M. le président. Par amendement n° I-102 rectifié, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 21, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 1609 unvicies du code général des impôts, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Les opérations de courtage, d'importation et de vente de produits alimentaires et agricoles provenant de pays extérieurs à l'Union européenne sont soumises à une taxe.
« L'assiette de la taxe est constituée par le chiffre d'affaires des entreprises exerçant ces activités ; sont concernées les sociétés industrielles, de commerce et financières en amont et en aval de ces activités.
« Le taux de la taxe est fixé par décret interministériel, signé par les ministres en charge de l'économie et des finances, du budget et de l'agriculture. »
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat vient de vous retirer un peu d'argent, mais, si vous m'écoutez bien, l'amendement que je vais défendre vous permettra de trouver des recettes nouvelles très importantes.
M. Philippe Marini. Nous sommes inquiets !
M. Louis Minetti. Ne le soyez pas trop !
Bien entendu, il m'est interdit de faire des injonctions au Gouvernement, il m'est interdit de procéder à l'affectation de la recette, mais il ne m'est pas interdit, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous faire une suggestion pour aider votre collègue le ministre de l'agriculture à régler un problème qui lui pose certaines difficultés. Naturellement, j'y reviendrai mardi prochain !
Notre amendement vise à dégager un supplément de ressources utilisables pour effectuer une revalorisation substantielle du montant des pensions versées aux exploitants agricoles dans le cadre du budget annexe des prestations agricoles, le BAPSA.
Certes, des mesures de revalorisation, à concurrence de 500 millions de francs, ont été annoncées, mais nous sommes loin de la somme nécessaire. Ce premier pas est intéressant, il reste cependant insuffisant pour répondre aux attentes et assurer aux retraités en question des montants équivalents à 75 % du SMIC. Cela fait d'ailleurs l'objet d'une proposition de loi que mes collègues et moi-même avons récemment déposée.
Une augmentation des retraites des anciens agriculteurs, exploitants et conjoints, est plus que jamais indispensable. Elle répondrait à une forte attente et ne serait que justice. Elle favoriserait, en outre, l'installation de jeunes agriculteurs en facilitant la transmission des exploitations libérées.
Je vous propose donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous assurer des ressources importantes. En première analyse, j'en suis à 2 milliards de francs.
Nous proposons ainsi de taxer le chiffre d'affaires des entreprises situées en amont et en aval de l'agriculture et de l'importation de produits agricoles alimentaires, entreprises qui - il suffit de lire la presse économique - font d'importants profits.
Mon propos est, je le répète, d'aider le Gouvernement à appliquer une politique sociale sur laquelle il s'est engagé.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. M. Minetti est très sénatorial dans la mesure où il est tout à fait constant dans ses demandes.
La commission des finances sera tout aussi constante que lui en émettant un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement, et ce pour plusieurs raisons.
D'un point de vue technique, la proposition développée par M. Minetti, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, pose un problème.
D'abord, le taux de la taxe serait fixé par décret, ce qui n'est pas tout à fait orthodoxe.
Ensuite, l'assiette de ce nouveau prélèvement n'est pas définie avec une grande précision.
Le plus important, me semble-t-il, n'est pas là. Ce prélèvement que vous voulez opérer sur des importateurs de produits en provenance de pays tiers de l'Union européenne pourrait être juridiquement assimilé à un droit de douane, ce qui nous attirerait trois types d'ennuis : le premier, avec l'Organisation mondiale du commerce ; le deuxième, avec la Commission européenne, puisque cette mesure serait contraire à l'article 95 du traité de Rome ; le troisième, le plus important, affecterait gravement notre pays, troisième ou quatrième exportateur mondial selon les années, qui risquerait de se voir opposer des mesures de rétorsion. Si des pays étrangers appliquaient aux achats qu'ils font en France la taxe que vous proposez sur les achats en provenance de ces pays, nos exportateurs, c'est-à-dire notre économie et notre emploi, pourraient en souffrir.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ils en souffriraient certainement !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Minetti, l'amendement est-il maintenu ?
M. Louis Minetti. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je vais donc le mettre aux voix.
M. Joël Bourdin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Etant rapporteur spécial du budget annexe des prestations sociales agricoles, je ne pourrais que souscrire à l'abondement des ressources de ce budget.
Cependant, d'un point de vue technique, il ne me paraît pas possible de voter cet amendement, car la France figure, comme l'ont rappelé M. le rapporteur général et M. le secrétaire d'Etat, parmi les premiers importateurs mondiaux, notamment dans le domaine agro-alimentaire, où nous sommes largement excédentaires.
Dès lors, en essayant de freiner certaines importations, nous risquerions surtout de susciter des mesures de rétorsion qui entraveraient nos exportations.
Autrement dit, si l'objectif visé à travers cet amendement est louable, le dispositif doit être rejeté.
M. Louis Minetti. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Les réponses que je viens d'entendre m'ont déçu.
Je ferai d'abord observer qu'il ne s'agit pas d'établir un droit de douane puisque seules des entreprises françaises sont visées.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets de vous rappeler que, peu avant les élections de juin dernier, s'est tenu à Bordeaux un congrès national des retraités agricoles. Je m'y suis rendu, j'ai entendu ces retraités, j'ai fait des promesses sur les 75 %, et j'ai été soutenu par tous les tenants de ce qui est devenu depuis la nouvelle majorité, dont est issu le gouvernement auquel vous appartenez.
M. Philippe Marini. Utile rappel !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Il ne faut pas aller au prochain congrès ! (Sourires.)
M. Louis Minetti. Cette question mérite donc d'être examinée très sérieusement.
Je voudrais également, monsieur le secrétaire d'Etat, attirer votre attention sur un point, et je me promets d'y revenir mardi prochain en présence de M. le ministre de l'agriculture.
Au moment de la discussion du budget de l'agriculture pour 1997, toutes les organisations professionnelles agricoles ont demandé, comme elles le font chaque année, à nous rencontrer. J'ai assisté à cette rencontre, comme sans doute quelques-uns d'entre vous, mes chers collègues.
Une de leurs revendications portait précisément sur la revalorisation des retraites agricoles : je me souviens fort bien de l'injonction qui nous a été faite à ce sujet, et qui s'adressait plus particulièrement à la majorité d'alors. Je me rappelle même qu'une personne en particulier a été citée ; on nous a dit : « Si vous ne nous donnez pas satisfaction, M. de Saint-Sernin, député de Dordogne, sera battu. » Satisfaction n'a pas été donnée, et M. de Saint-Sernin a été battu ! (Sourires.) Veillons donc à tenir nos promesses.
M. Joël Bourdin. Bravo !
M. Philippe Marini. Ou alors il ne faut pas en faire !
M. Louis Minetti. Monsieur le secrétaire d'Etat, si la solution que je propose ne vous convient pas dans les détails, trouvez-en une autre - vous en avez les moyens - d'ici au prochain collectif budgétaire. Je vous en prie, agissez avant que n'intervienne ce collectif, même si vous devez vous donner trois ans pour mener à bien ce que j'ai proposé.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Minetti, le Gouvernement est très attentif à la situation des retraités agricoles les plus modestes, puisqu'il a fait adopter un amendement qui majore de 500 francs les pensions les plus faibles versées aux conjoints d'agriculteurs et aux aides familiaux. Mais il s'agit là d'un débat autre que celui qui nous occupe aujourd'hui.
Pour en revenir à votre amendement, ce quasi-droit de douane est, certes, prélevé sur des opérateurs français, mais il intéresse directement des importations en provenance de pays tiers. Je le répète, ce n'est pas une bonne initiative.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-102 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

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