M. le président. Nous poursuivons l'examen de l'article 24, relatif à l'évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes.
J'en rappelle les termes :
« Art. 24. - Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes est évalué pour l'exercice 1998 à 91,5 milliards de francs. »
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la sixième année consécutive, les parlementaires sont appelés à débattre de la contribution française au budget communautaire, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances.
Permettez-moi, à mon tour, de me féliciter de cette occasion qui nous est donnée d'avoir une vue d'ensemble de l'action de l'Union européenne et des choix que la France propose, puisqu'un budget est, pour l'Europe comme ailleurs, le reflet d'une politique.
Le budget communautaire pour 1998 se situe dans le prolongement de l'exercice 1997, selon le principe de la « croissance zéro ». Il est normal que l'Union s'impose les mêmes efforts que les Etats membres en privilégiant une croissance budgétaire modérée : 1,96 % pour les crédits d'engagement et 0,7 % pour les crédits de paiement. La Commission européenne a, pour sa part, consenti à des efforts d'économies : limitation des dépenses non obligatoires et gel des dépenses administratives. Cet effort de rigueur budgétaire est conforme aux efforts d'assainissement de nos finances publiques.
Mais l'examen du budget communautaire, et, par là même, l'évaluation de la contribution financière de la France à l'Union européenne, ne peut se résumer à un simple exercice comptable. Le budget annuel de l'Union européenne doit refléter les objectifs politiques de l'Union européenne.
La question est bien la suivante : quel budget pour quelle politique ?
Ce budget permettra-t-il à l'Union de continuer à faire fonctionner ses politiques communes et de relever les nouveaux défis qui sont devant nous, à savoir la monnaie unique, l'Europe sociale et l'élargissement ?
Nous examinerons ensuite plus précisément la contribution française. J'examinerai tout d'abord la place réservée en 1998 aux financements des trois priorités de l'Union que sont le passage à la monnaie unique, la mobilisation pour la croissance et l'emploi et les dépenses liées à l'élargissement.
D'abord, la perspective du passage à la monnaie unique impose de lourdes contraintes budgétaires aux Etats membres. De la même manière, le budget de l'Europe marque cette année plus fermement le pas. En croissance nulle, ce budget satisfait aux contraintes des Etats pour la préparation du passage à la monnaie unique.
Par ailleurs, j'en profite pour me réjouir que la France respecte les critères de convergence, comme en témoignent les tout derniers chiffres qui situent les déficits publics français autour de 3 %. Mais le budget communautaire, tel qu'il est prévu, offre-t-il une marge de manoeuvre suffisante, notamment pour le respect à long terme des critères de convergence et compte tenu des risques de distorsions monétaires que génère la mise en place de la monnaie unique ? Monsieur le ministre, je souhaiterai, avoir votre sentiment sur ce sujet.
La création d'emplois est la deuxième priorité européenne.
Comment favoriser les dépenses susceptibles d'avoir un effet positif sur l'emploi ? Nous pouvons, je crois, tous saluer l'action déterminée du nouveau gouvernement français pour que le sort des dix-huit millions de chômeurs européens devienne une priorité de l'action de l'Union.
En effet, contrairement à notre rapporteur spécial, M. Denis Badré, nous sommes convaincus que, si l'Europe ne crée pas directement de l'emploi, elle peut néanmoins influer fortement sur la situation par des dépenses génératrices de croissance et d'emploi.
A cet égard, nous ne pouvons que nous féliciter, comme l'a dit tout à l'heure M. Claude Estier, des résultats du Sommet européen sur l'emploi, qui constitue la première concrétisation de l'Europe sociale. Un processus de convergence en matière de politiques de l'emploi a été engagé. Je pense en particulier à l'obligation pour les Etats de présenter un plan national pour l'emploi et à la clause de rendez-vous européens pour l'évaluation des mises en oeuvre nationales des « objectifs de Luxembourg ».
L'Union doit être, en effet, mobilisée, selon les termes du président en exercice, M. Juncker, par « un stress de la convergence » en matière d'emploi, comme cela est le cas pour les critères budgétaires de Maastricht.
Le Conseil a également donné son accord aux premières initiatives européennes concrètes. A ce titre, nous soutenons l'initiative prise le 23 octobre dernier par le Parlement européen d'affecter 150 millions d'écus au soutien à la création d'emplois pour la seule année 1998. Il s'agit de redéployer sans surcroît de dépenses budgétaires et de concentrer des crédits dans la rubrique 3 - Politiques internes - du budget ; 75 % de ces fonds seraient destinés aux PME innovantes sous forme de garanties de prêts et de bonifications d'intérêts sur des crédits accordés par la Banque européenne d'investissement.
Cette réserve spéciale resterait ainsi sous le plafond prévu pour cette catégorie par les perspectives financières du « paquet Delors ». Nous souhaitons vivement que le Parlement européen adopte cette disposition lors de la seconde lecture du budget communautaire.
De façon complémentaire, la création d'un fonds d'action spécial pour l'emploi par la Banque européenne d'investissement contribuera, grâce à l'injection de 10 milliards d'écus, à stimuler des investissements dans des domaines créateurs d'emploi, tels que les réseaux transeuropéens, la protection de l'environnement, la rénovation urbaine ou la santé. Faut-il souligner que la priorité donnée à la cohésion économique et sociale en 1988 est plus encore d'actualité, à travers l'exigence de croissance et d'emploi ?
J'en viens à la troisième priorité, en évoquant la préparation du nouveau cadre financier de l'Union, qui doit prendre en compte la perspective de l'élargissement, la réforme de la politique agricole commune et la refonte des politiques structurelles.
Tout l'enjeu est d'assurer un financement cohérent de l'élargissement qui puisse préserver une mise en oeuvre satisfaisante de nos politiques communes dans leurs objectifs et leur contenu.
Les propositions de la Commission consistant à limiter le plafond des ressources propres semblent sous-estimer le coût d'un élargissement à des pays qui seront bénéficiaires nets, à la fois dans la préparation de cet élargissement et dans sa mise en oeuvre.
C'est pourquoi nous soutenons le gouvernement français pour défendre, comme l'a proposé le ministre délégué aux affaires européennes, « le principe d'une double programmation permettant d'assurer l'étanchéité entre les dépenses consacrées à la poursuite des politiques communes des Quinze, qui doivent être préservées, et les dépenses nouvelles consacrées aux nouveaux adhérents ».
En ce qui concerne la politique agricole commune, la dépense communautaire est stabilisée, dans le droit fil des modalités d'accompagnement qui ont été arrêtées en 1992.
Dans la perspective de la réforme de la PAC, nous nous réjouissons que la volonté du Gouvernement de maintenir la ligne directrice agricole dans son principe ait été acceptée par le dernier Conseil « agriculture ». Mais nous devons veiller à ce que soit préservé un modèle agricole européen qui contribue à l'emploi, au développement rural, à l'aménagement du territoire et à la sécurité alimentaire, tout en assurant la compétitivité de notre agriculture.
S'agissant des politiques structurelles, le Conseil « budget » a entrepris de réduire l'écart entre les crédits d'engagement et les crédits de paiement, procédant sur ces derniers à une coupe de 1 milliard d'écus.
Le poste de dépenses des fonds structurels reste, - cela a été rappelé avant moi - le deuxième du budget communautaire. Il représente plus de 30 % du total et symbolise la solidarité communautaire.
En effet, en réduisant les disparités régionales, les politiques structurelles concrétisent l'objectif majeur de la construction européenne, qui consiste à promouvoir un développement harmonieux de l'ensemble de l'Union.
Si la France n'est pas un des premiers bénéficiaires des fonds structurels, elle doit cependant veiller à ce que l'efficacité de l'emploi de ceux-ci soit évaluée au regard des critères de l'emploi. Elle doit aussi veiller à ce que l'objectif de cohésion de l'espace européen ne soit pas sacrifié aux contraintes imposées par l'élargissement.
J'en viens aux politiques internes. On peut s'inquiéter de la diminution de l'ensemble des dépenses concernant ces politiques, tant en crédits d'engagement qu'en crédit de paiement.
Si les crédits de paiement augmentent fortement pour les réseaux transeuropéens, la réalisation des quatorze projets adoptés par le Conseil d'Essen demeure encore incertaine.
Nous espérons que le programme d'action spécial de la BEI permettra rapidement de compenser la part réduite des crédits d'engagement en finançant ces projets à long terme. Je rejoins en cela les préoccupations et les souhaits exprimés tout à l'heure par M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Merci !
Mme Danièle Pourtaud. De la même manière, on peut s'inquiéter de l'insuffisance du montant alloué à la recherche et au développement technologique, compte tenu de l'importance de ce secteur pour l'avenir de l'Union, en particulier en termes de compétitivité.
Enfin, nous espérons que les variations que connaît d'année en année la dotation prévue pour le programme MEDIA II ne conduiront pas à une politique culturelle incohérente, voire, à terme, à la remise en question de celle-ci.
Je me permets également d'espérer que la réduction des crédits du quatrième programme pour l'égalité des chances entre hommes et femmes - laquelle ne date pas, il est vrai, de cette année - ne sera pas un handicap au moment où, à Amsterdam, l'Europe a enfin inscrit au rang des objectifs constitutifs de l'Union la réalisation de l'égalité de fait entre femmes et hommes.
Enfin, s'agissant de l'action extérieure, il reste important de préserver la politique menée en faveur des pays ACP, les Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, ne serait-ce que pour préparer le nouveau partenariat de Lomé en l'an 2000.
Par ailleurs, si l'Union est de loin le premier contributeur à l'aide à l'Autorité palestinienne, permettez-moi de m'interroger sur l'écart entre les crédits attribués - ils augmentent de 14,3 % - et le poids politique réel de l'Union dans le processus de paix.
Il nous paraît ainsi aujourd'hui fondamental de continuer à manifester notre solidarité envers les pays les moins prospères de l'Union et de financer les programmes préparatoires à l'élargissement tout en préservant un équilibre entre les programmes concernant les pays candidats et ceux qui sont liés au partenariat euro-méditerranéen.
En conclusion, l'exercice budgétaire communautaire est, comme celui des Etats membres, de plus en plus difficile pour concilier les impératifs de stabilité budgétaire et monétaire et les défis à venir. Nous saluons les efforts qui ont été faits en ce sens, mais les interrogations sur la pérennité d'un tel exercice ne sont pas levées.
La question de la contribution française est révélatrice de la nécessité de penser l'Europe en termes politiques, et pas seulement en termes comptables.
La part de la France dans le budget communautaire est relativement stable. La contribution française s'élèverait à 91,5 milliards de francs, soit environ 6,3 % du budget national - je préfère ce chiffre à celui que vous avez cité, monsieur le rapporteur. Nous restons le deuxième contributeur, avec 17 %, derrière l'Allemagne, avec 27,4 %.
J'en profite pour revenir, ici, sur la question du juste retour et sur la notion de contributeur net. Là encore, je suis ponctuellement d'accord avec M. le rapporteur spécial.
Nous ne pouvons accepter les positions, d'ailleurs contradictoires, de l'Allemagne, qui souhaite un élargissement rapide et qui, en même temps, réclame une diminution de sa contribution au budget communautaire.
Cette question est, me semble-t-il, au coeur de la conception que l'on se fait de la construction européenne et de l'Union, dans son sens premier.
Certes, nous pouvons évaluer le retour vers notre pays des sommes versées ; il est d'environ 16 %. Autrement dit, la France demeure contributeur net.
Avec un solde négatif de 1,7 milliard d'écus en 1995, la France se place au quatrième rang des contributeurs nets. Ne nous y trompons pas, cependant ; nous sommes très bénéficiaires, mais le bénéfice des politiques communautaires ne s'exprime pas, pour une bonne part, en termes financiers.
Ainsi, le budget n'est pas qu'un simple exercice comptable où chaque Etat membre devrait retrouver exactement se mise de départ. Cela reviendrait à faire un trait sur le principe de la solidarité communautaire et à méconnaître les effets que l'on peut attendre des politiques communes sur le dynamisme local et sur l'emploi.
Pour les parlementaires socialistes français, voter ce budget est ainsi l'occasion d'affirmer leur volonté de poursuivre la construction européenne.
M. René Régnault. Très bien !
Mme Danièle Pourtaud. Mais nous souhaitons également réaffirmer la nécessité de voir la réforme du financement des politiques de l'Union, comme la réforme des institutions, précéder l'élargissement, sous peine de voir l'Union changer de nature et ne redevenir qu'un vaste marché commun.
Confiant, mais vigilant, le groupe socialiste votera donc l'article 24.
Enfin, je dirai, en conclusion, que, plus que jamais, la construction européenne donne raison au président Mitterrand, qui disait : « Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes, et l'échelle de l'Histoire n'est pas celle des gazettes. Mais, après la patience, arrive le printemps. » (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs - M. le président de la délégation pour l'Union européenne est retenu, je crois, par un rendez-vous avec nos amis tchèques, ce qui est paradoxal lorsque se déroule un tel débat - mesdames, messieurs les sénateurs, comme chaque année, le Gouvernement vous rend compte du projet de budget de l'Union européenne pour l'année à venir et de ses conséquences sur le budget de l'Etat à travers le prélèvement européen.
Je souhaite donc, à cette occasion, vous apporter, bien sûr, une appréciation circonstanciée sur ce projet, sur les orientations qu'il dessine et sur les équilibres financiers communautaires et nationaux qu'il s'efforce de respecter.
Mais, pour mettre en perspective notre débat - j'ai le sentiment que cela répond à votre demande - je m'efforcerai d'aller au-delà, car - plusieurs d'entre vous l'ont dit - l'agenda européen est chargé dans les mois et dans les années qui viennent.
Après le Conseil extraordinaire sur l'emploi, qui vient de se tenir, nous avons de nouveau rendez-vous à Luxembourg avec nos partenaires des Quinze, les 12 et 13 décembre prochain, pour le Conseil européen « traditionnel », mais non moins important, de décembre. Ce Conseil européen de Luxembourg aura notamment à traiter de la question de l'élargissement, qui a nourri plusieurs de vos interventions.
Puis, le 2 mai prochain, les Quinze se réuniront pour arrêter les ultimes décisions sur le passage à l'euro, ce qui constituera - chacun l'imagine - un moment particulièrement fort de la vie de l'Union.
Je vous dirai comment le Gouvernement prépare actuellement ces rendez-vous et ce que nous en attendons pour l'Union et pour notre pays.
Mais, auparavant, je veux remercier M. Alain Lambert, qui a eu l'élégance de laisser parler le rapporteur spécial, M. Denis Badré, précisément, dont le rapport a été extrêmement complet et les observations souvent fort pertinentes, ainsi que M. Genton, président de la délégation pour l'Union européenne, qui exerce en permanence, en particulier en application de l'article 88-4 de la Constitution, la vigilance de la Haute Assemblée sur les actes de la Communauté et leur traduction en droit interne.
Je veux souligner aussi la richesse du débat. Les questions ont été nombreuses ; je vais m'efforcer de répondre à toutes, en sachant que je ne pourrai sans doute pas y parvenir.
Enfin, je veux rendre hommage de manière générale au Sénat, qui, le premier, a pris l'initiative d'organiser ce débat, sans enjeu en termes de vote, c'est vrai, mais qui n'est pas sans importance, car l'Europe, aujourd'hui, n'est plus à proprement parler une politique extérieure, mais davantage une composante fondamentale de notre politique intérieure, tant elle conditionne chacune, ou presque, de nos décisions.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir salué l'initiative du Sénat !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Plusieurs d'entre vous, et en premier lieu M. Badré, ont critiqué certains aspects de l'évolution du budget de l'Union et, par conséquent, du prélèvement sur recettes du budget de la France.
D'autres, comme M. Lesein, qui fait pourtant partie des lecteurs initiés, ont souligné le manque de lisibilité de toute cette affaire. C'est pourquoi il faut la replacer dans son contexte.
Je tiens, en premier lieu, à vous donner quelques éléments d'information sur la manière dont la procédure budgétaire communautaire s'est déroulée jusqu'à aujourd'hui et sur la façon dont elle va se poursuivre jusqu'à la fin de l'année.
Ainsi que vous le savez, c'est la Commission qui a l'initiative dans le domaine budgétaire. Elle a donc élaboré, dès le début de l'année 1997, un avant-projet de budget. Elle a d'ailleurs fait preuve, à l'approche de l'échéance décisive de la monnaie unique, d'un souci de rigueur certain - je dirai d'un certain souci de rigueur - puisque, dans cet avant-projet on relevait une progression limitée à 2,4 % en crédits d'engagement et à 2,9 % en crédits de paiement.
Ces chiffres, qui peuvent paraître encore élevés - ils le sont au regard des contraintes qui sont les nôtres - n'en marquent pas moins une rupture notable par rapport aux habitudes traditionnellement beaucoup plus dépensières prises par la Commission dans le passé. C'est pourquoi j'ai tenu à exprimer la satisfaction du Gouvernement au commissaire Liikanen, en charge du budget, qui fait remarquablement son travail et que j'ai rencontré à deux reprises, au cours de l'été, à Bruxelles puis à Paris.
Chacun se rend bien compte que ce rythme de progression proposé par la Commission demeure trop élevé au regard des contraintes fortes qui s'exercent sur les budgets nationaux, en particulier dans les pays impliqués par le processus de convergence, et nous sommes, bien sûr, parmi ceux-là.
C'est la raison pour laquelle il s'est trouvé une majorité d'Etats - la France en fait partie, là encore - pour demander une plus grande maîtrise budgétaire au niveau de l'Union.
En juin et juillet derniers, la France a donc plaidé à Bruxelles, par la voix de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, pour une croissance nominale nulle du budget de l'Union. Cette démarche a été payée de succès, comme l'année dernière du reste, puisque le Conseil « budget » a adopté, le 24 juillet dernier, un projet de budget en croissance de 1,9 % en crédits d'engagement et de 0,7 % seulement en crédits de paiement, chiffres qu'il nous faut conserver en mémoire puisque la procédure n'est pas achevée.
La France s'est donc efforcée de faire valoir à Bruxelles un certain nombre de principes qui ont également dirigé son action pour l'élaboration de son propre budget national : rigueur d'ensemble pour l'évolution des dépenses, mais aussi identification de priorités clairement assumées.
Le Parlement européen s'est ensuite prononcé en première lecture sur ce projet de budget. Son vote a été marqué par deux éléments : une initiative pour l'emploi, d'une part, une progression de 1,7 milliard d'écus de la dépense communautaire par rapport au projet de budget adopté par le Conseil, d'autre part.
Cette initiative pour l'emploi du Parlement européen, plusieurs, ici, l'ont regrettée. Moi, je veux la saluer. D'un montant de 150 millions d'écus pour 1998 et de 450 millions d'écus au total sur trois ans, elle vient s'insérer dans la démarche que le Gouvernement a promue lors du récent Conseil européen extraordinaire de Luxembourg consacré à l'emploi.
Nous avons souhaité et obtenu à Luxembourg, non pas nous seuls mais les Quinze, qu'une base légale soit donnée à cette initiative du Parlement européen, ce qui permettra l'engagement des crédits correspondants.
En second lieu, le Parlement européen a adopté un projet de budget en progression de 1,7 milliard d'écus par rapport au projet du Conseil, revenant par là même quasiment à l'avant-projet de la Commission.
Je respecte pleinement les prérogatives du Parlement européen, auquel j'ai d'ailleurs appartenu pendant trois ans. Mais, en même temps, il ne me paraît pas raisonnable que les efforts de rigueur, obtenus au Conseil au prix de compromis multiples et parfois difficiles, soient intégralement annihilés, quelques semaines plus tard, par le Parlement européen.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que le « trilogue » mené par la Commission, le Conseil et le Parlement européen se poursuive et permette d'aboutir à un accord constructif.
Le Conseil, réuni dans une formation un peu exceptionnelle, a été constructif en faisant droit à la demande du Parlement européen en ce qui concerne son initiative pour l'emploi. Nous attendons maintenant en contrepartie, si j'ose dire, des gestes substantiels du Parlement européen sur le reste des crédits qu'il a rétablis à l'issue de sa première lecture.
Je sais que M. Sautter s'apprête à un débat sur ce thème avec ses collègues des Quinze dès demain, lors du Conseil « budget » qui procédera à la deuxième lecture du projet de budget. J'espère que M. Bordas trouvera dans ce rappel une réponse, au moins partielle, à sa demande légitime d'éclaircissement de la procédure à venir.
J'en viens à présent au fond du projet de budget adopté par le Conseil en première lecture.
J'essaierai de répondre à vos questions, notamment à celle de Mme Pourtaud, à savoir quel budget pour quelle politique, car c'est toujours avec cette problématique que l'on doit aborder l'examen d'un budget. Je le ferai en listant les rubriques du budget européen.
En ce qui concerne la politique agricole commune, à laquelle plusieurs d'entre vous ont marqué leur attachement, le Conseil a décidé une économie de 1,4 milliard d'écus s'appliquant linéairement au taux de 3,3 % à l'ensemble des lignes du FEOGA-garantie. Cela s'est fait en substitution à l'économie d'un montant équivalent, initialement proposée par la Commission, mais qui ne s'applique, elle, qu'aux aides compensatoires.
Compte tenu du taux de retour, particulièrement élevé pour notre pays, sur les aides compensatoires aux grandes cultures notamment, le schéma finalement retenu respecte mieux les intérêts de notre agriculture. Nous nous félicitons qu'il ait pu être adopté par le Conseil.
En outre - j'y insiste - cette économie ne remettra aucunement en cause l'engagement de l'Union en faveur de l'agriculture. En effet, le montant arrêté des dépenses, qui s'élèvera à 41 milliards d'écus, somme considérable, reste supérieur, quoi qu'il arrive, de 5 % aux paiements effectivement constatés en 1996, année pourtant exceptionnelle en raison des aides tout aussi exceptionnelles débloquées pour apporter une réponse aux éleveurs victimes de la crise de la « vache folle ».
S'agisant de la politique structurelle, le projet de budget, qui s'établit à 33,5 milliards d'écus en crédits d'engagement et à 27,4 milliards d'écus en crédits de paiement, respecte pleinement la programmation arrêtée à Edimbourg en 1992.
Cette programmation marque un engagement résolu à réduire dans un délai raisonnable les disparités de développement entre les différentes régions de l'Union. Sa traduction concrète dans le projet de budget est indispensable pour assurer le bon fonctionnement du marché unique et la poursuite du processus de convergence.
Pour autant, elle ne dispense pas - et cela ne nous dispense pas - d'un effort d'analyse lucide sur la politique structurelle. Reconnaissons qu'il y a, en la matière, une très grande complexité des procédures administratives, ainsi que des circuits de financement.
Reconnaissons aussi - M. le président de la Cour des comptes en a parlé à cette tribune, voilà un instant - que demeurent posés des problèmes d'évaluation. Tout cela constitue un frein indéniable au bon déroulement des projets.
Ces difficultés de mise en oeuvre sont clairement attestées par l'écart important constaté année après année entre les engagements et les paiements.
Confronté à ce phénomène, le Conseil a décidé d'apporter deux types de réponses.
La première a consisté à décider une économie d'un milliard d'écus sur les crédits de paiement de la rubrique 2. Là encore, l'économie ne sera pas gênante puisqu'elle touche des programmes dont le taux de sous-exécution est considérable.
Mais il fallait aller plus loin que cette réponse à court terme, pour traiter le problème à la racine et assurer un meilleur contrôle sur la dépense communautaire, de manière à en accroître l'efficacité. A cet égard, le Conseil a souhaité que l'on complète les mesures déjà prises au cours des dernières années pour améliorer les circuits financiers et permettre un acheminement plus rapide des crédits structurels sur le terrain.
Le respect de l'engagement solennel d'Edimbourg conduit donc à une progression des dépenses structurelles de 6,3 % en engagements. Le souci d'une plus grande rigueur de gestion conduit à une progression des dépenses structurelles limitée à 4,2 % en paiements.
Vous le savez, le Parlement européen est revenu sur cet abattement d'un milliard d'écus ; mais nous avons bon espoir, dans le cadre du trilogue, là encore, de faire revenir le Parlement européen - il le faudra ! - sur des positions plus modérées.
S'agissant des politiques internes, que l'on regroupe dans la rubrique 3 du budget, les crédits d'engagement sont en réduction de 8,8 % et les crédits de paiement en baisse de 6,6 % par rapport à 1997.
Là encore, ces fortes baisses ne sont que la traduction budgétaire de la sous-exécution importante qui caractérise cette catégorie de dépenses. A cet égard, je partage pleinement l'avis de votre rapporteur : il faut s'efforcer de rapprocher encore le budget de sa vérité.
Je veux cependant souligner - je réponds là à plusieurs interventions - que nous avons veillé à assurer un traitement favorable à deux catégories de dépenses, qui doivent clairement être privilégiées et qui représentent, à elles seules, près des trois quarts des dépenses de la rubrique 3.
Ces deux catégories que nous tenons absolument à préserver sont la politique de recherche, d'une part, et la politique mise en place pour les réseaux transeuropéens, d'autre part. Nous y tenons, parce qu'elles sont emblématiques des dépenses d'avenir que nous voulons privilégier, aussi bien à Bruxelles qu'au sein du budget de l'Etat. Elles illustrent le bon usage ou, en creux, le mauvais usage, que l'on peut faire de la puissance publique pour développer notre compétitivité, tant à l'échelon européen qu'à l'échelon national. A ce titre, elles doivent bénéficier de tout notre soutien.
Le projet de budget pour la recherche-développement marque une progression de 2,2 % en crédits d'engagement et une légère réduction de 1,4 % en crédits de paiement. Ces derniers s'établissent toutefois à plus de 3 milliards d'écus, soit une progression de plus de 6 % par rapport à l'exécution au titre de 1996. Conformément au quatrième programme - cadre de recherche et de développement, ces crédits seront consacrés, pour près des deux tiers, à trois secteurs clés pour l'avenir de l'Europe en tant que grande puissance industrielle : les technologies de l'information et de la communication, l'énergie et les technologies des matériaux.
M. Badré a cité un taux de retour pour la France de l'ordre de 10,6 % ; il le juge insuffisant.
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Pour un potentiel de 25 % !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Il faut toujours être prudent sur l'évaluation des taux de retour, mais, d'après les chiffres dont je dispose - la question mérite que l'on y revienne ultérieurement - notre taux se situe plutôt autour de 16 %.
En d'autres termes, nous sommes proches du taux d'équilibre sur la principale politique interne. Toutefois, si, comme nous devons en convenir, le quatrième programme-cadre de recherche et de développement a des défauts, il faut reconnaître aussi son importance pour la recherche française.
Un cinquième programme-cadre de recherche et de développement est nécessaire, programme qui devra mieux être géré, plus concentré et plus opérationnel. Voilà à quoi M. Allègre s'applique, et je m'efforce avec lui de faire passer cette idée, ce qui n'est pas simple à l'échelon de la Commission de l'Union européenne. Que M. Lesein, notamment, se rassure, il s'agit là, pour nous, d'une priorité en faveur de la recherche et de l'éducation.
Les crédits pour les travaux transeuropéens sont en nette augmentation, de 16,4 % en crédits d'engagement et de 22,9 % en crédits de paiement, soit, et de très loin, la plus forte augmentation sur l'ensemble du budget communautaire. Sachez, monsieur Hoeffel, que nous sommes, tout comme vous, très attachés à cette action et que je fais miens les arguments que vous avez développés. Permettez-moi simplement de relever une légère contradiction entre le souci marqué par la quasi-totalité des intervenants de voir réduit le prélèvement, d'un côté, et le besoin, non moins unanimement souligné, de nouvelles dépenses, de l'autre. Or, sur ce point, un certain nombre de nos partenaires, y compris les plus proches géographiquement, monsieur Hoeffel, sont tout à fait réticents. C'est une des contradictions auxquelles est confrontée l'Europe aujourd'hui.
Pour être tout à fait complet sur ce panorama de la dépense communautaire prévue pour 1998, je voudrais vous parler à présent de l'action extérieure de l'Union en direction des pays tiers.
Dans ce domaine, le projet de budget prévoit une réduction des crédits de 2,2 % pour les engagements et de 6,5 % pour les paiements.
Une fois de plus, la logique est la même, puisque, là encore, on constate une sous-exécution manifeste, mais ce projet de budget est conforme aux engagements souscrits au Conseil européen de Cannes, sous présidence française, en faveur des pays d'Europe centrale et orientale. Il prépare, madame Pourtaud, l'élargissement, auquel nous sommes attachés, tout en préservant la situation des pays méditerranéens. Ces deux priorités demeurent, bien sûr, les nôtres, comme vous pouvez en juger aux actions que vous connaissez tous.
Au total, ce tableau à la fois rapide et long, ce qui n'est qu'à moitié paradoxal, des actions que l'Union entend mener en 1998 conduit à un budget communautaire de 90,9 milliards d'écus en crédits d'engagement et de 82,9 milliards d'écus en crédits de paiement.
M. Badré a, sinon critiqué, du moins relevé le coût important de l'Europe. C'est vrai, mais, en même temps, reconnaissons que le budget européen reste un tout petit budget d'intervention, puisqu'il se situe à 1,13 % du produit national brut de l'Union européenne. L'ampleur du budget européen est une vraie question philosophique et politique, mais le cadre restreint de notre discussion d'aujourd'hui ne nous permet pas d'y répondre complètement.
Compte tenu de son système de ressources, l'évaluation de notre contribution de son budget de l'Union pour 1998 s'établit à 91,5 milliards de francs, soit une progession de 4 % par rapport au montant révisé de notre contribution pour 1997, estimée à 88 milliards de francs.
Vous savez que cette croissance,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Forte croissance !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... en effet assez significative, est néanmoins paradoxale ! Elle est plus forte que celle du budget communautaire, qui est limitée à 0,7 %, mais elle prend paradoxalement sa source dans l'effort même de maîtrise du budget communautaire !
En effet, l'exécution du budget communautaire se traduit, en fin d'année, par un « solde positif » qui correspond à l'écart entre les dépenses arrêtées dans le projet de budget communautaire et l'exécution réelle. Ce solde se traduit, concrètement, par un excédent de ressources propres appelées par la Commission, qui est ensuite déduit du prélèvement opéré l'année suivante.
Le chiffrage du prélèvement européen en loi de finances initiale intègre l'effet de ce solde positif sur notre contribution. Or l'adoption d'un budget en croissance zéro l'année dernière, visant principalement à anticiper la sous-exécution prévisible du budget communautaire, conduit à ne retenir pour 1998 qu'un abattement de 2,6 milliards de francs - seulement, si j'ose dire - au titre du « solde positif », inférieur de moitié à l'abattement effectué en 1997. Nous revenons donc à une sorte de vérité des comptes.
Cette différence explique la progression relativement forte de notre contribution pour 1998. Nous ne devrions plus la retrouver ultérieurement, si toutefois le rythme de croissance du budget reste durablement maîtrisé, ce qui est le souhait du Gouvernement.
Nous partageons totalement le souci de M. le rapporteur spécial de lutter contre la fraude, souci qui est partagé également par nombre de ses collègues sur toutes les travées de cette assemblée.
Nous soutenons les actions présentées par la Commission dans son programme pour 1997-1998, qui tire à la fois les leçons du passé et anticipe certaines évolutions à venir. Nous nous félicitons - c'est une raison supplémentaire, comme cela n'échappera à personne dans cette assemblée, de voter la rectification du traité dont le Parlement sera saisi ultérieurement - de la confirmation, par le traité d'Amsterdam, de l'objectif de lutte contre la fraude et contre les infractions aux intérêts financiers des Communautés.
M. le premier président de la Cour des comptes française était dans vos murs tout à l'heure ; il aurait apprécié d'apprendre que le traité d'Amsterdam prévoit le renforcement des pouvoirs de la Cour des comptes des Communautés européennes, ce qui me paraît positif.
Au total, en l'état actuel des prévisions, le prélèvement européen devrait représenter 6,3 % des recettes fiscales nettes de l'Etat en 1998, soit très précisément le même niveau que celui qui devrait être atteint en clôture d'exécution 1997.
M. Loridant a anticipé sur la présentation d'un amendement visant à réduire ce prélèvement. Cet amendement ne peut être accepté, il le sait bien, puisqu'il s'agit d'une contribution obligatoire résultant de l'appartenance de la France à l'Union européenne et des obligations découlant des traités en vigueur et ratifiés par le Parlement, en l'occurrence la décision sur les ressources propres, que le Parlement a ratifiée, me semble-t-il, en 1970.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. M. Loridant l'a lui-même reconnu de manière implicite !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je n'insisterai donc pas, sinon pour dire que le vote que vous vous apprêtez à émettre ne signifie en rien que le Gouvernement modifie son évaluation, sincère, je le répète, de ce prélèvement.
Quelle Europe voulons-nous ? C'est la question que pose M. Estier, et il ne surprendra personne que je partage globalement sa conception.
Je voudrais maintenant resituer la présentation du budget communautaire par rapport à l'action d'ensemble de l'Union européenne.
Je commencerai par les questions économiques, qui ont fait l'objet de plusieurs interventions.
Vous le savez, un Conseil supérieur extraordinaire sur l'emploi s'est tenu, voilà une semaine, à Luxembourg. Nous nous réunirons à nouveau, toujours à Luxembourg, dans deux semaines, pour discuter, notamment, de la mise au point du « pôle économique » ou de l'eurogroupe, qui aura pour vocation de dialoguer avec la Banque centrale indépendante, et pour examiner également tout ce qui concerne l'élargissement et le cadre financier de l'Union.
Je vous livre mon évaluation personnelle du sommet de Luxembourg sur l'emploi : il serait tout à fait malséant de s'abandonner à un quelconque triomphalisme ou de succomber, comme je l'ai lu ici ou là dans la bonne presse, à l'autosatisfaction, et ce qu'il s'agisse du Président de la République ou du Premier ministre, par exemple ! En revanche, nous commençons à entrevoir comment l'Union économique et monétaire peut fonctionner concrètement et comment nous allons vivre avec l'euro. En effet, la question n'est plus réellement de savoir si l'euro se fera. En ce qui concerne le Gouvernement, je veux réaffirmer ici que nous sommes réellement « euroconstructifs ».
Mme Hélène Luc. Pas complètement !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. C'est le sens du lancement de la campagne sur l'euro, à laquelle j'ai eu le plaisir de participer aux côtés de MM. Strauss-Kahn et de Silguy.
Mme Hélène Luc. Cela ne remplace pas le débat !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Non, mais je vais y venir !
Ayant lu, par exemple, les propos du secrétaire national du parti communiste, je veux dire à certains de mes amis du groupe communiste républicain et citoyen qu'il n'y a pas contradiction à lancer une campagne sur l'euro et une campagne sur l'emploi,...
M. Maurice Schumann. Mais si !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... tant nous pensons que ces deux objectifs ne sont pas incompatibles.
M. René Régnault. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Cette campagne sur l'euro n'est pas non plus une campagne de propagande. C'est une campagne d'information. (M. de La Malène proteste.)
M. Maurice Schumann. Vous le croyez vraiment ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. En effet, désormais, pour nos concitoyens, le problème sera de savoir comment on basculera vers l'euro, comment on calculera dans cette monnaie et quel usage on pourra en faire. Je ferme la parenthèse, car je sens que j'ai abordé un sujet brûlant !
M. Paul Loridant. C'est même un sujet glissant !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. J'en reviens au sommet de Luxembourg. Un pas décisif a été effectué, puisque les Quinze ont décidé de se donner des perspectives communes pour l'emploi axées autour de quelques grands objectifs. Il s'agit d'offrir aux jeunes, avant qu'ils comptent six mois de chômage, un emploi, une expérience professionnelle ou une formation, bref un nouveau départ. Il s'agit encore d'offrir à tout adulte avant son douzième mois de chômage un nouveau départ. Il s'agit, enfin, de porter à 20 % le pourcentage de chômeurs auxquels une formation est proposée.
Il y aura, après Luxembourg, des objectifs quantifiés ou quantifiables que l'on pourra articuler avec des plans d'actions nationaux, chacun continuant à faire un peu ce qu'il veut chez lui. Car il ne s'agit pas de faire que, d'un coup, la politique de l'emploi devienne une politique de l'Europe. Si nous souhaitons, en effet, la réussite d'un certain type de politique, ce souhait n'est pas forcément partagé par les autres.
Pouvions-nous faire autrement ? Etait-il même souhaitable qu'il en soit autrement ? Je suis certain que beaucoup de sénateurs, sur toutes les travées, ont les mêmes interrogations.
Ce à quoi nous tenions, lors du sommet de Luxembourg, c'était à l'affirmation de quelques grands objectifs quantifiables. Nous avons réussi à convaincre nos partenaires, avec l'appui de la présidence du Conseil, ou en la soutenant nous-mêmes, d'ailleurs - présidence exercée de façon remarquable par M. Juncker -, ...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Bien sûr !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... que ces objectifs quantifiés étaient compatibles avec le principe de subsidiarité et qu'en eux-mêmes ils n'entraîneraient pas de dépenses supplémentaires pour le budget de l'Union. C'est cette organisation qui a permis de convaincre, au final, nos amis Allemands et Espagnols, qui étaient fortement réticents.
Il faut cependant savoir que les objectifs de Luxembourg pour l'emploi s'imposent aux Etats membres, qui se trouvent désormais dans l'obligation de présenter devant le Conseil - et dès le prochain, qui se tiendra à Cardiff - des plans d'action nationaux en vue de les atteindre ainsi que d'autres objectifs de nature plus qualitative.
J'ajoute, et c'est peut-être le plus important, que le Conseil extraordinaire de Luxembourg ne sera pas un rendez-vous sans lendemain. Désormais, c'est chaque année un Conseil européen, celui de décembre, qui sera consacré pour sa plus large part à l'emploi ; c'est tout à fait fondamental.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais ce sera un constat, c'est tout ! Cela ne suffit pas ! Il faut des sanctions, comme pour le déficit public national !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Plusieurs d'entre vous ont souligné ici, notamment MM. Bordas et Loridant, les moyens mis en oeuvre n'étaient pas des moyens financiers. C'est tout à fait vrai, reconnaissons-le, et pour toute une série de raisons. Outre les contraintes qui pèsent sur les finances publiques nationales et européennes, il faut compter aussi avec le fait qu'être Européens cela signifie aussi que nous ne sommes pas seuls, que nous ne prenons pas nos décisions isolément.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Or certains de nos partenaires qui, à l'occasion, connaissent des difficultés - c'est le cas des Allemands aujourd'hui - considèrent avec réticence toute dépense publique nouvelle.
Moi aussi, j'aurais aimé que l'on aille beaucoup plus loin en ce qui concerne les réseaux transeuropéens et la mise en place d'un modèle de développement européen.
Mme Hélène Luc. Il faut débattre du développement économique de l'Europe. C'est ainsi que l'on est constructif !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. J'allais le dire, madame le sénateur ! (Sourires.)
Cependant, croyez-moi, quand les Etats se retrouveront chaque année au Conseil européen, aucun ne tiendra à être le mauvais élève de la classe, à montrer qu'il n'a pas respecté son plan d'action national ou qu'il ne se conforme pas aux règles impératives fixées à Luxembourg. Il y a là plus que des proclamations, plus que des déclarations d'intention : c'est véritablement une incitation, une contrainte de nature politique et, dans une assemblée comme la vôtre, chacun sait ce que cela veut dire !
Bref, il y a des objectifs, il y a une méthode ; c'est un progrès dont je ne veux pas exagérer l'importance, mais qui rejoint d'autres types d'actions, comme les pactes territoriaux pour l'emploi, au nombre de quatre-vingt-dix dans l'Union européenne, dont neuf en France, qui constituent une sorte de présentation intelligente et territorialisée de ce que l'on peut faire pour l'emploi.
Mais j'ajoute - je réponds ainsi à Claude Estier - que ce n'est certes qu'un début. L'objectif recherché à Luxembourg est de se doter des instruments permettant d'envisager pour plus tard une harmonisation par le haut des niveaux d'emploi dans les différents pays de l'Union.
Nous ne sommes pas naïfs ! Nous savons tous, en effet, que, si nous ne prenons pas les moyens d'assurer cette harmonisation, cette dernière se fera nécessairement par le bas, sous la pression des seules forces du marché, et débouchera exactement sur le contraire de l'objectif recherché, c'est-à-dire sur la destruction des emplois.
C'est parce qu'il y a ce besoin de développement d'une nouvelle régulation au sein de l'Union économique que nous militons également en faveur d'un pôle économique, d'une coordination des politiques économiques, d'un renforcement des politiques macroéconomiques pour l'emploi en Europe et aussi de la mise en place d'un euro-groupe qui doit être l'interlocuteur, demain, du pouvoir monétaire unifié de la Banque centrale indépendante.
J'en viens à la question de M. Loridant sur la nécessité de débattre à propos de l'Europe.
Ainsi que vous le savez, le Gouvernement, tout particulièrement le ministre que je suis, ne fuit aucun débat. Je vous informe - mais sans doute le savez-vous - qu'un débat sur la politique européenne en général aura lieu à l'Assemblée nationale, le 2 décembre. Je suis bien sûr également à la disposition du Sénat pour venir discuter, comme je l'ai déjà fait, de la politique européenne de la France. Nul doute que ce débat s'étendra à la consultation du Parlement français pour le passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire. Il ne m'est pas possible de répondre précisément aujourd'hui, mais sachez que le Gouvernement aura à coeur d'apporter une réponse adéquate à ce besoin de débat que vous exprimez.
S'agissant du référendum, vous connaissez la position plus que réservée du Gouvernement dans la mesure où ce dernier considère que les Français se sont déjà exprimés sur cette question...
M. Maurice Schumann. Mais non !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... dans des conditions douloureuses.
M. Emmanuel Hamel. Les choses ont changé depuis Maastricht !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Les choses changent toujours ! Mais devons-nous pour autant organiser un référendum sur le traité de Rome ?
Le peuple souverain a donc tranché dans un débat difficile.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il ne faut pas avoir peur !
Mme Hélène Luc. Il y a des problèmes nouveaux !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Ce sont des problèmes sans doute nouveaux, mais aussi des décisions déjà prises.
Par conséquent, le Gouvernement ne soutiendra vraisemblablement pas - mais ce débat reste ouvert, également au sein du Gouvernement - la proposition d'un référendum.
Le Parlement, d'ailleurs, nous paraît être tout à fait propice à l'exercice de la souveraineté populaire, la représentation nationale étant à même de débattre avec une grande maturité de ces questions.
Je dirai quelques mots, enfin, sur la question fondamentale de l'élargissement et sur le financement futur de l'Union, qui constitueront le coeur de l'ordre du jour du Conseil européen des 12 et 13 décembre.
J'indique au passage, notamment à l'attention de M. de La Malène, tout l'intérêt que je porte au rapport de M. About. Je suis prêt à venir discuter avec les membres de la délégation pour l'Union européenne, avec ceux de la commission des affaires étrangères ou avec l'ensemble des sénateurs de la façon dont nous pouvons envisager la question de l'élargissement après le sommet de Luxembourg.
Le Conseil européen de Luxembourg devra, le 12 décembre, prendre une décision sur le lancement des négociations d'adhésion. Comme vous le rappeliez, monsieur de La Malène, la Commission a présenté ses avis sur chacun des dix pays candidats d'Europe centrale et orientale. Elle recommande d'ouvrir les négociations avec la Pologne, la République tchèque, la Hongrie - ce sont les trois pays qui, d'ores et déjà, sont admis à entrer dans l'OTAN - avec la Slovénie et l'Estonie. Comme vous le savez, le Conseil a déjà pris antérieurement l'engagement d'ouvrir ces négociations avec Chypre ; mais il s'agit d'un autre problème dont, comme vous, je ne parlerai pas.
La Commission propose, en outre, de mettre en oeuvre une stratégie commune à l'ensemble des candidats : pré-adhésion, conclusion de partenariats d'adhésion qui instituent un contrat entre chacun des candidats et l'Union, réorientation du programme PHARE, Poland and Hungary assistance to the reconstruction of the economy.
Faut-il rappeler que le Gouvernement et le Président de la République soutiennent le processus d'élargissement, qui est bien une chance historique de réunifier le continent européen ? Si l'adjectif « historique » est employé trop souvent, à mon sens, il est cependant pleinement justifié en l'occurrence, dans la mesure où il s'agit d'unifier le continent européen, qui avait été séparé par les circonstances de l'histoire.
Quelle sera notre attitude ? Je ne veux pas la voiler alors que nous sommes à deux semaines de ce sommet. Nous considérons que les avis de la Commission constituent un travail technique d'une très grande qualité - il est seulement technique, car c'est le Conseil qui doit prendre les décisions - et nous ne pouvons que saluer le sérieux de la démarche proposée.
Cela signifie en clair que, après en avoir beaucoup parlé - ce n'était pas la position initiale de la France - nous pensons que la différenciation de la discussion d'élargissement s'impose à un moment ou à un autre pour des raisons d'efficacité.
Vous avez dit, monsieur le sénateur, qu'il faudrait commencer avec tout le monde et que l'entrée se ferait au fur et à mesure. Cela signifie-t-il que la différenciation doit s'imposer plus tard ? Nous pensons plus pertinent, compte tenu à la fois des retards pris et des capacités de traitement de ces dossiers d'élargissement, de commencer les négociations d'adhésion avec une liste limitée qui pourrait être proche de celle de la Commission. Mais nous pensons comme vous qu'il est très important que, à l'occasion des négociations d'élargissement, ne soient pas substitués un fossé, de nouvelles lignes de partage, une déchirure nouvelle entre les pays ayant vocation à adhérer à l'Union et les autres, à la déchirure d'hier entre les pays de l'Est et les pays de l'Ouest, entre les pays à démocratie de marché et les pays communistes. C'est pourquoi nous voulons absolument que tous ces pays soient concernés par une même démarche d'adhésion future, quelles que soient les décisions prises sur l'ouverture pratique des négociations d'adhésion avec les uns ou les autres.
Dans cet esprit, nous attachons une importance particulière à notre projet de Conférence européenne - c'est le nôtre depuis au moins une année - qui a précisément pour objet de contribuer à créer ce sentiment d'appartenance à un même ensemble. Nous ne répondrons pas de façon satisfaisante au défi de l'élargissement si nous donnons le sentiment de préférer les uns aux autres. C'est tout l'enjeu de la Conférence européenne qui procède d'une véritable démarche d'inclusion.
Plusieurs d'entre vous m'ont demandé où en étaient nos partenaires à cet égard. Je pense que cette idée fait son chemin en Europe et que presque tous nos partenaires - à l'exception de la Grèce, qui continue, à l'heure actuelle, à émettre quelques réserves - semblent prêts à intégrer également un pays comme la Turquie, dont nous connaissons tous les spécificités et les problèmes, et qui ne peut être considérée comme un candidat comme les autres, mais dont la vocation européenne est néanmoins affirmée depuis 1963, à travers son statut d'Etat associé.
Toutefois, si nous souhaitons son élargissement, nous tenons aussi à ce que l'Union actuelle se prépare à accueillir ses futurs membres dans de bonnes conditions, et, à cet égard, je partage la préoccupation de M. Gaillard.
Je veux rappeler notre position sur la question institutionnelle, que nous avons abordée sans précautions inutiles dans la déclaration conjointe faite avec l'Italie et la Belgique et annexée au traité d'Amsterdam. Il ne s'agit en aucune manière de refermer la porte de l'Union. Il s'agit simplement d'indiquer qu'aucun Etat, qu'il soit déjà membre de l'Union ou qu'il soit candidat à y entrer, n'a intérêt à vivre demain dans une Europe diminuée, sans politique commune, et dont les mécanismes de prise de décision seraient grippés, voire paralysés. Le Gouvernement estime qu'il est sage de résoudre ce problème à quinze, car ce qui est déjà compliqué à quinze deviendra impossible à dix-huit ou à vingt et un.
Telle est la raison pour laquelle il souhaite en faire effectivement un préalable, non pas à l'ouverture des négociations d'élargissement qui se tiendront au début de l'année prochaine, mais à la conclusion de tout nouveau traité d'adhésion.
M. Michel Barnier. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. C'est là une analyse sur laquelle on peut s'interroger ici ou là, mais que je tiens à réaffirmer avec solennité du haut de cette tribune.
J'ajouterai quelques mots sur le financement de l'élargissement et sur les perspectives financières.
Je partage complètement avec Mme Pourtaud le souci d'éviter toute théorie du juste retour. Ce que nous examinons aujourd'hui, c'est une décision qui se prend dans le cadre de la logique des ressources propres. Le juste retour est étranger à cette conception.
Mais, s'agissant du financement de l'élargissement, nous souhaitons qu'il soit justement proportionné aux besoins des pays d'Europe centrale et orientale qui entreront dans l'Union au cours de la prochaine période de programmation financière qui couvrira les années 2000 à 2006. C'est ce que l'on appelle le « paquet Santer ». Nous commençons à en discuter à Bruxelles dans le cadre de la communication de la Commission dite Agenda 2000.
Notre souhait est effectivement de parvenir à une double programmation. Nous voulons dissocier très clairement, dans cet exercice, les besoins entraînés par l'élargissement, qui doivent faire l'objet d'une juste évaluation, et les besoins liés à la poursuite des politiques actuellement menées à quinze, ces dernières devant faire l'objet d'une maîtrise extrêmement rigoureuse de leur financement.
S'agissant du cadre financier futur de l'Union, nous souhaitons que la décision sur les ressources propres soit maintenue, à savoir que le maintien du plafond de 1,27 % permette d'assurer à la fois le financement futur de l'Union et le déroulement des politiques actuelles. Ce sont des contraintes fortes, mais je suis convaincu qu'un équilibre satisfaisant pourra être trouvé au bout du compte. M. Hubert Védrine et moi-même avons déjà commencé à travailler en ce sens au Conseil « affaires générales ».
Pour le reste, nous plaiderons également pour une approche dynamique de la réforme des fonds structurels et de la réforme de la PAC. C'est d'ailleurs le souci de M. Hoeffel.
Sur les fonds structurels, je retiens tout à fait les suggestions intéressantes de M. Hoeffel : subsidiarité, cohésion, solidarité, association des collectivités locales me paraissent être des principes fondateurs pour une réforme, même s'il ne faut pas oublier les contraintes financières et la pertinence en termes de développement local.
S'agissant de la PAC, j'ai bien noté les préoccupations de M. Loridant. Je veux l'assurer de notre volonté de maintenir la ligne directrice agricole dans son principe et dans ses modalités d'indexation. C'est d'ailleurs ce que nous avons obtenu la semaine dernière au sein du Conseil « agriculture ». Nous nous en réjouissons.
Pour le reste, nous veillerons jalousement à la fois à la défense des intérêts des agriculteurs français et à la défense d'un modèle européen agricole, auquel nous sommes très attachés. Nous ferons tout cela dans le souci de concertation qui doit naturellement présider à cet exercice.
En conclusion, je veux réaffirmer avec force l'engagement européen sans faille du Gouvernement. Cet engagement marque l'ensemble de la politique économique et sociale que nous conduisons. Comme l'a dit le Premier ministre, Lionel Jospin, notre priorité est claire : nous voulons l'Europe de l'emploi avec l'euro. Nous affirmerons sans relâche notre volonté de réorienter et de rééquilibrer la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi.
Comme nous l'avions dit avant d'accéder aux responsabilités, nous voulons faire l'Europe sans défaire la France. Nous veillerons donc scrupuleusement au respect des intérêts nationaux.
Parmi ces intérêts nationaux, il en est un auquel je suis particulièrement attaché : l'intérêt de Strasbourg. C'est une ville dans laquelle le parlementaire européen que j'ai été a passé pas mal de temps, et dans laquelle le ministre que je suis maintenant passe encore plus de temps, puisque je me rends fréquemment au Conseil de l'Europe et au Parlement européen.
Comme vous le savez, la France a obtenu deux premières satisfactions avec l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, laquelle a prouvé au passage, pour ceux qui en doutaient, qu'elle était une institution utile, voire très utile. Cette décision de la Cour de justice a été ensuite entérinée par le Parlement européen, qui a décidé de fixer son calendrier pour l'année 1998 à douze sessions plénières, comme l'y obligeaient la résolution d'Edimbourg et cet arrêt de la Cour de justice.
C'est un geste de bonne volonté du Parlement. Nous en avons fait un autre en contrepartie : nous avons retiré notre recours pour l'année 1997. Nous demeurerons toutefois très vigilants, dans l'avenir, à ce que cette décision soit respectée. Mais Strasbourg pose d'autres problèmes, que vous avez d'ailleurs rappelés.
Je veux d'abord souligner le problème de l'amélioration de la desserte aérienne de cette ville. Le budget des affaires étrangères consacre 27,7 millions de francs à cet effet, et j'y consacre personnellement beaucoup d'énergie. Je viens notamment d'écrire à l'honorable John Prescott, vice-Premier ministre anglais, car c'est avec ce pays que se posent un certain nombre de problèmes.
En outre, il existe d'autres types de dessertes : ainsi, vous avez évoqué le TGV-Est. C'est au ministre des transports qu'il reviendra d'annoncer les décisions en la matière. Il a déjà commencé de le faire. Vous permettrez à l'élu d'une autre région de l'Est que je suis de souhaiter que cette réalisation se fasse de façon concomitante avec le TGV-Rhin-Rhône.
Le Gouvernement veut une Europe populaire, qui réponde aux aspirations des Français de toutes les classes sociales, notamment à ceux qui sont les plus réticents et qui appartiennent justement au milieu populaire. J'ai le regret de dire à M. Gaillard que, de ce point de vue, il n'y aura ni reniement, ni recul, ni déséquilibre. Personnellement, je ne ménagerai pas ma peine pour faire aboutir, avec tous ceux qui le veulent, cette conception de l'Europe qui s'inscrit dans le droit-fil de celle que la France promeut depuis des décennies, mais qui a aussi - je le crois, je l'espère - des accents novateurs. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. Sur l'article 24, je suis saisi, par Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° I-105 vise, à la fin de l'article 24, à remplacer le chiffre : « 91,5 milliards de francs » par le chiffre : « 87 milliards de francs ».
L'amendement n° I-106 vise, à la fin de l'article 24, à remplacer le chiffre : « 91,5 milliards de francs » par le chiffre : « 88,218 milliards de francs ».
L'amendement n° I-107 vise, à la fin de l'article 24, à remplacer le chiffre : « 91,5 milliards de francs » par le chiffre : « 89,162 milliards de francs ».
La parole est à M. Lefebvre, pour défendre ces trois amendements.
M. Pierre Lefebvre. Par l'amendement n° I-105 et les amendements de repli n°s I-106 et I-107, nous entendons dénoncer les incohérences que présente, de notre point de vue, le budget des Communautés, et plus précisément, ici, le prélèvement français en faveur des Communautés européennes.
Le Conseil européen du 24 juillet dernier a en effet exigé une stabilité du budget des Communautés. Logiquement, une stabilité des prélèvements au titre des contributions nationales devrait suivre pour 1998. Or la contribution de la France, soumise à l'Assemblée nationale en octobre 1996, portait sur une ligne budgétaire de 87 milliards de francs.
Nous demandons donc - c'est l'amendement n° I-105 - que la contribution française soit ramenée à 87 milliards de francs, l'augmentation de 5,2 % souhaitée par le Gouvernement nous semblant très excessive, voire supérieure à celle de 2,9 % préconisée par la Commission européenne elle-même.
Dans un contexte de réduction des dépenses publiques, nous estimons que les 4,5 milliards de francs dégagés pourraient et devraient servir à la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'emploi et le progrès social en France.
De plus, la persistance du problème de la fraude au budget communautaire, sur lequel nous avons déjà insisté dans l'intervention sur l'article, nous confirme dans notre volonté de voir la contribution de la France au budget de 1998 ne pas dépasser son niveau déjà élevé de 1997, soit 87 milliards de francs.
D'abord, une lutte efficace contre la fraude permettrait de dégager des recettes nouvelles importantes au niveau du budget communautaire.
Ensuite, des économies notables pourraient être réalisées et des gâchis évités, par exemple en assouplissant les structures bureaucratiques.
Enfin et surtout, il nous paraît indispensable d'améliorer sensiblement la transparence et la lisibilité de ce budget des Communautés européennes, qui en manque cruellement.
Dans les conditions actuelles, nous souhaitons donc voir la contribution française réduite à 87 milliards de francs en 1998.
Au pire, nous proposons que la progression par rapport à 1997 soit ramenée au niveau de l'augmentation des dépenses nationales, soit 1,4 % sur la contribution de 1997 - c'est l'amendement n° I-106, soit une contribution de 88,218 milliards de francs. A l'extrême, nous proposons que cette progression soit limitée à celle des dépenses du budget de l'Union européenne - c'est l'amendement n° I-107, soit une contribution de 89,162 milliards de francs.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-105, I-106 et I-107 ?
M. Denis Badré, rapporteur spécial. L'avis de la commission est défavorable.
Je note d'ailleurs que notre collègue M. Loridant, M. le ministre, puis le président de la commission des finances ont déjà souligné le caractère irrecevable de ces amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Le Gouvernement partage l'avis de la commission des finances.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-105, puis les amendements n°s I-106 et I-107.
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole contre les amendements.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le président, même si les trois amendements de nos collègues communistes étaient adoptés, je ne pourrais pas voter l'article 24.
Il est des moments dans l'histoire d'un peuple où il faut savoir se dégager d'une mécanique dont on prend conscience qu'elle est de plus en plus destructrice.
Lequel d'entre nous, surtout s'il a atteint mon âge, s'il est dans son quatrième quart de siècle et a le souvenir de ce que fut notre Histoire, ne comprend la nécessité qu'aux temps de guerre succèdent les temps de paix ? Que l'animosité entre la France et l'Allemagne soit remplacée par une amitié constructive dans une Europe où nous n'oublions pas le passé mais où nous construisons l'avenir !
Nous sommes actuellement piégés par l'idée de l'Europe, par le mot Europe, sans réfléchir et sans prendre conscience de ce que l'Europe, hélas ! que nous sommes en train de vivre et de construire conduit à la destruction de la France. Le mot peut paraître excessif - on me reprochera de l'être - mais c'est, hélas ! la triste vérité.
Nous sommes une nation qui, voilà quatre ans, a déjà accepté de se dessaisir de son pouvoir monétaire : le pouvoir politique français n'a plus d'autorité sur la Banque de France, cette dernière mène la politique monétaire qu'elle croit devoir mener sans que l'Etat puisse l'infléchir, et ce n'est qu'une étape vers un pouvoir monétaire européen qui s'imposera à tous les Etats, y compris le nôtre.
Ce n'est pas le fait que son siège soit à Francfort qui me heurte. Ce qui me gêne, c'est qu'elle puisse conduire une politique inspirée par des soucis monétaristes au service de l'idée d'un grand capital, où le peuple sera broyé sous l'effet d'une mécanique financière imposant ses critères monétaristes.
Sans son pouvoir monétaire, je vous rappelle que la France ne se serait pas reconstruite de 1945 à 1958 comme elle a pu le faire ; le pouvoir politique était maître du pouvoir monétaire et a pu préfinancer la reconstruction.
Mais ce que nous vivons, ce n'est pas simplement la perte du pouvoir monétaire, qui est un des éléments constitutifs d'un Etat, ce n'est pas simplement, sur le plan psychologique, la perte du franc, qui était notre monnaie depuis des siècles : maintenant, nous allons y ajouter la perte du pouvoir budgétaire.
Nous allons bientôt nous voir imposer par Bruxelles, au nom d'une Europe fédérale de fait, des critères d'évolution des dépenses, des critères de déficit budgétaire, et nous ne pourrons plus discuter du budget, de son rythme, de sa dette, de son déficit comme moyen d'action pour la relance et pour une politique plus juste.
Et ce n'est qu'une étape puisque, à force de parler de politique étrangère et de sécurité communes, nous allons bientôt perdre ce qui nous reste encore d'autonomie dans le monde pour être nous-mêmes, assumer les atouts de la France, jouer notre mission de rayonnement sur tous les continents, incarnant, la France que nous sommes, la liberté, l'universalité, la responsabilité vis-à-vis des autres.
Je sais que l'on me dira que je suis un naïf et que si j'étais au pouvoir, je ne parlerais pas comme cela. Eh bien, monsieur le ministre - je n'ose dire mon cher collègue, puisque je n'accéderai jamais aux fonctions gouvernementales, mais nous avons néanmoins reçu la même formation à la Cour des comptes - si j'étais ministre, tel que je suis, avec l'idée que j'ai de la France, dans le respect de l'amitié de nos partenaires, je leur expliquerais que je ne peux pas continuer de programmer ma disparition, et qu'il faut refaire une autre Europe, où les Etats, dans le respect de leurs intérêts parfois divergents, construisent ensemble une politique commune mais qui soit délibérée par des Etats maîtres d'eux-mêmes.
Voter aujourd'hui l'article 24, c'est, en fait, accepter symboliquement la poursuite du processus de désintégration de la France.
Il restera toujours la beauté de nos paysages, la saveur de nos vins, l'extrême beauté de nos femmes (Sourires) , notre histoire, mais nous aurons cessé d'être un Etat. Nous deviendrons la petite province d'un ensemble où nous subirons des politiques que nous ne pourrons plus contrôler.
Eh bien, dans l'idée que je me fais de la France, passionné que je suis de son rôle et de la mission qu'elle pourrait encore aujourd'hui, si elle était plus dynamisée, conduire dans le monde, je ne peux m'associer au vote d'un article qui signifie que l'on renonce à ce que la France continue d'être ce qu'elle pourrait être encore pour elle-même et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - MM. Schumann et de La Malène applaudissent également.)
M. le président. Je ne suis pas sûr que M. Hamel ait parlé contre les amendements ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Girault. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Girault.
M. Jean-Marie Girault. J'avais pensé prendre la parole contre les amendements, mais le discours de M. Hamel m'a troublé, car, pour moi, s'exprimer contre les amendements de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, c'était rappeler ma foi d'Européen convaincu.
Ce qui me conduit à reprendre l'ensemble des thèses qui ont été développées cet après-midi, notamment par M. le ministre chargé des affaires européennes, c'est qu'au fond de moi-même j'approuve l'article 24, ce qui devrait, logiquement, m'amener à m'exprimer contre ces amendements qui le dénaturent.
J'étais déjà un Européen convaincu enfant puis adolescent. Il m'arrive de dire que la construction de l'Europe aura demandé cent ans. Pour unifier un continent tel que le nôtre, avec la diversité de ses cultures et de ses traditions, et des histoires propres à chacun des pays qui le composent - rassurez-vous, je veux rester français, comme vous comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement ? - il faudra beaucoup de temps. Je dis quelquefois que nous sommes aujourd'hui à la mi-temps.
Chaque fois que des initiatives sont prises, si l'on n'a pas une vision à long terme, on est contre. Il y a eu un référendum sur Maastricht ; on en veut un autre parce qu'on pense qu'aujourd'hui le peuple français pourrait voter différemment. Cela est un peu simple ! Un référendum normatif, tel que celui de Maastricht, incluait bien entendu l'existence de l'euro. Le résultat a été ce qu'il a été, mais, si j'en crois des sondages récents, la majorité des Français pour l'euro est encore plus importante qu'on pouvait l'imaginer au moment où le référendum sur Maastricht a eu lieu.
Je m'aperçois, chers collègues communistes - vous qui faites partie de la majorité plurielle - que votre conviction antieuropéenne s'est atténuée. Aujourd'hui, pour 4,5 milliards de francs, vous déposez un amendement ; mais, sur le reste, vous considérez que la disposition de l'article 24 est une bonne disposition. Je vous sais gré de l'admettre aujourd'hui.
Je sais bien que vous êtes dans l'embarras, mais je préfère encore la franchise d'Emmanuel Hamel, dont nous connaissons bien la conviction ; pour le parti communiste, il s'agit quand même d'un retournement d'opinion ! (Mme Beaudeau proteste.)
Dans cet hémicycle, je ne connais aucun groupe politique qui, aujourd'hui, s'affirme contre l'Union européenne. J'en prends acte, et j'en suis heureux.
Mais le parcours sera long, et je conçois qu'il déchaîne parfois des passions ; j'en ai une, Emmanuel Hamel aussi, et je lui rends hommage de s'exprimer comme il le fait.
En terminant, je dirai que, depuis des années, nous travaillons sur l'Europe en amont, c'est-à-dire à partir de tous les systèmes institutionnels qui ont été mis en place ; aujourd'hui, avec l'euro, on va travailler en aval.
Que va-t-il se produire dans les temps qui viennent ?
Chaque Français, chaque Allemand, chaque Italien - pour ne citer que ces pays sans mentionner les autres membres de l'Union européenne qui vont entrer dans le système de l'euro - va être confronté à la réalité européenne ; en apprenant à compter et à savoir ce que valent les choses dans une monnaie différente, le citoyen va prendre conscience qu'un continent est en construction. C'est une forme de sédimentation qui s'installe et je ne vois pas pourquoi, aujourd'hui, l'Européen que je suis renoncerait.
Je considère que tout cela constitue une grande avancée. C'est pourquoi je voterai l'article 24 tel qu'il émane de l'Assemblée nationale, et donc contre les amendements qui ont été proposés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RPR et sur quelques travées socialistes.)
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Après M. Girault, qui vient de s'exprimer contre les amendements proposés par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je souhaite expliquer mon vote, malgré l'inversion que constitue l'intervention flamboyante de M. Hamel, qui pourra servir de conclusion à nos débats dans le Journal officiel .
Monsieur le ministre, c'est à vous que je m'adresse. Plusieurs sénateurs, comme moi-même, ont attiré votre attention sur les irrégularités et les fraudes considérables qui ont été signalées cette année à Bruxelles.
Nous avons été très émus par les rapports publiés à ce sujet. Il n'y a aucun doute, la grande majorité des hauts fonctionnaires et des personnels des Communautés européennes sont d'une honnêteté au-dessus de tout soupçon. Néanmoins, il s'est produit là-bas des errements extraordinaires !
Deux commissions d'enquête ont été constituées. L'une d'elles a déjà constaté 1 milliard d'écus de fraude, c'est-à-dire 6 milliards de francs, ce qui est une somme énorme. Et ce n'est pas fini, car les enquêteurs ont indiqué qu'ils avaient découvert d'autres scandales.
Dans cette regrettable situation, ce qui nous étonne, c'est le silence du gouvernement français. Je vous avais interrogé très précisément, monsieur le ministre, pour vous demander comment vous comptiez réagir. N'avons-nous rien à dire ? N'y a-t-il pas quelques réformes à initier, quelque remontrance à faire ?
Alors que j'appelais le Gouvernement à la plus grande vigilance à ce sujet, vous n'avez cru devoir répondre à aucune des questions que je vous ai posées.
En conséquence, étant donné que nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont été les seuls, avec moi, semble-t-il, à avoir condamné ces excès, ces irrégularités, ces malhonnêtetés, je voterai à titre tout à fait personnel les amendements qu'ils nous proposent et qui visent, en guise d'avertissement, à diminuer considérablement la dotation attribuée par la France aux Communautés européennes de Bruxelles.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-105, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-106, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-107, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 24.
M. Emmanuel Hamel. Je vote contre !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. On progresse !

(L'article 24 est adopté.)
M. le président. Nous allons maintenant reprendre la discussion de l'article 22 bis, qui a dû être interrompue ce matin.

Article 22 bis (suite)