CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ SANITAIRE

Discussion des conclusions du rapport
d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 413, 1996-1997) de MM. Claude Huriet, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi (n° 329, 1996-1997) de M. Charles Descours, Claude Huriet, Maurice Blin, Guy Cabanel, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Dominique Leclerc, Bernard Seillier et Jean-Pierre Fourcade relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. [Avis n° 418 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant de vous présenter le contenu de la proposition de loi que nous avons déposée, je souhaite évoquer le constat qui nous a conduits à en prendre l'initiative. Ce constat résulte des travaux de la mission d'information de la commission des affaires sociales consacrée à la sécurité et à la veille sanitaires, qui ont montré que les conditions de la veille et de la sécurité sanitaires, n'étaient pas, aujourd'hui, garanties.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, les présidents des groupes de la majorité sénatoriale et les sénateurs qui avaient participé aux travaux de la mission d'information ont en effet estimé que le rapport de la mission ne devait pas rester lettre morte et qu'il convenait de transcrire en droit ses conclusions.
La santé des Français constitue, à nos yeux, une priorité et l'on ne pouvait tarder à entreprendre une réforme, sauf à prendre le risque de voir se reproduire des drames qui ont fortement marqué notre pays.
Cette proposition de loi aurait dû être discutée voici plusieurs mois, dans la mesure où nous avions recueilli l'accord du précédent gouvernement sur toutes les dispositions de la réforme de la sécurité sanitaire qu'elle visait à mettre en oeuvre.
La dissolution de l'Assemblée nationale a interrompu nos travaux, et c'est donc aujourd'hui seulement que nous sommes appelés à travailler sur cette importante réforme.
Les circonstances ont changé, mais notre conviction reste aussi forte : une réforme est urgente. Les dispositions de la proposition de loi sont les plus adaptées, et mettent en place le système le plus efficace et le plus lisible.
Votre présence, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, marque l'accord du Gouvernement avec la philosophie qui inspire cette proposition. Parti d'une option différente, le nouveau gouvernement a en effet, lui aussi, rejoint les thèses sénatoriales. Je ne puis que m'en féliciter, car cet accord est gage de la traduction prochaine de cette réforme dans notre droit positif.
Cet accord nous satisfait d'autant plus que notre proposition de loi vise à organiser l'Etat en matière de sécurité sanitaire. L'exécutif étant au premier chef concerné par la réforme, il importait donc particulièrement au parlementaire que je suis qu'il en approuve l'architecture générale.
J'en viens maintenant à la présentation du constat établi par la commission des affaires sociales et du contenu de la proposition de loi.
Le point de départ de notre réflexion a été la longue liste des drames sanitaires qui ont affecté notre pays et le risque de voir cette liste s'allonger encore dans les années qui viennent, si rien n'est fait.
Nous vivons dans un monde où, même si l'on se nourrit mieux que par le passé, même si l'on se soigne mieux aussi, les risques technologiques sont importants et peuvent très rapidement donner naissance à des accidents dont la diffusion est très large, à l'intérieur et à l'extérieur de nos frontières.
Aussi, nous avons cherché à savoir si l'Etat disposait des moyens de prévenir ces risques et de prendre les bonnes décisions, au bon moment, en cas d'incident ou d'accident. La réponse a malheureusement été négative.
La sévérité du constat établi par le rapport de la commission des affaires sociales ne doit pas masquer les importants efforts menés au cours des dernières années, notamment avec la création des agences pour le médicament, le sang et les greffes à laquelle le Sénat, avec vous, monsieur le secrétaire d'Etat, a largement contribué, ni le fait que certains risques sont aujourd'hui bien maîtrisés.
Mais trop de carences subsistent dans le dispositif pour que l'on puisse s'en satisfaire.
Ainsi, en ce qui concerne les produits de santé, le système de contrôle reposant sur plusieurs agences est un système vertical, qui fait peu de cas des produits frontières et qui laisse à l'écart de nombreux biens de santé.
En outre, la législation applicable à certains biens de santé est insuffisamment stricte : je pense en particulier à celle qui s'applique aux dispositifs médicaux, plus précisément à ce que l'on appelle les biomatériaux, qui ne prévoit pas de véritable évaluation de leur rapport bénéfices-risques. Des dispositifs peuvent être mis sur le marché et implantés, aujourd'hui, sans que l'on sache si le patient ne court pas des risques disproportionnés par rapport au bénéfice attendu pour sa santé.
En outre, la séparation des fonctions de production et de contrôle n'est pas toujours bien assurée, ce qui n'est pas satisfaisant en termes de sécurité sanitaire.
En ce qui concerne les produits alimentaires, nous avons ainsi estimé que la législation était perfectible, notamment pour qu'elle place la santé de l'homme en tête de ses préoccupations.
En effet, à la différence des biens de santé où l'on peut accepter un certain risque lorsque cette acceptation est indispensable au traitement, le risque zéro doit être recherché pour les produits alimentaires, et il nous faut adapter la législation afin qu'elle repose sur ce principe. L'Etat doit faire en sorte que l'opinion publique n'ait pas à redouter des conflits de préoccupations au sein des administrations chargées des contrôles. Enfin, notre rapport d'information a examiné les conditions dans lesquelles était assurée la fonction de veille sanitaire.
La veille sanitaire, c'est l'observation permanente de l'état de santé de la population, la détection de tout événement qui l'altère et l'analyse rapide des causes de cet événement.
La veille sanitaire, c'est aussi l'alerte donnée aux pouvoirs publics, assortie de recommandations afin qu'ils puissent prendre les décisions appropriées dans les meilleurs délais.
Cette fonction de veille sanitaire est donc indispensable pour se prémunir contre de nouveaux drames, quelle qu'en soit l'origine. Convenablement assurée, elle aurait permis d'éviter, par exemple, celui de l'amiante.
Dans notre pays, de multiples organismes, publics ou privés, assument à un titre ou à un autre une fonction de veille. La création du réseau national de santé publique, dans les années quatre-vingt-dix, a constitué un progrès ; mais il est doté de moyens insuffisants et n'est effectivement chargé que de l'épidémiologie. Or le champ de la veille dépasse largement celui de l'épidémiologie.
Ainsi, le constat que nous avons dressé est sévère : ni la fonction de veille sanitaire ni le contrôle des produits ne sont suffisamment bien assurés.
Nous n'avons pas voulu en rester là ; c'est pourquoi a été déposée la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Le texte de cette proposition de loi est ambitieux : il place la sécurité sanitaire des Français au premier rang des préoccupations de l'Etat et il couvre l'ensemble du champ de la sécurité sanitaire, du contrôle des produits à la veille sanitaire. La réforme que ce texte tend à mettre en place est d'une aussi grande ampleur que celle qui a conduit l'Etat, dans les années vingt, à se doter d'un ministère chargé de la santé à partir du ministère de l'intérieur, qui était chargé jusque-là de la police sanitaire.
Compte tenu des risques pour la santé humaine qu'induisent les bouleversements technologiques, la production de masse et l'accroissement des échanges internationaux, l'Etat doit se préoccuper de police sanitaire. Il doit aussi s'organiser pour placer au premier plan une priorité nouvelle : la prévention des risques sanitaires, quelle qu'en soit l'origine et quel qu'en soit le point d'impact.
La sécurité sanitaire peut être mise en cause dans trois circonstances.
Premier cas, lorsqu'on a affaire à un mauvais produit ou à un produit défectueux, il faut que l'Etat soit en mesure de détecter le risque inhérent à ce produit afin, soit de refuser sa mise sur le marché si le produit est soumis à autorisation - je pense, par exemple, aux biens de santé - soit d'en interdire la commercialisation et l'usage.
Deuxième circonstance dans laquelle la sécurité sanitaire peut être mise en jeu : on a affaire à un bon produit, mais qui est mal utilisé. C'est le rôle de l'évaluation et de l'accréditation, avec la place que nous réservons dans notre dispositif à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES.
Enfin, troisième cas : malgré la qualité d'un bon produit bien utilisé, un incident ou un accident « non expliqué » survient, par exemple après la prise d'un médicament ou l'implantation d'un dispositif médical dans des conditions d'utiliation considérées comme normales. Pour rassembler l'information concernant la survenue de ces incidents, l'Etat doit mettre en place des systèmes de veille et de vigilance afin de pouvoir, en temps réel, adapter les spécifications des autorisations de mise sur le marché.
La réforme que nous proposons vise à garantir la sécurité sanitaire dans ces trois circonstances. Pour ce faire, l'Etat devra être capable d'assumer trois missions : le contrôle des produits, l'évaluation des pratiques et la veille sanitaire. La proposition de loi ne traite pas de l'évaluation des actes, qui vient de faire l'objet d'une réforme avec l'institution de l'ANAES. A ce propos, compte tenu de l'importance de l'accréditation, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement mette tout en oeuvre pour que l'ANAES puisse bien fonctionner dans des délais rapides.
Le titre Ier de la proposition de loi crée l'Institut français de veille sanitaire. Nous avions dénoncé, lors des travaux de la mission d'information, les carences de la veille sanitaire. En effet, les travaux des multiples organismes qui, à un titre ou à un autre, sont chargés de cette mission, ne sont pas coordonnés. Dès lors, non seulement tout événement nouveau concernant la santé de la population n'est pas systématiquement détecté, mais les pouvoirs publics ne sont pas toujours alertés et ne disposent pas toujours des recommandations appropriées pour intervenir de façon opportune. Cette carence est grave, et seul un système de veille sanitaire performant peut aider l'Etat à protéger la santé de nos concitoyens pour tous les produits non soumis à autorisation de mise sur le marché.
L'Institut de veille sanitaire prévu par la proposition de loi sera un établissement public placé sous la tutelle du ministre de la santé. Il devra assumer une mission générale de veille, c'est-à-dire une mission beaucoup plus large que celle qui est confiée aujourd'hui au RNSP, le réseau national de santé publique. Grâce à un réseau de correspondants et au concours des services de l'Etat, il devra détecter tout risque nouveau d'origine naturelle, iatrogène ou technologique, alerter les pouvoirs publics et formuler des recommandations afin qu'ils puissent prendre les bonnes mesures au bon moment.
Le titre II de la proposition de loi institue l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Depuis les années quatre-vingt-dix, des agences spécialisées chargées du contrôle de certains produits de santé ont été mises en place - je les évoquais voilà un instant - mais tous les produits de santé ne sont pas couverts, et il est impératif de remédier aux inconvénients d'un système trop cloisonné et aux méthodes de contrôle non unifiées. Aussi, l'établissement public institué par la proposition de loi aura-t-il compétence pour assurer le contrôle de tous les biens de santé ou qui revendiquent une finalité sanitaire, ainsi que celui des produits cosmétiques.
La création de l'Agence des produits de santé aura, bien entendu, des conséquences sur les institutions existantes qui seront fédérées en son sein : je pense ici aux instances de contrôle des produits sanguins, qui agiront désormais au nom de l'agence. Un Etablissement français du sang, pour sa part, continuera à veiller à la stisfaction des besoins, à la bonne organisation de la transfusion sanguine et à la qualité du service rendu.
Ce point est très important : si les produits sanguins doivent faire l'objet d'un contrôle externe par le biais de l'Agence de sécurité sanitaire des produits, il importe que la transfusion sanguine elle-même s'assure, en amont, de la qualité de ses produits. De la même manière, les établisssements pharmaceutiques ont un service qualité qui ne remplace pas, loin s'en faut, l'inspection de l'Agence du médicament. L'Etablissement français des greffes a, quant à lui, pour mission de s'assurer de la qualité des transplants et des conditions de prélèvements.
En matière de produits de santé, nous ne nous intéressons pas seulement aux institutions de contrôle ; ainsi, dans le titre consacré aux dispositions diverses, nous adaptons les règles applicables à certains produits, tels que les dispositifs médicaux, dont nous estimons qu'ils ne sont pas soumis à une législation assez stricte.
Je voudrais maintenant aborder le titre III de la proposition de loi, qui traite de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises : la création de cette Agence ne correspond en aucune manière à un acte de défiance à l'égard des services de contrôle de l'Etat, qu'il s'agisse de ceux du ministère de l'agriculture ou de ceux du ministère de l'économie et des finances. Ces services continueront d'ailleurs à assumer la mission qui leur a été confiée.
L'Agence, pour sa part, aura pour mission de s'assurer de la qualité et de l'indépendance des contrôles. Elle sera également chargée d'évaluer les risques sanitaires des aliments sur toute la chaîne qui va de la production à la consommation.
Elle s'intéressera aussi aux conditions d'utilisation des médicaments vétérinaires, des antiparasitaires et des fertisisants, ou encore aux conditionnements qui entrent en contact avec les aliments.
L'Agence pourra se saisir de toute question entrant dans ce champ de compétences, faire procéder à toute analyse et formuler des recommandentations publiques.
Enfin, le titre V de la proposition de loi institue un Conseil national de sécurité sanitaire présidé par le Premier ministre. Il préparera les décisions gouvernementrales en matière de prévention des risques sanitaires dans tous les domaines. Il sera également investi d'une mission de gestion des crises.
Clef de voûte de la réforme, ce Conseil réunira les directeurs des établissements publics de contrôle et de veille sanitaire ainsi que le ministre de la santé et les ministres intéressés par le sujet traité : environnement, industrie, etc.
Si la création de ce Conseil répond à un souci d'efficacité, elle est également très symbolique de notre volonté de placer la sécurité sanitaire au premier rang des préoccupations de l'Etat, en toutes ses décisions et dans tous les domaines.
J'en viens maintenant à l'exposé des principales orientations de la commission des affaires sociales et des quelques ajustements qu'elle propose. Nous avons en effet estimé que la proposition de loi était bonne et que seuls quelques ajustements de forme étaient nécessaires.
La commission a souhaité aller jusqu'au bout des orientations de la proposition de loi en les développant sur deux ou trois sujets que j'aborderai maintenant.
Concernant l'Institut de veille sanitaire, qui fait l'objet du titre Ier de la proposition de loi, la commission n'a adopté aucune modification de fond dans ses conclusions.
Dans le titre II, qui met en place l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, la commission a procédé à plusieurs aménagements purement techniques, avec seulement deux modifications de fond, dont la première réside dans les pouvoirs de police sanitaire. Les conclusions de la commission confient en effet ces pouvoirs à l'Agence pour tous les produits entrant dans son champ de compétence : l'Agence doit pouvoir suspendre ou interdire, dans l'intérêt de la santé publique, la fabrication, l'importation ou la distribution de tout produit susceptible d'être dangereux. Cette disposition nouvelle était implicite dans le texte initial de la proposition de loi, l'Agence ayant le pouvoir d'accorder toutes les autorisations concernant les produits de santé, mais elle gagnera à être explicitée dans le texte.
La seconde modification de fond appelle des commentaires du même ordre. Par rapport au texte initial de la proposition de loi, nous avons renforcé les dispositions tendant à mieux garantir l'indépendance et la transparence des travaux de l'Agence par rapport à l'industrie, en reprenant d'ailleurs un système de déclarations d'intérêt qui s'applique déjà à l'Agence du médicament, ce dont, personnellement, je me suis d'ailleurs réjoui.
Le titre III de la proposition de loi crée une Agence de sécurité sanitaire des aliments, chargée d'évaluer les risques sanitaires des aliments et, donc, de contribuer à garantir leur sécurité sanitaire. Si la proposition de loi n'a pas doté cette Agence d'une inspection - il en existe déjà une au sein du ministère de l'agriculture et une autre à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et elles font bien leur travail - elle permet à l'Agence de diligenter les services de l'agriculture et de la DGCCRF, d'être informée des résultats des enquêtes, de veiller à la bonne organisation des contrôles et à leur qualité et, si cela devient nécessaire, de rendre publiques ses recommandations.
La commission n'a pas souhaité modifier ces dispositions du texte initial. Elle a seulement précisé que cette Agence participerait à l'application de la législation concernant les allégations santé des aliments. Elle a aussi voulu aller au bout de la logique définie par la proposition de loi en matière de médicament vétérinaire.
En effet, la proposition de loi prévoit que l'Agence de sécurité sanitaire des aliments sera chargée d'évaluer les risques que comportent les médicaments vétérinaires pour l'alimentation humaine. C'est pourquoi elle a estimé qu'il serait déraisonnable d'opter en faveur du statu quo , c'est-à-dire de maintenir le système actuel fondé sur une Agence du médicament vétérinaire instituée comme un service du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA, celui-ci ayant de surcroît des missions identiques à une partie des missions de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. La commission a affirmé - c'est une position de principe qui sous-tend l'ensemble de la proposition de loi - qu'il faut mettre un terme à la dispersion des moyens, cesser de confier à de multiples organismes le soin d'accomplir des tâches souvent identiques nécessitant de recourir à des procédures de coordination complexe. C'est pourquoi elle vous propose que l'Agence de sécurité des aliments soit également chargée du médicament vétérinaire, et elle soutiendra l'amendement de MM. Vasselle et Descours tendant à transférer les missions et les moyens du CNEVA à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Concernant le Conseil national de sécurité sanitaire créé par le titre IV de la proposition de loi, qui doit préparer le travail intergouvernemental en matière de politique sanitaire, la commission n'a apporté au texte initial aucune modification autre que rédactionnelle.
Dans le titre V consacré à des dispositions diverses, notamment sur l'organisation de la transfusion sanguine et des greffes, la commission suggère, conformément à la logique tracée par la proposition de loi, de séparer l'activité de planification, de promotion du don et de gestion confiée à un Etablissement français du sang et à l'Etablissement français des greffes de l'activité de contrôle et de police sanitaire, telle que je l'ai évoquée précédemment. Cela nous a conduits à simplifier le régime d'autorisation prévu par la proposition de loi. Parmi les dispositions diverses, elle propose en outre d'unifier, comme nous l'avions déjà souhaité au Sénat, les procédures d'autorisation en matière de thérapies génique et cellulaire en regroupant les quelques compétences qui demeuraient au sein du ministère de la santé dans l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé.
Le Gouvernement, vous le savez, a retenu l'architecture générale de la proposition de loi déposée par la majorité sénatoriale. Mais il souhaite également amender très sensiblement le texte des conclusions de la commission qui traite de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Nous ne pourrons retenir ces amendements, qui tendent à faire de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments une coquille vide, un simple club d'experts. Nous ne pourrons accepter de cautionner une réforme en trompe-l'oeil qui ferait croire aux Français que tout a changé en matière de sécurité des aliments, alors que rien n'aurait changé.
Nous devons nous préoccuper exclusivement de l'intérêt de la santé de nos concitoyens.
Dans l'intérêt de la protection de leur santé, les Français attendent de nous que nous mettions en place un système cohérent, efficace, transparent, en un mot moderne, qui garantisse mieux la sécurité sanitaire de tous les produits qu'ils consomment dans leur vie quotidienne.
Je suis confiant dans l'issue du débat ; même si notre combat n'est pas encore gagné, l'idée de la nécessité de la réforme que nous proposons est maintenant dans tous les esprits. C'est un mouvement que nul ne peut arrêter désormais. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les conclusions adoptées par la commission des affaires sociales portent sur la proposition de loi n° 329 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Cette proposition de loi, présentée par MM. Charles Descours, Claude Huriet et plusieurs de nos collègues, a pour objet de donner un prolongement législatif aux conclusions de la mission d'information de la commission des affaires sociales.
La commission des affaires économiques a souhaité se saisir pour avis non pas de l'ensemble de ce texte, dans lequel la plupart des mesures ont trait à la santé et ont fait l'objet d'une minutieuse analyse par la commission des affaires sociales, mais uniquement des dispositions relatives à la création d'une Agence de sécurité sanitaire des aliments. En effet, la mise en place de cet établissement public, en raison de ses compétences en matière alimentaire, concerne directement l'agriculture et l'industrie agroalimentaire.
L'état des lieux réalisé par la mission d'information de la commission des affaires sociales a montré que « la multiplication des structures, la confusion des missions de contrôle et de gestion, la complexité de l'organisation, l'insuffisance de la réglementation et la dispersion des travaux nuisent à l'efficacité de l'organisation de sécurité et de veille sanitaire en France ».
Au terme de ce constat, la commission des affaires sociales a formulé des propositions destinées à réformer l'action de l'Etat en matière sanitaire.
Cette réforme qui, selon votre rapporteur, présente un caractère d'urgence, a pour ambition d'améliorer les structures administratives chargées du contrôle des produits et de la veille sanitaire et de leur donner les moyens législatifs d'assumer pleinement leur mission afin que la sécurité sanitaire soit mieux garantie.
Je tiens tout d'abord à saluer la qualité du travail accompli par la commission des affaires sociales dans son ensemble, et par la mission d'information en particulier.
Madame, monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez, l'attente des consommateurs en matière de sécurité alimentaire est renforcée dans un contexte de mondialisation des échanges agricoles. On constate sur ce point, comme le soulignait notre collègue M. Marcel Deneux dans son excellent rapport sur le projet de loi relatif à la qualité sanitaire des denrées, un besoin de bénéficier, en France et en Europe, d'un système alternatif rénové et d'un dispositif de contrôle efficace.
Je souhaite que ce texte, dont le rapporteur est M. Deneux, puisse être examiné par le Sénat dans les prochaines semaines, car il complétera utilement ce dispositif et permettra de mieux comprendre les débats que nous aurons plus tard.
Rappelons qu'aujourd'hui le contrôle des produits alimentaires par l'Etat est assuré par plusieurs services : directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, directions départementales des affaires sanitaires et sociales du ministère du travail, de l'emploi et de la solidarité, services vétérinaires des directions départementales de l'agriculture du ministère de l'agriculture et de la pêche.
Je profite de cette occasion pour souligner la qualité, la multiplicité et la difficulté des missions de contrôle effectuées par le ministère de l'agriculture et de la pêche. Il suffit pour cela de rappeler le bilan de l'action des services vétérinaires du ministère de l'agriculture durant l'été 1997, qui figure dans mon rapport.
Répondant à un souci d'exhaustivité en matière de sécurité sanitaire, et je m'en félicite, la réforme proposée ne vise pas à faire table rase de l'existant, mais utilise les compétences et les structures actuelles des administrations sanitaires et se fonde sur la législation en vigueur afin d'en accroître les performances. Je considère que la création d'un système de contrôle identique pour le médicament et pour les produits alimentaires aurait conduit à un inévitable échec : l'histoire différente de ce deux catégories de produits, leur spécificité tant dans leur finalité que dans leur production et les techniques de contrôle rendent nécessaire la distinction entre produits de santé et produits alimentaires.
Le texte de la commission des affaires sociales prévoit la création de quatre organismes : un Institut de veille sanitaire, une Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, un Conseil national de sécurité sanitaire et une Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Créée par le titre III, l'Agence de sécurité sanitaire des aliments sera un établissement public de l'Etat placé sous la tutelle des ministres chargés de la santé, de l'agriculture et de la consommation. Elle aura pour mission d'évaluer les risques sanitaires des produits alimentaires, depuis la production des matières premières jusqu'à leur distribution au consommateur final.
C'est sur ces dispositons que je vous propose de rendre un avis.
La commission des affaires économiques n'a pas fait porter son avis sur les dispositions des titres Ier, II, IV et V de ce texte, qui relèvent du domaine de la santé et que la commission des affaires sociales a longuement analysées. Elle a, en revanche, examiné les dispositions du titre III, relatif à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
La commission des affaires économiques se félicite de la solution retenue par la commission des affaires sociales. En effet, si la création d'une Agence unique contrôlant à la fois les produits de santé et les produits alimentaires pouvait apparaître comme une solution intellectuellement séduisante, celle-ci serait source de nombreuses difficultés en raison de la spécificité des deux types de produits.
En ce qui concerne les produits alimentaires, il n'est donc pas question d'introduire des autorisations de mise sur le marché. Consciente que notre législation semble paradoxalement plus orientée vers la protection de l'animal que vers celle de la santé de l'homme, et que l'évaluation des risques et la veille sanitaire sont insuffisantes, la commission des affaires économiques approuve sans réserve la création d'une Agence de sécurité sanitaire des aliments.
La commission des affaires économiques estime opportun de ne pas confier à cet organisme les missions de contrôle « au lieu et place » des services du ministère de l'agriculture et des autres ministères.
Ainsi, chaque ministère conserve son autorité de police. Cette solution est d'autant plus justifiée qu'au sein du ministère de l'agriculture deux réformes importantes ont été enteprises au cours des derniers mois : d'une part, la séparation nette entre les activités de production et les activités de contrôle ; d'autre part, « la mise sous assurance qualité » de la direction générale de l'alimentation.
Je souhaite cependant demander à nos collègues de la commission des affaires sociales et au Gouvernement de préciser la signification du 8e alinéa de l'article L. 794-2, qui précise que l'Agence « veille à la bonne organisation et à la qualité des études et des contrôles sanitaires effectués par les services compétents de l'Etat ».
Il ne faudrait pas que cette mesure contribue à accroître certaines lourdeurs administratives préjudiciables tant en matière de santé publique que sur le plan économique. Toutefois, la commission des affaires économiques ne vous proposera pas d'amender cette mesure afin d'éviter d'ouvrir à nouveau un débat qui est aujourd'hui tranché : celui du maintien des prérogatives des services vétérinaires, qui remplissent parfaitement leur mission.
Par ailleurs, tout en ayant conscience des avancées importantes qu'apporte ce texte en matière de sécurité sanitaire et des modifications retenues par la commission des affaires sociales, je m'interroge néanmoins sur l'opportunité de faire de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments l'autorité compétente en matière de médicament vétérinaire. La commission des affaires sociales a souhaité, dans un souci de simplification administrative, réunir plusieurs fonctions au sein de cette nouvelle entité.
La commission des affaires économiques vous propose, au contraire, de maintenir en l'état l'Agence nationale du médicament vétérinaire, et ce pour quatre raisons que je vous développerai lors de l'examen des amendements. Je souhaite néanmoins dès à présent vous les indiquer brièvement.
Tout d'abord, la spécificité du médicament vétérinaire nécessite le maintien d'un établissement adapté, et ce d'autant plus que la législation en la matière est surtout communautaire.
Ensuite, l'intégration de l'Agence nationale du médicament vétérinaire dans un nouvel organisme risque d'accroître les délais de mise sur le marché des produits vétérinaires, alors que ce délai est actuellement en Europe quatre fois supérieur à celui des Etats-Unis.
Par ailleurs, intégrer dans l'Agence de sécurité sanitaire des aliments la seule Agence nationale du médicament vétérinaire en invoquant le problème des résidus est une démarche soit incomplète, soit inopportune. En effet, le risque posé par les résidus concerne un grand nombre de produits, par exemple les phytosanitaires... Pourquoi, dès lors, se limiter aux seuls médicaments vétérinaires et ne pas intégrer dans la nouvelle Agence l'ensemble des prérogatives concernant tous ces produits ?
Enfin, les animaux de compagnie représentent près d'un tiers du marché du médicament vétérinaire. Ce pourcentage est d'ailleurs en constante progression. Placer les produits destinés à ces animaux dans une logique de sécurité alimentaire conduirait à des contresens préjudiciables à l'économie générale de la réforme.
Sous réserve des amendements que nous allons examiner, je vous propose de donner un avis favorable sur le texte adopté par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, « risque » est un mot superbe ! Il n'y a et il n'y aura jamais de risque zéro, sauf dans la mort. Et ce n'est sans doute pas souhaitable. Mais nous parlons ici d'autre chose : nous parlons de la vie, nous parlons du soin, nous parlons de la santé.
Qui aurait dit en cette soirée du 16 décembre 1992 qu'il nous serait donné, cinq ans plus tard, d'aborder à nouveau ensemble les difficiles récifs de la sécurité sanitaire ? Nous étions, vous vous en souvenez, sous le choc du drame du sang contaminé ; le Gouvernement proposait à la représentation nationale de réorganiser l'Etat dans ses fonctions de contrôle de la transfusion sanguine.
Votre assemblée contribua de manière décisive à ce que le texte qui devait devenir la première loi de sécurité sanitaire embrasse non seulement le secteur de la transfusion sanguine, mais également celui du médicament. Je me souviens des débats qui se tinrent dans cette enceinte, graves et mesurés, expression d'une représentation nationale hantée par le sort des hémophiles et des transfusés. Pour que cela ne soit plus jamais possible. Cette détermination unissait l'ensemble d'entre vous.
Cinq ans plus tard, il nous appartient de compléter l'édifice de 1992, de franchir une nouvelle étape pour la prise en charge du risque sanitaire dans notre pays.
Il faut s'interroger sur les motifs et les conséquences de l'éclosion de la notion de sécurité sanitaire en cette fin de XXe siècle. Le risque sanitaire n'est pas nouveau, l'accident thérapeutique est aussi ancien que la médecine, le primum non nocere que le serment d'Hippocrate. Notre société, qui a récemment appris à vivre sans guerre, forme son cortège de victimes à la vie courante : 60 000 morts par le tabac chaque année, 12 000 suicides, 8 000 victimes d'accidents de la route, 1 200 décès par homicide, sans oublier les victimes du sport ou des accidents domestiques.
Le secteur de la santé n'échappe pas à la prise de risque, tout au contraire. D'une médecine essentiellement palliative reposant sur des connaissances éparses et disposant de moyens thérapeutiques modestes, mais peu susceptibles d'entraîner d'effets iatrogènes graves, nous sommes en quelques décennies passées à une science capable des investigations diagnostiques les plus fines, en particulier grâce aux progrès de l'imagerie médicale et aux procédés de numérisation.
Mais elle est aussi capable de traiter plus vite, avec plus de confort et plus complètement des affections toujours plus nombreuses ou d'en prévenir l'éclosion.
L'activité médicale est plus que jamais une activité à risques. Sa légitimité et son honneur tiennent à ce que les risques qu'elle fait supporter le soient à bon escient, sur un fondement rationnel et parce que les bénéfices qui en sont attendus le justifient.
Exigence éthique, impératif moral, certes, et pourtant : combien d'infections nosocomiales pourraient encore être évitées, combien d'effets indésirables de produits thérapeutiques, d'accidents chirurgicaux - l'actualité nous le rappelle - combien d'erreurs médicales pourraient être évités ? Telle est fondamentalement la question qui nous réunit aujourd'hui. Tel est l'objectif de ce débat, la motivation de cette proposition de loi : réduire le risque sanitaire.
Il n'est, chacun le sait, pas de vie sans risque. Il n'existe pas plus de société sans risque. Elle serait fade, elle serait vide. Mais le risque que nos sociétés recèle, nous devons l'appréciser à l'aune de notre liberté.
Aux risques sportifs, routiers ou tabagiques - acceptés sinon revendiqués comme un choix de vie et qu'il convient sans doute de comprendre et de respecter dès lors qu'ils mettent en péril non pas la vie d'autrui, mais la sienne propre - répondent les risques inacceptables subis à l'école, au travail ou à l'hôpital.
Le risque sanitaire est certainement le moins bien accepté, le plus difficilement admis.
Ce n'est pas parce que le risque est inacceptable - chacun sait, encore une fois, que le risque zéro est illusoire en médecine - mais parce que nuire en matière médicale, c'est manquer à ses engagements, faillir à sa mission. L'insécurité sanitaire sape les fondements de l'art médical et dénature le système de santé.
Le drame de la transfusion sanguine fait planer une suspicion de faute sur tous les dysfonctionnements de la société médicale. Certes, les méthodes de gestion, de fonctionnement et d'organisation de la transfusion sanguine dans les années qui ont précédé le drame de la contamination du sang par le virus du sida montrent bien à quelles aberrations un système perverti et sans contrôle de l'Etat peut mener un pan entier du système de santé.
Mais incriminer le « système de santé » comme forme d'organisation impersonnelle et anonyme ne doit pas faire oublier la responsabilité proprement médicale dans cette affaire : elle fut, inutile de l'omettre, déterminante.
Dans une telle tragédie, « l'éthique de responsabilité » devait avoir droit de cité. Plus récemment, les drames de l'hormone de croissance, de l'amiante - oui, monsieur le rapporteur - et de la vache folle ont accru encore la défiance dans les systèmes de santé publique et, partant, les exigences envers l'Etat.
Des risques, il y en aura d'autres, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne connaissons pas, même si nous les pressentons. Ces risques, nous souhaitons les réduire.
L'évolution de la science et des procédés thérapeutiques a, parallèlement et paradoxalement, redoublé les craintes que pouvait nourrir l'opinion publique. Le risque médical n'est plus un risque isolé, fruit du colloque singulier entre le médecin et le malade. Le recours à des technologies de plus en plus sophistiquées, la diffusion de produits thérapeutiques de masse, l'intégration de la prise en charge du patient dans une véritable chaîne médico-technique ont fait apparaître des risques nouveaux que les experts qualifient du mot technocratique de « sériels » ; cela veut dire qu'ils agissent par séries. Une valve cardiaque mal conçue peut, on l'a vu - vous vous souvenez de cette affaire récente - affecter des milliers de malades, une recommandation thérapeutique erronée aussi.
Pensons à la mort subite du nourrisson. Notre intervention au début de l'année 1993 a permis de réduire de plus de 50 % la mortalité des nourrissons, mortalité due à des recommandations thérapeutiqes erronées. Qui sait d'ailleurs si les recommandations thérapeutiques qui leur succèdent ne sont pas, elles aussi, discutables ? C'est comme cela !
Dans le même temps sont apparus les risques nouveaux induits par l'évolution des techniques ou des pratiques - encore une fois d'actualité, hélas ! - manipulations génétiques, résistances aux antibiotiques ou aux trithérapies. Le risque se dissimule, se transforme, se renouvelle et paraît prêt à surprendre en permanence notre vigilance.
Le renforcement des dispositifs de surveillance épidémiologique comme l'amélioration des connaissances biologiques, toxicologiques ou génétiques vont bouleverser dans les années à venir notre perception de nombreuses activités en révélant des risques préexistants, mais jusqu'alors indétectables. Je pense en particulier aux effets des faibles doses, aux risques lents ou à l'évaluation des risques que permettra la médecine prédictive.
Dans le domaine alimentaire, la lecture du rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale - de la « vache folle » à la « vache émissaire » - a regretté un certain manque d'anticipation en matière d'évaluation et de suivi des risques.
Le rapport de la mission d'information de la commission des affaires sociales du Sénat - intitulé : « Renforcer la sécurité sanitaire en France » - a souligné notre connaissance imparfaite des risques liés à l'alimentation et le cadre réglementaire trop lâche en matière de sécurité alimentaire.
Avec l'encéphalopathie spongiforme bovine, nous entrons dans un nouveau champ de l'épidémiologie infectieuse. Nous ne disposons d'aucun cadre de référence nous permettant d'évaluer le risque. La gestion du risque en santé publique en est rendue d'autant plus malaisée. Elle doit d'autant plus reposer sur le principe de précaution, sur lequel je reviendrai.
M. Charles Descours. Très bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Dans l'affaire de la vache folle, si le risque de transmission de l'encéphalopathie spongiforme bovine apparaît à ce jour très faible pour la population française - je rappelle qu'il n'existe qu'un seul cas authentifié sur la sol national - il ne semble pas niable que la prise en considération du risque, son évaluation et les premières décisions correctrices auraient pu, en Europe, être réalisées avec plus de rapidité encore, pour peu qu'une organisation adaptée ait existé.
Comment notre société confrontée à cette évolution réagira-t-elle ? L'homme, face au risque, choisit entre trois attitudes.
Il peut le magnifier. C'est le ressort des sociétés guerrières, c'est le fondement des activités qui se veulent extrêmes : sport, tourisme, conduite automobile conçus comme des défis permanents. Le risque est considéré comme preuve de la vie, de son intensité, parfois sans souci du lendemain ou des autres, risque qu'il faut saluer quand il est pris au service des autres et d'un idéal.
L'homme peut le refuser. C'est la tentation de déserter et de se réfugier dans un inaccessible cocon. C'est, en matière médicale, le formulaire de décharge systématiquement proposé aux patients, le refus de tenter une opération difficile ou de mettre à disposition un médicament prometteur mais aux effets indésirables importants. Et l'on touche là à la noblesse de ce métier : l'éternelle balance des bénéfices et des risques.
L'homme peut enfin prendre en charge le risque, c'est-à-dire admettre son existence et tenter de le réduire, de l'endiguer autant qu'il est possible.
Tel est le principe qui sous-tend la proposition de loi sénatoriale, tel est le choix du Gouvernement. La sécurité sanitaire est l'affaire de tous ; elle repose fondamentalement sur l'information et l'action des patients, des professionnels de santé et des pouvoirs publics. Elle est le fruit d'une organisation collective et d'une méthode exigeante.
Les travaux que vous avez conduits dans le cadre de la mission parlementaire sur la sécurité sanitaire, comme l'a fait l'Assemblée nationale sur la sécurité alimentaire, permettent de disposer d'une analyse approfondie, précise et constructive des failles qui existent encore dans notre système de santé publique et des efforts à faire pour les combler.
C'est pourquoi le Gouvernement se réjouit qu'une proposition de loi puisse donner naissance, dans le cadre d'un travail confiant et nourri entre le Parlement et le pouvoir exécutif, à une étape nouvelle pour notre système de protection de la santé publique. Elle permettra de définir le cadre institutionnel chargé d'assurer la fonction régalienne de la sécurité sanitaire et de préciser le contenu de l'obligation de moyens qui pèse sur l'Etat.
Il existe en effet, depuis quelques années, une évolution considérable des esprits sur la place que doit occuper l'Etat dans le règlement des problèmes touchant à la sécurité des actes et des produits de santé, qu'ils soient mis en oeuvre dans un but préventif, thérapeutique ou diagnostic.
Une plus grande intervention de l'Etat est demandée par nos concitoyens, la liberté traditionnelle de la pratique médicale dût-elle en souffrir légèrement.
Notre pays a besoin, après la loi du 4 janvier 1993, d'une seconde grande loi de sécurité sanitaire.
Quels sont les objectifs de la présente loi ?
Du talc Morhange à la vache folle, du distilbène à l'amiante, de la thalidomide à la transfusion sanguine, des infections par le xénopi à la listériose, l'histoire comme l'actualité sanitaires de notre pays nous apprennent que le risque est multiforme, que l'ingéniosité du prochain virus ou les révélations à venir de la biologie moléculaire pourront toujours nous surprendre. Elles nous apprennent aussi qu'entre le drame et l'inaccessible risque zéro dont je parlais, il y a place pour une politique déterminée et rigoureuse de réduction des risques sanitaires : il y a place pour la sécurité sanitaire. Il s'agit d'une politique dont les quatre points cardinaux sont la compétence, la précaution, la transparence et l'indépendance.
Considérons la compétence tout d'abord.
La sécurité sanitaire commence par une méthode de surveillance, d'analyse de risque et d'intervention.
Il incombe aux pouvoirs publics de s'organiser pour que la collectivité bénéficie de la vigilance et des compétences de tous : professionnels de santé, experts, patients. Aux pouvoirs publics de définir les règles, de mettre en oeuvre les systèmes d'information, de mettre en place les services publics nécessaires à la politique de sécurité sanitaire. La réforme de 1993 nous a fait franchir cette première étape.
A des administrations sinistrées, mal organisées et poursuivant des objectifs divergents ont été substituées des structures de police sanitaire cohérentes.
Les systèmes d'évaluation, de vigilance et de contrôle ont été restructurés ou mis en place en matière de médicaments, de réactifs de laboratoires, de produits sanguins et de greffes.
Mieux, le système établi en 1993 a montré qu'une autorité de police compétente pour l'ensemble de la chaîne médico-technique des produits et bénéficiant du concours de la communauté médicale et scientifique française peut se hisser au premier rang européen, voire mondial, comme l'a prouvé l'actualité récente. Je pense aux anorexigènes, à notre réaction précoce dénuée de toute autre considération que celle de la protection des patients.
C'est sur la base de cette expérience que doit être élaboré le nouveau dispositif prévu par la proposition de loi, comme l'a d'ailleurs proposé votre commission.
Quant à l'esprit de précaution, pour reprendre les termes que j'avais utilisés devant vous en 1992, il doit permettre de concilier la plus haute compétence et la rapidité d'intervention.
Les techniques nouvelles foisonnent, les nouveaux produits ou procédés se multiplient, les virus mutent, les bactéries et microbes développent de nouvelles caractéristiques.
Face aux risques changeants, mal connus ou inconnus, l'attitude à adopter ne peut être que la précaution. Mais cette précaution ne peut conduire à l'abstention. La sécurité sanitaire doit concilier l'accès précoce aux thérapeutiques nouvelles et la réduction des risques. L'équilibre est difficile à assurer entre la volonté de faire bénéficier les malades de pratiques chirurgicales innovantes, par exemple des thérapies géniques ou des trithérapies, et la nécessité de disposer des connaissances nécessaires pour garantir leur sécurité.
L'esprit de précaution doit conduire à interdire une activité ou un produit lorsque le rapport entre les bénéfices et les risques n'est pas favorable, et non à s'abstenir parce qu'il y a risque. L'anesthésie comporte toujours un risque résiduel, la vaccination des effets indésirables et l'hospitalisation une probabilité d'infection nosocomiale. On ne doit pas pour autant les interdire.
L'objectif difficile de la sécurité sanitaire est d'intervenir chaque fois que le rapport bénéfices-risques est défavorable ou le devient.
La notion de rapport bénéfices-risques est elle-même profondément évolutive ; une technique ou un produit nouveau, la conclusion d'une étude scientifique inédite peuvent, du jour au lendemain, inverser ce rapport.
Pour ce qui est de la transparence, le secret est le pire ennemi de la sécurité sanitaire. Le drame de la transfusion sanguine s'est joué dans le monde fermé du Centre national de transfusion sanguine. La crise de la vache folle dans le huis clos des abattoirs et des cercles spécialisés britanniques.
Le débat contradictoire, la confrontation des expertises et la transparence des procédures sont autant de chances d'identifier le risque, de l'analyser rationnellement et de réagir sans délais.
Ce souci anime les dispositions de la proposition prévoyant l'organisation d'une expertise interne au service public d'évaluation et sa confrontation avec l'expertise externe de la communauté médicale et scientifique. Les dispositions garantissant la publicité des conclusions des travaux des autorités sanitaires et des décisions prises vont dans le même sens.
L'insertion du dispositif de sécurité sanitaire français dans une Europe de la santé à venir que nous appelons de nos voeux, comme dans les systèmes internationaux d'alerte sanitaire, ne peut que renforcer son efficacité et favoriser la confrontation des expériences, des inquiétudes et des propositions.
Enfin, j'en viens à l'indépendance.
La rigueur déontologique est une condition sine qua non de l'efficacité et de la crédibilité des autorités sanitaires. Elle s'impose, mais elle ne va pas de soi. L'autorité de police sanitaire remet en cause par son action des habitudes, des intérêts, des pouvoirs, et cela en permanence.
Souvenons-nous des réticences suscitées par l'instauration de règles de protection des personnes dans les recherches biomédicales. La loi Huriet-Sérusclat inquiétait, quand elle se bornait à poser les bases d'un contrôle éthique et sanitaire des essais sur l'homme.
Comment ne pas évoquer aussi le bruit et la fureur qui ont entouré la naissance de l'Agence du médicament ? Comme si la naissance d'une autorité de police sanitaire forte dérangeait ! Comme si d'ailleurs la vente de notre production nationale en général n'était pas renforcée par la sécurité !
Cette indépendance doit se concrétiser par l'existence d'un service public totalement dégagé des intérêts économiques du secteur et reposant sur des départements composés de fonctionnaires et de contractuels consacrant l'intégralité de leur activité à leurs missions d'Etat. J'en profite pour saluer les personnels du ministère de la santé et des agences - et je n'opère pas de distinction entre eux, les agences dépendant du ministère de la santé - qui ont, en l'espace de quelques années, transformé le paysage sanitaire français et construit, dans les domaines qui leur ont été confiés, un dispositif remarquable et reconnu.
Deuxième élément de cette indépendance : la définition de règles strictes pour les experts, externes à l'administration, qui collaborent à ses travaux.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui généralise, comme l'a souligné votre rapporteur, le système déontologique élaboré par le directeur général de l'Agence du médicament et appliqué par l'établissement depuis sa création. J'ajoute que cet établissement vient de mettre en place une cellule de veille déontologique dirigée par un magistrat afin de renforcer encore l'efficacité de ces mesures.
Troisième condition de l'indépendance : la séparation des fonctions de police et de développement dans tous les secteurs.
Le texte qui nous occupe pose avec fermeté ce principe et corrige en même temps certaines imperfections de la loi de 1993, qui, par exemple, avait confié à l'Agence française du sang des missions de développement de la transfusion sanguine elle-même, à savoir la planification, la restructuration, le financement, et des compétences de police des produits.
Pour légitimes et importantes que soient ces fonctions d'encouragement et de promotion d'un secteur, qu'elles soient exercées par l'Etat ou par un organisme public, il est essentiel que l'autorité chargée du contrôle, surtout dans le domaine sanitaire, ne soit pas encline à des compromis pour favoriser son développement.
Le mélange des genres a trop souvent été à l'origine des drames sanitaires qu'a connus notre pays.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. J'en viens au dispositif législatif.
Le Gouvernement souhaite parvenir à un dispositif complet et cohérent en matière de sécurité sanitaire en prenant comme base la proposition de loi émanant de la commission des affaires sociales et qui vient de nous être résumée excellemment par M. le rapporteur.
Il s'agit tout d'abord de disposer d'une institution de veille sanitaire capable d'effectuer une surveillance de l'état de santé de la population afin de détecter, dans les meilleurs délais - bien sûr, il sera toujours trop tard, même si cette institution se trouve être, et je n'en doute pas, tout à fait performante ! - l'apparition de menaces pour la santé humaine, puis, après avoir procédé aux investigations indispensables, de proposer les mesures nécessaires pour y répondre.
Le réseau national de la santé publique, créé en 1992, a été un précurseur. Il a prouvé tout l'intérêt, pour la santé publique, de mettre en pratique les techniques d'épidémiologie interventionnelle, tout particulièrement en matière de maladies infectieuses transmissibles.
Il faut aujourd'hui aller plus loin et étendre ses champs d'intervention. C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à la création d'un véritable Institut de veille sanitaire. Au-delà de la surveillance des maladies infectieuses, l'Institut de veille sanitaire sera capable de surveiller et de mieux évaluer les risques sanitaires d'origine environnementale dus, en particulier, aux nuisances physiques ou aux pollutions par les déchets industriels et ménagers. Tous les jours nous en apportent des exemples. Il devra également être en mesure de mieux surveiller et prévenir la morbidité et la mortalité « non transmissibles », le cancer et les maladies cardio-vasculaires étant deux domaines prioritaires.
Il aura également compétence pour le suivi des risques sanitaires d'origine professionnelle, notamment par la mise en place des réseaux de surveillance spécifiques, et je pense, bien sûr, monsieur le rapporteur, aux victimes de l'amiante. Je suis persuadé que celles-ci auraient été beaucoup moins touchées si le dispositif que nous allons mettre en oeuvre avait existé.
La population scolaire bénéficiera aussi d'une meilleure surveillance de son état de santé : de la détection de carences nutritionnelles à celle des maladies du dos, il y a tant à faire...
L'Institut de veille sanitaire constituera, en quelque sorte, le dispositif miroir de celui qui est consacré à la vigilance sur les risques des produits dont seront chargées les agences de sécurité sanitaire des produits.
Deuxième temps fort du projet : la mise en place d'une autorité de police des produits de santé, cohérente et responsable de la sécurité des produits sur l'ensemble de la chaîne médico-technique.
Elle disposera, à l'instar de l'Agence du médicament, qui en constituera le socle, des compétences d'évaluation, d'inspection, de contrôle et de vigilance.
Afin de garantir la rapidité des décisions de sécurité sanitaire, l'Agence sera investie d'un pouvoir de suspension ou d'interdiction de toute activité de fabrication et de distribution du produit ainsi que d'un pouvoir de retrait du produit lui-même, en cas de danger pour la santé humaine.
Quant à l'Agence chargée de la sécurité sanitaire des produits alimentaires, elle assurera l'évaluation des risques alimentaires pour l'homme, les missions d'inspection et de contrôle ainsi que la gestion des décisions politiques prises en la matière restant sous la responsabilité des ministères compétents. Les problèmes soulevés par les produits alimentaires sont, en effet, d'un autre ordre que ceux que posent les produits sanitaires.
L'institution d'une agence à forte capacité d'expertise, indépendante de toute influence et hautement spécialisée, loin de constituer une réforme en trompe-l'oeil - comme le craint le rapporteur de la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée - marquera une étape décisive pour la sécurité alimentaire.
Le regroupement et le renforcement des moyens de veille et d'alerte dans le domaine alimentaire, comme la transmission systématique des informations sur les risques alimentaires, feront de cette nouvelle agence sanitaire un pôle d'évaluation des risques et d'alerte sans précédent. L'ensemble nous placera d'ailleurs en très bonne, voire en première position en Europe. Les avis et recommandations de cette agence seront d'ailleurs rendus publics.
Au-delà des réformes structurelles, certaines dispositions revêtent à mes yeux une importance particulière.
Ainsi, devraient se voir soumis à une procédure d'autorisation ou de déclaration de nouveaux produits de santé non ou mal réglementés, tels que les dispositifs médicaux à risques particuliers, les produits thérapeutiques annexes et les produits de nutrition clinique.
Dans cet esprit, pour renforcer la sécurité des patients et des utilisateurs de certains dispositifs - dispositifs implantables, dispositifs médicaux incorporant des substances d'origine biologique -, un contrôle plus rigoureux sera imposé avant leur mise sur le marché.
Un régime déclaratoire pourrait permettre d'atteindre nos objectifs de sécurité sanitaire sans mettre la France en contradiction avec la réglementation européenne qui prévoit la libre circulation des dispositifs certifiés.
Les produits thérapeutiques annexes devraient être soumis à un régime d'évaluation et de contrôle par l'Agence. Ces produits, tels les milieux de culture ou de conservation, ne sont actuellement soumis à aucune règle sanitaire obligatoire.
La vigilance en matière de produits de santé doit être affirmée clairement comme l'une des missions de base des établissements de santé.
Leur participation pleine et entière à l'organisation et au fonctionnement du système de vigilance - pharmacovigilance, hémovigilance, biovigilance, réactovigilance - est indispensable, comme l'est leur mission dans la lutte contre les infections nosocomiales.
A l'occasion de cette discussion, le Gouvernement proposera un amendement donnant compétence aux établissements de santé pour conférer une base légale à l'exercice de ces deux missions et garantir leur prise en compte au niveau qu'appelle l'exigence de sécurité sanitaire, dans le cadre des procédures budgétaires.
Le Gouvernement vous proposera également d'instaurer l'obligation de recueil et de signalement des infections contractées à l'hôpital ; c'est là un instrument indispensable au renforcement de la lutte contre les maladies nosocomiales. Il y a, là aussi, trop de morts évitables. Je mettrai rapidement en place un groupe de travail qui sera chargé de proposer les modalités garantissant l'efficacité d'un dispositif donc chacun mesure l'importance. Je demanderai également qu'on étudie sans tarder son extension à toutes les catégories d'accidents médicaux. La sécurité sanitaire concerne non seulement les produits, mais également toutes les activités médicales ; il convient que ce texte les prenne en compte.
A l'issue de ce débat, la France disposera, j'en suis sûr, d'un système complet de sécurité sanitaire. Le dispositif encadrera l'ensemble des risques sanitaires et alimentaires : les produits avec les agences de sécurité sanitaire et alimentaire, les activités et les structures au travers du système de médicovigilance que le Gouvernement vous propose et l'intervention des ARH et de l'ANAES comme des services de contrôle du ministère de la santé ; je pense tout particulièrement aux DDASS et aux DRASS. Enfin, l'Institut de veille sanitaire parachèvera le dispositif en assurant la surveillance des maladies.
La loi permettra enfin à la France d'être le premier pays à donner un statut aux produits thérapeutiques annexes, aux produits de nutrition clinique et à disposer d'un statut complet pour les thérapies génique et cellulaire comme pour les organes, tissus et cellules issus du corps humain.
La France pourra ainsi faire figure de référence, notamment dans le cadre de l'Union européenne.
Cette approche globale était indispensable. Les années 1992 et 1997 marquent l'histoire du système de santé publique de notre pays. Elles signent, à n'en pas douter - et ce grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs - la reconnaissance de la sécurité sanitaire comme axe essentiel de toute politique de santé.
Telle est l'oeuvre de pionnier de la santé publique qui nous est proposée aujourd'hui. Je ne doute pas que le Sénat y apportera, comme par le passé, toute son imagination et toute sa détermination. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui constitue l'aboutissement d'un travail collectif engagé par la commission des affaires sociales voilà quelques années. Vous siégiez alors déjà, monsieur le secrétaire d'Etat, au banc du Gouvernement, tandis que MM. Fourcade, Huriet et moi-même siégions sur celui de la commission.
Vous nous aviez proposé d'adopter une réforme qui visait à une profonde réorganisation de la transfusion sanguine, à la suite des drames qu'avait connus notre pays. Cette réforme, bien qu'incomplète, avait permis d'améliorer la sécurité transfusionnelle. Elle avait aussi permis à notre rapporteur, M. Huriet, de faire adopter un amendement instituant l'Agence du médicament, dont personne ne conteste aujourd'hui l'utilité ni ne remet en cause la qualité et l'efficacité du travail qu'elle accomplit.
Depuis lors, la commission des affaires sociales a poursuivi son travail d'amélioration de la sécurité sanitaire dans un domaine nouveau : les thérapies génique et cellulaire. Grâce à elle, les produits issus de ces thérapies sont désormais dotés d'un statut novateur, protecteur pour les patients, et qui ne pénalise pas la recherche.
A la suite de ces travaux, M. Fourcade a souhaité que nous entreprenions un travail d'ensemble tendant à examiner les conditions du renforcement de la sécurité et de la veille sanitaires. Il a souhaité constituer une mission d'information, que j'ai présidée.
Je ne voudrais pas, après l'intervention du rapporteur, rappeler le constat que nous avons établi et exposer les principaux points de la réforme que nous proposons aujourd'hui. Je vais simplement aborder quelques aspects qui me paraissent essentiels dans la compréhension de la portée de cette réforme.
J'évoquerai successivement trois points : le risque sanitaire dans notre société, l'administration et la réforme, l'avenir de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
La proposition de loi que nous examinons tend à créer un Institut de veille sanitaire chargé d'un triple rôle de détection, d'alerte et de recommandation.
Il nous est en effet apparu nécessaire de fédérer le travail de tous les organismes qui font de la veille sanitaire, afin que, pour tout événement susceptible d'affecter la santé de l'homme, les pouvoirs publics soient alertés en temps utile et puissent prendre le plus rapidement possible les mesures qui s'imposent.
Au cours des travaux de la mission, nous nous étions aperçus que de très nombreux organismes travaillaient bien, qu'ils regroupaient des personnes de grande qualité, mais que chacun ignorait - et ignore toujours - ce que faisait l'autre. Les événements de l'été nous ont montré que des travaux entrepris par le ministère de l'agriculture étaient transmis au ministère de l'environnement mais pas forcément à celui de la santé et que, parallèlement, le réseau national de santé publique allait entreprendre les mêmes travaux.
Dans un tel système, aucun de ces organismes n'avait véritablement intérêt à partager ou à échanger l'information.
Cette absence de coordination organisée a favorisé l'émergence de situations dans lesquelles chacun, peu ou prou, travaille sur les mêmes sujets, alors que d'autres, pourtant essentiels, sont délaissés.
Je citerai à cet égard l'exemple très révélateur de l'encéphalopathie spongiforme bovine. Je me permets de vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que seul le CEA, le Commissariat à l'énergie atomique, a financé les recherches du professeur Dormont, jusqu'à ce que l'affaire soit révélée au grand jour.
Lors des travaux de la mission, nous avons tenté une expérience - mais, monsieur le secrétaire d'Etat, si nous la tentions de nouveau aujourd'hui, nous obtiendrions, je le crains, le même résultat - et avons demandé aux différents ministères concernés de bien vouloir dresser la liste de tous les organismes placés auprès d'eux qui concouraient à la veille sanitaire. Malheureusement, comme nous nous y attendions, la plupart des ministères - quand ils nous ont répondu ! - n'ont pas été en mesure de nous fournir une liste exhaustive.
C'est pourquoi j'invite dès aujourd'hui le Gouvernement à procéder à un indispensable travail de recensement, afin que la mise en place d'une tête de réseau, l'Institut de veille sanitaire, se fasse dans les meilleures conditions.
La création de l'Institut de veille sanitaire appelle une réflexion d'ensemble sur la manière dont nos sociétés perçoivent et gèrent le risque ; monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez d'ailleurs beaucoup insisté sur ce point dans votre intervention. L'Institut devrait en effet permettre d'améliorer les performances des modes d'action sociale par rapport à la prise de risque.
Lorsque la science approche de ses limites et qu'elle ne peut plus prévoir, l'anticipation sociale du risque doit alors prendre le relais. Le principe de précaution est une nouvelle ressource juridique pour penser et traiter le risque incertain.
En l'absence de certitudes scientifiques, il permet non pas de s'abstenir, mais au contraire d'agir de façon responsable et prudente, dans le cadre d'une politique d'anticipation des événements et, en même temps, de restauration de la confiance de notre société, désormais très vulnérable au risque sanitaire.
L'inquiétude parfois excessive de nos concitoyens conduit aujourd'hui à la tentation d'une interprétation radicale du principe de précaution. Or l'anticipation de la menace doit servir de boussole.
Alors que Claude Allègre n'était pas encore membre du Gouvernement - mais il avait déjà la verdeur de langage qu'on lui connaît -, il s'exprimait ainsi dans l'hebdomadaire Le Point : « Si l'on vit dans l'optique du risque zéro, on va multiplier les peurs collectives. Une société qui n'assume pas les risques est une société vouée à la mort, car seule la mort est sans risque. »
Le but ultime de la précaution est de parvenir à une acceptabilité sociale sur la nature et le niveau des risques que notre société est capable de tolérer pour garantir son développement durable.
Il faut que la réforme que nous nous apprêtons à adopter soit l'occasion de faire comprendre à l'opinion que, face à l'incertitude scientifique, il y a, ainsi que vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, deux attitudes : ou omettre de choisir et préférer l'inaction - je souhaite que ce ne soit le cas de personne - ou choisir l'action qui se traduit par une prise de risque responsable, prudente et acceptée.
Vous nous avez longuement parlé, monsieur le secrétaire d'Etat, du problème des maladies nosocomiales et des infections iatrogènes. Un amendement du Gouvernement en traite : nous le soutiendrons, mais encore faudrait-il connaître exactement l'ampleur du mal. Vous êtes médecin, M. le rapporteur est médecin, je suis médecin, et nous savons qu'il importe de poser un diagnostic avant de définir une thérapeutique. Les chiffres considérables qui circulent à propos de ces affections sont-ils exacts ? Je pense, monsieur le secrétaire d'Etat, que ni vous, ni moi ne pouvons le dire de façon formelle.
Je voudrais maintenant évoquer un autre thème de réflexion suggéré par la proposition de loi, à savoir l'administration et les réformes.
L'élaboration de la proposition de loi et les réactions qu'elle a suscitées et qu'elle continue de susciter ont en effet été source de nombreux enseignements. Il faut dire, à cet égard, que ce texte comprend des dispositions d'une grande portée, puisqu'il vise à réformer l'ensemble de l'administration sanitaire.
Dans la mesure où la proposition de loi traite non seulement des produits de santé, mais de tous les produits destinés à l'homme, de nombreux ministères, dont certains très puissants, sont concernés. Dès lors, les réflexes de défense sont exacerbés.
Tout d'abord, les administrations ne comprennent pas qu'une proposition de loi, c'est-à-dire un texte émanant du Parlement, se mêle de vouloir réformer leur fonctionnement et leur organisation. Les réformes, c'est bien connu, doivent venir de l'exécutif, et le seul fait que des parlementaires prennent l'initiative en la matière pourrait presque être considéré comme suspect.
Il y a là un profond malentendu : il appartient en effet à la représentation nationale de déterminer dans quelles conditions la mission de police sanitaire de l'Etat doit être assumée.
En outre, le fait de vouloir réformer des organisations, des règles et des méthodes ne procède pas, de notre part, d'une volonté de nuire ou du sentiment que les administrations ne feraient pas bien leur travail actuellement : je tiens à l'affirmer à nouveau, après M. Claude Huriet, au nom de tous les membres de la mission sénatoriale que j'ai eu l'honneur de présider. Nous voulons certes renforcer l'indépendance des structures de l'Etat chargées du contrôle, mais l'indépendance des agents concernés n'est absolument pas en cause.
A cet égard, je voudrais rendre ici un hommage sincère à la manière dont les agents de l'Etat assument leur mission, dans des conditions souvent difficiles. Il faut que cela soit dit : nous voulons réformer, car tel est notre rôle et parce que l'administration doit évoluer avec la société ; cependant, cette volonté de réforme ne doit pas être comprise comme une critique de l'action des fonctionnaires, qui ont toujours fait leur travail, et le font même de mieux en mieux.
Je dirai même que le Parlement, outre qu'il dispose, selon les termes de la Constitution, du pouvoir d'initiative législative, est le mieux placé pour susciter une réforme. En vérité, quand autant d'administrations et de ministères différents sont concernés, il faut bien qu'une autorité extérieure ose proposer et arbitrer. Nous pensons que l'élaboration par le Sénat de cette réforme a été plus rapide que si elle avait résulté d'un dialogue interministériel.
Je voudrais dire encore quelques mots sur les suites de la réforme. On nous objectera que nous créons trois organismes, l'Institut de veille sanitaire, l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé et l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, mais, que ce faisant, nous tombons dans le travers de toutes les réformes qui créent toujours de nouveaux organismes sans jamais en supprimer.
A cette critique, j'apporterai deux réponses.
Tout d'abord, la teneur de la proposition de loi ne se résume pas à la création de nouveaux organismes, car elle définit de nombreuses règles de sécurité sanitaire pour des produits qui, aujourd'hui, sont insuffisamment contrôlés.
Ensuite, les organismes dont la suppression doit être envisagée ont été créés par voie réglementaire, et il n'appartient pas au Parlement d'abroger des décrets ou des arrêtés.
Cette réforme ne serait donc pas complète si, dès son adoption, le Gouvernement ne procédait pas à un réexamen de la nécessité de maintenir certains organismes dont la mission sera désormais exercée par l'une ou l'autre des agences de sécurité sanitaire. Après M. le rapporteur, je voudrais dire au Gouvernement que nous serons vigilants : nous défendrons cette réforme jusqu'au bout, et ce travail ne cessera ni avec le vote final du texte, ni le jour où seront publiés les décrets de nomination des directeurs généraux des agences nouvellement créées.
Je voudrais enfin évoquer l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. Le nouveau gouvernement, comme le précédent, s'est en effet rallié à la solution retenue par la commission des affaires sociales et par les signataires de la proposition de loi, qui suggère la création d'une Agence de sécurité sanitaire des aliments distincte de celle des produits de santé.
Je le dis solennellement à l'attention de M. le secrétaire d'Etat et de mes collègues sénateurs, et aussi dans la perspective de la navette : nous nous opposerons sans nuance, comme l'a dit M. Claude Huriet, à toute initiative tendant à annuler la création de cette agence alimentaire.
En effet, nous ne donnerons pas prise aux rumeurs selon lesquelles, en créant deux agences, nous avons voulu créer une agence alimentaire qui serait une coquille vide. Nous serons extrêmement attentifs sur ce point.
Je sais que beaucoup voudraient voir dans cette agence un simple centre d'expertise, chargé uniquement de répondre aux sollicitations des pouvoirs publics.
Or telle n'est pas notre conception des choses : s'il faut que l'Agence de sécurité sanitaire des aliments soit un centre d'expertise indépendant, il faut aussi qu'elle soit, en quelque sorte, « branchée » sur l'administration, et qu'elle puisse ainsi contribuer à garantir la sécurité alimentaire.
Mais il faut essentiellement qu'elle acquière, auprès de l'opinion, une crédibilité qui ne pourra lui être assurée que par son indépendance par rapport au pouvoir politique et au pouvoir économique.
Cette crédibilité, nous l'obtiendrons non pas, comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, par une intervention plus appuyée de l'Etat, mais par l'indépendance et la qualité de nos chercheurs et de nos experts, et par la pertinence de leurs avis.
Lors de votre intervention, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez parlé de l'amiante. Quand je préparais le concours de l'internat, en 1960, tout le monde connaissait le mésothéliome dû à l'amiante. Or il a fallu attendre 1995 - je parle sous le contrôle de M. Cabanel - pour qu'elle soit interdite, et il ne s'agissait pas d'une méconnaissance de ses dangers, puisque tout le monde savait que les mésothéliomes de la plèvre étaient dus à l'amiante. On peut gloser sur ces trente-cinq années d'attente, mais cette sorte de dérive doit être condamnée.
Ce n'est donc pas mettre en question la qualité des contrôles effectués par l'Etat que de prendre les mesures nécessaires pour garantir leur indépendance ; ce n'est pas mettre en question le rôle de l'Etat que de confier à un établissement public, qui représente aussi l'Etat, une mission importante en matière d'administration sanitaire.
Je crois que le jeu en vaut la chandelle : cette proposition de loi, au terme d'une navette parlementaire que j'espère aussi brève que possible, sera en effet de nature à améliorer considérablement la sécurité sanitaire dans notre pays. C'est pourquoi j'espère qu'elle fera l'objet d'un consensus, dans l'intérêt de la santé publique.
Le philosophe Alain disait : « Le doute ou l'erreur est le premier état de toute connaissance. On est toujours coupable d'une erreur, mais on l'est beaucoup plus si on ne la corrige pas. »
J'espère que ce texte permettra de corriger, avec l'accord de tous, un grand nombre de nos erreurs passées. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat que nous engageons aujourd'hui mérite à plus d'un titre de retenir l'attention.
Il en est ainsi d'abord en raison de la place qu'il réserve à l'initiative parlementaire, et le cas n'est pas si fréquent pour que nous le soulignions pas. Le texte que nous examinons est issu de la volonté de notre assemblée, plus particulièrement de celle de nos collègues MM. Claude Huriet et Charles Descours, constamment soutenus dans leur entreprise par le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade. Cette volonté a été partagée, malgré les différences d'appréciation, sur toutes les travées du Sénat. La proposition de loi est née ainsi de notre réflexion commune, développée au sein d'une mission d'information dont la qualité des travaux a été unanimement reconnue.
L'initiative parlementaire, quelle qu'en soit la qualité, quel qu'en soit l'objet, resterait stérile si elle n'était soutenue par un dialogue fructueux avec l'exécutif. Ce dialogue s'est noué, sur le thème qui nous occupe aujourd'hui, avec le précédent gouvernement, et il s'est poursuivi avec celui auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat. Je ne doute pas que ce débat ne s'achève sur une avancée significative en matière d'amélioration de la sécurité sanitaire de nos concitoyens.
Ce débat mérite également l'attention en ce qu'il démontre la continuité de l'action publique.
Plusieurs scandales de santé publique, je n'y reviendrai pas, nous ont conduits à la fois à réformer notre système de sécurité sanitaire et à introduire partout, dans le domaine de la santé, le principe de précaution. Cette démarche législative a reflété certaines hésitations et a dû bien sûr être conduite par étapes. C'est ainsi que, suite à l'affaire dite du sang contaminé, a été créée en 1992 l'Agence du sang. Cette même année, sur l'initiative du Sénat, l'Agence du médicament a été mise en place, et le Réseau national de santé publique a été développé. C'est enfin en 1994 qu'a été institué l'Etablissement français des greffes, et en 1996 que, voulant doter les thérapies génique et cellulaire d'un statut propre à garantir la sécurité sanitaire, le Sénat a fait apparaître la nécessité de mettre un peu d'ordre dans toutes ces réformes et de leur donner leur pleine cohérence.
Tel est l'objectif que nous poursuivons aujourd'hui ensemble, même si, comme nous le verrons, beaucoup reste encore à faire.
Je ferai une dernière remarque préalable, monsieur le secrétaire d'Etat : votre modestie dût-elle en souffrir, j'observe que vous siégiez au banc du Gouvernement au moment de l'adoption de la loi instituant l'Agence du sang, de même que lors de la création de l'Agence du médicament ou du Réseau national de santé publique.
C'est encore vous qui reprenez le dossier que nous examinons aujourd'hui, et ce n'est pas un hasard : j'y vois au contraire la marque du souci constant qui vous anime de placer au coeur de la politique sanitaire de notre pays les problèmes de sécurité. Monsieur le secrétaire d'Etat, soyez-en remercié. Je ne saurais oublier non plus le rôle joué par votre prédécesseur, qu'une dissolution impromptue a privé de la satisfaction de contribuer à l'achèvement d'un travail auquel il avait pourtant pris une part active. (Sourires.) Mais, rassurons-nous, il participera au débat sur ce texte en tant que député, le suffrage universel lui ayant été particulièrement clément !
Ces préalables étant posés, je ne reviendrai pas sur l'objet de la proposition de loi ou sur ses motivations, qui ont été parfaitement exposées par notre rapporteur.
Je pense comme lui qu'un système cohérent de sécurité sanitaire doit être fondé sur trois pôles, à savoir la veille, le contrôle des produits et l'évaluation médicale.
J'examinerai successivement, si vous le voulez bien, la construction retenue pour chacun de ces trois pôles.
Je commencerai par l'évaluation médicale. Si elle n'est certes pas le véritable sujet de notre discussion d'aujourd'hui, elle me conduira toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, à vous poser quelques questions qui, à mon sens, sont particulièrement d'actualité.
Si nous n'avons pas à débattre aujourd'hui de l'évaluation médicale, c'est que l'agence nationale chargée de cette mission a été créée par le gouvernement précédent à l'occasion de la prise des ordonnances réformant notre système de sécurité sociale.
Quand j'ai rédigé cette intervention, je n'avais pas encore lu, monsieur le secrétaire d'Etat, le texte de l'entretien que vous avez accordé au Monde. (Sourires.) Permettez-moi néanmoins de poursuivre, car je voudrais être sûr que l'ANAES, puisqu'il s'agit d'elle, a bien pour mission d'évaluer l'ensemble des activités médicales, diagnostiques et thérapeutiques non médicamenteuses, et disposera des moyens de le faire. Je voudrais aussi être certain que cette évaluation ne s'inscrira pas seulement dans la réforme des structures de notre système de santé et de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, mais contribuera également - oserai-je dire d'abord ? - à améliorer la qualité et l'efficacité des actes, ainsi qu'à mieux garantir la sécurité des patients.
En effet, il est bon de renforcer la sécurité des produits, comme nous nous y attachons aujourd'hui, mais encore faudrait-il, dans le même temps, se donner les moyens d'assurer la sécurité dans les établissements hospitaliers publics et privés. Or, à ce sujet, il y a lieu d'être inquiets, et vous avez sans doute, mes chers collègues, lu les conclusions, qui viennent d'être rendues publiques, d'une enquête qui montre que notre système hospitalier n'est pas exempt de critiques - c'est le moins que l'on puisse dire - et que des mesures appropriées doivent être prises d'urgence.
Je sais que vous y travaillez, monsieur le secrétaire d'Etat, et que vous allez mettre en oeuvre les décisions qui avaient été prises. Nous ne pouvons que nous en réjouir, tout en déplorant le retard accumulé et le temps perdu.
J'en viens maintenant au coeur de notre discussion d'aujourd'hui, avec l'examen du deuxième pôle, à savoir la veille sanitaire.
Le modèle américain, que nous avons découvert ensemble, monsieur le rapporteur, lors d'une mission récente aux Etats-Unis, doit nous montrer le chemin. De la même manière que les centers for disease control sont nés des disciplines épidémiologiques, l'Institut de veille sanitaire s'organisera autour du noyau dur que constitue aujourd'hui le Réseau national de santé publique. Il reste, comme vous l'avez fort bien dit, monsieur le rapporteur, que la veille sanitaire va bien au-delà de la seule épidémiologie.
Le directeur général de la santé, ici présent, rappelait devant notre mission d'information que la veille sanitaire s'organise autour de trois objectifs : observer, surveiller et alerter. Ces trois objectifs s'appliquent en outre à un champ bien plus vaste que celui de la maladie. L'un de nos amendements, qui vise à élargir au service de la promotion de la santé en faveur des élèves et à la médecine du travail le champ de la surveillance de l'institut, traduit cette volonté. Je veux croire, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous accepterez de le retenir.
Mais surtout - c'est là un thème que j'avais déjà eu l'occasion de développer devant la commission - la veille sanitaire n'est pas née ce matin. Il existe en France une multitude d'organismes, de droit public ou de droit privé qui participent à cette mission, sous des tutelles diverses et nombreuses. Ce foisonnement, en même temps qu'il reflète la complexité de la mission, contribue peut-être aussi à en embrouiller les contours et à en atténuer l'efficacité. Il entraîne en tout cas nombre de redondances.
L'Institut de veille sanitaire doit, après qu'on les aura répertoriés, mettre en réseau cette multitude d'organismes. Il devra intégrer ou associer tous ceux qui sont de statut public afin d'éviter une sédimentation institutionnelle aussi coûteuse qu'inefficace. Telle est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement visant à obliger le Gouvernement à établir, dans le délai d'un an, un rapport propre à permettre d'atteindre cet objectif.
L'Institut de veille sanitaire doit enfin, comme les deux autres pôles de notre système de sécurité sanitaire, contribuer, par ses travaux, à éclairer le ministre chargé de la santé, à qui seul appartient le soin de définir notre politique de santé publique et d'en coordonner les moyens d'action. Je reviendrai sur ce point fondamental. Là encore, notre groupe propose, par un amendement, de préciser cette obligation en ce qui concerne l'Institut de veille sanitaire.
Troisième pôle de la sécurité sanitaire, à la fois le plus important et le plus difficile à construire sur le plan institutionnel : le contrôle des produits.
J'étais et je reste favorable, je le dis sans ambages, au principe d'une agence unique. Si je vous ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne serai pas le seul de cet avis dans cette enceinte. J'estime, en effet, que les raisons invoquées pour retenir une autre solution sont malheureusement, le plus souvent, de mauvaises raisons.
Je le dis d'autant plus franchement que je comprends, malgré tout, les motifs qui ont conduit la commission, puis le Gouvernement - l'actuel comme le précédent - à retenir une autre solution. Je veux croire que nous franchissons aujourd'hui seulement une étape et que, à terme, l'unicité apparaîtra à tous comme le meilleur choix.
Un argument, à lui seul, aurait dû suffire, dès aujourd'hui, à nous convaincre tous. Deux intervenants pour un même métier, c'est, au mieux, le risque de l'intersection des compétences, c'est, au pire, laisser certaines catégories de produits à l'écart de tout contrôle ; je crains que ce ne soit ce qui se passera en réalité. C'est très précisément ce qui nous conduit aujourd'hui à substituer, pour l'exercice de la mission de contrôle des produits de santé, une seule agence aux trois agences qui existent à l'heure actuelle. La sécurité sanitaire aurait exigé, selon moi, que l'aliment n'échappât pas à cette logique.
Telle est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement visant à donner à la loi qui résultera de nos travaux une durée d'application de trois ans, à l'issue de laquelle le Parlement sera appelé de nouveau à se prononcer sur la base d'un rapport d'évaluation établi par le Gouvernement. Nous considérons que, dans ce délai, les mentalités, même administratives, peuvent évoluer.
Mais revenons donc sur l'examen des raisons qui vous sont, monsieur le secrétaire d'Etat et monsieur le rapporteur, devenues communes.
On me dit d'abord que le contrôle des produits de santé et celui des produits alimentaires n'ont pas le même objet. Dans un cas, celui des produits de santé, l'évaluation reposerait sur le rapport bénéfices-risques, tandis que dans l'autre, celui des produits alimentaires, le risque zéro doit être recherché. Je vois bien une différence de niveau d'exigence, je vois moins en quoi il s'agirait de deux métiers différents. On ajoute, à ce point de la démonstration, que le produit de santé est unique et son fabricant singulier tandis que le produit alimentaire s'inscrit dans une chaîne complexe. L'unicité du produit de santé est vraie pour ce qui concerne le médicament traditionnel. En revanche, que penser, par exemple, des thérapies cellulaires ? Or, nous sommes tous d'accord pour considérer que, quelle que soit la diversité des produits et de leur conception, la méthode de leur évaluation doit être unique et fondée sur les mêmes principes de rigueur.
On nous dit ensuite que la construction d'un outil administratif unique pourrait aboutir à la naissance d'un « mammouth » sanitaire, pour reprendre un mot qui est devenu très courant. Encore une fois, la future agence des produits de santé supposera, pour bien prendre en compte la diversité des produits, une départementalisation de son action. Le principe de départementalisation aurait pu être appliqué sans dommage à l'aliment et permettre, par une meilleure concentration de l'expertise, une plus grande synergie de l'action. Je suis convaincu que l'avenir me donnera raison. Je suis sûr qu'au fond d'eux-mêmes M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur pensent comme moi.
Mais ce qui donne raison à la prudence de leur démarche à laquelle, bon gré mal gré, je veux bien adhérer, c'est leur dernier motif, qui est pourtant, selon moi, le plus mauvais. C'est ce que M. le rapporteur appelle la complexité et la difficulté de mettre en oeuvre une réforme instituant une seule agence. Pour faire court, c'est ce que j'appellerai les résistances des administrations.
M. Charles Descours. Très bien !
M. François Autain. Je vous remercie, monsieur Descours.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nombre de vos amendements - je regrette de vous le dire, mais on peut être franc entre nous - en portent, hélas ! la marque. A chaque fois que nous le craindrons, nous vous le dirons lors de l'examen des articles. Mais, de grâce, monsieur le secrétaire d'Etat, comme l'a dit excellemment M. le rapporteur, aidez-nous à mettre fin à ces querelles de boutiques. Je suis sûr que si le Parlement ne s'était pas emparé de ce sujet, le Gouvernement, quel qu'il soit, ne serait pas parvenu à le traiter. (M. Descours applaudit.) N'est-il pas regrettable que le Parlement finisse par s'occuper de ce qui ne le regarde pas et par définir, à la place de l'exécutif, les modes d'exercice de la puissance publique ?
Puisqu'il faut parler encore de conflits d'administrations, tout cela est aussi, il faut bien le dire, un méchant problème de tutelle. L'agence unique, c'est, pour moi, une tutelle unique : celle du ministère de la santé, bien entendu. Imaginer aujourd'hui un tel modèle, c'est sans nul doute se bercer d'illusions. Tant pis pour les illusions ! Je n'en avais déjà pas beaucoup, mais en voilà une autre qui s'envole ! (Sourires.)
Voilà pour l'agence unique. Puisqu'il y a finalement deux agences, parlons de chacune d'entre elles.
J'examinerai tout d'abord l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé.
Disons-le clairement : si le texte doit rester dans l'état où la commission le présente, complété par les amendements qu'elle accepte, y compris les nôtres ! Les objectifs que poursuivent les auteurs de la proposition de loi seront parfaitement atteints.
Nous aurons enfin en France une instance unique d'évaluation de tous les produits de santé, disposant des prérogatives de police sanitaire propres à garantir au mieux la sécurité de nos concitoyens.
Nous aurons mis un terme au défaut majeur des réformes entreprises depuis 1992, qui ont contribué à la fois à confondre mission de planification sanitaire et contrôle des produits et à disperser cette mission de contrôle entre de trop nombreux acteurs - Agence du sang, Etablissement français des greffes, Agence du médicament - et à laisser hors de tout contrôle, trop longtemps, de trop nombreux produits.
S'agissant des dispositifs médicaux - je sais que je vais gratter là où cela fait un peu mal - je ne comprends pas bien les motifs de votre amendement, monsieur le secrétaire d'Etat. L'Union européenne n'a aucune compétence en matière sanitaire. Je ne vois pas, dans le contexte actuel, ce qui pourrait empêcher un gouvernement national de renforcer les exigences industrielles communautaires pour des raisons de santé publique. Le traité d'Amsterdam ne dit d'ailleurs pas autre chose en ce qui concerne le secteur alimentaire.
Je suis donc personnellement attaché - je ne vous le cache pas - au maintien du dispositif qui est proposé par la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. François Autain. Tout au plus - mais là, je fais appel à votre puissance de conviction, monsieur le secrétaire d'Etat - me laisserais-je convaincre par un régime déclaratif qui donnerait à l'Agence un droit d'intervention effectif et immédiat à chaque fois qu'il apparaîtrait nécessaire. En l'état, vos suggestions ne m'ont pas convaincu, je veux croire que la navette nous permettra de définir une solution commune.
Pour notre part, nous proposerons, en ce qui concerne l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, plusieurs amendements. Trois d'entre eux, qui sont, à mes yeux, les plus importants, tendent à définir plus précisément dans la loi les conditions de l'exercice du pouvoir de police sanitaire confié à l'Agence. Je veux croire que le dispositif complexe mais complet que nous suggérons sera retenu par la commission comme par le Gouvernement.
Un autre amendement vise à confier l'homologation des médicaments vétérinaires à l'Agence des produits de santé. Le médicament vétérinaire, c'est d'abord un médicament. Il reste que nous comprenons les motifs qui ont conduit M. le rapporteur à confier cette compétence d'homologation à l'agence alimentaire. C'est en fonction du débat sur cette Agence que nous nous déterminerons définitivement.
Enfin, un dernier amendement a pour objet de préciser les compétences des corps d'inspection de l'agence.
Sous ces réserves, qui, j'en suis sûr, sont partagées par la commission, le texte qui nous est proposé, monsieur le rapporteur, est pleinement satisfaisant. Nous aurons ainsi achevé, en ce qui concerne les produits de santé, une entreprise commencée en 1992. Je voudrais saluer ici ceux qui, tous les jours, assurent le fonctionnement de cette agence et contribuent chaque jour davantage à consolider sa réputation nationale et internationale. Mes compliments s'adressent à tout le personnel et en tout premier lieu au directeur général de l'agence. Ils vont aussi au personnel de l'Agence du sang et à celui de l'Etablissement français des greffes comme à leurs dirigeants. Il appartiendra à ces deux établissements, dont les missions sont redéfinies, de poursuivre la tâche exaltante qu'ils ont engagée depuis plusieurs années.
J'en viens maintenant à l'Agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires. La preuve, monsieur le rapporteur, que le modèle de l'agence unique était meilleur bien que, aujourd'hui, nous craignions, comme vous, que la structure bicéphale ne conduise à remettre en cause purement et simplement la création d'un pôle de contrôle des produits alimentaires.
Au fond, le vrai débat n'est pas seulement de savoir s'il faut une ou deux agences. Il est aussi, puisqu'il y en a deux, de garantir, pour l'une comme pour l'autre, leurs moyens d'action.
MM. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, et Claude Huriet, rapporteur. Très bien !
M. François Autain. Or, en aucun cas, les prérogatives de police sanitaire de l'une et de l'autre de ces deux structures ne seront comparables. Que pour le moins les choix, que certains jugeront timides mais que je reconnais pragmatiques, faits par la commission ne soient surtout pas remis en cause.
Si, comme je l'espère, tel était le cas, nous aurions alors franchi, dans le domaine alimentaire, une première étape, qui devra être vite suivie par d'autres si nous voulons réaliser pleinement nos objectifs, monsieur le rapporteur. Vous pouvez compter sur mon soutien dans un avenir que je souhaite le plus proche possible.
Là encore, l'actualité nous démontre l'urgence de notre démarche. Les conséquences dramatiques de la lystériose, mais aussi les rumeurs qui courent dans une certaine presse, je veux parler de La Lettre de l'Expansion, sur de nouveaux cas de fraudes concernant la viande de boeuf, devraient faire tomber, au plus vite, les murs de nos bastilles administratives.
Pour sa part, le groupe socialiste proposera un seul amendement, qui reprend une préoccupation déjà exprimée tout à l'heure en ce qui concerne la veille sanitaire : éviter la sédimentation institutionnelle. Notre collègue Charles Descours a déposé un amendement voisin ayant le même objet. M. le rapporteur nous dira vers lequel son choix l'a porté.
J'en viens, rapidement, puisque j'évoquerai de nouveau ce sujet lors de la discussion des articles, au Conseil national de sécurité sanitaire institué par l'article 7. Notre groupe n'a pas proposé de le supprimer. Je reste toutefois convaincu, à titre personnel, qu'il ne revient pas au législateur de créer des comités interministériels et qu'il lui revient encore moins d'en désigner les participants. Je crains, toujours à titre personnel, qu'en ayant insuffisamment précisé sa mission de coordination on ne porte ainsi préjudice à la coordination elle-même. J'y reviendrai plus longuement lorsque nous examinerons l'article 7. Sachez seulement, monsieur le secrétaire d'Etat, que, pour moi, sans aucun doute, cette mission de coordination, c'est à vous qu'elle incombe, à vous seul. En tout cas, l'histoire récente a prouvé que c'est à vous que seront demandés des comptes. Alors, comme de toute façon vous assumez des responsabilités, autant les exercer.
J'en arrive, pour finir, aux dispositions diverses. J'ai déjà exposé les remarques qu'appelaient les dispositions relatives aux dispositifs médicaux et à la réorganisation de la transfusion sanguine.
Notre groupe proposera sur les autres articles plusieurs amendements d'inégale portée. C'est ainsi que, à l'article 10, nous vous suggérerons de favoriser une plus grande continuité d'action de l'Etablissement français des greffes.
C'est ainsi qu'à l'article 11 nous vous suggérerons, pour répondre au voeu de la commission, de préciser le statut des produits thérapeutiques annexes. C'est ainsi également que, après l'article 11, et pour répondre là encore au voeu de la commission, nous proposerons un statut des produits de nutrition clinique.
Ces deux dernières dispositions contribueront, je l'espère, à parfaire encore la définition du champ d'intervention de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé.
Pour conclure, mes chers collègues, si le texte issu de nos travaux répond aux conditions que j'ai posées, qu'aurons-nous fait exactement ?
Nous aurons d'abord établi définitivement l'architecture générale de notre système de sécurité sanitaire. Nous aurons ensuite achevé la construction de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé. Nous aurons également jeté les bases d'un réseau serré de veille sanitaire. Nous aurons enfin esquissé les contours d'une Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Rien de plus, mais rien de moins. En tout cas, c'est beaucoup pour une seule proposition de loi que nous devons à l'action de M. le rapporteur et au soutien constant dont il a bénéficié de la part tant du président que de l'ensemble des membres de la commission des affaires sociales.
Je ne saurais omettre enfin le rôle du Gouvernement, qui a manifesté sa volonté politique dès la première heure : le Premier ministre, Lionel Jospin, a en effet indiqué dans la déclaration de politique générale du Gouvernement tout l'intérêt qu'il portait à la sécurité sanitaire.
Vous avez bien compris, mes chers collègues, que le problème est de savoir non pas s'il y aura une ou deux agences, mais si ces dernières disposeront des moyens pour fonctionner.

Telles sont toutes les raisons qui conduiront le groupe socialiste à voter cette proposition de loi. (Applaudissements.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui entend répondre aux inquiétudes de nos concitoyens qui ont vu se succéder depuis quelques années des événements largement cités ici aux conséquences parfois dramatiques dans le domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire.
D'ailleurs, M. Claude Huriet n'ouvrait-il pas son rapport de mission en indiquant que « l'histoire nous enseigne très souvent que la législation progresse réellement à la faveur des crises » et en rappelant, comme il l'a fait tout à l'heure, que la création du ministère de la santé fut décidée en France en 1920, après l'épidémie de grippe espagnole qui fit de 20 à 40 millions de morts dans le monde ?
Ainsi, après ce qui a été, hélas ! appelé les affaires du sang contaminé, ont été engagées des réformes, notamment la création de trois établissements, sous forme d'établissement public : l'Agence du médicament, l'Agence française du sang, puis, plus tard, l'Etablissement français des greffes.
Depuis, d'autres événements sont intervenus : l'affaire des hormones de croissance, l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'amiante entre autres ont encore frappé l'opinion et motivé la création de la mission sénatoriale à laquelle fait suite la proposition de loi dont nous parlons aujourd'hui.
C'est mon amie Jacqueline Fraysse-Cazalis, élue depuis à l'Assemblée nationale, qui a participé, pour le groupe communiste républicain et citoyen, aux travaux de cette commission, dont la qualité est évidente et n'est mise en cause par personne.
Le très important et intéressant rapport publié à l'issue de cette mission a dressé le constat de l'insuffisance des règles de contrôle destinées à garantir la sécurité sanitaire des produits à finalité sanitaire, hors médicaments et produits sanguins : ce peut être, par exemple, les compléments nutritionnels, les lentilles de contact colorées, les produits en cosmétologie, les xéno-greffes. Il a fait un constat similaire sur les produits alimentaires.
Dans le droit-fil des conclusions de cette mission, les auteurs de la proposition de loi se sont fixé l'objectif de mettre en place un système plus large et plus cohérent visant à se doter « d'une action de l'Etat en matière sanitaire adaptée à l'évolution des techniques et à celles des mentalités ».
Nous ne pouvons que souscrire à de tels objectifs.
J'ai lu, comme d'autres ici sans doute, le livre-enquête d'Aquilino Morelle sur les différentes affaires du sang contaminé. J'y ai trouvé quelques éléments de réflexion : ainsi, les grandes crises sanitaires sont dues non pas au manque d'information mais à la faiblesse de la santé publique - Aquilino Morelle parle de « faillite de la santé publique » - laquelle tient à l'insuffisance criante des effectifs, des moyens matériels, de la capacité d'expertise, de la légitimité même de l'administration de la santé.
Je souscris donc évidemment à vos propos, monsieur le secrétaire d'Etat, quand vous dites que les drames récents ont révélé un besoin d'intervention croissant de l'Etat pour assurer la protection sanitaire de la population.
A mon sens, ces considérations auraient mérité un large débat sur les missions de santé publique de l'Etat qui vont bien au-delà des questions de sécurité sanitaire et alimentaire dont nous traitons aujourd'hui.
Nous espérons d'ailleurs que les états généraux de la santé envisagés par le Gouvernement ne viseront pas seulement les dépenses de santé et auront l'ambition d'un réel débat national sur l'ensemble des questions de santé.
Ces considérations auraient mérité également la mise à plat des dysfonctionnements des différents services de l'administration, des besoins de coordination, etc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez vous-même proposé à la conférence de la santé, au mois de juillet, de « chercher à simplifier les structures du ministère de la santé ». La création des institutions qui nous est proposée aujourd'hui va obliger à ce travail d'« expertise » qu'il aurait été préférable d'effectuer auparavant.
Evidemment - j'en conviens - la proposition de loi vise à mettre en place un système plus large et plus cohérent que le système actuel.
Elle prévoit, pour garantir le contrôle des produits, la création de deux institutions : d'une part, l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, chargée du contrôle de la sécurité de ces biens et constituée à partir de l'actuelle Agence du médicament ; d'autre part, l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, qui veillera au domaine alimentaire.
Il nous est en outre proposé la mise en place de l'Institut de veille sanitaire chargé d'effectuer la surveillance de l'état de santé de la population et d'alerter les pouvoirs publics.
Je tiens à vous faire part de quelques préoccupations : ces propositions s'inscrivent dans la continuité des mesures prises depuis le début des années quatre-vingt-dix - tout le monde s'accorde à le dire - avec notamment la création de l'Agence française du sang puis celle de l'Agence du médicament.
Avec l'Agence du médicament, chargée du contrôle des médicaments et des autorisations de mise sur le marché, il s'agissait de créer une structure autonome par rapport à l'autorité politique, se déterminant en fonction de critères exclusivement sanitaires. Cette agence constituait, pour une part, une réponse à certains des problèmes mis en évidence lors de la crise du sang contaminé, en particulier la confusion entre impératif politique, impératif économique et impératif sanitaire.
Pour ce faire, l'Agence se voyait confier des missions jusqu'ici attribuées aux services du ministère de la santé. Par son statut, elle pouvait faire appel à des non-fonctionnaires afin de bénéficier des meilleurs experts dans chaque domaine.
Pour son fonctionnement, elle bénéficiait, outre de subventions publiques, de ressources affectées, taxes et redevances.
Le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat n'avait pas, en son temps, approuvé la création de ces agences.
Nous craignions alors un poids plus grand des intérêts privés, notamment pharmaceutiques, au sein de la nouvelle structure.
Nous estimons que les missions de l'agence sont d'abord de la compétence de l'Etat et doivent donc rester pour l'essentiel au sein du ministère de la santé, ce qui, bien entendu, renvoie aux moyens dont ce dernier dispose.
Or, les insuffisances des moyens étaient essentiellement dues à des choix gouvernementaux, réduisant les budgets en matière de santé et de prévention, remettant en cause des missions de service public.
Les dérives que l'on a connues sont, à notre avis, liées au trop grand poids des intérêts privés et des forces économiques qui imposent leurs règles, quelles qu'en soient les incidences éthiques. Or, il nous semblait que la création d'agences n'écartait pas ces risques.
Ainsi, le directeur de l'Agence du médicament prend bien ses décisions au nom de l'Etat ; mais comment ne pas voir qu'il y a une implication plus forte des industriels dans la décision puisque plusieurs personnes liées à l'industrie pharmaceutique siègent en tant que personnalités qualifiées au sein du conseil d'administration ?
N'y a-t-il pas un risque dans la baisse toujours plus importante des subventions d'Etat dans le budget de l'agence, laquelle est de plus en plus dépendante des taxes et redevances perçues sur l'activité de l'industrie pharmaceutique ?
Bien sûr, nous devons reconnaître que, à la lumière de l'expérience, nos craintes ne se sont pas confirmées. Il semble qu'aucune critique n'ait été émise sur les décisions prises depuis 1993 par le directeur de l'agence.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ah ! Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Bien !
Mme Nicole Borvo. Il est vrai également que la création de l'Agence du médicament a permis d'accroître les moyens destinés à la sécurité sanitaire dans son domaine : ses effectifs sont ainsi passés de 200 personnes dans les directions concernées de l'administration à 500 aujourd'hui, mais - je tiens à le souligner - avec seulement 10 % de fonctionnaires.
Pourtant, vous le savez, le statut de la fonction publique, qu'il est de bon ton de décrier, reste le meilleur atout de l'indépendance des agents, même par rapport aux pouvoirs politiques.
Rien n'indique en outre que l'administration n'aurait pu améliorer son action. Avec une telle augmentation de moyens - ils ont été multipliés par plus de deux - il n'est d'ailleurs pas prouvé qu'en matière d'efficience, c'est-à-dire de rapport coût-efficacité, on obtienne réellement de meilleurs résultats avec les agences.
Plus largement, nous sommes réservés sur les principes mêmes que les auteurs de la proposition de loi ont fixés pour la politique de santé et qui justifient la création des agences : concentrer « les missions du ministère de la santé autour de la définition de la politique de santé et de la préparation de la réglementation », peut-on lire dans le rapport de la mission d'information.
Cette évolution nous inquiète, car elle se place parfaitement dans le cadre de la réforme de l'Etat que les gouvernements précédents souhaitaient mettre en oeuvre en vue de passer de notre système spécifique de fonction publique et de droit administratif à un système inspiré particulièrement du modèle américain. Certes, une modernisation de l'intervention de l'Etat est nécessaire, mais celui-ci doit garder ses missions de contrôle propres à notre système de droit français.
En tout état de cause, l'organisation de la surveillance sanitaire doit disposer d'une réelle légitimité scientifique et d'une autorité de contrôle totalement indépendante et experte. Nous souscrivons totalement à ces principes. Il ne peut y avoir de confusion de genre entre la garantie de la sécurité et la coordination de l'activité des producteurs, des distributeurs, des consommateurs.
A ce sujet, le rapport de Claude Huriet avait indiqué que tel n'était pas le cas de l'Agence française du sang, qui était chargée à la fois de garantir la sécurité sanitaire et de coordonner l'activité des établissements de transfusion sanguine. Le texte actuel semble remédier à ces problèmes.
En ce qui concerne les produits alimentaires, la création de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments serait rendue indispensable d'abord pour coordonner les moyens des trois ministères concernés que sont le ministère de la santé, le ministère de l'agriculture et le ministère de l'économie et des finances.
Si cette agence permet effectivement de pallier les insuffisances de coordination entre les ministères, elle peut constituer une avancée notable. Mais est-il vraiment nécessaire de créer une nouvelle structure pour cela ?
Un autre argument a été avancé en faveur de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, à savoir le souci que ce soit non pas « le risque encouru par l'animal qui devrait seul être pris en compte, mais celui que prend l'homme en consommant un produit d'origine animale ». Nous partageons ce souci.
Je suis moins convaincue par un autre argument de M. le rapporteur selon lequel la création de l'agence permettrait de résoudre le problème de l'insuffisance d'indépendance des contrôles. J'ai expliqué pourquoi à propos de la première agence.
En outre, je ne suis pas sûre, pour prendre l'exemple de la crise de la « vache folle », qu'il y ait eu réellement défaillance du service public et des services du ministère de l'agriculture. S'agit-il en effet d'abord d'un défaut d'expertise ou bien plutôt, comme je le pense, d'un conflit entre l'intérêt économique et l'intérêt de la population ?
En ce sens, je pense que nous pouvons apprécier, dans la proposition de loi concernant l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, que les agents contractuels non seulement soient tenus au secret, mais aussi et surtout qu'ils ne puissent pas « eux-mêmes ou par personnes interposées avoir dans les établissements en relation avec l'agence aucun intérêt de nature à compromettre leur indépendance ». Ce dispositif pourrait utilement être applicable aux personnalités qualifiées siégeant au conseil d'administration de l'Agence.
Enfin, en ce qui concerne la troisième structure préconisée par la présente proposition de loi, l'Institut de veille sanitaire, nous ne pouvons, là encore, que partager les objectifs affichés.
Mais est-il vraiment nécessaire de créer un organisme de plus avant de chercher une meilleure utilisation de ce qui existe déjà ?
En termes de santé publique, l'observation est capitale. Or, en 1993, a été créé le haut comité de santé publique, dont le premier rapport, souligné de façon très positive, a été présenté en 1994. En 1996, on a créé une instance nouvelle, la conférence nationale de santé. N'y a-t-il pas déjà juxtaposition d'instances ?
Vous avez souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'institut proposé aujourd'hui soit chargé de veille épidémiologique. Pourtant, ses missions sont d'emblée plus larges et recoupent celles de nombreux organismes existants : l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, les observatoires régionaux de la santé, qui se sont coordonnés nationalement, le Centre d'études supérieures industrielles, le CESI, et d'autres encore...
Quelle autorité et quelle légitimité aura l'institut par rapport à ces organismes ?
Vous le voyez, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'Etat, notre groupe se pose de nombreuses questions et, même s'il partage les objectifs du texte qui nous est soumis, il ne peut se dispenser de faire quelques réserves. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a parfois, dans la vie parlementaire, des sujets d'intérêt général qui dépassent les clivages politiques et qui permettent de rassembler de bons esprits autour de dossiers longuement étudiés, pour des motifs qui sont essentiels au fonctionnement de la société dans laquelle nous vivons.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui nous donne l'occasion de l'un de ces rares moments où nous pouvons, d'un bord à l'autre de cet hémicycle, nous déclarer d'accord sur les objectifs, quitte à discuter sur certains moyens, et nous efforcer de travailler ensemble avec le Gouvernement pour transformer, réformer et améliorer le fonctionnement de notre politique de santé.
J'interviens à cette tribune au nom du groupe des Républicains et des Indépendants, mais, en ma qualité de président de la commission des affaires sociales du Sénat, je tiens à remercier le Gouvernement d'avoir inscrit la discussion de cette proposition de loi dans le calendrier de la session extraordinaire. C'est là une novation : il est en effet très rare de discuter d'une proposition d'origine parlementaire au cours d'une session extraordinaire. Ce geste marque, à mes yeux, tout l'intérêt que le secrétaire d'Etat à la santé vient de renouveler à l'égard de cette proposition de loi sur la réforme de l'organisation sanitaire.
Voilà cinq ans, en effet, M. Kouchner l'a rappelé, que nous travaillons sur ce sujet. Au cours de ces années, nous avons élaboré un certain nombre de propositions et de textes et nous avons entendu, à cette occasion, s'exprimer beaucoup de réserves. Nous avons vu se dessiner quelques sourires de-ci, de-là. Mais cela ne nous a pas découragés et nous avons poursuivi notre travail, sûrs que nous étions que la concertation très large à laquelle nous nous sommes livrés permettrait de parvenir à de bons résultats.
Les drames sanitaires que chacun a rappelés, les difficultés dues à l'imbrication des structures, mais aussi les conséquences financières pour le budget de l'Etat de l'absence de prévision et de coordination - difficultés considérables : songez à l'indemnisation des hémophiles transfusés - nous ont poussés à proposer une réforme d'ensemble du mécanisme, après nous êtes rendus à l'étranger pour y étudier les systèmes en place.
Nous nous sommes également inspirés des recherches conduites de manière très efficace par nos excellents collègues Charles Descours et Claude Huriet, qui viennent de présenter le texte de la proposition de loi.
Quel est le défaut majeur de nos structures nationales ? Il n'a pas changé depuis Vercingétorix : c'est le cloisonnement. Chacun, dans son petit pré, fait son petit boulot. S'il s'en acquitte en général d'ailleurs bien, la transmission des renseignements d'un pré à l'autre et la coordination d'ensemble n'existent pas.
L'addition de ces activivités cloisonnées donne évidemment des totaux prestigieux, sauf que l'efficacité n'est pas à la mesure du chiffre final.
Pour tenter de répondre à ce problème de cloisonnement, la proposition de loi présentée par M. Huriet suggère un système composé d'un institut de veille sanitaire, de deux agences et d'un comité interministériel.
J'ai naturellement entendu les propos tenus tout à l'heure par MM. Autain et Kouchner. J'avais auparavant suivi, monsieur le secrétaire d'Etat, les débats qui ont été menés au sein du Gouvernement. Pour un esprit cartésien, il était clair qu'une agence était préférable à deux et qu'une grande agence chargée du contrôle non seulement des produits de santé, mais également des produits alimentaires, aurait constitué la meilleure solution.
Mais nous avons constaté nous-mêmes aux Etats-Unis que la fameuse agence unique n'existait pas et qu'il y avait même des secteurs importants pour lesquels un tel système ne fonctionnait pas. Il est vrai que cela est peu connu de l'administration française !
Comme nous sommes au Sénat et que nous sommes sages, nous n'avons pas voulu bouleverser le paysage ni déplaire aux nombreux chefs de bureau qui protègent leurs attributions. Et Dieu sait si nous en avons dans notre pays : nous en avons même beaucoup plus que la moyenne européenne ! C'est la raison pour laquelle nous avons été conduits à opter pour deux agences.
J'ai cependant noté un phénomène très particulier, spécifique à la France et que nous n'avons trouvé ni aux Etats-Unis, ni en Allemagne, ni en Grande-Bretagne, ni aux Pays-Bas, ni au Danemark, ni nulle part hors de chez nous : c'est le fait que les administrations centrales s'estiment dépossédées si l'on confie des pouvoirs importants à des agences, bien que ce soient des établissements publics placés sous leur tutelle. Ainsi, quand on regarde vivre l'administration française, on a l'impression que le problème de la tutelle de l'administration centrale sur l'agence est plus important que celui de l'observation et de la surveillance de ce qui se passe sur le terrain, dans le pays, avec les producteurs, avec les distributeurs, avec les transformateurs, avec tous ceux qui s'occupent de médicaments, de produits agricoles, de produits alimentaires, etc.
Mais le problème ne se pose qu'en France : aux Etats-Unis, l'administration de la santé, qui ne dispose - M. le secrétaire d'Etat le sait - que de très peu de personnel, a compétence sur des agences très puissantes. Mais jamais le secrétaire à la santé n'a considéré qu'il était dépossédé parce que des agences puissantes avaient, par délégation d'un membre du Gouvernement, un certain nombre de pouvoirs !
Les agences dont nous proposons la création seront des établissements publics de l'Etat, placés sous tutelle ministérielle. Ce ne seront pas des autorités administratives extérieures ou des académies indépendantes ou inamovibles : elles seront responsables et exerceront les pouvoirs de police qui, nous le pensons, peuvent leur être délégués.
Monsieur le secrétaire d'Etat, souvenez-vous : lorsque nous avons créé ensemble - déjà complices ! - l'Agence du médicament, un grand débat s'est instauré pour savoir s'il était concevable, dans notre pays, au XXe siècle, qu'un ministre puisse déléguer à un directeur d'agence une autorisation de mise sur le marché d'un médicament. Comme si un ministre réputé omniscient était qualifié pour délivrer l'ensemble des autorisations, comme si un maire également omniscient devait délivrer lui-même toutes les licences, tous les papiers concernant l'ensemble des pouvoirs qu'il peut exercer !
Je crois - Mme Borvo vient de le dire, et j'ai noté ses propos avec intérêt - que les décisions de l'Agence du médicament n'ont pas suscité de grandes difficultés depuis cinq ans. La réforme que nous proposons poursuit en ce sens : elle fédère, elle coordonne, elle donne des moyens.
Il est clair que ces moyens qui devront être donnés aux agences - moyens humains, moyens en matière de qualité, en matière d'expertise - devront être renforcés pour que le système fonctionne.
Toutefois, les agences doivent être dotées d'un pouvoir de décision car je pense que, de cette manière, nous parviendrons à préserver leur indépendance et à les faire fonctionner dans de bonnes conditions.
Il me reste un dernier mot à dire : si nous avons opté pour deux agences, ce n'est pas en pensant que l'une fonctionnerait bien et que l'autre serait un faux semblant. Par conséquent, lorsque nous proposerons deux agences avec des spécificités différentes - tout à l'heure, lors de l'examen des articles, des amendements tendront à préciser les pouvoirs et les modalités de fonctionnement de chacune de ces agences - il ne s'agira pas d'inventer une structure dénommée « Agence des produits alimentaires » qui n'aurait aucune utilité et qui serait complètement inadéquate par rapport aux objectifs de contrôle que nous voulons mettre en oeuvre.
Nous sommes favorables à la mise en place de deux vraies agences ! C'es la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai le regret de vous dire que, bien entendu, nous soutiendrons la commission des affaires sociales lorsqu'elle s'opposera à un certain nombre d'amendements du Gouvernement, au travers desquels nous sentons poindre la tendance que nous avons déjà vu poindre il y a cinq ans déjà et qui consiste à dire : « Attention à ne pas dessaisir tel ou tel chef de service, tel ou tel directeur en conférant leurs pouvoirs à une agence. » Non ! mes chers collègues, tout cela est dépassé. Il faut, me semble-t-il, nous mettre au diapason de l'Union européenne, de la mondialisation de notre économie, de la protection des citoyens.
J'ai noté avec intérêt que, m'exprimant au nom de mon groupe, je suis parvenu à peu près aux mêmes conclusions que M. Autain tout à l'heure : il est nécessaire de mettre en place deux vraies agences, avec de vrais pouvoirs. Cela nous vaudra sans doute quelques discussions tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, lorsque nous aborderons la discussion des articles !
Bien entendu, je partage votre thèse sur l'inexistence du risque zéro. Nous aurons sans doute à nous pencher ensemble - je sais que MM. Huriet et Descours y réfléchissent de leur côté - sur le problème de l'aléa thérapeutique, problème très complexe. Mais, là, nous aurons une opposition - et un conflit certainement difficile - non pas entre les administrations centrales et les agences, mais entre le milieu des assurances et les défenseurs des deniers publics.
Il est clair - la presse vient d'ailleurs de diffuser des articles à ce sujet - que les risques qu'encourent nos concitoyens devant un certain nombre de dysfonctionnements dans certains établissements hospitaliers mal dotés en moyens et en personnels vont nous obliger à réfléchir rapidement au problème de la couverture de l'aléa thérapeutique.
Mais cela fait partie d'une longue évolution ! Nous avons déjà commencé sous la pression de l'affaire du sang contaminé, qui a été une sorte de bombe dans l'organisation administrative et politique de notre pays. Nous avons continué en essayant d'étendre une réglementation rigoureuse à tous les produits de santé, et nous sommes déjà bien au-delà du domaine du médicament. La compétence de la première agence que nous proposons va d'ailleurs très au-delà des simples problèmes de médicaments !
Nous essayons de créer aujourd'hui une structure pour le contrôle des produits alimentaires. Mais nous serons bien obligés de régler le problème de la protection des aléas thérapeutiques ! C'est une longue évolution, qui tient compte des mutations considérables que connaît notre société.
Le Parlement doit être le catalyseur de ces préoccupations et, dans un dialogue constructif avec le Gouvernement et ses administrations, il doit essayer constamment de faire le point de cette catalyse et de cette recherche afin d'améliorer la société dans laquelle nous vivons.
La proposition de loi qu'a excellemment défendue M. Claude Huriet va dans ce sens. C'est la raison pour laquelle mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants l'appuieront et la voteront. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi aujourd'hui soumise à notre examen est un texte dont l'importance mérite d'être soulignée.
Cette proposition de loi est en effet le prolongement législatif du rapport élaboré par notre collègue Claude Huriet dans le cadre de la mission d'information sur la veille sanitaire, présidée par M. Charles Descours, mission à laquelle j'ai participé avec beaucoup d'intérêt.
Les conclusions de ce rapport, excellemment documenté et écrit, nous ont montré combien la sécurité sanitaire des biens de santé et des produits alimentaires n'était pas garantie et la veille sanitaire pas assurée.
Il était donc urgent de réagir rapidement et de prendre les mesures nécessaires.
Le texte que nous examinons marque un réel progrès puisqu'il tend à améliorer notre dispositif de sécurité sanitaire, jusqu'alors inadapté. C'est la raison pour laquelle j'ai été heureux d'en être l'un des cosignataires.
En effet, il existe aujourd'hui un indéniable danger, et le sentiment d'insécurité que ressentent nos concitoyens ne cesse de s'accroître.
En dépit des réformes effectuées depuis 1992 - création de l'Agence du médicament, de l'Agence du sang et de l'Etablissement français des greffes - la veille sanitaire est mal coordonnée et les procédures d'alerte sont insuffisantes.
De trop nombreux drames sont malheureusement là pour nous rappeler les multiples lacunes de notre système.
Il est évident que ces drames ne doivent pas se reproduire à l'avenir. Il est de notre devoir et de notre responsabilité de mettre fin à cette situation que je qualifierai d'intolérable.
Qu'il s'agisse de l'amiante, de l'encéphalopathie spongiforme bovine ou, plus récemment, de l'épidémie de listériose provoquée par la consommation de certains fromages, les Français sont trop souvent victimes de l'insuffisance de la protection sanitaire.
A ce propos, je souhaite vous faire part de mon indignation : il me paraît aujourd'hui inacceptable qu'une personne puisse être malade ou mourir parce qu'elle a consommé un aliment.
Malheureusement, l'actualité vient récemment de nous en donner une nouvelle illustration. L'épidémie de listériose provoquée par des fromages normands a fait plusieurs victimes avant d'être circonscrite, alors qu'elle avait été détectée au mois d'avril dernier.
La situation est également inquiétante pour ce qui concerne les biomatériaux. En effet, des études ont démontré que beaucoup de matériaux implantés dans le corps humain subissaient des dégradations prématurées, et ce en raison d'erreurs dans le choix de la conception ou de la mauvaise qualité des matériaux.
J'insiste donc sur l'impérieuse nécessité d'entreprendre sans plus tarder la mise en place des nouvelles structures qui nous est proposée dans ce texte, c'est à dire un Institut de veille sanitaire, une Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, une Agence de sécurité sanitaire des aliments et un Conseil national de la sécurité sanitaire.
Parce qu'elle tend à améliorer la cohérence et l'efficacité du système, cette proposition de loi nous tient tous - je l'espère - particulièrement à coeur.
En février dernier, alors que nous débattions déjà de ce sujet, le secrétaire d'Etat chargé de la santé et de la sécurité sociale de l'époque avait exprimé l'accord du Gouvernement pour réformer l'administration sanitaire.
Aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis très heureux de constater que vous nous assurez également de votre soutien. Le Sénat peut en être fier.
C'est, j'en suis sûr, au travers de cette ambitieuse réforme que nous pourrons donner à l'Etat les moyens de garantir la sécurité sanitaire en France.
Comment, dès lors, ne pas y souscrire par un vote favorable ? Notre excellent rapporteur, notre collègue Claude Huriet, nous y incite.
C'est cette voie que suivront, dans leur grande majorité, les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen en votant cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui constitue, en matière de veille et de sécurité sanitaires, une réforme ambitieuse et nécessaire qui correspond à l'attente de l'ensemble des acteurs de la prévention des risques menaçant la santé humaine.
Le texte qui nous est soumis est issu des travaux de la mission d'information chargée de déterminer les conditions du renforcement de la veille et de la sécurité sanitaires, dont la mise en place a été souhaitée par la commission des affaires sociales du Sénat. Le rapport de cette mission, présidée par notre excellent collègue Charles Descours, a été adopté par la commission des affaires sociales le 29 janvier 1997.
Un large consensus étant apparu sur les conclusions de ce rapport, les présidents de tous les groupes de la majorité sénatoriale, le président de la commission des affaires sociales, les sénateurs de la majorité sénatoriale membres de la mission d'information, MM. Charles Descours et Claude Huriet ont donc souhaité que soit rapidement proposée une réforme les mettant en oeuvre.
A cet effet, la présente proposition de loi a été déposée le 22 avril 1997 par MM. Descours, Huriet et onze de nos collègues de la majorité sénatoriale.
Je souhaite rendre hommage aux auteurs de ce texte non seulement pour leur souci de renforcement de la prévention des risques sanitaires, mais aussi pour le caractère global, cohérent et rationnel de la réforme des structures de l'administration sanitaire qu'ils proposent.
Les travaux de la commission des affaires sociales ont encore contribué à l'amélioration d'un texte déjà remarquable et novateur, et il convient, à ce propos, de souligner la qualité des conclusions de son rapporteur, notre éminent collègue Claude Huriet.
Le texte soumis pour avis à la commission des affaires économiques et du Plan, dont je suis membre, a ainsi recueilli en son sein un large assentiment, ce dont je me suis félicité non seulement comme sénateur, mais aussi comme vétérinaire. Praticien libéral mais aussi ancien vétérinaire-inspecteur des abattoirs, j'ai en effet été sensibilisé à l'attente d'une telle réforme dans laquelle on retrouverait tous les acteurs de la filière animale de l'alimentation humaine : pouvoirs publics, administration sanitaire, éleveurs, vétérinaires et consommateurs.
Sans mésestimer, loin s'en faut, les aspects de la présente proposition de loi concernant la création d'un Institut de veille sanitaire et l'institution d'une Agence de sécurité sanitaire des produits de santé ou d'un Conseil national de sécurité sanitaire, je souhaite revenir plus particulièrement sur la création de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, sur laquelle notre commission des affaires économiques a été saisie.
Tout d'abord, la création de cette Agence de sécurité sanitaire des aliments me semble parfaitement s'inscrire, en raison du domaine spécifique qu'elle vise, dans l'architecture générale du dispositif de réforme de l'administration sanitaire proposé.
Ce dispositif présente l'avantage de la clarté, de la lisibilité, et la répartition des champs de compétence entre les différentes institutions créées introduit un système cohérent, global, qui permettra plus efficacement la détection et la prévention des risques sanitaires connus ou encore inconnus pour l'ensemble de nos concitoyens.
Concernant donc plus particulièrement le contrôle de la sécurité sanitaire des aliments, la création d'une agence ad hoc et la définition de ses missions, telles qu'elles ressortent de la présente proposition de loi, me semblent très largement satisfaisantes.
L'Agence de sécurité sanitaire des aliments, établissement public de l'Etat placé sous la tutelle des ministres en charge de la santé, de l'agriculture et de la consommation, aura un rôle essentiel et clairement défini qui contribuera à assurer la sécurité sanitaire en matière alimentaire pour garantir au mieux la santé humaine.
Dotée d'un pouvoir d'autosaisine, capable de formuler des recommandations aux pouvoirs publics, son expertise technique sera à la disposition des services de l'Etat, qui aura en cette agence un auxiliaire précieux et compétent.
L'ensemble de ses missions couvrira le domaine de l'alimentation et elle exercera notamment un rôle de coordination de la coopération scientifique européenne et internationale, un rôle d'élaboration et de mise en oeuvre de la législation relative à la sécurité sanitaire des aliments, un rôle de définition des systèmes de vigilance en matière d'aliments, un rôle de surveillance des contrôles réalisés par les services compétents mais aussi un rôle consultatif sur certains projets de textes réglementaires concernant les denrées alimentaires.
Pour assurer toutes ces missions, je crois qu'il serait grandement souhaitable et sage de s'en tenir à un principe élémentaire, qui devrait garantir le bon fonctionnement du nouveau système qui nous est proposé, à savoir la mise en adéquation des compétences des agents avec les nouvelles tâches qu'ils devront assumer.
Ainsi, de la même façon que, pour l'exercice des contrôles exigeant une compétence pharmaceutique, les inspecteurs de l'agence devront être titulaires du diplôme de pharmacien ou que, pour les recherches biomédicales, la qualité de médecin sera requise, il me semble logique que le contrôle du médicament vétérinaire relève de la compétence de ceux qui ont reçu une formation spécialisée dans ce domaine particulier, à savoir les docteurs vétérinaires eux-mêmes.
M. Claude Huriet, rapporteur. C'est évident !
M. Dominique Braye. C'est ce souci d'adéquation des compétences avec les nouvelles missions à assumer, pour assurer la meilleure protection des consommateurs, qui a guidé et motivé tous les amendements que j'ai déposés avec certains de mes collègues.
Ainsi, la proposition de loi prévoit de confier à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments la délivrance des autorisations de mise sur le marché en matière de médicaments vétérinaires, compétence propre, jusqu'à présent, de l'Agence nationale du médicament vétérinaire, l'ANMV, au sein du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, le CNEVA.
Concernant ce transfert de compétence, est apparu, je dois le reconnaître, un point de désaccord entre la commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques, saisie pour avis.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques et du Plan présente deux amendements visant à refuser l'intégration de l'Agence nationale du médicament vétérinaire au sein de la nouvelle Agence de sécurité sanitaire des aliments, comme elle refusera avec détermination l'intégration du CNEVA.
J'ai en effet pensé, avec le rapporteur de notre commission, M. Gérard César, dont je salue la qualité du travail et la pertinence des conclusions, mais aussi avec la totalité des membres de la commission des affaires économiques, que les avantages du maintien du système actuel l'emportaient très nettement sur les prétendus avantages que l'on pourrait espérer d'un transfert de cette compétence vers l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
En effet, le dispositif actuel, chacun le reconnaît, donne toute satisfaction quant aux conditions de fonctionnement de la délivrance des autorisations de mise sur le marché des médicaments vétérinaires : l'ANMV apporte toutes les garanties souhaitables de compétence et d'efficacité dans l'évaluation des dossiers de médicaments vétérinaires qui lui sont soumis.
Certes, il peut sembler logique, de prime abord, de considérer que ce qui relève du champ de la médecine vétérinaire peut relever du domaine de l'alimentation humaine en ce qui concerne les animaux d'élevage, en ce sens que, de la santé de l'animal dépend celle de l'homme qui le consomme. Personne, je le crois, ne pourrait s'opposer raisonnablement à un tel argument ; mais celui-ci, s'il était avancé, serait fallacieux, et nous verrons, lors de la discussion des amendements, que le problème est beaucoup plus complexe et soulève bien d'autres questions.
L'ANMV, comme ses homologues européennes, doit rester l'institution compétente en matière d'évaluation des dossiers de nouveaux médicaments vétérinaires. Elle dispose à cet effet, au sein du CNEVA, de toutes les compétences et technologies mises à la disposition des chercheurs et experts, par une synergie évidente entre elle et le CNEVA.
Cette efficacité pourrait être gravement compromise si l'ANMV ou le CNEVA étaient intégrés à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments. De plus, cela alongerait notablement le temps de délivrance des autorisations de mise sur le marché des médicaments, dont je vous rappelle qu'il est aujourd'hui de deux ans et demi dans notre pays contre six mois aux Etats-Unis, ce qui pénalise déjà suffisamment nos industries pharmaceutiques pour que l'on n'en rajoute pas. En outre, cette lourdeur ne signifierait pas pour autant une meilleure sécurité, bien au contraire.
Il s'agirait en effet tout simplement d'ajouter une troisième tutelle, celle du ministère de la consommation, à celles du ministère de l'agriculture et du ministère de la santé. Il ne me semble pas souhaitable d'alourdir un système qui s'avère par ailleurs être cohérent, efficace et sûr, personne ne songeant à nier l'excellence de l'expertise acquise par l'ANMV.
Je crois donc, non seulement avec la totalité de mes collègues de la commission des affaires économiques mais aussi avec tous les professionnels concernés, que le maintien du statu quo est pleinement justifié en ce qui concerne l'ANMV tout comme en ce qui concerne le CNEVA.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître votre avis sur ce point important.
Depuis le début de mon propos, vous me voyez insister sur la nécessaire adéquation entre les compétences des professionnels et les missions qui leur sont confiées.
Cela me paraît indispensable au bon fonctionnement de cette nouvelle Agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires.
C'est pourquoi je proposerai à notre Haute Assemblée des amendements au texte qui nous est soumis aujourd'hui, amendements qui participent tous à cette logique inattaquable de la meilleure concordance possible entre compétences et missions.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis persuadé que nous adopterons la présente proposition de loi, que je voterai, pour ma part, volontiers, en espérant que nos différents amendements, dont le seul objet est d'assurer une meilleure efficacité de cette nouvelle Agence de sécurité sanitaire des aliments, soient retenus par notre Haute Assemblée. Nous aurons, alors, grâce à nos excellents collègues rédacteurs du présent texte, un outil législatif parfaitement adapté à la prévention des risques sanitaires tant récurrents qu'encore insoupçonnés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une part importante des travaux entrepris depuis plusieurs années par la commission des affaires sociales a été guidée par une préoccupation incessante : comment améliorer la sécurité sanitaire de l'ensemble des produits destinés à l'homme ?
Notre discussion aujourd'hui en constitue une étape importante. Volontairement, je ne parlerai pas d'aboutissement.
Après avoir initié les lois « bioéthiques », le Sénat a contribué à définir un statut juridique des thérapies génique et cellulaire dont le formidable essor se réalisait dans un flou juridique considéré comme dangereux par les chercheurs eux-mêmes.
Nous espérons que cette intervention suffisamment « en amont » du législateur a permis de définir des normes assurant prioritairement la sécurité pour les bénéficiaires de ces thérapies et des garanties pour notre société tant les questions auxquelles nous renvoient ces nouvelles thérapies bouleversent certains fondements de notre éthique.
Malheureusement, c'est souvent au travers de crises graves que nous mesurons l'ampleur des carences de notre système de sécurité sanitaire. Il est alors reproché aux pouvoirs publics de ne pas être intervenus suffisamment tôt ou d'avoir sous-évalué la gravité d'une infection, voire, et c'est plus grave, d'avoir plié sous la pression d'autres intérêts que ceux de la sécurité de la population, à commencer par des intérêts d'ordre économique.
La sécurité sanitaire pour tous repose sur un impératif, nous en sommes tous convaincus, à savoir la forte implication de l'Etat, afin qu'il garantisse la protection des usagers. Dois-je rappeler que c'est au moment où le gouvernement de Mme Thatcher se désengageait de certains contrôles que l'épidémie d'ESB s'est développée considérablement ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, et cela a été rappelé à plusieurs reprises, vous avez été vous-même à l'origine de la création des établissements publics que sont l'Agence française du sang et l'Agence du médicament, projet également porté par notre assemblée.
Nous pensons qu'il convient désormais d'aller plus loin et de tirer les leçons des premières années de fonctionnement de ces établissements.
L'architecture globale du dispositif que nous examinons aujourd'hui a évolué au fil des mois. Nous estimons qu'il devrait répondre à trois exigences, à savoir la rationalisation et la restructuration de notre système de veille, éclaté aujourd'hui en de multiples structures, ce qui a également été rappelé à plusieurs occasions, l'extension des contrôles à l'ensemble des produits destinés à l'homme et, enfin, la séparation entre les fonctions de contrôle et celles de production.
C'est donc sûrement à l'unanimité, puisque je suis le dernier orateur à intervenir dans cette discussion générale, que nous saluerons la création d'un Institut de veille qui va accorder au jeune Réseau national de santé publique une dimension renforcée et devenir un instrument essentiel de l'élaboration, de l'évaluation, et donc de la conduite de notre politique de santé publique.
Son terrain d'investigation est particulièrement vaste puisqu'il évalue un maximum de risques, dont ceux - et c'est nouveau - d'origine naturelle et technologique. C'est particulièrement important alors que commencent à être recensées dans notre pays les conséquences sur la santé de phénomènes tels que la pollution de l'air ou de l'eau. Les conclusions du rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, à cet égard sont édifiantes.
Afin d'assurer son rôle d'alerte, cet Institut de veille s'appuiera bien entendu sur les structures déjà existantes. La mission sénatoriale a souligné à la fois la multiplicité des organismes investis d'une mission de veille, tels que les observatoires régionaux de la santé, et leur éclatement en raison de leur rattachement à des tutelles ministérielles différentes, qu'il s'agisse du ministère de la santé, bien sûr, de ceux de l'agriculture, de l'environnement ou de l'économie et des finances, en raison également de la diversité de leur statut juridique.
La mission a bien tenté d'en dresser une liste exhaustive, mais cette tâche s'est révélée particulièrement difficile. C'est pourquoi le groupe socialiste souhaite qu'un tel « inventaire » puisse être fait puisque l'Institut de veille sanitaire a vocation à devenir la tête de ce réseau aussi dense que confus. Il est bien évident que s'imposeront ensuite un certain nombre de réaménagements.
Afin de compléter les informations transmises par l'Etat, les collectivités, les organismes de sécurité sociale et tout ce réseau institutionnel, nous souhaitons également - nous déposerons un amendement en ce sens - que les réflexions de l'Institut de veille sanitaire soient enrichies par les données procurées par la médecine scolaire - pour laquelle il est urgent de débloquer des moyens supplémentaires - et la médecine du travail. Celles-ci sont souvent les premières à constater l'apparition de certaines pathologies : nous pensons tous aux maladies provoquées par l'amiante par exemple. Elles évaluent également les conséquences de l'évolution des comportements d'hygiène de vie, notamment chez les enfants et les adolescents.
Les orientations concernant cette veille sanitaire contenues dans cette proposition de loi sénatoriale ne suscitent donc pas de réserves fondamentales de notre part.
J'en viens maintenant à l'économie générale du système de sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Je ne m'attarderai pas - mon collègue François Autain l'ayant déjà fait - sur l'important débat de fond - désormais tranché - qui consiste à savoir s'il convient de confier la responsabilité de la sécurité sanitaire à une agence unique.
Je tiens simplement à rappeler que nous avons forgé notre conviction au regard de la suspicion qui peut parfois planer sur les contrôles exercées sur les aliments.
Vous avez d'ailleurs vous-même indiqué, monsieur le rapporteur, que « l'indépendance des contrôles ne peut être garantie, au moins totalement crédible, eu égard à leur rattachement à une administration également chargée de défendre des intérêts économiques ».
Il ne s'agissait donc en aucun cas pour nous de ménager une quelconque « esthétique administrative ».
Je vous rappelle que c'est en vertu du principe de la séparation entre le contrôle et la production que la proposition de loi réorganise les compétences de l'Agence française du sang et de l'Etablissement français des greffes.
Toutefois, l'urgence est là : la population attend légitimement que nous intervenions. Nous allons donc greffer, si vous me permettez cette expression, deux nouvelles agences aux dispositifs et procédures déjà existants.
Le champ d'intervention de la nouvelle Agence de sécurité sanitaire des produits de santé intègre désormais un large éventail de produits à vocation thérapeutique, d'origine humaine notamment, les produits thérapeutiques annexes, de nutrition clinique, les dispositifs médicaux pour lesquels nos auditions ont révélé des carences plus qu'inquiétantes, mais également les cosmétiques et les lentilles oculaires.
Bien sûr, les procédures diffèrent selon que nous avons affaire à des produits soumis à un simple régime déclaration ou à une autorisation de mise sur le marché, mais il s'agit ici de s'imprégner de « la culture » de l'Agence du médicament, dont la qualité de l'expertise scientifique et la rigueur sont naturellement appelées à s'appliquer bien au-delà des seuls médicaments.
Sur ce point, en ce qui concerne le rattachement des médicaments vétérinaires, sujet évoqué par l'intervenant précédent, nous nous interrogeons sur la pertinence et l'efficacité du choix effectué par la majorité de la commission des affaires sociales et à plus forte raison sur la position adoptée à l'unanimité - vous venez de le rappeller, mon cher collègue - par la commission des affaires économiques. Nous estimons effectivement que, bien qu'intervenant dans la chaîne alimentaire, ils répondent aux mêmes impératifs que des médicaments à usage humain, la santé des consommateurs pouvant être affectée par des résidus issus de ces médicaments. Il s'agit donc là d'un même métier.
On nous objectera que, compte tenu du caractère spécifique des médicaments concernés, cela aboutirait à une simplification abusive susceptible de nuire à la compétitivité des laboratoires, et que, de plus, un tiers de ces médicaments est consommé par des animaux domestiques.
Pouvez-vous alors nous expliquer pourquoi la légitimité de l'intégration des médicaments vétérinaires dans le champ de compétence de l'Agence européenne du médicament n'a jamais été remise en cause ?
L'extension des compétences que vise à apporter la proposition de loi à cette agence ne se limite pas à sa seule dimension matérielle ; en effet, les pouvoirs de police du directeur général lui permettront désormais d'ordonner une mesure de retrait du marché dès qu'un risque sera identifié. Il s'agit là d'une amélioration essentielle par rapport au régime actuellement en vigueur à l'Agence du médicament.
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que c'est l'Agence de sécurité sanitaire des aliments qui suscite nos plus grandes réserves.
Certes, nous notons que le ministre de la santé devient une des autorités de co-tutelle, au même titre que le ministre de l'agriculture et que celui qui est chargé de la consommation.
Il s'agirait d'une garantie supplémentaire nous assurant que les intérêts de santé publique seront pris en compte dans l'évaluation des risques sanitaires que comporte chaque étape de la chaîne de l'alimentation, le principe de précaution devant guider les interventions de cette agence.
Toutefois, nous regrettons vivement que les exigences posées pour l'Agence des produits de santé, en termes d'autonomie, d'indépendance des corps d'inspection, et surtout de pouvoirs de police, exigences qui contribuent à asseoir sa crédibilité et son efficacité, n'aient pas été retenues par l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Alors que la première constitue, en quelque sorte, le « bras armé » de l'Etat, la seconde se cantonne principalement dans des missions d'évaluation des risques, d'expertise, de conseil du Gouvernement.
Certes, elle pourra recourir aux services départementaux vétérinaires et à la DGCCRF, mais nous pensons que ce démembrement pourra nuire à la cohérence des stratégies menées par cette nouvelle agence.
Par ailleurs, la publication des recommandations formulées par le directeur général constituerait alors, en elle-même, une garantie significative qui devrait permettre d'assurer la cohérence entre les conclusions de l'agence et les décisions ministérielles.
Si l'on peut se réjouir de ce souci de transparence à l'égard de la population - nous savons que cette question vous est chère, monsieur le secrétaire d'Etat - on peut s'interroger cependant sur ce que cette faculté peut induire en termes de relations, voire parfois de rapport de force, entre l'Agence et son ministre de tutelle.
Nous pensons par ailleurs que le nouveau Conseil national de la sécurité sanitaire pourrait devenir l'enceinte où les différences d'appréciation entre les divers ministères pourraient être tranchées, que cela concerne des politiques globales ou se produise à l'occasion de crises graves.
En conclusion, nous estimons que cette nouvelle législation constitue malgré tout un progrès significatif par rapport au schéma actuel de sécurité sanitaire. Elle met en place un véritable système de veille et d'alerte, elle renforce le contrôle de l'ensemble des produits de santé, elle améliore enfin la surveillance des denrées alimentaires en faisant du ministre de la santé un acteur de cette politique.
Le groupe socialiste souhaite toutefois que le fonctionnement de ces trois établissements et leur coopération soient évalués trois ans après l'entrée en vigueur de cette nouvelle législation.
En effet, il nous paraît important d'apprécier leur impact sur la conduite de notre politique de santé, mais également de mesurer l'efficacité de la coopération interministérielle dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments sur laquelle repose, selon nous, la fiabilité du système finalement retenu. C'est en ce sens que nous avons déposé un amendement.
C'est en raison des progrès incontestables qu'apporte cette proposition de loi que le groupe socialiste se prononcera pour son adoption. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, les questions, les commentaires sont nombreux à propos de cette proposition de loi. Je note quand même que celle-ci recueille l'unanimité et quant à son fondement et quant à ses grandes lignes, même si quelques réserves sont émises et quelques remarques sont faites.
Tout d'abord, M. Descours constate la multiplicité des organismes chargés de la veille et il propose à juste titre, parce que cela relève du bon sens et parce que cela va de soi, que l'on recense, que l'on mette en perspective tous les organismes qui sont chargés, sans le faire d'ailleurs, de contrôler les dispositifs.
Cette initiative me semble parfaitement légitime. Je vais d'ailleurs tenter de la mettre en oeuvre dans le domaine qui m'est imparti, celui de la santé. En effet, là aussi, il existe une myriade de dispositifs dont je ne comprends pas toujours moi-même le bien-fondé.
M. Descours dit ensuite que la précaution ne doit pas conduire au refus d'agir. Nous sommes bien évidemment tout à fait d'accord sur ce point.
J'ai noté récemment, particulièrement aujourd'hui, combien ce sujet est difficile. En effet, ce fameux rapport « bénéfice-risque » dont nous parlons constamment et qui doit être à l'origine de chaque décision - il y va d'ailleurs de l'honneur non seulement de la profession médicale, mais aussi de l'administration, qui y a sa part - s'éclaire d'un jour différent, sinon à la seconde ou à la minute, du moins en fonction des changements dans nos connaissances. Il est ainsi très difficile de peser entre le bénéfice et le risque dans les nouveaux domaines qui ont déclenché l'alerte ces derniers temps.
Ne pas agir serait coupable. Mais agir sans être éclairé est parfois sans doute coupable.
J'ai parlé de cet amendement à propos des infections nosocomiales et plus largement peut-être des dysfonctionnements des hôpitaux, pour retenir une expression ayant une connotation neutre. Mais comment peut-on rester neutre devant ce qui se produit aujourd'hui ?
J'espère que vous accepterez - je fais allusion à la remarque de M. Descours - cet amendement qui permettrait non seulement de mettre en perspective, mais également et tout d'abord, de noter, de recenser systématiquement ces incidents hospitaliers.
Je crois avoir répondu aux questions relatives à la création de trois institutions, non accompagnée de suppression, et à la demande de réexamen de l'utilité des organismes. J'ai également évoqué d'une façon générale, dans mon propos liminaire, l'Institut de veille sanitaire, l'Agence de sécurité sanitaire, l'Agence de sécurité alimentaire. Il n'est plus temps, je crois, de se poser des questions à ce propos ou de manifester des états d'âme.
Je partage l'analyse qui a été faite par le groupe socialiste sur le rôle désormais dévolu au ministère de la santé. Mais je représente ici non pas seulement le ministère de la santé - ce qui serait peut-être plus facile - mais également le Gouvernement. Dans ces conditions, je constate que le fait que le ministère de la santé ait mis le pied dans la porte et que son attitude soit aujourd'hui institutionnalisée représente un progrès en matière de sécurité alimentaire et de sécurité sanitaire.
Un orateur a parlé de vider l'Agence alimentaire de sa substance. Je n'ai pas à répondre à cette question, car je n'ai pas entendu ou je n'ai pas compris qui souhaitait vider l'Agence de sa substance. Il n'en est pas question. J'en veux pour preuve la dernière aventure de la listériose, qui a été rappelée plusieurs fois à cette tribune, et la recherche du « fromage coupable ».
On peut s'interroger, bien sûr, sur les délais qui ont présidé à cette recherche. On peut dire qu'après tout quelques semaines, peut-être même un mois ou deux auraient été gagnés si le dispositif proposé - et le Gouvernement le soutient - avait été déjà en place.
Nous aurions, en effet, gagné du temps, j'en suis persuadé.
Il s'agit non de vider cette Agence de sa substance mais, au contraire, de lui donner du poids, de la doter de dispositifs réglementaires.
Si l'Agence de sécurité sanitaire des aliments avait existé, nous aurions probablement été en mesure de donner l'alerte avant les vacances. Et ce n'est pas le directeur du réseau de la santé publique, ici présent, qui me démentira.
Le renforcement de ce Réseau national de santé publique et sa transformation en Institut de veille sanitaire va aussi nous permettre de donner l'alerte. Toutefois, je le disais tout à l'heure, lorsque l'alerte est donnée, il est souvent trop tard, la prévention n'a pas été faite. Or, ce dispositif, du moins je l'espère, permettra, imposera la prévention.
Je répondrai maintenant à quelques-uns des arguments développés par M. Autain. L'évaluation médicale est une question très précise. Vous avez demandé, monsieur le sénateur, si l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé serait dotée des moyens et des compétences nécessaires. Ce sera fait le 14 octobre. Le ministre de la santé ou, plutôt, le secrétaire d'Etat à la santé que je suis - ce lapsus va m'être reproché ! - dispose en effet d'un droit de proposition. Sachez cependant qu'il revient aux assemblées de l'établissement de décider quels seront les responsables des postes de direction de l'ANAES.
L'ANAES est l'Agence nationale d'accréditation « et » d'évaluation non seulement des établissements, mais aussi des structures hospitalières.
Face à l'article publié dans une revue parue aujourd'hui, nous devons dire ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, que lorsqu'on condamne, que l'on pointe du doigt une structure hospitalière, bien souvent seuls un ou deux de ses services sont en cause et non pas l'ensemble.
Lorsque l'on publie à l'emporte-pièce une carte de France où les points noirs de la chirurgie sont répertoriés, on a l'impression qu'il faut supprimer l'hôpital. Il ne faut pas le supprimer, il faut s'interroger sur la chirurgie, prendre des mesures. En effet, l'hôpital, ce n'est pas seulement la chirurgie, c'est aussi la prise en charge, dans ses services de médecine, des enfants, des adultes, des personnes âgées, ce qui, en général, est très bien fait.
Pardonnez-moi de m'écarter un peu du sujet, mais il faut bien que je le dise : s'interroger sur la mortalité à l'hôpital relève d'une grande naïveté. En effet, mesdames, messieurs les sénateurs, comme le savent tous les médecins qui siègent dans cet hémicycle ; malheureusement, on ne va pas seulement à l'hôpital pour guérir, on y va aussi pour mourir. C'est aujourd'hui un constat, et il ne faut pas s'en étonner. La conclusion qu'il faudrait en tirer, c'est plutôt que l'hôpital ne doit pas être l'endroit choisi pour aller mourir. Il faudrait peut-être que l'on aborde différemment la mort, qu'on l'envisage dans un cadre plus familial, que les malades soient pris en charge autrement.
Cependant, je ne veux pas minimiser l'intérêt d'une telle publication. Au contraire, chacun d'entre nous devrait saisir cette occasion pour faire son examen de conscience par rapport à son hôpital de proximité ou à ses responsabilités.
Profitons de l'opportunité qui nous est offerte, ne rejetons pas cette enquête, tout en ne prenant pas pour argent comptant tout ce qui est écrit dans cette publication où il y a à boire et à manger, si j'ose dire.
Lorsqu'il est indiqué dans cette revue qu'un service n'est pas compétent, examinons celui-ci. Jamais vous ne me ferez dire, alors que je suis en charge de la santé, que je sacrifierai la proximité à la sécurité.
C'est le travail d'une vie, c'est aussi le travail du personnel et son dévouement. Il est un peu facile, sous prétexte de sensationnel et de scoops réitérés tous les ans ou tous les deux ans, de considérer que ce serait si simple. Si tel était le cas, des mesures auraient été prises depuis longtemps.
Mais chaque fois qu'on va dans un endroit précis, chez vous, mesdames, messieurs, pour attirer l'attention sur tel service de proximité, on se heurte évidemment aux populations et à vous, les élus. En effet, il ne faut pas l'oublier, l'hôpital ce n'est pas seulement le soin. C'est bien sûr le soin, la sécurité du soin, mais c'est aussi un élément de la vie. Lorsqu'on le fait disparaître, après l'école ou après l'emploi, c'est une partie très symbolique et très forte de la vie quotidienne que l'on met en question.
Pardon d'avoir fait cette petite digression, monsieur Autain, et j'en reviens à vos remarques.
Pour ce qui concerne la veille, il s'agit, dites-vous, de réduire la multiplicité des structures. Je suis mille fois d'accord avec vous sur ce point, et, comme je vous l'ai dit, je tenterai de m'y employer.
Pour ce qui est du contrôle, vous proposez un réexamen dans trois ans. Bravo ! Je ne peux qu'approuver. Nous allons donc compléter en ce sens cette loi.
Dans une loi relative à la bioéthique, vous le savez, on avait prévu un réexamen tous les cinq ans. Je ne sais si trois ans c'est bien, mais cela me semble tout à fait raisonnable.
J'en viens aux dispositifs médicaux. Avec ceux-ci, nous avons voulu prévoir non pas une mise sur le marché conditionnée, mais une possibilité d'examen préalable qui soit compatible avec la directive européenne. Si, comme je le souhaite, ce dispositif administratif est accepté, nous demanderons à Bruxelles le réexamen plus complet de la directive européenne. Nous ne pourrons pas faire autrement ! Ce sera long et difficile, mais je crois qu'il sera tout à fait utile de le faire. En tout cas, je m'y engage.
Pour ce qui est des médicaments vétérinaires dans l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, franchement, je ne savais pas que vous poseriez cette question, monsieur le rapporteur. Si j'ai bien compris, il s'agirait de placer l'ensemble du CNEVA, le Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, à l'intérieur de l'Agence.
Personnellement, je pense que ce sujet mérite qu'on y réfléchisse et que vous soyez sage à ce propos. Je ferai simplement remarquer, sans faire preuve de dogmatisme, que le médicament vétérinaire est déjà dans l'Agence européenne du médicament, ce qui va plutôt dans le sens de l'intégration et du renforcement de telles structures.
Je ne sais pas si l'on peut aller plus loin et mettre l'Agence du médicament vétérinaire dans l'Agence de sécurité sanitaire. Pour ma part, je ne le souhaite pas, mais je relève ce qui est déjà fait à l'échelon de l'Europe et qui, apparemment, ne fonctionne pas si mal.
Le sujet mérite en tout cas qu'on y réfléchisse, mais je n'apporte pas de réponse dès maintenant.
Quoi qu'il en soit, ce dispositif devra être en permanence confronté à la situation européenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si un tel dispositif a été mis en oeuvre en Europe, c'est d'abord parce que l'Agence européenne du médicament est rattachée à la direction responsable de l'industrie. C'est discutable, mais c'est ainsi.
Pourquoi un tel dispositif ? Pourquoi est-ce Mme Emma Bonino, le commissaire responsable de la consommation, qui est chargée du dossier ? Parce qu'il n'existe pas d'Europe de la santé ! Si vous négligez ces éléments, vous ne comprendrez rien au film !
Il n'existe pas d'Europe de la santé, disais-je. Le traité de Maastricht ne traite pratiquement pas de la santé, et son article 129 vient seulement d'être légèrement retouché.
Quoi qu'il en soit, je suis persuadé - j'en prends avec vous le pari - en tout cas c'est mon souhait, qu'il y aura bientôt une Europe de la santé et une direction européenne responsable de la santé. Si tel est le cas, nous nous reverrons.
Le dispositif européen me paraît tout à fait temporaire. En tout cas, je propose, aussi bien pour les dispositifs médicaux et la directive que pour le médicament vétérinaire, non pas de nous ajuster sur Bruxelles - nous n'avons pas à le faire ! - mais de mettre en perspective notre dispositif, qui sera extrêmement performant, du moins si vous le votez ! Ce sera un modèle pour l'Europe. Dans ces conditions, ce sera plutôt à l'Europe de s'adapter.
Madame Borvo, j'ai noté avec beaucoup d'intérêt que, sans prendre la forme d'une autocritique, vous avez signalé que tout ce que vous craigniez par rapport à l'Agence du médicament, à propos des taxes et des redevances, de l'indépendance de son conseil d'administration et du respect des règles déontologiques, vous est finalement apparu comme un souci dépassé au vu du fonctionnement de cet organisme. Je vous en remercie d'autant plus, madame Borvo, que vous me donnez l'occasion de rappeller, comme MM. Descours et Huriet s'en souviennent, que le reproche avait été émis selon lequel l'Agence du médicament fonctionnerait avec des redevances versées par la profession.
Sachez qu'il s'agit de 18 000 redevances, correspondant à 18 000 dossiers déposés. Comment voulez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'avec une telle multitude de redevances un laboratoire ou un autre puisse exercer une influence particulière ? Chacun d'entre eux est complètement noyé dans la masse.
Qui plus est, vous avez vu avec quelle pugnacité, avec quelle indépendance dans ses décisions, avec quelle avance sur le reste du monde l'Agence du médicament marquait son indépendance par rapport à la puissance financière de l'industrie pharmaceutique.
On a constaté récemment, concernant les anorexigènes, combien la décision qui avait été prise voilà deux ans dans notre pays était un modèle puisque les Américains en ont tenu compte. Si vous lisez la presse américaine, le Wall Street Journal notamment, vous verrez que les Américains, à propos de la Food and Drug Administration, s'interrogent sur le fonctionnement de notre Agence du médicament. Véritablement, ils auraient pu gagner deux ans eux aussi, et certains incidents dommageables pour la santé des Américains auraient pu être évités. Voilà ce qui motive l'Agence du médicament : la protection de la santé et non pas le combat contre l'industrie pharmaceutique. Il n'y a pas de combat contre l'industrie pharmaceutique !
A cet égard, je répéterai ce que j'ai dit tout à l'heure à la tribune et qui, hier, a fait je crois l'unanimité parmi les cadres de l'industrie pharmaceutique devant lesquels je m'exprimais : la sécurité est un facteur d'exportation supplémentaire - sécurité d'abord de nos médicaments, bien entendu, mais sécurité des produits en général. C'est cela que nous visons, non seulement pour l'exportation, mais aussi, bien sûr, pour la sécurité de nos concitoyens.
J'ajoute, madame Borvo, que les règles déontologiques sont très strictes et ont été instituées par l'Agence avant toute autre administration. On a demandé aux experts qui travaillent avec l'Agence du médicament quels étaient leurs liens avec l'industrie pharmaceutique afin que chacun sache si tel expert avait travaillé pour tel ou tel laboratoire. Je crois que cette manière de faire est devenue un modèle.
Vous avez dit, madame le sénateur, que le personnel de l'Agence, au 31 décembre 1996, représentait 10 % de fonctionnaires. C'est beaucoup plus que cela ! Ils sont 232, soit 40 %, les 291 autres personnes étant des contractuels de droit public. Telle est la réalité.
Il y a, certes, des experts extérieurs - mais c'est là notre façon de faire - qui combinent leurs travaux avec ceux des experts internes. Mais, véritablement, ce sont des fonctionnaires et des agents publics.
Vous dites, madame Borvo, que c'est une garantie supplémentaire. Alors, soyez satisfaite !
L'Agence n'a aucune compétence de développement dans le secteur. Il n'y a aucun intérêt financier dans l'Agence du médicament, puisque c'est le Comité économique du médicament, complètement séparé de l'Agence, qui détermine les prix des médicaments.
En revanche, l'Agence délivre les autorisations de mise sur le marché, qui permettent un contrôle tout au long de la chaîne. Encore une fois, l'Agence n'a rien à voir avec la finance, ni avec l'économie ni avec le prix du médicament.
Sa raison d'être est de s'assurer qu'un produit n'est pas potentiellement dangereux, et donc de maintenir un rôle majeur de l'Etat, celui de la sécurité.
Vous parlez de transparence. Il existe un serveur sur Minitel pour toute décision de rappel des lots, rappel qui est déterminé par le directeur de l'Agence, sans consultation du ministre, et qui se fait en toute transparence avec correspondance immédiate de pharmacovigilance.
J'en viens aux questions posées par M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Claude Huriet, rapporteur. Il m'a prié de vous présenter ses excuses, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. S'agissant du décloisonnement des structures, je suis entièrement d'accord avec lui. Je suis favorable à la délégation du pouvoir de police ainsi qu'au statut d'établissement public de l'Etat, bien entendu. Tant que ce sera de ma responsabilité - il n'en sera que d'un tiers de la responsabilité -, je dis et je répète à l'intention de la représentante du ministère de l'agriculture que je serai contre la conception visant à faire de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments une coquille vide ! Ce n'est nullement dans notre intérêt, ni dans celui de la santé.
Vous pouvez me prêter des arrière-pensées de jalousie : « Ah, si j'avais eu une seule agence ! » Non, pas du tout ! C'est au contraire un progrès essentiel - je l'ai dit à M. Autain - de faire en sorte que le ministère de la santé soit partie prenante dans le contrôle, l'alerte et les décisions de santé publique qui concernent l'aliment. C'est ce que nous vous proposons aujourd'hui.
La question de l'aléa thérapeutique, M. Fourcade a raison, est plus difficile. Nous nous heurtons à des présupposés et non à la réalité.
J'ai été l'auteur, lors du dernier conseil des ministres du gouvernement de Pierre Bérégovoy, d'une communication sur le risque thérapeutique qui n'a pas suffit. Il nous faut reprendre ce sujet pour compléter le travail que vous faites aujourd'hui ; mais nous n'en sommes pas là. Pour l'instant nous cherchons à accroître la sécurité sanitaire.
Quant à la réparation des accidents médicaux, la responsabilisation, il faudra aussi nous en charger un jour pour faire en sorte que les procès n'abondent pas trop dans notre pays entre les professionnels d'un côté et les consommateurs de l'autre. C'est une réflexion urgente, selon M. Fourcade. Nous la mènerons.
Monsieur Bimbenet, l'examen de ce texte constitue - vous êtes gentil de l'avoir rappelé - une démonstration de la continuité de l'action gouvernementale. De gouvernement en gouvernement, cette continuité a été préservée sans que la politique partisane ait grand-chose à voir. Sur cette proposition de loi, les intérêts économiques, administratifs et ministériels peuvent en effet ne pas être les mêmes, mais il n'y a pas d'intérêts politiques en jeu ! Franchement, à mon avis - c'est pourquoi j'espère, dans ces rangs, l'unanimité - il n'y a, dans la recherche de la sécurité sanitaire pour nos concitoyens, qu'à y gagner. En ce domaine, aucun drapeau partisan ne serait brandi à bon escient.
Monsieur Braye, vous êtes favorable à la création de l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, mais vous estimez qu'il existe des domaines spécifiques. Personnellement, je me rends à l'évidence - je suis, contrairement à ma réputation, un membre du Gouvernement discipliné - mais je ne partage pas complètement votre sentiment. Je ne le dis pas pour défendre une autre thèse. Je le répète, cette deuxième proposition de loi de sécurité sanitaire me semble un acquis important. Mais je ne vois pas en quoi la diversité des produits devrait entraîner celle des esprits. Si nous adhérons sans hésitation à la préoccupation essentielle du Sénat, à savoir la protection des citoyens, nous serons toujours d'accord, car une telle protection - vous le savez très bien, monsieur Braye, ainsi que tous vos confrères - passe par la prévention.
Il ne s'agit pas seulement de constater l'existence d'une infection ou d'un microbe ; il est parfois trop tard lorsque nous en avons connaissance. Il s'agit surtout de la prévention, une préoccupation qui nous est commune, quels que soient les produits, et qui permettra à ceux-ci - j'en suis infiniment partisan - de se vendre bien mieux sur nos marchés comme sur les marchés étrangers. Il n'y a donc pas de divergence entre nous sur ce point.
Vous souhaitez par ailleurs que la compétence vétérinaire - et je le comprends de votre part - reste spécifique. Vous refusez donc, pour ce motif, avec beaucoup de force, l'intégration du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires dans l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.
Personnellement, je ne suis pas aussi formel. Il faut que je réfléchisse avec les intéressés à cette proposition.
Pour le moment, j'écouterai avec intérêt les arguments échangés. Je vous fais remarquer, une fois de plus, que les produits vétérinaires sont traités par l'Agence européenne du médicament. Apparemment, les délais proposés pour obtenir l'autorisation de mise sur le marché ne sont pas excessifs. Mais j'attendrai la discussion des textes pour en reparler.
Madame Dieulangard, vous tirez les leçons de cinq ans de fonctionnement de l'Agence française du sang et de l'Agence du médicament. Je partage cette vision. « L'éclatement des structures, l'extension des contrôles à tous les produits, la séparation entre la fonction de développement d'un secteur économique et de contrôle » de la police sont notre credo, surtout le dernier point, bien entendu.
Pour bâtir la sécurité alimentaire, il faut absolument que l'économie soit séparée du contrôle. Nous l'avons dit à propos de l'Agence française du sang et nous le rappelons en soutenant cette proposition de loi tendant à inclure le contrôle des produits du sang dans l'Agence de sécurité sanitaire.
En ce qui concerne le soutien au renforcement de la médecine scolaire et le rapprochement de l'Institut de veille sanitaire et de la médecine du travail, vous avez entièrement raison, madame. Nous sommes d'accord et nous nous efforcerons d'agir en ce sens.
Vous savez - on en a parlé ces temps-ci entre le ministère de l'éducation et celui de la santé - combien il est difficile d'élargir le cercle des médecins scolaires et de renforcer la médecine du travail. Il nous faut trouver à la fois des volontaires et des structures plus souples. Nous nous y attachons. Je vous remercie d'aller dans ce sens.
Etendre aux autres produits la rigueur et l'expertise de l'Agence du médicament, je ne peux qu'y souscrire.
Vous émettez des réserves sur l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, même si le ministre de la santé y trouve sa place. Madame, je ne répondrai pas à cela ; j'y trouve ma place et une bonne place. Nous veillerons à ce que son rôle dans la santé publique soit plein et entier.
Lorsque vous dites que le Conseil national de sécurité sanitaire est l'enceinte des expressions de la résolution des accords, vous avez parfaitement raison ; c'est un recours dont on n'a peut-être pas assez parlé au cours du débat, mais c'est le recours ultime. En cas de divergence, c'est le Conseil national de sécurité sanitaire qui devra trancher.
Pour ceux qui ont encore des réserves sur l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, ils trouvent là une garantie supplémentaire. S'il y a de réelles divergences entre les ministres - cela peut arriver - c'est le Premier ministre qui tranchera, comme dans tout bon fonctionnement républicain.
Voilà, je crois avoir fait très rapidement, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le tour des questions et je vous remercie d'avoir été positifs, y compris dans vos critiques. (Applaudissements.)
M. Claude Huriet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. M. Claude Huriet, rapporteur. Sans préjuger le déroulement de nos débats lors de la discussion des articles, je voulais exprimer un sentiment de satisfaction. Je ne méconnais pas les difficultés qui sont devant nous, mais je constate sans en être surpris que, au-delà d'une simple convergence, se dessine un accord sur l'objectif que nous devons nous efforcer d'atteindre et sur le point de départ de notre travail parlementaire.
Nous sommes partis du constat que, malgré la diversité, la multiplicité et la compétence des structures existantes qui concourent à la sécurité sanitaire, cette dernière n'était pas parfaitement assurée. Tel est bien le point de départ sur lequel, je crois pouvoir l'affirmer, nous sommes tous d'accord.
Il reste à voir comment on peut faire mieux en s'inspirant des quelques pistes qui ont été évoquées dans les différentes interventions et qui concernent la recherche d'un décloisonnement - le terme a été utilisé plusieurs fois - la recherche d'une meilleure cohérence dans l'organisation générale du dispositif dans notre pays, ainsi que le souci de voir respectées grâce aux agences, trois conditions qui nous paraissent impératives : la compétence, la transparence et l'indépendance, cette troisième condition semblant prêter à des interprétations diverses selon les intervenants - nous y reviendrons sans doute.
Au terme de cette discussion générale, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le caractère contradictoire des amendements dont la commission des affaires sociales a été saisie ce matin.
En effet, si certains de ces amendements visent à conforter, à renforcer les moyens affectés à l'une des agences, l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, d'autres amendements, déposés parfois d'ailleurs par les mêmes auteurs, par le Gouvernement en particulier, visent à réduire de plus en plus la consistance et les missions de l'autre agence, à savoir l'Agence de sécurité des produits alimentaires.
Cette situation découle, me semble-t-il, d'une appréhension un peu globale et simpliste du problème. Au cours de la discussion qui va maintenant s'ouvrir, nous allons être confrontés à cette contradiction.
Si l'on croit à l'efficacité des agences - je pense notamment à l'Agence du médicament dont il a été largement question cet après-midi, et ce n'est pas fortuit car elle nous fournit un exemple concret - on doit adopter une démarche cohérente à l'égard de chacune d'elles. Si nous considérons, comme le président Fourcade l'a parfaitement évoqué, que ces agences portent en elles-mêmes un affaiblissement de l'administration, voire, dans certains cas, un affaiblissement du rôle de l'exécutif, nous devons en tirer les conséquences avec cohérence. On ne peut pas défendre deux systèmes en se fondant sur des argumentations contradictoires.
Voilà ce que je tenais à dire avant de remercier M. le secrétaire d'Etat de l'intérêt qu'il porte, au nom du Gouvernement, à la démarche parlementaire.
Je remercie également mes collègues qui, dès la discussion générale, ont manifesté l'importance qu'ils attachent à ce texte. Cela me laisse à penser qu'au terme des quelques heures qui viennent, nous aurons progressé dans la recherche de la sécurité sanitaire, à laquelle aspirent naturellement nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur les travées socialistes et celles du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, le Gouvernement souhaite que le Sénat interrompe ses travaux pendant quelques instants.
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat va, bien entendu, accéder à votre demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures quarante, sous la présidence de M. Jean Faure.)