SÉANCE DU 15 JANVIER 1998
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
la mobilisation des chômeurs vient rappeler au pays et à tous ceux qui ont été
responsables de sa gestion la réalité toute humaine, la détresse et, parfois,
le dénuement le plus complet qui est celui de tant et tant de nos
compatriotes.
Elle témoigne, en même temps, de l'irréductible volonté de justice et de
dignité qui anime nos concitoyens.
La solidarité qu'expriment les Français avec ce mouvement montre que ce
sentiment est partagé par l'immense majorité de notre peuple.
Il est temps de rappeler avec force le préambule de la Constitution qui nous
gouverne : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi.
» Et, plus loin : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état
physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de
travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables
d'existence. »
Pour ce qui concerne les moyens convenables dont il faut doter chacun, vous
avez, madame la ministre, de considérables rattrapages à opérer compte tenu de
l'impéritie du gouvernement qui vous a précédé...
(Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Un sénateur socialiste.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Combien de chômeurs en 1981 ? Allons, arrêtez !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... et que les Français ont sanctionné en le renvoyant.
Vous avez ouvert les dialogues nécessaires et validé aussi, pour cela, des
interlocuteurs venus du mouvement social lui-même.
(Nouvelles protestations
sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Les nouveaux pauvres !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous avez mobilisé des fonds d'urgence. Vous nous proposerez bientôt une loi
contre l'exclusion. Nous vous en donnons acte.
Pour ce qui concerne le droit d'obtenir un emploi pour souscrire au devoir de
travailler pour subvenir à ses besoins, dans la mutation cruelle que vit notre
économie, le peuple français a aussi été consulté au cours de l'élection
législative récente. Il a choisi de vous suivre dans la voie de la réforme
majeure que vous lui avez proposée, c'est-à-dire la réduction massive du temps
de travail, les trente-cinq heures hebdomadaires sans perte de salaires, pour
créer des milliers d'emplois.
M. Alain Joyandet.
Sans perte de salaire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voici ma question.
Le groupe socialiste s'exaspère des refus répétés du CNPF d'entrer dans les
négociations qui doivent permettre la mise en oeuvre rapide de cette mesure.
Le groupe socialiste s'indigne des menaces de déstabilisation du Gouvernement
proférées par le CNPF, dont il n'est pas prouvé qu'il soit aussi représentatif
qu'il le dit en cette circonstance.
Il s'indigne des démarches entreprises pour exiger que vous renonciez à votre
projet.
Le groupe socialiste s'indigne du privilège de blocage dont jouissent les
représentants de cette catégorie socioprofessionnelle au détriment des devoirs
de solidarité que la situation impose.
Un sénateur socialiste.
Bravo !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Jusqu'où et jusqu'à quand cela sera-t-il toléré ?
Les socialistes récusent l'opposition que l'on voudrait entretenir entre ceux
qui ont du travail et ceux qui n'en ont pas et récusent l'idée que les minima
sociaux soient l'horizon indépassable du revenu de tant de Français. Nous
voulons du travail pour tous et un revenu convenable pour chacun. Nous voulons
les trente-cinq heures hebdomadaires sans perte de salaire.
Madame le ministre, nous voulons que le CNPF, clairement responsable du
blocage actuel, soit ramené au respect du vote des Français !
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, vous avez
raison de dire que le droit à l'emploi doit, jour après jour, être l'objet de
notre combat permanent et devenir un droit de la réalité.
Finalement, la société que nous voulons construire n'est pas une société où
ceux qui sont sur la route sont toujours plus forts et toujours plus riches,
alors que sont sans cesse plus nombreux ceux qu'on laisse sur le côté en leur
envoyant, parfois, par moments, une allocation d'assistance qui leur permet
tout juste de survivre mais en aucun cas de vivre.
La dignité, c'est l'emploi, c'est-à-dire l'autonomie de l'homme, l'utilité
sociale, la reconnaissance par les autres. Aussi est-ce l'objectif numéro 1 que
le Gouvernement s'est fixé dans toutes les décisions qu'il a prises.
Vous avez choisi, monsieur le sénateur, de mettre l'accent sur les
entreprises. Je vous répondrai donc sur ce terrain.
Les entreprises nous disent, et, dans le fond, elles ont globalement
raison,...
(Exclamations sur les travées du Rassemblement pour la
République.)
Attendez !
Les entreprises nous disent donc que ce sont elles qui créent des emplois.
Malheureusement, depuis des années, ce sont elles qui en ont détruit. Elle
l'ont fait parfois à cause des difficultés de la concurrence. Ces difficultés,
nous les comprenons et nous nous efforçons de les combattre en réduisant les
charges sociales sur les bas salaires, en changeant - la mesure est en cours -
l'assiette des cotisations patronales, en travaillant à la réforme de la taxe
professionnelle...
M. Alain Vasselle.
En taxant les entreprises !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité. ... ou en transférant les
charges sociales des cotisations payées par les salariés vers la CSG.
Mais les suppressions d'emplois résultent aussi souvent, nous le savons, d'un
manque d'anticipation, d'une absence de réflexion sur l'organisation du
travail, du défaut de qualification de nos salariés, tout ce qui fait que,
aujourd'hui, nos entreprises sont moins compétitives qu'ailleurs.
Il faut gagner en innovation et en réactivité. Il faut savoir mieux répondre à
l'attente des consommateurs et des clients.
Pour notre part, nous avons pris nos responsabilités. Nous avons relancé la
consommation, qui stagnait depuis 1995. Les entreprises doivent maintenant y
répondre dans les meilleures conditions.
Alors que, nous l'avons déjà dit, les charges sociales sont fortes sur les bas
salaires, nous faisons en sorte, aujourd'hui, en accompagnant la réduction de
la durée du travail par une aide forfaitaire aux entreprises fortement
utilisatrices de main-d'oeuvre, de créer encore plus d'emplois par le partage
du travail.
Il faut que ce partage du travail ait lieu, car il n'y a pas, aujourd'hui,
d'autre solution que d'emprunter toutes les pistes qui permettront
effectivement de créer des emplois.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est répartir la pénurie !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ajoute, car, si les discours
sont importants, les faits sont rares
(Marques d'approbation sur les travées
du Rassemblement pour la République.) que nous n'accepterons pas - je l'ai
dit dès le mois de juillet - que certaines entreprises, notamment celles qui
font aujourd'hui des bénéfices importants, fassent porter sur la collectivité
le coût de leur restructuration.
J'ai donné des directives, dès le mois de juillet, pour que l'on essaie
d'éviter les plans sociaux, pour que l'on fasse de la gestion prévisionnelle,
pour que l'on n'accorde pas des préretraites à des grandes entreprises qui
gagnent énormément d'argent et qui, par ailleurs, ne font aucun effort pour
développer l'emploi, pour reconvertir et reclasser leurs salariés.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
De la même manière, le président sortant du CNPF a dit, le 10 octobre dernier,
qu'il entrerait dans le dispositif des 350 000 jeunes dans le secteur privé.
Je vous le dis, monsieur le sénateur, car je sais que ce sujet vous intéresse
tout particulièrement, il a pris l'engagement d'un bilan par branche sur le
nombre de jeunes actuellement dans les entreprises, le pourcentage dans les
embauches, la formation en alternance et la révision de la précarité du statut
des jeunes.
Il a dit qu'un diagnostic serait fait avant la fin de janvier et que, dans
toutes les branches, serait lancé un programme d'embauche et un véritable
programme pour les jeunes d'ici au mois de juillet.
Les patrons doivent prendre leurs responsabilités ; nous prendrons les nôtres.
Dès le mois de janvier - je l'ai écrit à l'ensemble des présidents des chambres
patronales - je réunirai des commissions mixtes. Autrement dit, je convoquerai
le patronat et les organisations syndicales partout où cela sera nécessaire. En
effet, on ne peut à la fois dire que l'on crée des emplois, que l'on est les
seuls à le faire, qu'on souhaite le faire, et ne pas donner une place aux
jeunes. Là aussi, que chacun, prenne ses responsabilités !
J'en terminerai en rappelant, vous l'avez dit, que l'emploi doit tous nous
réunir. Moi non plus, je n'apprécie pas que les chefs d'entreprise, qui sont là
pour créer des richesses et pour faire en sorte que demain nous vivions mieux
dans notre pays, tiennent des propos qui sont d'un ordre autre
qu'économique.
Pour ma part, je ne renonce pas à ce que le Gouvernement s'adresse directement
aux entreprises. En effet, aujourd'hui, dans notre pays, nombre de chefs
d'entreprises se battent sur les marchés, innovent, ont envie de créer des
emplois parce qu'ils savent mieux que quiconque qu'ils ne se développeront pas
dans une société qui est en train de se désagréger par les violences, par la
ghettoïsation et par le chômage.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Protégez-les !
M. Christian Demuynck.
Aidez-les !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité. Eh bien, nous allons nous
adresser à ces chefs d'entreprise, non pas pour leur dire, comme certains,
qu'il ne faut pas bouger, qu'il ne faut rien faire, mais pour les inciter à
s'engager avec nous dans cette bataille des trente-cinq heures !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Ce n'est pas crédible !
M. Christian Demuynck.
C'est une erreur !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est une opportunité offerte à
l'entreprise pour regagner en compétitivité, pour gagner des marchés, pour
réduire l'exclusion et le chômage, qui grèvent aujourd'hui notre société...
M. Alain Vasselle.
C'est voué à l'échec ! Les trente-cinq heures auront le même effet que les
trente-neuf heures !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité. ... et qui, demain, empêcheront
l'entreprise de se développer.
J'ai la conviction que ce combat, qui est un combat politique au vrai sens du
terme, et non pas au sens politicien, qui permet de préparer l'avenir, un
avenir plus radieux pour tous, beaucoup peuvent en comprendre la portée. Aussi,
je souhaite que, ce combat, la plupart d'entre vous - je crains,
malheureusement, qu'ils ne soient pas très nombreux sur toutes les travées -
nous aident à le gagner.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
SITUATION DE LA COMMUNAUTÉ HARKIE