéralité comme un morceau de sucre dans une tasse de café.
Du reste, à quoi aurait servi d'accepter de dresser contre nous, pendant quelques mois de l'an dernier, presque toute la communauté internationale, en vue d'assurer la modernisation et la crédibilité de notre force de dissuasion pour les trente ans à venir, si c'était ensuite pour renoncer à cette politique d'indépendance ?
A quoi servirait de mener une politique de défense et une politique étrangère indépendantes, si c'était pour perdre à tout jamais - j'y insiste - l'indépendance de notre politique financière, budgétaire, fiscale, économique, salariale, sans laquelle nous ne serions plus une nation indépendante, comme vous l'avez démontré tout à l'heure, monsieur le président ?
Or autant nous nous réjouissons de constater la cohérence entre notre politique étrangère et notre politique de défense, autant nous sommes fondés à nous inquiéter d'une certaine incohérence entre, d'une part, ces deux politiques et, d'autre part, les perspectives actuelles de l'application du traité de Maastricht, à la veille de la création de la monnaie unique.
Que la question doive être posée, monsieur le ministre, je n'en veux pour preuve que la prise de position pour le moins surprenante du président Giscard d'Estaing, lui qui a été, avec le chancelier Helmut Schmidt, à l'origine du projet d'Union monétaire, et qui a été le plus ardent défenseur en France de la monnaie unique et du traité de Maastricht.
Voici ce qu'il écrivait il y a quinze jours : « Est-il bon pour la France d'entrer dans un système monétaire durable, avec une économie languide, des chefs d'entreprise démoralisés et démotivés par l'excès de charges, des risques d'OPA internationales sur les fleurons de son industrie et un taux de chômage tristement inamovible ? Cette entrée contribuera-t-elle à la guérir de ses maux, ou à l'y enfoncer pour longtemps ? Cette question est centrale, vitale... Je ne crois pas souhaitable pour notre pays d'entrer dans la grande aventure monétaire européenne en état de faiblesse économique et sociale. »
Monsieur le ministre, vous n'êtes pas le ministre de l'économie et des finances, vous êtes le chef de notre diplomatie. Bien que vous soyez lié par la solidarité gouvernementale, je voudrais aborder devant vous l'aspect, non pas économique et financier, mais international de ce dossier, en évitant de répéter ce que vient de dire mon ami Yves Guéna.
M. Giscard d'Estaing pose une question à court terme, pour les dix-huit mois qui viennent, puisque la décision définitive doit être prise au printemps 1998 : l'entrée dans l'Union monétaire.
Mais pour qui réfléchit à long terme - et la vie d'une nation, au milieu des autres nations, appartient au long, au très long terme - la question qui doit se poser est non pas seulement celle de l'entrée, mais également celle d'une sortie éventuelle.
Un homme aussi expérimenté que M. Giscard d'Estaing, un an et demi avant la date prévue pour la décision ultime - alors que tout indique que nous satisferons bel et bien aux critères de Maastricht - s'aperçoit qu'il vaut mieux reculer la date jusqu'à ce que nous ayons retrouvé la croissance et enregistré une baisse significative du chômage.
A combien plus forte raison, à long terme ! Qui peut dire que nous ne nous trouverons pas, dans cinq ans, ou dans dix ans, ou dans vingt ans, dans une situation de crise plus grave encore que celle qui fait reculer aujourd'hui M. Giscard d'Estaing, par exemple si nos entreprises se délocalisaient à qui mieux mieux en Grande-Bretagne, comme certaines commencent déjà à le faire ?
N'éprouverions-nous pas alors le besoin urgent de nous débarrasser, fût-ce provisoirement, de cette rigide camisole de force que serait la monnaie unique, c'est-à-dire en fait une zone mark qui nous imposerait ses règles et où Francfort déciderait à la place de Paris ?
N'est-il pas évident que nous devrions bénéficier d'une possibilité de sortir du système si certaines de ses conséquences se révélaient à l'expérience désastreuses ? N'est-il pas évident que nous devrions nous ménager une sorte d'article 16, en cas de péril économique national ?
Nous ne pourrions plus mettre fin à une pareille hémorragie de nos forces vives si nous avions préalablement détruit notre monnaie nationale à usage interne, le franc, au profit de l'euro. Il faudrait plusieurs années, deux ou trois ans au moins selon les experts, pour graver ou frapper à nouveau le nombre de billets ou de pièces nécessaires au remplacement de l'euro, si l'euro était la seule monnaie ayant cours chez nous.
Si l'euro se substitue aux monnaies nationales pour la circulation interne, le piège se referme. Aucun pays ne peut plus se retirer du système, qui devient à tout jamais irréversible. Si, au contraire, les monnaies nationales subsistent pour la circulation interne, un droit de sécession reste ouvert ; la nation consent non plus un abandon définitif de sa souveraineté, mais une délégation révocable. Autrement dit, c'est le saut avec filet, au lieu du saut de la mort.
Or le traité de Maastricht, en instituant une monnaie unique, n'avait nullement disposé que celle-ci se substituerait aux monnaies nationales. Il avait seulement disposé que ces monnaies nationales seraient liées entre elles par un taux de change fixe, ce en quoi la monnaie unique diffère de la monnaie commune. De même, le Luxembourg et la Belgique, l'Angleterre et l'Ecosse - mais il y a beaucoup d'autres exemples - forment des unions monétaires, tout en continuant chacun à battre monnaie, sous des espèces différentes.
C'est depuis la ratification de Maastricht que les experts - ou les gnomes de Bruxelles, comme les a appelés M. Guéna - sont allés beaucoup plus loin que le traité dans le sens de l'intégration supranationale : ils ont engagé un processus de disparition pure et simple des monnaies nationales ; l'euro prendrait définitivement leur place, non seulement dans les échanges internationaux, ce qui était prévu, mais dans la vie quotidienne de chaque pays, ce qui ne l'était pas.
Cette dérive « maximaliste », non contente de détruire les monnaies nationales, est dangereuse pour la monnaie unique elle-même.
Et c'est ici que nous nous retrouvons, monsieur le ministre, au coeur de la politique étrangère. Beaucoup considèrent comme acquis que les Anglais ne vont pas manquer de se rallier à l'euro, dès que la décision sera prise. Eh bien ! monsieur le ministre, je suis prêt à prendre le pari !
Trois raisons, au moins, risquent d'empêcher Londres de rejoindre la monnaie unique, telle que la technostructure de Bruxelles l'a aujourd'hui conçue.
Une raison sentimentale, d'abord : les Britanniques répugneront à voir disparaître de leurs billets et pièces de monnaie les signes de leur identité nationale et historique, notamment l'effigie de la couronne.
Une raison politique, ensuite : la conception « fédérale », qu'ils ont fait rayer du traité de Maastricht en cours de négociation, est revenue en force, de toute évidence, dans les modalités d'application, et a changé la nature de la construction qui avait pourtant été ratifiée par tous les pays signataires.
Une raison pratique, enfin : une fois le sterling non seulement aboli comme monnaie internationale, mais détruit comme monnaie à usage interne, ils savent qu'ils ne pourraient plus sortir du système.
Aurait-on oublié, monsieur le ministre, que, en 1971, la motivation décisive du président Pompidou pour faire entrer la Grande-Bretagne dans le Marché commun était sa crainte, une fois le général de Gaulle disparu, de voir les mécanismes de Bruxelles grignoter et effacer la nation française ? Tandis que l'entrée de la Grande-Bretagne - seul État-nation millénaire et à responsabilités mondiales, en Europe, avec la France - garantirait à notre pays de n'être pas phagocyté par la « supranationalité technocratique » ?
Nous le savons bien, l'Angleterre est toujours écartelée entre son ralliement à l'Europe et son allégeance aux Etats-Unis. Qu'elle reste à l'écart de la monnaie unique, et rien ne l'empêchera de se lier au dollar. Cette nouvelle zone dollar-sterling élargie pourrait mener la vie dure à l'euro.
En fait, un système contraignant à l'égard des pays exclus de l'euro ne pourrait être mis en application par Francfort que si la Grande-Bretagne rejoignait le noyau initial. Son rapprochement récent des critères de convergence peut lui permettre de nous rejoindre, à condition que soit éliminé l'insurmontable obstacle de la disparition - sans retour - de la livre.
Si la Grande-Bretagne ne se joignait pas à l'euro, cela signifierait en pratique que la condition de réciprocité - c'est-à-dire l'adhésion de la plupart des signataires du traité - ne serait pas respectée. Comment pourraient coexister certains pays de la Communauté européenne qui appliqueraient les dures exigences du traité de Maastricht et d'autres qui s'en dispenseraient ? L'euro vers l'an 2000, cela signifierait alors que les dévaluations de certains de nos partenaires et compétiteurs feront tomber des pans entiers de notre industrie.
Il existe un moyen, dans le respect scrupuleux du texte de Maastricht, sans le soumettre à une nouvelle ratification, ni même à une nouvelle négociation, un moyen à l'origine duquel vous êtes, monsieur le ministre, un moyen de sauver les monnaies nationales à usage interne, tout en adoptant une monnaie internationale unique, dans les délais et selon les modalités prévus par le traité.
Au Conseil européen de Madrid, en décembre dernier, où vous représentiez la France, monsieur le ministre, les Quinze ont pris une décision fort importante, qui montre qu'une solution toute simple est à portée de la main. Les experts ont dû admettre qu'ils avaient commis une erreur technique ; ce n'est pas la première fois que cela arrive. Entre le moment où la décision d'établir la monnaie unique doit être définitivement arrêtée, au printemps 1998, et le moment où nous pourrons la mettre dans nos porte-monnaie, il faudra beaucoup plus de temps qu'ils n'avaient prévu. Trois années seront encore nécessaires au-delà du 1er janvier 1999. Vous avez donc décidé fort sagement à Madrid que, pendant ces trois années-là, les monnaies nationales continueraient d'avoir cours. Et pourtant, ce sera déjà la monnaie unique. Unique par des taux de change fixes, qui lieront les monnaies intégrées dans un rapport mathématique aussi étroit entre le franc français et le mark, par exemple, qu'entre le franc belge et le franc luxembourgeois ou qu'entre la livre anglaise et la livre écossaise qui sont pourtant tout à fait différentes dans leur aspect. Pourquoi ce qui durera trois ans ne pourrait-il durer dix ans, vingt ans ou trente ans ? Pourquoi ne pas pérenniser ce provisoire ? Laissons le temps agir. Franchissons les étapes sans les brûler.
Monsieur le ministre, derrière le chef de l'Etat qui nous parle à la télévision, nous voyons désormais le drapeau bleu à étoiles d'or voisiner avec le drapeau tricolore. Mais quel Français aimerait que nos trois couleurs disparaissent, pour que seul subsiste le drapeau bleu ? Cette nouveauté majeure que va constituer la monnaie unique peut exister en deux versions : entre Français, pour acheter la baguette de pain ou le paquet de cigarettes, le franc ; entre Allemands, le mark ; entre Néerlandais, le florin ; entre Britanniques, la livre ; entre Européens et entre citoyens du monde, l'euro.
Je le répète, il ne s'agit pas de revenir à l'idée de la « monnaie commune », simple monnaie de réserve s'ajoutant aux monnaies nationales - qui ne sont pas liées entre elles par un taux de change fixe.
Cette monnaie nouvelle, dans ses deux déclinaisons, jusqu'à ce que le temps ait permis de mettre à l'épreuve le système, nous permettrait de construite l'Europe sans détruire la France.
La politique étrangère d'indépendance que vous conduisez brillamment serait alors justifiée. Nous souhaitons qu'elle soit pleinement justifiée. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque je suis intervenu l'année dernière, au même moment et sur le même thème, j'avais exprimé mon profond désaccord devant la reprise des essais nucléaires qui a terni l'image de la France. J'avais cependant jugé de manière positive certains aspects de la politique conduite alors par M. le Président de la République, notamment en Méditerranée ou dans l'ex-Yougoslavie.
J'interviens aujourd'hui avec la même tonalité : oui à l'esprit critique, par lequel l'opposition s'affirme ; non à la critique systématique dans laquelle l'opposition se perdrait.
Ainsi, je veux répéter ici ce que jai déjà déclaré ailleurs à propos du voyage de M. Jacques Chirac au Proche-Orient.
On peut, légitimement, regretter une offre de coparrainage européen sans concertation préalable avec nos partenaires de l'Union européenne.
On peut, davantage encore, déplorer que ce voyage ait débuté à Damas et que le Président de la République ait choisi ce pays pour être silencieux sur la démocratie en Syrie et prolixe sur l'obligation faite à Israël d'évacuer le Golan.
On peut, tout aussi légitimement, s'interroger sur la capacité future de la France à jouer un rôle d'arbitre après des discours déséquilibrés ou, en tout cas, considérés comme tels par l'un des protagonistes au Proche-Orient.
Parce que nous nous plaçons dans la continuité de la politique de François Mitterrand, parce que nous voulons être en accord avec nos propres positions passées et parce que nous savons les efforts accomplis depuis des années par les partis membres de l'Internationale socialiste - qu'ils soient Israéliens, Palestiniens ou Norvégiens - nous considérons que les perspectives dessinées par le Président de la République sont justes.
En revanche, et ce sera le coeur de ma brève intervention, nous voulons exprimer notre inquiétude sur la politique conduite en Afrique.
Les raisons de l'attention portée à l'Afrique vont au-delà de la compassion et de la colère que provoque le drame vécu ces jours derniers au Zaïre, après le génocide dont fut victime le Rwanda, voilà deux ans. Ces événements appellent une initiative forte de la communauté internationale, comme l'a demandé le Président de la République. Ils obligent, surtout, à réfléchir aux moyens de prévenir des tragédies qui, une fois déclenchées, laissent politiques et humanitaires désemparés.
Au-delà du Zaïre, nous avons le sentiment que l'Afrique se trouve aujourd'hui placée à un moment charnière, où l'inquiétude se mêle à l'espérance, et où, pour peu de temps encore, l'avenir reste ouvert alors que trois questions décisives se posent à nous.
Après une décennie de potions ultralibérales administrées par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale elle-même vient de considérer la décennie écoulée comme celle « de la régression sociale ». La part de l'Afrique dans le commerce mondial - déjà si marginale - a encore baissé ; la production et la consommation par habitant ont encore chuté ; les investissements se sont encore raréfiés.
S'il faut écarter, comme le souhaitent les Africains eux-mêmes, cette espèce de mode de l'afro-pessimisme qui est déjà le début du renoncement, il faut se demander - c'est la première question - ce que compte faire la France pour contribuer à sortir le continent africain du cycle infernal de la dette et du sous-développement dans lequel les dictateurs des partis uniques l'ont enfermée depuis trop longtemps.
Après la chute du mur de Berlin, la démocratie a progressé dans le monde entier, et en Afrique, dans la foulée du discours de La Baule, comme jamais auparavant.
Or, depuis quelques mois, le mouvement semble interrompu quand il n'est pas purement et simplement inversé. D'où une deuxième question liée à la précédente : que compte faire la France pour encourager la reprise de la marche vers la démocratie ?
Chacun sent enfin que la moindre faiblesse de la présence de notre pays dans cette région du monde serait perçue comme le signe annonciateur d'un repli généralisé qui marquerait la fin de cette « exception française » qui fait notre force en Afrique et que nous voulons tous, j'en suis sûr, préserver.
Au moment précis où émergent en Afrique d'autres forces, celle, bienvenue, de la République Sud-africaine ou celle, plus récente, des Etats-Unis, se pose une troisième question : que compte faire la France pour conserver la place stratégique et morale qui est la sienne ?
Ces trois questions, qui sont autant de défis, appellent des objectifs clairs et une volonté ferme. Or, les socialistes jugent très insuffisante la politique du Gouvernement parce qu'elle n'apporte pas de réponses à la hauteur de ces défis, en tout cas pas de réponses satisfaisantes.
Nous la critiquons d'abord parce qu'elle s'appuie sur des crédits insuffisants.
Certes, la menace américaine est à nuancer quand on sait la faiblesse de son aide publique et, davantage encore, la part de cette aide consacrée à l'Afrique.
Il n'empêche ! Une nouvelle fois, vous annoncez que les crédits affectés à la coopération vont baisser : une diminution de 7,8 % par rapport à la loi de finances votée voilà un an, ce n'est pas rien !
Pis encore, ce sont sur les projets de développement, sur les crédits d'ajustements structurels, sur notre présence humaine que les restrictions vont, pour l'essentiel, peser.
Ajoutons, pour faire bonne mesure - c'est le cas de le dire ! - que la France a réintroduit dans le calcul de l'aide publique au développement les engagements financiers à destination des territoires d'outre-mer, ce qui est statistiquement faux et, surtout, politiquement inacceptable.
Au moment où il faudrait à la fois accroître l'effort quantitatif vers l'Afrique subsaharienne et réfléchir, sur le plan qualitatif, à de nouvelles modalités de répartition de l'aide publique, vous vous engagez très précisément dans la voie inverse !
Nous désapprouvons ces choix, et je suis persuadé que l'inquiétude que j'exprime est ressentie bien au-delà des travées socialistes. Mais disons-le clairement : notre inquiétude est plus vaste encore car elle touche le coeur même d'une politique qui s'appuie, comme je vais le montrer, sur des principes ambigus, des actes contestables et une stratégie incohérente.
L'ambiguïté des principes tient à la contradiction des discours.
D'un côté, on déclare fini le temps des coups de force ; d'un autre côté, on repousse à cinquante ans l'horizon de la démocratie.
D'un côté, on proclame notre attachement à l'universalité des droits de l'homme ; d'un autre côté, on évoque leur relativité.
D'un côté, on avance le concept d'une « bonne gouvernance » ; d'un autre côté, on récuse l'idée de conditionnalité de l'aide économique.
Au point qu'il est bien difficile aujourd'hui de savoir quelle est la doctrine de la France sur ces sujets majeurs : ou, plutôt, qu'il serait impossible de le savoir si une série d'actes contestables ne venait, malheureusement, apporter une réponse à cette interrogation. Car enfin !
Quand la France apporte sa caution au processus électoral au Tchad, pourtant entâché de fraudes manifestes, quand la France marque de sa présence l'investiture du président du Niger, après un coup d'Etat militaire, la dissolution de la commission électorale nationale indépendante pendant les opérations de vote et la mise en résidence surveillée des autres candidats - tout de même ! -, quand la France renoue d'excellentes relations avec les régimes les plus hostiles à l'ouverture démocratique comme le Togo, la Côte d'Ivoire ou le Cameroun, quand, à l'inverse, la France tient à l'écart la méritoire démocratie du Mali, ces choix et ces priorités-là ne sont pas les nôtres !
En définitive, au-delà des désaccords que je viens d'évoquer, notre inquiétude provient de la conviction que la France ne dispose pas d'une stratégie cohérente.
On ne peut pas, en effet, contester la présence américaine sans, au choix, assurer la présence française ou accepter une présence européenne.
On ne peut pas promouvoir l'image de la France comme patrie des droits de l'homme et la brouiller par les méthodes qui ont conduit à l'expulsion des « sans-papiers » de l'église Saint-Bernard.
On ne peut pas vouloir en même temps maîtriser les flux migratoires et réduire le budget de la coopération.
Mes chers collègues, je voudrais, pour conclure, citer ce que François Mitterrand disait dans le discours de La Baule, en 1990, tant ses propos sont plus que jamais d'actualité : « Je ne crois pas à l'Afrique perdue ; si l'on abandonne en chemin tel ou tel peuple, c'est une amputation pour le monde entier. » Et il terminait par cette citation que je crois pouvoir reprendre, s'agissant précisément de l'Afrique : « Souvenez-vous de ce titre de l'ouvrage d'Hemingway Pour qui sonne le glas. On croit qu'il sonne pour l'autre, il sonne toujours pour soi. »
Cet avertissement doit être entendu aujourd'hui encore par le Gouvernement français. Il est aussi un message : un message d'espoir, de solidarité et de démocratie. Les socialistes continueront de le porter. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.) M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze heures.)