M. le président. La parole est à M. Peyronnet, auteur de la question n° 218, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Jean-Claude Peyronnet. Madame la ministre, je souhaite vous interroger à mon tour, après mon collègue Jean-Louis Lorrain, sur le problème du droit de prêt. Je vois d'ailleurs dans cette instance à soulever cette question le signe d'une inquiétude manifeste.
La directive européenne 92/100 du 19 novembre 1992 vise globalement à protéger les droits d'auteurs - louable intention - et prévoit que, à cette fin, les bibliothèques doivent s'acquitter d'un droit de prêt.
En France cette directive n'est pas appliquée aux bibliothèques publiques, car le Centre national du livre, créé en 1946, aide les auteurs et les éditeurs depuis 1976 à publier dans des conditions économiquement acceptables.
Or, récemment, le président du Syndicat national de l'édition, dans un courrier adressé à l'ensemble des maires de communes de plus de 10 000 habitants a demandé que les bibliothèques publiques s'acquittent d'un droit de prêt, avançait le chiffre de 5 francs par prêt. La question qui se pose est évidemment de savoir qui doit prendre ce droit en charge : la collectivité locale ou le lecteur ?
Selon le président du Syndicat national de l'édition, le prêt gratuit pénalise la création et l'édition littéraires. Mais on peut retourner l'argument et dire que les prêts gratuits constituent une incitation à la lecture et donc, probablement, à l'achat de livres.
En tout état de cause, l'application d'un tel droit du prêt engendrerait un coût important.
Si c'est le lecteur qui doit payer, on peut considérer qu'il y aurait remise en cause de cette sorte de droit acquis qu'est le prêt gratuit. Et je ne fais qu'évoquer la complexité extraordinaire d'un tel système.
Si c'est la collectivité, ce sera pour elle une charge non négligeable. Ainsi, pour prendre un exemple que je connais bien, sachant que la bibliothèque centrale de prêts de la Haute-Vienne prête environ 100 000 ouvrages chaque année, sur la base de 5 francs par prêt, c'est une somme totale de 500 000 francs qui devrait être déboursée, soit plus de la moitié du budget annuel d'achat d'ouvrages ; à n'en pas douter, cela grèverait lourdement les finances du département.
Madame la ministre, la réponse que vous avez faite tout à l'heure à M. Jean-Louis Lorrain ne me satisfait guère, je l'avoue. Je vois mal, en effet, comment on peut espérer concilier des intérêts en fin de compte assez divergents : ceux des éditeurs, d'un côté, ceux des bibliothèques et des collectivités, de l'autre. Je ne suis pas sûr qu'il soit possible d'obtenir une solution consensuelle telle que ni les lecteurs, ni les collectivités ne seraient pénalisés.
Je préférerais, pour ma part, que le Gouvernement s'appuie sur les possibilités offertes par la directive, qui prévoit dans son article 5 que les Etats membres peuvent exempter certains établissements de ce droit.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, l'inquiétude qui s'exprime ce matin au Sénat s'est déjà manifesté à l'Assemblée nationale ainsi qu'au sein de différentes associations d'élus.
Je puis vous indiquer que nous entretenons, sur cette question, des contacts réguliers non seulement avec la mission qui est conduite par M. Borzex mais aussi avec les différentes instances représentant les professionnels et avec les associations d'élus.
Il ne s'agit pas, pour le Gouvernement, de faire droit, purement et simplement, à la demande du Syndicat national de l'édition. Celui-ci a suggéré qu'un droit de prêt de 5 francs soit systématiquement acquitté, et cela relève de sa seule responsabilité.
Certes, la directive ouvre cette possibilité et va d'ailleurs, d'une certaine façon, jusqu'à recommander d'en user. Mais elle prévoit aussi une dérogation, que nous pourrions éventuellement invoquer.
Les travaux menés jusqu'à présent par la mission Borzeix montrent que, si le question est tranchée dans le sens de la gratuité s'agissant des bibliothèques départementales de prêt, elle prend un tour beaucoup plus complexe en ce qui concerne les bibliothèques publiques.
Aujourd'hui, une participation financière est demandée à l'usager, donc au lecteur, soit sous forme d'abonnement à la bibliothèque soit par l'accès payant à un certain nombre de services. Autrement dit, on ne peut parler de gratuité acquise d'emblée pour le lecteur.
Bien entendu, on ne saurait remettre en question la libre décision des collectivités territoriales concernant un équipement dont elles ont la responsabilité. Il s'agit simplement de faire en sorte que la filière du livre, qui comprend les auteurs, les éditeurs, les bibliothèques et les libraires, soit aussi créative et dynamique que possible.
Nous tenons absolument à préserver cette mission d'encouragement et de développement de la lecture publique que remplissent des bibliothèques, qu'il s'agisse des bibliothèques centrales de prêt ou de la Bibliothèque nationale de France, que l'ensemble des parlementaires ont bien voulu doter de crédits significatifs pour en assurer la plus large ouverture au public.
La Bibliothèque nationale de France a aujourd'hui les moyens de mener des actions de coopération avec les bibliothèques régionales, en particulier. Nous sommes dans une phase de développement très fort des bibliothèques et de la lecture publique, y compris en zone rurale.
Dans le même temps, nous devons assurer la pérennité de la place du livre et nous attacher à favoriser la diffusion des auteurs français sur le marché international.
Dans cette perspective, il est indispensable de garantir à nos éditeurs et à nos libraires une viabilité économique. Or, aujourd'hui, la concurrence est rude et le développement de la lecture n'est pas tel que les Français décident de se constituer chez eux des bibliothèques très fournies. Bien sûr, cela ne signifie nullement que les bibliothèques publiques soient accusées d'empêcher le développement du livre. Les deux modes d'accès au livre, par les bibliothèques et par les libraires, doivent être soutenus parallèlement.
Ainsi, avec ma collègue Mme Lebranchu, je travaille sur les possibilités d'encourager l'installation de librairies dans les centres-villes, où cette installation est parfois extrêmement coûteuse.
Autrement dit, nous souhaitons étudier toute mesure susceptible de favoriser le contact entre le livre et le public, que ce soit en bibliothèque ou en librairie.
De ce point de vue, sont analysés aujourd'hui l'ensemble de la filière de distribution, les tarifs pratiqués dans les collectivités et l'impact que représenterait l'existence d'un droit de presse sur les finances des collectivités territoriales ou sur le budget familial. Au vu de l'ensemble de ces paramètres, nous pourrons travailler sur des données objectives, et pas simplement à partir de positions de principe.
La mission Borzeix permettra précisément d'avoir un point de vue le plus large possible, afin que, les uns et les autres, nous comprenions mieux la préoccupation de chacun. Nous verrons bien si, à l'issue de cette mission et au vu des recommandations et propositions qui seront faites, nous pouvons mettre en oeuvre une ou plusieurs mesures visant à aider le développement du livre et de la lecture, sans pour autant les rendre contradictoires. Tel est mon souci. Voilà pourquoi j'ai parlé de consensus. Il ne s'agit, pour nous, en aucun cas de revenir sur ce qui est un droit fondamental, à savoir l'accès à la lecture, et nous voulons le réaffirmer clairement.
M. Jean-Claude Peyronnet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Madame la ministre, j'ai bien compris votre préoccupation et je voudrais attirer votre attention sur deux points.
Le premier concerne l'effort particulier fait par les collectivités locales dans le domaine de la lecture publique, effort que vous connaissez bien puisque vous l'avez effectué vous-même dans la ville que vous administriez encore récemment.
A cet égard, je connais, bien sûr, la situation qui prévaut dans le département de la Haute-Vienne et les efforts que nous faisons en ville, pour aider la bibliothèque multimédia de Limoges. Je connais aussi les efforts considérables accomplis par les conseils généraux pour le développement de la lecture publique en milieu rural. Il s'agit non seulement d'investissements d'acquisition, mais aussi d'aides aux communes, qui sont importantes, afin de créer, suivant un plan de lecture publique, un véritable réseau de bibliothèques avec des dépôts, des bibliothèques municipales et des bibliothèques intercommunales. Ce réseau est renforcé par une informatisation qui permet un fonctionnement efficace. Cela s'est traduit par un véritable engouement pour la lecture publique, en tout cas dans mon département.
Le second point que je souhaitais évoquer concerne le transfert de compétences du département en matière de lecture publique, réalisé en 1986. Celui-ci est intervenu sur la base de la gratuité du prêt. Si les conditions devaient changer, il est évident que certains conseils généraux - je ne pense pas au mien - ne manqueraient pas de saisir la commission d'évaluation des charges pour voir s'il n'y a pas là une certaine dérive et un possible transfert de charges.

SOUS-EFFECTIF DE FONCTIONNAIRES DE POLICE
DANS LE DÉPARTEMENT DU NORD