AMÉLIORATION DES RELATIONS ENTRE
LES ADMINISTRATIONS ET LE PUBLIC

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 181, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'amélioration des relations entre les administrations et le public [Rapport n° 218 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la réforme de l'Etat constitue l'un des grands chantiers de ce septennat et l'une des deux principales priorités fixées par le Président de la République pour l'année 1997. J'ai pu en évoquer les principes devant vous à l'occasion du débat budgétaire ; mais vous n'avez pas eu encore à vous prononcer sur un texte. En effet, l'organisation de l'Etat et son fonctionnement relevant principalement du domaine réglementaire, les premières réformes engagées par le Gouvernement n'avaient pas à se traduire par des mesures législatives immédiates.
Le projet de loi qui vous est soumis constitue donc le premier support législatif de la réforme de l'Etat.
Depuis plus de vingt ans, un certain nombre de réformes importantes ont été mises en oeuvre pour faciliter le contact entre l'administration et le public, pour rendre l'administration plus transparente et plus ouverte aux préoccupations du citoyen. La création du Médiateur et l'extension de ses pouvoirs, les dispositions prises pour conduire l'administration à communiquer ses décisions et à mieux les motiver, la protection des individus contre les déviations possibles des nouvelles technologies, notamment l'informatique, ou encore l'amélioration des conditions d'accès au juge, toutes ces mesures et d'autres encore, comme la décentralisation, ont modifié la relation traditionnelle d'autorité et ont contribué à faire évoluer les esprits.
Mais, parallèlement, pour répondre à la demande de nos concitoyens, l'intervention de l'Etat et des collectivités publiques s'est considérablement développée. Alors que le rythme des évolutions technologiques s'amplifie, que le monde, la France et les Français évoluent, l'Etat doit pourvoir aux besoins de plus en plus variés des citoyens sur l'ensemble du territoire : l'enseignement primaire, secondaire et supérieur, la protection sociale, le logement, la sécurité, etc. A l'évidence, il est l'un des principaux recours dans une société qui se cherche des repères.
Dans ce contexte, il faut bien reconnaître que trop peu a été entrepris ces dix dernières années pour faire progresser les droits des citoyens dans leur rapports avec l'administration. Or, l'Etat doit non seulement suivre, mais également anticiper les évolutions sociales. Dans une société et une économie de plus en plus complexes, les pouvoirs doivent être plus répartis, plus équilibrés. Les partenaires sociaux, les associations, les entreprises aspirent légitimement à participer davantage et plus librement à la vie de la nation.
Les forces d'initiative sont formidables sur le terrain. Pourtant, l'impression qui prévaut est celle d'un blocage, tout au moins d'une série d'entraves qui viendraient de l'Etat. L'image de ce dernier s'est quelque peu brouillée et, de fait, on lui impute toutes les difficultés traversées par la société française.
Sans doute faut-il mieux tirer parti de la compétence remarquable de notre fonction publique. Il est de la responsabilité de l'Etat de donner aux fonctionnaires des instructions claires et efficaces, de mobiliser leurs énergies sur les enjeux essentiels.
La réforme de l'Etat vise précisément à libérer la capacité créatrice de l'administration pour la mettre à disposition des forces vives de notre pays. Elle concourt ainsi à la grande ambition de modernisation et d'adaptation de la France aux défis de notre temps, en rendant à l'administration sa vocation première : placer le citoyen au coeur du service public.
Avant de vous indiquer l'économie et la portée du projet de loi, sur lequel la commission des lois et M. le rapporteur ont effectué un travail remarquable, je souhaite tracer la perspective de la réforme de l'Etat dont ce texte sera la première pièce législative.
La réforme de l'Etat a été lancée par une circulaire du Premier ministre en date du 26 juillet 1995, fixant les grands axes de cette réforme et une méthodologie. Puis, ont été mis en place le comité interministériel pour la réforme de l'Etat et le commissariat à la réforme de l'Etat, créé par le décret du 13 septembre 1995.
Un intense travail interministériel a ensuite été conduit dès le dernier trimestre 1995, avec l'appui technique du commissariat à la réforme de l'Etat. Il a permis l'élaboration d'un document de travail esquissant des pistes de réforme, document qui a été soumis à une très large concertation au début de l'année 1996.
L'ensemble des partenaires de l'Etat a ainsi été associé durant plusieurs mois à sa réforme, et les organisations représentant les personnels, les usagers des services publics, les organisations patronales, les institutions consulaires, les associations d'élus et plusieurs centaines de personnalités qualifiées nous ont apporté leur point de vue. J'ai moi-même conduit le plus souvent ces discussions qui, à Paris comme en province, ont été enrichissantes et passionnantes. Chaque membre du Gouvernement y a impliqué l'administration dont il a la responsabilité, et les préfets ont effectué à ma demande un travail considérable. Plus de 10 000 personnes ont été associées à ce travail.
Ainsi, le comité interministériel du 29 mai 1996 a pu, à partir de l'ensemble des propositions, arrêter le programme de réforme de l'Etat. Depuis, nous travaillons activement à sa mise en oeuvre.
Quels sont les principes et les objectifs de la réforme ?
Je tiens à rappeler, en premier lieu, que la réforme de l'Etat n'a ni pour objet ni pour effet de toucher au statut de la fonction publique ou de porter atteinte aux principes fondamentaux qui constituent le socle de la conception française du service public et auxquels le Président de la République a, encore récemment, rappelé notre attachement.
En France, c'est autour de l'Etat que s'est construite l'unité nationale. Depuis plus de cent vingt ans, le régime républicain est le garant de la cohésion sociale, de l'accès de tous aux grands services publics, du respect du droit et de la défense des intérêts de la France dans le monde.
Pour défendre ce modèle, auquel nos concitoyens sont attachés, il faut faire en sorte que l'Etat s'adapte pour être toujours plus performant. C'est un impératif majeur face aux fléaux qui, tels le chômage et l'exclusion, nous frappent durement, menacent la cohésion sociale et font le lit des extrémismes que, dans leur immense majorité, les Français repoussent.
Cette régénération est le sens profond de la réforme de l'Etat. Les mesures engagées à cette fin peuvent être regroupées autour de trois objectifs prioritaires : un Etat plus simple et plus rapide, un Etat plus proche, un Etat plus moderne et plus responsable.
En ce qui concerne l'objectif de simplicité et de rapidité, je tiens à souligner le fait que nos concitoyens sont trop souvent rebutés par l'extrême complexité des structures et des procédures publiques.
Simplifier l'Etat, c'est, d'abord, lutter contre l'inflation des textes et la complexité des procédures.
Un programme général de codification a été adopté voilà près d'un an, afin de codifier d'ici au 31 décembre 2000 la totalité des textes applicables. Plusieurs codes sont parus ou en voie de parution. L'année dernière, le code général des collectivités territoriales est entré en vigueur.
Dans la même perspective de simplification, une étude d'impact des formalités nouvelles et des coûts accompagne depuis le 1er janvier 1996 chaque projet de loi transmis au Parlement. Un bilan de cette procédure est en cours afin d'en renforcer l'efficacité.
Par ailleurs, après un considérable travail de recensement, qui a permis de dénombrer plus de 4 200 régimes d'autorisations administratives préalables, la simplification a démarré : les textes permettant la suppression ou la simplification de 300 procédures, avec le passage au régime déclaratif ou à la règle de l'accord tacite, sont prêts. Un projet de loi portant diverses mesures de simplification administrative sera présenté au Sénat dans les prochaines semaines : il vient d'être soumis au Conseil d'Etat.
Avec le concours des ministres responsables, d'autres mesures de simplification seront réalisées ou expérimentées au cours de l'année 1997, en matière de formalités d'état civil ou de permis de construire, par exemple.
Simplifier l'Etat, c'est, en second lieu, accélérer les décisions et le fonctionnement de l'administration.
J'évoquerai, à cet égard, quelques mesures effectives depuis le 1er janvier 1997.
Tout d'abord, toute entreprise ayant une créance non contestée sur l'Etat et non payée dans le délai normal de quarante-cinq jours peut, sur simple réclamation auprès du préfet ou du ministre, être payée dans les quinze jours.
Ensuite, dans une vingtaine de préfectures, des passeports et des cartes grises sont délivrés immédiatement : c'est le service « titre-express ». Cette procédure rapide devrait être étendue à toutes les préfectures d'ici à la fin de l'année.
Enfin, dans une centaine de sites administratifs - préfectures, sous-préfectures, services fiscaux et perceptions - il est possible de payer une somme due à l'Etat par carte bancaire. Un millier de sites seront équipés avant la fin de cette année.
Le deuxième objectif prioritaire de la réforme de l'Etat est l'instauration d'un Etat plus proche des citoyens.
La décentralisation a conféré des responsabilités éminentes aux collectivités locales. L'Etat a cependant maintenu une procédure excessivement centralisée à laquelle se heurtent à la fois le citoyen et l'élu local. Elle ralentit les décisions et empêche parfois leur adaptation fine aux situations concrètes. Aussi la déconcentration est-elle une exigence impérieuse. Il importe que les décisions soient prises au plus près des personnes concernées.
Plusieurs décisions majeures ont déjà été arrêtées pour rapprocher l'Etat des Français.
Tout d'abord, en application du décret du 15 janvier 1997, à compter du 1er janvier 1998, la totalité des décisions administratives individuelles seront prises par les autorités locales de l'Etat, en principe le préfet. Les ministres et les administrations centrales pourront ainsi se concentrer sur leur rôle : fixer la stratégie et les orientations des politiques publiques, les évaluer, élaborer les textes législatifs et réglementaires nécessaires à leur mise en oeuvre. Cette évolution radicale du service public viendra utilement compléter, je crois, les dispositions du projet de loi, notamment de son titre Ier, que je vous présenterai dans un instant.
En deuxième lieu, toujours en matière de déconcentration, les autorités locales de l'Etat disposeront de crédits plus importants, d'utilisation plus souple et délégués plus rapidement. Elles pourront ainsi s'engager plus vite vis-à-vis des entreprises ou des associations.
En troisième lieu, la gestion des ressources humaines de l'Etat et le dialogue social vont être largement déconcentrés.
Les décrets permettant cette déconcentration devraient être applicables avant la fin du premier trimestre 1997. Ainsi, la mobilité territoriale pour les membres des corps issus de l'ENA s'appliquera dès la promotion sortant le 1er avril prochain. Enfin, la mise en place d'un congé « formation-mobilité » permettra de donner satisfaction aux fonctionnaires qui souhaitent changer de métier, au sein de la fonction publique.
Nous entendons - c'est notre troisième objectif - créer un Etat plus moderne et plus responsable.
Pour mieux mettre l'Etat en adéquation avec la société, il faut alléger ses structures et donner à ses fonctionnaires plus de responsabilités, leur faire en quelque sorte davantage confiance. Ainsi, la réforme deviendra à la fois une réalité et un état d'esprit.
Plusieurs grands chantiers sont engagés à cette fin, et tout d'abord la réforme des services centraux et des services régionaux et départementaux.
Afin de mieux répondre aux besoins là où ils existent, il convient de modifier la structure et le fonctionnement de ces services, qui regroupent environ 400 000 des 2 100 000 agents de l'Etat. En effet, la majorité des fonctionnaires travaillent dans des services de proximité, en contact direct avec le public : établissements d'enseignement, commissariats, tribunaux, perceptions.
A cette fin, je vous confirme que la mise en oeuvre effective de la réorganisation des administrations centrales s'effectuera d'ici à l'été 1997. Elle se traduira par une baisse sensible des effectifs grâce, d'une part, au transfert des fonctions opérationnelles aux services déconcentrés et aux services à compétence nationale et, d'autre part, grâce à des gains de productivité.
Par ailleurs, nous mettrons en place une nouvelle organisation des services départementaux et régionaux de l'Etat. Sur la base d'un décret d'expérimentation en cours de préparation, celle-ci pourrait commencer au printemps, dans une dizaine de départements et de régions, avec quelques priorités : l'aménagement de l'espace, la sécurité de l'alimentation, la lutte contre l'exclusion, le développement économique.
La réforme de la gestion publique passera d'abord par la poursuite de la modernisation de la procédure de préparation du budget de la nation, entamée en mai 1996 avec le débat d'orientation budgétaire au Parlement.
J'ajouterai que plusieurs orientations ont été prises pour la préparation du budget de 1998. Les crédits gérés de façon déconcentrée seront inscrits sur des chapitres spécifiques, ce qui les « protégera » plus efficacement. Le taux de déconcentration des crédits de chaque ministère sera ainsi indiqué au Parlement, et il devra augmenter significativement de 1997 à 1998.
Nous moderniserons également les modalités d'exécution du budget en allégeant le contrôle financier central et en expérimentant les contrats de service. Ces contrats conféreront un budget global à un service déconcentré et pourront prévoir un mécanisme d'intéressement du service et de ses agents aux économies réalisées : une dizaine de services départementaux ou régionaux seront bientôt concernés, notamment au ministère de l'équipement, à l'éducation nationale et au ministère de l'industrie.
Nous instaurerons, par ailleurs, une véritable gestion du patrimoine de l'Etat, grâce à la création d'une comptabilité patrimoniale. Des expérimentations portant sur la gestion du patrimoine immobilier vont être lancées avant la fin de l'année dans quelques départements.
Enfin, les nouvelles technologies de l'information s'introduisent chaque jour davantage dans le fonctionnement des administrations : elles y facilitent le travail des fonctionnaires et améliorent les services rendus aux usagers. Les formations seront développées dans ce domaine pour aider les fonctionnaires à s'adapter à ces nouvelles technologies.
Ainsi, le premier semestre 1997 verra la réalisation ou l'engagement décisif de la totalité des réformes prévues, qu'il s'agisse de changements simples et concrets intéressant la vie quotidienne de nos concitoyens ou de chantiers de réformes de structures de plus longue haleine.
D'ici au printemps prochain, une charte des citoyens et des services publics rappellera les droits traditionnels ou nouveaux des citoyens vis-à-vis des administrations et des services publics.
Mesdames, messieurs les sénateurs, venons-en maintenant à l'économie et à la portée de ce projet de loi, qui correspond, je le disais tout à l'heure, à l'une des toutes premières préoccupations du Gouvernement, à savoir la situation des usagers des différents services publics administratifs.
En effet, lorsqu'on interroge aujourd'hui nos concitoyens sur leur perception de l'Etat, on s'aperçoit que, globalement, les administrations leur paraissent lointaines et souvent indifférentes. Il leur est reproché de ne pas répondre aux demandes ou de le faire très lentement, d'être trop cloisonnées, enfin de ne pas être suffisamment à l'écoute de leurs usagers.
Aussi l'idée majeure inspirant le projet de loi qui vous est soumis est-elle de rapprocher les administrations du citoyen, de rendre celles-là à celui-ci en réformant les procédures, en développant la médiation et en aménageant les services.
Cette volonté sous-tend les trois volets du texte, qu'il s'agisse des dispositions du titre Ier sur le régime des décisions administratives, de celles du titre suivant relatives au Médiateur de la République, ou enfin de celles du titre III concernant les « maisons des services publics ».
Les dispositions du titre Ier prévoient un régime des décisions administratives largement amélioré par rapport à l'état du droit existant.
En effet, à l'heure actuelle, ce régime n'est pas satisfaisant, essentiellement de deux points de vue. D'une part, le droit n'est pas unifié ; il est donc une source de complexité supplémentaire. D'autre part, un certain nombre de principes et de délais sont désuets.
Aussi le régime des décisions administratives doit-il être simplifié par une harmonisation des règles applicables.
Le projet de loi prévoit de le faire par trois dispositions simples.
En premier lieu, il s'agit d'étendre à tous les cas où elle n'existe pas l'obligation pour les autorités administratives d'accuser réception des demandes ou des réclamations qu'elles reçoivent. L'objectif est de garantir le citoyen contre l'inertie administrative, la complexité des procédures ou l'insuffisance des moyens, et d'exiger de l'administration qu'elle fasse son affaire de ses propres difficultés d'organisation et de fonctionnement.
Actuellement, l'obligation d'accuser réception ne s'impose qu'aux services de l'Etat et à ses établissements publics, par l'effet du décret du 28 novembre 1983, ou lorsqu'un texte spécial l'a prévue dans un domaine particulier, comme c'est le cas en matière de permis de construire.
Dans tous les autres cas, et pour les autorités administratives autres que celles qui relèvent de l'Etat, l'accusé de réception n'est pas obligatoire. Or cette formalité présente un intérêt évident pour le demandeur, car il sait ainsi que sa demande est bien parvenue au service compétent. Grâce aux mentions qui figurent dans l'accusé de réception, il obtiendra très rapidement un certain nombre d'informations qu'il est légitimement en droit d'attendre : quel service traite le dossier, quel est le régime applicable en cas de non-réponse, quels sont les délais de recours.
Si vous suivez le Gouvernement, il n'y aura plus de demande ou de réclamation adressée à une autorité administrative qui ne soit suivie de la délivrance d'un accusé de réception.
Le projet de loi prévoit, ensuite, que, lorsqu'une autorité administrative est saisie à tort d'une demande ou réclamation, elle doit la transmettre à l'autorité compétente et en aviser l'intéressé. Cette règle élémentaire de bon fonctionnement n'est pas exigée par les textes pour l'ensemble des décisions des autorités administratives, ce qui revient à faire peser sur nos concitoyens la responsabilité de la complexité administrative.
Enfin, troisième mesure d'harmonisation et d'amélioration du droit applicable aux décisions administratives, le projet de loi instaure l'obligation pour les autorités administratives de respecter une procédure contradictoire avant que puissent être prises certaines décisions administratives. Il s'agit des décisions défavorables qui doivent être motivées et qui sont prises unilatéralement par les autorités administratives, sans que la personne intéressée ait formulé une demande.
L'autorité administrative aura l'obligation, sauf exceptions énumérées dans le projet de loi, de recueillir les observations écrites de la personne intéressée et, si cette dernière le demande, ses observations orales. Cette obligation n'existe, pour l'instant, que très ponctuellement. Sur ce point aussi, le projet de loi contribuera donc à harmoniser et à simplifier le droit.
L'effort d'adaptation sera concentré sur deux axes prioritaires : d'une part, développer le nombre de cas dans lesquels le silence de l'autorité administrative vaut acceptation de la demande et, d'autre part, raccourcir le délai imparti à l'administration pour répondre.
Sur le premier point, le droit commun actuel repose sur le principe selon lequel le silence de l'administration vaut, sauf exceptions prévues par les textes, décision de rejet. Ce principe est vieux de plus d'un siècle. Certes, depuis une trentaine d'années, un certain nombre d'exceptions ont été instaurées dans des domaines comportant souvent des enjeux importants, comme le permis de construire. Mais ces exceptions restent en nombre limité, - environ 200 - eu égard aux 4 200 régimes d'autorisation administrative existants.
Désormais, chaque fois que cela sera possible, le silence gardé par l'administration sur une demande vaudra acceptation.
Soucieux de réalisme et afin d'éviter tout effet pervers de la réforme, le Gouvernement ne souhaite toutefois pas renverser le principe traditionnel du silence valant rejet de la demande. Pour de multiples motifs légitimes, il faudrait, aussitôt, assortir ce nouveau principe de plusieurs centaines d'exceptions difficiles à recenser. Cela différerait l'entrée en vigueur de la loi et créerait une situation ambigüe. La démarche que je vous propose est à la fois plus pragmatique, plus sûre et plus efficace.
Il s'agit de prévoir que les cas dans lesquels le silence de l'administration vaudra acceptation de la demande seront instaurés par le décret proposé à l'article 5 du projet.
De cette manière, seront conciliées les exigences résultant de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en vertu de laquelle le principe général du silence valant rejet a valeur législative et la position du Conseil d'Etat qui admet que le pouvoir réglementaire instaure des régimes d'accord implicite.
Cette démarche est opérationnelle immédiatement, puisqu'il résulte des travaux déjà réalisés que, très rapidement après la publication de la loi, un premier train de plus d'une centaine de nouveaux régimes d'autorisation relèvera de l'accord implicite. Les textes sont prêts pour cette première série et d'autres mesures seront arrêtées très rapidement.
L'Assemblée nationale a accepté cette démarche pragmatique en inversant seulement les articles 4 et 7 du projet initial du Gouvernement, afin de bien afficher le principe avant ses exceptions.
Le Gouvernement souhaite également une adaptation significative de l'état du droit en ce qui concerne les délais de réponse de l'administration.
Il existe actuellement une grande diversité de situations, du délai de quatre mois valant rejet implicite à l'acceptation implicite dans des délais variables selon les cas.
A l'heure de la communication en temps réel, il est nécessaire que le délai au terme duquel le silence gardé sur une demande vaudra rejet soit ramené de quatre à deux mois. C'est ce que prévoit le projet. Le traitement des demandes ne pourra que s'en trouver accéléré, dans l'intérêt de nos concitoyens.
Ce même délai de deux mois est prévu pour les hypothèses dans lesquelles des décrets en Conseil d'Etat instaureront un régime d'accord implicite.
Ainsi, sauf exceptions limitées dues à l'urgence ou à la complexité de la procédure, nos concitoyens sauront qu'au terme d'un délai de deux mois leur demande sera acceptée ou rejetée. Il en résultera inéluctablement une transformation profonde des méthodes de travail et de l'organisation administrative.
Le titre II du projet de loi concourt au même objectif. Il s'agit de rapprocher les services publics des citoyens et de conduire l'administration à prendre davantage en considération ses usagers.
La concertation conduite en la matière a démontré que les Français sont très attachés aux mécanismes de médiation, qui permettent d'éviter toute situation de blocage dans leur relation avec les administrations.
C'est pourquoi le Gouvernement vous propose de modifier la loi du 3 janvier 1973 relative au Médiateur.
Le succès de l'institution est incontestable et vous y avez largement contribué, comme parlementaires, en lui transmettant les réclamations de nos concitoyens.
Mais, afin que le Médiateur de la République soit mieux connu des Français et que ceux-ci puissent le saisir plus facilement, le projet de loi prévoit d'élargir sa saisine à de nouvelles catégories d'élus : les parlementaires européens, les présidents des conseils régionaux et généraux.
Après des débats approfondis, l'Assemblée nationale a préféré écarter la saisine du Médiateur par les parlementaires européens. Par ailleurs, elle n'a pas retenu l'amendement de son rapporteur tendant à prévoir une faculté de saisine du Médiateur par l'ensemble des maires.
M. Pierre Fauchon. C'est dommage !
M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Votre commission des lois se situe plus en retrait par rapport aux dispositions du projet puisqu'elle propose de maintenir, sur ce point, l'état du droit existant, à savoir la saisine par les seuls députés et sénateurs. Nous reviendrons sans doute sur ce point dans le cours de la discussion.
Quoi qu'il en soit, si l'on veut que l'administration prenne davantage en compte les préoccupations des usagers, il est utile de renforcer les pouvoirs du Médiateur, observateur privilégié de ses dysfonctionnements.
A ce titre, il vous est proposé de reconnaître au Médiateur de la République le pouvoir de se saisir lui-même des sujets sur lesquels il pourra proposer des réformes et de déclencher lui-même, vis-à-vis d'un service public défaillant, les procédures d'inspection et de contrôle.
L'Assemblée nationale a souhaité également que le Médiateur puisse s'exprimer publiquement devant les assemblées à l'occasion de la remise de son rapport annuel.
Ces pouvoirs nouveaux conférés au Médiateur de la République ne pourront qu'aider l'administration à se réformer.
Le titre III du projet de loi vise à faciliter la mise en place de structures plus proches des citoyens et prenant davantage en compte la polyvalence aujourd'hui indispensable à toute politique de service public.
Depuis plusieurs années, des structures polyvalentes ont été expérimentées. Des « points publics » ont été créés en milieu rural depuis 1994 et, dans le cadre de la politique de la ville, des « plates-formes de services publics » ont été mises en place, ces derniers mois, dans les quartiers urbains en difficulté.
Pour développer et consolider ces expériences, le Gouvernement a décidé d'encourager la création de « maisons des services publics ». Elles regrouperont des services publics de nature différente, auxquels les usagers auront ainsi plus facilement accès. Ils y trouveront un service allant au-delà de l'accueil et de l'information et assurant une prise en charge globale et personnalisée de leurs démarches.
Des maisons des services publics ont d'ores et déjà été créées, ou sont en voie de l'être, dans une vingtaine de départements. Le projet de loi vise à les doter du cadre juridique nécessaire à leur développement et, si ces expériences s'avèrent positives, à leur extension progressive sur le territoire.
Sont ainsi prévues la conclusion de conventions entre les personnes publiques concernées et les règles permettant au responsable d'une maison des services publics de prendre certaines décisions simples par délégation des autorités compétentes.
Par ailleurs, pour le cas où il apparaîtrait utile de disposer de structures plus importantes, le texte prévoit que les groupements d'intérêt public pourront créer ou gérer des maisons des services publics, selon le régime de la loi du 15 juillet 1982 ayant institué la catégorie des groupements d'intérêt public.
Ensuite, le titre IV du projet prévoit, outre des dispositions de procédure relatives à l'entrée en vigueur et à l'applicabilité de la loi dans les territoires d'outre-mer, deux dispositions introduites par la commission des lois de l'Assemblée nationale avec l'avis favorable du Gouvernement.
Elles concernent l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, qui fixe les délais d'ordonnancement des sommes d'argent que les personnes morales de droit public ont été condamnées à payer par décision juridictionnelle.
En premier lieu, l'article 10 A du texte vise à réduire de quatre à deux mois ce délai d'ordonnancement. Il est tout à fait conforme aux objectifs généraux du projet du Gouvernement, à savoir réduire les délais opposés aux citoyens. De plus, l'exécution rapide des décisions de justice comportant des conséquences pécuniaires est un élément essentiel du respect de l'état de droit.
En second lieu, l'article 10 B du texte a pour objet d'étendre les dispositions de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 aux décisions de justice prises en forme de référé-provision.
Cette disposition nouvelle permettra aux bénéficiaires d'un référé-provision, c'est-à-dire d'une décision de justice, condamnant une personne publique à leur verser une provision, d'utiliser la procédure d'exécution des décisions de justice prévue à l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980, alors que ce n'était pas le cas auparavant.
En effet, lorsque le juge des référés accorde une provision, il est important que celle-ci soit effectivement et rapidement versée à son bénéficiaire, comme l'avait d'ailleurs signalé le Médiateur de la République dans une proposition transmise au Gouvernement.
Enfin, le Gouvernement souhaite amender son propre texte pour l'enrichir d'une disposition supplémentaire importante et significative pour nos concitoyens ; il s'agit d'offrir aux particuliers, lorsqu'ils déménagent, une formalité unique de déclaration de changement d'adresse auprès de la poste. Cette simplification leur évitera les multiples démarches qu'ils sont actuellement tenus d'effectuer auprès des différentes administrations avec lesquelles ils sont en relation.
Cette mesure a été accueillie favorablement par la commission des lois, qui a proposé d'en améliorer l'encadrement juridique. Je n'insiste pas davantage sur ce point ; nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des amendements.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'ensemble des raisons qui ont conduit le Gouvernement à présenter au Parlement ce projet de loi, qui a reçu l'accueil favorable de l'Assemblée nationale.
Encore une fois, il ne constitue que l'un des aspects de la réforme de l'Etat, dont le Président de la République a récemment rappelé qu'elle est la pierre angulaire de l'oeuvre de redressement et de modernisation du pays.
Cette réforme, que j'ai l'honneur de conduire sous l'autorité de M. le Premier ministre et avec le concours de chacun des membres du Gouvernement, est attendue avec impatience par tous les Français, y compris - et peut-être surtout - par les fonctionnaires.
Je ne doute pas que, dans son souci d'approfondissement des principes démocratiques et républicains, le Sénat aura à coeur de développer les droits que le citoyen peut légitimement attendre de l'Etat à l'aube du XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. la président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du réglement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, adapter les règles qui régissent les relations entre le corps social et ses représentants, d'une part, et le citoyen, d'autre part, est, en démocratie, une exigence posée par l'évolution naturelle de la société.
En d'autres termes, réformer nos méthodes d'administration s'impose aux pouvoirs publics comme une nécessité et constitue pour eux un chantier quasi permanent.
Cette relation entre l'évolution de la société et l'adaptation du droit est soumise aujourd'hui à des contraintes très spécifiques.
En effet, l'évolution rapide et en profondeur de nos modes de vie, l'élévation du niveau d'exigence des citoyens dans leurs rapports avec l'administration, le contexte de mutations accélérées dans lequel vivent la plupart de nos entreprises nous conduisent à un effort particulier d'imagination, de conception et de méthode afin d'adapter aussi rapidement que possible nos institutions publiques pour ce qui est de leur relation avec le citoyen.
Nous sommes loin du temps où l'homme acceptait sa condition de sujet d'une administration centralisée et toute puissante ; la personne, physique ou morale, revendique aujourd'hui d'être considérée comme citoyenne et partenaire d'une vaste entreprise collective.
Pour autant, cette nécessaire amélioration du sort de l'usager, et plus largement du public, dans son rapport avec l'administration ne doit affecter ni nos collectivités publiques, en charge de l'intérêt général, ni la légitimité de l'Etat, elle-même garante des libertés fondamentales de la personne. Jean-Jacques Rousseau ne disait-il pas qu'« il n'y a pas de libertés sans loi » ?
Ainsi se présentent les raisons et les objectifs de la « réforme de l'Etat », voulue par le Président de la République et mise en oeuvre par le Gouvernement, en même temps que le cadre qui doit lui servir d'équilibre.
Cette réforme, qui doit en permanence maintenir le cap entre la satisfaction des deux objectifs précités, a, dans un premier temps, à répondre très concrètement aux deux questions suivantes : comment rendre l'administration plus accessible aux citoyens, plus proche et plus efficace ? Comment préserver simultanément les droits de l'administration, ceux de ses interlocuteurs et ceux des tiers ?
C'est à ces deux questions que s'efforce de répondre le projet de loi dont nous débattons, qui réalise, dans son titre Ier consacré au régime des décisions des autorités administratives, un juste et difficile équilibre entre les deux niveaux d'interrogation.
En effet, les articles du titre Ier ouvrent des obligations nouvelles à la charge de l'administration, destinées à simplifier et à alléger les relations avec le public ; parallèlement, ces articles prévoient des mesures de sauvegarde afin de faire prévaloir, quand cela est nécessaire, l'intérêt général comme la défense des libertés publiques.
Ainsi, après avoir défini, à l'article 1er, les autorités administratives dont les décisions seront soumises au nouveau régime juridique, on crée, à l'article 2, pour l'ensemble de ces autorités, une obligation d'accuser réception au demandeur, en prévoyant les cas dérogatoires dans lesquels l'administration peut être exonérée de l'obligation de se plier à cette exigence, ces cas relevant du bon sens ou de l'excès dans lequel pourrait tomber le demandeur.
De la même manière, l'article 3, qui instaure l'obligation de transmission à l'autorité compétente d'une demande initialement « mal aiguillée », prévoit, pour les décisions implicites d'acceptation, une garantie de délai suffisant pour que l'administration puisse assurer l'instruction du dossier.
Permettez-moi, à ce sujet, monsieur le ministre, de me faire ici le porte-parole des maires pour vous demander confirmation de votre intention de confier aux services déconcentrés de l'Etat, préfectures et sous-préfectures, le soin d'assister dans leur obligation de transmission les maires des plus petites communes qui ne disposeraient pas de services suffisamment étoffés.
M. René-Georges Laurin, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. L'article 4 est également très éclairant : il instaure une des grandes innovations de ce texte en réduisant, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, de quatre à deux mois le délai imparti à l'administration pour se prononcer. Il constitue donc une réelle avancée en faveur des droits des administrés.
Pour autant, il rappelle et précise deux garanties fondamentales pour la puissance publique : d'une part, le droit commun qui demeure la règle selon laquelle le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet d'autre part, la possibilité de délais plus longs ou plus courts reconnus à l'administration par décret en Conseil d'Etat lorsque « la complexité ou l'urgence de la procédure le justifie ».
L'article 5 ouvre en faveur du demandeur la perspective de décisions implicites d'acceptation de plus en plus fréquentes, sous condition, bien sûr, qu'elles soient prévues par décret en Conseil d'Etat. A cet égard, la Haute Assemblée apprécierait, monsieur le ministre, que vous précisiez vos intentions sur les mesures réglementaires qui pourraient intervenir prochainement sur la base de cette disposition nouvelle.
Il me paraît essentiel de souligner qu'en élevant au niveau de la loi la règle de l'autorisation implicite, dont les domaines d'application devraient s'élargir progressivement ce projet de loi porte le germe d'une ère nouvelle dans notre droit et notre pratique administratifs.
Mais cette règle du silence valant acceptation se voit imposer par le même article 5 l'impossibilité d'envisager un accord implicite sur des sujets où l'intérêt général comme les libertés fondamentales doivent prévaloir : l'ordre public, les engagements internationaux de la France, les principes à valeur constitutionnelle, les dettes et créances de l'administration.
L'article 6 offre un exemple subtil de cet équilibre, en même temps qu'il organise une évolution dans notre droit.
Revenant sur la jurisprudence « Eve », qui interdisait à l'administration de retirer une décision implicite d'acceptation dans les cas où des mesures de publicité ne sont pas exigées, l'article 6 donne à l'administration un droit de « repentir ».
Cette mesure est voulue pour tenir compte de la perspective d'accroissement des cas d'autorisation implicite, et donc de l'utilité qu'il y aura à retirer pour illégalité telle ou telle décision.
Toutefois, pour éviter que cette prérogative de la puissance publique ne puisse s'exercer indéfiniment et, ainsi, créer une instabilité juridique et nuire aux administrés, notamment aux bénéficiaires des mesures, la commission des lois propose d'encadrer cette prérogative en limitant à deux mois le délai pendant lequel l'administration pourra retirer, de sa propre initiative, une décision implicite d'acceptation illégale n'ayant pas fait l'objet des mesures d'information requises, étant précisé que, sur requête d'un tiers, cette faculté est ouverte à l'administration sans limitation de délai.
Ainsi, la proposition de la commission des lois constitue une voie moyenne entre la position antérieure, issue de la jurisprudence « Eve », et le texte du projet de loi.
Enfin, l'article 7, qui instaure une procédure contradictoire en faveur de l'usager dans tous les cas de décision individuelle devant être motivée, non consécutive à une demande, assortit cette amélioration de diverses dispositions dispensant l'administration de se plier à cette exigence dans certains cas, telle l'urgence ou la sauvegarde des intérêts supérieurs de la puissance publique.
Comme les précédents, cet article illustre la volonté d'améliorer les droits du citoyen, tout en veillant à défendre l'intérêt général.
J'en viens aux titres II, III et IV du projet.
Ceux-ci ne sont pas soumis à la dialectique des dispositions du titre Ier et constituent purement et simplement autant de mesures en faveur des administrés. Ils instaurent, en effet, un certain nombre de dispositions pour renforcer les pouvoirs du Médiateur de la République et, par là même, améliorer le fonctionnement de l'administration, pour rapprocher les services publics des citoyens avec les « maisons des services publics », pour réduire la durée des délais pendant lesquels l'administration doit s'acquitter d'un certain nombre d'obligations pécuniaires et, enfin, sur proposition de la commission des lois pour simplifier la procédure du permis de démolir dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans celles qui sont situées à l'intérieur d'un rayon de cinquante kilomètres par rapport aux anciennes fortifications de Paris.
J'en arrive au Médiateur de la République.
Lors de son audition par la commission des lois, le 28 janvier 1997, le Médiateur a dressé un bilan de l'activité de ses services. Il a indiqué que, en 1996, 43 000 réclamations lui avaient été adressées. Il a précisé que, sur les quelque 60 % de celles qui avaient été déclarées recevables, son intervention avait abouti dans 85 % des cas et qu'au cours des deux dernières années le délai de réponse moyen avait été ramené de six à quatre mois.
Reconnaissant l'efficacité de cette institution qui, à l'écoute des citoyens et grâce à sa bonne connaissance des rouages administratifs, a acquis une autorité morale incontestable et a contribué activement à l'amélioration des relations entre les administrations et les usagers, la commission se félicite du renforcement proposé des pouvoirs du Médiateur de la République.
Toutefois, elle vous propose de ne pas modifier les modalités de saisine en vigueur, celles-ci demeurant une faculté ouverte aux députés et aux sénateurs.
Elle considère en effet que ces modalités ont été éprouvées et ont permis le développement de l'action du Médiateur : le nombre de réclamations qui lui sont annuellement adressées, est, en effet, passé de 3 500 en 1973 à 43 000 en 1996. De surcroît, la commission pense que toute extension des possibilités de saisine à d'autres catégories d'élus pourrait créer entre eux d'inévitables et regrettables disparités.
En ce qui concerne les maisons des services publics, les quelques expériences de regroupements de services, lancées sur la base d'une circulaire d'août 1996 de M. le ministre Perben, prouvent, s'il en était besoin, que ces initiatives répondent à un besoin réel de rapprochement entre l'usager et les services publics, en particulier dans certaines zones rurales et dans certains quartiers urbains périphériques.
La commission des lois du Sénat a admis l'utilité de tracer un cadre légal à ce type nouveau de regroupements.
Les échanges que nous avons eus sur ce sujet ont cependant permis de recenser un certain nombre d'interrogations.
En conséquence, la commission vous proposera un amendement tendant à distinguer clairement le niveau de l'accueil et de la préparation de la décision, d'une part, et celui de la prise de décision, d'autre part, qui ne saurait relever, sur délégation, que du responsable de la maison.
En tout état de cause, les délégations ne pourront concerner dans le cadre limité de l'objet restreint et précis des maisons des services publics que des actes de simple exécution qui seront définis par la convention et feront l'objet d'un acte spécifique de délégation.
S'agissant du contenu de la convention qui pourra servir de base au fonctionnement de la future maison des services publics, l'Assemblée nationale a précisé que la convention répartit les responsabilités à l'égard des tiers et des usagers.
Ces diverses dispositions nous paraissent de nature à répondre aux soucis exprimés en particulier par les maires quant au contenu des délégations et au dégré des responsabilités qui pourraient être déléguées.
D'autres préoccupations nous ont été exprimées sur le risque que les maisons des services publics puissent, dans certains cas, conduire à des distorsions de concurrence favorisant de manière irrégulière certains services exerçant une partie de leurs activités dans le domaine concurrentiel.
Il convient à ce sujet de rappeler que l'approbation par le préfet de la convention s'exercera à l'égard des modalités conventionnelles et permettra la mise en oeuvre des mesures de publicité. Le cadre et la transparence ainsi établis par la loi sont de nature à assurer l'information des tiers sur les modalités de fonctionnement et de financement des maisons des services publics.
Ce dispositif permettra notamment de vérifier que cette structure est neutre au regard des règles de la concurrence que doivent respecter les services publics qui exercent en outre des activités dans le secteur concurrentiel.
Enfin, d'aucuns peuvent s'interroger sur le risque de désertification de services que pourrait induire le regroupement de ceux-ci en un même lieu.
Il convient de rappeler ici que les maisons des services publics ne sont qu'une faculté et non pas une obligation, et qu'à nos yeux personne mieux que les responsables locaux - autorités décentralisées et déconcentrées - ne pourra, dans l'avenir, apprécier l'opportunité de regrouper ou de ne pas regrouper tel ou tel service.
Permettez-moi enfin de souligner que la simplification proposée au titre IV dans la procédure d'instruction du permis de démolir est une mesure de simplification tout à fait opportune et en parfaite cohérence avec l'esprit et les objectifs du texte qui nous est proposé.
Pour conclure, je tiens, monsieur le ministre, à saluer la qualité et la pertinence de vos initiatives.
M. René-Georges Laurin, vice-président de la commission. Très bien !
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Je voudrais en particulier souligner que la concertation que vous avez instaurée depuis environ un an au sein des services de l'Etat - des services déconcentrés en particulier - est à nos yeux une voie courageuse et, en même temps, la seule garante d'une réforme fondée sur le « possible », tant il est vrai que la capacité de l'administration - comme de la société française du reste - à porter des réformes n'est pas illimitée.
Nul doute en effet que ce sont bien les résultats de cette concertation qui ont permis de fixer le niveau adéquat des mesures, c'est-à-dire d'une ambition réaliste.
Il ne fait aucun doute non plus que cette concertation a fait évoluer les esprits et qu'elle permet aux administrations d'afficher aujourd'hui une plus grande capacité d'accepter et de faire leur ce mouvement de réformes, au point même que de nombreux responsables sur le terrain - nous en sommes témoins - attendent ces mesures nouvelles comme parfois autant de défis à relever et autant de marques de confiance dans leur capacité à assumer les nécessaires mutations.
Je voudrais également, monsieur le ministre, saluer votre action de relance de la déconcentration : elle est présente dans l'esprit de ce texte et elle est, en même temps, une condition de réussite de la réforme que porte ce projet de loi. Je ne prendrai qu'un exemple : la réduction du délai de réponse de droit commun de quatre à deux mois ne pourra, nous en avons bien conscience, entrer dans la pratique qu'à la condition de déconcentrer très largement le pouvoir de décision auprès des responsables et des représentants locaux de la puissance publique.
La déconcentration apparaît ainsi véritablement essentielle pour concilier le principe d'unité nationale et l'aspiration du citoyen à pouvoir traiter localement avec l'Etat. Loin d'être un quelconque obstacle à la décentralisation, comme on pourrait le craindre, la déconcentration se révèle, de toute évidence, comme un moyen moderne d'administration avant tout au service du citoyen.
Telles sont, brièvement résumées, monsieur le ministre, les réflexions qui ont conduit la commission des lois à approuver le projet de loi que vous nous avez soumis et qui a le mérite à nos yeux de constituer, d'une part, une nouvelle étape significative dans l'amélioration des relations entre les administrations et le public, et, d'autre part, le premier acte législatif de la nécessaire réforme de l'Etat. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et de Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de réforme qui est soumis au Sénat aujourd'hui a pour objet de rendre l'administration plus efficace, plus accessible à l'usager et plus apte à répondre à ses attentes, donc plus moderne, en replaçant le citoyen au coeur du service public.
Chacun reconnaîtra qu'il était indispensable de redéfinir ses missions, en recherchant plus spécialement une amélioration des relations avec les usagers. Certes, par le passé, cette préoccupation s'était déjà manifestée.
Je rappellerai très brièvement, à cet égard, la création, dès 1973, de la fonction de Médiateur de la République, le vote, en 1978, de la loi sur la liberté d'accès aux documents administratifs et, l'année suivante, de celle sur le droit à motivation de ces mêmes actes. L'on se souvient également qu'une circulaire du Premier ministre en date du 23 février 1989 tendait à associer les fonctionnaires à l'amélioration du fonctionnement de leur administration.
Mais, aujourd'hui, il s'agit de simplifier réellement les relations, de faciliter les démarches, de clarifier et d'accroître la polyvalence des services au contact des usagers. A l'évidence, c'est un véritable changement des mentalités qui est ainsi proposé, et je m'en rejouis.
A cet égard, il m'a semblé que l'esprit du projet de loi n'était qu'insuffisamment reflété par son intitulé, « loi relative à l'amélioration des relations entre les administrations et le public », qui a une connotation passéiste. Ce titre paraît presque en contradiction avec le contenu du texte. Peut-on en effet parler encore de « public », s'agissant d'une loi tendant à moderniser l'administration ? La société concurrentielle à laquelle le service public doit aujourd'hui s'adapter impose une modification subtile des relations avec les administrés. Sans aller jusqu'à souhaiter que soit retenue l'appellation de « clients », je proposerai donc à notre assemblée un amendement visant à remplacer le terme de « public » par celui, plus approprié me semble-t-il, d'« usagers ».
M. François Lesein. Très bien !
M. Guy Cabanel. Ce détail n'a d'autre intérêt que celui de rester fidèle à l'esprit de changement insufflé par le texte en discussion.
Pour résumer ma pensée en abordant l'examen de votre projet de loi, monsieur le ministre, je dirai qu'il faut essentiellement, d'abord simplifier l'Etat, ensuite le réorganiser encore et, surtout, le moderniser.
Il convient de simplifier, car l'inflation des textes législatifs et réglementaires, la multiplication des procédures administratives préalables, en un mot la complexité, pèsent sur l'ensemble des interlocuteurs de l'Etat. Il faut rompre ce cycle décourageant et paralysant. Votre projet de loi, s'y emploie, monsieur le ministre. Il s'agit d'une oeuvre de longue haleine, mais l'application du principe de simplicité est impérative.
Il faut aussi réorganiser encore l'Etat, car les administrations de l'Etat et des collectivités territoriales sont souvent trop nombreuses et, parfois, concurrentes. Comment, dès lors, rendre cohérente la conduite des politiques publiques et préserver la capacité d'arbitrage de l'Etat ? Cette réforme des administrations centrales et déconcentrées devrait permettre de réelles améliorations, qui sont très attendues.
Enfin, moderniser l'Etat, c'est mieux gérer ses moyens financiers, humains et patrimoniaux et, surtout, utiliser les possibilités offertes par le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, pour accroître son efficacité et améliorer la qualité des services rendus. Je reviendrais ultérieurement sur ce point.
J'en viens maintenant au fond du projet de loi. Pour mettre en oeuvre l'amélioration de l'administration, le titre Ier, en son article 2, prévoit tout d'abord l'obligation d'accuser réception des demandes déposées par les usagers. Cela n'est que l'extension d'une disposition figurant dans le décret du 28 novembre 1983. Si son principe paraît louable, il m'apparaît que les exceptions prévues par cet article sont insuffisamment caractérisées.
Le texte est complexe. Nous attendons le décret en Conseil d'Etat qui permettra, certes, de le préciser, mais il eût été souhaitable que les termes de cette disposition fussent mieux cernés dans la loi.
L'article 3, relatif au dépôt d'une demande auprès d'une administration incompétente, oblige cette dernière à transmettre ladite demande à l'autorité administrative compétente et prévoit les conséquences de ce dispositif en termes de délais.
Cette disposition a le mérite d'être pragmatique : en rendant à l'administration son efficacité, elle respecte la démarche entreprise par l'usager. Nous ne pouvons donc que l'approuver. Il était temps et important d'unifier le droit en cette matière. Le poids de la complexité administrative ne doit plus peser sur l'usager.
Le principe de décision implicite de rejet de l'administration est conservé - il figure à l'article 4 - mais ses modalités et exceptions sont remaniées.
En premier lieu, le délai opposable est réduit et passe de quatre à deux mois, ce qui va dans le sens d'une meilleure efficacité de l'administration et ne peut qu'être favorable aux usagers.
En second lieu, les exceptions tendraient à être généralisées par voie de décrets en Conseil d'Etat, dans les limites prévues à l'alinéa 2 de l'article 5. En conséquence, à terme, pour un nombre non négligeable de domaines, le silence de l'administration vaudrait désormais acceptation tacite. On ne peut que se féliciter d'une telle avancée.
Toutefois, le risque d'illégalité de certaines décisions obtenues du seul fait d'une négligence ou d'un retard paraît accru. Il entraînerait alors une incertitude juridique pour tous les administrés dont la demande a été accordée dans de telles conditions.
Avec l'article 6 se pose donc la question de savoir si une décision délivrée tacitement par l'administration est juridiquement fondée et si elle ne risque pas d'être retirée. Toutefois, les conséquences fâcheuses de cette disposition semblent un mal nécessaire, les avantages à retirer de l'acceptation implicite paraissant plus importants que les inconvénients.
Efficacité, rapidité, le projet de loi, en son article 7, fait également appel à des exigences de justice. Il prévoit que l'administration doit entendre l'usager ou lire ses observations préalablement à toute motivation de décision individuelle le concernant. On doit se réjouir de cette procédure, tout en reconnaissant les lourdeurs qu'elle risque d'engendrer.
Le titre II de projet de loi est consacré aux dispositions relatives au Médiateur de la République. Il vise à compléter utilement les attributions qui lui sont actuellement dévolues.
L'alinéa relatif à la faculté de provoquer une inspection ou un contrôle au sein d'une administration défaillante paraît assez novateur pour être souligné. Il en va de même du principe, introduit par l'Assemblée nationale, de la communication devant le Parlement du rapport annuel de la Médiature, qui permettra d'informer publiquement les députés et les sénateurs des actions menées par le Médiateur et, plus généralement, des problèmes rencontrés par les usagers de l'administration.
Dans le titre III, la création officielle des maisons des services publics, à la suite de certaines expérimentations sur le terrain, paraît constituer un élément de simplification et d'efficacité globalement favorable aux usagers. Le projet de loi fournit le cadre juridique qui leur fait encore défaut.
Il faut souhaiter que ces moyens nouveaux permettent de conserver, voire d'assurer une présence coordonnée et donc de développer l'implantation de l'administration, comme l'a très justement souligné M. le rapporteur, dans les secteurs difficiles urbains comme dans les secteurs les moins peuplés du monde rural.
Toutefois, le mode de financement de ces maisons des services publics mériterait d'être éclaici en ce qui concerne tant leurs installations que leur fonctionnement sous le régime de la convention ou du groupement d'intérêt public. Il serait souhaitable, autant que faire se peut, d'utiliser des locaux qui sont déjà propriété de l'Etat ou des collectivités territoriales, et ce dans un souci d'économie.
Après avoir ainsi fait connaître mon approbation des différents articles du présent projet de loi, je voudrais maintenant vous faire part de ma perplexité à l'égard d'une lacune fort surprenante de ce texte. Nulle part en effet n'y sont mentionnés les nouveaux outils de communication dont notre société dispose. L'informatique ne pourrait-elle pas participer à l'amélioration des relations avec les administrations ? Ne représente-t-elle pas aujourd'hui le moyen le plus performant de transmission des données ?
L'exemple en la matière vient de nous être fourni par les Etats-Unis qui ont tout récemment décrété, par la voix du vice-président Al Gore, que désormais tous les actes administratifs courants pourraient être réalisés par voie informatique, et notamment par Internet.
Nous n'irons pas jusque-là, mais mon collègue M. Pierre Laffitte et moi-même vous proposerons un certain nombre d'amendements pour tenter de combler l'absence d'un véritable grand chapitre consacré aux technologies nouvelles qui seraient un élément efficace de modernisation de l'administration.
M. René-Georges Laurin, vice-président de la commission. Avec quel argent ?
M. Guy Cabanel. Avec celui que nous tirerons des économies que l'utilisation de l'informatique nous permettra de réaliser en matière de papier. L'informatique ne coûte pas plus cher que les autres moyens.
Je ne conteste pas que le Gouvernement ait facilité la mise en place d'équipements informatiques qui ont induit d'incontestables gains de productivité. Cependant, cette modernisation est souvent caractérisée par une centralisation et une complexité excessives. Il convient de fournir un effort supplémentaire ; nous en débattrons à l'occasion de la discussion des amendements.
En conclusion, l'intérêt de ce projet de loi est indiscutable. Toutefois, me vient à l'esprit le problème des difficiles rapports des contribuables avec les services fiscaux. Seront-ils améliorés par l'application de ce texte ? Les Français cesseront-ils de se plaindre d'une fiscalité qu'ils considéraient jusqu'ici comme confiscatoire ?
Certes, la nouvelle politique budgétaire de limitation des dépenses, de réduction du déficit et de baisse de l'imposition sur les revenus amènera peut-être nos concitoyens à formuler un jugement différent, mais ce qui les gêne le plus, c'est le caractère aléatoire de cette fiscalité compte tenu des modifications réglementaires trop fréquentes et délicates à interpréter. Je n'ai pas noté d'éléments de nature à donner un éclairage nouveau en ce domaine.
Au-delà de cette objection, monsieur le ministre, avec la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, je voterai le projet de loi que vous nous présentez opportunément aujourd'hui. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis est la première traduction législative de la réforme de l'Etat engagée par le Gouvernement. Réformer l'Etat, c'est-à-dire l'ensemble de l'administration de notre pays, est un défi très ambitieux.
Depuis trente-cinq ans, divers textes législatifs et réglementaires ont contribué à l'effritement du modèle bureaucratique que l'administration avait hérité du XIXe siècle et au développement des droits des usagers. De considérables progrès ont été réalisés. Néanmoins, il faut aller beaucoup plus loin.
L'administration est une structure lourde, ce qui rend son évolution et sa modernisation malaisées. C'est pourquoi je tiens à saluer la volonté et la détermination du Gouvernement dans son actuelle action de réforme.
Améliorer les relations entre les administrations et le public est l'un des objets essentiels de cette réforme, et je suis particulièrement favorable à ce chantier tant dans son impact humain et relationnel que dans sa dimension technique.
Concernant, tout d'abord, l'impact humain, je rappellerai l'adage formulé voilà quelques années : « A usager satisfait, fonctionnaire heureux. » Il me semble que cette formule est toujours d'actualité et montre combien le fonctionnaire joue un rôle fondamental dans la relation entre l'administration et le public.
Cette affirmation semble une évidence et, pourtant, on a trop tendance à sous-estimer l'importance des qualités d'accueil, d'amabilité, de patience et de disponibilité dans les services administratifs. L'attitude du fonctionnaire en contact avec le public est primordiale. Il doit savoir écouter et montrer à son interlocuteur l'intérêt qu'il lui témoigne.
On ne saurait trop rappeler que le fonctionnaire sert l'Etat, c'est-à-dire qu'il est « au service » des citoyens. Il faut donc le sensibiliser plus et le responsabiliser en conséquence.
La première action à engager, afin d'améliorer les relations entre l'administration et le public, est de combattre l'absence de sens de l'accueil au sein de l'administration. Mais aucun texte législatif ne peut intervenir en ce domaine.
Parallèlement à cette démarche, il faut souligner l'importance de la formation des personnels. Les administrés se comportent de plus en plus en consommateurs exigeants et la « paperasse » administrative - pardonnez-moi le terme, monsieur le ministre - est de plus en plus complexe.
Il faut donc non seulement simplifier les procédures administratives, mais aussi assurer une formation, une qualification des agents plus adéquates et polyvalentes.
S'agissant de l'impact relationnel, je tiens aussi à souligner l'enjeu que peuvent constituer les « maisons des services publics », objet du titre III du projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
Telles qu'elles sont définies, ces maisons seront un point de rencontre privilégié pour le citoyen avec différents services administratifs. Elles seront des carrefours de services qui faciliteront l'information du public ainsi que ses démarches.
De telles structures seront fonctionnelles et particulièrement utiles pour les administrés en situation difficile. Je pense notamment aux chômeurs et aux « exclus ».
Les maisons des services publics auront un rôle social d'autant plus marqué qu'elles seront situées en zone rurale ou en zone urbaine en difficulté. Elles développeront donc une administration de proximité, polyvalente, et participeront activement à la politique d'aménagement du territoire.
Cependant, je veux insister sur le fait qu'en aucun cas la mise en place de ces regroupements de services ne doit aboutir à un retrait des administrations existantes dans le monde rural. Une telle évolution serait désastreuse.
M. Robert Pagès. Exact !
M. James Bordas. Pour conclure ces remarques sur l'enjeu social que constitue l'amélioration des relations entre l'administration et le public, je dirai que c'est tout un état d'esprit qui doit être changé et un véritable dialogue qui doit être instauré.
S'agissant maintenant de la dimension technique et pratique du projet de loi, il est peut-être bon de garder à l'esprit l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dispose : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Que de progrès sont à accomplir ! Mais je crois que le texte proposé par le Gouvernement va vraiment dans ce sens.
La réduction des délais au terme desquels interviennent des décisions implicites, l'obligation d'accuser réception de toute demande ou réclamation adressée à une autorité administrative, l'instauration du principe de transmission des demandes au service compétent et l'élargissement des cas dans lesquels le silence de l'administration pendant deux mois vaudra acceptation sont des mesures qui engendreront une certaine révolution au sein même de l'administration et dans ses rapports avec le public.
Ces dispositions ouvrent de nouvelles perspectives pour les administrés, qui auront moins à subir les conséquences de la lenteur ou des insuffisances des services administratifs.
D'un autre côté, la vigilance de la hiérarchie et la célérité des fonctionnaires devront s'en trouver accrues. Tous deux devront être encore plus attentifs aux effets et aux implications de ces nouvelles règles.
Dans le même temps, la simplification des régimes d'autorisation a été engagée. Il est indispensable que, parallèlement à cette politique, qui doit être poursuivie et amplifiée, on veille à ce que les textes législatifs et réglementaires soient eux-mêmes rédigés en des termes abordables et compréhensibles par tous.
Nul n'est censé ignorer la loi, mais encore faut-il la comprendre ! (MM. Pierre Fauchon et Jacques Machet acquiescent.) Or, à la complexité des textes s'ajoute celle de la juxtaposition de toutes les réglementations. Il est donc de notre devoir, à nous élus, de s'assurer de la lisibilité de la législation.
Le second enjeu technique du projet de loi que je souhaite aborder est celui que constituent les « maisons des services publics ». Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, ces structures seront fonctionnelles et donc bien pratiques pour le public.
Toutefois, du point de vue de l'administration, ces maisons pourraient être l'occasion de développer une mobilité intra-administrative des personnels. On a souligné la polyvalence de ces groupements. Il me paraît donc pertinent d'offrir aux personnels une chance, une opportunité supplémentaire dans leur carrière, tout en permettant une meilleure organisation de l'administration, par une gestion plus souple des agents.
L'idée de constituer des corps interministériels devrait donc être approfondie. En outre, afin de permettre une meilleure adéquation entre les besoins locaux et les potentialités humaines, la gestion de ces personnels devrait être déconcentrée.
Avant d'achever mon intervention, je souhaite aussi souligner le rôle technique du Médiateur de la République dans les relations entre l'administration et le public.
D'autres orateurs l'ont certes indiqué avant moi, mais je tiens à le rappeler, le Médiateur a été saisi de 3 500 réclamations en 1973 et de 43 000 en 1996. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes. Ils montrent à quel point le Médiateur a su s'imposer comme un véritable et efficace intermédiaire. Je m'en félicite tout en émettant des réserves quant à l'extension de la possibilité de saisine à différents élus, dont les parlementaires européens.
Pour finir, j'ajouterai simplement que l'économie générale du projet de loi relatif à l'amélioration des relations entre les administrations et le public me semble bonne. Mais c'est surtout la volonté et le mouvement plus général de réforme de l'Etat qui sont positifs.
Cet élan est nécessaire pour tous les acteurs de notre pays. Dynamiser, simplifier l'administration dans son ensemble est un pari audacieux mais il ne tient qu'à chacun de s'y atteler et de contribuer à sa réussite.
C'est ce que les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants feront en soutenant votre action, monsieur le ministre, et en votant le présent projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l'Etat, voulue ardemment par le Président de la République, trouve, dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, sa première consécration législative et vise à améliorer les relations entre les administrations et le public.
Les objectifs sont multiples : l'Etat doit être plus simple, plus proche, plus efficace et plus moderne si l'on veut éviter que l'administration ne soit une entrave à l'initiative privée et ne décourage ceux qui ont besoin d'y recourir.
Initiée en juillet 1995 par M. le Premier ministre, la réforme de l'Etat a déjà fait l'objet de nombreux textes réglementaires.
Ainsi, un comité interministériel pour la réforme de l'Etat a été mis en place et, dans les départements, cette démarche est complétée par celle des préfets, qui consultent les élus locaux dans le cadre de l'élaboration de schémas départementaux d'organisation et d'amélioration des services publics.
Sans revenir en détail sur l'excellente analyse de notre rapporteur, je rappellerai simplement que les relations entre les administrations et les usagers sont devenues extrêmement complexes. Les citoyens demandent toujours plus à l'Etat ; pourtant, leur administration, souvent, ne les satisfait pas.
Cela tient à plusieurs raisons : la complexité des procédures en est une, l'éparpillement des services en est une autre ; l'inflation législative et réglementaire, comme la multiplication des circulaires toujours plus longues et plus complexes, n'y est pas étrangère non plus.
Le projet de loi qui nous est soumis prévoit une série de mesures qui faciliteront les relations entre les usagers et l'administration et rendront cette dernière plus humaine.
Ainsi, l'article 2 du projet de loi impose à l'ensemble des autorités administratives énumérées à l'article 1er la délivrance d'un accusé de réception aux auteurs des demandes ou des réclamations qui leur sont adressées dans des limites, bien entendu, fixées par décret en Conseil d'Etat, afin de ne pas substituer aux procédures existantes un régime uniforme qui se révélerait inadapté.
De plus, afin de compléter le décret du 28 novembre 1983, qui prévoit déjà que l'autorité administrative destinataire d'une demande qui n'est pas de sa compétence doit la retransmettre vers l'administration compétente, l'article 3 prévoit que l'autorité saisie à tort doit aviser le demandeur de la réorientation de son dossier.
Enfin, et cela est important pour la simplification des rapports entre l'usager et l'administration, lorsque cette dernière entend prendre une décision défavorable, le délai pendant lequel elle doit se prononcer sera réduit de quatre à deux mois et, dans un certain nombre de cas, le silence vaudra non plus rejet - ce qui est une règle ancienne du droit - mais au contraire acceptation.
Cependant, il n'est nullement question que cette règle du « silence-consentement » s'applique sans nuance. Elle devra tenir compte de la position du Conseil constitutionnel, qui a érigé en principe général du droit la règle selon laquelle le silence gardé par l'administration vaut rejet.
L'article 5 donne d'ailleurs un cadre législatif à l'intervention des décrets en Conseil d'Etat qui prévoiront les cas dans lesquels le silence gardé par l'administration vaudra acceptation. Nous ne pouvons qu'approuver ces dispositions pleines de bons sens.
Les articles 4 et 5 vont vers une simplification administrative. Ils seront complétés par voie réglementaire au cours de l'année 1997 puisqu'un décret en Conseil d'Etat permettra, dans des cas d'ailleurs souvent très techniques, de substituer au régime de l'autorisation administrative préalable un régime déclaratif. M. le rapporteur a rappelé le nombre d'autorisations préalables nécessaires, qui s'élève à quelque 4 200. Un Etat moderne ne peut fonctionner efficacement dans ces conditions.
Vous me permettrez d'évoquer également l'article 6, qui concerne le retrait pour illégalité d'une décision implicite d'acceptation. Je partage tout à fait le souci de la commission de limiter dans le temps - deux mois - cette possibilité de repentir ouverte à l'administration.
Toutefois, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous indiquer quelles procédures pourront dans l'avenir être soumises à ce régime.
Par ailleurs, toujours dans un esprit de simplification, ce dont je me réjouis, les pouvoirs du Médiateur, ainsi que l'a fort bien expliqué M. le rapporteur, sont renforcés.
L'Etat doit être plus simple, mais il doit être également plus proche. Plusieurs décisions importantes relatives à la déconcentration sont déjà intervenues : les autorités locales vont notamment disposer de crédits plus importants et leur utilisation deviendra plus souple.
La gestion des ressources humaines de l'Etat et le dialogue social vont être largement déconcentrés. Une formation mieux assurée, une mobilité plus grande sont les gages d'un meilleur fonctionnement de l'administration.
Enfin, le rapprochement de l'Etat se traduira également par la création de « maisons des services publics » regroupant sur un même lieu les différents services de l'Etat. Mises en place à l'heure actuelle à titre expérimental, ces maisons des services publics éviteront à l'usager des démarches inutiles et permettront de rationaliser l'action administrative.
Au demeurant, monsieur le ministre, je crois qu'il sera nécessaire de veiller très précisément aux conséquences des décisions d'implantation de ces maisons des services publics, qui ne doivent en aucun cas aboutir à accélérer la désertification de nos cantons, je sais que vous y êtes sensible.
De même, les maisons des services publics devront fonctionner dans le respect des règles de la concurrence sans porter tort aux services proposés par les acteurs économiques du monde rural. Je sais que ce point suscite une certaine inquiétude.
En effet, en milieu rural, tout le monde comprend et souhaite que les maisons des services publics permettent le maintien des services publics. Mais, s'agissant de leurs éventuelles activités commerciales, il conviendra de veiller à ce qu'elles soient permises lorsqu'elles seront en quelque sorte le complément naturel et nécessaire des missions de service public.
L'administration deviendra plus efficace si les décisions peuvent être prises au bon échelon. Cette évidence a peut-être été oubliée pendant de trop nombreuses années. Les administrations centrales doivent se consacrer pleinement à la définition des grandes stratégies et des orientations politiques, alors que les administrations déconcentrées sont plus à même de prendre des décisions rapides et d'être proches des citoyens. Je sais que c'est dans ce sens que s'oriente toute votre action.
L'administration française a toujours été un modèle pour l'étranger et les agents publics montrent chaque jour leur dévouement au service public et aux citoyens. Mais l'administration doit évoluer et s'adapter.
Ce projet de loi, dont nous débutons l'examen cet après-midi, contribuera à la modernisation de l'administration. Nous vous en savons gré, monsieur le ministre. C'est pourquoi le groupe du RPR le votera. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est proposé est présenté comme la première traduction législative de la réforme de l'Etat. Cette réforme de l'Etat doit constituer l'un des chantiers majeurs du septennat présidentiel.
Avec elle, se joue l'avenir de la fonction publique et des services publics. Or, force est de constater que ce projet de loi s'inscrit dans un contexte de tensions et de rupture du dialogue social sur fond de restrictions budgétaires.
Tous les fonctionnaires expriment leur profond mécontentement, que ce soit dans la fonction publique d'Etat, dans la fonction publique hospitalière ou dans la fonction publique territoriale.
Dire que cette fameuse réforme doit être nécessairement et prioritairement conduite avec les fonctionnaires est une évidence à laquelle ne semble pas souscrire le Gouvernement. A cet égard, votre politique, monsieur le ministre, est en parfaite contradiction avec vos discours et vos promesses.
Pour réussir, la réforme de l'Etat devrait commencer par s'appuyer sur les fonctionnaires, leur faire confiance et, de surcroît, les encourager à s'adapter au changement. Ils constituent la première richesse de l'Etat. C'est de leur compétence, de leur mobilisation que dépend la capacité des services publics à répondre aux besoins du pays. Or, la qualification de « mauvaise graisse » utilisée par le Premier ministre reste présente à l'esprit.
Le Gouvernement ne cesse effectivement d'appeler de ses voeux la réduction du nombre de fonctionnaires, et les négociations salariales viennent d'être rompues. Il réclame une administration plus moderne et plus responsable, mais impose des coupes claires dans les budgets publics, supprime des emplois, fait du fonctionnaire un bouc-émissaire et décide, unilatéralement, d'accorder une augmentation des salaires de 2,8 % sur deux ans pour 1997-1998, soit 1 % en 1997 appliqué en deux étapes - un demi-point au 1er mars, puis un demi point au 1er octobre - sans aucun rattrapage pour compenser le gel de 1996. La négociation salariale attendue depuis le mois de juin 1995 n'a pas eu lieu.
Repoussée dans un premier temps au printemps 1996 par Jean Puech, votre prédecesseur, puis par vous-même, à la fin de l'année 1996, cette négociation est mort-née en ce début de mois de février 1997.
Chacun connaissait la faible marge de manoeuvre budgétaire dont disposait le Gouvernement. La provision de 1,5 milliard de francs constituée dans le cadre du budget pour 1997 présageait une négociation sans grain à moudre. Le dénouement est encore plus expéditif qu'on aurait pu l'imaginer. Les fonctionnaires se voient donc sacrifiés. La revalorisation dérisoire de leurs traitements, inférieure à l'inflation prévisionnelle pour 1997, se traduira par une nouvelle amputation de leur pouvoir d'achat.
En ne donnant aucune indication sur le calendrier des augmentations en 1998, mais en reportant celles-ci à la fin de l'année prochaine, le Gouvernement pourra sans encombre réussir l'examen de passage des comptes de la France pour 1998 et, en cas d'alternance, laisser à d'autres le soin de résoudre cette question. N'est-ce pas, monsieur le ministre ?
Merci pour vos successeurs, vous leur laissez une situation très explosive !
M. Michel Rufin. On en a trouvé une bien pire !
M. James Bordas. Il ne faut pas croire au père Noël !
M. Jacques Mahéas. C'est tout à fait bien joué.
Votre politique se résumerait donc ainsi : moins de fonctionnaires, moins payés, plus compétents et plus disponibles.
Comment demander aux agents publics de se mobiliser davantage quand on gèle leurs salaires, qu'on coupe dans le budget de leurs services et dans leurs effectifs et qu'on leur fait si peu confiance ?
Le service hospitalier ne fait-il pas également les frais de votre incapacité à équilibrer le budget de la sécurité sociale, avec un déficit de 35,2 milliards de francs au lieu des 30,4 milliards de francs versés pour 1997 ? Les compressions budgétaires, les menaces de licenciement et les restructurations sont bien les trois piliers de la contestation sociale des centres hospitaliers universitaires de Strasbourg, de Lyon, de Nice, de Béziers et de Caen, sans oublier la région parisienne et l'hôpital psychiatrique de Maison-Blanche à Neuilly-sur-Marne, en Seine-Saint-Denis. En tant que maire de Neuilly-sur-Marne, je puis vous assurer que l'ensemble du personnel de cet hôpital a bien compris la manoeuvre gouvernementale : sous prétexte de restructuration, mille emplois sur les deux mille que compte cet établissement devraient être supprimés en cinq ans. Voilà cinq semaines que le personnel est en grève et demande le maintien des emplois !
Les mouvements de protestations se multiplient et les assurés sociaux s'inquiètent.
La fonction publique territoriale n'est pas non plus épargnée. En particulier, les agents recrutés après le 26 janvier 1984 ont de quoi être mécontents : inutile de vous dire combien ils apprécient le « cadeau » de fin d'année qui leur est réservé au travers de l'article 70 de la loi relative à l'emploi dans la fonction publique du 16 décembre 1996, lequel prévoit pour eux la suppression des compléments de rémunération, puisque le bénéfice des avantages collectivement acquis se limitent aux seuls fonctionnaires recrutés au moment de l'entrée en vigueur de la loi de 1984.
Je vous demande, monsieur le ministre, de nous donner rapidement des explications sur ce sujet, et je suis persuadé que vous nous en fournirez à l'occasion de votre réponse.
La volonté de réformer l'Etat n'est pas nouvelle : elle s'inscrit en particulier dans la continuité du renouveau du service public mis en oeuvre le 23 février 1989 par Michel Rocard, alors Premier ministre, et confirmé, en mars 1992, par l'adoption de la charte des services publics, qui a été conçue comme un instrument permettant la modernisation de l'administration.
Toutefois, au-delà des objectifs que vous affichez, monsieur le ministre, votre démarche et surtout la philosophie qui régit ce vaste chantier sont aux antipodes de notre conception de l'Etat et du service public. Votre démarche s'inscrit davantage dans une logique de désengagement de l'Etat et de remise en cause de la décentralisation.
Trois grands chantiers de cette réforme suscitent notamment l'inquiétude des fonctionnaires et de leurs syndicats.
Il semble, par exemple, indispensable d'associer étroitement les intéressés à la mise en oeuvre, puis à l'évaluation des contrats de service dans leurs différents stades d'expérimentation.
Je prendrai un autre exemple, celui du redéploiement des administrations centrales. Il soulève, à juste titre, des craintes si votre politique se contente de fixer mécaniquement un objectif de réduction des effectifs de 10 % et de diminution des services de 30 %. Chacun comprend, sans qu'il soit besoin d'explication supplémentaire !
Qu'en est-il, enfin, de la réorganisation des services déconcentrés, dont les expériences débuteront prochainement, à la fin du mois de mars ou au début du mois d'avril ? Ne répond-elle pas aussi à l'objectif inavoué d'intégrer à certaines directions départementales des services qui gênent ? Il suffit de penser à la protection judiciaire de la jeunesse, à la jeunesse et aux sports, destinées à être agrégées à une direction départementale de la santé, de la population et de la solidarité ou à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, la DDASS.
Le peu de considération pour les fonctionnaires et la pénurie de moyens vous conduisent à nous faire débattre aujourd'hui sur ce « petit » projet de loi relatif à l'amélioration des relations public-administration.
Si son objet est assez pragmatique, il masque en vérité bien mal la réelle pénurie de l'accueil au guichet.
Si, d'autre part, il s'inscrit dans le cadre d'une administration modernisée, il ne se situe pas au centre de l'action gouvernementale comme on aurait pu l'espérer eu égard au battage médiatique dont il a été l'objet.
Vous aviez annoncé, monsieur le ministre, une « petite révolution » administrative. En fait, ce texte ne comporte aucune innovation marquante. Ce n'est, à bien des égards, qu'un texte d'ajustement qui relève plus de la circulaire ministérielle que de la loi. Il est avant tout réglementaire et très peu législatif.
Il s'articule autour de trois grands principes, qui appellent un certain nombre d'observations.
Le titre Ier a pour objet essentiel d'élargir aux collectivités territoriales la portée du décret du 28 novembre 1983 et de généraliser le principe de décision implicite d'acceptation.
On peut difficilement s'opposer à des propositions qui visent à simplifier la vie des administrés et à assurer une meilleure transparence en matière de traitement des dossiers. Encore faut-il connaître les attentes des usagers et reconnaître les risques de confusion et d'incertitude concernant la règle du silence de l'administration. Le simple citoyen aura du mal à s'y retrouver, tandis que les services seront confrontés à des contraintes accrues, notamment du fait de l'insuffisance de leurs effectifs.
Vous comprendrez, en outre, la crainte d'un surcroît de travail et d'un surcoût financier pour les collectivités territoriales. Certains élus s'interrogent sur les conséquences que pourraient avoir ces nouvelles obligations : accusé de réception, transmission à l'autorité compétente. La mairie étant l'administration de proximité par excellence, certains redoutent d'être envahis par les dossiers et craignent des dépenses supplémentaires ; elles seront d'autant plus mal venues que la franchise postale a été supprimée.
En conséquence, si nous approuvons l'effort d'amélioration de la vie quotidienne des administrés, nous nous interrogeons sur les moyens humains, matériels et financiers qui devraient l'accompagner, ainsi que sur les critères de gestion et de contrôle qu'impliquent ces dispositions mais qui ne sont jamais mentionnés dans ce texte. On parle d'une première vague de 280 décrets soumis au Conseil d'Etat. Pouvez-vous nous informer à ce sujet, monsieur le ministre ?
Le Médiateur lui-même, lors de son audition par la commission des lois, le 28 janvier dernier, a mis en garde sur le risque de voir une idée intéressante détournée au détriment des administrés. L'extension du régime de décision implicite d'acceptation, combinée à la réduction des délais de réponse, lui a paru être de nature à inciter les services à rejeter des demandes faute d'avoir les moyens et le temps de les examiner correctement. Cette pratique pourrait d'ailleurs engendrer une insatisfaction des usagers, qui demandent une réponse rapide.
L'objet du titre II est d'élargir la saisine du Médiateur de la République à de nouvelles catégories d'élus, d'étendre ses compétences et de renforcer son rôle.
Autant il paraît fondé d'étendre les compétences du Médiateur, autant le choix des nouveaux élus qui pourraient le saisir prête à discussion.
Le président du conseil général a des prérogatives exécutives, par exemple en matière d'aide sociale ou d'agrément d'établissement, qui lui confèrent une responsabilité importante. Il est peu probable qu'il s'empresse de transmettre au Médiateur une réclamation d'un citoyen qui s'estime lésé par une décision qu'il a prise en ces domaines.
Le même problème se pose pour un président de conseil régional, en matière de bourses, de formation professionnelle, ou pour le maire de Paris, qui est amené à prendre des décisions en matière de logement. Par ailleurs, pourquoi le président du conseil exécutif de Corse aurait-il plus de poids que les élus des grandes villes ? Vous établissez là une discrimination entre les élus.
Si l'on veut améliorer les relations entre les institutions et le public, ne vaudrait-il pas mieux élargir la saisine directe du Médiateur à tous les citoyens ? Certes le filtrage effectué actuellement par les parlementaires, indépendants à l'égard de l'administration, évite que le Médiateur ne soit saisi de trop nombreuses réclamations irrecevables. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Enfin, le titre III de votre projet, qui définit le cadre juridique des maisons des services publics, suscite de multiples réflexions.
On est d'ailleurs en droit de se demander si le projet que vous nous soumettez n'est pas un simple prétexte pour poser les fondements législatifs d'une autre administration, constituée de services polyvalents, relevant d'ailleurs du public ou du privé, dotés de personnels dont les garanties statutaires ne sont pas évoquées.
Je me contenterai, dans l'immédiat, de formuler quelques questions qui alimenteront éventuellement le débat.
S'agira-t-il simplement de transferts de services ou de la création de nouveaux services avec création de postes ?
Quels établissements publics et organismes chargés d'une mission de service public s'associeront ?
N'y a-t-il pas contradiction entre la mise en place de maisons des services publics et les projets de suppression et de regroupement de services ou la fermeture, dans de nombreuses régions et localités, de services publics de proximité ? La création des maisons des services publics est-elle conçue pour mieux faire accepter la suppression de services publics en certains points du territoire ?
M. René Régnault. Très bonne question !
M. Jacques Mahéas. Les « maisons » proposées se réduiront-elles à quelques agents derrière des guichets, renvoyant ailleurs le traitement effectif du dossier ? Quelles garanties l'usager aura-t-il en ce domaine ? Comment pourra-t-il être assuré de la compétence du fonctionnaire auquel il aura affaire ? S'agira-t-il d'un service public minimal ?
Comment les agents de ces « maisons » pourront-ils être informés de toutes les réglementations en vigueur ? Or ils devront l'être pour assumer les missions polyvalentes qui leur sont dévolues.
Quel est l'intérêt du groupement d'intérêt public ?
L'Etat n'organise-t-il pas un transfert de charges vers les collectivités territoriales, auxquelles reviendra une part importante du financement ? Cette crainte est d'autant plus légitime que le fonds pour la réforme de l'Etat n'apporte qu'un complément dérisoire dans le financement du démarrage des expériences.
La formule de la maison des services publics peut être séduisante, mais elle risque de nuire à la lisibilité, pour les citoyens, des responsabilités de chacun et elle ne répond pas à l'attente des usagers.
Les usagers attendent des services publics de proximité qu'ils soient capables de traiter pleinement leurs demandes, avec des agents formés et compétents. Encore faudrait-il disposer d'un personnel assez nombreux et formé à la polyvalence, et octroyer les crédits nécessaires aux ministères concernés.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, a certes pour objet d'améliorer les relations entre l'administration et le public. Mais comment prétendre rapprocher l'administration de ses usagers quand les effectifs sont en baisse et quand on ne se donne pas les moyens financiers d'une véritable réforme ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est le premier volet législatif de la réforme de l'Etat. Cependant, comme nous l'a d'ailleurs rappelé à juste titre M. le ministre, il ne concerne qu'une partie de celle-ci.
J'ajouterai qu'il s'agit d'une partie bien modeste. Non que l'amélioration des relations entre l'administration et les usagers soit un objectif mineur, bien au contraire, mais les mesures contenues dans ce texte ne sont vraiment pas à la hauteur de l'objectif ; j'y reviendrai.
Pourtant, M. Chirac, lors de sa campagne présidentielle, puis M. Juppé nous ont successivement annoncé leur intention de mener une réforme de l'Etat ambitieuse et de grande ampleur pour répondre aux changements de la société française, et ils n'ont cessé d'insister sur la nécessité de faciliter les démarches administratives en simplifiant les procédures et en les rendant plus rapides.
Or, aujourd'hui, que voyons-nous ?
Les dispositions concernant les rapports entre l'administration et les usagers sont plus que décevantes. Quant aux autres mesures tendant à la réforme de l'Etat, dont certaines sont véritablement déterminantes pour l'avenir de notre société, elles sont ou seront prises en dehors du Parlement.
Vous me répondrez, monsieur le ministre, que vous n'y êtes pour rien, et il est vrai que, si l'organisation de l'Etat et son fonctionnement relèvent du domaine réglementaire, c'est en vertu de la Constitution.
Cependant, je ne suis pas sûr que, face à l'enjeu de cette réforme, l'argument constitutionnel explique à lui seul la situation.
Derrière les intentions du Gouvernement, qui sont résumées dans le triptypque sans cesse rappelé : « Un Etat plus proche, plus simple et plus moderne », une formule dans laquelle on peut mettre tout et son contraire, c'est en fait un véritable effacement de l'Etat qui est programmé.
Les différents documents de travail élaborés par vos services, monsieur le ministre, sont à cet égard fort clairs : l'idée directrice qui sous-tend toute cette réforme est celle d'un Etat minimal, adapté aux exigences de Maastricht, c'est-à-dire d'un Etat qui se soucie peu de répondre aux besoins de la population pourvu que ses comptes ne soient pas dans le « rouge ».
Ce n'est certainement pas ainsi que la France sortira de la crise.
Il faut, au contraire, selon nous, un Etat volontariste, qui impulse une dynamique nouvelle, et non un Etat amenuisé, qui laisse à la dérive un nombre croissant d'individus. Il faut une fonction publique correctement rémunérée, formée et respectée. Vous n'avez pas, je le crains, choisi cette politique.
Compte tenu de l'importance du sujet au regard du devenir de notre société, il aurait été utile d'organiser un vrai débat, large et contradictoire, au Parlement. Rien ne vous en empêchait, monsieur le ministre.
Il me semble que cette mise hors jeu du Parlement n'est pas sans vous convenir : les mesures délicates restent ainsi dans une semi-confidentialité, tandis que le volet a priori le plus consensuel, celui qui touche directement les citoyens, nécessite le vote d'une loi.
Cela est d'autant plus choquant que le présent projet de loi est lui-même une sorte d'artifice : non seulement il n'innove guère, mais il renvoie systématiquement chaque mesure à des décrets pris en Conseil d'Etat.
Ne serions-nous là que pour vous donner carte blanche ?
Examinons maintenant les différentes mesures qui nous sont proposées.
Le titre Ier du projet a pour objet d'accélérer le processus de décision des administrations.
Je constate tout d'abord que nombre de ces dispositions ne sont ni plus ni moins que la reprise du décret du 28 novembre 1983 relatif aux relations entre l'administration et les usagers.
Il en est ainsi de l'obligation pour les autorités administratives d'accuser réception des demandes des usagers, de leur obligation de transmettre au service compétent les demandes dont elles sont saisies à tort et de la possibilité, pour tout citoyen, de présenter des observations écrites ou orales sur les décisions individuelles les concernant.
Le seul apport du texte consiste en fait dans l'extension du champ d'application de ces obligations aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale et aux organismes chargés de la gestion d'un service public administratif. Cette extension est, certes, une bonne chose mais, de grâce, que l'on ne nous parle pas de nouveaux droits fondamentaux !
Quant aux deux autres mesures du titre Ier, celle qui vise à réduire de quatre à deux mois le délai de réponse de l'administration et celle qui tend à ce que le silence de l'administration vaille acceptation tacite, on nous dit qu'il s'agit des plus innovantes. Permettez-moi quelques remarques à ce sujet.
Le principe selon lequel le silence de l'administration vaut rejet demeure le droit commun puisque les décisions individuelles échappant au principe seront établies au cas par cas dans une liste prise par décret en Conseil d'Etat. Il est donc pour le moins difficile d'évaluer la portée de cette mesure.
Quant au délai de deux mois, la rapidité est certes un élément appréciable, mais j'ai bien peur que l'application de ce principe ne pose un sérieux problème aux administrations : comment être plus rapide quand aucun moyen supplémentaire n'est prévu et que, chaque année, les budgets publics sont réduits, des postes de fonctionnaires supprimés ?
Si l'administration souffre de lenteur, ce n'est pas parce que ses agents ne font pas leur travail ; c'est parce que, faute de moyens et d'effectifs suffisants, ils manquent de temps.
Ils sont les premiers à souhaiter pouvoir rendre un meilleur service à l'usager, et certains propos gouvernementaux tendant à les rendre responsables de l'inefficacité et des lourdeurs de l'administration sont pour le moins déplacés.
S'agissant du Médiateur de la République, dont je veux saluer l'efficacité et la compétence, vous proposez deux changements qui vont dans le sens d'un renforcement de cette institution. Nous ne nous y opposerons pas, mais je doute fort que cela change en profondeur les relations des usagers avec l'administration.
Avec les dispositions du titre III, relatif aux maisons des services publics, le projet de loi vise à donner un cadre législatif à diverses expériences menées depuis plusieurs années ou en cours de mise en place.
Ces expériences pourraient, dans une certaine mesure, être positives si les emplois et les services étaient systématiquement au moins maintenus.
L'objectif visé est en apparence fort louable puisqu'il s'agit de réunir en un seul lieu différents services publics afin de faciliter les démarches des usagers. Cependant, aucun moyen supplémentaire sérieux n'est prévu. Or de tels regroupements nécessitent des locaux, du personnel et des moyens de fonctionnement.
J'ai bien peur que, en fait, cette mesure ne soit qu'un paravent, destiné à dissimuler des suppressions de services publics, notamment dans les zones rurales, où la présence administrative est déjà bien ténue.
Je crains encore que les mairies de nos villages ne se trouvent surchagées, voire obligées de servir des organismes privés, du type Compagnie générale des eaux.
L'urgence aujourd'hui porte moins sur les regroupements de services publics que sur le renforcement de la présence de l'Etat et des services publics dans les zones rurales et dans les zones urbaines dites sensibles.
Or, toute la politique du Gouvernement vise, au contraire, au désengagement de l'Etat et au démantèlement de la fonction publique.
La nouvelle carte scolaire, approuvée dans le cadre du budget de 1997, supprime près de 3 000 postes d'instituteur, et entraînera donc autant de fermetures de classe.
Autre exemple, encore plus concret, la poste des Minguettes a été récemment rénovée et modernisée. Eh bien, contrairement aux engagements qui avait été pris, cela s'est traduit par la suppression de deux emplois, ensuite remplacés par des postes attribués à des titulaires de contrats emploi-solidarité !
Cet exemple vous paraît peut-être dérisoire, mais, hélas ! il est loin d'être isolé.
La volonté du Gouvernement de développer les maisons des services publics semble surtout destinée à opérer des regroupements supracantonaux. Elle s'inscrit dans le prolongement direct de la politique d'aménagement du territoire où le « pays » doit devenir l'espace d'organisation des services publics.
Il s'agit donc moins de rapprocher l'administration des usagers, comme l'affirme le Gouvernement, que d'imposer des rationnements et de faire accepter un partage de la pénurie conduisant à une offre de service public minimale.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Voilà la vérité !
M. Robert Pagès. Nombreux ont été les gouvernements qui ont voulu simplifier les procédures, rapprocher les citoyens des administrations, et, plus largement, réformer l'Etat. Loin de moi, l'idée de leur en faire grief, bien au contraire.
Toutefois, ce que le Gouvernement entreprend aujourd'hui est non pas une réforme de l'Etat, mais une réforme contre l'Etat.
Aussi le groupe communiste républicain et citoyen ne votera-t-il pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communistes républicain et citoyen.)

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