M. le président. Par amendement n° 152, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« La loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité est abrogée. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Cet amendement a pour objet d'abroger la loi réformant le droit de la nationalité qui fait partie des lois dites « Pasqua ».
Pour mémoire, nous nous étions vigoureusement opposés à l'adoption de cette loi et nous avions alors défendu une question préalable.
Notre position de principe n'a pas changé depuis lors.
Je rappelle que la réforme du code de la nationalité, c'est la remise en cause du droit du sol au profit du droit du sang ; c'est la remise en cause de l'automaticité de l'acquisition de la nationalité française ; c'est une atteinte à la liberté pourtant fondamentale du mariage et du droit de vivre en famille tel qu'il est reconnu par la Convention européenne des droits de l'homme, ratifiée par la France ; c'est, enfin, une restriction du droit d'asile.
C'est à cause de cette loi, pourtant largement censurée et donc modifiée, que des étrangers ont été jetés du jour au lendemain dans l'irrégularité et la clandestinité parce qu'ils ne pouvaient plus obtenir les papiers auxquels ils avaient droit avant les lois Pasqua. C'est toute la lutte des « sans papiers » !
Sans les lois Pasqua, il n'y aurait pas eu de personnes sans droit et, par conséquent, nous ne serions pas en train d'examiner ce projet de loi qui, sous couvert de régulariser une poignée de cas, va durcir davantage les lois de 1993 !
Les propos que nous tenions à l'époque sont, hélas ! toujours d'actualité : « En l'état, le texte nous paraît très dangereux et de mesure à attiser le malaise déjà perceptible dans les cités urbaines et chez les jeunes filles et fils d'immigrés. Il n'apporte aucun commencement de réponse à leur attente. Il se situe dans un contexte de répression et d'exclusion, à l'opposé des nécessités de notre époque. »
D'une législature à une autre, d'un gouvernement à un autre, la philosophie des partis de droite demeure.
On croyait avoir atteint le sommet en la matière en 1993. C'est faux : vous prouvez aujourd'hui, à peine quatre ans après, que le pire est possible.
En maintenant votre projet de loi, monsieur le ministre - et en l'adoptant, mes chers collègues - vous êtes à contre-courant d'une majorité de la population. En effet, de nombreuses associations, de nombreux collectifs, de nombreux mouvements catholiques, tous les démocrates et progressistes de ce pays ont largement fait connaître leur opposition à votre projet de loi.
Vous faites semblant de revenir çà et là sur les dispositions les plus dures adoptées par les députés pour apparaître comme modérés, mais personne n'est dupe.
Non seulement nous combattrons un à un les articles du présent texte, mais nous vous proposons au préalable d'abroger une à une les lois de 1993.
C'est tout le sens du présent amendement et de ceux qui vont suivre, que je vous demande d'accueillir favorablement.
Enfin, pour que chacun prenne ses responsabilités, nous demandons un vote par scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. M. Pagès ayant évoqué l'ensemble des amendements n°s 152 à 157, je ferai comme lui, en indiquant dès à présent l'avis de la commission sur l'ensemble de ces amendements.
La commission est, bien entendu, défavorable à l'amendement n° 152, comme elle l'est à tous les autres.
M. Pagès nous propose en effet de censurer le droit de la nationalité, la maîtrise de l'immigration, les contrôles et les vérifications d'identité, ainsi qu'une mesure introduite en 1994 concernant les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Mais il censure aussi, dans l'amendement n° 157, les zones d'attente, c'est-à-dire une loi de juillet 1992. A cette époque c'est, me semble-t-il, M. Marchand qui était ministre - socialiste - de l'intérieur. Mais cela n'a pas d'importance, mon cher collègue ! (Rires sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Huriet. C'est amusant !
M. Paul Masson, rapporteur. Enfin, il y a un amendement que je n'ai pas vu, celui qui tend à supprimer l'ordonnance de 1945. Vous l'avez oublié ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Défavorable aux amendements n° 152 à 157.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 152.
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. J'ai entendu notre excellent collègue M. Pagès évoquer les autorités religieuses. De ce point de vue, je ne voudrais pas qu'il confonde le détail avec l'ensemble.
J'ai sous les yeux le passage d'une adresse de la commission pontificale Justice et Paix. Elle est parfaitement équilibrée : « Certes, il appartient aux pouvoirs publics, qui ont la charge du bien commun, de déterminer la proportion de réfugiés ou d'immigrés que leur pays peut accueillir compte tenu de ses possibilités d'emploi et de ses perspectives de développement mais aussi de l'urgence du besoin des autres peuples. Et l'Etat veillera à ce que ne se créent pas des situations de déséquilibre social grave, accompagnées de phénomènes sociologiques de rejet comme cela peut arriver lorsqu'une trop forte concentration de personnes d'une autre culture est perçue comme menaçant directement l'identité et les coutumes de la communauté locale d'accueil. »
M. Alain Gournac. Tiens ! tiens ! tiens !
M. Christian Bonnet. « Dans l'apprentissage de la différence, on ne peut tout exiger d'un coup. Mais il faut considérer les possibilités d'une nouvelle connivence et même d'un enrichissement mutuel. Et une fois qu'une personne étrangère a été admise et se soumet aux règlements de l'ordre public,... »
M. Alain Gournac. Tiens ! tiens ! tiens !
M. Christian Bonnet. « ... elle a droit à la protection de la loi pour toute la durée de son insertion sociale. » Par conséquent, monsieur Pagès, ne confondez pas ce que peut dire un évêque auxiliaire, qui n'engage pas le diocèse de Paris, contrairement à la désinformation qui a paru dans un grand journal du soir il y a peu de temps, avec la position qui peut être celle des véritables autorités en la matière. (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 152, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 98:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 317
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 96
Contre 221

Par amendement n° 153, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« La loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France est abrogée. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre amendement a pour objet d'abroger la loi du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et de rétablir, en conséquence, la législation antérieure.
Dès sa discussion, en 1993, nous avions souligné les effets pervers de cette loi qui désignait les étrangers comme boucs émissaires de tous les problèmes.
Nous avions malheureusement raison, et nous en voyons, aujourd'hui, les conséquences désastreuses : des étrangers ayant vocation à vivre en France se trouvent privés de titre de séjour, alors même qu'ils ne peuvent être reconduits à la frontière ; l'ensemble des étrangers résidant régulièrement sur notre territoire ont vu leur situation devenir toujours plus précaire ; leur droit de vivre en famille se réduit de plus en plus face aux conditions toujours plus restrictives exigées pour le regroupement familial.
Monsieur le ministre, cette situation n'est plus acceptable.
Le volet dit « libéral » du présent projet de loi, qui prétend remédier à l'imbroglio juridique engendré par les lois Pasqua, loin d'accorder un véritable droit à ces étrangers, qui ont pourtant, je le répète, vocation à vivre sur notre sol, les laisse, en réalité, dans une précarité injustifiée.
Comment osez-vous, monsieur le ministre, leur accorder un titre de séjour d'une durée limitée à un an, alors qu'il s'agit de parents d'enfants français ou de conjoints de Français ?
Vous ne cessez de compliquer une législation déjà fort complexe. Vous créez ainsi des régimes juridiques différents pour une même catégorie d'étrangers, selon des critères qui oublient que leur caractéristique commune, qui prime toutes les autres, est, par exemple, d'être marié à un Français ou à une Française, ou d'être parent d'un enfant français.
Mais, surtout, monsieur le ministre, vous ne mettez pas fin définitivement à la catégorie pour le moins absurde des « ni régularisables » « ni éloignables » du territoire.
Quel sort réservez-vous aux étrangers conjoints de Français, entrés, c'est vrai, sans visa en France, sinon celui d'une vie clandestine, d'une vie de sans-droit ?
Quand accepterez-vous de regarder la réalité en face, en cessant de voir en chaque étranger un délinquant ?
Votre projet de loi, monsieur le ministre, loin d'être un texte équilibré et équitable, est une véritable déclaration de guerre faite aux étrangers.
Le « tout répressif » est une impasse. Vous savez bien, monsieur le ministre, qu'il est illusoire de vouloir mener une politique de fermeture totale des frontières.
« La France n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous, lorsqu'elle n'est pas repliée sur elle-même ». Cette phrase d'André Malraux nous a été rappelée par le Président de la République lui-même, lors de son discours prononcé à l'occasion du transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon.
Il est encore temps, mes chers collègues, que vous méditiez ces propos et que vous en tiriez les conséquences, en adoptant notre amendement, sur lequel nous demandons que le Sénat se prononce par un scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 153, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 99:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 317
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 96
Contre 221

Par amendement n° 154, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« La loi n° 93-1417 du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le code civil est abrogée. »
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement vise à abroger la loi du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le code civil.
Permettez-moi de rappeler l'objet de cette loi. Elle fait suite à la loi relative à la maîtrise de l'immigration du 24 août 1993, qui contenait, pour une large part, des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 12 et 13 août 1993.
Je tiens à souligner ici que cette décision a été, en quelque sorte, celle des records. Ainsi, dans l'ouvrage Les Grands Arrêts du Conseil constitutionnel , on peut lire ces observations de MM. Favoreu et Philip : « C'est la plus longue décision qu'ait rendue le Conseil constitutionnel : 134 considérants. » Plus loin : « C'est aussi celle qui a donné lieu à l'invocation du plus grand nombre de moyens : environ quatre-vingts, répartis en une quinzaine de catégories différentes : liberté individuelle y compris inviolabilité du domicile, liberté d'aller et venir, liberté de mariage, etc., droits de la défense, droit de recours, légalité des délits et des peines, proportionnalité et nécessité des sanctions, droit de mener une vie familiale normale et au regroupement familial, droit aux prestations sociales, principe d'égalité, indivisibilité de la République, incompétence négative du législateur... »
« Le Conseil constitutionnel a prononcé l'invalidation de dix dispositions relevant de huit cas différents. »
Cette décision est donc l'une des plus sévères qui aient été prononcées, surtout si l'on ajoute aux huit cas d'invalidation la douzaine de réserves d'interprétation formulées, dont trois sont expressément qualifiées de strictes réserves d'interprétation.
Au total donc, plus de vingt dispositions ont été considérées comme inconstitutionnelles. C'est beaucoup, surtout si l'on considère que la loi ne comportait que cinquante et un articles !
M. Pasqua, soutenu par la majorité, avait décidé, avec son projet de loi, de frapper fort en matière d'immigration. Il a dû cependant prendre en compte les remarques du Conseil constitutionnel et proposer un autre texte, devenu la loi du 30 décembre 1993.
C'est donc de cette loi que nous demandons l'abrogation, par analogie avec la demande de suppression de la loi du 24 août 1993, précédemment formulée. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 154, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 155, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article premier, un article additionnel ainsi rédigé :
« La loi n° 93-992 du 10 août 1993 relative aux contrôles et vérifications d'identité est abrogée. »
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Nous proposons d'abroger la loi du 10 août 1993 relative aux contrôles d'identité, loi au caractère sécuritaire très marqué : cette loi fait un amalgame qui, contrairement aux valeurs de la République, place l'étranger présent sur notre sol en situation d'insécurité permanente.
Comment s'étonner alors que ces lois proposées et votées par la majorité de droite mettent clairement les étrangers en position d'accusés et favorisent le succès des thèses de Le Pen ?
Votre responsabilité dans la persistance du danger raciste, monsieur le ministre, est grande. La réalité d'aujourd'hui est claire. Vous menez une politique qui accentue encore le désarroi des populations les plus défavorisées, qui généralise la précarité, une politique qui fait battre de tristes records de chômage en Europe, une politique qui accentue la pauvreté et la misère.
Dans le même temps, vous continuez de traiter les étrangers en accusés en maintenant sur eux une terrible pression tant législative, réglementaire que policière.
Les immigrés voleraient les emplois, les logements, ils accentueraient le déficit de la sécurité sociale, ils poseraient des bombes... Les immigrés seraient des dealers, des cambrioleurs... Des arguments aussi vils et bas ne s'entendent pas qu'au café du commerce.
Nous, nous estimons qu'il faut d'urgence rompre avec cette logique sous peine d'assister à la multiplication des « Vitrolles ».
Il faut donc rompre avec la logique d'un texte tel que celui du 10 août 1993, qui instaurait le tristement célèbre « contrôle au faciès ».
Depuis 1993, nous avons pu constater l'exaspération que soulèvent ces méthodes, notamment parmi les jeunes de banlieue...
M. Robert Pagès. Tout à fait !
M. Jean-Luc Bécart. ... et l'inefficacité de telles mesures ; il suffit de constater la croissance du trafic de stupéfiants dans les banlieues depuis 1993 pour le comprendre.
Notre conception de la protection de la nécessaire sécurité des biens et des personnes est tout autre. Elle doit s'appuyer sur une politique de redressement économique et de création massive de véritables emplois et non pas de petits boulots qui exaspèrent toujours plus les jeunes. Elle doit s'appuyer sur une politique de prévention qui exige des moyens autres que ceux trop dérisoires qui existent aujourd'hui.
La réinsertion des jeunes délinquants doit être considérée comme essentielle. Certes, la dissuasion et la répression doivent intervenir, bien entendu, mais ne doivent être conçues que comme des ultimes recours, dans le cadre d'une politique de sécurité radicalement différente, intégrée dans une politique de progrès social.
Je conclurai en rappelant les propos de notre ancien collègue et ami Charles Lederman, qui dénonçait ici même, le 29 juin 1993, la « bête aux aguets qui doit susciter la vigilance constante, la sagesse de tous ceux qui persistent à croire que la nation s'est faite sur des valeurs assurées et non codifiées ».
Mes chers collègues, nous trouvons plus que jamais nécessaire l'abrogation de cette loi du 10 août 1993 ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 155, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.


(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq.)