POLITIQUE FAMILIALE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la politique familiale.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le sujet que nous abordons aujourd'hui est sûrement à la fois un des plus essentiels et un des plus difficiles. Chacun de nous, en tout cas la plupart d'entre nous, a l'expérience de la vie en famille, le plus souvent heureuse, mais parfois, nous le savons, douloureuse.
A la base de la filiation, et donc de la vie de chacun, il y a une famille, plus ou moins visible, plus ou moins stable, plus ou moins reconnue ; la vie de chacun d'entre nous a été marquée par notre insertion dans une famille et par notre relation avec cette famille.
Quoi de plus personnel que la famille et, en même temps, quoi de plus essentiel pour construire la société ? Quelle part, dans ce domaine, laisser à l'intimité de chacun et quelle place donner à l'intervention publique ? La réponse est difficile. Elle ne s'accommode ni de simplisme ni de polémique.
Notre objectif est clair, protéger et conforter la famille, parce qu'elle est la cellule de base où l'enfant se construit affectivement et acquiert ses premiers repères. C'est dans la famille que s'exprime en premier lieu la solidarité, que s'apprend le respect de l'autre et que se construisent les premières expériences et les apprentissages. C'est dans la famille que se transmettent les valeurs, que s'éveillent et s'éduquent la créativité et le goût de savoir.
MM. Alain Vasselle et Alain Gournac. Alors il ne faut pas l'attaquer !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous pourriez pour le moins me laisser m'exprimer pendant quelques instants. Nous ne sommes peut-être pas d'accord sur tout mais, sur ces éléments au moins, j'espère que nous pouvons l'être.
MM. Jean Chérioux et Henri de Raincourt. Absolument !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Défendre la famille, c'est défendre les valeurs et les objectifs auxquels nous sommes tous particulièrement attachés, c'est-à-dire préserver la cohésion sociale, donner à chacun une vraie place, promouvoir la solidarité.
Quels points de repères se donner, dès lors, pour construire l'indispensable politique familiale dont notre pays a besoin ?
La première exigence qui s'impose est, bien entendu, de prendre toute la mesure des changements qui affectent la famille et la société.
La situation n'est pas la même que celle qui prévalait dans les décennies d'après-guerre, dans les périodes où s'est mis en place notre système de protection sociale.
M. Jean Chérioux. Hélas !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il faut le rappeler, même si cela peut apparaître une lapalissade.
Il y avait alors une croissance forte, qui permettait à la fois une hausse régulière des rémunérations individuelles et un accroissement important des dépenses sociales collectives, un niveau de vie moindre qu'aujourd'hui, mais un chômage presque inexistant et la confiance que demain serait meilleur qu'aujourd'hui pour soi-même et pour ses enfants était largement partagée.
La solidarité entre les familles et entre les générations était beaucoup plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui, même si, il faut le dire, du fait de la crise, cette valeur tend à réapparaître. Elle s'exerce parfois d'ailleurs des grands-parents aux petits-enfants, c'est-à-dire qu'il s'agit d'une solidarité presque inverse de celle qui avait généralement cours au début du siècle.
Certes, il y avait et des situations d'inégalités et de misère mais la cohésion sociale était alors plus affirmée. Même si la pauvreté existait, l'exclusion faisait moins de ravages qu'aujourd'hui.
La famille et son rôle dans la société ont beaucoup changé, ce qui nous oblige à prendre en compte les évolutions.
On se marie plus tard, souvent après avoir vécu ensemble ou même après avoir donné naissance à un enfant. D'autres formes de vies en commun existent. Les divorces augmentent, leur nombre, de l'ordre de 30 000 dans les années soixante, s'élevant à plus de 120 000 aujourd'hui. De nombreuses familles éclatent et, si des recompositions ont lieu, le nombre des familles monoparentales a doublé dans les trente dernières années, passant de 650 000 en 1968 à 1 260 000.
Les jeunes, quant à eux, entrent plus progressivement dans la vie active. Le premier enfant naît plus tard. Le nombre moyen d'enfants par famille a diminué. La durée de vie s'allonge. L'enfant est souvent au contact de trois ou quatre générations.
Ces changements sont profonds et modifient fondamentalement la vie même de la famille.
Dans un monde de plus en plus changeant, de plus en plus mobile, où les informations, les personnes, les cultures circulent, les repères s'obscurcissent et se relativisent. Dans une société en crise, la transmission des valeurs, des comportements est plus difficile.
C'est bien ainsi à mons sens que doit s'apprécier le débat sur la politique familiale, dans le cadre d'une approche globale, et non pas seulement à l'aune de l'évolution de telle ou telle prestation.
Tout débat sur la famille doit évidemment prendre en compte la question du travail des femmes. La généralisation de l'activité féminine est une caractéristique majeure de l'évolution de notre société au cours de ces dernières décennies. Si 40 % des femmes travaillaient au début des années soixante, elles sont près de 80 % aujourd'hui. Nous pouvons d'autant plus nous en réjouir que ce taux d'activité est le plus élevé en Europe.
Cet accès au travail a permis aux femmes d'acquérir leur indépendance et leur autonomie, même si - chacun le sait - il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une véritable égalité des salaires et des conditions de travail, ainsi qu'à une plus juste répartition des tâches domestiques au sein du foyer.
Ce fort développement du travail féminin a considérablement modifié l'organisation et la vie quotidienne des familles. La gestion du temps est devenue un problème central, particulièrement pour les femmes même si nous espérons que, dans les jeunes générations, cette préoccupation sera partagée par les deux sexes.
La politique familiale de demain se doit d'intégrer cette question, en facilitant évidemment la conciliation entre le temps de travail et le temps consacré à la famille. Nous nous sommes déjà engagés dans cette voie en prônant une réduction du temps de travail qui, au-delà de son objectif en matière d'emplois, constitue bien un véritable projet de société.
Libérer du temps pour s'occuper de sa famille, de ses enfants, de ses amis, pour créer du lien social, est partie intégrante de notre conception de la politique familiale.
Loin de considérer que la famille s'affaiblit dans la société, je crois au contraire qu'elle reste aujourd'hui la valeur de référence, c'est elle qui tient lieu de filet de sécurité lorsque l'on a un coup dur.
Il n'en reste pas moins que nombre de familles rencontrent aujourd'hui des difficultés : matérielles, dans leur vie quotidienne, dans l'éducation de leurs enfants ou dans l'organisation des transitions de leurs enfants vers des vies d'adultes autonomes. Tout cela est à prendre en compte.
Conforter, renforcer, aider les familles est pour le Gouvernement un objectif fondamental. Il découle, je l'ai souligné, directement de nos valeurs, de la solidarité, du respect de chacun et de la mise en responsabilité.
Plus qu'en tout autre domaine, la solidarité doit prendre ici tout son sens. Solidarité d'abord, bien sûr, entre les familles et les non-familles. Je crois pouvoir dire que, globalement, votre système remplit à peu près bien cet objectif. Solidarité nationale envers les familles les plus démunies dans un esprit non pas d'assistance mais de mise en responsabilités et, là, il reste beaucoup à faire. Solidarité entre les familles pour aider les plus fragiles à retrouver plus de dignité.
Les premières initiatives du Gouvernement au bénéfice des familles me paraissent aller dans ce sens.
Faciliter l'insertion des jeunes, qui restent bien souvent à la charge de leurs parents, à travers le plan emploi-jeunes, n'est-ce pas la meilleure manière d'aider de nombreuses familles ?
Engager un processus de réduction de la durée du travail, n'est-ce pas la meilleure manière de permettre aux parents de concilier vie familiale et vie professionnelle ?
Améliorer le niveau de l'encadrement scolaire, éviter les fermetures de classes, n'est-ce pas un apport essentiel pour l'avenir des enfants ?
C'est ce qu'a fait le Gouvernement avec les premières mesures qu'il a adoptées. Je vous rappelle que le montant de l'allocation de rentrée scolaire a été quadruplé, les allocations logement ont été revalorisées après avoir été gelées depuis 1994, un fonds pour l'accès aux cantines scolaires a été créé, la réhabilitation de 120 000 logements supplémentaires a été financée, la réduction d'impôt pour dépenses de scolarité rétablie. Ce sont donc, au total, plus de 10 milliards de francs qui ont été ainsi transférés en cinq mois aux familles les moins favorisées.
De plus, sachez que nous ouvrirons, dès 1998, le bénéfice des allocations familiales à tous les enfants à charge de dix-neuf ans. Il s'agit d'une mesure d'équité, car rien ne justifie que les familles qui ont à charge des jeunes sans activité soient moins aidées que celles dont les enfants poursuivent des études. Je viens de le montrer, le Gouvernement, par les premières mesures adoptées, a témoigné concrètement que telles étaient sa volonté et son ambition.
Le Gouvernement a pris ces décisions avec le souci parallèle de diminuer fortement le déficit de la sécurité sociale, et en particulier de la branche famille. A quoi sert-il, en effet, de faire des promesses, de faire voter une loi comme la loi famille en 1994, si on ne se donne pas, en même temps, les moyens d'atteindre les objectifs qui sont fixés dans cette loi ? Et défendrions-nous les familles si nous laissions s'approfondir un déficit qui mettrait bientôt les finances de cette branche en quasi-faillite ? Je comprends mal certaines critiques qui visent à nous donner des leçons en matière de réduction du déficit de la branche famille.
M. Alain Vasselle. Qui a fait des prélèvements sur la branche famille ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Dois-je rappeler que les gouvernements précédents ont été condamnés par le Conseil d'Etat pour n'avoir pas respecté les prescriptions légales en matière de revalorisation des prestations familiales ?
Dois-je rappeler que les prestations familiales ont été gelées en 1996, que les barèmes des prestations logement n'avaient pas été revalorisés depuis trois ans, que l'allocation de rentrée scolaire a été limitée à 1 000 francs en 1996, ou encore que la hausse massive des prélèvements a pénalisé directement les familles, et tout particulièrement les plus modestes d'entre elles ? Comment pouvons-nous oublier que nos prédécesseurs ont, entre 1993 et 1997, prélevé plus de 120 milliards de francs sur les familles ?
La branche famille sera en déficit de 13 milliards de francs en 1997. Cela est dû en grande partie, je viens de le dire, aux mesures non financées décidées en 1994. Dois-je vous rappeler que la branche famille aurait été en grande difficulté si nous n'avions pas pris immédiatement des mesures d'urgence ? C'est ce qui a conduit le Gouvernement à prendre deux mesures qui permettent des économies. Je l'affirme ici, solennellement, une politique familiale se construit non pas à crédit par des promesses, mais bien par des mesures qui sont financées.
M. Dominique Braye. En matière de promesses, vous en savez quelque chose !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous donne rendez-vous dans deux ans, monsieur le sénateur ! On verra alors qui tient ses promesses !
M. Alain Gournac. On verra ce que dira le pays !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Pour ce qui nous concerne, nous n'entendons pas poursuivre une telle politique.
La politique familiale doit permettre de redistribuer des non-familles vers les familles. La politique familiale, c'est aussi au moins une égalité de traitement entre les familles favorisées et celles qui le sont moins. Or, en France, notre système de redistribution d'aide aux familles s'avère plus favorable pour les revenus les plus élevés. (Exclamations sur plusieurs travées du RPR) Lorsque l'on cumule l'impact des prestations familiales et du quotient familial, les ménages les plus aisés bénéficient d'un montant d'aide publique plus important.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Absolument !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est une caractéristique du système français. En effet, dans les pays qui ont une politique familiale importante - ils ne sont pas nombreux et il convient de le regretter -, les solidarités entre non-familles et familles sont à peu près de même nature qu'en France, mais il y a toujours une redistribution du bas vers le haut, alors que dans notre pays elle a lieu du haut vers le bas. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles Descours. La politique familiale, ce n'est pas une redistribution !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous en prie, monsieur le sénateur ! Notre débat devant durer quelque six heures, nous aurons l'occasion de parler de ce sujet. Je demande qu'il y ait non pas une redistribution, mais simplement une égalité.
Un couple avec trois enfants bénéficie de 29 000 francs par an, toutes prestations familiales comprises, s'il dispose d'un revenu de 100 000 francs, et de 76 000 francs par an s'il a un revenu de 700 000 francs. Où est l'équité dans cette politique familiale ? Je crois que là nous sommes au coeur du sujet. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. C'est simplement un prélèvement moindre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Un déficit majeur, une redistribution à rebours, les difficultés que connaissent de nombreuses familles modestes, voilà ce qui nous conduit à renforcer l'effort vers les familles les plus en difficulté et à vous proposer de conditionner l'octroi des prestations familiales à un plafond de ressources.
On est loin, me semble-t-il, des craintes exprimées ici ou ailleurs, selon lesquelles on démantèlerait la famille ou il s'agirait d'un hold-up ou d'un matraquage en règle - j'espère que nous le prouverons tout au long de ce débat. Sachons, sur ce sujet, raison garder !
Quelles sont ces deux mesures tant critiquées, au Parlement essentiellement, il faut le dire, et par quelques associations familiales...
M. Charles Descours. Oh !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mais oui, parce que nous discutons avec les associations familiales. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Charles Descours. Nous aussi !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous le verrons, là aussi, après le débat qui va s'engager dans quelques jours.
M. Alain Gournac. Il n'y a eu aucune concertation !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous en reparlerons ! Je vous montrerai des lettres qui prouvent qu'il y a eu concertation. On peut discuter sur des désaccords, mais les faits sont têtus. Les faits, je vous les apporterai ce soir, par des statistiques et par des courriers. Vous verrez que l'on peut être en désaccord, mais que l'on peut aussi avoir un vrai débat démocratique où on s'oppose sur des faits, sur une conception des choses, et non pas sur des mensonges ou des erreurs projetées d'un débat à l'autre.
M. Jean Chérioux. Le mot « mensonges » n'est-il pas excessif ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je suis ravie que le Sénat organise ce débat, car cela nous permettra de rétablir une partie de la vérité. Nous verrons sur quoi nous sommes d'accord et sur quoi nous sommes en désaccord. C'est cela, me semble-t-il, l'enjeu d'un vrai débat démocratique.
M. Dominique Braye. Ce que vous allez faire, c'est manipuler les chiffres !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. La première mesure est relative à la garde d'enfants. Elle vise simplement à corriger une anomalie. Comment accepter, à un moment où tant de Français sont en difficulté, y compris pour payer la cantine scolaire, et où 40 % des enfants ne partent pas en vacances, que les parents d'enfants de moins de trois ans puissent recevoir jusqu'à 80 000 francs pour financer une employée de maison ? Ceux qui, tous les jours, nous parlent de la baisse des prélèvements obligatoires devraient sans doute y réfléchir. J'attends aussi que ceux qui sont si prompts à dénoncer la spécificité française soient capables de me présenter un seul pays étranger s'approchant même d'un système de cette nature. Pour ma part, je n'en connais pas, et pourtant nous avons bien cherché.
Cette mesure qui touche 66 000 familles, associée à la baisse de la réduction d'impôt pour les emplois familiaux, ne va toucher en réalité que 30 000 ménages. Un amendement a par ailleurs été accepté par le Gouvernement et il vise à atténuer l'effet de la mesure pendant un an pour les ménages qui disposent de ressources annuelles inférieures à 300 000 francs. En effet, on nous a expliqué, sur certains bancs, le cas d'un couple d'instituteurs qui gagnerait 22 000 francs nets par mois et qui embaucherait quelqu'un à 11 000 francs par mois à temps plein. Eh bien, si cela existe, il convient en effet de prévoir une transition pour ces personnes-là.
La mise sous condition de ressources des allocations familiales est une décision d'une tout autre nature. Elle vise à renforcer le principe de solidarité dans notre système de prestations familiales. C'est un sujet central qu'il nous faudra encore approfondir et, sur ce point, le débat peut être entier : sur quelles bases fonder la solidarité avec et entre les familles ? Nous ne pouvons l'éluder au moment où le financement de la sécurité sociale est si fragile et où des besoins importants demeurent aujourd'hui sans réponse satisfaisante. Nous ne pouvons nous contenter des réponses élaborées voilà plusieurs décennies quand le taux de croissance de notre économie dépassait 5 % par an.
La recherche d'une meilleure solidarité pour faire face aux besoins des familles est une priorité pour le Gouvernement. La mesure qui a été présentée cette année est une première tentative pour aller dans ce sens. Comme je l'ai dit, comme un amendement parlementaire l'a inscrit dans le projet de loi à l'Assemblée nationale, ce système peut évoluer.
J'entends réaliser, dans les mois à venir, un réexamen complet de tous les flux financiers à destination des familles, qu'ils relèvent de la fiscalité ou des prestations sociales. Cette analyse indispensable n'a pas été menée depuis longtemps dans notre pays. Ensuite, c'est avec les organisations familiales, les associations et les organisations syndicales que nous élaborerons, par une large concertation, des propositions qui permettront de mettre en oeuvre une solidarité globale à l'égard des familles, laquelle tiendra naturellement compte de leurs besoins.
Tout au long de l'été, nous avons débattu de cette question avec les représentants des associations familiales et les partenaires sociaux. J'ai bien noté, croyez-le, la prise de position de certaines organisations, au premier rang desquelles l'UNAF, l'Union nationale des associations familiales, en faveur du principe de l'abaissement du plafond familial.
Mais le temps nous était compté, et nous n'avons pu parvenir à un accord, dans un délai si court, sur une question qui relève, tout le monde en convient, d'une réflexion d'ensemble sur la politique familiale. Cette réflexion aura lieu dans quelques jours, et toutes les options seront mises sur la table. Si un large accord est trouvé sur ce point, nous sommes prêts à envisager qu'une réforme fiscale soit substituée à la mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Par ailleurs, je voudrais réaffirmer ici, comme je l'ai fait, voilà quelques jours, à l'Assemblée nationale, que la mise sous condition de ressources des allocations familiales n'est en aucune manière le prélude à un dispositif de même nature pour l'assurance maladie ou les régimes de retraite.
M. Dominique Braye. Aujourd'hui !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je parle pour ce gouvernement, mais peut-être n'avez-vous pas confiance en ce que ferait un gouvernement que vous pourriez soutenir en cas de changement. (Protestations sur les travées du RPR.) En tout cas, pour ce qui concerne le gouvernement auquel j'appartiens, l'engagement a été pris de manière explicite. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.) Messieurs, je vous réponds !
Je tiens d'ailleurs à rassurer M. Fourcade sur ce point : il n'y aura pas de mise sous condition de ressources « des remboursements des petits risques dans le domaine de la maladie »,...
M. Charles Descours. Aujourd'hui !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. ... comme il l'a écrit récemment dans un journal du soir. Mais j'imagine qu'il exprimait une simple préoccupation, et je souhaitais lui répondre.
Je voudrais bien expliquer que ce régime n'est pas de même nature que celui de la santé et de la retraite.
Le Gouvernement n'a nullement l'intention de moduler les remboursements selon le niveau de revenus. Au moment où nous allons d'ailleurs appeler tous les revenus à participer au financement de l'assurance maladie, il est évident que chacun doit bénéficier d'un même niveau de couverture. Cela n'exclut pas que nous portions une attention particulière à ceux qui, aujourd'hui, sont exclus des systèmes de santé pour des raisons financières. C'est là, selon moi, l'élément essentiel du projet d'assurance maladie universelle que nous vous présenterons l'année prochaine et que nous discuterons dans quelques jours.
J'entends d'ailleurs que ce réexamen de la politique familiale ne se limite pas aux seules aides financières. La politique familiale doit en effet être envisagée dans sa globalité.
Je voudrais d'ailleurs rappeler que la politique familiale n'a jamais été une politique d'assurance. En effet, on met à bas une politique qui existe depuis le début du siècle, me dit-on. Ce sont non pas les salariés, mais l'Etat et les chefs d'entreprise qui financent la politique familiale, contrairement à la santé ou à la vieillesse.
M. Alain Vasselle. Les entreprises, c'est qui ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. En effet, on ne s'assure que contre un risque. Or, avoir un enfant est non pas un risque, mais une chance.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. On s'assure contre la maladie, la vieillesse, le chômage, et non sur le fait d'avoir des enfants. C'est la solidarité nationale qui doit jouer, c'est l'Etat et, en l'occurrence, rappelez-vous, pour des raisons historiques, les chefs d'entreprise, car il s'agissait de reconstruire notre pays et de trouver une main-d'oeuvre nécessaire pour y parvenir.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. François Autain. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous ne sommes pas dans les mêmes systèmes. Donc, que l'on ne nous dise pas que l'on est en train de mettre à bas un système d'assurance qui n'a jamais existé et qui, à mon avis, n'est pas le fondement de la politique familiale.
Je me suis amusée, si je puis employer ce terme, à relire les textes fondateurs des allocations familiales en France. Si vous les relisez, vous vous rendrez compte qu'il s'agissait véritablement d'une politique de solidarité, donc d'une politique d'Etat, et en aucun cas d'une politique d'assurance.
Donc, nous accroissons la solidarité dans cette politique familiale, mais il n'est pas question de remettre en cause tout ce qui relève de l'assurance, c'est-à-dire les autres régimes : la maladie, la vieillesse, comme d'ailleurs le chômage puisqu'il s'agit aussi d'un régime d'assurance.
Nous allons travailler de nouveau sur ce sujet je l'ai dit. Il nous faut une véritable politique familiale qui soit à l'aune des changements de cette fin du xxe siècle et qui permette de bien augurer du prochain siècle. D'où la réflexion que j'entends mener - avec tous les intervenants - sur l'ensemble de la politique familiale, qui préparera à la conférence de la famille prévue en 1998.
Les besoins des familles ne sont pas seulement financiers. La question de la garde des enfants est naturellement essentielle, à une époque où, de plus en plus souvent, les deux membres du couple travaillent ou cherchent un emploi. Le logement est un élément fondamental de la vie des familles. Aujourd'hui, combien de couples hésitent à avoir un enfant ou à agrandir leur famille parce qu'ils sont trop étroitement logés. Il s'agit d'un élément majeur, qu'il convient de prendre en compte dans une politique familiale.
Par ailleurs, certaines familles ont besoin d'être aidées, accompagnées, tant leurs difficultés sont grandes.
La prise en charge de l'enfant nécessite l'intervention à la fois de la famille et des services publics, d'éducation en premier lieu. Comment permettre aux pères et aux mères de remplir le mieux possible leurs responsabilités ? Comment prendre en compte les situations créées par les familles recomposées ? Comment aménager le temps de travail pour permettre la disponibilité ? Et, symétriquement, quels services publics renforcer et comment faciliter l'accès des familles à ces services ? Quels rôles pour l'Etat, pour les collectivités locales, pour les associations ? C'est par une approche concrète de la vie quotidienne des familles dans leur diversité que nous trouverons les réponses à leurs besoins.
La question de la famille renvoie naturellement aussi à celle de la protection des enfants. Quel équilibre trouver entre le respect de la sphère privée et les garanties que la société doit apporter à tout individu, et en particulier aux plus fragiles ? Quelle place aussi pour les jeunes adultes qui restent au domicile des parents ?
C'est l'ensemble de ces questions financières, juridiques et d'organisation de notre société qu'il convient de reconsidérer, avec le souci premier d'aider les familles et de permettre à chaque enfant de devenir un adulte digne et autonome, respectueux des autres et capable de trouver une vraie place dans la société.
Les questions auxquelles la famille doit faire face changent. Les points de repère culturels des familles sont nombreux et divers. Les valeurs qu'elle porte - nous en sommes, je crois, tous convaincus - sont plus nécessaires que jamais, et les fonctions qu'elle remplit sont irremplaçables.
Cellule tourmentée, fragilisée par la crise de la société et, en même temps, point de repère durable dans un monde en profonde évolution, la famille doit être protégée et renforcée. C'est notre objectif. C'est mon objectif. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, je commencerai mon intervention en me déclarant d'accord avec vous sur deux points.
Tout d'abord, comme vous, nous tous, ici, plaçons la famille au centre de l'organisation de notre société ; en effet, la cellule familiale est devenue, du fait de la dureté des temps, l'élément fondamental de la solidarité dans notre pays, et on ne peut la remplacer par des solidarités juridiques ou financières.
Par ailleurs, il existe un déficit persistant dans la branche famille. Vous avez proposé des mesures d'économie, et je vous donne acte de votre volonté de vous rapprocher de l'équilibre des comptes.
Cependant, à partir de ces deux points, vos propos relatifs aux quatre mesures que vous proposez - deux figurent dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont nous discuterons la semaine prochaine, et deux sont contenues dans le projet de loi de finances pour 1998 - montrent bien qu'il y a eu, de la part du Gouvernement, une volonté de modifier l'équilibre profond de notre politique familiale.
J'ai noté, en examinant le rapport annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale, que vous deviez présenter, avant la fin de 1998, les lignes d'action d'une politique de la famille « repensée ». Vous venez de nous en donner quelques éléments, mais, en attendant de nous présenter cette politique « repensée », vous demandez à la représentation nationale de voter quatre mesures qui vont frapper de plein fouet plusieurs centaines de milliers de familles de ce pays : la mise sous condition de ressources des allocations familiales, la diminution de moitié de l'allocation de garde d'enfants à domicile, l'AGED, la réduction de moitié de la déduction fiscale pour les emplois familiaux et le plafonnement de la demi-part accordée aux personnes seules ayant élevé un enfant.
M. Alain Gournac. Ça, c'est clair !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Fallait-il, mes chers collègues, concentrer toutes les mesures d'économie - il n'y a que cela dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 - sur la famille ? Telle est la question essentielle que nous devons examiner ce soir.
Vous comprenez sûrement, madame la ministre, que le Sénat ait souhaité discuter de cette politique familiale que vous avez voulu repenser. Ce débat devrait nous permettre d'aborder l'ensemble des problèmes. Or, la difficulté à laquelle nous nous heurtons tient au fait que vous proposez, en fait, quatre mesures : chacune d'entre elles, qui frappe les familles peut susciter la critique mais l'accumulation des quatre est désastreuse. Je les rappellerai rapidement.
La diminution du plafond de la demi-part accordée aux personnes seules ayant élevé des enfants, en dépit des modifications introduites à l'Assemblée nationale, portera atteinte à la situation morale et matérielle d'un grand nombre de veuves et de veufs, catégorie de contribuables à laquelle le Sénat s'est toujours montré profondément attentif. Je compte sur le président de la commission des finances du Sénat et sur le rapporteur général pour proposer une augmentation du chiffre plafond adopté à l'Assemblée nationale.
S'agissant de la diminution de l'AGED et de la déduction fiscale pour les emplois familiaux, vous avez indiqué que, à votre avis, ces deux mesures allaient trop loin et conféraient un avantage financier trop important à certaines familles. Je répondrai, quant à moi, en termes d'emplois. D'après les statistiques de l'Institution de retraite complémentaire des employés de maison, l'IRCEM, depuis 1992, plus de 300 000 emplois familiaux ont été créés, soit plus de 70 000 par an, en moyenne ; l'AGED a permis, à elle seule, la création de 40 000 emplois, soit un rythme annuel de 7 000.
Je crains que la réduction de l'AGED et de la déduction fiscale pour emplois familiaux ne risque de casser cette dynamique et n'entraîne un retour au travail au noir, la suppression de la protection sociale des personnes employées et une diminution des rentrées de cotisations sociales. Ces mesures se traduiront forcément non seulement par une baisse de ressources pour les familles que vous avez dites riches, mais aussi par la fragilisation d'une population qui commençait, après quelques années, à s'intégrer dans les circuits normaux du travail.
L'Assemblée nationale a évidemment atténué symboliquement la portée de la mesure concernant l'AGED, mais en introduisant une condition de ressources. Décidément, le problème des conditions de ressources est aujourd'hui le maître mot de la politique familiale !
La mesure la plus grave, qui représente 4 milliards de francs alors que les autres ne coûtent que quelques centaines de millions de francs, est évidemment la mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Je ne résiste pas, madame la ministre, à vous lire quelques extraits de la lettre que, en ma qualité de président de la commission des affaires sociales du Sénat, j'ai reçue du président de la Caisse nationale des allocations familiales, M. Jean-Paul Probst.
Me transmettant l'avis rendu par le conseil d'administration de sa caisse, M. Probst m'écrivait ceci : « Vous constaterez l'opposition unanime »...
M. Charles Descours. « Unanime » !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... « des organisations familiales, patronales et syndicales à la mise sous condition de ressources des allocations familiales.
« Au moment où le Parlement va devoir se prononcer sur une mutation fondamentale de notre politique familiale, je souhaite vous redire les trois convictions qui sont celles de notre conseil d'administration.
« La première est que le déficit de la branche famille renvoie à un faisceau de causes complexes. »
Vous avez évoqué tout à l'heure, madame la ministre, l'imprévoyance du gouvernement précédent, qui a fait voter une loi sans prévoir les moyens de financement. Permettez-moi de vous renvoyer la balle et d'invoquer l'imprévoyance du gouvernement de 1988 qui, lorsqu'il a déplafonné les cotisations d'allocations familiales,...
M. Charles Descours. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Exactement !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... n'a pas fixé le taux qui permettait de retrouver le même niveau de ressources. Nous trainons depuis cette date, d'abord la disparition des excédents - il y avait à l'époque des excédents dans la branche famille - puis un certain nombre de déficits. Il faut donc que la justice soit distributive et que chacun ait son lot. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Probst poursuivait : « Procéder à une réforme structurelle de la politique familiale du seul fait du déficit de la branche famille alors que les causes de ce déficit ne font pas l'objet d'une analyse objective ne nous paraît pas une bonne décision.
« Notre deuxième conviction est qu'à tous les niveaux de revenus la venue d'enfants fait baisser le niveau de vie, qu'à tous les niveaux de revenus une famille supporte des charges au bénéfice de la collectivité, qu'à tous les niveaux de revenus une famille acquitte des cotisations d'allocations familiales. Afficher au contraire qu'une partie des familles n'a droit à aucune reconnaissance de la collectivité et à aucun retour de son effort contributif nous paraît grave pour l'avenir de la famille et grave »...
M. Alain Gournac. Très grave !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... « pour l'avenir de nos systèmes de protection sociale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
« Notre troisième conviction concerne enfin la méthode de la réforme. Celle-ci a été annoncée sans concertation et sans débat démocratique préalables. »
C'est la raison pour laquelle, grâce au président du Sénat, nous avons pu aujourd'hui organiser ce débat. (M. Machet applaudit.)
La mise sous condition de ressources des allocations familiales nous paraît grave parce qu'elle démantèle un principe fondamental de notre politique familiale, qui consiste à compenser les charges liées à la présence d'enfants afin de rétablir l'égalité entre les familles ayant des enfants à charge et celles qui n'en ont pas. Il ne s'agit pas de rétablir une justice horizontale entre les familles pauvres et les familles riches.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. En effet, s'agissant de ce dernier point, c'est l'impôt direct qui permet de rétablir l'égalité. Ne mélangeons donc pas tous les systèmes de péréquation ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Madame la ministre, si le texte que vous nous proposez est adopté, 350 000 familles se verront privées de toute allocation, ce qui représente un million d'enfants, et 35 000 autres familles ne percevront plus qu'une allocation différentielle.
Mes chers collègues, en plaçant les allocations familiales sous condition de ressources, le Gouvernement transforme radicalement la politique familiale. Les chiffres que je vais vous citer sont très importants : alors que 42 % des prestations versées par la Caisse nationale d'allocations familiales sont aujourd'hui soumises à des conditions de ressources, plus de 85 % des prestations familiales le seraient désormais si la proposition du Gouvernement était adoptée. C'est donc non pas une différence de degré, mais une différence de nature qui est introduite !
M. Charles Descours. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. C'est bien là un bouleversement total de la philosophie qui anime notre politique familiale.
Madame la ministre, le Gouvernement aborde ainsi une zone dangereuse : celle qui verrait un nombre croissant de Français contribuer lourdement, par leurs impôts et leurs cotisations, au financement d'un système de protection sociale dont les prestations leur seraient refusées.
M. Charles Descours. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Et en choisissant la famille, domaine qui devrait faire l'objet d'un consensus...
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... tant les enjeux sont importants pour notre démographie, pour l'équilibre et le dynamisme de notre pays, le Gouvernement - je persiste à le dire - commet une erreur grave. Heureusement qu'il y a un parlement pour l'empêcher de la commettre !
M. Jacques Machet. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, je crois que le Sénat s'opposera fermement à ce démantèlement de la politique familiale. La famille est non pas un coût pour la société, mais un investissement...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... qui assurera l'avenir de la collectivité nationale.
Dans le monde troublé d'aujourd'hui, la protection de la cellule familiale est une exigence et un impératif auxquels personne ne peut se soustraire.
Madame la ministre, j'ai noté que vous étiez prête, après une large concertation, à revoir l'ensemble du mécanisme et peut-être à transformer une mise sous condition de ressources en une fiscalisation des allocations familiales.
Nous avons évoqué ce point ce matin en commission. Il est bien clair que le troc d'un système pour l'autre nécessitera un « tuyau de raccordement » entre les deux systèmes. En effet, une fiscalisation des allocations familiales sans la mise en place d'un « tuyau de raccordement » vers la Caisse nationale d'allocations familiales serait une fausse réforme et aggraverait encore la situation.
Cela étant, j'ai noté votre accord pour essayer de rediscuter de cette question avec le Parlement, avec les organisations familiales et avec la Caisse nationale d'allocations familiales, dont le conseil d'aministration a émis à l'unanimité un avis défavorable à la mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Sensibles à votre souci de réduire le déficit de la branche famille, nous proposerons, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les moyens d'y parvenir sans pour autant remettre en cause les fondements de la politique familiale.
Unanimement attachés à la politique familiale, nous déplorons que les premiers gestes du Gouvernement vis-à-vis de cette catégorie essentielle de nos concitoyens consistent en quatre mesures, deux d'ordre fiscal et deux d'ordre social, qui remettent en cause les équilibres anciens. Or ce n'est pas un sujet que l'on peut traiter en comparant les riches et les pauvres ou telle région par rapport à telle autre, tant il est fondamental pour notre dynamique, pour notre présence dans le monde et pour notre développement démographique.
C'est la raison pour laquelle nous tenons beaucoup à voir ce débat déboucher sur une remise en question de cette mesure qui est mauvaise, et sans doute sur un réexamen plus raisonnable et plus serein de l'ensemble des thèmes que nous venons d'évoquer. En effet, on ne saurait ainsi, sous prétexte d'économies immédiates, compromettre l'évolution de toute notre société. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRESIDENCE DE M. JACQUES VALADE,
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 44 minutes ;
Groupe socialiste : 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 8 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à Mme Derycke. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous livrer un témoignage : « Mes trois enfants sont placés en foyer ; ma fille de quinze ans ne veut plus me voir. Elle m'a dit le mois dernier : "Tu me fais honte." Je n'ai rien dit, mais c'est au fond de mon coeur ; je n'en peux plus. Personne ne voit les efforts que nous faisons. J'ai retrouvé un travail en contrat emploi-solidarité. Ce n'est toujours pas suffisant. »
Ce témoignage a été exprimé lors de la journée mondiale du refus de la misère.
Cette parole forte d'une mère en détresse et d'une adolescente murée dans son refus de la misère devait être entendue dans cet hémicycle en prélude à nos débats. Elle montre bien que politique sociale et politique familiale ne peuvent être dissociées.
Solidarité horizontale ou solidarité verticale ; taux de fécondité et politique nataliste ; égalité ou équité ; politique distributive ou égalitariste ; retour des femmes au foyer ou conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale ; garde d'enfants à domicile ou modes de garde collectifs ; tous ces termes sont apparus depuis quelques mois sur le devant de la scène tant le débat autour de la famille semble aujourd'hui essentiel pour l'avenir de notre société.
Malheureusement, la réflexion, la confrontation légitime des idées, voire des conceptions différentes ont cédé le pas à l'insulte, aux accusations infondées et aux procès d'intention.
On a pu lire et entendre, ici ou là, et même dans notre enceinte : « la gauche massacre la famille », « la gauche assassine la famille », « la gauche s'en prend à la famille moyenne ». Bien évidemment, ces propos laissent entendre que le rempart, le recours des familles est la droite qui, seule, pourrait comprendre et défendre la famille.
M. Charles Descours. La CGT aussi !
Mme Dinah Derycke. Mais nul n'a le monopole de la famille ! C'est pourquoi, au-delà des discours, il faut juger les actes.
Faut-il rappeler que, depuis 1993, la droite alors au gouvernement, avec l'assentiment de la majorité sénatoriale, a multiplié les effets d'annonce sans dégager les moyens financiers nécessaires, comme l'illustre parfaitement la loi relative à la famille du 25 juillet 1994 ?
Faut-il rappeler, que ceux-là mêmes qui s'indignent aujourd'hui des projets du Gouvernement ont limité en 1995, puis gelé en 1996 la progression des prestations familiales, et que c'est à la gauche qu'il revient, après décision du Conseil d'Etat, d'honorer cette dette laissée par la droite ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Faut-il rappeler que M. Juppé a gelé les plafonds de ressources pour les années 1996 et 1997, qu'il a assujetti les prestations familiales à la contribution pour le remboursement de la dette sociale à partir de l'année 1997 ? Qu'il a diminué, puis imposé les indemnités journalières de maternité et mis sous condition de ressources l'allocation pour jeune enfant ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Faut-il rappeler encore la réduction de l'allocation de rentrée scolaire, le gel puis la réforme à la baisse des allocations logement, les restrictions à l'allocation de parent isolé ? Faut-il rappeler la hausse de la TVA, qui atteint particulièrement les familles les moins favorisées, celles qui ne peuvent pas épargner ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
A cette époque, la droite conservatrice ne trouvait pas ces mesures scandaleuses. Il est vrai qu'elles ne portaient atteinte qu'aux familles modestes ou en difficulté.
Enfin, faut-il rappeler que le gouvernement actuel a hérité d'une branche famille accusant un déficit de 13 milliards de francs en 1997, et sans doute de 12 milliards de francs en 1998 ? Ce déficit important, dangereux même pour l'avenir de la branche famille, paraît surprenant. Il ne peut être imputé ni à une hausse de la démographie ni à une revalorisation des prestations, comme nous venons de le voir. Il provient en réalité de la propension des gouvernements de droite à légiférer à crédit, voire à se laisser aller aux vieux démons idéologiques prônant insidieusement le retour des femmes au foyer par l'instauration d'un salaire maternel déguisé.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Exactement !
Mme Dinah Derycke. L'extension de l'aide parentale à l'éducation dès le deuxième enfant correspond à cette conception. Le succès de cette mesure ne relève pas d'un partage de cette conception par les familles, mais il tient à la situation économique.
A cet égard, dans son dernier rapport au Parlement, la Cour des comptes constate que cette prestation « aux objectifs insuffisamment définis... est à l'origine de la plus grande partie du déficit de la branche famille », puisqu'elle représente « la principale composante de la progression des dépenses induites par la loi famille ».
La Cour observe que « le succès de l'APE semble dû en grande partie à la dégradation de la situation du marché du travail féminin » et note que, « au-delà de son intérêt évident pour les femmes déjà inactives, cette prestation est attrayante pour les femmes en chômage faiblement indemnisé ou en fin de droits et pour celles qui occupent des emplois précaires ».
La Cour des comptes estime que cette mesure décidée sans étude préalable « a contribué à la détérioration du taux du chômage des femmes ».
Curieusement, ces observations fortes de la Cour des comptes n'ont pas trouvé d'écho dans la majorité de la Haute Assemblée. Le même silence a accueilli les critiques que formulait la Cour des comptes en 1996 sur les largesses de l'AGED, sur leur prise en charge excessive par les deniers publics, sur leur effet anti-redistributif, sur l'absence totale de professionnalisation de ces employées dont le travail est souvent détourné vers des tâches ménagères. Car, dans le même temps où elle réduisait le pouvoir d'achat de millions de familles modestes, la droite libérale au gouvernement a su faire preuve de générosité. C'est ainsi qu'elle a étendu puis fortement revalorisé l'AGED, allocation qui se révèle d'autant plus attractive qu'elle se cumule avec une réduction fiscale, elle-même considérablement augmentée.
Une politique généreuse, certes, mais pour les seules familles bénéficiant de revenus élevés, puisque l'AGED ne prend son plein effet que lorsque le ménage peut déduire de ses impôts, dans la limite d'un plafond de 90 000 francs, la moitié du salaire net versé.
Même si cela déplaît, il faut dire que l'aide publique annuelle pour une famille avec deux enfants et 500 000 francs de revenus nets peut s'élever à plus de 125 000 francs, dont 48 000 francs de prise en charge directe des cotisations salariales de l'AGED, une réduction de 24 755 francs au titre du quotient familial fiscal, à laquelle s'ajoute la réduction de 45 000 francs pour l'emploi à domicile. Bien entendu, cette famille perçoit environ 8 000 francs d'allocations familiales !
Avec une aide publique annuelle de 125 000 francs, l'effet redistributif est évident !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Eh oui !
Mme Dinah Derycke. Certes, on objectera que cette disposition a pour vocation de faciliter la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale des femmes. Cela est vrai pour les rares bénéficiaires de cette mesure, mais ne peut s'appliquer aux personnes employées dans ce cadre. En effet, avec un salaire avoisinant généralement le SMIC, ces femmes employées à domicile ne peuvent évidemment pas recourir à cette possibilité. Comment font-elles pour garder leurs propres enfants ? Comment font ces millions de femmes qui perçoivent un salaire modeste et sont parfois contraintes à des horaires de travail discontinus ? La question mérite d'être posée.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Un déficit important, périlleux pour le devenir même de la branche famille ; et un accroissement du nombre de familles en difficulté : tels sont les résultats de la politique familiale menée de 1993 à 1997.
Face à cette situation, il fallait réagir. Le Gouvernement l'a fait en prenant en compte la situation réelle de la majorité des familles.
Dès le mois de juin, il a engagé des efforts en matière de justice sociale et de solidarité. Ainsi, plus de 10 milliards de francs ont été consacrés à l'amélioration de la vie des familles les plus modestes. L'allocation de rentrée scolaire a été portée à 1 600 francs, contre 1 000 francs l'an passé, pour un coût de 6,7 milliards de francs au bénéfice d'environ cinq millions de personnes. De même, un fonds social doté de 250 millions de francs a été créé pour favoriser l'accès de tous les enfants aux cantines scolaires. Car, dans un pays riche comme l'est la France, quatrième puissance économique mondiale, des enfants ne mangent pas, ne mangent plus à leur faim !
Le barème des aides personnalisées au logement a été revalorisé au 1er juillet 1997, pour un montant de 2,5 milliards de francs. La réduction d'impôt pour frais de scolarité, dont la suppression était programmée, a été maintenue pour toutes les familles ayant des enfants au collège, au lycée ou à l'université. Enfin, l'allocation familiale sera maintenue dès 1998 pour les jeunes adultes de dix-neuf ans restant à la charge de leurs parents.
Ces correctifs immédiats et importants s'imposaient, mais restent insuffisants au regard du déficit prévu. Le plafonnement de l'AGED et la mise sous condition de ressource des allocations familiales répondent au souci de le limiter rapidement. Est-il scandaleux de réduire le montant de l'AGED pour 66 000 familles disposant d'un revenu convenable ? Est-il scandaleux de mettre sous condition de ressources les allocations familiales de familles de deux enfants disposant d'un revenu net de 300 000 francs lorsqu'un seul parent travaille, ou de 384 000 francs lorsque les deux parents travaillent ou s'il s'agit d'une famille monoparentale ?
En agissant ainsi, le Gouvernement s'en prend-il aux familles moyennes ? C'est ce que d'aucuns, parfois ici, ont voulu faire croire alors même que, comme l'ont montré les sondages, la majorité des Français n'a pas été dupe.
En effet, le mythe de cette famille moyenne a été créé de toutes pièces. Les statistiques de l'INSEE portant sur le revenu des ménages indiquent en effet qu'en 1993 le revenu net moyen annuel des ménages s'établissait à 172 000 francs et que la moitié des ménages en France disposaient de revenus annuels inférieurs à 140 000 francs. Nous sommes donc bien loin du seuil de 300 000 francs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
Mme Dinah Derycke. Autre indicateur : 94 % des 6,5 millions de locataires du parc HLM ont un revenu inférieur à deux fois le SMIC et, parmi eux, ils sont un million à disposer d'un revenu inférieur au SMIC. Nous sommes bien loin du débat sur l'AGED.
Telle est la situation réelle de l'immense majorité des familles.
D'ailleurs, le plafonnement des ressources existe déjà dans notre législation sociale, mais en sens inverse, par le bas, du fait de l'instauration des minima sociaux. C'est ainsi que les allocations familiales sont imputées sur le RMI, au même titre que les bourses universitaires.
Prenons le cas d'une famille RMIste qui envoie l'un de ses enfants à l'université. Ce dernier pourra bénéficier d'une bourse eu égard à la faiblesse des revenus familiaux, mais le montant de cette bourse sera imputé sur le montant du RMI, et la famille ne percevra aucune somme supplémentaire.
D'ailleurs, on apprend dans le numéro des Documents du 31 octobre 1997, édités par la revue Liaisons sociales, que la majoration du RMI pour un troisième enfant est beaucoup plus faible que la majoration correspondante des allocations familiales et le complément familial pour un ménage disposant de revenus plus importants.
Ne peut-on considérer qu'il s'agit bel et bien là d'un plafonnement à l'envers ? En quoi serait-il plus tolérable que le plafonnement par le haut ?
Il est vrai que le mouvement familial est attaché au principe de l'universalité des allocations familiales. Perçu comme un élément fondateur de la politique familiale en France, la remise en cause de ce principe peut légitimement troubler.
Le Gouvernement a entendu ces craintes et accepté que les mesures de plafonnement soient provisoires, dans l'attente d'une remise à plat de toute la politique familiale, programmée pour l'an prochain.
Il a annoncé clairement qu'aucun sujet ne serait tabou, qu'il s'agisse de la fiscalisation des allocations familiales ou de la réforme du quotient familial, dont on sait qu'il avantage particulièrement les familles les plus aisées.
Nous verrons, alors, si l'opposition au plafonnement relevait pour tous de la défense du principe de l'universalité ou, pour certains, de la défense financière de quelques privilégiés.
En attendant cette remise à plat, il ne faudrait pas, sous prétexte de défendre un acquis hérité de situations passées, s'opposer à la solidarité nécessaire qu'exigent les réalités d'aujourd'hui.
Oui, en cinquante ans, la famille a changé ! Elle s'est modifiée dans sa structure, mais aussi dans sa représentation. Elle n'en reste pas moins une composante essentielle de notre société. La politique familiale doit prendre en compte ces évolutions.
Le code de la famille de 1939 puis les lois sociales et familiales de 1945 et 1946 correspondaient à des logiques de développement de la natalité et de réconciliation des Français.
Pour ces raisons, les allocations ont été versées à tous, mais seulement à compter du deuxième enfant, avec une prime au troisième enfant. Le modèle familial de référence que le législateur voulait encourager était la famille constituée d'un couple marié, d'au moins trois enfants et où la mère restait au foyer.
M. Jean Chérioux. Il avait raison !
Mme Dinah Derycke. L'évolution des mentalités, l'aspiration à un épanouissement de chaque individu, le combat des femmes pour plus d'égalité, leur entrée massive sur le marché du travail, la maîtrise enfin possible de la fécondité, mais aussi la crise économique, avec le développement de la précarité et du chômage, ont profondément bouleversé le paysage familial.
La famille est désormais diversifiée : à côté de la famille nucléaire sont apparues la famille éclatée, la famille recomposée, la famille monoparentale.
M. Jean Chérioux. Ce ne sont plus des familles ; voilà le problème !
Mme Dinah Derycke. Il y a aujourd'hui environ 1 300 000 familles monoparentales, le parent seul étant presque toujours une femme. Ces familles forment un véritable bloc de pauvreté.
M. Dominique Braye. Vous avez tout cassé !
Mme Dinah Derycke. Toutefois, contrairement à ce que l'on a pu craindre, la famille n'est pas en crise. Elle reste, pour la majorité des Français, la structure de base de notre société.
Chacun peut observer qu'elle est le premier lieu où s'exprime la solidarité. Face à la crise économique, la famille a réagi en développant des réseaux d'entraide, que ce soit pour le logement des enfants majeurs ou la garde des jeunes enfants. Elle a également opéré des transferts importants de revenus entre les générations, des plus âgés vers les plus jeunes. Ces transferts, évalués à 130 milliards de francs, permettent de réduire, sinon de gommer, les effets dévastateurs de la crise économique.
Une politique familiale actuelle doit prendre en compte ces changements de comportement, sinon elle échouera.
Qu'on le veuille ou non, l'aspiration des femmes à travailler est irréversible ; qu'on le veuille ou non, la volonté des parents est de n'avoir que les enfants qu'ils pourront élever décemment, dignement, et auxquels ils pourront préparer un avenir ; qu'on le veuille ou non, le choix d'avoir un nouvel enfant est subordonné au maintien de conditions de vie acceptables pour les autres membres de la famille.
Mme Gisèle Printz. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Réformer en profondeur la politique familiale obligera à faire des choix, à arbitrer entre des conceptions qui pourront apparaître conflictuelles ou parfois contradictoires.
Nous ne pouvons pas nous désintéresser de la baisse de la démographie et des conséquences lourdes qu'elle entraînera.
L'allocation au premier enfant, au-delà de son effet de justice sociale, ne serait-elle pas judicieuse pour avancer la date de la première naissance et aider les jeunes couples ?
Sur quelles ressources doit reposer notre politique familiale : sur la cotisation, avec la définition d'une nouvelle assiette, sur l'impôt ou sur une combinaison de ces deux systèmes ? Le chantier est ouvert.
M. Philippe François. Les enfants, ce n'est pas un problème d'argent !
Mme Dinah Derycke. Le nouveau projet doit être élaboré le plus largement possible, dans la plus grande concertation. Il serait dramatique qu'il soit confisqué par quelques-uns, qui s'érigeraient indûment en seuls défenseurs de la famille, d'autant que la politique familiale ne peut être réduite à l'octroi des seules prestations sociales. Elle ne peut qu'être globale ; elle doit aussi être cohérente.
C'est ainsi que le logement constitue le souci prioritaire de bien des familles et un frein à leurs possibilités ou à leur désir d'agrandissement.
Les décisions prises en faveur du logement social dès le mois de juin vont dans le bon sens, de même que le projet de budget pour 1998, qui prévoit la construction massive de logements sociaux, y compris pour les plus démunis.
Mme Gisèle Printz. Absolument !
Mme Dinah Derycke. Ce budget rompt totalement avec les précédents, que, pourtant, la majorité sénatoriale a approuvés sans états d'âme.
Le plan emploi-jeunes, refusé par la majorité de notre assemblée, contribue aussi à l'amélioration de la vie des familles.
Disposer d'un emploi et d'un revenu pour au moins cinq ans permet à chaque jeune de développer un projet de vie et, s'il le souhaite, de fonder un foyer.
Ce plan permettra également de développer des services de proximité pour un meilleur confort de vie. Le développement des activités périscolaires apportera une solution supplémentaire au difficile problème de la garde des enfants.
Dans ce secteur, les besoins sont immenses. Aucune politique familiale ne sera efficace tant que cette question n'aura pas été résolue.
Préoccupations fortes des familles, l'éducation, la formation disposeront d'un budget en augmentation, en 1998. Les mesures de la dernière rentrée scolaire, l'annonce d'un plan Université 3000 garantissent le retour, avec le gouvernement de la gauche, de la priorité éducative.
En fait, toutes les politiques ont des répercussions ou des incidences sur la vie des familles. On pourrait citer, en tout premier lieu, les politiques sociales, l'assurance maladie, la prévention et la santé, mais aussi l'environnement ou même le développement du tourisme social.
Les mutations du monde du travail seront également lourdes de conséquences sur l'évolution des familles.
On ne peut en effet parler de politique familiale et, au nom du libéralisme et de la compétitivité des entreprises, se contenter du niveau actuel des salaires.
On ne peut parler d'épanouissement au sein de la famille et vouloir imposer une flexibilité excessive du travail qui empêcherait les membres d'une même famille de partager une communauté de vie.
On ne peut parler de politique familiale et s'opposer, par principe, à la réduction du temps de travail pour tous.
Tous ces aspects participent de la construction d'une véritable politique familiale.
Projet ambitieux, sans doute ! Projet irréaliste, peut-être !
Projet politique, au vrai sens du terme, puisqu'il organise la vie de la cité et que nos familles constituent le coeur même de la cité.
Projet politique puisqu'il a pour objet d'organiser la solidarité et la redistribution plus juste des richesses produites.
Madame la ministre, les premières mesures prises cet été par le gouvernement de gauche auquel vous appartenez sont la preuve évidente de l'intérêt porté aux familles.
M. Charles Descours. Elles l'ont dit, d'ailleurs !
Mme Dinah Derycke. C'est donc avec confiance que les socialistes et le groupe socialiste du Sénat aborderont, à vos côtés, cette réforme essentielle pour l'immense majorité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Larché.
M. Jacques Larché. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'irai à l'essentiel de ce débat.
En cet instant, madame le ministre, je ne rougis pas de défendre les 400 000 familles et le million d'enfants auxquels vous allez purement et simplement, au-delà des astuces de langage, supprimer les allocations familiales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
De cette suppression, je dirai simplement qu'elle est fondamentalement inconstitutionnelle, et je vais m'efforcer de le démontrer. D'ailleurs, je vous l'annonce par avance, dans la mesure où, comme je le crains, vous inscrirez dans la loi de financement de la sécurité sociale et dans la loi de finances les dispositions que vous nous avez annoncées, nous déférerons ces textes au Conseil constitutionnel pour les raisons que je vais indiquer.
Il existe deux fondements au bloc de constitutionnalité : tout d'abord, ce qu'il est convenu d'appeler - c'est dans la Constitution - les lois et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ; ensuite, le bloc de constitutionnalité lui-même.
Les allocations familiales - c'est un premier point - font partie sans aucun doute de ces principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il faut entendre par là une disposition qui a pour elle le maintien d'une certaine antériorité et en quelque sorte son inscription dans un tableau législatif permanent.
Je ne reviendrai pas sur tous les textes successifs, mais il y a dans ces principes fondamentaux et dans les textes qui les ont reconnus quelques éléments auxquels il faut s'attacher.
Il y a, tout d'abord, l'important décret du 29 juillet 1939. Il y a, ensuite, reprenant les idées qui étaient annoncées, un excellent propos de notre collègue Michel Rocard, alors ministre du Plan, qui est coutumier de phrases que nous nous plaisons parfois à reprendre : « L'enfant est porteur d'une créance, d'un droit sur la collectivité du seul fait de son existence. Ce droit est identique pour tous les enfants, quels que soient leur rang dans la famille, les revenus ou l'état matrimonial de leurs parents... » (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. C'est une belle déclaration !
M. Jacques Larché. Cette philosophie que reprenait Michel Rocard dans le Plan dont il était responsable était très bien résumée dans une phrase extraite du rapport au Président de la République introduisant le décret du 29 juillet 1939 : « L'aide à la famille est égale pour tous les Français, à quelque classe qu'ils appartiennent ; elle est due en contrepartie à la contribution solidaire de tous les Français, quelle que soit leur profession. »
Vous supprimez donc l'allocation familiale et ce faisant - c'est bien là votre intention - vous allez à l'encontre des principes fondamentaux qui ont été reconnus par les lois de la République.
Je vous rappelle d'ailleurs - nous le savons ici - que c'est en nous appuyant sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République que nous avons, contre la volonté des gouvernements de votre tendance, sauvé la liberté de l'enseignement. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jacques Larché. Mais le droit aux allocations familiales - c'est un second point - est plus qu'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis 1946, il s'ancre sur la Constitution elle-même, plus précisément sur deux alinéas.
Ainsi, le dixième alinéa dispose que : « La nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Notez bien cette phrase, madame le ministre, car nous aurons peut-être l'occasion de nous en servir en d'autres occasions, si j'en crois, l'annonce de certains projets !
Quant au onzième alinéa, il prévoit que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs... ».
Le droit aux allocations familiales ne peut pas être isolé. Il est exactement de même nature que le droit à la protection de la santé, garanti, lui aussi, par le préambule de la Constitution de 1946.
Dans la ligne de ce que vous nous proposez, à savoir la mise sous condition de ressources, allez-vous nous suggérer de supprimer le droit à l'assurance maladie pour un certain nombre de Français en fonction de leurs ressources ?
MM. Alain Gournac et Jean Chérioux. Les riches !
M. Jacques Larché. Cela aurait exactement le même fondement juridique ou, plus exactement, cela serait caractérisé par la même absence de fondement juridique.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Jacques Larché. Le législateur est fondé, bien évidemment, à organiser la mise en oeuvre des droits reconnus par le préambule de la Constitution de 1946. Mais s'il est une chose qu'il ne peut pas faire, c'est de les supprimer pour quelque raison que ce soit.
Le Conseil constitutionnel, et nous nous appuierons sur ses décisions, a déjà censuré des dispositions qui méconnaissent le droit à la protection sociale, au rang desquelles il faut faire figurer les allocations familiales au motif qu'elles avaient pour effet, non pas d'organiser la mise en oeuvre des droits reconnus par le préambule, mais tout au contraire d'en priver les intéressés. La suppression du droit aux allocations familiales pour certaines familles ébranlerait de manière certaine un des piliers de la sécurité sociale à laquelle vous êtes encore attachée, du moins l'espérons-nous.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques observations que je voulais présenter dans le laps de temps dont je dispose. Je suis allé à l'essentiel.
Ma conception du rôle du Conseil constitutionnel vous est connue. Je n'ai jamais critiqué aucune des décisions prises par le Conseil constitutionnel. Il m'est arrivé de regretter qu'il soit saisi trop souvent, jusqu'à devenir une sorte d'arbitre de nos débats, alors que la souveraineté du Parlement doit être sauvegardée aussi souvent que possible.
Je me suis pourtant toujours associé personnellement à ces quelques recours que nous avons faits devant le Conseil constitutionnel. Ils exprimaient notre attachement à la défense d'un certain nombre de valeurs auxquelles nous croyons et que le Conseil constitutionnel est capable de protéger.
Cette démarche, nous l'entreprendrons et nous pensons - je l'espère en tout cas - que le Conseil constitutionnel saura reconnaître la qualité de notre démarche. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Madame le ministre, le début de votre discours comportant l'approbation, l'exaltation de ce qu'est le rôle de la famille ne pouvait que toucher nombre d'entre nous, pour ne pas dire tous ceux qui siègent sur ces travées.
Nous avons de la famille la même conception que vous. Nous avons de son rôle dans la société la même exaltation intellectuelle et morale. Nous avons de son rôle dans la transmission des valeurs, je crois, la même ambition pour les générations qui vont nous suivre.
C'est la raison pour laquelle je suis de ceux qui se sont réjouis que ce débat puisse s'ouvrir ici, spécialement centré sur l'idée que nous nous faisons de la famille et sur la manière, de gouvernement en gouvernement, dont on essaie d'en gérer les aspects éducatifs. Et c'est là, madame le ministre, où je me trouve quelque peu en désaccord avec certains des propos qui ont été tenus à cette tribune par vous-même ou par l'orateur qui s'est exprimé au nom du groupe qui vous soutient le plus, pour ne pas dire le seul en cette matière. (Sourires sur les travées du RPR.)
M. Philippe François. Le seul !
M. Paul Girod. Si vous le permettez, parce que, selon vous, la façon de mener une politique familiale est une exception française, je ferai un retour en arrière, et remonterai au début du siècle dernier, en considérant ce qu'était à l'époque la population des pays d'Europe. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de rappeler ces chiffres dans un débat relatif à l'aménagement du territoire. Peut-être notre collègue M. Hoeffel s'en souvient-il puisque, à l'époque, il était au banc du Gouvernement.
L'Europe occidentale, l'Europe tout entière, Russie comprise, comptait à peu près un habitant à l'hectare cultivable. Cela donnait vraisemblablement la mesure de ce que pouvait être la limite de la famine dans cette partie du monde.
Ce qui est intéressant, c'est l'évolution des populations dans les pays d'Europe à partir de ce point de repère uniforme. Or, bizarrement, la France a été un pays de faible émigration, un pays de forte immigration et, cependant, la population française n'a été multipliée, entre 1800 et 1950, que par 1,5 environ, toutes immigrations incluses, alors que les autres pays d'Europe connaissaient des coefficients d'augmentation de quatre à douze, toutes émigrations assumées.
Cela revient à dire, de manière simple, qu'il existait dans notre pays un problème de natalité qui ne se posait nulle part ailleurs dans les mêmes termes.
Je suis de ceux qui pensent que, si les patrons et l'Etat ont pris ensemble, après l'effroyable saignée de la guerre de 1914-1918, la mesure du problème et un certain nombre d'initiatives, cela allait au-delà de la fabrication d'une main d'oeuvre dont vous avez dit tout à l'heure qu'elle était probablement l'objet de l'opération.
On a assisté, me semble-t-il, à un véritable réflexe de survie civilisatrice de notre nation qui, devant un problème qui lui était particulier, a mis en place un système spécifique. Dans ce système, l'enfant était considéré comme étant un être en devenir, éventuel fournisseur de cotisations pour les régimes vieillesse. Mais je ne crois pas qu'on se soit posé le problème en ces termes à l'époque !
M. Philippe François. Certainement pas !
M. Paul Girod. L'enfant était bel et bien un véritable citoyen en devenir, qui avait des droits dès sa naissance.
Madame le ministre, je suis un peu surpris, sur le fond, comme sur la forme ou sur les conséquences, des décisions que vous voulez prendre.
Les allocations familiales, selon vous, ce n'est pas une politique d'assurances. Je partage ce sentiment et ce que je viens de dire précédemment va dans ce sens. Peut-on pour autant relativiser les droits à cette prestation ? Ma réponse est négative, d'abord pour les raisons de fond que je viens d'exposer, ensuite compte tenu des conséquences immédiates qu'entraînerait cette relativisation. Elle ne concernerait, selon vous que 30 000 familles, 400 000 pour M. Fourcade. Je suis plutôt proche de ce dernier chiffre que du premier.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'en liant cette disposition à trois autres mesures que vous annoncez, mais surtout à deux d'entre elles, vous allez perturber de manière profonde, au-delà des familles - dont vous jugez plutôt, à priori, que leur situation financière mérite, je ne dis pas qu'on les mette au ban de la nation, mais en tout cas qu'on les juge comme étant hors solidarité ou hors préoccupation du style de celles que je viens d'exposer - les circuits économiques qui sont entre les mains de ces familles-là, avec des conséquences inattendues.
Combien de familles moyennes, super-moyennes, moyennes au-dessus, moyennes en-dessous, qui, étant entrées dans le chemin de l'accession à la propriété pour loger une famille relativement nombreuse, ont-elles vu leur banquier, pour accorder le prêt, intégrer le montant des allocations familiales - qui vont disparaître du jour au lendemain - dans leur revenu ?
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe François. C'est une mesure typiquement marxiste !
M. Ivan Renar. Pauvre Marx !
M. Paul Girod. Quelles vont être les conséquences sur l'économie de ces familles-là ? Quelle va être la conséquence, sur le marché de l'emploi, de la réduction brutale et unilatérale de l'AGED ? Derrière le marché de l'emploi, il y a les employés !
Quelle sera donc la conséquence de cette mesure sur le marché de l'emploi alors que l'on consacre par ailleurs 100 000 francs, dont 20 000 francs à la charge des collectivités locales, à des emplois plus ou moins artificiels destinés en partie à satisfaire des besoins nouveaux nés de la suppression des emplois familiaux ?
Comment peut-on affirmer qu'il est normal d'attribuer 100 000 francs à un emploi de ce type et, dans le même temps, trouver anormal de consacrer 45 000 francs à un emploi stabilisé au sein d'une famille ? Où est la logique ? Quelles seront les conséquences sur le marché de l'emploi ?
Je suis d'autant plus inquiet, madame le ministre, que vous justifiez vos décisions par des affirmations que je trouve, pour ma part, curieuses.
Vous avez dit que le Gouvernement s'engagerait dans la protection des enfants qui ne peuvent pas manger à la cantine. Vous avez certainement raison, mais êtes-vous sûre d'avoir analysé ce qui se passe sur le terrain, d'avoir mesuré le rôle des caisses d'allocations familiales, des centres communaux d'aide sociale et des départements ?
La somme que vous avez annoncée à l'échelon national, divisée par 100 puisque mon département représente 1 % de la population nationale, constitue 1 % des crédits consacrés par mon département à cette action. Ce petit résultat vaut-il tant de perturbations ?
M. Dominique Braye. C'est de la mousse !
M. Paul Girod. Madame le ministre, je vous ai entendu dire tout à l'heure que vous aviez quadruplé l'allocation de rentrée scolaire.
M. Philippe François. Aux dépens de qui ?
M. Dominique Braye. Et pourquoi faire ?
M. Paul Girod. Vous l'avez fixée à 1 600 francs. Quelques instants après, dans le même discours, vous avez signalé que l'allocation de rentrée scolaire avait été abaissée à 1 000 francs en 1996.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non !
M. Paul Girod. Si, madame le ministre, je vous ai écouté avec une attention scrupuleuse : vous avez bien dit que vous aviez quadruplé l'allocation de rentrée scolaire et, quelques instants après, qu'elle avait été ramenée à 1 000 francs en 1996 !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Elle a été quadruplée par rapport à son montant moyen qui est de 400 francs !
M. Paul Girod. Madame le ministre, sur ce point, honnêtement, je ne peux pas vous suivre. Cette allocation avait été portée à 1 500 francs. Vous vous êtes indignée qu'elle ait été ramenée à 1 000 francs et vous nous dites qu'elle quadruple en passant à 1 600 francs ! (Sourires.) Il y a là une opération mathématique qu'il faudra expliquer aux Français avec un peu plus de documentation que celle que je possède. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Que l'on remette à plat la politique familiale ne me choque pas, mais je crains que la précipitation et le caractère sommaire des mesures envisagées n'entraînent d'énormes perturbations que vous aurez ensuite beaucoup de mal à gérer et que les familles auront énormément de mal à assumer.
J'aurais de beaucoup préféré que l'on pose tranquillement ce problème, que l'on ne s'abrite pas derrière des déficits sur lesquels il y a beaucoup d'analyses à faire...
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Paul Girod. ... - je crois que cela a été fort bien dit tout à l'heure - et, par conséquent, qu'on essaie de maintenir la situation en posant le problème de façon approfondie plutôt qu'en se contentant de mesures que je crains malheureusement trop caricaturales, trop absolues, et trop groupées pour qu'elles n'aient pas ensuite des conséquences parfaitement dommageables pour l'équilibre psychologique de nombreuses familles et pour l'équilibre du marché de l'emploi dans les conditions que j'ai indiquées tout à l'heure. (Bravo ! Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en annonçant le 19 juin dernier la mise sous condition de ressources des allocations familliales, M. le Premier ministre a provoqué un vif débat sur la politique familiale, certes, mais aussi et plus largement, me semble-t-il, sur la justice sociale.
Ces débats ont été et restent nécessaires, et vous en convenez, madame la ministre, puisque le Gouvernement à décidé de remettre à plat la politique familiale en 1998 et n'exclut pas de revenir, dans cette optique, sur les mesures prises cette année. Je vous en remercie.
Comme vous le savez, nous souhaiterions que la mise sous condition de ressources ne soit pas retenue, dans la mesure où cette remise à plat n'a pas eu lieu.
Je m'empresse de dire que notre opposition à cette disposition ne s'apparente en rien à celle de la droite. Ceux-là mêmes qui, à l'Assemblée nationale, se sont déchaînés contre votre projet de loi et qui se présentent comme les défenseurs de la « famille française » - ils le font ici plus courtoisement (Sourires) - sont bien mal placés pour le faire.
M. Alain Vasselle. Merci pour la courtoisie !
M. Guy Fischer. Cela cache quelque chose !
Mme Nicole Borvo. M. Juppé endosse, si je puis dire, la paternité de la mise sous condition de ressources et de la fiscalisation des allocations, même s'il a dû y renoncer. En outre, c'est la précédente majorité qui a mis sous condition de ressources l'allocation pour jeune enfant, c'est elle qui a refusé de revaloriser les allocations familiales dans les années 1993 à 1996, comme l'y obligeait pourtant la loi, ce qui a valu à l'Etat d'être condamné par le Conseil d'Etat.
Par ailleurs, depuis que Mme Veil a fait voter la loi « famille », la branche famille de la sécurité sociale a été constamment en déficit.
Ceux-là mêmes qui s'insurgent contre la réforme de l'AGED, dont le financement est d'une injustice flagrante puisqu'elle profite aux plus hauts revenus, dirigent quantité de villes où le manque de crèches et de moyens de garde collectifs est flagrant. A Paris, 47 % des besoins en crèches, plus encore dans certains quartiers populaires, ne sont pas couverts. Y remédier serait, soit dit en passant, créateur d'emplois, et cela semble vous préoccuper, messieurs !
Aussi, bien des familles à salaire moyen qui souhaiteraient recourir à un mode de garde collectif sont dans l'obligation, parfois pendant un certain laps de temps, d'employer une personne à domicile. De ce point de vue, la modulation de la réforme proposée par le Gouvernement est effectivement nécessaire.
J'ajoute que la précédente majorité a divisé par quatre l'allocation de rentrée scolaire, gelé les allocations logement et que le bilan de son action en termes de chômage et de salaire, a gravement mis en cause la situation de nombreuses familles.
En réalité, la politique familiale que la droite défend aujourd'hui avec tant de verve est sélective et quelque peu suspecte.
Lors du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, on a pu constater que certains membres de l'opposition n'hésitaient pas à flatter l'extrême droite, si j'ai bien compris les propos de M. François Coulard, qui se demande « si le Gouvernement compte sur l'immigration pour redresser la France » et de M. Bernard Accoyer qui, lui, « pressent que les régularisations de clandestins ont contribué au déséquilibre des comptes de la nation ». Ils préfèrent peut-être que les travailleurs clandestins le demeurent tels, en dehors de toute cotisation à la sécurité sociale, au plus grand profit de leurs employeurs.
Ce discours, c'est certain, profite exclusivement au parti de M. Le Pen. Il rappelle les pires époques et il a le tort de méconnaître notre histoire et la réalité. Mme Triballat, démographe, ne souligne-t-elle pas que « sans l'immigration de l'après-Deuxième Guerre mondiale, la France serait un pays très vieux comptant 43 millions d'habitants ». Qui peut dire si la sécurité sociale serait en équilibre ?
Cette mise au point étant faite, il va de soi que notre opposition à la mise sous condition de ressources des allocations familiales n'a pas pour objet de défendre les familles les plus aisées, mais qu'elle vise à préserver l'équilibre de notre système de protection sociale.
Celui-ci reposait sur trois grands principes : il se voulait universel en étant ouvert à tous, unique en regroupant la famille, la maladie, la vieillesse, les risques liés au travail, et uniforme, les prestations et les soins étant identiques pour tous.
Ainsi, les principes d'égalité et de solidarité sur une base horizontale nationale - c'est son originalité - sont intimement liés : chacun cotise en fonction de ses moyens pour recevoir selon ses besoins. Cette conception de la solidarité nationale s'oppose tout à la fois à la logique d'assistance et à la logique assurantielle, qui se combinent en d'autres lieux avec les effets que l'on sait.
Vous prenez l'engagement de ne pas étendre la mise sous condition de ressources à d'autres prestations, notamment à la santé.
Nous pensons, quant à nous, qu'il faut se garder de faire un premier pas dans quelque domaine que ce soit.
M. Charles Descours. Très bien !
Mme Nicole Borvo. Je vous en prie ! J'ai pris la précaution de dire que je ne souhaitais pas de rapprochement malvenu !
M. Alain Gournac. On a le droit de vous féliciter !
Mme Nicole Borvo. Certes, les conditions ont changé depuis 1945. Les besoins de financement sont bien différents, mais la mise sous condition de ressources ne nous paraît ni contribuer à la justice sociale, ni accroître les moyens de financement. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Tout d'abord, vous en conviendrez, cette mesure est abordée davantage en termes de résorption de déficit - ce qui devrait vous faire plaisir - et de réduction des dépenses publiques qu'en terme de financement durable et de justice sociale.
M. Alain Vasselle. On est d'accord avec vous !
Mme Nicole Borvo. Le parallélisme entre cette mesure et le triplement de l'allocation de rentrée scolaire ne tient pas ; en effet, cette dernière n'est pas une prestation légale et n'est pas financée par les caisses d'allocations familiales.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
Mme Nicole Borvo. En revanche, si certains salaires ne donnaient plus droit aux allocations, la tentation de supprimer les cotisations serait grande. En effet, les allocations des salariés dont le salaire est élevé sont, tout de même, la contrepartie de leurs cotisations.
La question est d'autant plus sérieuse - vous le constaterez, messieurs, je ne suis pas d'accord avec vous - que la branche famille était, à l'origine, la seule à être uniquement financée par les cotisations patronales. Or, de plus de 16 points dans les années cinquante, elle est descendue à 5,4 points actuellement. Le patronat a déjà obtenu la suppression des cotisations pour les salaires inférieurs à 1,33 fois le SMIC et exprime clairement sa volonté de s'en débarrasser et d'obtenir la fiscalisation de la branche famille.
Le résultat à attendre est donc un tarissement de la source de financement actuel, ce qui pénalisera encore plus les familles les plus défavorisées, le recours à la fiscalisation enfermant encore davantage la protection sociale dans les choix budgétaires de tel ou tel moment. Nous y sommes défavorables et nous souhaitons obtenir des assurances sur ce point.
Pour ce qui concerne la justice sociale, limiter l'accès aux allocations familiales est tout aussi dangereux. Le plafond, nous le savons - hélas ! - devient vite le plancher, ce qui a pour résultat, contrairement à l'objectif assigné, de prendre pour cible les revenus moyens plutôt que les revenus élevés.
Permettez-moi de citer M. Jean-Jacques Dupeyroux, qui, dans un article récent, dépense de louables efforts pour soutenir la mise sous condition de ressources, mais qui commence par dire : « certes, la réduction des droits des catégories modestes est toujours qualifiée de "réforme courageuse", alors que les atteintes aux droits des nantis sont toujours de lamentables erreurs économiques : vieille chanson ! »
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Dupeyroux s'est souvent trompé !
Mme Nicole Borvo. Enfin - c'est une raison supplémentaire de ne pas vous suivre aujourd'hui, madame la ministre - la mise sous condition de ressources rompt la confiance en une politique familiale durable.
Aussi, si je me réjouis de ce que le débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale ait permis, grâce, notamment, aux nombreuses interventions du groupe communiste l'adoption d'un amendement qui en fait une mesure transitoire, encore que le délai demande à être précisé, je me permets de souhaiter que cette mesure soit purement et simplement retirée... (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), ne serait-ce que pour éviter la mise en place de dispositions techniques onéreuses sur lesquelles il faudrait revenir.
D'autres moyens existent pour financer le déficit actuel : comme la réduction des charges incluses da la branche famille...
M. Ivan Renar. Très bien !
Mme Nicole Borvo. ... ou le relèvement un tant soit peu de la cotisation patronale. Je pense que vous n'êtes pas d'accord ! (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Ivan Renar. Les tentatives de rapprochement s'arrêtent vite !
M. Guy Fischer. Maintenant, vous êtes muets !
M. le président. Mes chers collègues, laissez Mme Borvo conclure !
Mme Nicole Borvo. J'en viens maintenant à des propositions.
Si l'on veut revoir la politique familiale pour aller vers plus d'efficacité et de justice sociale - je crois que vous êtes d'accord, madame la ministre - il faut à coup sûr tenir compte des évolutions de la société : de l'urbanisation, du travail des femmes, des familles moins nombreuses, de l'allongement de la scolarité, des familles éclatées, des familles monoparentales.
Permettez-moi de le dire, il faut tenir compte de la crise sociale qui fait qu'aujourd'hui sept millions de Français éprouvent de grandes difficultés d'emploi.
Il faut évidemment tenir compte du droit des femmes, tant au travail qu'à la maternité choisie, des droits de l'enfant qu'il convient d'évoquer à quelques semaines de la Journée des droits de l'enfant, mais aussi de la situation sociale actuelle qui fait que de nombreuses familles ont de plus en plus de mal à vivre tout simplement en famille.
En premier lieu, nous pensons qu'il serait juste de revaloriser les allocations familiales pour les porter à 800 francs contre 671 francs aujourd'hui pour deux enfants, et de les faire verser dès le premier enfant. Je me réjouis que vous sembliez l'envisager.
Le versement des allocations familiales dès le premier enfant aurait sans doute des effets démographiques positifs. Il rendrait possible aux femmes qui le souhaitent d'avoir un enfant plus tôt. En effet, l'âge moyen de la première naissance est de vingt-neuf ans. Il permettrait également de participer à la compensation des charges et des contraintes spécifiques attachées au premier enfant.
Cette mesure coûterait 14 milliards de francs, chiffre à mettre en rapport avec celui des exonérations de cotisations familiales des entreprises prises en charge par le budget de l'Etat et dont le montant est de 20 milliards de francs.
Le financement doit s'inscrire, à notre sens, dans une réforme d'ensemble du financement de la protection sociale, destinée à taxer les revenus financiers et, d'abord, ceux des entreprises et des institutions financières - qui ne payent rien et notamment pas la CSG -...
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Nicole Borvo. ... ainsi que les revenus financiers des particuliers, en excluant, bien sûr, l'épargne réellement populaire.
Nous proposons une modulation des cotisations patronales fondée sur le rapport entre salaire et valeur ajoutée visant à pénaliser les entreprises qui suppriment des emplois pour spéculer et à favoriser celles qui créent des emplois.
M. Ivan Renar. Ce ne serait que justice !
Mme Nicole Borvo. Je me réjouis que vous acceptiez d'examiner cette proposition.
Parallèlement, et plutôt que de mettre sous condition de ressources les allocations familiales, ne serait-il pas raisonnable de réexaminer le plafond du quotient familial de l'impôt sur le revenu, actuellement fixé à 55 000 francs de salaire mensuel pour une famille de deux enfants, ou de réfléchir au remplacement de ce quotient familial par un abattement sur le montant de l'impôt pour chaque enfant ? Ce serait une réelle mesure de justice sociale puisque, aujourd'hui, il profite de trois à quatre fois plus, selon le nombre d'enfants, aux familles les plus riches qu'à celles dont les revenus sont modestes. Il semble, madame la ministre, que vous n'y soyez pas hostile.
L'Etat assumerait ainsi son rôle redistributif, ce qui permettrait de ne pas confondre politique redistributive et politique familiale.
M. Guy Fischer. Absolument !
Mme Nicole Borvo. Les gains financiers d'une réforme du plafond sont estimés à 70 milliards de francs, soit autant que le montant actuel des allocations familiales.
Personne ne pense sérieusement que c'est uniquement en fonction du niveau des allocations familiales que les familles décident d'avoir ou non des enfants.
Cependant, le développement d'une politique familiale ambitieuse a des répercussions sur le nombre des naissances. C'est l'un des mérites de la politique familiale de notre pays. Nous ne devons pas y renoncer. C'est le cas de pays comme la Suède ou le Danemark, qui tentent de concilier vie professionnelle et vie familiale des couples. Cela correspond à un besoin, en France, puisque le taux de natalité est inférieur à 2, alors que le « désir d'enfant » y est estimé à 2,5.
Dans ce cadre, il faut répondre aux besoins des couples qui travaillent et donc tenir compte du droit des femmes à une activité professionnelle.
Le rétablissement de l'allocation jeune enfant sans condition de ressources serait bienvenu. Mais d'autres besoins existent, également, notamment en crèches collectives et familiales, en équipements adaptés et mieux répartis géographiquement pour rendre possible l'accueil en maternelle des enfants de deux ans quand les familles le souhaitent.
Mais aussi, et je dirai surtout, la réduction du temps de travail à laquelle le Gouvernement s'est engagé assurerait plus d'emplois aux jeunes en âge de fonder une famille, plus d'espoir pour les enfants, mais aussi plus de temps pour les familles.
Nous pensons enfin que la politique familiale doit, par des mesures spécifiques, participer à une politique de progrès social qui s'attaque résolument aux cancers de l'exclusion et de la désagrégation des liens sociaux.
La priorité de toute politique familiale est de garantir à tous les enfants un niveau de vie minimum, des droits réels à la scolarité, à la santé, donc à la prévention et à l'aide aux familles, aux vacances.
Cela doit être assuré en France par un niveau important des prestations gratuites, à l'école par exemple, par des prestations à prix réduits pour les familles les plus en difficulté - cantines scolaires, colonies de vacances, activités périscolaires - enfin, par des compléments d'allocations familiales à ceux qui en ont le plus besoin - complément familial, allocation logement, allocation de rentrée scolaire, allocation de parent isolé - ou par des mesures spécifiques pour les enfants victimes de handicaps.
Dans ce cadre, la revalorisation de l'APL, le quadruplement du montant de l'allocation de rentrée scolaire, la création d'un fonds pour l'accès aux cantines scolaires, le financement de la réhabilitation de 120 000 logements supplémentaires, le rétablissement de la réduction d'impôt pour dépenses de scolarité et l'instauration des 35 heures sont autant d'éléments positifs pour la mise en place d'une autre politique familiale. Nous approuvons et nous approuverons, madame la ministre, tout ce qui va dans ce sens.
Enfin, d'autres questions sont à prendre en considération. L'attribution de logements décents pour les familles monoparentales, dont 22 % vivent en dessous du seuil de pauvreté, en fonction de leur situation réelle, et un accueil des enfants qui soit plus adapté à leurs situations sont également urgents.
Comme l'a déclaré le Conseil économique et social lors du débat sur le précédent projet de loi sur la cohésion sociale ; « La famille constitue le premier lien de socialisation et de solidarité. A ce titre, elle doit être soutenue dans son rôle de prévention de l'exclusion. » Il faut donc tout mettre en oeuvre, « plus précocement, pour soutenir les parents dans leur rôle éducatif et mieux prévenir les ruptures en amont ».
Le niveau des minima sociaux doit être revu afin de ne pas pénaliser les familles, comme c'est le cas actuellement quand, par exemple, les allocations familiales sont déduites du RMI versé.
Il convient également de mettre fin aux expulsions des familles pour raisons économiques en évitant que lesdites familles ne se trouvent en situation d'être expulsées. Quelle image de la société pour les enfants qui se retrouvent dans la rue avec leur baluchon, après le passage des huissiers et des policiers !
Il importe, enfin, de garantir un minimum de ressources non saisissables en tenant compte du fait familial.
Voilà, madame la ministre, très brièvement exposés les axes d'une politique familiale que le groupe communiste républicain et citoyen développera à l'occasion du débat sur le financement de la sécurité sociale, et lors d'un débat en profondeur sur la politique familiale, que nous souhaitons proche. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Madame le ministre, vous vous posez en égérie d'une nouvelle politique de solidarité familiale. (Sourires sur les travées socialistes.) Soit ! Mais permettez-moi de vous dire que votre politique me fait furieusement penser à ce que disait Jules Romains lorqu'il dénonçait « l'art d'arriver par n'importe quels moyens à une fin dont on ne se vante pas ».
Car, sous le masque d'une prétendue politique sociale de redistribution, les mesures que vous programmez marquent bien la fin d'une politique familiale. Pis, elles marquent la fin de la reconnaissance de la famille en tant qu'institution - oui, j'ose ce mot d'institution -, qui constitue le maillon de base de notre organisation sociale, le lien élémentaire de la solidarité et de la sécurité, de la formation des jeunes et de l'investissement sur l'avenir. La famille est, à ce titre, une cellule sociale reconnue et soutenue par la nation, dont elle garantit le devenir.
Oh ! sans doute cette vision de la famille est-elle, aux yeux du Premier ministre, de vous-même et de vos collègues du Gouvernement, ringarde et réactionnaire, la politique familiale ne pouvant être qu'une politique de droite qu'il faut battre en brèche. En pensant ainsi, vous commettez une erreur à la fois politique et historique.
Mme Nicole Questiaux, dans son Traité du social , explique d'ailleurs fort bien que la politique familiale est « une construction à laquelle ont participé des gouvernements d'orientation très différente » tout au long de ce siècle, une construction fondée sur trois piliers : sécurité du revenu, natalité et responsabilité sociale de la famille. Et c'est bien tout cela que vous remettez en cause aujourd'hui, sans vous en vanter !
En fait, il est facile de comprendre que votre politique vise en réalité deux objectifs totalement étrangers aux problèmes et à l'intérêt tant des familles que de notre pays.
Le premier objectif est d'abord et essentiellement comptable ; vous l'avez d'ailleurs confirmé tout à l'heure. Quant au second, il est purement dogmatique.
Vous imputez le déficit de la branche famille, chiffré à ce jour à 10,4 milliards de francs, à la « loi famille » de 1994. Cette loi n'aurait jamais entraîné de déficit, vous le savez parfaitement, madame le ministre, si aucune ponction n'avait été pratiquée sur la branche famille au cours des quinze dernières années, alors qu'elle était excédentaire : la caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, a été la « vache à lait » du régime général, au bénéfice des branches maladie et retraite.
Nous avons donc, naguère, engagé les courageuses réformes que nécessitait le redressement de ces deux branches, afin d'en finir avec le pillage de la branche famille. D'ailleurs, après les avoir tant critiquées, vous ne semblez pas aujourd'hui les remettre en cause. Espérons que vous aurez le courage de les poursuivre !
Pour contribuer au comblement de ce déficit, vous auriez pu mettre un terme aux charges indues que les gouvernements successifs ont fait peser sur la branche famille, Mme Borvo le rappelait à l'instant même.
M. Alain Gournac. Avec raison !
M. Alain Vasselle. C'est pourtant dans une autre voie que vous avez décidé de vous engager, voie déjà condamnée par le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, qui précise qu'une large partie du déficit s'explique par la reconduction en 1997 de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire décidée par votre propre gouvernement !
Mais cette préoccupation comptable ne vous sert, en définitive, qu'à atteindre votre second objectif, empreint d'idéologie et d'esprit partisan, et qui ramène nos concitoyens à la dure réalité de la lutte des classes.
Ainsi, vous estimez que politique familiale égale politique pour les privilégiés, Vous nous ressortez donc des placards les vieilles idées poussiéreuses et antirépublicaines de lutte des classes. (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen s'esclaffent.)
Vous n'hésitez pas davantage à abandonner l'une de nos trois valeurs républicaines, l'égalité, au profit d'une prétendue équité.
Par votre politique, vous allez rompre l'équilibre instauré au cours des décennies précédentes entre solidarité, égalité et paritarisme.
Contrairement aux caricatures que vous en faites, notre politique familiale est une politique égale et équitable en ce sens qu'elle est différenciée selon les besoins des divers types de famille.
Pour justifier votre mesure, vous prétendez que les sommes économisées vont contribuer à financer l'ARS, l'allocation de rentrée scolaire, majorée. Or l'ARS, à vocation essentiellement sociale, est une mesure décidée annuellement, ne correspondant pas à une prestation légale, je suis, sur ce point, d'accord avec Mme Borvo. Elle peut être modifiée à tout moment, et les familles françaises bénéficiaires ne peuvent pas compter sur elle d'une année sur l'autre.
De surcroît, cette mesure, qui ne touche que les enfants en âge d'être scolarisés et scolarisables, ne permet aucunement d'assurer l'entretien de l'enfant durant toute l'année scolaire. Or la fonction de parent ne dure pas que le temps d'une rentrée scolaire ; elle doit être assumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, année après année. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Nos concitoyens pourront vous prendre facilement en défaut en procédant à une lecture attentive des comptes établis par l'administration pour 1998. Ils constateront en effet que vous n'y avez pas reconduit la mesure pour la rentrée scolaire de 1998. Cela n'aura duré que le temps d'un été !
Alors, madame le ministre, ne venez pas nous faire la leçon à propos de promesses non tenues !
D'ailleurs, ne lisait-on pas, dans la proposition n° 31 du programme du parti socialiste que les allocations familiales seraient revalorisées de 50 % ? Vous vous êtes arrêtée au milieu du chemin, à 25 % !
Non, décidément, ce n'est pas à nous qu'il faut donner des leçons ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Il doit être clair pour tous aujourd'hui que vous avez décidé de déclencher un véritable matraquage à l'encontre de la famille, ciment de notre société.
La preuve en est que vous allez plafonner les allocations familiales et diminuer l'AGED, sans aucune compensation en matière de création de places en crèches, le fonds d'action social censé les financer n'ayant pas les moyens d'assumer sa fonction, car il manque 600 millions de francs. Ne confondez donc pas politique de l'emploi et politique familiale !
Vous allez encore amputer de moitié la réduction au titre des emplois familiaux, avec rétroactivité à compter du 1er janvier 1997, et supprimer la demi-part des personnes qui ont élevé seules au moins un enfant.
Vous allez aussi augmenter les prélèvements sur la majoration de 10 % que touchent les retraités qui ont élevé trois enfants et plus.
Et, en sus de tout cela, vous allez augmenter la fiscalité sur l'épargne - celle qui se porte sur les plans d'épargne en actions et les plans d'épargne logement - en pensant sans doute que cela ne touchera pas votre électorat, que seules les familles classées « riches » par vous-même seront affectées. Cela va faire plaisir à plus d'une famille titulaire d'un plan d'épargne logement !
Mais le comble est atteint avec votre collègue Mme Guigou, qui se prépare à nous « vendre » une mesure hautement symbolique, le contrat d'union civile sociale, ce qui revient à reconnaître le quotient conjugal aux couples homosexuels et peut-être même à leur permettre d'adopter des enfants ! (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Est-ce cela que vous appelez une politique familiale ?
Il me semble que, le temps passant, et sous la pression qui s'exerce sur votre gauche, vous êtes en train de prendre conscience, mais un peu tard, que votre politique n'est qu'une mise à mal de tous les principes posés en 1945, lors de la création de la protection sociale par le général de Gaulle. Sinon, pourquoi auriez-vous annoncé récemment votre volonté de remettre prochainement à plat la politique familiale française ?
Historiquement, la politique familiale repose sur le principe fondamental d'universalité, lequel a d'ailleurs été, pas plus tard que ce matin, réaffirmé par votre collègue M. Kouchner, qui semble y êtes plus attaché que vous-même. Dois-je vous rappeler que, à l'époque, ce principe a été adopté massivement, par-delà tous les clivages politiques ? C'est le même principe qui a guidé Jules Ferry lorsqu'il a institué l'école gratuite pour tous. Cela n'a jamais été remis en question !
L'universalité n'est-elle pas l'une des plus vieilles conquêtes de la République ? A ce titre, nous la pensions définitivement acquise. Il est inconcevable que vous envisagiez aujourd'hui de vous y attaquer, au motif, d'ailleurs non justifié, d'une pure idéologie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
En ouvrant cette première brèche, vous faites peser une menace lourde sur tout le système. C'est l'avenir de notre système social que vous remettez en cause.
La brèche ayant été ouverte, qu'est-ce qui nous assure que, demain, ce ne sont pas l'assurance maladie ou les droits à la retraite qui seront plafonnés ou mis sous condition de ressources ? Vous en êtes si peu sûre, madame le ministre, qu'à l'Assemblée nationale et ici même vous vous êtes défendue de cette intention en apportant comme seule garantie la durée de votre présence au Gouvernement. Faut-il vous y souhaiter une longévité illimitée ? Mais vous imaginez bien qu'aucun Français ne pourra se contenter de cet engagement proféré la main sur le coeur. (M. Philippe François applaudit.)
Ce faisant, vous allez accentuer plus en encore la fracture sociale entre ceux qui financent et ceux qui reçoivent.
Mme Hélène Luc. Si elle peut être accentuée, c'est parce que vous l'avez provoquée !
M. Alain Vasselle. En effet, sociologues et économistes sont tous d'accord pour affirmer qu'il serait profondément malsain que certains cotisent sans avoir des droits ouverts en retour : à terme, c'est l'explosion du système. Ce sont pourtant ces derniers qui apportent à notre système de protection sociale une grande partie de ses ressources.
La contribution des entreprises, comme l'a rappelé tout à l'heure notre collègue M. Paul Girod, c'est aussi le fruit du travail des salariés, contrairement à ce que vous affirmez.
Non, décidément, ce gouverment fait preuve, à mon avis, d'irresponsabilité. Il n'a pas de perspectives d'avenir. Il tente de limiter le déficit de la sécurité sociale en remettant en cause certains fondements de la politique sociale de notre République.
Par ailleurs, la politique familiale doit être distinguée d'autres politiques publiques à caractère social, telles la solidarité, la lutte contre la pauvreté, l'intégration. Ne confondons pas politique familiale et politique sociale.
M. Dominique Braye. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. N'oubliez pas, madame le ministre, que c'est l'enfant qui est au coeur de cette politique familiale. C'est l'enfant qui est la justification de l'aide apportée aux familles par la société, ce n'est pas le statut et la feuille de paye de ses parents !
La politique familiale ne doit pas être une simple facette de la politique sociale. Elle obéit à sa propre logique.
Vous banalisez la famille, comme s'il s'agissait d'un mode d'organisation sociale parmi d'autres, alors qu'elle est un lien naturel, unique, à préserver, à défendre ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Non seulement votre politique est condamnable sur le fond, mais elle l'est tout autant sur la forme, notamment quant à la méthode de prise de décision.
En effet, sans qu'aucune concertation préalable ait été engagée, comme le président de la commission des affaires sociales l'a rappelé à juste titre, vous avez placé devant le fait accompli à la fois les organisations représentant les familles, les partenaires sociaux et même, apparemment, une bonne partie de votre majorité plurielle, attachée à l'universalité de la politique familiale. Pour un gouvernement qui se dit « de dialogue » la démonstration est brillante ! Elle est révélatrice de votre incohérence !
Si je comprends bien, ce gouvernement s'est fixé pour principe de décider, en engageant le dialogue et la concertation non pas a priori mais a posteriori . Drôle de conception de la démocratie !
Vous n'avez d'ailleurs pas jugé plus opportun de réfléchir sur les conséquences d'une telle mesure, notamment sur le revenu des familles dont vous allez amputer le pouvoir d'achat, ainsi que sur le taux de natalité de notre pays, qui est loin d'atteindre le niveau nécessaire pour assurer le renouvellement de la population.
Comment imaginer que l'anti-politique familiale que vous proposez sera sans conséquences sur le nombre des naissances ? Nous allons vers une démographie pyramidale inversée.
Vous conviendrez qu'il y a de quoi s'inquiéter de ce manque total de prospective. Comment pouvez-vous faire prendre un tel risque à notre pays ? S'il est vrai que l'on peut considérer que l'aide à la famille a un coût élevé en valeur absolue, qu'est-il, comparé à la richesse que les enfants représentent pour l'avenir de notre pays ?
Mme Hélène Luc. Et les milliers d'enfants qui ne peuvent manger à la cantine parce que leurs parents ne peuvent pas payer ? C'est cela votre politique familiale !
M. Alain Vasselle. Je vous invite à méditer cette réflexion du général de Gaulle : « S'il est acquis que, décidément, le peuple français ne se multiplie pas, alors la France ne peut plus rien être qu'une grande lumière qui s'éteint. »
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Alain Vasselle. Je pense qu'en la circonstance vous tenez, au mieux, le rôle d'apprenti sorcier, en acceptant un peu trop vite une recette de logique purement financière et comptable. Un certain général disait que la politique de la France ne se fait pas à la corbeille. J'ajouterai volontiers aujourd'hui qu'elle ne doit pas être déterminée dans les seuls gros ordinateurs de Bercy.
Or, madame le ministre, vous avez cédé aux sirènes de Bercy. Cette idée de plafonnement n'est pas nouvelle. A cette éternelle revendication des hauts fonctionnaires des finances de l'Etat, le général de Gaulle et François Mitterrand avaient su résister !
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Alain Vasselle. Ce n'est pas votre cas. L'idéologie fait, chez vous, force de loi.
M. Philippe François. Idéologie marxiste, en plus !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il faudrait savoir si ce sont les ordinateurs de Bercy ou l'idéologie qui nous dictent notre politique !
M. Alain Vasselle. Ainsi, sur les 4,5 millions de familles qui bénéficient aujourd'hui des allocations familiales, plus de 400 000, et non pas 30 000, vont être touchées, ce qui représente, selon certains sociologues, près d'un millions d'enfants.
Madame le ministre, ces familles ont-elles politiquement tort parce qu'elles sont statistiquement minoritaires ?
Vous avez essayé d'expliquer que votre projet ne touchait qu'une minorité de nantis. Nous ne devons pas avoir le même sens des choses de la vie quotidienne. (C'est sûr ! sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ainsi une famille comptant trois enfants et disposant d'un revenu mensuel de 38 000 francs, subit une perte de pouvoir d'achat de 4,7 %, ce qui équivaut, selon les calculs des socio-économistes, au niveau de vie d'un couple sans enfant de deux salariés gagnant chacun le SMIC. Voilà les nantis !
Le plus fort est que, pour des revenus plus élevés, la perte de ressources sera effectivement moindre. Ce seront donc bien encore et toujours les classes moyennes, et non pas les classes élevées, qui vont pâtir le plus de la réforme.
De même, cette réforme sera plus fortement préjudiciable aux familles les plus nombreuses.
Belle logique redistributrice !
En outre, si aujourd'hui ce sont les familles à revenus moyens, que vous dites privilégiées, qui sont touchées, pourquoi ne pas faire jouer demain le curseur à la baisse afin de combler un éventuel futur déficit de la branche ? Nul doute que le Gouvernement saura en user en temps que de besoin !
C'est donc une lourde menace qui pèse sur les familles.
Cependant, votre politique offre tout de même une bonne surprise : les familles viennent, grâce à vous, de découvrir qu'elles étaient les privilégiées de notre société.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Qui a parlé de cela ?...
M. Alain Vasselle. Vous nous poussez vers une société à deux vitesses : vous favorisez les familles peu aisées à avoir de nombreux enfants et vous encouragez le développement chez les cadres du mode de vie si facile du « deux salaires, zéro enfant ».
Or la France a besoin d'enfants à tous les niveaux de la société. S'il est vrai que l'on ne fait pas des enfants pour l'argent, il est tout aussi vrai qu'il ne faut pas qu'enfant rime avec régression sociale. Il n'est pas possible de maintenir une situation dans laquelle l'effort est personnel et les dividendes sont collectivisés.
Notre politique familiale est complexe, et donc pas toujours très lisible, mais elle fonctionne suffisamment bien pour nous placer au-dessus de la moyenne des pays en ce qui concerne le taux de fécondité.
Il est d'ailleurs intéressant de remarquer qu'en 1995, année qui a suivi le vote de la loi famille, ce taux est remonté à 1,7 contre 1,65 précédemment. D'après le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, il devrait être proche de 1,72 en 1996. Ce taux, que tous nos voisins européens nous envient, vous le sacrifiez sur l'autel de l'idéologie.
M. Philippe François. Idéologie marxiste !
M. Alain Vasselle. En conclusion, permettez-moi de relever que vous considérez apparemment être seule à pratiquer la solidarité. Mais, la famille, n'est-ce pas le premier lieu de solidarité, le premier rempart contre l'exclusion ? La famille n'est-elle pas la première collectivité dans laquelle adultes et enfants apprennent à vivre ?
Mmes Dinah Derycke et Marie-Madeleine Dieulangard. Bien sûr !
M. Alain Vasselle. Vos mesures viennent entraver la vie familiale et tendent à faire éclater cette unique cellule de solidarité. Il faut aider la famille et non rechercher à se substituer à elle. Il faut la restaurer dans ses prérogatives, l'encourager et non la remplacer.
M. Tony Blair l'a d'ailleurs bien compris puisqu'il montre la volonté de rompre avec les effets pervers induits par les aides incitant les personnes seules avec enfant à ne pas se marier ou à ne pas travailler.
Vous, vous prêchez l'inverse en défendant une logique de pur assistanat, foncièrement étrangère à une véritable politique de solidarité.
Quel avenir réservez-vous donc à nos familles et, par delà, à notre pays, madame le ministre ? La question reste entière !
Sachez que le groupe du RPR s'opposera au démantèlement du fondement de la politique familiale, car c'est l'avenir de nos enfants et de la nation qui est en jeu. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. On se demande pourquoi les familles n'ont pas voulu vous garder au Gouvernement !
M. le président. La parole est à M. Hoeffel. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne sous-estime pas les contraintes et les difficultés qui sont celles de tout gouvernement soucieux d'équilibrer les comptes de la sécurité sociale. Ces contraintes ne doivent cependant pas conduire à une remise en cause directe ou indirecte du rôle de la famille et des moyens qui lui sont consacrés.
Les craintes, à cet égard, sont d'autant plus vives que les mesures annoncées récemment par le Gouvernement l'ont été au moment où par ailleurs de vives critiques ont été proférées à l'encontre de la famille, dans des termes, hélas ! parfois calomnieux, par tel ou tel média.
Vous avez, madame la ministre, rappelé à juste titre le rôle central que joue la famille, en particulier dans la période difficile que nous traversons.
En premier lieu, la famille est aujourd'hui, probablement plus que jamais, une référence et un repère dans une société qui en manque singulièrement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. Alain Gournac. Oh oui !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Les études qui ont été menées montrent que la famille demeure, de loin, le groupe dont on se sent le plus proche. En 1980, 80 % des personnes interrogées disaient de la famille qu'elle était dépassée, aujourd'hui seuls 17 % le pensent.
En deuxième lieu, c'est précisément en période de crise que la famille joue un rôle essentiel : elle est une sorte de refuge qui permet de traverser une période difficile ; elle est un amortisseur de crise qui peut contribuer à atténuer l'inquiétude légitime des parents, qui, en général, pensent que l'avenir de leurs enfants sera plus difficile que le leur.
En troisième lieu, la famille reste un élément de décloisonnement de notre société tellement cloisonnée. Où, mieux que dans la famille, a-t-on les possibilités de retrouver un esprit de cohésion et de solidarité dont il faut souhaiter qu'il puisse être contagieux pour l'ensemble de la société ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
Mais à côté de ces missions incombant à la famille, nous ne devons pas oublier que les raisons démographiques, qui restent essentielles et justifient une politique familiale ambitieuse, non seulement pour la France, mais aussi pour toute l'Europe dont le poids démographique, depuis le début du siècle, a considérablement diminué. Ces raisons expliquent probablement aussi le recul de l'influence française, et en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Le taux de fécondité, cela a été rappelé, est de l'ordre de 1,7. La chute de la fécondité contribue à la diminution du nombre des jeunes et, avec l'allongement de l'espérance de vie, au vieillissement de notre population : entre 2010 et 2020, en France, le nombre des personnes âgées de soixante ans et plus dépassera celui des jeunes de moins de vingt-cinq ans, avec tous les risques que cela comporte pour l'équilibre de tous nos régimes sociaux.
L'augmentation du nombre des personnes âgées affecte, en effet, nécessairement les transferts économiques entre générations et l'ensemble des mécanismes de redistribution des ressources selon l'âge.
Il faut donc, compte tenu de cette situation, encourager et stimuler la natalité, soutenir et valoriser la famille.
Cela m'amène à regretter les mesures récentes prises à l'encontre des familles...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Mais non, pas du tout !
M. Alain Gournac. Si, si !
M. Daniel Hoeffel. ... hélas ! sans concertation préalable, comme l'a rappelé M. Fourcade, et probablement dans la précipitation.
Ces mesures sont interprétées, à tort ou à raison, comme portant atteinte à la valeur de la famille.
M. Dominique Braye. A raison !
M. Daniel Hoeffel. Je vise en particulier la mise sous condition de ressources des allocations familiales, interprétée comme une mise en cause des principes fondateurs de la sécurité sociale qui sous-tendent depuis plus de cinquante ans le société française, et je pose en cet instant une question : ne risquons-nous pas de voir cette remise en cause s'étendre aux autres branches de la sécurité sociale, retraite ou assurance maladie ?...
M. Alain Gournac. J'espère que non !
M. Daniel Hoeffel. Il aurait sans doute été plus juste de répondre par la voie fiscale à la demande de solidarité à l'égard des plus démunis - demande à laquelle nous nous joignons tous - ainsi qu'à la nécessité de rééquilibrer la branche famille.
S'ajoutent à cette mise sous condition de ressources des allocations familiales la baisse de la réduction d'impôt au titre des emplois familiaux et la diminution de l'AGED, qui mettent en péril des dizaines de milliers d'emplois pour personnes peu qualifiées, emplois dont notre société a également besoin.
Certains estiment que le système de l'AGED est trop coûteux par rapport au prix de revient d'une place de crèche. Mais n'oublions pas qu'en France les structures d'accueil des enfants sont loin d'être suffisamment développés.
Je crains également que cette réforme ne vienne frapper de plein fouet les femmes qui travaillent, alors que le travail féminin est par ailleurs un phénomène irréversible dans notre société.
En conclusion, madame la ministre, vous avez annoncé une réforme de la politique familiale pour 1998. Puisse cette réforme être menée avec tous ceux qui sont représentatifs de la famille dans notre pays mais aussi en liaison étroite avec le Parlement !
Les mesures déjà prises, même si de récentes atténuations vont dans le bon sens, dénotent une remise en cause de principes fondamentaux sur lesquels était fondée la politique familiale depuis cinquante ans.
Certes, la politique familiale doit être adaptée à l'évolution d'un environnement qui n'est plus aujourd'hui ce qu'il était au lendemain de la dernière guerre.
Mais la politique familiale doit aussi se fonder sur des repères solides, des principes fondamentaux et un minimum de continuité en tenant compte, d'une part, de la nécessité de consolider la cellule familiale et, d'autre part, des impératifs d'une politique démographique stimulante.
Des principes et des orientations retenus dépendra la capacité de la France, non seulement à préserver dans l'avenir ses équilibres internes, mais aussi à tenir son rang sur le plan démographique, en Europe et dans le monde. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)