SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Conséquences de l'accord multilatéral sur l'investissement. - Discussion d'une question orale avec débat (p. 1 ).
MM. Adrien Gouteyron, auteur de la question ; Jack Ralite, Jean Cluzel, Jean Delaneau, Marcel Vidal, FranckSérusclat.
MM. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; Adrien Gouteyron.
Clôture du débat.

3. Mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 2 ).
Discussion générale : M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur de la commission des lois ; Mmes Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; Joëlle Dusseau, MM. Robert Pagès, Jacques Habert.
M. le rapporteur.
Clôture de la discussion générale.

Articles 1er à 3. - Adoption (p. 3 )

Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.

Suspension et reprise de la séance (p. 4 )

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

4. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 5 ).

PRODUCTIONS FRUITIÈRES DU SUD-EST (p. 6 )

MM. André Vallet, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

CULTURE ET FRONT NATIONAL (p. 7 )

MM. Ivan Renar, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

PRIVATISATION DU CRÉDIT LYONNAIS (p. 8 )

MM. Philippe Marini, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

CONSÉQUENCES DU GEL DANS LE MIDI (p. 9 )

MM. Roland Courteau, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

INTERDICTION DU FILET MAILLANT DÉRIVANT (p. 10 )

MM. Louis Moinard, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

COÛT DE L'ÉLARGISSEMENT
DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LA PAC (p. 11 )

MM. Christian Bonnet, Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche.

ASSASSINAT D'UN CHAUFFEUR ROUTIER (p. 12 )

MM. Martial Taugourdeau, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.

ACCORDS DE NOUMÉA (p. 13 )

MM. Guy Allouche, Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.

COMPENSATION DES CHARGES
LIÉES À LA VISITE PRÉANESTHÉSIQUE (p. 14 )

MM. Jean-Louis Lorrain, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé.

PROJET DE BUDGET POUR 1999 (p. 15 )

MM. Daniel Eckenspieller, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Suspension et reprise de la séance (p. 16 )

5. Passage à la monnaie unique. - Adoption d'une résolution d'une commission (p. 17 ).
Discussion générale : M. Alain Lambert, rapporteur de la commission des finances.

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD

MM. Christian Poncelet, président de la commission des finances ; Jacques Genton, au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne ; Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes ; Mme Hélène Luc, MM. Yann Gaillard, Xavier deVillepin, Hubert Durand-Chastel, Jean-Pierre Fourcade, Claude Estier, Charles Pasqua.

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

MM. Denis Badré, Bernard Angels, Christian de La Malène.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Clôture de la discussion générale.

Texte de la résolution rectifiée (p. 18 )

Amendements n°s 11 de Mme Beaudeau et 1 rectifié de M. de La Malène. - Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Christian de La Malène, le rapporteur, le ministre, Michel Barnier, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. le président, le président de la commission, Emmanuel Hamel, Jean-Philippe Lachenaud, Bernard Angels. - Rejet de l'amendement n° 11 ; adoption, par scrutin public, de l'amendement n° 1 rectifié.

Vote sur l'ensemble (p. 19 )

MM. Paul Loridant, Bernard Angels, Jean-PhilippeLachenaud, Charles Pasqua, Jacques Genton, Lucien Neuwirth, Xavier de Villepin, Jacques Habert.
Adoption, par scrutin public, de la résolution.

6. Décès d'un ancien sénateur (p. 20 ).

7. Dépôt d'une proposition de loi (p. 21 ).

8. Dépôt d'une résolution rectifiée (p. 22 ).

9. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 23 ).

10. Dépôt d'un rapport (p. 24 ).

11. Ordre du jour (p. 25 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

CONSÉQUENCES DE L'ACCORD
MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT
Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 2 de M. Adrien Gouteyron à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences de l'Accord multilatéral sur l'investissement.
M. Adrien Gouteyron attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la constance avec laquelle les instances de négociations économiques et commerciales internationales s'entêtent à ignorer la spécificité des biens, des industries ou des investissements culturels, qui ne sauraient être soumis aux seules lois du marché. Alors que les négociations du cycle d'Uruguay, qui ont abouti en avril 1994 à la signature des accords de Marrakech, n'avaient que très tardivement admis ce qu'il est convenu d'appeler « l'exception culturelle », on doit en effet constater aujourd'hui que le projet d'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, négocié depuis 1995 dans le cadre de l'OCDE, remet en cause tant les principes du droit de propriété littéraire et artistique que les politiques nationale et européenne de soutien à la création, en particulier dans les domaines cinématographique et audiovisuel.
Il attire également son attention sur le fait qu'une information complète de la représentation nationale sur les enjeux et le déroulement de telles négociations constitue sans doute, pour le Gouvernement, le meilleur moyen de s'assurer de son soutien et de celui de l'opinion dans la défense des intérêts nationaux, et il lui demande d'informer le Sénat sur la position du Gouvernement français dans la négociation de l'AMI, ainsi que sur les chances que cette négociation aboutisse à un accord acceptable par la France et par tous les pays soucieux de défendre l'avenir de leur langue et de leur culture. (N° 2.)
La parole est à M. Gouteyron, auteur de la question.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous connaissons la place et le rôle de l'investissement international dans nos économies, et dans l'économie de la France en particulier.
Aucun membre de cette assemblée ne songera donc à nier l'intérêt qu'il y a à définir, au plan international, des règles susceptibles d'encadrer la libéralisation des investissements.
Tous les pays ont intérêt à ce que la sécurité des investissements de leurs ressortissants à l'étranger soit mieux assurée. De même, tous ont intérêt à proscrire le dumping volontiers pratiqué pour attirer les investissements étrangers, au prix parfois de discriminations à rebours à l'encontre des nationaux ou d'entorses discutables aux lois et règlements de l'Etat d'accueil.
Nous n'avons pas toujours nous-mêmes résisté à de telles tentations. Que l'on songe aux négociations qui, dans les années 1985, ont précédé l'installation en France de Disneyland Paris !
Nous n'avons donc, a priori , aucune opposition de principe à un accord multilatéral sur l'investissement, ou AMI. Encore faut-il que le remède ne soit pas pire que le mal et que cet accord ne comporte pas, pour les Etats parties, et en particulier pour notre pays, plus d'inconvénients que d'avantages, plus de risques que de garanties.
Or il semble que les débats - un peu tardifs - de ces dernières semaines aient fait clairement apparaître, après plus de deux ans de négociations, que l'AMI est, à cet égard, un assez bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire.
Peut-être aurait-il fallu s'en aviser plus tôt, et peut-être devrions-nous élargir notre débat d'aujourd'hui aux moyens susceptibles d'améliorer, dans des cas semblables, la transparence des négociations et l'information sur leurs enjeux.
On peut juger d'ailleurs assez significatif que ce soient les menaces contre « l'exception culturelle » qui soient à l'origine de la prise de conscience des dangers que pourrait comporter l'AMI, et qui concernent, au-delà de notre politique culturelle, notre « culture politique », nos traditions juridiques et démocratiques, et même la construction européenne.
Déjà, lors des négociations de l' Uruguay Round , ce n'est qu' in extremis , à l'automne 1993 et grâce à la position très ferme de la France, que l'Union européenne avait demandé et obtenu d'exclure l'audiovisuel et les services culturels des secteurs sur lesquels elle s'engageait à proposer des mesures de libéralisation, on s'en souvient, dans le cadre de l'Accord général sur le commerce des services.
Nous savions que cette « exclusion » était provisoire et qu'elle serait réexaminée dans le cadre de la renégociation de cet accord, qui doit débuter en janvier 2000.
L'AMI a largement anticipé cette échéance puisque, par le jeu d'une définition très large des investissements, par le jeu de l'application aux investissements culturels du traitement national et de la clause de la nation la plus favorisée, la négociation menée au sein de l'OCDE pourrait remettre en cause non seulement les dispositifs d'aide à la création, mais aussi le régime de la propriété littéraire et artistique.
Lorsque nous l'avons entendue en commission à la fin du mois de janvier dernier, Mme Catherine Trautmann a énuméré tous les moyens de la politique culturelle qui pourraient être considérés comme contraires à l'AMI. Je ne reprendrai pas ici l'ensemble de cette énumération. Je me bornerai à rappeler que les obligations prévues par l'AMI pourraient priver de sens l'ensemble du dispositif national et communautaire de soutien à la diffusion et à la création dans les domaines du cinéma, de la chanson, de l'audiovisuel. Elles interdiraient aussi la limitation des participations étrangères dans les entreprises de communication, limitation dont la justification n'est pas uniquement culturelle, on le comprend bien. Elles ôteraient, enfin, toute portée aux accords - en particulier les accords de coproduction - passés avec certains Etats en vue d'aider au développement de leur production cinématographique et audiovisuelle.
Dans le domaine de la propriété littéraire et artistique - dont les accords de Marrakech ne remettaient pas en cause les principes - l'assimilation faite par l'AMI des droits d'auteur et des droits voisins à un investissement soulève aussi des interrogations. Quelles en seront les conséquences sur notre conception personnaliste du droit d'auteur, et notamment sur la protection du droit moral, ignoré par les tenants du copyright ? Quelles en seront les conséquences sur l'application des conventions internationales en matière de droits d'auteur et de droits voisins, qui sont conformes à notre droit et qui n'imposent ni le traitement national ni le régime de la nation la plus favorisée ?
Mais - je l'ai déjà dit - cette remise en cause radicale de l'exception culturelle n'est pas la seule critique que l'on puisse faire au projet et à la philosophie qui l'inspire.
Au-delà de la politique culturelle, les mécanismes proposés pourraient porter atteinte aux politiques nationales dans les domaines de l'environnement, du droit du travail, des services publics, voire de la recherche : c'est ce qu'ont mis en évidence, en particulier, les travaux sur l'AMI de la commission des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes du Canada, auxquels nous aurions intérêt à nous référer.
Surtout, au-delà des politiques sectorielles, l'AMI pourrait remettre en cause notre conception du rôle de l'Etat, à travers notamment les procédures de règlement des conflits, inspirées des clauses de l'accord de libre-échange nord-américain. Ces procédures permettraient en effet aux investisseurs étrangers invoquant une violation de l'AMI de traduire les Etats devant une juridiction arbitrale ad hoc . Cette procédure paraît aller plus loin que l'exigence du « traitement national » et donnerait, en fait, un statut privilégié aux investisseurs étrangers.
Sans doute cette analyse dépasse-t-elle les précoccupations relatives à l'exception culturelle dont je voulais aujourd'hui vous faire part, mes chers collègues. Mais, comme la remise en cause de l'exception culturelle - une « exception », on le sait, qui ne traduit pourtant que la prise en compte des inégalités de fait qui fausseraient la « libre » concurrence entre les producteurs européens et les majors américains - elle participe, je crois, de l'appréciation objective des concessions que l'on nous imposerait et qui n'auraient pas de contreparties réelles.
En effet, tout porte à croire que les Etats-Unis, par exemple, n'entendent pas réellement remettre en cause, dans le cadre de l'AMI, les mesures qui protègent leur marché contre les investissements étrangers directs, ni les lois extraterritoriales qui peuvent les menacer.
Sans doute allez-vous apaiser nos craintes, monsieur le secrétaire d'Etat, en nous confirmant que la négociation de l'AMI est actuellement dans l'impasse, non tant d'ailleurs en raison des positions prises par le Gouvernement français que parce que les Etats-Unis craignent de ne pas en retirer les avantages escomptés. C'est sans doute, à tout prendre, une chance pour nous, mais nous n'aurons peut-être pas toujours de semblables chances.
C'est pourquoi il me semble que nous devrions aujourd'hui réfléchir aux conditions dans lesquelles nous pourrons, dans cette négociation ou dans d'autres, faire entendre nos préoccupations et, notamment, pour en revenir à « l'exception culturelle », notre souci légitime de ne pas assimiler la culture à des biens ou à des services « comme les autres », ni les droits d'auteur à des investissements « comme les autres ».
Les occasions ne nous manqueront pas car, si la menace de l'AMI paraît aujourd'hui s'éloigner, d'autres s'annoncent.
J'ai déjà mentionné l'échéance de la renégociation de l'accord général sur le commerce des services, à laquelle nous devons dès aujourd'hui nous préparer.
Mais ce n'est pas la seule : tout récemment, la Commission européenne - ou plutôt l'un des commissaires européens - a remis à l'ordre du jour le projet d'établissement d'une zone de libre-échange transatlantique. Ce projet avait déjà été évoqué - et abandonné - en 1995. Je me félicite que le Président de la République et le Gouvernement l'aient, cette fois encore, écarté. Mais, n'en doutons pas, il resurgira un jour !
Il faut évoquer aussi - ce débat est une bonne occasion pour le faire - les nouvelles technologies : l'émergence du multimédia, le droit applicable à Internet, le commerce électronique, le débat sur la « convergence » doivent nous inciter à la vigilance et à la défense tant de notre conception de la protection des droits d'auteur, qui a déjà prouvé sa capacité d'adaptation aux évolutions techniques, que de « l'exception culturelle ».
Nous connaissons déjà, à cet égard, les enjeux, aussi simples que redoutables, du débat sur la « convergence », suscité par ceux qui pensent que la « convergence technologique » des supports de transmission des messages doit aboutir à la remise en cause de la régulation des contenus. Cette logique est d'ailleurs surprenante, ou au moins contestable : il n'y a, en effet, aucune raison pour que l'usage d'une même technologie impose une réglementation identique. Comme l'a récemment fait remaquer le président du CSA, les centrales thermiques, les voitures et les lampes tempête utilisent la même énergie ; ce n'est pas pour cela qu'il faut les soumettre à une réglementation unique !
Dans bien des cas, comme dans celui de l'AMI, l'opinion risque d'être avertie trop tard des enjeux de ces négociations et de leurs répercussions sur les choix effectués à l'échelle nationale ou à celle de la Communauté européenne.
Les travaux du parlement canadien sur l'AMI, auxquels j'ai déjà fait référence, concluaient à la nécessité d'assurer, en de telles circonstances, la mise en oeuvre d'un processus de négociation transparent et démocratique, ainsi que d'une large consultation de l'opinion, voire d'une « étude d'impact » préalable à la ratification du résultat des négociations.
En des termes moins précis mais plus imagés, une avocate américaine hostile à l'AMI évoquait le recours à la « stratégie de Dracula » qui, comme chacun sait, redoute la lumière.
Plus prosaïquement, monsieur le secrétaire d'Etat, je serais tenté de demander au Gouvernement de réfléchir aux moyens de mieux associer le Parlement aux négociations qui, comme celle de l'AMI, peuvent avoir des conséquences importantes sur les politiques menées au niveau national et sur les compétences du législateur.
A ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, si je me réjouis de votre présence, permettez-moi de regretter l'absence de votre collègue chargé de la négociation, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, puisque c'est la direction du Trésor qui a conduit ces négociations. J'aurais donc aimé qu'il fût présent ! Certes, vous allez nous répondre au nom du Gouvernement, mais ce que je suis en train de dire me paraît si important que sa présence m'aurait semblé tout à fait souhaitable.
Nous ne songeons pas, bien évidemment, à remettre en cause la compétence reconnue au Président de la République pour négocier et ratifier les traités. Il ne s'agit pas de cela. Nous ne songeons pas non plus à exiger que le Parlement participe aux négociations ni qu'il puisse, sous quelque forme que ce soit, donner à l'exécutif un « mandat de négociation ». Ce n'est pas notre esprit ; ce n'est pas inscrit dans notre Constitution.
Cependant, nous nous demandons si, dans le cas de négociations aussi importantes et aussi lourdes de conséquences sur la capacité d'action des pouvoirs publics nationaux, le rôle du Parlement peut se limiter au débat sur le projet de loi autorisant la ratification d'un accord, alors que les jeux sont faits et que l'intervention de la représentation nationale se limite à accepter ou à rejeter en bloc les résultats de la négociation. Il est alors trop tard !
Dans le cadre européen, les problèmes que posait, à cet égard, le droit dérivé communautaire ont été résolus par la réforme constitutionnelle de 1992, qui, en prévoyant l'information préalable du Parlement et le vote de résolutions, a donné à chaque assemblée les moyens de faire connaître en temps utile son sentiment à l'exécutif.
Mais nous ne disposons pas du même « droit à l'information » en ce qui concerne les grandes négociations multilatérales, qu'elles se déroulent dans le cadre de l'OMC ou dans d'autres enceintes.
Nous nous félicitons qu'en France les professions culturelles aient pu assez tôt, sur l'initiative de M. Jean Arthuis, disposer de quelques informations sur l'AMI. Mais est-ce suffisant, et la concertation, certes nécessaire, avec les milieux concernés peut-elle remplacer le débat parlementaire ? Non !
Et ce débat, lorsqu'il a lieu, comme aujourd'hui et comme ce fut le cas sur différents aspects des négociations de l' Uruguay Round, doit-il toujours avoir lieu sur l'initiative du Parlement ?
Au-delà des informations que nous attendons de vous sur l'avenir de la négociation de l'AMI et sur la position de la France, nous souhaiterions, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvoir examiner aujourd'hui avec vous les conditions dans lesquelles, à l'occasion d'autres négociations - j'ai cité tout à l'heure des échéances essentielles - le Gouvernement et le Parlement pourraient unir leurs efforts pour définir et défendre ensemble les intérêts de la France. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes contemporains de l'avènement d'une société-monde.
Si l'international existe depuis longtemps, le mondial n'est que de notre temps. Le monde veut s'étendre, l'homme sent en lui des unités plus grandes que ses ancêtres ; il s'en est donné les moyens techniques, dont le numérique et Internet sont les figures emblématiques.
En même temps, l'homme est inquiet, il a même souvent peur, au point de se recroqueviller, surtout s'il est précarisé, exclu comme on dit, sur un identitarisme qui est contre son identité.
Alors, la question est-elle : être pour le monde ou être pour son chez-soi ? Je trouve que ce serait un débat myope, comme la polémique entre technophiles et technophobes.
La vraie question est : comment veut-on que cette société-monde se construise ? La mondialisation sera-t-elle débridée ou maîtrisée ? Se verra-t-elle disciplinée par l'économie-hégémonie et les marchés généralisés sans rivage, la concurrence où toujours le plus fort gagne, la déréglementation comme table de la loi, ou se verra-t-elle animée, dans un monde multipolaire, par une politique voulue, choisie, du développement humain, du bien commun assurant des normes de civilisation humaine ?
Aucune nation ne peut ignorer ce débat, ni esquiver l'avènement progressif de l'institutionnalisation de domaines universels dans lesquels la norme nationale de décision et de contrôle ne sera plus exclusive.
Et l'Europe, dans ce contexte, son sens, c'est qu'elle participe à l'émergence de la société-monde en respectant les nations qui la composent. Personne ne part pour un grand voyage en laissant ses bagages au départ.
Je résume : la nation, creuset symbolique où s'opère la fusion passé - présent-avenir, la nation - peuple, demeure le lieu principal de politisation, de souveraineté ; le monde, lui, est opérateur principal de socialisation ; l'Europe, elle, est l'interface en même temps que l'entrelacement des solidarités transnationales. C'est sur ce terrain où l'hier, l'aujourd'hui et le demain des hommes cherchent à s'articuler nouvellement que l'on doit examiner l'AMI, le NTM, New Transaltlantic Market, et la convergence, qui, chacun à sa manière, vise à organiser la société-monde à la main - j'ajouterai « à la poche » - des marchés, surtout financiers, des marchés sacralisés, naturalisés, « comme la gravitation universelle », disait, dans un colloque au Sénat, un des participants.
Les nouvelles techniques étant, elles aussi, naturalisées, « comme la marée », disait un autre participant, on devient contemporain d'un monde où les moteurs naturels, fatalement fatals, seraient le marché et la technique, inventés par l'homme, et où l'homme ne serait qu'un élément subsidiaire, un invité de raccroc. Cela me fait penser à ce que Lucien Sfez appelle la « théologie Frankenstein », la fascination débouchant sur la dévoration.
Considérons ces trois dossiers.
L'AMI, c'est, trois ans durant, les vingt-neuf pays les plus riches du monde qui, ayant exclu les autres, mettent au point un nouveau droit universel privé, celui du marché sans entrave sur toute la société. Oui, les intérêts commerciaux auraient tous les droits et aucun devoir, et enlaceraient l'univers, se substituant aux législations publiques, avec certes des réserves, mais qui ne peuvent être élargies et dont le démantèlement est programmé.
L'AMI, c'est l'autoritarisme doux des marchés financiers sur les gouvernements et sur les sociétés.
Le NTM, c'est la création d'une zone de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis initiée par le commissaire Lord Brittan. C'est un morceau d'AMI, concernant 60 % des échanges mondiaux, l'Europe y perdant sa plurielle originalité.
La convergence, c'est, avec l'arrivée du numérique, la possibilité de transporter sur un même support télécommunications et audiovisuel, et l'exigence - les télécoms étant dérégulées - que l'audiovisuel le soit aussi.
Ainsi, sous différents angles est silhouettée comminatoirement une « république mercantile universelle », sans qu'il y fait face à elle une « république démocratique universelle ». La société serait surpeuplée d'impératifs financiers et dépeuplée des droits de l'homme les plus essentiels.
En culture, l'attaque contre les droits d'auteur, séparant l'auteur de l'oeuvre, est une tentative de renversement historique et une blessure à l'avenir.
« La seule faute que le destin ne pardonne pas aux peuple est l'imprudence de mépriser les rêves », disait Maurice Schumann.
AMI, NTM et convergence - on pourrait y ajouter AIM à l'OMC - sont des machines contre les rêves sans conscience ni miséricorde. Ils visent à cloner des pensées aplaties, assagies, aseptisées, atomisées, gommant le pluralisme.
On comprend que la règle démocratique ait été écartée dans les trois cas.
Pour l'AMI, sans doute telle compétence professionnelle a-t-elle été sollicitée. Mais la démocratie a une autre taille. Elle a besoin de la fertilisation croisée des experts et des experts du quotidien associés à leurs représentants. Rien de tout cela pour l'AMI !
Face aux trois ans de négociations au château de la Muette, à Paris, chacun conviendra que, si utile, si bienvenu que soit - il faut en féliciter la commission des affaires culturelles du Sénat - notre débat d'aujourd'hui, ces deux heures au Sénat - et zéro heure à l'Assemblée nationale ! - ne font pas le poids.
Je persiste à demander un débat national au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Ce devrait d'ailleurs être une initiative gouvernementale.
Je pense aussi que le Sénat serait bien inspiré de créer une mission d'information sur les conditions d'élaboration de l'AMI, de NTM et de la convergence, et sur leur champ d'application.
Le Sénat comme l'Assemblée nationale sont démunis face à l'international. Ils n'ont pas d'initiative dans ce domaine. Aussi, hier, avec des collègues parlementaires, à l'Assemblée nationale, au cours d'une réunion qui a réuni cinq cents personnes sur l'AMI, nous avons décidé de proposer « la création, au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, d'une délégation permanente aux organismes et traités multilatéraux, de manière à pouvoir débattre en amont des implications de tels traités ». La mission d'information en serait une préfiguration.
Le NTM aussi a bousculé la démocratie. Lord Brittan est allé à Washington sans mandat entamer des négociations qu'il ose appeler informations.
La convergence aussi a pratiqué la démocratie étriquée, et la conférence de Birmingham, à laquelle j'ai participé, avait été mitonnée pour la dérégulation, laissant aux opposants - du moins était-ce espéré ! - le seul courage de s'accommoder.
Aucun artiste n'avait été convié, alors qu'il s'agissait de définir la politique audiovisuelle européenne ; très peu de producteurs ; en revanche, des consultants américains, une majorité outrancière anglo-saxonne et des diffuseurs ; enfin, comme invité d'honneur, M. Murdoch !
Ainsi, nous avons été en « a-démocratie », en démocratie suspendue, alors que ces trois projets concernent la vie du monde.
Tout acte politique est « sémaphore » pour les oligopoles internationaux et leur circonvoisinage. Ils ont cru que « a-démocratie » signifiait : allez-y ! Ils se sont trompés ; il n'y a pas eu d'impuissance démissionnaire. Les artistes de notre pays - comme ceux d'autres pays - ont réagi, notamment à l'Odéon, non par corporatisme mais par conscience de la place dans l'histoire de l'acte créateur, et ont créé un comité de vigilance.
Avec eux, nombre d'organisations liées à nos concitoyens en difficulté, morceau de Sud dans notre Nord ! Le 28 avril un rassemblement international ira parler devant La Muette ! Il sera un point d'orgue d'information populaire et démocratique.
Beaucoup de politiques ont aussi pris position, et je me félicite que le Gouvernement ait, sur les trois projets, marqué une opposition.
A l'évidence, la France - qui a de l'influence, à condition qu'elle s'en serve - en refusant de jouer le rôle d'amortisseur, a créé un espace où l'offensive de la civilisation peut passer et s'épanouir.
Je souhaite, maintenant, esquisser quelques propositions, car non, non et non aux trois documents que je viens d'évoquer, c'est très bien, mais un projet, en tout cas son ébauche, c'est nécessaire, d'autant que j'ai quelque souci.
Aucun des trois - AMI, NTM, convergence - n'est totalement battu. On peut même, en fin d'année, se retrouver à en discuter au sein de l'OMC. En Europe, on parle de la privatisation d'Eutelsat, ce consortium européen des satellites qui regroupe trois cents chaînes.
En France, les patrons de l'audiovisuel français, qui n'ont pas dit un mot sur l'AMI, réunis dans le cadre de la préparation de la loi sur l'audiovisuel, ont joué à l'AMI avant l'AMI, c'est-à-dire rejeté toute loi.
Il faut considérer qu'il y a une véritable communauté planétaire et qu'aucune nation ne peut avoir un développement durable s'il y a des déséquilibres écologiques globaux, si l'aire des conflits s'élargit et si les écarts grandissent entre Nord et Sud, et, à l'intérieur du Nord, entre riches et pauvres.
C'est pourquoi, premièrement, la grande tâche d'une régulation globale démocratique de la société, avec une mobilisation de tous les acteurs, y compris les parlementaires, consultés en permanence, est une nécessité.
Etant donné l'apparition des nouvelles techniques, des réseaux, il faut, deuxièmement, prendre conscience - le récent rapport de notre collègue René Trégouët est riche, de ce point de vue - de leurs potentialités, qui seront vite incontournables, et articuler ces machines technologiques avec des agencements collectifs à dimension sociale.
Troisièmement, il est temps de mettre à jour et en oeuvre une responsabilité publique locale, nationale, européenne et internationale en matière de vie humaine comme un nouveau contrat social valable pour le secteur public et le secteur privé, et d'abord pour les sociétés transnationales.
Cette responsabilité devrait, à tous les niveaux, assumer la primauté des projets sur les institutions, des acteurs sur les structures, des cultures sur les appareils.
Dans ces conditions, quatrièmement, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce seraient remis en question. Toutes ces structures, nées de Yalta et d'un monde binaire, devraient être revues d'un point de vue démocratique pour un monde multipolaire où les capitaux spéculatifs seraient taxés.
Tout cela vise à définir la place de l'homme dans la société du xxie siècle, notamment les statuts de l'esprit et du vivant. Intégrité humaine, droit à la différence, droit à la ressemblance, besoins d'échanges, pensées passerelles sont principes et pratiques à faire avancer.
En culture aussi, ces démarches valent. Elles s'appellent audace de la création, élan du pluralisme, obligation de production, maîtrise de la diffusion, atout d'un large public, nécessité de la coopération internationale.
Cela implique, par exemple, en Europe et dans les nations qui la forment, un tournant dans le financement de la production des contenus d'oeuvres pour l'audiovisuel, et j'ajouterai des logiciels. Au financement confetti du plan Media 2, il faut substituer d'urgence - je dis bien « d'urgence » - un financement correspondant à 1 % du PIB des Etats européens. Sait-on suffisamment que le budget de l'audiovisuel - nous avons un déficit de 7 milliards de francs avec les Etats-Unis pour les images - n'est que de 0,06 % du budget de l'Union européenne ?
Cela implique, notamment en France, que soit reconnue avec toute son ampleur la nécessité d'une politique des nouvelles technologies.
Avec mon collègue Jacques Isabet, maire de Pantin, nous avons lancé un projet, le « Métafort », nous sommes bien placés pour savoir que, même si des pas réels sont faits - et je dis bravo ! - nous ne décollons pas encore au niveau suffisant.
Enfin, cela implique aussi de ne jamais céder, où que ce soit, sur la création. Pas plus qu'il ne doit y avoir d'écoles pauvres pour enfants de pauvres il ne doit y avoir deux cultures. Chacune et chacun a besoin du plus, du « luxe de l'inaccoutumance ». Les mouvements scolaires de la Seine-Saint-Denis ont cela comme fondamental. Il faut toujours traiter l'homme dans le pauvre et non le pauvre dans l'homme. Il y a besoin entre le poète et les autres d'une tension vibrante.
Je pourrais être plus détaillé, mais je dois conclure.
Oui, les nations, dont la France, mais aussi l'Europe, qui affichent une ambition de civilisation, devraient d'abord, chez elles et au-delà, initier l'invention et la construction d'un nouvel espace public de création, d'expression, de citoyenneté et de travail, un espace où opère sans discrimination le multiple comme richesse de l'humanité, où s'articulent de manière nouvelle le local, le national et l'international, où s'exprime une responsabilité publique en matière de culture, de vie, de développement et d'environnement.
Jusqu'ici, les opérateurs dominants ont été l'attrait de l'argent et celui du pouvoir. Les sociétés ont besoin, aussi et d'abord, d'autres combustibles. Cela implique la recherche patiente et audacieuse d'une recomposition des paysages nationaux et internationaux. Je rêve d'un droit pluraliste devenu l'affaire de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes. - M. Adrien Gouteyron applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les propos aussi excellents qu'éloquents de mes deux prédécesseurs, et avant ceux qui seront, je le sais, aussi excellents qu'éloquents de ceux qui me succéderont à cette tribune, je voudrais apporter modestement ma contribution à ce très important débat pour dire d'abord que, si la France fait un effort, sans doute sans équivalent dans le monde, pour la défense et la promotion de sa langue et de sa culture, les résultats ne sont pas à la hauteur de nos espoirs et vraisemblablement de nos besoins.
Hier, c'était le renouvellement de la directive Télévision sans frontières et, par conséquent, la possibilité pour un opérateur d'émettre librement dans l'espace audiovisuel européen à la seule condition - j'y insiste - qu'il soit autorisé dans un pays aussi peu regardant qu'il soit quant à l'application des obligations résultant de la directive.
Aujourd'hui, il faut faire face au projet d'accord multilatéral sur l'investissement qui a pour objectif de renforcer la protection des investisseurs et d'encourager la libéralisation des régimes d'investissements.
Demain, il nous faudra résister au régime trop libéral inspiré par le Livre vert sur les convergences de la Commission européenne, applicable aux nouveaux services. Simultanément, il nous faudra batailler contre les effets pernicieux, sur le plan culturel, du projet de nouveau marché commun transatlantique, même si les résultats des assises de l'audiovisuel qui se sont tenues à Birmingham du 6 au 8 avril sur le thème « défis et opportunités du numérique » paraissent finalement nous avoir confortés dans notre exception culturelle et dans le respect de celle-ci.
L'émotion suscitée par l'accord multilatéral sur l'investissement, ou plus exactement par la négociation en cours, est compréhensible, car les mesures en discussion pourraient anéantir des années d'efforts en vue d'affirmer et de préserver notre identité culturelle.
La première remarque que l'on peut faire, c'est que le projet, s'il était adopté, aurait pour conséquence de ruiner toutes les politiques incitatives mises en place pour favoriser le développement des industries culturelles.
En effet, du fait de l'application des clauses du traitement national ou de celles de la nation la plus favorisée, les principales compagnies américaines auraient directement accès au compte de soutien et à tous les programmes européens d'aide à la création.
En interdisant à un Etat d'imposer à un investisseur étranger un quelconque engagement concernant la façon dont il réalise son investissement, on aboutirait pour le secteur audiovisuel, mes chers collègues, au démantèlement des quotas de diffusion et des obligations de production.
La deuxième idée qui vient tout de suite à l'esprit est que, pour être efficace, il faut d'abord être lucide, c'est-à-dire voir les choses telles qu'elles se présentent.
La culture, nous le savons, c'est l'échange. Il faut donc tirer les conséquences de cette constatation et accepter que l'autre vienne chez nous, mais à une condition, qu'il nous accepte chez lui.
En d'autres termes, il faut que nous fassions des efforts pour que notre culture soit comprise, et d'abord souhaitée par les autres.
A cet égard, il ne suffit pas, au nom d'on ne sait quelle exception trop facilement invoquée, que la France se retranche, une fois de plus, derrière une autre ligne Maginot - culturelle en l'occurrence - dont chacun sait que, comme son modèle, elle serait contournée et par conséquent sans efficacité.
A l'ère de l'audiovisuel, la culture est, heureusement, devenue un produit de grande consommation. A cela je vois un intérêt : il nous est désormais possible d'atteindre l'égalité culturelle. Dans le grand marché mondial, le consommateur est devenu roi. S'il ne lisait, n'entendait, ne voyait pas la différence - bref, s'il ne faisait pas la distinction entre ce qui est produit chez lui et ce qui est importé -, l'issue du combat ne ferait guère de doute : la culture française risquerait bien d'être submergée.
La troisième idée est que l'on ne saurait se contenter des incantations - que l'on pourrait qualifier d'« habituelles » - que l'on entend parfois en France.
Alors, que faut-il faire ? Les réponses sont simples mais difficiles à mettre en oeuvre, car il faut se mobiliser à l'intérieur, car il faut chercher à l'extérieur des appuis auprès de nos partenaires, qu'ils soient Européens, Canadiens ou d'Amérique du Sud. Il faut trouver la bonne solution entre une « bunkérisation » irréaliste et la soumission complaisante au complexe médiatico-financierinternational.
Face à la déferlante américaine, le maintien de notre culture suppose, à l'évidence, une réelle mobilisation de nos forces, de toutes nos forces, et, d'abord, de la lucidité et du courage mis au service de ces forces.
A nous de faire préférer la culture française, pourrait-on dire en plagiant la formule sans complexe d'une toute récente campagne de publicité.
Ce qui est vrai à l'échelle du monde l'est tout autant sur notre propre sol, car cette action, il faut d'abord la mener à l'intérieur de nos frontières, auprès des jeunes ; c'est dès l'école que tout se joue et que peut se créer cette véritable citoyenneté culturelle.
A nous de faire que les produits importés d'outre-Atlantique, diffusés au cinéma ou à la télévision, ne constituent pas le commun dénominateur culturel qui ferait le lien social de la France au xxie siècle.
Certes, on ne peut ignorer les évolutions du monde balayant toutes les digues que nous croirions avoir construites pour l'éternité. Mais on ne doit pas pour autant accepter comme un fait presque accompli l'irrésistible montée en puissance des lois du marché.
Là, nous sommes au coeur du débat, car il est parfaitement possible, à certaines conditions, d'accepter le jeu du marché sans se plier à la dérégulation à outrance voulue par les grands groupes américains. Ceux-ci s'avancent masqués derrière les idéaux de liberté, de créativité, mais pour imposer leur pouvoir. A nous d'aider nos partenaires à ouvrir les yeux.
En définitive, l'essentiel est que l'Union européenne garde la possibilité de différencier entreprises européennes et non européennes dans tous les domaines où il existe des politiques communes, à commencer bien sûr - monsieur le ministre, vous ne m'en voudrez pas de les nommer - par l'agriculture et la pêche où les Etats ont, comme en matière culturelle, développé des politiques spécifiques.
La France et ses partenaires européens ont le droit et le devoir de l'exiger alors que les Etats-Unis eux-mêmes - M. Gouteyron l'a très bien dit et Jack Ralite également - ont déposé une liste de réserves dérogatoires, qu'ils appellent la liste B, aux accords en cours de négociation. Cette liste permettrait de maintenir des discriminations en faveur de leurs ressortissants, notamment dans le domaine des subventions des marchés publics et des communications.
Mais, ce sera le quatrième point, la défense de l'exception culturelle ne doit pas être transformée en un protectionnisme culturel doublé d'un antiaméricanisme de mauvais aloi.
Deux aspects, me semble-t-il, doivent être soulignés et je suis heureux de la présence du président de la commission des affaires étrangères du Sénat pour insister sur ce point.
Les méthodes américaines, leur évidente efficacité à condition de les adapter à nos mentalités, seraient de nature à dynamiser la production audiovisuelle européenne. Le malthusianisme est un risque mortel. L'exemple de la création des multiplexes et la revitalisation du cinéma qui en est, semble-t-il, résultée, prouve les effet bénéfiques de la concurrence, à condition qu'elle soit organisée.
Il faut donc convaincre nos compatriotes des bienfaits du dynamisme et les inciter à ne pas confondre les intérêts d'un certain microcosme médiatico-culturel avec ceux de l'économie et de la culture française. Le président de la commission des affaires culturelles y incite sans arrêt, et je l'en remercie. Le protectionnisme n'est pas forcément la seule et unique réponse à apporter à tous les problèmes.
Ne nous trompons donc pas d'enjeu. Les aides au cinéma, les quotas de production nationale, qu'ils concernent les fictions présentées à la télévision ou la chanson sur les radios, ne suffiront pas à protéger durablement notre culture et nos industries culturelles.
En dépit de toutes les aides, le déficit audiovisuel de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis a pratiquement doublé en cinq ans - cela, mes chers collègues, il faut bien le savoir - pour atteindre l'an dernier 5,6 milliards de dollars. Ce déséquilibre n'est pas nouveau, mais il intervient dans un contexte qui en exacerbe les enjeux : l'audiovisuel et le cinéma représentent aujourd'hui pour les Etats-Unis le plus gros poste à l'exportation, avant l'aéronautique et la chimie, tandis que le marché européenn, lui, est en très forte croissance. Par conséquent, la progression américaine s'étend tout naturellement sur le marché européen, principale zone de développement.
Tous ces chiffres nous démontrent, une fois de plus, que les batailles économiques se gagnent non à coups de règlements ou de crédits budgétaires supplémentaires, mais en rendant plus attractif à l'internationalisation notre appareil de production, nos programmes, nos films.
Nous devons savoir que, dans le domaine audiovisuel, aujourd'hui global et mondial, il est impossible d'imposer ses propres règles du jeu aux autres. Il faut croire que l'on peut y parvenir, sinon c'est exposer à la marginalisation économique et culturelle, et, tôt ou tard, au dépérissement.
J'en arrive monsieur le secrétaire d'Etat, aux questions que je souhaite vous poser.
Il ne faudrait pas prendre prétexte de la complexité de la matière pour évacuer les problèmes politiques, car c'est là où la politique nous rejoint. Il faut y voir clair et, pour cela, que le Gouvernement et le Parlement dialoguent : nous le faisons ce matin.
Premièrement, que souhaite faire le Gouvernement ? Les Français - et en tout premier lieu les milieux de la création - tout comme le Parlement, ont le droit de savoir ce qui est, pour le Gouvernement, acceptable dans un accord international sur l'investissement dans le domaine culturel et audiovisuel.
Deuxièmement, quel jeu joue la Commission de Bruxelles, qui apparemment se montre fort discrète, on l'a dit tout à l'heure, en cette affaire ? Certes, la matière relève des compétences partagées, nous le savons, mais les convictions libre-échangistes de la Commission - elle n'en fait pas mystère - pourraient empêcher notre pays de trouver les alliés dont il a besoin. Sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, nous serons heureux, mes collègues et moi-même, que vous nous disiez quelle est votre conception et quelle est votre analyse sur la position de la Commission.
Troisièmement, en écho à ce que disait M. Gouteyron tout à l'heure, quel peut être le souhait du Parlement dans cette affaire ?
Je crois que ce souhait peut se résumer en trois mots : clarté, vigilance et réalisme.
Clarté, notre débat va y contribuer.
Vigilance, car on a vraiment l'impression que cet accord n'est pas une tentative isolée pour imposer un ordre économique ultralibéral contraire à nos traditions comme à nos intérêts. Il nous faut résister à une offensive d'ensemble des tenants de la déréglementation à tous crins. On l'a vu lors de la rencontre de Birmingham les 6, 7, et 8 avril derniers, à l'occasion d'une réunion informelle entre M. Murdoch, les ministres et les autres délégués. Les souhaits exprimés par M. Murdoch étaient sans ambiguïté.
Réalisme, enfin, car il nous faut aller résolument nous asseoir à la table des négociations.
Notre intérêt est de nous faire comprendre des Américains et de tenter de les comprendre. Les occasions ne manquent pas. Ainsi, à la fin du mois de juin, le Premier ministre, M. Lionel Jospin, accompagné de M. Dominique Strauss-Kahn, si je suis bien renseigné, doit rencontrer le président Bill Clinton, à Washington.
Dans le domaine audiovisuel, sous nos yeux, les Etats-Unis passent de la position de suprématie - ils étaient les meilleurs - à une situation pratiquement hégémonique. Ils risquent en effet d'être à peu près les seuls à dominer le marché mondial.
Nous savons, pour le regretter, que le nombre d'Américains qui s'intéressent vraiment à la France est relativement faible. Nous savons, par ailleurs, que les résultats économiques, financiers et sociaux actuels des Américains les confortent dans leur position. Ils sont ainsi convaincus d'avoir trouvé les bonnes réponses pour lutter contre le chômage, tout en réduisant les problèmes sociaux dramatiques qu'ils connaissaient il y a encore quelques années.
Ils ne comprennent donc pas notre protectionnisme, ils ne comprennent pas davantage pourquoi nous sommes opposés à une libéralisation du commerce dans des secteurs aussi sensibles que l'agriculture, la défense aussi bien que la culture, le cinéma et l'audiovisuel.
Les Américains risquent naturellement de voir dans cette attitude française une nouvelle manifestation d'anti-américanisme viscéral. Il est important de leur faire comprendre que tel n'est pas le cas.
Dans un entretien qui paraîtra prochainement dans un magazine, notre Premier ministre explique que la France n'a nullement l'intention de renoncer à son identité culturelle nationale pas plus qu'à sa vision des relations internationales, et M. Lionel Jospin de conclure : « Si les Français ne sont pas d'accord avec la façon de penser des Américains, ce n'est pas pour autant qu'ils soient anti-américains. »
Ce constat doit recueillir l'accord unanime de l'ensemble des groupes politiques, depuis l'Elysée jusqu'au Sénat, en passant par l'Assemblée nationale et l'ensemble du Gouvernement.
En fait, les Américains ont besoin d'entendre un discours franc et clair car, depuis de nombreuses années, les préjugés qui se sont accumulés aux Etats-Unis concernant la France ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Nous devons attendre beaucoup de la rencontre entre Lionel Jospin et Bill Clinton, pour améliorer l'image de la France aux Etats-Unis de telle sorte que, si nous faisons un effort pour comprendre les Américains, ils en fassent un pour nous comprendre et afin de leur faire admettre que nous n'accepterons jamais d'immoler notre culture sur l'autel du libre-échangisme culturel. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au nom de mon groupe, je tiens d'abord à remercier M. Gouteyron d'avoir pris l'initiative de susciter ce débat sur les conséquences de l'accord multilatéral sur l'investissement.
En effet, au cours de ces derniers mois, les sociétés d'auteurs et les professions du spectacle se sont mobilisées contre ce projet qui, selon elles, menace notre « exception culturelle ». Elles ont d'ailleurs eu l'occasion de s'exprimer devant notre commission des affaires culturelles.
Comme elles, les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants considèrent qu'il est légitime de préserver notre dispositif d'aide à la création audiovisuelle et ses mécanismes de diffusion.
Cette attitude de fermeté ne doit cependant pas nous conduire à négliger les autres aspects d'un projet qui, s'il est multilatéral, est aussi multisectoriel.
L'affaire est en effet beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et nous devons nous garder d'une vision trop réductrice. Si la France a beaucoup à perdre, elle a aussi beaucoup à gagner.
Je souhaite donc bien distinguer dans mon propos ce qui relève, d'une part, des principes et, d'autre part, des modalités.
Sur le plan des principes, la France ne doit pas avoir peur d'un accord multilatéral sur l'investissement.
En premier lieu, il faut rappeler que notre pays est au troisième rang mondial pour l'accueil des capitaux d'origine étrangère, qui ont représenté plus de 68 milliards de francs en 1996. On estime de plus que près de 23 000 emplois ont été sauvés ou créés en 1996 grâce à des investissements étrangers. Au total, les entreprises étrangères emploient d'ailleurs plus de 30 % des salariés français.
A l'inverse, la France est au cinquième rang pour les investissements à l'étranger. Les sociétés françaises investissent en moyenne plus de 50 milliards de francs hors de nos frontières pour acheter des entreprises, créer des structures de production ou développer leur réseau commercial.
Notre pays se trouve ainsi dans une situation paradoxale. La mobilisation des intellectuels français en faveur de la défense de « l'exception culturelle » a tendance à cacher une réalité nationale : la France n'est pas un pays protectionniste. Elle est au contraire l'un des pays les plus ouverts sur le monde, pour les investissements comme pour la culture. Elle a donc, plus que d'autres, intérêt au libre-échange et à la définition de règles multilatérales et protectrices.
Dans ces conditions, nous ne pouvons qu'approuver l'objectif initial de l'AMI d'offrir aux investissements internationaux des règles uniformes concernant à la fois l'accès au marché et la sécurité juridique.
L'élimination des barrières et des distorsions aux flux d'investissements ainsi qu'une meilleure répartition des ressources peuvent favoriser une plus forte croissance économique, davantage d'emplois et des niveaux de vie plus élevés.
Pour protéger ses entreprises, la France a, là encore, beaucoup à gagner d'un ensemble complet et cohérent de « règles du jeu » gouvernant l'investissement. L'accord multilatéral sur l'investissement est accusé de viser à transférer la souveraineté des Etats et des peuples au profit des entreprises multinationales. Or les études montrent que l'AMI bénéficierait surtout aux PME, qui ont le plus besoin d'un système multilatéral simplifié garantissant la protection de leurs investissements à l'étranger. En effet, ces entreprises ne disposent pas des moyens juridiques et de la puissance financière qui permettent déjà aux sociétés multinationales d'adapter leurs investissements selon les pays et de régler leurs différends au plus haut niveau des Etats.
Je souhaite souligner un troisième point qui me semble important : le débat se concentre essentiellement en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, où il n'existe guère de problèmes entre investisseurs et pays hôtes.
En réalité, l'intérêt principal d'un accord multilatéral sur l'investissement semble résider en Asie, continent qui reste une terre imprévisible pour les investisseurs occidentaux.
Au total, en tant que libéraux et en tant que Français, nous approuvons le principe d'un tel accord.
Une fois posée la question de principe, reste celle des modalités.
Sur ce point, le groupe des Républicains et Indépendants considère que, en l'état, l'AMI n'est pas acceptable.
La défense de notre identité culturelle vient au premier rang de nos préoccupation.
La reconnaissance de l'exception culturelle défendue par la France, le Canada, la Belgique, l'Italie, l'Espagne et l'Australie découle de la volonté légitime de protéger le secteur de la création de l'influence grandissante des multinationales de l'audiovisuel.
Le principe général de non-discrimination de l'accord multilatéral sur l'investissement peut remettre en cause certaines aides publiques, notamment dans le cinéma. Il y a quelques semaines, je me suis entretenu par téléphone avec le grand producteur Anatole Daumann qui est, malheureusement décédé récemment. Il me disait alors son souci de voir ce texte ne pas venir amputer la créativité et la potentialité très grandes de la production cinématographique française actuelle.
Cependant, des exceptions spécifiques prévues par l'AMI fournissent le cadre d'un compromis qui pourrait prolonger celui qui avait été obtenu lors des négocations du GIAT, en 1993.
Selon certaines informations, le secteur audiovisuel bénéficierait d'une large exemption, même si la culture est en principe incluse dans le champ de l'accord. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donniez des précisions sur ce point essentiel.
J'aimerais aussi avoir votre sentiment sur la pertinence de la notion « d'exception culturelle » que la France souhaite inclure dans l'AMI. Nos amis canadiens disposent de ce type de clause avec l'ALENA et semblent en avoir éprouvé les limites, encore que l'ALENA ne soit pas encore totalement mise en place.
Une notion trop floue peut aisément être contournée et le Gouvernement devrait certainement défendre une position plus claire.
Au-delà de l'exception culturelle, je voudrais aborder trois autres points de blocage qu'il convient de ne pas négliger. Le premier concerne l'attitude américaine, le deuxième porte sur l'Europe et le troisième a trait aux clauses sociales et environnementales.
Je voudrais là encore souligner la situation paradoxale dans laquelle se trouve la France. Notre pays, qui défend son identité culturelle, donne l'impression de vouloir se refermer sur lui-même face à une Amérique qui s'est faite la championne du libéralisme et de l'ouverture.
Or, contrairement à l'image qu'ils véhiculent, les Etats-Unis montrent des tentations protectionnistes certaines et, bien qu'à l'origine de la négociation sur l'AMI en 1995, ils ont déposé plus de 300 pages de réserves et tentent de préserver les règles discriminatoires en vigueur dans les Etats fédérés.
En réalité, le débat ne se limite pas à une opposition entre l'Europe et l'Amérique. Partisans et adversaires de l'AMI s'affrontent également aux Etats-Unis, où le lobby protectionniste est très actif.
A cela s'ajoute le problème des lois américaines d'extra-territorialité qui autorisent Washington à prendre des sanctions contre les sociétés étrangères opérant aux Etats-Unis, si elles investissent en Iran, en Libye ou à Cuba.
L'Union européenne refuse par principe que les Etats-Unis puissent prendre de telles mesures à l'égard de décisions d'investissement prises en dehors de leur territoire.
En tant que libéraux, nous condamnons, nous aussi, ces lois qui sont contraires au droit international. Elles peuvent conduire à une rupture autrement plus sérieuse que sur la question culturelle, qui a déjà fait l'objet d'un compromis par le passé.
Nous sommes des Européens convaincus et nous nous inquiétons également des conséquences que pourrait avoir l'AMI sur la construction communautaire.
Notre groupe souhaite que la capacité de l'Union européenne et de ses futurs adhérents à poursuivre leur intégration soit préservée.
L'Union européenne doit pouvoir garder la possibilité de différencier les entreprises européennes et les entreprises étrangères. Il s'agit là, pour nous, d'une condition essentielle et préalable à tout accord sur l'AMI.
Le troisième sujet d'inquiétude concerne les clauses sociales et environnementales.
De nombreux pays demandent que soit proscrite la concurrence pour attirer les investissements étrangers par l'abaissement des normes sociales ou des règles de protection de l'environnement.
Notre groupe approuve l'inclusion de clauses sociales et environnementales pour empêcher une surenchère à la dérégulation. En revanche, il s'opposera à toute remise en cause des lois et réglementations existantes. Les entreprises étrangères doivent respecter les normes sociales et environnementales fondamentales, sans pouvoir contester des dispositions légales qui s'appliquent à elles comme aux autres entreprises.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la position du groupe des Républicains et Indépendants est claire en ce qui concerne l'AMI : oui au principe d'un accord multilatéral sur l'investissement qui protège nos entreprises à l'étranger et favorise l'emploi en France, non aux modalités de l'accord tel qu'il se présente aujourd'hui car elles menacent l'identité culturelle française, la spécificité européenne et certaines avancées en matière sociale et environnementale.
A partir de là, plusieurs questions se posent, auxquelles je souhaiterais que vous puissiez répondre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Ma première question porte sur le principe d'un accord multilatéral sur l'investissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre position - ou du moins celle du Gouvernement - a sensiblement évolué depuis le début de l'année. Vous considériez alors le projet de l'AMI comme globalement positif, avant de vous rétracter et d'adopter une attitude qui nous a paru franchement hostile. Je souhaiterais savoir, sur le fond, si vous êtes ou non favorable au principe d'un accord qui viserait à protéger et à libéraliser l'investissement en limitant les discriminations entre investissements étrangers et nationaux.
Ma deuxième question porte sur les modalités d'un tel accord. En 1993, il a fallu toute la détermination du gouvernement d'Edouard Balladur et de la majorité UDF et RPR pour que la France obtienne des garanties en matière culturelle. Quelles assurances le Gouvernement peut-il nous donner pour qu'il en soit de même aujourd'hui sur les plans culturel, européen, social et environnemental ?
Je reviens en particulier sur le flou de la notion d'« exception culturelle ». Ne serait-il pas préférable, plutôt que de brandir cette formule, de consolider nos positions ?
Ma troisième et dernière question porte sur les perspectives des négociations. En l'état actuel des choses, l'accord multilatéral sur l'investissement a très peu de chances, dans l'immédiat, d'être signé, la date du 28 avril étant, d'après ce que j'ai pu lire voilà quelques jours, d'ores et déjà considérée comme une simple étape ; trop d'obstacles subsistent encore.
Mais si la menace n'est, semble-t-il, plus aussi proche, elle n'a pas pour autant disparu. D'autres échéances interviendront à l'échelon européen ou à celui de l'Organisation mondiale du commerce.
Nous sommes, par exemple, très vigilants s'agissant de la proposition de créer une zone de libre-échange trans-atlantique formulée par Leon Brittan ou encore de la récente proposition de directive européenne sur les droits d'auteur.
Dans ces conditions, je souhaiterais savoir si le Gouvernement compte adopter une position plus claire, plus cohérente et surtout plus constante que celle qui fut la sienne au cours des six derniers mois. C'est en effet à ce prix, et à ce prix seulement, que la France pourra être écoutée et entendue en Europe et dans le monde.
A cet égard, M. Cluzel disait tout à l'heure qu'il nous fallait des alliés. Il se trouve que je me suis entretenu de ce problème il y a moins de quarante-huit heures avec le ministre des relations internationales et de la francophonie du Québec, M. Sylvain Simard.
J'ajoute que l'alliance très forte qu'avait nouée en 1993 notre ministre de la culture d'alors, M. Jacques Toubon, avec son homologue québécois, Mme Liza Frulla-Hébert, avait permis, justement, de sauvegarder un certain nombre de points essentiels pour nous.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les observations qu'au nom de mon groupe j'ai tenu à formuler. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions aujourd'hui débattre ensemble de cet « AMI », qui suscite tant d'inquiétudes et d'incertitudes bien légitimes.
L'accord multilatéral sur l'investissement, il faut le souligner, a au moins un mérite, celui de soulever une telle mobilisation et tant de réactions unanimes et solidaires à son encontre.
Les incidences de l'AMI sur les droits des Etats sont extrêmement étendues. L'accord est ainsi susceptible de porter atteinte à toutes politiques originales économiques ou sociales, comme la législation du travail ou les aides aux emplois. J'en ai tout à fait conscience, mais je voudrais devant vous concentrer mon propos sur ses implications dans le domaine culturel.
Une fois encore, la France s'est conduite en exemple dans la protection de la culture et de sa richesse. Les milieux artistiques et politiques confondus se sont unis pour que ne soit pas remise en cause « l'exception culturelle », arrachée de haute lutte, déjà, lors des négociations du GATT.
Parce que le champ d'application de l'accord multilatéral sur l'investissement est large et que les possibilités de dérogation des Etats sont limitées, parce que tous les secteurs sont inclus, sauf à ce qu'ils soient expressément exclus de celui-ci, par l'introduction de réserves nationales spécifiques, parce que toutes les formes d'investissement sont concernées, y compris les biens incorporels, et donc les oeuvres de l'esprit qui nous tiennent tant à coeur, parce que, enfin, la définition de l'investissement est extensive et qu'il en découle que toutes nouvelles formes d'investissements susceptibles d'émerger dans le futur, telles que les nouvelles technologies, entreront automatiquement dans le champ de l'AMI, je le soutiens avec netteté : les menaces qui pèsent sur le secteur culturel et audiovisuel sont bien réelles !
Pire, au travers de la propriété littéraire et artistique, ce ne sont pas seulement les industries du cinéma et de l'audiovisuel qui sont concernées, c'est le champ culturel dans son ensemble.
Avec la clause du traitement national et celle de la nation la plus favorisée, toutes législations, réglementations ou dispositifs d'aide en matière de spectacle vivant, d'arts plastiques ou de circulation des oeuvres d'art pourraient voler en éclat ou se vider de leur sens.
Que signifieraient, en effet, les aides du Centre national de la cinématographie, CNC, si les studios d'Hollywood venaient désormais à en bénéficier ? Que deviendraient nos quotas d'oeuvres françaises et européennes à la télévision ou la loi française instaurant 40 % de chanson francophone à la radio ?
A quoi, enfin, rimerait le projet de loi sur les spectacles vivants, destiné à rénover l'ordonnance de 1945, qui est à l'ordre du jour au Sénat, si on ne pouvait l'appliquer ?
C'est la raison pour laquelle, je le confirme, la seule position politique possible est celle de l'exception culturelle et de l'exclusion de la propriété intellectuelle des négociations. C'est, du reste, la position de principe clairement affichée dès le début par le gouvernement français.
Le nouveau gouvernement l'a maintenu et confirmé avec fermeté : « Il n'y aura pas d'accord si le principe de l'exception culturelle doit être remis en cause ». Vous l'avez dit, monsieur le ministre. Vous avez affirmé que « cette négociation ne pourra être conclue que si ces résultats représentent des avantages réels pour les entreprises françaises et leurs salariés », et vous avez ajouté qu'« il n'y aura pas d'accord si les résultats obtenus dans d'autres négociations internationales dans le domaine culturel devaient être remis en cause ».
Mieux, depuis son entrée en fonction, le Gouvernement - notamment Mme Catherine Trautmann, en sa qualité de ministre - n'a eu de cesse de lutter concrètement pour défendre cette ligne de conduite auprès des professionnels de la culture comme de nos partenaires européens, et d'en tenir informés aussi bien les citoyens que les parlementaires, par plusieurs réunions, colloques et auditions.
Ce combat permanent, il convient de l'admettre, a jusqu'à ce jour été fort utile : la France a demandé l'inscription, dans l'accord, d'une exception culturelle et a su rallier à sa cause le Canada, la Belgique, le Portugal et, dans une moindre mesure, l'Italie, la Grèce et l'Australie. Contrairement à ce qu'on a pu comprendre, le Gouvernement a précisé spécifiquement qu'il ne se contenterait pas d'une clause de réserve, mais qu'il chercherait l'exclusion générale de la culture du champ de l'accord. Cela a son importance et doit être souligné, car chacun sait que les réserves sont fragiles et destinées à disparaître, à terme, du fait des procédures de réexamen prévues.
Nous devons également nous féliciter de l'existence d'une prise de conscience au niveau européen, avec, pour preuve récente, la résolution adoptée au Parlement européen et les amendements déposés par la commission de la culture, soucieuse d'empêcher qu'une adhésion à l'AMI dans le secteur culturel n'entrave une application correcte de la législation communautaire et ne sape les diverses initiatives prises dans les secteurs culturel et audiovisuel.
Certes, des incertitudes et des inquiétudes demeurent, et il nous faut donc rester très attentifs car, si l'AMI apparaît actuellement en grande difficulté, d'autres négociations peuvent avoir des incidences sur le secteur culturel. Je citerai notamment le traité transatlantique, le NTM, qui vient d'être présenté au Conseil de l'Union européenne, soutenu par le commissaire européen sir Leon Brittan, et qui fait l'objet d'une opposition très ferme de la France. Bien que la culture soit en principe exclue du champ d'application, les Etats-Unis se sont déjà déclarés favorables à l'intégration du secteur audiovisuel, et l'on doit s'attendre à ce que le respect de sir Leon Brittan pour l'exception culturelle soit tout relatif.
Evoquons également la prochaine négociation del'Organisation mondiale du commerce, qui devra s'engager au plus tard d'ici à l'an 2000, ou encore le Livre vert de la commission européenne sur la convergence, qui procèdent, tout comme l'AMI, d'une démarche niant la valeur de l'oeuvre artistique pour la considérer comme un produit de consommation.
En conclusion, je tiens à attirer aussi votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le fait que, s'il convient de conserver une extrême vigilance pour sauvegarder l'exception culturelle, il faut prendre également garde à identifier le champ des activités artistiques et culturelles susceptibles d'en bénéficier, dans la mesure où les Etats-Unis ont une conception très vaste du commerce, qui peut englober aussi bien le théâtre classique que les activités de la compagnie Disney.
Je rejoins donc en cela le projet de résolution du conseil d'administration de « Villes et cinémas en Europe », réuni à Berlin le 20 février dernier, qui, « considérant qu'entre les fortes périodes de mobilisation générées par l'imminence de la signature d'accords commerciaux, il y a relativement peu d'avancées pour que soit précisée la notion de spécificité culturelle par rapport à la loi du marché, émet le voeu que le Parlement européen se saisisse de la question et aboutisse à une définition claire de la notion de "produit culturel", produit qui doit concourir, non à la croissance du commerce international, mais au développement de la civilisation ». (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je veux à mon tour intervenir sur ces projets dont on vient de parler si longuement, mais en m'éloignant totalement du secteur culturel sur lequel tout a été dit. En citoyen ordinaire, presque un peu néophyte dans ce domaine, je souhaite formuler quelques réflexions et demander quelques explications sur tout le reste.
Après avoir eu la réponse de M. le ministre de l'économie à une question posée par M. Yves Cochet à l'Assemblée nationale, une incertitude m'inquiète.
Le ministre a en effet dit que l'accord en question ne modifiera en rien notre législation nationale, et je vous remercie de me permettre de le préciser pour éviter toute confusion. Ce n'est pas un accord de réglementation, c'est un accord de non-discrimination. C'est une nuance, mais une nuance forte sur laquelle il serait peut-être bon de faire une analyse sémantique.
Après avoir dit qu'en définitive cet accord ne présentait pas un grand danger, il a ajouté qu'il n'était pas sûr que le Gouvernement le signerait. « Nous le signerons s'il est bon ! » a-t-il conclu. Cette position incertaine m'inquiète. En effet, selon lui, d'un côté, il n'y a pas de risques du fait que c'est un accord de non-discrimination, mais, de l'autre, il y en a suffisamment pour se demander s'il faut le signer ! J'aimerais donc avoir quelques éléments de clarification en ce domaine. C'est le premier point de mon intervention.
J'ai un autre sujet d'inquiétude : c'est la présence de M. Léon Brittan, un homme d'une qualité intellectuelle certaine, d'une grande capacité d'organisation, de compréhension, de présentation, mais en même temps d'une duplicité tout aussi évidente. Il n'arrive pas à cacher son origine politique fondamentale qui est thatchérienne. Pour lui, la place laissée à l'homme au travail est tellement minimisée que la flexibilité, qui correspond aujourd'hui à ce qu'on appelait autrefois « être corvéable à merci », est une réalité ! L'insécurité du travail, la précarité et la faiblesse de la rémunération sont la règle.
Même si Tony Blair a apporté, ces temps-ci, quelque atténuation à tout cela, il n'empêche que le travailleur anglais est dans une situation que personne en fait n'envie, et si, chez nous, certains veulent aller travailler en Grande-Bretagne, ils s'aperçoivent très vite que ce n'est pas aussi satisfaisant qu'ils l'avaient imaginé.
En définitive, la « main invisible », qui n'est pas autre chose que le désir, la décision de produire le plus possible au moindre coût pour assurer profits et bénéfices au capital, aujourd'hui à ceux qui s'en trouvent bien, les petits actionnaires, cette main invisible est en fait devenue bien visible !
Ces petits actionnaires qui, aujourd'hui, représentent une masse imposante et qui, issus, la plupart du temps, de milieux modestes, voient leur situation améliorée par la progression des actions, sont peut-être les plus grands défenseurs de cette main invisible qui impose une conception libérale du capital, celle d'un libéralisme effréné devenu véritablement effronté, que rien n'inquiète et que rien n'arrête.
Devant cette situation, que j'ai un peu schématisée, sans la caricaturer pour autant, je souhaite poser quelques questions au Gouvernement pour savoir comment il va se comporter face à une proposition d'accord, l'AMI, qui a été élaborée entre vingt-neuf pays riches, peut-être prêts à exploiter les pays pauvres dans ce domaine, accord qui peut nous mettre dans des situations difficiles.
Cette proposition a été élaborée en secret : pendant deux ou trois ans, personne n'en a parlé. Cent quatre-vingt-dix pages ont été écrites. Je n'ai pas eu le courage de les lire toutes. Je pense que vous en avez fait l'analyse exhaustive, monsieur le secrétaire d'Etat, aidé par des collaborateurs qui ont pu mettre en évidence les points les plus importants. En tout cas, cette proposition marque une étape dans l'avancée du libéralisme qui me paraît particulièrement importante et inquiétante.
En effet, il est indéniable qu'aujourd'hui les vingt-neuf pays participant à l'accord accepteraient que les investisseurs viennent s'installer chez eux en ne respectant que les exigences de leur conception de la façon de produire, au détriment de celui qui travaille dans la production. Cette conception touche tous les secteurs de la vie, que je résumerai, sans les énumérer, en quelques mots : les droits de l'homme au travail.
Je me contente de faire cette référence, sachant que vous connaissez autant que moi ces droits principaux que les investisseurs mettraient en péril. Il s'agit surtout de la souveraineté de l'Etat et, au-delà, d'une souveraineté beaucoup plus importante à mes yeux, celle du citoyen. Effectivement, dans cette conception, le citoyen en tant que tel est négligé. Il est simplement considéré comme le travailleur soumis aux exigences.
Peut-on accepter aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, que la légalité étatique, notre législation dans tous les domaines - social, économique et politique - soit méprisée à ce point ? Peut-on accepter qu'un investisseur n'obtenant pas, peut-être de par sa faute, les résultats qu'il escompte, demande à l'Etat de payer pour lui ?
Non, tout cela nous ne pouvons l'accepter, et il y a des raisons très fortes de refuser d'entrer dans un tel processus.
Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas discuter. En effet, M. Cluzel a déjà évoqué l'intérêt et le rôle des investisseurs étrangers chez nous et des investisseurs français ailleurs ; ils sont effectivement facteurs de développement. Depuis 1981, la France est bien entrée dans cette évolution, avec une préférence européenne toutefois, pour aller dans le sens de ce développement, mais avec des investisseurs respectant ses décisions.
C'est vrai que l'aspect culturel est significatif, mais les autres me paraissent encore plus dangereux. Et M. Brittan prend en la matière également de grandes libertés avec sa responsabilité réelle, son poste officiel réel en se substituant la plupart du temps non seulement à la commission mais même aux Etats pour favoriser d'autres négociations avec le NTM. Celui-ci d'ailleurs, en lui-même, m'inquiète presque plus.
En effet, il représente la percée des conceptions américaines dans la vie habituelle des Français, l'invasion du droit de l'homme américain, d'une conception américaine qui tend à soumettre à sa façon de vivre, depuis MacDonald's jusqu'à Coca-Cola, l'ensemble des pays, dont la France. Et cela me semble presque plus dangereux que l'accord avec les 29 autres pays.
En tant que simple citoyen, je m'inquiète, peut-être exagérément, de ces évolutions. Il est logique et raisonnable que, peu à peu, le monde entier s'organise dans une interaction et que cela éloigne au moins les risques de guerre et de violence que nous avons connus.
L'Europe vient de donner une image extrêmement forte de cette évolution. Mais il faut aussi qu'elle reste prudente, qu'elle soit en état de se constituer comme une unité européenne, politique, économique et sociale. Ensuite, progressivement, elle pourra établir des accords plus importants, en tout cas plus étendus.
Toutefois, aujourd'hui, au nom de cette Europe à construire et de la place que la France doit y occuper, nous devons être très vigilants devant cette percée forte, accompagnée de moyens indiscutablement efficaces, du monde américain, lequel utilise aussi bien les traités comme celui que nous connaissons que l'espace : il prend une place telle qu'il finit, là aussi, par dominer. C'est le problème qui a été soulevé par tous les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Cluzel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de participer à ce débat relatif à l'accord multilatéral sur l'investissement, qui a été lancé par M. Gouteyron et qui a été enrichi par les contributions diverses, fortes, parfois passionnées mais toujours sages de MM. Ralite, Cluzel, Delaneau, Vidal et Sérusclat.
J'organiserai ma réponse autour de trois thèmes.
En premier lieu, j'examinerai le projet d'accord multilatéral sur l'investissement dans tous ses aspects.
En deuxième lieu, je répondrai à la demande d'information sur cette négociation en cours, qui a été exprimée particulièrement par M. Gouteyron.
En troisième lieu, je traiterai des aspects culturels, notamment de l'exception culturelle sur laquelle vous avez tous insisté avec force.
Enfin, en conclusion, je présenterai quelques remarques sur le libre-échange transatlantique et sur le rôle de la Commission.
Je commence donc par évoquer la négociation qui a débuté en 1995 au sein de l'OCDE et à laquelle la France participe, sans avoir a priori aucune objection de principe à formuler, comme l'a dit M. Gouteyron.
Depuis 1948, depuis la mise en place du GATT, des règles organisent le commerce international, règles qui ont été amplifiées et étoffées en 1994 par l'accord de Marrakech.
Les investissements directs se développant du fait de l'internationalisation des économies, il est légitime que les Etats cherchent à définir en la matière des règles sur une base de réciprocité.
Comme l'a rappelé M. Delaneau, la France est la quatrième puissance économique mondiale. Nous accueillons heureusement sur notre territoire de nombreuses entreprises à capitaux étrangers. Elles représentent 30 % des investissements et 25 % des emplois industriels. Parallèlement, nos entreprises participent activement au développement de l'économie mondiale. Elles investissent massivement à l'étranger. Notre pays est donc directement intéressé par une négociation sur l'investissement international.
En effet, faute de règles et d'un minimum de discipline internationale, nous serions soumis à la loi pure et simple du marché. Or l'affaire Hoover, dont certains se souviennent, montre que, même au sein de l'Union européenne, le déplacement d'investissements manufacturiers peut donner lieu à des concurrences exacerbées.
En l'absence d'une discipline internationale, des Etats qui se croient plus forts que les autres pourraient prendre des sanctions unilatérales à portée extra-territoriale. Nous connaissons tous les tentations américaines de sanctionner les entreprises qui auraient, par exemple, des relations commerciales avec Cuba.
Par conséquent, le fait d'instituer un minimum de règles internationales n'est pas condamnable en soi. Il est important d'avoir un accord, mais certes, monsieur Sérusclat, cet accord doit être un bon accord, et un bon accord pour la France doit remplir quatre conditions nécessaires.
Premièrement, pour le Gouvernement français, il n'y aura pas d'accord si l'exception culturelle et les résultats obtenus dans d'autres négociations internationales dans le domaine culturel sont remis en cause.
Deuxièmement, l'accord éventuel devra trouver une solution aux problèmes des législations à portée extra-territoriale ; il s'agit des lois américaines auxquelles j'ai fait allusion récemment. Ces lois sont contraires au droit international ; l'accord multilatéral sur l'investissement devrait poser leur condamnation, et il est clair que les Etats fédérés devraient respecter les règles souscrites au niveau fédéral.
Troisièmement, il faut que l'Union européenne, avec ses membres actuels et ses membres futurs, garde la capacité de poursuivre son intégration économique. Cela signifie clairement que l'Union européenne doit garder la possibilité d'opérer une différence entre les entreprises européennes, c'est-à-dire celles qui sont présentes sur son sol, et les entreprises étrangères non européennes, c'est-à-dire absentes de son sol.
Quatrièmement, la concurrence en vue d'attirer un investisseur ne doit pas passer par l'abaissement des normes sociales ou par la non-observation des règles de protection de l'environnement. Cela doit être absolument interdit : les entreprises devront respecter les normes sociales et environnementales fondamentales.
Telles sont les quatre conditions que le Gouvernement considère comme incontournables pour parvenir à un accord. Comme cela a été signalé, la prochaine réunion des ministres se tiendra les 27 et 28 avril prochains au siège de l'OCDE.
La France exprimera de nouveau avec force ces quatre conditions et, comme l'a indiqué M. Vidal, elle n'est pas du tout isolée en la matière. Il est donc vraisemblable que la réunion des 27 et 28 avril ne pourra permettre, pour employer un euphémisme, d'aboutir à une conclusion.
En effet, des points de vue très opposés s'affrontent sur les quatre questions que je viens d'évoquer et, par conséquent, je peux faire le pronostic - mais ce n'est qu'un pronostic - que cette négociation, qui a été engagée entre les pays développés membres de l'OCDE, se poursuivra, ce qui paraît normal, au sein de l'OMC, à laquelle participent les pays en voie de développement.
Certains d'entre vous ont évoqué la difficulté, pour les petites et moyennes entreprises françaises, d'obtenir un minimum d'assurances juridiques lorsqu'elles investissent au-delà des limites de l'Union européenne ou, plus généralement, hors des pays développés, où un certain nombre de règles sont plus strictement observées. Il est bien évident que les PME ne disposent généralement pas de services juridiques suffisamment étoffés pour défendre leurs intérêts.
Dès lors, il est effectivement important que, en matière d'investissements directs à l'étranger, le champ d'application des règles s'étende aux pays en voie de développement : il ne s'agit pas seulement de lutter contre le dumping social que certains sont parfois obligés de pratiquer ; il s'agit aussi d'imposer aux investisseurs des pays développés intervenant dans les pays en voie de développement le respect d'un minimum de règles en matière de droits sociaux, droits sur lesquels M. Sérusclat a, à juste titre, attiré l'attention.
Sur le premier point, sauf si les quatre conditions françaises étaient acceptées, ce qui est improbable, il apparaît que la négociation entamée en 1995 ne débouchera pas sur un accord à la fin de ce mois d'avril. La négociation, qui est utile, se poursuivra donc sans doute dans le cadre de l'OMC et demandera vraisemblablement encore du temps.
J'en viens maintenant à un deuxième point : l'information des parlementaires, des professionnels, des créateurs et leur participation à cette négociation.
Reconnaissons tout de même que, depuis 1995, il y a eu un peu plus de transparence que ce que M. Gouteyron a laissé entendre. En disant cela, je ne mets d'ailleurs pas spécifiquement en avant le rôle du gouvernement auquel j'appartiens ; je pense aussi à celui qui l'a précédé.
Sans doute ne suis-je pas le mieux placé pour faire ce rappel mais force m'est de constater que, lorsque le Gouvernement français a décidé de se lancer dans la négociation en 1995, il n'a peut-être pas suffisamment consulté le Parlement et les professionnels. Il y a là un point d'histoire qui reste éventuellement à éclaircir.
Quoi qu'il en soit, à partir du moment où la négociation a été engagée, des informations ont été diffusées, des articles de presse ont paru. Sans doute n'ont-ils pas eu, à l'époque, un écho suffisant. Il reste que les professionnels de la culture ont, me semble-t-il - l'un d'entre vous l'a dit - été constamment tenus informés de l'évolution des discussions. De même, les assemblées parlementaires, par l'intermédiaire des présidents et des commissions des affaires étrangères, ont reçu, comme il est de règle, les télégrammes diplomatiques rendant compte de cette évolution.
Mais il faut probablement considérer que, en l'espèce, l'information a été incomplète ou qu'elle n'a pas fait l'objet d'une diffusion suffisamment appuyée, ce qui expliquerait la prise de conscience quelque peu tardive.
Aujourd'hui, notre débat de ce matin l'atteste, le sujet est devenu totalement public ; il est même vibrant ! J'irai jusqu'à dire que la négociation de l'AMI montre que nous sommes en train de changer de pratique en matière d'association des assemblées à des négociations d'accords internationaux.
A cet égard, je tiens à indiquer au président Gouteyron comme à M. Ralite que le Gouvernement est tout à fait partisan d'une information régulière des commissions parlementaires - j'insiste sur ce pluriel - à la fois en amont des négociations et pendant leur déroulement. Le Gouvernement espère que, de ce point de vue, la négociation sur l'AMI pourra être regardée comme un tournant.
Le Gouvernement manifeste donc une volonté de clarté - pour reprendre un mot employé par M. Cluzel - afin de permettre aux assemblées d'exercer leur vigilance. Il existe, me semble-t-il, au moins sur le principe - il conviendra d'y veiller en pratique - un accord entre le Gouvernement et les assemblées pour parvenir à une meilleure information et à des échanges réguliers durant ces grandes négociations internationales qui touchent de près la vie économique et la vie culturelle de notre pays.
J'en viens maintenant aux aspects spécifiquement culturels.
Vous l'avez constaté, la première condition que le Gouvernement veut imposer est celle du mainttien de l'exception culturelle. Sur cette notion, il y a en fait deux débats : un débat technique - qu'est-ce que l'exception culturelle ? - et un débat plus fondamental, quasiment philosophique.
S'agissant du premier débat, il convient de souligner que l'exception culturelle n'est pas une notion floue ; elle recouvre deux réalités extrêmement précises, qui sont, d'une part, le secteur audiovisuel et, d'autre part, la propriété littéraire et artistique.
Vous vous en souvenez, la préservation de l'exception culturelle avait été obtenue - arrachée, dirai-je même - à la fin des négociations du cycle de l'Uruguay. On avait en effet réussi à faire admettre qu'il n'y ait pas d'engagement de l'Union européenne et de ses Etats membres concernant le secteur audiovisuel, de façon que ceux-ci puissent garder une totale liberté d'action dans ce domaine.
Cela nous permet d'aider nos créateurs sans avoir à étendre le bénéfice des dispositifs de soutien aux industries américaines.
Cependant, ce résultat brillant d'une négociation difficile est exceptionnel, précisément, dans la mesure où l'exception culturelle n'est pas reconnue en tant que principe général valant dérogation aux règles multilatérales. Cela signifie que, au moment où s'engage la négociation sur l'AMI, l'exception culturelle n'est pas posée au départ : c'est une concession qu'il faut à nouveau arracher en cours de négociation.
A côté du secteur de l'audiovisuel, dont M. Cluzel a parlé avec la compétence que chacun lui connaît, il y a la propriété littéraire et artistique. M. Gouteyron l'a bien expliqué, il existe une conception française du droit d'auteur et du droit moral qui n'est pas le copyright américain. Cette conception française est protégée par des textes : les conventions de Berne sur la protection des oeuvres littéraires et artistiques, les conventions de Rome et de Genève sur la protection des disques et des oeuvres radiodiffusées, ainsi qu'un accord spécifique de l'Organisation mondiale du commerce, dit « accord TRIP's », sur la propriété intellectuelle.
Le Gouvernement veut - et, semble-t-il, avec votre soutien entier - que ces principes qui ont été acquis dans les négociations de l'Organisation mondiale du commerce soient maintenus dans un futur accord multilatéral sur l'investissement.
Tel est le champ technique sur lequel nous voulons travailler.
Cependant, comme M. Ralite l'a dit avec lyrisme et profondeur, le débat qui retentit de l'émotion des créateurs tant français qu'européens n'est pas seulement technique, et M. Vidal l'a également souligné. C'est un débat quasiment philosophique, qui postule que la culture n'est pas une marchandise et que, entre les industries culturelles et les industries manufacturières, il existe une différence de nature.
Il est clair que ce que M. Ralite a appelé l'« autoritarisme doux des Etats-Unis » - M. Cluzel évoquant, quant à lui, la « déferlante américaine » - est un mouvement puissant, animé par une industrie américaine très forte, qui cherche à imposer, dans le domaine culturel, une logique marchande, alors qu'il s'agit pour nous d'un univers tout à fait particulier.
A l'évidence, si nous laissions cette « déferlante américaine » balayer notre territoire, nous verrions certainement, comme dans d'autres secteurs, la diversité et donc la création en souffrir considérablement.
Fernand Braudel, dans l' Identité de la France, a écrit : « France, tu es diversité. » Je crois que c'est toute l'Europe qui est diversité. Il importe de perpétuer la diversité de nos cultures, de nos peuples et de nos nations, et cette exigence revêt une dimension culturelle majeure.
Ainsi que M. Cluzel l'a très bien dit, il s'agit non de dresser une ligne Maginot culturelle mais, dans une concurrence transatlantique forte, et qui va aller s'accentuant, d'équilibrer la puissance financière qui se manifeste de l'autre côté de l'Atlantique par l'engagement résolu des Etats et des peuples de notre côté.
Je sais que, en la matière, la position du Gouvernement est soutenue très largement dans ce pays.
Je voudrais enfin répondre à un certain nombre de questions qui ont été posées, notamment à propos du NTM.
J'ai bien senti, à travers les propos qui ont été tenus à cette tribune, que nombre d'entre vous, siégeant sur diverses travées, se préoccupaient d'une sorte de pression libérale parfois excessive. On pourrait dire, en filigrane du débat de ce matin : chassez le naturel libéral, il revient au galop !
A l'évidence, le commissaire Leon Brittan, dont M. Sérusclat a excellemment prononcé le nom, fait preuve d'un zèle tout à fait excessif.
La position du Gouvernement en la matière est claire, et elle est d'ailleurs partagée par le Président de la République : nous ne voulons pas d'un traité de libre-échange transatlantique ; nous ne voulons pas du projet du commissaire Leon Brittan, nous l'avons dit, nous l'avons écrit, et ce sera encore rappelé lundi au Conseil européen des affaires générales.
Il n'est pas question de manifester, vis-à-vis des Etats-Unis, la moindre défiance mais il nous apparaît que ce type d'accord transatlantique contredit, d'abord, la liberté du commerce mondial et qu'il est, en outre, esquissé dans des conditions juridiques et politiques absolument contestables.
Puisque j'ai évoqué le commissaire Leon Brittan, je voudrais répondre à la question de M. Cluzel sur le rôle de la Commission en ce qui concerne l'accord multilatéral sur l'investissement.
Sur un sujet qui est non pas de compétence communautaire mais de compétence nationale, il est normal que, au sein de l'OCDE, ce soient les Etats membres qui mènent la négociation. Bien entendu, la négociation ne saurait conduire à établir des discriminations entre Etats européens, et un minimum de coordination communautaire est requis, mais il est clair que, dans cette affaire, la solidarité de l'Europe sur ces sujets n'est pas encore acquise, c'est le moins que l'on puisse dire, et cela rendra particulièrement difficiles les réunions des 27 et 28 avril.
En ce qui concerne l'accord multilatéral sur l'investissement, la Commission est donc restée discrète. Elle a cependant insisté sur l'une des quatre conditions que j'ai citées tout à l'heure, à savoir la capacité pour l'Union européenne et les Etats membres de distinguer les entreprises selon qu'elles sont ou non présentes en Europe. Toutefois, lorsque la pression américaine s'est révélée trop forte, certains membres de la Commission ont pu avoir la tentation du retrait et du compromis.
Vous aurez compris que la France est, elle, loin d'éprouver une telle tentation.
Pour conclure, je tiens à souligner que l'attitude que nous avons en France et même en Europe vis-à-vis des Etats-Unis - sans parler de l'Asie, qui traverse actuellement une période difficile - n'est ni frileuse ni complexée.
Depuis quelques mois, voire plus longtemps, l'Europe a repris sa marche en avant. C'est net dans le domaine économique, avec une expansion qui reprend de la vigueur, entraînée par le mouvement de la consommation et de l'investissement. L'an prochain, selon toutes probabilités, la croissance européenne - et particulièrement la croissance française, qui pourrait se situer en tête - sera supérieure à la croissance américaine. Et je n'oserai pas établir de comparaison avec la croissance japonaise, qui ne peut être perçue qu'à l'aide d'une grosse loupe ! Nous redevenons donc un pôle de croissance dans le monde.
L'euro, dont vous allez débattre, créera une zone de stabilité et de dynamisme.
Enfin, dans le domaine culturel, l'Europe a été, est et sera un grand foyer de civilisation. Le Gouvernement, comme, je le pense, tous les sénateurs, tous les créateurs et l'ensemble du pays, est très attaché à ce que l'Europe reste un foyer éclatant et durable de création culturelle. (Applaudissements.)
M. Adrien Gouteyron. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux d'abord vous remercier d'avoir accepté ce débat. Votre réponse comporte des éléments qui complètent notre information et apportent un éclairage supplémentaire dont nous avions bien besoin.
Permettez-moi de revenir sur quelques points qui, au fond, reprennent les propos tenus dans ce débat. Vous avez bien compris que le Sénat n'éprouvait pas d'opposition de principe à un accord multilatéral sur l'investissement, au contraire. Certains orateurs, tout particulièrement M. Delaneau, ont fait remarquer l'intérêt de la France et la position qu'elle avait dans les échanges internationaux.
Nous avons donc le plus grand intérêt à ce que les règles soient clairement posées et respectées par tous. Vous avez expliqué l'avantage que cela représenterait pour nos échanges avec certains pays du tiers monde, notamment, pour être plus précis, certains pays d'Asie. C'est évident, et tout le monde est d'accord sur le principe.
Vous nous avez également bien expliqué que le Gouvernement serait extrêmement vigilant, mieux qu'il ferait de l'exception culturelle une condition à un accord éventuel. Nous nous en réjouissons comme de votre mention de manière très appuyée, des droits d'auteurs et des droits voisins.
En effet, la conception française est une conception à laquelle non seulement nos créateurs et nos artistes, mais aussi tous les Français sont fondamentalement attachés parce qu'elle exprime bien ce qu'est notre souci de la valeur personnelle de la création.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris l'engagement d'associer le Parlement à ce débat. Il y aurait peut-être à dire sur la manière dont il a été informé dans le passé, mais je n'y reviendrai pas car cela n'aurait pas d'intérêt.
Toutefois, je souhaite revenir sur les propos que vous venez de tenir. Vous avez parlé de l'information des commissions et vous avez, à juste titre, employé le pluriel. Il faut aller plus loin : c'est l'assemblée tout entière qui doit être informée. Le débat qui vient d'avoir lieu montre bien l'intérêt d'une telle information.
Mais encore faudra-t-il trouver le temps nécessaire pour inscrire à l'ordre du jour des assemblées, notamment du Sénat, un débat de cette nature. Permettez-moi de vous dire que cela n'a pas été très facile : ceux qui participent à la conférence des présidents l'ont constaté comme moi.
Par conséquent, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat - ce sera la conclusion de ce court propos - d'intervenir auprès de toutes les instances gouvernementales pour que le Parlement puisse débattre de sujets aussi fondamentaux pour notre pays et qu'une place soit laissée à cet effet dans l'ordre du jour des deux assemblées.
Vous avez parlé de l'Europe, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous souhaitons bien entendu qu'elle parle d'une seule voix mais nous savons bien que ce n'est pas facile notamment dans certains domaines, tels que le domaine culturel.
Dans le passé, le Gouvernement français a réussi à entraîner nos partenaires de l'Union européenne. Permettez-moi, en terminant ce propos, d'émettre un voeu : je souhaite vraiment, et de tout coeur, que dans les négociations à venir ce soit aussi le cas, que la France ait un rôle pilote, un rôle moteur. C'est elle, on le sait bien, qui peut, d'une certaine façon, donner une âme à l'Europe, et cela nous le désirons tous. (Applaudissements.)
M. le président. En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

3

MODE DE CALCUL DE LA DURÉE MAXIMALE
DE DÉTENTION PROVISOIRE

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 312, 1997-1998) de M. Michel Dreyfus-Schmidt, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 55, 1997-1998) de MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Charasse, Guy Allouche, Robert Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés tendant à préciser le mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire autorisée par le code de procédure pénale.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, plus que jamais peut-être, l'opinion publique, le Gouvernement et le Parlement s'inquiètent du nombre de ceux qui sont en détention provisoire, d'autant que la durée de cette détention provisoire ne cesse d'augmenter et qu'il est fréquent qu'elle se révèle finalement totalement injustifiée, sans que la réparation du préjudice existant alors soit assurée à coup sûr et sans qu'elle le soit jamais intégralement.
Vous travaillez, madame le garde des sceaux, à une réforme d'ensemble de la justice dont vous avez présenté les grandes lignes de ce que vous souhaitez qu'elle soit, l'un de ces volets ayant même déjà été approuvé par le conseil des ministres.
Mais évidemment, et comme en toute chose, la sagesse des nations enseigne qu'« il ne faut pas remettre au lendemain ce qu'on peut faire le jour même » et aussi qu'« un tiens vaut mieux que deux tu l'auras ».
C'est ce qui explique qu'ait été discutée et adoptée, à l'Assemblée nationale, et à la demande de sa majorité, une fort intéressante proposition de loi émanant de M. Alain Tourret et portant sur maints aspects de la détention provisoire. Nous souhaitons, bien sûr, que le Sénat en soit saisi ou s'en saisisse dès que possible.
Sans doute est-il plus efficace d'instaurer un juge des libertés, compétent dès que la détention provisoire est en cause, que de réduire les durées maxima de la détention provisoire, forcément diverses puisqu'elles varient avec la peine encourue et selon aussi que le mis en examen a déjà ou non été condamné.
A l'évidence, l'un n'empêche pas l'autre. Reste à savoir de combien les seuils doivent être abaissés.
Il paraît simple, en revanche, de mettre en place sans plus attendre diverses dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, telles que la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, la réparation intégrale du préjudice de celui qui a été à tort en détention provisoire, la mise en place d'une limite, car actuellement il n'y en a pas, de la durée pendant laquelle la détention provisoire peut être maintenue pour un accusé en attente de comparution devant la cour d'assises.
Mon énumération n'est bien évidemment pas exhaustive des excellentes dispositions, adoptées ou non, de la proposition de loi d'Alain Tourret.
Est beaucoup moins grande l'ambition de la proposition de loi émanant du groupe socialiste du Sénat et dont je me trouve être le rapporteur, comme j'en suis le premier signataire au côté de Michel Charasse, Guy Allouche et, last but not least , Robert Badinter.
Il ne s'agit que de supprimer des dispositions qui sont particulièrement choquantes en matière de détention provisoire, pour les majeurs comme pour les mineurs, à savoir celles qui permettent que, dans une même affaire, un mis en cause, qui a été détenu provisoirement pendant la durée maximale prévue par la loi en ce qui le concerne, puisse à nouveau, et pour la même durée, être incarcéré dans le cas où, ayant été mis sous contrôle judiciaire à l'expiration de la durée de détention provisoire en principe maximale, il se serait soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire, même si ces obligations peuvent paraître abusives, tel un versement mensuel de 100 000 francs.
Avec l'ensemble des membres de la commission des lois du Sénat, à l'exception de nos collègues du groupe du RPR, qui se sont abstenus - ils ont fait connaître qu'ils n'étaient nullement en désaccord sur le fond mais qu'ils préféreraient attendre la réforme d'ensemble de la justice, à laquelle nous croyons tous mais qui, par son ampleur même, peut prendre beaucoup de temps - nous demandons tout simplement que la durée maximale d'une détention provisoire soit véritablement un maximum, y compris dans le cas d'un éventuel manquement aux obligations d'un contrôle judiciaire.
Il n'est pas normal, en effet, que le substitut à l'emprisonnement que doit être le contrôle judiciaire permette, par son existence même, une détention provisoire supplémentaire.
Adopter cette proposition de loi ne pourrait que faire diminuer le nombre des détentions préventives, mais aussi la durée totale des instructions puisque les juges d'instruction, tant qu'ils existent, se trouveraient incités à mettre immédiatement sous contrôle judiciaire les mis en cause et, en tout cas, à mettre fin à une détention provisoire suffisamment rapidement pour se réserver une marge pour incarcérer celui qui se serait soustrait aux obligations du contrôle judiciaire.
Permettez-moi de formuler trois observations supplémentaires.
Première observation, il n'est pas acceptable que, comme c'est le cas actuellement, celui qui se soustrait aux obligations du contrôle judiciaire puisse être remis en détention provisoire, quelle que soit la durée de la peine encourue, pour une durée qui varie précisément avec la peine encourue, alors que c'est non pas le délit d'origine qui se trouve sanctionné, mais le manquement aux obligations du contrôle judiciaire.
Deuxième observation, qui découle de la première, peut-être y aurait-il lieu d'instituer un délit spécifique de manquement aux obligations du contrôle judiciaire, délit qui devrait être sanctionné, non par le juge d'instruction dont ce n'est pas le rôle mais par le tribunal correctionnel lui-même.
Troisième observation, enfin, le même tribunal correctionnel devrait pouvoir prononcer, en cas de manquement aux obligations du contrôle judiciaire, non seulement une peine de prison mais également une peine d'amende.
Il restera, vous le voyez, madame le garde des sceaux, beaucoup de grain à moudre lors de l'examen de votre réforme d'ensemble.
Telles sont les raisons qui, au nom de la commission des lois, me conduisent à vous demander, mes chers collègues, d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en permettant l'incarcération d'une personne non encore condamnée, la détention provisoire porte, par nature, une grave atteinte au principe de la présomption d'innocence. Elle ne doit donc constituer, elle ne peut donc constituer, comme l'affirme d'ores et déjà la loi, qu'une mesure aussi exceptionnelle que possible.
Cette règle n'est en réalité que l'application des principes, de valeur constitutionnelle, rappelés par l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui dispose que « tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ».
Ainsi que je l'ai déjà indiqué devant votre assemblée, le 22 janvier dernier, en présentant les orientations générales de la réforme de la justice que le Gouvernement achève d'élaborer, je souhaite modifier profondément les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à la détention provisoire afin que le principe de la présomption d'innocence soit mieux respecté.
J'ai longuement exposé devant vous les intentions du Gouvernement en la matière. Je puis vous assurer que j'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt les avis et les propositions des sénateurs qui se sont exprimés sur cette question au cours de ce débat d'orientation afin d'en tenir compte, autant que faire se peut, lors de l'élaboration du projet de réforme.
Votre assemblée, tout particulièrement sa commission des lois, conduit de son côté et depuis fort longtemps une réflexion approfondie sur le thème de la détention provisoire, sur ses enjeux et sur les problèmes tant philosophiques que juridiques et pratiques qu'elle induit.
Vos débats, menés notamment sous l'impulsion de M. Dreyfus-Schmidt, ont d'ores et déjà débouché sur le dépôt d'une proposition de loi, rapportée par celui-ci et que nous examinons aujourd'hui ensemble.
Je souhaite, tout d'abord, remercier publiquement tant la commission des lois de la Haute Assemblée que le rapporteur du présent texte de la qualité du travail accompli, de la hauteur de vue et de l'esprit de responsabilité avec lesquels la réflexion commune a été menée.
J'y vois la preuve évidente que les représentants de la nation, quelles que soient leurs divergences politiques et philosophiques affichées, peuvent, dans un esprit de sagesse, d'ouverture et de tolérance, parvenir à un consensus lorsque l'exige le respect des principes fondamentaux de la République.
Je ne peux, par ailleurs, que me réjouir de constater que votre assemblée, comme le montre amplement la teneur de la proposition de loi examinée ce jour, et le Gouvernement, que je représente, sont en parfait accord sur les buts à atteindre en matière de contrôle de la détention provisoire et de garanties nouvelles à instituer afin de protéger le principe de la présomption d'innocence.
Votre commission des lois a mis opportunément en évidence un problème juridique réel induit par ce que je qualifierai d'imperfection incontestable du droit positif en vigueur, ladite imperfection résultant elle-même, me semble-t-il, tout à la fois d'une imprécision des textes et du silence de la loi.
Il nous faut donc constater que les textes actuels sur la détention provisoire, tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence, peuvent déboucher sur des situations excessivement sévères, que votre commission des lois dénonce avec justesse aujourd'hui.
Cet oubli dans les textes provient du fait que lorsque le contrôle judiciaire a été institué en 1970, en même temps que la détention provisoire remplaçait la détention préventive, il n'a été prévu aucun « délai butoir », destiné à limiter la durée totale de la détention avant jugement.
Ce n'est qu'en 1975 qu'un premier délai butoir de six mois a été institué, pour être ensuite complété, par des réformes successives, la dernière datant de la loi du 30 décembre 1996 dont les dispositions sur ce point résultent de l'initiative du Sénat, par des délais butoirs de un an et de deux ans.
Or, pour utiliser une expression imagée mais parlante, la Cour de cassation a considéré, en l'absence de précisions législatives sur ce point, qu'en cas de révocation d'un contrôle judiciaire le compteur de la détention devait être « remis à zéro ».
Ainsi, en l'état actuel du droit tel qu'il est interprété par la jurisprudence, dans une procédure où la durée totale de la détention provisoire est limitée par la loi - à six mois, à un an ou à deux ans, selon les cas - il est théoriquement possible qu'une personne fasse l'objet, en plusieurs fois, d'une détention d'une durée supérieure à ce délai maximal.
Il suffit que la personne mise en examen soit, à l'issue du délai butoir, libérée en étant placée sous contrôle judiciaire, que ce contrôle judiciaire soit révoqué pour non-respect des obligations fixées par le juge d'instruction, entraînant une nouvelle incarcération de la personne pour une même durée, puis une nouvelle libération sous contrôle judiciaire, puis une nouvelle révocation, et ainsi de suite.
Cette hypothèse est bien évidemment plus théorique que pratique et, en tout état de cause, la révocation du contrôle judiciaire n'est possible que si les obligations prescrites n'ont pas été respectées, et donc si la personne s'est mise en état de faute au regard des exigences légales et proportionnées édictées par le juge d'instruction.
Par ailleurs, les obligations imposées à la personne mise en examen dans le cadre du contrôle judiciaire comme leur éventuel non-respect et la réincarcération qui pourrait en résulter sont contrôlés par la chambre d'accusation. La procédure de référé-liberté est, en outre, possible.
Il n'en reste pas moins que, en l'état actuel du droit positif et de son interprétation par la chambre criminelle de la Cour de cassation, les détentions provisoires décidées pour violation des obligations du contrôle judiciaire peuvent ne connaître aucun terme fixe.
Votre commission des lois a donc raison de faire observer que cette situation n'est pas acceptable au regard de la volonté maintes fois réaffirmée de la représentation nationale de limiter la durée de la détention provisoire.
Je ne peux donc qu'approuver sa démarche et lui indiquer que je n'envisage pas de déposer d'amendement sur les dispositions qu'elle a élaborées de manière consensuelle.
J'ai, au contraire, l'intention d'intégrer les résultats de la réflexion approfondie qu'elle a menée au texte même du projet de loi portant réforme du code de procédure pénale, que le Gouvernement déposera très bientôt - les délais ne seront pas longs - sur le bureau des assemblées parlementaires.
Si l'objet essentiel de cette réforme de la détention provisoire consistera à confier le soin de décider de cette mesure - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, et je vous en remercie - à un juge distinct du juge d'instruction, elle devra également prévoir que le respect des délais butoirs en cas de révocation d'un contrôle judiciaire devra prendre en compte la ou les détentions déjà subies.
Je me dois cependant de vous faire part brièvement, et sans que cela ne change en rien la nature de la position de principe que je viens de prendre devant vous à l'instant, de quelques difficultés qui me semblent découler de la proposition de loi que vous venez de présenter, monsieur le sénateur.
Il résulte des dispositions adoptées par votre commission qu'une personne qui aurait été placée en détention provisoire jusqu'au terme du délai butoir prévu par la loi - par exemple six mois - ne pourra plus ensuite être placée sous contrôle judiciaire.
Il me paraît en effet évident que priver le contrôle judiciaire de toute sanction, c'est interdire de facto , sinon de jure , le placement même sous contrôle judiciaire.
La Cour de cassation l'a d'ailleurs rappelé dans une jurisprudence qui indique que, en matière de délits de presse, la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse interdisant la détention provisoire, le contrôle judiciaire n'est par conséquent pas non plus possible.
Certes, pour éviter cette difficulté - M. Dreyfus-Schmidt l'a précisément indiqué dans son rapport - il suffit de libérer la personne un peu avant l'expiration de ce délai butoir. Mais si le contrôle judiciaire n'est pas respecté, et qu'une révocation est nécessaire, il ne sera plus possible ensuite, après une brève réincarcération, d'ordonner à nouveau un contrôle judiciaire, puisqu'il serait alors dépourvu de sanction.
En réalité, la difficulté provient sans doute de l'affirmation courante, mais inexacte, selon laquelle le contrôle judiciaire ne serait purement et simplement qu'une mesure ayant pour vocation à se substituer à la détention provisoire, afin d'éviter le recours à cette dernière.
Il n'en serait ainsi que si le contrôle judiciaire et son éventuelle révocation ne pouvaient être ordonnés que lorsque les conditions limitativement déterminées par la loi pour ordonner une détention provisoire sont réunies.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur. Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Or tel n'est pas le cas, comme le remarque excellemment le rapport de votre commission. En particulier, le contrôle judiciaire et sa révocation sont possibles dès lors qu'une peine d'emprisonnement est encourue, même si celle-ci est inférieure aux seuils permettant une détention provisoire.
En réalité, une mesure de détention provisoire décidée au vu et en conséquence du constat d'une violation des obligations du contrôle judiciaire auxquelles est astreinte une personne mise en examen n'est pas exactement de même nature qu'une détention provisoire décidée dès l'origine du dossier.
Il pourrait donc être exigé qu'une telle détention soit régie par des délais butoirs qui tiennent compte de cette spécificité, ce qui atténuerait, au regard de l'efficacité des investigations, les conséquences de la prise en compte, pour le calcul de ces délais, des détentions déjà subies.
La réflexion, me semble-t-il, pourrait être utilement poursuivie sur ce point.
Telles sont les principales observations que je souhaitais présenter à la Haute Assemblée.
Sous les réserves que je viens d'évoquer et qui portent sur des questions de détail, et non sur le principe même de la réforme, la présente proposition de loi me paraît apporter une importante contribution à la réflexion que le Gouvernement et le Parlement mènent sur le problème de la détention provisoire et qui débouchera nécessairement sur un projet de loi novateur qui vous sera présenté très prochainement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début des années quatre-vingt-dix, 30 000 personnes sont placées annuellement en détention provisoire, soit un tiers des personnes qui sont mises chaque année en examen. Ces chiffres montrent qu'une procédure dite exceptionnelle s'est trouvée banalisée au fil des ans, même si la loi a tenté de l'encadrer à de multiples reprises. Cette dérive a du reste été dénoncée par la Cour européenne des droits de l'homme. Elle est une des taches du système judiciaire de notre pays.
Ce recours abusif à la détention provisoire n'aboutit pas seulement à l'encombrement des prisons. Il conduit également à des injustices : qui a été détenu n'est plus présumé innocent, mais est supposé coupable. Il est supposé coupable aux yeux de l'opinion publique bien entendu, mais il est aussi supposé coupable aux yeux du tribunal. La détention préalable de l'accusé fait pencher la balance en faveur de sa condamnation, quand cette condamnation ne coïncide pas avec la durée de la détention provisoire pour la légitimer a posteriori . Enfin, on sait à quel point ce recours abusif à la détention provisoire brise des vies, entraînant la rupture avec le milieu familial et professionnel, stigmatisant pour longtemps celui qui est allé en prison.
Une telle situation est anormale, pour ne pas dire inadmissible, dans un pays qui se dit être celui des droits de l'homme. Qui plus est, elle s'accompagne de ce qu'il faut bien appeler des détournements de procédure, dans la durée accumulée de la détention et dans l'objet même ; on sait bien que, dans un certain nombre de cas, la détention provisoire est utilisée pour faire parler, pour faire « craquer » psychologiquement allais-je dire, les personnes mises en examen. Elle s'accompagne aussi d'une compensation financière dérisoire pour les personnes qui bénéficient d'un non-lieu ou d'un acquittement, sans parler de l'absence totale de référence à une sanction professionnelle pour ceux qui, en définitive, ont parfois contribué à briser une vie.
Or, la France a une situation très particulière en Europe puisque le nombre de prévenus est de 43 %, alors qu'il est de l'ordre de 20 % dans les pays qui arrivent juste derrière elle en matière de détention provisoire. L'écart entre la France et les autres pays européens est également sensible si on raisonne en nombre de personnes en détention provisoire pour 100 000 habitants. Enfin, on sait que la durée moyenne a régulièrement augmenté au cours des années quatre-vingt pour se stabiliser à près de vingt-trois mois en matière criminelle à la fin des années quatre-vingt-dix.
C'est dans ce contexte que se présente la proposition de loi du groupe socialiste, que nous examinons aujourd'hui. Elle porte exclusivement sur l'impossibilité de dépasser la durée légale de détention provisoire, même s'il y a non-respect du contrôle judiciaire. Autant dire que cette proposition de loi, même si elle constitue un progrès, est singulièrement limitée. Or, comme l'a rappelé M. le rapporteur, une proposition de loi, présentée par M. Alain Tourret, vient d'être débattue et adoptée par l'Assemblée nationale, le 3 avril dernier.
Je rappellerai les principales avancées de cette proposition de loi : présence d'un avocat dès le début de la garde à vue ; autorisation de mise en détention pour les seuls prévenus passibles d'une peine de trois ans pour les délits contre les personnes et de cinq ans pour les délits contre les biens ; fixation à deux ans maximum de la durée de détention provisoire, sauf dans un certain nombre de cas bien précis qui justifient évidemment une dérogation, tels le trafic de stupéfiant, le terrorisme, l'association de malfaiteurs, le proxénétisme, l'extorsion de fonds, les infractions commises en bande organisée.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale améliore aussi la procédure d'indemnisation, en mettant en avant notamment la notion de préjudice moral.
En outre, il oblige à suspendre la détention provisoire des accusés qui n'ont pas comparu devant la cour d'assises à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date à laquelle leur arrêt de mise en accusation est devenu définitif, délai qui ne peut jamais dépasser dix-huit mois.
Enfin, il prévoit de réserver une cellule individuelle aux prévenus - c'est bien le moins pour des personnes présumées innocentes - ce qui sera rendu matériellement possible par les autres dispositions de cette proposition de loi visant à réduire le nombre des mises en détention, réduction que vous-même, madame la ministre, avez estimée à quelque 11 000 personnes.
On le comprendra aisément, j'aurais trouvé pour ma part beaucoup plus logique que ce texte déjà adopté par l'Assemblée nationale soit examiné par le Sénat avant que nous discutions de cette proposition de loi qui, pour intéressante qu'elle soit, n'en est pas moins infiniment plus limitée dans son objet. C'est pourquoi j'aurais préféré que la proposition de loi n° 55 soit renvoyée à la commission pour faire l'objet d'une discussion commune et d'une harmonisation avec le texte adopté par l'Assemblée nationale. Tel n'est pas le cas, et je le regrette. En effet, si les deux propositions de loi sont complémentaires, le texte voté par l'Assemblée nationale est bien sûr beaucoup plus large et complet que le texte présenté par les sénateurs socialistes.
A défaut, dans l'attente de la discussion de la proposition de loi Tourret sur la détention provisoire, les sénateurs radicaux de gauche voteront la proposition de loi du groupe socialiste, qui est une limitation de la détention provisoire. Il s'agit là d'un premier pas - certes beaucoup trop limité - qui va dans la bonne direction. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd'hui les conclusions de la commission des lois tendant à préciser le mode de calcul de la durée maximale de détention provisoire.
Nous abordons ici un sujet de première importance puisque, au-delà du seul énoncé de cette bonne proposition de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt, il s'agit de traiter la grave question de la détention provisoire.
Si chacun s'accorde à dire que la détention provisoire constitue, par définition, une atteinte à la présomption d'innocence, affirmée pourtant par les articles VIII et IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il convient de constater que les différentes modifications législatives intervenues depuis plusieurs années n'ont pas réussi à concilier présomption d'innocence, impératifs légitimes de l'instruction et protection de l'intérêt général.
Le législateur a donc tenté, maintes fois, de rappeler le caractère exceptionnel de la détention provisoire, mais en vain.
Pourtant, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme ont rendu à plusieurs reprises des décisions pour rappeler, d'une part, le caractère exceptionnel de la détention provisoire et, d'autre part, la durée limitée de celle-ci.
Or - je rappellerai quelques chiffres, même s'ils ont déjà été donnés à plusieurs reprises - avec 21 366 prévenus sur une population carcérale de 51 640 détenus, au 1er janvier 1997, la France reste l'un des rares pays où le pourcentage des prévenus parmi les détenus dépasse 40 %.
Chaque année, ce sont plus de 20 000 personnes qui sont placées en détention provisoire, d'après les statistiques.
Entre 1990 et 1997, 11 855 personnes mises en détention provisoire ont bénéficié in fine de décisions de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement.
Quant à la durée moyenne de la détention provisoire, elle ne cesse d'augmenter : entre 1984 et 1996, elle est passée, en matière correctionnelle, de 3 mois à 4 mois et, en matière criminelle, de 21 mois à 22 mois et demi, avec un point d'orgue en 1989 et en 1990, où elle atteignait 23 mois.
Ce n'est pas admissible. Il faut cesser de se servir de la détention provisoire comme un mode normal d'instruction, permettant au juge de poursuivre ses investigations et de faire pression sur la personne mise en examen afin d'en obtenir des aveux.
C'est d'autant plus nécessaire que nous savons tous ici combien une incarcération peut être déstructurante pour tout individu, que ce soit du point de vue psychique ou physique, tant les conditions de détention sont, faute de moyens financiers, matériels et humains, difficilement conciliables avec le respect de la personne humaine.
A cet égard, il m'est difficile d'évoquer les problèmes soulevés par la détention provisoire sans aborder le problème plus général de l'incarcération et des moyens dont dispose le système judiciaire et pénitentiaire français, moyens qui devraient permettre notamment de mener à bien le triptyque prévention-répression-réinsertion.
Actuellement, la grève des gardiens de prison, un peu partout en France, met en évidence le manque cruel de moyens qui sont accordés aux services pénitentiaires ainsi que les difficiles conditions de travail qui en découlent forcément, faute de personnels.
Je referme ici cette parenthèse pour en revenir précisément au dispositif qui nous est proposé, lequel, tout en limitant le recours à la détention provisoire, permettrait d'accélérer les instructions et de raccourcir, de fait, la durée moyenne de détention provisoire.
Sans entrer dans le détail du texte, il s'agit de revenir sur l'interprétation jurisprudentielle, beaucoup trop restrictive, de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Il convient en effet d'empêcher qu'une personne, pouvant être placée en détention provisoire pour une durée n'excédant pas six mois, au titre de l'article 145-1 du code de procédure pénale, puisse, par ailleurs, faire l'objet, au cours d'une même instruction, de plusieurs détentions pouvant chacune aller jusqu'à six mois, si elles sont séparées par un contrôle judiciaire que l'intéressé n'aurait pas respecté.
Si ce texte marque incontestablement une avancée dans notre droit, cette dernière n'en demeure pas moins limitée.
Je dis cela en pensant au contexte dans lequel nous examinons cette proposition de loi.
D'un côté, les députés légifèrent sur la détention provisoire, de l'autre, le Gouvernement a en préparation un projet de loi réformant la procédure pénale et, en particulier, la détention provisoire.
Ainsi, le 3 avril dernier, l'Assemblée nationale adoptait, pour sa part, en partie contre l'avis du Gouvernement, pour les raisons qui ont été exposées, une proposition de loi tendant à limiter considérablement le recours à la détention provisoire, ainsi que sa durée, proposition de loi dont les dispositions vont au-delà de celles dont nous débattons aujourd'hui.
Permettez-moi d'en rappeler brièvement les grandes lignes.
Selon les dispositions retenues par l'Assemblée nationale, seuls les prévenus qui encourent une peine d'emprisonnement de trois ans, au lieu d'un an, pour les délits contre les personnes, et de cinq ans, au lieu de deux ans, pour les délits contre les biens, pourront être incarcérés préventivement.
Sur la base des statistiques de 1996, cette élévation des seuils permettant de recourir à la détention provisoire aurait pour conséquence de réduire de plus de 11 000 le nombre des personnes en détention provisoire.
Peut-être faudrait-il, au lieu de recourir de façon systématique à la détention provisoire, développer davantage le recours au contrôle judiciaire, lequel nécessiterait alors, bien évidemment, des moyens différents ?
Ce même texte prévoit par ailleurs le remboursement de plein droit du préjudice subi par une personne placée en détention provisoire puis finalement relaxée, acquittée ou bénéficiant d'un non-lieu.
Le prévenu pourrait également être assisté d'un avocat dès sa mise en garde à vue, mesure que nous demandons depuis longtemps et qui nous satisfait donc pleinement.
De plus, les personnes mises en examen, prévenus et accusés, soumis à la détention provisoire, seraient placées au régime de l'emprisonnement individuel. Il ne pourrait être dérogé à ce principe qu'à leur demande ou si les intéressés étaient autorisés à travailler.
Enfin, l'accusé qui n'aurait pas comparu dans les six mois à compter de sa mise en accusation serait remis en liberté, ce qui devrait raccourcir les délais de jugement.
L'examen de ces deux propositions de loi, qu'il s'agisse de celle qui a été déposée sur le bureau du Sénat ou de celle qui a été adoptée à ce jour par la seule Assemblée nationale, risque de ne pas aller à son terme, d'autant plus que le Gouvernement a annoncé un projet de réforme plus global, abordant notamment la question de la détention provisoire.
Ce texte gouvernemental vise à distinguer les attributions du juge d'instruction de celles du juge de la détention provisoire - nous trouverons bien une dénomination pour celui-ci - afin de mettre un terme aux abus de la détention provisoire, trop souvent utilisée comme moyen de pression.
Le pouvoir de placer en détention serait ainsi confié à un juge des libertés, distinct du juge qui instruit.
Si nous sommes favorables à la séparation entre l'instruction du dossier et la prise de décision quant au placement en détention provisoire du mis en examen - cela répond à l'un de nos soucis en la matière - nous estimons par ailleurs, néfaste qu'un juge - serait-il « des libertés » - prenne seul la très grave décision de ce placement en détention.
Aussi nous prononçons-nous depuis toujours pour l'instauration d'une collégialité dans la procédure de décision conduisant à la mise en détention provisoire.
Bien évidemment, la mise en oeuvre de cette collégialité implique que les moyens humains et financiers soient accrus.
Nous souhaitons par ailleurs que la détention provisoire soit supprimée pour les mineurs en matière correctionnelle.
D'une façon générale, nous estimons que la liberté doit primer sur la détention provisoire, laquelle doit demeurer l'exception.
La durée de la détention provisoire doit être limitée, d'autant que celle-ci concerne de nombreuses personnes « présumées innocentes ».
C'est pourquoi il est grand temps de restreindre le recours à cette mesure à des cas véritablement exceptionnels et de favoriser les mesures alternatives à l'incarcération.
J'ajoute que la détention provisoire est un élément révélateur des difficultés que connaît notre justice, car, loin d'être le résultat d'une décision de justice, la durée de la détention provisoire est bel et bien la conséquence de l'allongement continuel des délais d'instruction, de jugement, de mise en exécution des décisions, ainsi que d'examen des voies de recours.
En conclusion, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront bien entendu les présentes dispositions, en gardant à l'esprit que toute réforme, soucieuse des libertés et des droits de la défense, implique indubitablement des moyens importants et, par là même, un budget pour la justice à la hauteur de nos espérances.
De là dépendra toute l'efficacité de la future réforme gouvernementale que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous nous félicitons dela proposition de loi présentée par nos collèguesMM. Dreyfus-Schmidt, Charasse, Allouche et Badinter, tendant à préciser le mode de calcul de la durée maximale de la détention provisoire autorisée par le code de procédure pénale.
C'est une heureuse initiative, car, dans le domaine de la détention provisoire, il y a eu, c'est certain, de nombreux abus, qui ont d'ailleurs été dénoncés à plusieurs reprises dans cette enceinte.
Nous connaissons tous des cas - je crains même qu'il n'y en ait parmi nos collègues - de détention provisoire de six mois suivie de nouvelles mesures de détention, alors que les affaires ayant entraîné l'incarcération n'ont toujours pas été jugées et qu'une décision de non-lieu interviendra peut-être, en définitive.
Il y avait lieu, par conséquent, de mettre fin à ces pratiques, et je m'associe tout à fait aux propos qui ont été tenus à cet égard tant par vous-même, madame la ministre, que par le rapporteur, M. Dreyfus-Schmidt, et par nos collègues Mme Dusseau et M. Pagès, qui se sont exprimés avant moi et ont fort bien exposé l'économie de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Pour notre part, nous voterons très volontiers les conclusions de la commission des lois, et nous remercions ceux de nos collègues qui ont pris l'initiative de déposer cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, rapporteur. A l'issue de ce débat, je tiens à apporter quelques brefs éléments de réponse à Mme Dusseau et à M. Pagès.
Mme Dusseau, sans défendre pour autant formellement et expressément une motion tendant à cette fin, a indiqué qu'elle aurait souhaité que cette proposition de loi soit renvoyée à la commission pour qu'elle puisse être discutée en même temps que la proposition de loi de notre collègue député Alain Tourret.
Quant à M. Pagès, il a craint que cette proposition de loi, pas plus que celle de M. Tourret, d'ailleurs, n'aboutisse pas. Je lui répondrai, tout d'abord, qu'en ce qui concerne celle que je rapporte, il appartient au Gouvernement ou à la conférence des présidents de l'Assemblée nationale de l'inscrire à l'ordre du jour de la journée réservée à l'examen des propositions de loi.
Par ailleurs, Mme Dusseau nous a fait remarquer que l'objet de la présente proposition de loi était limité par rapport à celle du député Alain Tourret. C'est parfaitement exact, je l'ai d'ailleurs dit moi-même. Mais, d'une part, le mieux peut être l'ennemi du bien, d'autre part, et vous voudrez bien me donner acte, ma chère collègue, de ce que l'objet même de notre proposition ne figure pas dans le texte de M. Alain Tourret.
Au demeurant, si vous aviez repris ce texte, aujourd'hui, sous forme d'amendements, personne n'aurait pu vous en empêcher !
Mme Joëlle Dusseau. J'y ai pensé fortement !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. _ Dans le premier alinéa de l'article 141-2 du code de procédure pénale, après les mots : "quelle que soit la durée de la peine d'emprisonnement encourue", sont insérés les mots : "et sous réserve des dispositions de l'article 145-1". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 et 3

M. le président. « Art. 2. _ L'article 145-1 du même code est ainsi modifié :
« I. _ Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder six mois. »
« II. _ Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, la personne fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder un an lorsque la peine encourue est inférieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement ou deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à dix ans d'emprisonnement. » - (Adopté.)
« Art. 3. _ L'article 11 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est ainsi modifié :
« I. - Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder deux mois.
« II. - Le quatrième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder un an.
« III. - Le cinquième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si, dans une même affaire, le mineur fait l'objet de plusieurs ordonnances de placement en détention provisoire, la durée cumulée des détentions ne peut excéder deux ans. » - (Adopté.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est reprise.

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QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

PRODUCTIONS FRUITIÈRES DU SUD-EST

M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez tenu, mardi dernier, à recevoir les syndicats d'exploitants agricoles des départements du Sud-Est.
En effet, le 14 avril dernier, une vague de gel a détruit dans des proportions diverses, mais parfois ponctuellement dramatiques, les productions fruitières de la Drôme, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, et ce à un moment de forte crise de l'agriculture du sud-est de la France.
Vous n'ignorez pas que ces productions, auxquelles il faut ajouter - notre collègue Pierre Laffitte en sera tout à fait d'accord - l'horticulture, ainsi que la production ovine, sont exclues de la réforme de la PAC.
Vous n'ignorez pas que les syndicats agricoles souhaitent que Bruxelles tienne compte du handicap que subissent ces productions du fait de la concurrence croissante de pays bénéficiant de coûts sociaux sans commune mesure avec ceux de la France, handicap aggravé aujourd'hui - je le rappelais il y a un instant - par les conditions climatiques que nous venons de connaître.
La crise est grave, monsieur le ministre, le marché de la pomme est sursaturé, les cours des salades et des tomates s'effondrent, le prix de l'agneau est à la baisse de 28 % par rapport à 1997.
A cela s'ajoutent, bien sûr, l'important endettement nécessaire à la modernisation des exploitations, le poids des charges salariales, les coûts de production et la mainmise croissante, plus grande qu'on peut le croire, de la grande distribution sur ces secteurs.
Nous sommes, monsieur le ministre, dans l'urgence.
Urgence dans le traitement des dossiers gérés par le Fonds national de garantie des calamités agricoles, 600 exploitations situées dans trente mois communes de mon département, les Bouches-du-Rhône, n'ayant toujours pas été indemnisées malgré les engagements pris par le Gouvernement en juin 1997.
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Vallet.
M. André Vallet. J'y viens, monsieur le président.
Urgence, surtout, pour la défense, à Bruxelles, des productions méditerranéennes.
Urgence, enfin, pour définir par une grande réforme structurelle ce que sera, demain, cette agriculture familiale et traditionnelle.
Quelles mesures allez-vous prendre, monsieur le ministre, pour éviter un coup de colère aux conséquences imprévisibles ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, votre question fait écho aux lourdes inquiétudes des producteurs de fruits et légumes de notre pays.
J'ai reçu à différentes reprises leurs représentants, et cette semaine encore ceux du Sud, dont certains venaient de votre département.
S'il est vrai que la climatologie a eu, sur ce secteur, des conséquences parfois très lourdes, je crois qu'il y a aussi des raisons plus structurelles - vous les avez évoquées - à ses difficultés.
L'organisation commune du marché fruits et légumes en est à sa première année d'application. Elle est donc en quelque sorte en rodage, et je m'emploie, en concertation avec les représentants professionnels, à la fois à en tirer le maximum de bénéfices pour les producteurs français et à proposer les améliorations nécessaires.
Je sais, cependant, que l'organisation commune n'est pas entièrement satisfaisante. C'est pourquoi, avec ma collègue ministre de l'agriculture espagnole, nous avons déposé devant la Commission européenne, lundi dernier, un mémorandum commun sur les règles de fonctionnement de l'organisation commune.
Pour insuffisante qu'elle soit, cette organisation commune a au moins un mérite, celui d'encourager les producteurs de fruits et légumes à s'organiser autour de programmes qu'ils ont définis en commun.
Comme vous, monsieur de sénateur, je juge anormal qu'il faille attendre plus d'un an après un sinistre pour que les indemnités correspondantes soient versées.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je me suis donc fixé comme objectif - c'est un objectif ambitieux - de faire en sorte qu'à l'avenir, notamment pour le gel de 1998 - vous faisiez référence au gel de mars 1997 - les premières indemnités au titre de la procédure des calamités puissent être versées au moment où, s'il n'y avait pas eu d'incident climatique, les agriculteurs auraient touché le revenu correspondant à la vente de leur production.
Nous sommes donc convenus avec les professionnels d'accélérer le calendrier et l'agenda des rencontres. Le 28 avril, la semaine prochaine donc, j'annoncerai les mesures d'urgence qu'il convient de prendre. Le 15 mai, j'organiserai une table ronde sur l'avenir de la filière fruits et légumes.
Monsieur le sénateur, nous sommes en présence d'un secteur ouvert au grand vent de la concurrence, bénéficiant de peu de protection communautaire, mais aussi créateur d'emplois et peu coûteux en soutiens publics. J'entends bien en faire, dans l'avenir, l'un des secteurs bénéficiaires de la politique de rééquilibrage des soutiens publics. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)

CULTURE ET FRONT NATIONAL

M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences néfastes de ce vendredi noir du 20 mars, où quelques élus, soucieux de préserver leur fauteuil de président de région, n'ont pas hésité à pactiser avec le Front national. (Murmures sur les travées du RPR et de l'Union centriste.) Malheureusement !
Ceux qui refusent la subvention aux Chorégies d'Orange, qui ferment le théâtre de Châteauvallon ou le café-musique de Vitrolles, qui interdisent les chanteurs et artistes qui leur déplaisent, qui censurent les bibliothèques, les voilà aux affaires en Languedoc-Roussillon, en Rhône-Alpes, en Bourgogne, en Picardie !
Sous l'objectif affiché de « mettre fin à la dictature de la culture de gauche » se cache, en réalité, une attaque en règle contre la culture, et tout particulièrement la création contemporaine ; on l'a vu avec les attaques ignobles contre certains fonds régionaux d'art contemporain et les artistes de Montpellier.
On voit apparaître des listes noires d'artistes ou d'oeuvres comme en des temps funestes où l'on parlait aussi « d'art dégénéré ».
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Ivan Renar. La culture ne se découpe certes pas en tranches partisanes. Mais on ne saurait oublier que la liberté de création est inséparable de la liberté d'expression. Etouffer l'une, c'est mieux garrotter l'autre.
Une chose est certaine, comme le disait un antifasciste célèbre : « Hommes, veillez. »
C'est ce qu'ont d'ailleurs bien compris, il y a quatre semaines, ici même monsieur le président, les trois cents sénateurs juniors qui ont adopté la « Charte du jeune citoyen de l'an 2000 », dont un article ratifié à la quasi-unanimité est ainsi conçu : « Le racisme est une attitude incompatible avec les valeurs de la République. »
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. « Combattre le racisme, c'est aussi lutter contre l'exclusion et pour l'acceptation de toutes les différences. »
M. Jean Chérioux. Toute dictature est condamnable !
M. Ivan Renar. « Les diversités culturelles sont autant de richesses qu'il nous faut préserver. » Voilà un grand souffle d'air frais, n'est-il pas vrai ?
La culture, les artistes, font partie de notre patrimoine national. Ils contribuent en permanence à nouer le lien social. La nation et ses représentants ont donc envers eux une responsabilité particulière d'aide et de protection.
Le Gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures, comme la création du comité de vigilance anti-FN.
M. le président. Votre question, monsieur Renar !
M. Ivan Renar. J'y arrive, monsieur le président !
Les artistes, le public, les élus s'organisent aussi et manifestent, comme ils l'ont fait à Montpellier samedi dernier.
Je salue, par ailleurs, les déclarations et les actions courageuses de Mme Trautmann, notre ministre de la culture.
M. le président. Veuillez poser votre question.
M. Ivan Renar. Mais, au-delà, comment faire plus ? Mieux défendre la culture, mesdames, messieurs les ministres, n'est-ce pas aussi réaffirmer, par des mesures concrètes, notre volonté de la développer et de lui garder son indépendance, son pluralisme, sa liberté ?
Enfin et surtout, ne faut-il pas placer les artistes, la liberté de création et les structures culturelles menacés sous la haute protection de la République, c'est-à-dire du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, Mme la ministre de la culture aurait souhaité vous répondre personnellement. Empêchée par un déplacement officiel, elle m'a prié de le faire à sa place, ce dont vous voudrez bien l'excuser.
Votre question revêt une importance particulière, en ces temps troublés par des alliances contre nature.
Nous savons bien que le Front national, en particulier dans les villes qu'il administre, s'est attaqué à la culture. Vous avez rappelé la censure qu'il impose dans les bibliothèques, l'expulsion des animateurs du café-musique de Vitrolles et la tentative de liquidation du centre chorégraphique de Châteauvallon.
Mais, aujourd'hui, sa stratégie est plus globale, et en même temps plus pernicieuse. Il n'est en effet nullement anodin que, dans les funestes accords proposés aux présidents de région élus grâce à lui, le Front national ait fait inscrire une référence à la défense de l'identité régionale. La manoeuvre est explicite : récupérer à son profit la tradition patrimoniale pour l'opposer à la création contemporaine et la disqualifier. En Languedoc-Roussillon - vous l'avez dit - il a immédiatement désigné les artistes qu'il veut réduire au silence.
Comme toujours, le Front national s'attaque à la création, à la diffusion de la culture et appelle de ses voeux un repli communautaire. Les stratégies totalitaires ou fascistes commencent par la domination des esprits, la remise en cause de la liberté d'expression, la suppression d'une culture ouverte et d'une création vivante.
Les artistes et les professionnels de la culture sont aujourd'hui en première ligne, aux côtés des élus républicains de toutes tendances, pour défendre la liberté fondamentale que représente ce droit à la culture qu'André Malraux a particulièrement illustré en son temps.
Des comités de vigilance ont été créés dans de nombreuses régions sur l'initiative des femmes et des hommes de culture. Ma collègue la ministre de la culture et de la communication a installé auprès d'elle un comité national de vigilance, constitué d'artistes ou de professionnels de la culture exerçant dans les régions Languedoc-Roussillon, Picardie, Bourgogne et Rhône-Alpes, d'artistes contemporains s'inspirant des traditions et des identités régionales et d'artistes de grande renommée qui ont souhaité appuyer sa démarche de vigilance.
Ce comité de vigilance aura une fonction d'observatoire, relayant auprès de la ministre toutes les informations concernant les mises en cause ou les attaques contre la création et la culture, ainsi qu'une fonction de réflexion et de proposition, pour riposter à ces attaques.
Le principe de l'égal accès de tous à la culture est inscrit dans notre Constitution. Aux côtés de l'Etat, les élus républicains ont contribué, depuis des années, à bâtir un formidable réseau de création et de diffusion.
Contre les tenants du repli et de l'exclusion, le Gouvernement réaffirme sa volonté d'inscrire le développement de la culture et de la création contemporaine au titre de ses priorités. Comme il l'a fait à Vitrolles, à Orange ou à Châteauvallon, comme il le fera demain dans d'autres régions si cela se révélait nécessaire, l'Etat protégera la liberté de la diffusion culturelle et les créateurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE.)

PRIVATISATION DU CRÉDIT LYONNAIS

M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Ma question, qui s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ou à M. le secrétaire d'Etat au budget, porte sur le Crédit Lyonnais. (Exclamations sur de nombreuses travées.)
Je souhaite, tout d'abord, souligner les évolutions notables des positions du Gouvernement en ce qui concerne la privatisation du Crédit lyonnais.
En effet, en 1997, le Premier ministre déclarait que la privatisation éventuelle serait examinée « le moment venu ». Puis le ministre de l'économie et des finances déclarait à son tour : « La privatisation du Crédit Lyonnais n'est pas à l'ordre du jour. » Enfin, depuis le début de l'année 1998, nous voyons s'exprimer des propos différents. Hier, le 22 avril 1998, M. Strauss-Kahn annonçait « une privatisation avant la fin 1999, sans démantèlement ».
Je souligne, à ce propos, la manière quelque peu sinueuse avec laquelle le Gouvernement traite les questions de privatisation, pour en arriver sans doute à des points de vue réalistes qu'il aurait mieux valu prendre en compte dès le départ.
Toutefois, plus concrètement, s'agissant de ce processus de privatisation, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser plusieurs questions.
Compte tenu des directives de la Commission de l'Union européenne, que va-t-il se passer en ce qui concerne le périmètre de ce groupe et les cessions de filiales ou d'actifs auxquelles il va être contraint ?
Pouvez-vous nous confirmer que la cession d'une centaine de milliards de francs d'actifs en Asie et en Amérique, s'ajoutant à la disparition future d'un quart du réseau d'agences du Crédit Lyonnais en France, a été demandée par la Commission de l'Union européenne ? Pouvez-vous nous en dire plus sur la manière dont ses directives seront exécutées ?
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, ayant observé que des accords de partenariat étaient en train de se nouer à l'heure actuelle entre la direction générale du Crédit lyonnais, d'une part, et le groupe allemand Allianz d'autre part, groupe d'assurances bien connu, notamment pour la distribution de produits d'assurances, et ayant noté que le président du Crédit lyonnais était appelé à siéger au conseil d'administration d'AGF, maintenant filiale d'Allianz, je vous pose une autre question : le Gouvernement pourra-t-il mener cette privatisation en toute liberté, d'un côté, vis-à-vis de la Commission de l'Union européenne, et de l'autre, vis-à-vis de la propre direction générale du Crédit lyonnais ? Celle-ci n'est-elle pas en quelque sorte en train de vous placer devant un fait accompli en vous indiquant tout naturellement la voie à suivre lorsque le patrimoine public devra être cédé ?
En résumé et en conclusion, pouvez-vous nous dire quelle sera votre liberté de manoeuvre pour mener à bien cette privatisation du Crédit lyonnais ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, l'attitude du Gouvernement en ce qui concerne le Crédit Lyonnais n'a pas fluctué.
L'objectif du Gouvernement, et ce dès le début du mois de juillet 1997, se résume par quatre mots : transparence sur les pertes du passé - il y avait à faire - plein exercice de la justice, rigueur dans la gestion du CDR, confiance dans le redressement du Crédit Lyonnais d'aujourd'hui.
Le plan de 1995, auquel vous avez fait allusion, souffrant, hélas ! de beaucoup d'imperfections, il a fallu le renégocier et le Gouvernement s'y est employé.
Je voudrais vous dire d'emblée, monsieur le sénateur, que, sur ce sujet, qui est un sujet grave, chacun doit rester calme et faire preuve de responsabilité politique, juridique et financière. Et je ne fais pas là allusion à la Haute Assemblée, bien évidemment. (Ah ! sur les travées du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Ça change !
M. Christian Sautter secrétaire d'Etat. Toute évocation d'une mise en faillite est bien sûr hors de propos. Il est clair que le Crédit Lyonnais s'est nettement redressé depuis 1995 et que l'Etat soutiendra, en tant que de besoin, ce redressement par tous les moyens appropriés. Les clients, les contreparties et les partenaires ne courent donc aucun risque.
Pour répondre précisément à votre question, je vous dirai que la discussion avec la Commission européenne n'est pas achevée. La France a répondu point par point aux demandes de la Commission et elle a pris des engagements précis, d'une ampleur considérable : un montant de contreparties, double de celui de 1995 ; un engagement de privatisation respectueux de l'intérêt de l'entreprise et, ce qui est nouveau, de ses salariés ; une aide d'Etat réduite au strict minimum en durée et en niveau.
J'en viens à votre seconde question, monsieur le sénateur. Des engagements supplémentaires remettraient en cause la viabilité du Crédit Lyonnais et iraient au-delà de l'effort ultime qu'il est possible de consentir. Des contreparties plus importantes, comme l'abandon de toute présence sur les grandes places bancaires européennes, menaceraient le redressement de la banque. De même, l'obligation de procéder dans de brefs délais à une cession de gré à gré en affecterait fortement les conditions de cession.
Je vous confirme que la France doit rester libre de déterminer les conditions de la privatisation à laquelle elle s'était engagée afin de défendre les intérêts du contribuable.
La viabilité du Crédit Lyonnais constitue un objectif incontournable aussi bien pour la Commission européenne, qui ne peut approuver une aide publique que si celle-ci garantit la viabilité de l'entreprise, que pour le Gouvernement pour lequel elle constitue un enjeu économique et social majeur du point de vue des intérêts nationaux et sur lesquels il n'est pas possible de transiger.
En conclusion, monsieur le sénateur, c'est dans ce cadre que le Gouvernement mettra à profit les prochaines semaines pour parvenir à une solution équilibrée avec la Commission européenne, conforme à la bonne gestion du patrimoine public dans le respect des règles communautaires, dans le respect des intérêts de l'entreprise, qui se redresse, et dans le respect de ses salariés. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

CONSÉQUENCES DU GEL DANS LE MIDI

M. le président. La parole est à M. Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre de l'agriculture, c'est un nouveau coup du sort qui vient de frapper le monde agricole avec les terribles gelées des vignobles et des arbres fruitiers, et c'est une véritable catastrophe économique et sociale qui vient de s'abattre sur le Languedoc, plus précisément sur les départements de l'Aude, de l'Hérault, du Gard, des Pyrénées-Orientales, mais aussi sur la vallée du Rhône, dans la Drôme.
L'importance du désastre est immense et les dégâts se chiffreront en milliards de francs de pertes de recettes anéantissant ainsi l'économie entière de régions ravagées par un cataclysme sans précédent.
L'impact est terrible, monsieur le ministre, et le traumatisme particulièrement violent. Les populations concernées, plongées dans le désarroi et l'incertitude des lendemains, en appellent à la solidarité nationale face à un sinistre qui, comme chacun le sait, ne correspond pas à un risque assurable, ce qui imposera de prendre sans délai des dispositions législatives permettant aux assureurs de couvrir le risque lié au gel.
Mais pour l'heure, monsieur le ministre, nous sommes tous interpellés en urgence, et des réponses à très court terme sont attendues : réponses fiscales, réponses sociales, réponses bancaires, bref des réponses adaptées, ajustées, significatives et exceptionnelles, car nous sommes bien, de par l'ampleur des ravages, dans une situation hors normes.
C'est ainsi que, s'agissant de la reconnaissance du caractère de calamité agricole qui débouchera sur des aides directes, il nous faut anticiper, monsieur le ministre, sur les procédures normales. La survie et la pérennité des exploitations, les enjeux économiques et sociaux commandent en effet d'agir en extrême urgence, avec le versement des premières aides à la date normale des récoltes. De même, il convient de prendre des dispositions exceptionnelles en faveur de ceux parmi les sinistrés qui ont été frappés plusieurs fois au cours de ces dernières années.
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur le sénateur.
M. Roland Courteau. L'ampleur du désastre économique frappant l'ensemble de la filière impose d'agir vigoureusement et sans attendre. La nécessité de rassurer ceux qui sont à l'origine du renouveau de la viticulture l'exige également.
Monsieur le ministre, au travers d'un dispositif que nous souhaitons efficace et ajusté, nous vous demandons d'envoyer dès aujourd'hui, à ces femmes et à ces hommes plongés dans le désarroi, un message fort de soutien et de solidarité effective afin que, demain, aucun d'entre eux ne succombe à la tentation de baisser les bras. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. C'est effectivement, monsieur le sénateur, une situation hors normes que traversent, depuis le gel du 13 avril dernier, de nombreuses régions arboricoles et viticoles du sud-est de la France.
Dès que j'ai eu connaissance des graves conséquences que cela entraînait sur les vignobles et sur les vergers, j'ai demandé à l'un de mes conseillers techniques d'aller sur place. Il a pu se rendre dans la Drôme dès samedi, et vous l'avez rencontré avec les représentants de la profession et ceux de l'Etat dans votre département.
Il m'a fait part sur-le-champ de l'importance de ce sinistre, et j'ai immédiatement demandé que des expertises précises soient faites.
Concernant l'arboriculture et le maraîchage, j'ai reçu personnellement une délégation de professionnels dès mon retour du conseil des ministres européens de l'agriculture, mardi soir.
J'ai confirmé que la solidarité nationale jouerait, à cette occasion, à un niveau et selon des modalités adaptés à la gravité du sinistre.
Ainsi que vous le souhaitiez, je me suis donné l'objectif de mettre en place un dispositif de versement des indemnités de calamités qui se traduirait par un paiement au moment où, s'ils n'avaient pas subi le gel, les professionnels auraient pu vendre leur production.
J'ai confirmé, par ailleurs, que certaines mesures d'urgence, je pense aux aides à la trésorerie, aux mesures de report ou de différé de charges fiscales, financières et sociales, seront mises en place et annoncées dès la semaine prochaine, le 28 avril.
Pour cette filière arboricole et maraîchère, ces mesures d'urgence seront complétées par des mesures structurelles dont nous débattrons au cours de la table ronde du 15 mai sur l'avenir de la filière fruits et légumes.
En ce qui concerne la viticulture, tout semble indiquer que le département de l'Aude a été particulièrement touché, mais il n'est pas le seul.
Je souhaite bien entendu que la même procédure soit mise en oeuvre pour les vignerons sinistrés, et qu'ils puissent, eux aussi, bénéficier de leurs premières indemnités au moment où ils espéraient encaisser le bénéfice de revenus issu de la vente de leur vin, c'est-à-dire au début de l'année 1999.
Bien entendu, pour le cas particulier des agriculteurs victimes plusieurs fois de suite d'un tel sinistre, des mesures spécifiques seront trouvées et il a été convenu qu'un groupe spécial de travail sur la viticulture serait mis en place.
J'ajoute que je suis, bien évidemment, conscient des difficultés induites en aval de la filière, notamment pour les coopératives viticoles, fruitières et légumières, qui sont le prolongement direct des exploitations et dont le rôle est essentiel. C'est leur pérennité qui, peut-être, est dans certains cas, en cause. Je suis donc décidé à trouver les moyens de les accompagner pour passer ce cap difficile.
Je voulais tout simplement redire ici la double détermination du Gouvernement à trouver des réponses rapides et efficaces mais aussi, par-delà la conjoncture, à préparer des mesures plus structurelles pour un secteur qui mérite bien cette double attention. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

INTERDICTION DU FILET MAILLANT DÉRIVANT

M. le président. La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation.
Le 8 juin prochain, le conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne se réunit et doit se prononcer sur l'interdiction totale du filet maillant dérivant pour la pêche au thon blanc dit thon germon.
L'activité de nombreux ports vendéens et bretons dépend directement de cette technique du filet dérivant ; permettez-moi de citer l'île d'Yeu, premier port thonier français.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, les pêcheurs ont, depuis dix ans, consenti des sacrifices pour se conformer aux évolutions des règles internationales dans ce domaine, c'est-à-dire que les filets ne dépassent pas 2,5 kilomètres et que la pêche est étroitement surveillée et les pratiques contrôlées dans le cadre communautaire.
M. Charles Pasqua. Mais que fait la police ? (Sourires.)
M. Louis Moinard. « Rien ne justifie d'aller au-delà des décisions prises par les Nations unies. Si l'Europe persistait à vouloir liquider ce métier, elle me trouverait comme un opposant totalement déterminé à cette mesure », déclariez-vous, monsieur le ministre, à l'issue de la rencontre que vous avez eue le 22 janvier avec une délégation de pêcheurs au filet maillant dérivant du Comité national des pêches.
A la veille du conseil des ministres de la pêche de l'Union européenne, nous ne disposons plus d'une minorité de blocage. Il est donc indispensable soit de faire revenir les Britanniques sur leur position, soit d'entraîner d'autres partenaires à nos côtés. Il existe, vous le savez, des contacts entre les pêcheurs français et leurs homologues des pays de l'Union européenne, dont la Belgique et le Danemark.
Dès lors, pouvez-vous, monsieur le ministre, faire état devant la Haute Assemblée des négociations en cours et réaffirmer la position de la France ?
Nous devons, tous ensemble, nous opposer à une mesure discriminatoire qui retirerait l'instrument de travail à nos pêcheurs dynamiques et courageux. Une telle injustice ne doit pas exister ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, depuis le début de l'année, je me suis fortement mobilisé avec la profession contre l'interdiction du filet maillant dérivant. Cette proposition communautaire ne repose en effet que sur des considérations politiques afin de satisfaire une partie de l'opinion publique et n'est aucunement justifiée tant au plan scientifique qu'au regard de nos obligations internationales.
Le Royaume-Uni, qui assure actuellement la présidence du Conseil de l'Union européenne, comptait aboutir sur ce dossier le 24 mars, lors du dernier conseil européeen des ministres de la pêche, sans tenir compte des conséquences socio-économiques très lourdes qu'entraînerait une interdiction, singulièrement pour les pêcheurs de l'île d'Yeu.
La forte mobilisation de la France, de ses professionnels mais aussi de son gouvernement, a donc permis d'éviter une décision brutale lors de ce conseil, mais, comme vous l'indiquez, monsieur le sénateur, les débats ont clairement montré qu'une majorité qualifiée était d'ores et déjà réunie pour interdire le filet maillant dérivant. Nous avons pu obtenir que le vote n'ait pas lieu. Nous avons aussi noté que les conditions avaient été réunies pour que la minorité de blocage ne puisse plus exister.
J'ai bien l'intention de continuer à m'opposer résolument à la proposition qui nous est soumise et je maintiens des contacts étroits avec mes homologues des autres Etats membres et avec la Commission pour les convaincre du bien-fondé de la position française.
Il est bien clair que la France refusera de s'engager dans une logique de suppression de ce métier. Je compte d'ailleurs rencontrer, avant le prochain conseil du 8 juin, le président en exercice de l'Union européenne. Je veillerai, en tout état de cause, à défendre les intérêts des pêcheurs qui dépendent particulièrement de cette forme de pêcherie.
Aussi, dans la perspective de la décision qui sera adoptée le 8 juin, mon objectif est de définir, en étroite concertation avec les professionnels concernés, les conditions qui garantiront le maintien de leur activité et d'obtenir satisfaction sur celles-ci.
J'ai pleinement conscience de l'enjeu qui s'attache à cette négociation qui, ne nous le cachons pas, ne sera pas facile à mener à bien. Soyez assurés de ma totale détermination pour la mener à bien dans les meilleures conditions au bénéfice d'une activité de pêche dynamique, rentable, essentielle pour les régions qui en dépendent. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées de l'Union centriste.)

COÛT DE L'ÉLARGISSEMENT
DE L'UNION EUROPÉENNE POUR LA PAC

M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Ma question, vous voudrez bien m'en excuser, s'adresse également à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche. (Exclamations.)
M. Paul Raoult. C'est vraiment un excellent ministre !
M. Christian Bonnet. Mais, rassurez-vous, je ne parlerai pas du chou-fleur ! (Rires.)
A la faveur de l'élargissement programmé de l'Union européenne, de nouveaux membres, venus de l'Est, vont y entrer.
Leurs économies convalescentes vont en faire de grands consommateurs de fonds structurels, comme l'ont été et le sont encore les pays du Sud.
Au moment où s'amorcent les négociations pour une énième réforme de la politique agricole commune, ne redoutez-vous pas, monsieur le ministre, que la part du budget de l'Union consacrée à l'agriculture ne devienne - à l'instar de celle du budget de la défense dans celui de la France - la variable d'ajustement rêvée ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je remercie mon ami M. Christian Bonnet de la concision de sa question.
La parole est à M. le ministre.

M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, la France a marqué son attachement à l'élargissement de l'Union européenne. Cela n'exonère personne d'une extrême vigilance sur les coûts de cet élargissement, en particulier pour la PAC.
Le principe est simple : l'élargissement ne doit pas priver les agriculteurs des quinze actuels Etats membres des moyens nécessaires à la conduite de leurs activités.
La Commission européenne a, dans ses récentes propositions, présenté un chiffrage des implications budgétaires de l'élargissement pour la PAC. Elle estime ce coût, sur l'ensemble de la période s'étendant de 2000 à 2006, à 100 milliards de francs, qu'il s'agisse de l'aide préalable à l'adhésion ou des soutiens accordés aux nouveaux Etats membres.
En 2006, les dépenses liées à l'élargissement représenteraient, selon la Commission, 7 % du total des dépenses agricoles.
Il faut noter que l'essentiel du soutien envisagé pour les pays candidats porte sur les fonds structurels, soit 290 milliards de francs sur l'ensemble de la période.
Les évaluations de la Commission résultent de trois séries d'hypothèses : tout d'abord, d'un élargissement somme toute tardif, ce que l'on peut aisément imaginer ; ensuite, des périodes transitoires importantes pour les nouveaux adhérents ; enfin, des aides au titre de la PAC pour les agriculteurs des nouveaux Etats membres, peu élevées dès lors que les prix, dans les pays d'Europe centrale et orientale, les PECO, resteront plus faibles que dans les quinze Etats membres actuels.
Nous faisons cependant preuve d'une grande vigilance dans les négociations qui s'ouvrent, certains candidats ayant annoncé leur souhait de ne pas mettre en place de période transitoire et de bénéficier d'aides à l'agriculture identiques à celles qui sont accordées aux Quinze.
L'Union et, au premier chef, la Commission, devra faire preuve de prudence et conserver des marges pour faire face aux dépenses liées à la réforme de la PAC, aux dépenses imprévues du type de celles que nous avons mises en oeuvre au moment de la crise de l'encéphalite spongiforme bovine ainsi qu'aux coûts réels de l'élargissement avant et après 2006.
Cela devra se faire dans le cadre d'une incontournable discipline budgétaire qui s'imposera à l'ensemble du budget communautaire. C'est, je le sais, le légitime souci des parlementaires qui votent la contribution française au budget de l'Union. C'est aussi le souci croissant d'autres Etats membres contributeurs nets.
Je note à cet égard que d'importantes marges apparaissent sous la ligne directrice agricole vers les années 2005 et 2006 dans les propositions de la Commission. Certains en tirent la conclusion que la ligne directrice agricole n'aurait plus de raison d'être. Il n'en est rien, en raison des précautions budgétaires que nous devons prendre et que j'évoquais plus tôt.
Cela est d'ailleurs indissociable de la position du Gouvernement sur la réforme de la PAC. En donnant aux dépenses agricoles une assise et une légitimité accrues, nous garantirons d'autant plus la ligne directrice agricole, qui reste pour la France un principe intangible, et le financement de la PAC en faveur des agriculteurs français. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)

ASSASSINAT D'UN CHAUFFEUR ROUTIER

M. le président. La parole est à M. Taugourdeau.
M. Martial Taugourdeau. Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Dans la nuit du 14 au 15 avril, Alain Testu, chauffeur de poids lourd, a été assassiné alors qu'il dormait dans la cabine de son camion qui était stationné sur une aire de repos le long de la rocade de Chartres.
Monsieur le ministre, ce drame est la forme la plus tragique d'événements trop fréquents que sont les agressions de chauffeurs de poids lourd pendant leur repos.
Notre société a déjà fort à faire avec les nouvelles formes de violence, elle n'a pas besoin de voir resurgir le « banditisme de grands chemins » que l'on croyait disparu.
Ces agressions de conducteurs de poids lourd semblent être commises à l'occasion d'arrêts dans des aires de repos isolées et peu sûres, lors de pauses rendues obligatoires toutes les quatre heures par le règlement en vigueur.
Lorsque le couperet du repos obligatoire tombe, il semble que les chauffeurs n'aient pas toujours le choix de s'arrêter où ils le voudraient.
Monsieur le ministre, il ne s'agit pas de remettre en cause une réglementation dont on sait qu'elle a des vertus protectrices pour la sécurité de tous, des chauffeurs en particulier.
Toutefois, ne serait-il pas envisageable d'appliquer cette réglementation avec la souplesse nécessaire pour laisser le temps aux chauffeurs de rejoindre une aire de repos véritablement aménagée et plus sûre ?
Concrètement, il s'agirait, pour les forces de l'ordre - police ou gendarmerie - de faire preuve d'indulgence dans l'application de cette réglementation, en autorisant une marge de retard qui serait non plus de quelques minutes, comme c'est le cas actuellement, mais qui pourrait aller jusqu'à la demi-heure lorsque les chauffeurs pourraient justifier qu'ils se rendent à une aire de repos aménagée.
Monsieur le ministre, je me permets maintenant de vous demander de transmettre nos félicitations à vos services qui ont, semble-t-il, confondu rapidement les assassins d'Alain Testu.
Cependant, à terme, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que le Gouvernement pourrait étudier, le long des autoroutes et des routes nationales, les conditions d'aménagement d'espaces mieux protégés, en particulier gardés, comme c'est le cas dans certains pays européens ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, le fait dramatique auquel vous venez de faire référence, à savoir l'assassinat d'un chauffeur-routier, Alain Testu, tué de deux balles dans la tête le 15 avril 1998, vient en effet de trouver son épilogue sur le plan policier, puisque le commanditaire de l'acte, dénommé Picandet, a été interpellé dès le 21 avril et que les auteurs de l'acte ont été arrêtés le 22 avril au matin, c'est-à-dire hier. Il s'agit de Thierry N'Goala et de sa concubine Agnès Juguet. Ils seront présentés au juge Bruno Revel, juge d'instruction à Chartres, qui est chargé de cette affaire.
A travers ce tragique fait divers, se pose en effet la question de la multiplication d'actes de violence contre des chauffeurs-routiers avec comme claire finalité le vol du fret ou le vol du camion.
Nous n'en sommes pas revenus au temps des diligences, mais la multiplication de ces faits a depuis longtemps attiré l'attention des services de police et de gendarmerie qui adaptent leur action en conséquence.
Une attention soutenue est ainsi portée à la surveillance des aires de stationnement et des stations-service par les différentes forces de police ou de gendarmerie.
Comme vous le savez, ce sont à la fois le service central des CRS à travers ses formations motocyclistes, la brigade centrale de répression des trafics de la direction centrale de la police judiciaire et les services régionaux de police judiciaire qui suivent ces affaires.
Plusieurs opérations ont été lancées. C'est ainsi que, en 1995, 200 camions ont été récupérés par la brigade centrale de répression des trafics.
C'est ainsi également que, en 1997, l'opération « fret-91 », où plus de trois cents gendarmes sont intervenus, a permis d'interpeller cinquante-neuf personnes et de récupérer deux cents mètres cubes de marchandises diverses.
Depuis le début de l'année 1997, quatre-vingt-dix-huit personnes ont été interpellées pour des attaques à main armée ou pour avoir excipé de fausses qualités au préjudice des transporteurs routiers.
Le problème primordial, c'est donc de la prévention. Certaines expériences ont été menées ; elles ont porté leurs fruits. C'est ainsi que la SEÏTA a équipé ses véhicules de balises Argos.
Par ailleurs, nous avons entrepris une concertation avec les professionnels. Plusieurs propositions déjà avancées par le passé pourraient être reprises.
Elles visent, tout d'abord, à organiser le transport des marchandises sensibles en sélectionnant les chauffeurs, en choisissant les itinéraires, en assurant un maximum de discrétion sur la nature des marchandises transportées.
Elles ont ensuite pour objet d'améliorer la coordination au moment des chargements et des déchargements de marchandises. En effet, les délais importants sont souvent mis à profit par les agresseurs.
Elles consistent encore à marquer, à l'aide de puces électroniques, des échantillons de marchandises afin de pouvoir localiser ceux-ci rapidement. Nous avons d'ailleurs besoin de l'impulsion des assureurs pour aller dans ce sens.
Enfin, elles portent sur la création de parcs de stationnement réservés exclusivement pour les poids lourd et gardés. Je crois savoir que, grâce à cette méthode, l'Italie a réussi à endiguer un phénomène qui a pris dans ce pays des proportions encore plus impressionnantes.
Monsieur le sénateur, vous sollicitez l'indulgence des services de police s'agissant des pauses obligatoires. Sachez qu'elle est bien évidemment acquise aux chauffeurs de poids lourds, à condition que les retards ne dépassent pas la demi-heure.
Enfin, il s'agit, en cas d'agression ou de vol, de sensibiliser les chauffeurs et les employeurs à une information rapide des services de police et de gendarmerie, condition indispensable pour que nous puissions répondre efficacement à ce type de délinquance spécifique. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)

ACCORDS DE NOUMÉA

M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. C'est à vous, monsieur le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, que j'ai l'intention d'adresser ma question.
Comment parler de la Nouvelle-Calédonie sans évoquer d'abord le drame d'Ouvéa, la mémoire des Français Kanaks et des gendarmes de métropole dont la mort tragique avait ému l'ensemble du pays, ainsi que l'odieux assassinat de l'homme de paix et de dialogue qu'était Jean-Marie Tjibaou.
Après tant de violences et de passions exacerbées, le gouvernement de Michel Rocard avait réussi à réunir, pour dialoguer, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, ainsi que les forces politiques calédoniennes en vue d'aboutir à ce que l'on a appelé les « accords de Matignon ».
Ces accords ont permis aux Calédoniens de connaître dix ans de paix, de reconnaissance mutuelle, de fraternité retrouvée. Des négociations, certes difficiles, mais finalement fructueuses, ont abouti dans les domaines identitaire, économique, social et culturel. Obtenue tout dernièrement, sous l'impulsion de M. le Premier ministre, la levée du préalable minier assurera le développement économique de la province Nord.
L'engagement personnel de M. le Premier ministre, votre remarquable travail, monsieur Queyranne, de même que la volonté des forces politiques de construire un avenir dans un destin commun ont abouti aux récents accords de Nouméa. Comment ne pas s'en réjouir ?
Sur les bases d'une citoyenneté reconnue de la Nouvelle-Calédonie, un nouveau statut doit être élaboré. Le temps presse, puisque la consultation référendaire doit intervenir avant la fin de cette année 1998. Monsieur le secrétaire d'Etat, pourriez-vous nous préciser le calendrier ainsi que la méthode mise en oeuvre pour associer, comme promis, l'ensemble des forces politiques du territoire ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les dix années qui viennent de s'écouler, marquées par le drame d'Ouvéa, mais aussi par les accords de Matignon, voulus par le gouvernement de M. Michel Rocard.
Ces accords de Matignon ont permis d'amener en Nouvelle-Calédonie une période de paix, de développement, de partage des responsabilités entre toutes les communautés qui y vivent, et d'abord entre la communauté kanake et la communauté européenne.
Vous savez que les accords de Matignon prévoyaient l'organisation d'un référendum d'autodétermination avant le 31 décembre 1998, référendum prévu par l'article 53 de notre Constitution.
Dès 1991, M. Lafleur, président du RPCR, évoquait la possibilité d'éviter ce référendum d'autodétermination, référendum couperet - puisque la réponse, qu'elle soit « oui » ou « non », aurait conduit à diviser la Nouvelle-Calédonie à nouveau en deux camps - en préconisant une solution consensuelle à laquelle le FLNKS se ralliait, mais il restait encore à élaborer une telle solution.
Après la question minière, qui a été réglée au début du mois de février de cette année, nous avons entrepris des discussions bilatérales et trilatérales avec les deux partenaires historiques des accords de Matignon, le RPCR et le FLNKS.
C'est le 24 février que le Premier ministre, M. Jospin, a ouvert ces discussions, qui se sont poursuivies à Paris et à Nouméa, de façon à parvenir à rapprocher des points de vue qui, au départ, vous le savez tous, étaient éloignés.
Ces discussions, je crois, ont contribué à trouver un point d'équilibre entre les aspirations des deux communautés qui s'est traduit par un document qu'on appelle « les accords de Nouméa ». Ce document est important sur le plan non seulement du volume - dix-huit pages - mais aussi des perspectives qu'il trace pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
J'avais été très frappé en me rendant en Nouvelle-Calédonie par cette incertitude qui régnait : qu'allait-il se passer pour les populations après 1998 ? Cette incertitude était, évidemment, lourde pour les choix à effectuer en matière d'investissement, de formation des jeunes, pour toutes les décisions qui concernent la vie des populations.
Au travers de ce document, nous avons reconnu, dans un préambule, la place de l'identité kanake, qui a d'abord été mutilée en raison des événements de la colonisation, mais qui doit maintenant être remise au coeur du développement de la Nouvelle-Calédonie.
Nous avons également reconnu que les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie doivent essayer de construire un avenir partagé.
Dans le document de Nouméa figurent des orientations fortes en matière d'organisation institutionnelle, de développement économique et social, avec la perspective, vous le savez, de l'organisation d'un nouveau référendum d'ici à vingt ans ou peut-être, si le congrès en décide autrement, dans une période de quinze à vingt ans, entre 2013 et 2018.
Au cours de cette période de quinze à vingt ans, nous assurerons les transferts de souveraineté et de compétences, sachant que, à la fin de cette période, l'Etat conservera uniquement ce que l'on appelle les compétences régaliennes, c'est-à-dire l'ordre public, la défense, la monnaie, la justice, les relations internationales.
Les transferts de compétences devront s'accompagner - il me paraît important, en effet, de préparer les femmes et les hommes à assumer le destin du pays - d'un important effort de formation, de rééquilibrage économique et de développement social.
Tel est l'esprit des accords de Nouméa. Nous aurons, bien sûr, sur le plan législatif, parlementaire, un important travail à réaliser.
D'abord, nous examinerons un projet de loi constitutionnelle que M. le Premier ministre soumettra à M. le Président de la République, puisque c'est ce dernier qui engage les procédures en matière de révision constitutionnelle. Vous savez que M. le Président de la République a accueilli favorablement cette démarche. Ce projet de loi constitutionnel permettra d'aborder un certain nombre d'aspects fondamentaux concernant l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Ensuite, un projet de loi, probablement organique, fixera le nouveau régime des institutions. C'est un travail qui nous occupera, je pense, d'ici à l'automne.
Enfin seront soumises à référendum - cette solution consensuelle - les dispositions organiques autorisées par la révision constitutionnelle, dispositions qui préciseront l'organisation de la Nouvelle-Calédonie.
Si ces dispositions étaient favorablement accueillies par le Parlement et par le corps électoral en Nouvelle-Calédonie, il y aurait ensuite en 1999...
M. Jacques Machet. C'est trop long !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. ... la mise en place de nouvelles institutions.
M. le président. Je vous demanderai de bien vouloir conclure, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat. Tel est l'esprit des accords de Nouméa et le calendrier prévu. Je souhaite qu'à travers ces démarches que nous aurons à entreprendre tous ensemble nous tracions, pour la Nouvelle-Calédonie, l'avenir de paix et de développement qu'ont voulu définir à Nouméa les communautés membres par le biais de leurs principales formations politiques. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hyest et Lanier applaudissent également.)

COMPENSATION DES CHARGES
LIÉES À LA VISITE PRÉANESTHÉSIQUE

M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la consultation du patient à distance de son intervention chirurgicale fait partie des obligations imposées par le décret n° 94-1050 du 5 décembre 1994 aux anesthésistes-réanimateurs. La charge supplémentaire qui en découle, en matière d'effectifs - secrétaires, infirmières-anesthésistes - et de temps devait recevoir une contrepartie financière qui leur est maintenant refusée. A contrario, le remboursement des sommes indûment perçues pour ces consultations cotées CS leur est demandé.
La profession des anesthésistes-réanimateurs nécessite un sens aigu des responsabilités, une participation dans de multiples commissions - hémovigilance, matériovigilance, pharmacovigilance. Son exercice comporte des risques. Les compagnies d'assurances hésitent maintenant à conclure des contrats avec les anesthésistes. Il implique aussi des contraintes lourdes, telles la permanence des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une exigence de qualité sans concession, une obligation de résultat, et non plus de moyens comme dans d'autres spécialités médicales, ainsi qu'un devoir d'information du patient.
Les effectifs des anesthésistes-réanimateurs sont loin d'être pléthoriques, la non-revalorisation des actes démobilise beaucoup d'entre eux, qui changent de spécialité ou partent pour l'étranger. Le décret du 5 décembre 1994 n'est pas applicable sur le plan démographique ; le manque de temps, la surcharge de travail et les difficultés de financement desservent également ses objectifs.
Nous connaissons, monsieur le ministre, votre attachement à cette branche. Votre ministère envisage-t-il de prendre des mesures à titre compensatoire pour la surcharge de travail et les effectifs auxiliaires générés par les dispositions du décret précité ? (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, oui les anesthésistes ont de lourdes obligations. Ils sont l'honneur de la profession ! Oui, il faut assurer la sécurité des malades ! Mais, vous avez raison, les anesthésistes sont peu nombreux et beaucoup sollicités.
Monsieur le sénateur, le décret que vous avez mentionné est exact mais, depuis, la Cour de cassation a tranché le litige qui a longtemps opposé des anesthésistes-réanimateurs libéraux exerçant en clinique aux caisses d'assurance maladie.
La situation est désormais claire.
Un patient qui doit subir une intervention chirurgicale bénéficie d'une consultation préanesthésique approfondie avec l'anesthésiste dans les quelques jours qui précèdent l'intervention, puis d'une autre visite préanesthésique quelques heures avant l'opération.
La première consultation est rémunérée, comme une consultation de spécialiste habituelle, selon la cotation prévue à la nomenclature CS ; la seconde est comprise dans la rémunération de l'acte d'anesthésie pratiqué pour l'intervention chirurgicale. Comme vous le savez, la rémunération des anesthésistes-réanimateurs est fonction de la cotation de l'acte chirurgical effectué, c'est-à-dire en fonction de la gravité de l'intervention.
Ce point de droit étant dorénavant clarifié par la Cour de cassation, je comprends que ces deux visites devenues obligatoires pèsent lourdement mais, pour le patient, elles sont indispensables. En effet, si elle grèvent l'emploi du temps de l'anesthésiste, elles rassurent le patient et assurent plus de sécurité, ce qui est l'objectif !
Mais vous avez raison, on sollicite souvent l'anesthésiste, notamment pour la matériovigilance, la pharmacovigilance, pour le SAMU, les urgences. Cette profession détient ce que l'on appelle le « record de pénibilité ». Il est, en effet, fatigant de prendre des gardes.
Vous le savez, nous formons autant d'anesthésistes que la Belgique ; depuis 1988, tous les CES ont disparu ; nous en formons de moins en moins et un Land allemand en forme autant que nous dans l'année. Voilà où nous en sommes.
Que faire devant ce constat ? D'abord, il faut transformer la formation initiale. Nous nous y employons avec Claude Allègre. C'est un travail de longue haleine.
Surtout, monsieur le sénateur, il nous faudra réformer le concours de l'internat afin que l'on puisse susciter des vocations d'anesthésiste, qui disparaissent en raison du caractère pénible de l'emploi, et ainsi recruter les anesthésistes dont le pays a besoin.
Enfin, il faudra quand même un jour se poser le problème des rémunérations. Nous avons entamé des discussions à ce propos avec les syndicats de praticiens hospitaliers. Il faut revaloriser le statut de praticien hospitalier sinon des vocations se détourneront de l'hôpital public et se porteront sur les cliniques privées, où, malgré les difficultés, les salaires sont de trois à quatre fois supérieurs.
Ce chantier est devant nous, monsieur le sénateur, et nous y sommes très attentifs. Il faut savoir, vous qui défendez très souvent les hôpitaux de proximité, que s'il n'y a pas d'anesthésistes, il n'y a plus de services hospitaliers, plus de chirurgie, plus de maternité. Il est donc essentiel, pour défendre notre structure et sa densité, de développer ces vocations. (Applaudissements.)

PROJET DE BUDGET POUR 1999

M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question porte sur la préparation du projet de budget pour 1999. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Notre collègue Chrisitian Poncelet, président de la commission des finances, n'eût pas manqué de la poser s'il n'avait été retenu par une réunion de la commission mixte paritaire sur la Banque de France.
Le Premier ministre a décidé de « lâcher la bride » sur les dépenses publiques, qui devraient progresser l'année prochaine d'un point de plus que l'inflation, soit de 2,2 %.
Cette orientation contredit à l'évidence les plus récentes analyses de la Banque de France, qui constate que « la poursuite de la consolidation budgétaire devrait, à l'avenir, passer par la réduction de la dépense publique ».
Autre autorité, contre l'analyse de laquelle va la politique préconisée par le Gouvernement, l'Institut monétaire européen, qui, dans son dernier rapport, préconise « de nouveaux progrès substantiels en matière d'assainissement des finances publiques ».
Selon les statistiques de la Commission européenne, la France est le plus mauvais élève avec un déficit structurel, c'est-à-dire hors effet de la croissance, de 2,6 % du produit intérieur brut, pour une moyenne communautaire de 1,7 %.
Pour le moment, le Gouvernement repousse, grâce au retour de la croissance, toute action volontariste, pourtant indispensable, sur les dépenses structurelles des administrations.
De plus, la France est le pays européen où le besoin de financement des administrations publiques est le plus élevé parmi les onze pays qui seront qualifiés pour l'euro dans quelques jours.
Dans ces conditions, pouvez-vous nous indiquer comment la France parviendra à concilier ses engagements européens en adoptant une politique budgétaire contraire à celle de ses principaux partenaires ? Comment la France, en mettant en place une telle politique, peut-elle espérer parvenir rapidement à l'équilibre budgétaire, voire à un excédent, tel que cela est préconisé par le pacte de stabilité, auquel elle a elle-même adhéré ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, M. Dominique Strauss-Kahn aurait aimé répondre à cette question que le président Poncelet aurait pu lui poser.
Pour vous répondre, permettez-moi de faire un bref retour en arrière.
A un moment, la France fut clairement en queue du peloton européen, c'était l'été dernier. (Exclamations sur les travées du RPR), au moment où les perspectives de déficit indiquées par des experts tout à fait indépendants, sans parler du Premier ministre sortant lui-même, étaient de 3,5 % à 3,7 % du produit intérieur brut.
M. Jean Chérioux. Héritage de Bérégovoy !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Paix à son âme !
Grâce aux efforts qu'elle a consentis, la France a retrouvé, d'une part, le chemin de la croissance et, d'autre part, celui d'un équilibre de ses finances publiques compatible avec son entrée dans le groupe de l'euro.
M. Alain Vasselle. Ce n'est pas grâce à vous !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Pour l'année 1998, la Haute Assemblée a eu l'occasion d'examiner le budget et de le critiquer sur certains points. Pour l'année 1999, nous allons poursuivre la même politique sous l'égide d'une autorité qui n'est peut-être pas celle de la Banque de France, qui n'est peut-être pas celle de l'Institut monétaire européen, mais qui est celle du peuple telle qu'il l'a exprimée au mois de juin dernier.
M. Claude Estier. Très bien !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous allons donc continuer à soutenir la croissance. Nous allons continuer à lutter contre les exclusions et les plaies sociales de notre pays. Nous allons continuer à utiliser une partie des fruits de la croissance revenue pour réduire nos déficits.
Je veux maintenant citer quelques chiffres.
Le solde des administrations, c'est-à-dire Etat - sécurité sociale, qui était de 3 % en 1998, descendrait à 2,3 % en 1999. C'est un progrès tout à fait sensible, mais c'est aussi un progrès qui écarte les deux risques du rigorisme et du laxisme, comme l'a dit le Premier ministre.
Les dépenses publiques croîtront effectivement de 1 % en francs constants, c'est-à-dire à un taux sensiblement inférieur à celui de la croissance de la richesse nationale, qui est de 3 %.
Cela nous permettra, en procédant en plus à quelques redéploiements, de financer les priorités du Gouvernement qui, me semble-t-il, sont celles de la nation : l'éducation, la recherche, l'emploi, la lutte contre l'exclusion, la justice, la sécurité, la culture, bref tout ce qui concourt à rendre la vie quotidienne de nos concitoyens meilleure qu'elle ne l'était voilà quelques années. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

5

PASSAGE À LA MONNAIE UNIQUE

Adoption d'une résolution d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la résolution rectifiée (n° 401, 1997-1998), adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation en application de l'article 73 bis , alinéa 8, du règlement, sur la recommandation de la Commission en vue d'une recommandation au Conseil relative au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (n° E 1045). [Rapport n° 382 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous engageons cet après-midi le débat sur le texte devant devenir la résolution du Sénat sur les modalités du passage à la monnaie unique.
Cette résolution est le résultat des travaux que la commission des finances a menés à partir de trois propositions.
L'une émane de M. Claude Estier et des membres du groupe socialiste et apparentés ; une autre émane de M. Xavier de Villepin, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ; la dernière émane de Mme Marie-Claude Beaudeau et des membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces propositions de résolution portent une appréciation sur la recommandation, adoptée par la Commission européenne le 25 mars, relative au passage à la troisième phase de l'Union économique et européenne.
Cette recommandation a été présentée à la commission des finances du Sénat par M. Yves Thibault de Silguy dès le 26 mars. Elle tend à proposer au Conseil de l'Union européenne de décider que onze Etats membres réunissent les conditions pour adopter l'euro dès le 1er janvier 1999.
Permettez-moi de rappeler la procédure et le calendrier.
Les ministres de l'économie et des finances se réuniront le 1er mai sur cette recommandation, qui sera soumise dès le lendemain aux chefs d'Etat et de Gouvernement.
Que souhaitons-nous que le Gouvernement dise, ou fasse, lors de ces deux réunions européennes ? Telle est la question qui est aujourd'hui posée au Sénat.
Comme on l'a rappelé hier, il ne s'agit plus de nous prononcer sur le principe de l'adoption de l'euro. Nous ne sommes saisis que d'une modalité d'application du principe selon lequel, en janvier 1999, l'euro deviendra la monnaie de onze des quinze Etats signataires du traité de l'Union européenne.
Sur le fond, la question centrale qui nous est posée est donc de savoir si cette suggestion est raisonnable et justifiée.
Cela n'interdit pas, à l'évidence, d'évoquer, pour les uns, les bienfaits de l'euro et, pour les autres, ses méfaits. Mais rappelons que cette confrontation légitime des points de vue ne sera pas opératoire dans le processus dont nous débattons aujourd'hui.
Cependant, sachant que ce débat ne sera pas évité, je ne souhaite pas non plus l'éluder.
Je voudrais donc évoquer deux des critiques le plus souvent entendues : d'une part l'euro serait le symbole d'une Europe monétariste, indifférente à la croissance et à l'emploi ; d'autre part il ferait perdre à la France sa souveraineté monétaire.
Sur le premier point, il me semble utile de rappeler ce pour quoi les Français ont voté et donc ce qui est contenu dans l'article 2 du traité de Maastricht. Le Premier ministre a dit avant-hier que l'euro n'était pas une fin en soi. Ce n'est ni une découverte ni une innovation. Je cite l'article 2 du traité pour vous laisser en juger :
« La Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une union économique et monétaire et, par la mise en oeuvre de politiques ou d'actions communes, de promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l'ensemble de la Communauté, une croissance durable et non inflationniste, respectant l'environnement, un haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres. »
Les détracteurs de l'euro en exagèrent sûrement les périls et risquent d'inquiéter les Français sur un projet qui sert pourtant à la fois leurs intérêts et leur attachement à l'Europe.
Sur le second point, attentif aux leçons de l'histoire, je pense qu'il n'est pas exact de dire qu'en adoptant l'euro nous aliénons notre souveraineté monétaire.
Qu'est-ce, en effet, aujourd'hui, que notre souveraineté monétaire ?
C'est soit un alignement de nos taux d'intérêt sur les taux pratiqués par nos partenaires, avec une prime éventuelle à payer par rapport aux taux dont bénéficient nos concurrents directs, soit le recours à la dévaluation, avec son cortège d'appauvrissement national, d'inflation, de chômage, de hausse des taux d'intérêt et de mesures restrictives des libertés.
Avec l'euro, nous partagerons - je concède qu'il s'agit d'un partage - une vraie souveraineté monétaire. Il est essentiel que la Banque centrale européenne soit le lieu où se définisse une vraie politique monétaire européenne. Nous sortirons ainsi d'un dilemme que les Français connaissent bien pour en avoir subi les affres et qu'ils ont récusé : dévaluer ou subir un argent plus cher que nos voisins de la zone mark.
Mes chers collègues, j'en viens à la présentation succincte des arguments qui sous-tendent la résolution qui vous est remise.
Comme vous pourrez le constater, celle-ci reprend très largement le contenu de la proposition de notre délégation pour l'Union européenne, à laquelle je veux rendre un hommage tout particulier.
La Commission européenne recommande que onze Etats adoptent l'euro dès le 1er janvier prochain. Cette recommandation consacre les performances économiques de chacun d'eux.
Je rappelle que ces performances sont évaluées au regard de deux séries de conditions.
La première rassemble les fameux « critères de convergence », c'est-à-dire des conditions monétaires et des conditions relatives aux finances publiques. Les conditions monétaires sont remplies par la plupart des Etats ; seuls la Suède, le Royaume-Uni et la Grèce font exception pour l'une ou l'autre d'entre elles.
Quant à la deuxième série de conditions, relatives aux finances publiques, quatorze des quinze Etats membres sont parvenus à un ajustement budgétaire leur permettant, selon la Commission, d'atteindre les conditions fixées par le traité.
J'indique pour mémoire qu'il existe une condition institutionnelle relative à l'indépendance des banques centrales et à leur insertion dans le système européen de banques centrales. Nous en avons débattu hier.
A ce stade, trois observations s'imposent.
Tout d'abord, le processus de convergence en matière d'inflation, de taux de change et de taux d'intérêt à long terme a été extrêmement puissant et a permis d'atteindre de bas niveaux d'inflation et de relativement bas niveaux de taux d'intérêt. Il importe de constater que ce processus s'est accéléré à mesure que l'euro se rapprochait, de sorte que tout s'est passé comme si l'euro était, en lui-même, un facteur de convergence.
Par ailleurs, le redressement des finances publiques a permis d'atteindre les objectifs fixés par le traité. Il a supposé des efforts, inégaux selon les pays, mais significatifs pour tous.
Dès lors, une fois admises les exceptions du Royaume-Uni et du Danemark, et la volonté de la Suède de ne pas adopter la monnaie unique pour le moment, je crois qu'il faut se réjouir du nombre de pays pouvant aujourd'hui adopter l'euro.
Le choix d'une liste large permet de mobiliser à plein les deux avantages de la devise européenne : d'une part, l'euro renforce la solidarité monétaire entre des pays dont les économies sont déjà très interdépendantes et met fin définitivement au risque des dévaluations compétitives ; d'autre part, l'euro est une monnaie appelée à jouer un rôle international éminent.
De ce point de vue aussi, la participation la plus large s'impose. Il est en particulier très utile de substituer la future monnaie unique aux monnaies les plus sensibles au dollar. Une monnaie est puissante lorsqu'elle représente une créance sur une économie puissante.
Est-ce à dire que la proposition de la Commission ne pose aucun problème, ou plutôt est-ce à dire que l'adoption de l'euro par les onze Etats qualifiés ne suscite aucune observation ? A l'évidence, non.
Reconnaissons d'abord qu'au-delà d'un vrai succès de la convergence nominale, telle qu'elle est imposée par le traité, il reste en Europe des facteurs de différenciation importants. J'en citerai deux.
Le premier tient aux écarts de développement entre les pays européens. Les produits intérieurs bruts par habitant sont extrêmement variés. Pour un indice 100 correspondant à la moyenne de l'Europe des quinze, le Portugal et l'Espagne sont respectivement à 48 et à 65, le Royaume-Uni est à 87, mais la France et l'Allemagne sont respectivement à 113 et 123. Le degré d'acceptation de ces différences par les nations en retard conditionne leur capacité à maintenir des taux de croissance non inflationnistes permettant de réduire ces écarts.
La façon dont ils respectent aujourd'hui les critères du traité incite plutôt à l'optimisme, de même que l'accroissement possible des flux de capitaux dont ils pourraient bénéficier. Un doute subsiste cependant, ne nous le cachons pas.
Le second élément de différenciation tient à la situation d'endettement public très contrastée des Etats appelés à adopter l'euro. Les dettes publiques font peser une véritable épée de Damoclès sur les budgets des Etats participants. Il faut impérativement faire de la réduction de cette dette une priorité.
M. Denis Badré. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur. L'adoption de l'euro entraîne d'autres incertitudes, notamment dans les domaines économiques et monétaires.
Sur le plan monétaire, une interrogation peut être formulée quant à la future politique monétaire de la Banque centrale européenne, la BCE.
Les missions de la BCE sont certes fixées par le traité, et la stabilité des prix apparaît comme la première d'entre elles. Toutefois, la question est de savoir quel concept de stabilité des prix ressortira de la confrontation des opinions des onze gouverneurs membres du Conseil des gouverneurs de la Banque. En théorie, la politique monétaire sera une politique européenne, mais il faudra s'assurer que tel est bien le cas et que chacun ne cherche pas à « pondérer » davantage la situation dans son propre pays.
Une seconde question monétaire est relative au change. L'instauration de l'euro va, espérons-le, faire émerger un vrai concurrent face au dollar. Je n'entrerai pas ici dans le débat complexe entre l'euro fort et l'euro faible, que je m'efforce d'exposer dans mon rapport écrit. Je crois que nous devons avoir un euro attractif et maîtrisable. Ce débat s'ouvrira certainement, et il devra être tranché.
Cependant, je crois vraiment que les incertitudes qui entourent l'adoption de l'euro doivent non pas nous angoisser, mais nous inviter à prendre réellement notre destin en main et à contribuer à construire vraiment cette monnaie.
Cette contribution nous imposera plus que jamais la vigilance dans l'examen et le suivi des conditions économiques et monétaires qui accompagnent l'euro. Notre contribution devra s'inscrire dans le souci d'assurer la viabilité et le succès de l'euro.
Les Etats membres ont, à cet effet, adopté un pacte de stabilité et de croissance sur lequel je dirai maintenant quelques mots pour conclure cette présentation générale.
Le pacte de stabilité et de croissance repose sur trois piliers : le premier résulte de la combinaison de l'article 103 du traité et du règlement du 7 juillet 1997, qui traitent de la surveillance et de la coordination des évolutions et politiques économiques ; le deuxième est formé de l'article 104 C du traité et d'un autre règlement du 7 juillet 1997, qui traitent de la procédure de prévention et de la correction des déficits excessifs ; enfin, le troisième, qui est plus politique, résulte de la résolution du Conseil européen d'Amsterdam, qui éclaire d'ailleurs les deux premiers piliers.
Permettez-moi de vous livrer brièvement mon analyse sur ce sujet.
Je crois qu'il est nécessaire de surveiller les situations économiques et de mieux coordonner les politiques économiques. Il est en particulier indispensable de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires.
Je rappelle, à ce sujet, que la commission des finances, mais aussi, je crois, la majorité du Sénat préfèrent une réduction des dépenses publiques à une augmentation des prélèvements, spéculant sur la croissance économique future.
Une Europe solidaire du point de vue monétaire doit être attentive et solidaire dans d'autres domaines.
A tout le moins, elle doit veiller à éradiquer les comportements concurrentiels déloyaux en matière de fiscalité, de règles financières prudentielles et de politique sociale.
Il nous faut donc approfondir l'Union économique et monétaire en visant au moins cet objectif et développer cet aspect du pacte de stabilité.
S'agissant de la prévention et de la correction des déficits excessifs, je suis convaincu que les règles posées ne sont pas optimales, mais la voie est ouverte pour les améliorer.
Les débats entre les pays européens ont débouché, en l'état, sur des règles raisonnables dont je ne veux néanmoins pas dissimuler les difficultés d'application. Vous en trouverez mention dans mon rapport écrit.
Ce que je viens d'exposer à propos du pacte de stabilité et de croissance confirme donc l'idée que l'euro méritera, demain comme hier, une très forte mobilisation de nos énergies. C'est dans cet esprit que je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la résolution qui vous est soumise. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Paul Girod remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat que nous engageons aujourd'hui est à la fois secondaire et fondamental. Il est secondaire puisqu'il ne s'agit, après tout, que de constater le bon déroulement du scénario que les Français ont approuvé en son temps, en ratifiant par référendum le traité sur l'Union européenne. Mais il est aussi fondamental, puisque nous allons débattre des ambitions, des craintes, voire des préjugés, que nous nourrissons légitimement, les uns et les autres, à propos de l'avenir de la construction européenne.
On peut dire aujourd'hui - et ce débat le prouve - que le Parlement français a eu raison de souhaiter engager une telle discussion.
J'ai la conviction, en effet, que nous avons été jusqu'à présent frustrés d'un débat approfondi et sans complaisance sur les perspectives ouvertes par la mise en oeuvre d'une monnaie unique, l'euro. Pourquoi ? J'y vois, pour ma part, plusieurs raisons.
La complexité du dossier, une certaine indifférence envers ce qui n'apparaissait, voilà quelques années encore, que comme un avenir flou et incertain, les lignes de fracture qui ont lézardé tous les grands partis démocratiques de notre pays, la confusion des esprits sur le rôle effectif des institutions européennes dans la gestion d'un certain nombre de dossiers économiques essentiels, tous ces éléments ont finalement joué en défaveur d'un grand débat démocratique serein. Notre collègue M. Michel Barnier l'a fort bien souligné hier, en réclamant comme moi-même un tel débat.
Finalement, nous nous sommes contentés de nous interroger - la question est certes d'importance - sur la manière de réussir le passage à l'euro - c'est la fameuse « convergence » - sans nous interroger - et la question est plus importante encore, tout au moins à mes yeux - sur les conséquences de l'euro sur notre tissu industriel, notre fiscalité, notre budget, nos entreprises et l'aménagement du territoire. Bref, nous ne nous sommes pas posé la seule question qui importe : comment réussir durablement l'euro.
M. Xavier de Villepin. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Reprenant une formule ancienne et en accentuant quelque peu le trait, je pose la question : comment faire l'euro sans, dans le même temps, défaire la France ?
Aujourd'hui, il faut bien le constater, nous sommes, si je puis m'exprimer ainsi, au pied du mur, et les arrière-pensées, comme les atermoiements, ne sont plus de mise. Quelles que soient mes convictions personnelles - et elles sont bien connues - je crois pouvoir affirmer que l'enthousiasme pro-européen ne doit pas nous tenir lieu de lucidité. Bien au contraire, c'est la lucidité qui doit nourrir une confiance raisonnée dans le succès de la troisième et dernière phase de l'Union économique et monétaire.
Anatole France, qui était encore à l'époque bibliothécaire au Sénat, a fort bien écrit que « les changements, même les plus désirés, ont leur nostalgie ». Prétendre que le remplacement de notre franc français par l'euro n'est pas digne d'alimenter une nostalgie sincère ne serait, reconnaissons-le, ni convenable ni crédible. Oui, je revendique le droit à la nostalgie ; oui, je revendique le droit à l'incertitude, à la crainte même envers ce qui représentera un certain bouleversement dans notre culture nationale.
Mais, dans le même temps, l'exigence et l'honneur de notre fonction d'élu du peuple souverain veulent non pas que nous alimentions cette nostalgie mais que nous suscitions la réflexion à l'égard des enjeux, au risque parfois de braver une certaine impopularité, ce qui fait partie de la noblesse de notre mission. Alors, si vous le voulez bien, livrons-nous ensemble à une analyse sans concession aucune et examinons, point par point, les éléments du dossier.
La politique économique conduite aujourd'hui par la France apparaîtra rapidement peu compatible - et je le déplore - avec les exigences d'une harmonisation graduelle des systèmes économiques européens. A Bruxelles, la France se montre favorable, et elle a raison, à une harmonisation progressive des fiscalités mais, à Paris, le Gouvernement conduit une politique de surtaxation des sociétés et de l'épargne, qui inquiète jusqu'aux plus hauts responsables socialistes de notre pays. Je fais référence ici aux déclarations de M. Laurent Fabius lors des Journées de l'épargne qui se sont tenues à l'Assemblée nationale.
La France a accepté le pacte de stabilité qui préconise, à terme rapproché, un excédent budgétaire - j'insiste sur ce point - en période de bonne conjoncture, mais le projet de budget pour 1999 prévoit une hausse des dépenses publiques en volume, renouant ainsi avec une stratégie de « réhabilitation de la dépense publique » de fâcheuse mémoire.
Le Gouvernement de la France insiste sur la nécessité d'augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises quand, dans le même temps, le Conseil des ministres, dans une recommandation du 7 juillet 1997, affirme que l'évolution des salaires réels doit être « inférieure à la hausse de la productivité afin de renforcer la rentabilité des investissements créateurs d'emplois ».
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est ce qui nous inquiète !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. La France, enfin, revient sur la politique d'abaissement du coût des bas salaires, ce qu'on a appelé la « ristourne dégressive », quand la Commission réclame que « les marges budgétaires retrouvées doivent être consacrées à la réduction des charges sociales pesant sur les salaires, et en particulier sur les bas salaires ». Et ce ne sont pas les mesures prises dans l'optique de la loi sur les 35 heures qui peuvent être citées en exemple, puisqu'elles visent non pas à abaisser, mais à stabiliser le coût des bas salaires.
Si les divergences que je viens de rappeler devaient perdurer, voire s'accentuer, elles nuiraient sans aucun doute à notre compétitivité - une compétitivité qui se dégrade, selon le rapport récent de l' Institute for management developpment, l'IMD - et surtout elles nous affaibliraient vis-à-vis de nos grands partenaires européens.
Que constatons-nous aujourd'hui ?
La Grande-Bretagne, pour sa part, allège sa fiscalité sur les entreprises pour attirer les investissements européens et étrangers, en particulier ceux qui ont été « libérés » par la crise asiatique ; l'Allemagne, quant à elle, quitte à détruire momentanément des emplois, augmente considérablement la compétitivité de son secteur industriel pour accroître ses parts de marché en Europe et dans le monde. Si vous m'autorisez à forcer le trait, je dirai presque que la Grande-Bretagne, d'un côté, attire les investissements et que l'Allemagne, de l'autre, gagne des parts de marché. On peut légitimement se demander ce qu'il va nous rester.
Si nous poursuivons plus avant le raisonnement, nous pouvons constater que nombre de nos partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne, réclament une stricte orthodoxie budgétaire, peut-être plus exigeante encore que ce que préconise le pacte de stabilité.
Dans cette perspective, la présentation des grandes lignes du projet de budget pour 1999 peut les inquiéter et réveiller des sentiments « anti-euro » que tout le monde perçoit déjà et qui sont exacerbés par la campagne électorale en cours chez nos voisins. Les raidissements récents de M. Waigel sont d'ailleurs là pour en témoigner.
Il demande, en effet, qu'avant la fin de l'exercice 1998 nous ayons mis en place un plan de stabilité rigoureux, sur plusieurs années et contrôlable chaque année.
M. Xavier de Villepin. Excellente remarque !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je crains donc très sincèrement que tant notre politique économique que notre politique budgétaire ne retardent le succès de la troisième phase de l'Union économique et monétaire.
La mise en oeuvre du système européen de banques centrales et du pacte de stabilité, qui en est le corollaire, suscite, par ailleurs, des interrogations multiples. Ces interrogations sont inévitables, car tout ne peut être prévu à l'avance, qu'il s'agisse des conséquences des crises financières ou des conséquences des crises économiques et sociales. Une tornade sociale peut rapidement intervenir, bousculant toutes les prévisions.
Il en va ainsi de la politique de change. Certes, une lecture attentive du traité permet d'établir que la responsabilité en matière de change reviendra au Conseil, c'est-à-dire à une instance politique. On peut observer en outre que les gouvernements continueront d'avoir, dans la pratique, l'influence qu'ils tiennent de leur participation dans les institutions monétaires internationales et lors des sommets qui dessinent régulièrement le paysage monétaire international.
Toutefois, comme l'a écrit M. le rapporteur, le Parlement français doit être mis en mesure de se prononcer sur des accords de change dont l'importance pourrait être considérable pour notre pays. Nous attendrons avec beaucoup d'intérêt la réponse du Gouvernement sur ce point précis.
Comme la politique de change, le mécanisme des sanctions financières mérite quelques développements.
Il ne s'agit pas, disons-le d'emblée, d'un mécanisme radicalement nouveau, puisque la Cour de justice de Luxembourg peut déjà imposer des sanctions pécuniaires à des Etats qui se sont mis en infraction avec les règles communautaires auxquelles ils ont souscrit.
Il n'en subsiste pas moins quelques paradoxes : les Etats de la Communauté européenne non membres du groupe de la monnaie unique ne seront pas soumis à cette discipline ; le produit de ces amendes pourrait servir à financer des politiques en faveur des Etats non membres et les Etats connaissant des difficultés budgétaires - je pense notamment aux « petits Etats » - verraient leurs difficultés accrues par le versement de contributions pouvant atteindre des montants élevés auxquels ils ne pourraient faire face. A l'évidence, cette procédure ne sera pas facile à mettre en application, même si elle est justifiée dans son principe. Hier, M. le ministre de l'économie et des finances a bien voulu le souligner et je l'en remercie.
Je rappelle d'ailleurs que le Conseil d'Amsterdam a demandé au conseil de sanctionner systématiquement les Etats dont le déficit apparaîtrait excessif. J'observe, enfin, pour le regretter, que les parlements nationaux ne semble pas associés à cette procédure, alors même que l'autorisation de la dépense publique fait partie de leurs prérogatives fondamentales.
Je pourrais citer d'autres exemples que ceux qui concernent la politique de change ou les sanctions budgétaires, notamment les rôles exacts et respectifs du conseil de l'euro et du conseil ECOFIN. Mais je résumerai mon propos par deux questions fondamentales adressées au Gouvernement de la France.
Première question : comment les parlements nationaux seront-ils tenus informés et, le cas échéant, associés à ces mécanismes dont je viens de rappeler deux exemples ?
Seconde question : comme l'avait fait avec succès le Premier ministre M. Edouard Balladur au moment des accords de Blair House, le Gouvernement peut-il prendre l'engagement solennel de ne pas se refuser a priori à invoquer le compromis de Luxembourg dès lors qu'il constaterait, et nous avec lui, que des intérêts essentiels de notre pays seraient en jeu ? (MM. Chérioux et Caldaguès applaudissent.)
Ce compromis, d'essence principalement politique, rappelons-le, me semble toujours en vigueur ; vous me corrigerez si je me trompe. Il a même été consacré par le traité d'Amsterdam en matière de politique étrangère.
Toutefois, mes chers collègues, ce n'est pas parce que la tâche est compliquée et les difficultés nombreuses que nous devons nous résigner, baisser les bras et ne pas croire dans le succès de l'euro. Bien au contraire, mais à condition que nous assumions toutes nos responsabilités d'élus et que la politique européenne de la France ne soit plus perçue comme le monopole de gouvernements lointains et d'administrations lointaines persuadées de détenir constamment la vérité vraie face à une opinion publique mal informée, désabusée ou hostile pour des raisons que nous connaissons bien.
La résolution adoptée par la commission des finances trace les grandes lignes de la conduite à suivre : réorienter notre politique budgétaire ; approfondir tous les volets - fiscaux, sociaux et économiques - de l'Union économique et monétaire ; associer les parlements aux mécanismes nouveaux qui se mettent en place. (Très bien ! sur plusieurs travées du RPR.)
Ce n'est qu'à ce prix que nous réussirons en quelque sorte à tirer notre épingle du jeu dans l'Europe de la monnaie unique. En effet, si la tâche est ardue, si les difficultés sont nombreuses, l'euro - reconnaissons-le - constitue une chance historique non seulement pour la France, mais aussi pour l'Europe elle-même.
Mieux vaut une souveraineté partagée avec des pays amis qu'une souveraineté nationale purement fictive, à la merci, comme c'est le cas aujourd'hui, des marchés et des autres monnaies.
M. Alain Lambert, rapporteur. C'est exact !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Mieux vaut la disparition des dévaluations compétitives, - et, pour un élu qui est aux prises avec les difficultés du secteur textile, cela est fondamental - que la permanence de mesures de dumping monétaire.
Mieux vaut la mise en place progressive de stratégies de coopération que de stratégies de concurrence dévastatrices.
Mieux vaut une discipline de sagesse collective que le retour à des illusions dangereuses d'indépendance économique comme celles que nous avons connues au début des années quatre-vingt, qui ont conduit - souvenons-nous-en - à augmenter de un million le nombre de chômeurs et à procéder à trois dévaluations humiliantes, ou celles qui ont eu lieu à la fin des années quatre-vingt et qui ont conduit à une politique budgétaire laxiste, à l'explosion des déficits et à la boule de neige de l'endettement.
J'ai bien entendu, hier, les craintes émises, à juste titre, par certains dans cet hémicycle. Elles sont nombreuses et fondées : retards dans la démocratisation des instances communautaires, retards dans l'affirmation d'un pouvoir politique européen qui soit à la fois efficace et respectueux des identités nationales et retards dans l'approfondissement d'une Europe plus efficace en faveur de la croissance et de l'emploi.
Tout cela est exact, mais n'est-ce pas à nous, hommes politiques, qu'il appartient de prendre - ensemble - notre destin en main, de convaincre nos concitoyens que nous devons construire ensemble une Europe européenne, et pas un « euroland » - l'expression est affreuse - sans âme ni projet collectif. Il serait trop facile de critiquer sans s'impliquer courageusement et résolument.
Impliquons-nous, mes chers collègues, dans ce nouveau combat avec détermination, réalisme, et nous remplirons notre mission devant l'histoire. Sachons que, là où il y a une volonté, un chemin réussit toujours à s'ouvrir. Pensons à ce que diront de nous nos enfants et nos petits-enfants. Aujourd'hui, si nous ne sommes pas - les yeux ouverts - dynamiques et inventifs, ils nous reprocheront, à bon droit, d'avoir été pusillanimes, myopes et défaitistes. En effet, il s'agit bien, en l'occurrence, non de travailler pour nos intérêts particuliers, nos intérêts du moment - ce serait, vous le savez, une démarche particulièrement égoïste - mais de préparer pour les générations futures, dans un ensemble européen cohérent et dynamique, le meilleur avenir.
Mes chers collègues, en ce moment même, les députés allemands siègent au Bundestag pour débattre de la mise en place de l'euro. Je tiens à leur dire que, avec eux, comme avec nos autres partenaires, nous construirons ensemble l'Europe de la raison, l'Europe de la fraternité, l'Europe de la solidarité, pas l'Europe des banquiers, des spéculateurs, des marchés financiers surpuissants,...
Mme Hélène Luc. C'est pourtant celle-là !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... mais l'Europe des citoyens, des jeunes, des travailleurs, de tous ceux qui ont conscience d'appartenir à une civilisation européenne dont la grande et permanente préoccupation est l'homme, « le seul combat qui vaille », comme aimait à le rappeler le général de Gaulle. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'entrée de l'Union monétaire dans sa phase finale fait partie des heures de grandes décisions et des moments d'histoire qui ont jalonné la construction européenne ; je ne peux pas, à mon tour, oublier de le signaler. Un des privilèges que me donne mon âge, c'est de les avoir tous vécus.
A chaque fois, de fortes inquiétudes se sont exprimées. On s'est demandé, par exemple, si l'économie française allait supporter le choc de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, puis celui de la création du marché commun ; on s'est demandé si notre agriculture pourrait faire face à la concurrence espagnole, ou si notre modèle social résisterait au marché unique.
Dans chaque cas, je pourrais citer nombre d'excellents esprits dont les pronostics pessimistes n'ont pas été confirmés. Les arguments techniques, exprimant bien souvent des rivalités d'intérêts, ont toujours cédé devant une réaction indéfinissable ou inexprimée, propre à notre conscience d'homme.
Aujourd'hui, la monnaie unique suscite aussi des interrogations. Elles sont légitimes : l'union monétaire européenne est un saut dans l'inconnu ; par les dimensions de la zone euro, elle est sans véritable précédent historique. Mais, depuis ses origines, la construction européenne est une aventure : si nous avions voulu n'avancer qu'à coup sûr, nous serions encore sur la ligne de départ. La sagesse n'est pas forcément du côté de ceux qui conseillent d'apprendre à nager avant d'entrer dans l'eau.
Je ne veux pas, bien entendu, minimiser les incertitudes de l'entreprise. Comment nos systèmes sociaux et fiscaux s'adapteront-ils au nouveau contexte de la monnaie unique ? Comment s'effectueront les ajustements sur les marchés du travail ? Comment évolueront les relations monétaires internationales, avec désormais deux grandes monnaies pour le monde occidental ?
Les incertitudes sont nombreuses. Mais ainsi que le rappelle la sagesse de l'un de nos éminents prédécesseurs : il n'y a pas de politique sans risques ; il y a des politiques sans chances. Bien sûr, la monnaie unique comporte des risques. Mais l'alternative, c'est-à-dire le maintien du statu quo, n'aurait laissé aucune chance aux Européens de mettre fin aux variations de change qui perturbaient, qui perturbent, allais-je dire, le fonctionnement du marché intérieur ; aucune chance, également, d'empêcher les dévaluations compétitives qui faussaient la concurrence sur ce marché ; aucune chance, non plus, d'équilibrer la suprématie du dollar dans le système monétaire international.
Je voudrais également souligner que la monnaie unique est dans la logique de l'oeuvre que nous avons entreprise voilà plus de quarante ans. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on souligne que la monnaie unique est le couronnement nécessaire du marché unique : je pense notamment au plan Werner, à la fin des années soixante. J'évoque les multiples déclarations faites à cette tribune et proclamant la nécessité d'une monnaie unique pour résoudre les problèmes sans issue devant lesquels nous nous trouvions et nous nous trouvons encore. J'ai en effet feuilleté le compte rendu de quelques-uns des débats qui ont eu lieu au Sénat au cours des vingt-cinq dernières années. En réalité, on voit mal comment tirer tous les bénéfices d'un grand marché intérieur sans s'unir en même temps sur le plan monétaire ; sinon, inévitablement, la fragmentation subsiste, car d'un pays à l'autre les termes de l'échange peuvent varier à tout moment. La mise en place de l'euro est donc en totale cohérence avec l'achèvement du marché intérieur.
Mais la monnaie unique a aussi et peut être surtout une dimension politique. Souvenons-nous du contexte dans lequel le traité de Maastricht a été conclu. La fin de l'antagonisme Est-Ouest, la réunification de l'Allemagne et le triomphe du libéralisme créaient une situation où les liens entre les Etats membres risquaient de se relâcher. L'Union économique et monétaire a été l'accord négocié qui a continué à souder la Communauté. On ne soulignera jamais assez la ténacité dont ont fait preuve les chefs d'Etat et de gouvernement, quelles que soient leur origine politique et leur préférence doctrinale, pour mener à bien cette grande affaire. La sauvegarde du mécanisme de change et l'effort budgétaire pour respecter les critères fixés par le traité ont exigé une discipline souvent impopulaire, et nous sommes bien placés pour le savoir. Personne n'a abandonné le cap. Il est de bon ton aujourd'hui d'affirmer que ce sont les marchés financiers qui commandent et que les politiques sont impuissants ; la réalisation de l'euro est l'exemple d'une décision politique qui a été respectée dans la durée, alors que les marchés financiers n'y croyaient pas et, d'ailleurs, ne la souhaitaient pas. Je me demande parfois s'ils y croient maintenant et s'ils la souhaitent désormais.
La décision qui nous occupe aujourd'hui porte spécifiquement sur la liste des pays participant à la monnaie unique dès son lancement, puisque le principe en a été adopté dans un traité ratifié. Je me félicite que l'Assemblée nationale et le Sénat puissent s'associer à ce choix capital par une résolution. Voilà, une nouvelle fois, la preuve de l'utilité de la procédure de l'article 88-4 de la Constitution. J'y vois une raison de poursuivre la réflexion, engagée au sein de la délégation pour l'Union européenne, sur la nécessité de perfectionner cette procédure et d'en élargir le champ d'application. Qui oserait penser aujourd'hui que la politique européenne, avec l'engagement de la France, pourrait être poursuivie en dehors ou à l'insu du Parlement, comme ce fut le cas pendant une vingtaine d'années ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. J'approuve la proposition de la Commission européenne de retenir une liste large des participants.
Exclure l'Italie de cette liste eût été une faute ; c'eût été casser le bloc des pays fondateurs, alors qu'il faut au contraire resserrer les liens à l'intérieur de ce bloc face au risque de dilution que comporte l'élargissement de l'Union. La présence de l'Espagne renforce l'indispensable attachement de l'Union au monde méditerranéen.
La proposition de résolution qui nous est soumise prend notamment son origine dans le texte qui a été déposé, au nom de la délégation pour l'Union européenne, par M. de Villepin. M. le rapporteur a bien voulu le rappeler, et je l'en remercie. Les travaux de la commission des finances ont modifié ce texte que nous avions adopté - je dois le souligner - dans la véritable perspective politique qui sied à un tel sujet. Je ne vois pas la nécessité de reprendre les arguments qui ont été exposés par M. le rapporteur et par M. le président de la commission des finances.
Je note, pour ma part, que l'amendement présenté par M. Estier et accepté par la délégation pour l'Union européenne a été écarté pour des motifs d'apparence, que j'avais cru pouvoir qualifier, à un moment, de technocratiques. Mettons que je me sois un peu égaré. Il insistait à juste titre sur l'accompagnement social indispensable à l'euro et sur les conséquences nécessaires de cet accompagnement. Mais cette initiative a eu au moins un heureux résultat puisque la commission des finances en reprend à peu près l'essentiel dans le texte qu'elle propose au Sénat.
Notre résolution n'impose aucune obligation au Gouvernement - c'est ainsi, mes chers collègues, et nous le savons - mais elle le conforte devant nos partenaires du Conseil, au service de l'intérêt général et au service de l'Union européenne. Elle lui indique la direction à suivre, approuvée par un grand nombre de sénateurs, représentants proches de nos populations dont ils interprètent les inquiétudes et les aspirations.
La majorité des membres composant la délégation du Sénat pour l'Union européenne a approuvé la proposition de M. Xavier de Villepin, après un débat clair et franc.
J'approuverai cette proposition de résolution avec la même conviction que celle qui m'anima lorsque, jeune député en 1951, j'ai voté la loi autorisant l'application du plan Robert Schuman: la conviction de choisir la voie la plus porteuse d'espoir pour la France, pour la jeune génération de mon pays, des pays membres de l'Union et des pays qui ont choisi d'adhérer à cette communauté que nous avons inventée, au sens de la découverte, après tant de luttes fraternelles et tant de désastres matériels et moraux qui ont marqué si douloureusement notre continent au cours de son histoire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez aujourd'hui vous prononcer sur la résolution adoptée par la commission des finances portant sur la recommandation de la Commission européenne relative au passage à la monnaie unique, résolution enrichie par le groupe socialiste.
Comme vous le savez, à la demande de M. Genton, j'avais suggéré par avance au Gouvernement, dès l'automne dernier, la transmission de la recommandation de la Commission européenne à votre assemblée sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution.
Il est sain pour notre démocratie qu'un tel débat puisse avoir lieu, et je me félicite de la qualité des rapports qui ont déjà été présentés.
L'Assemblée nationale a adopté hier sa propre résolution, amendée, en séance publique, notamment par M. Giscard d'Estaing.
Votre projet de résolution est d'une tonalité un peu différente, et cela n'étonnera en vérité personne. S'il y a incontestablement, au Parlement, une majorité pour faire l'euro, comme l'a manifesté clairement - enfin, à peu près clairement ! (Sourires.) - le vote d'hier à l'Assemblée nationale, il y a peut-être plusieurs manières de concevoir la vie avec l'euro. J'y reviendrai, et je ne doute pas que M. Strauss-Kahn répondra tout à l'heure aux quelques remarques qui ont été adressées à la politique économique du Gouvernement, assurément euro-compatible, même si elle n'est pas toujours conforme à certaines orientations souhaitées par la majorité sénatoriale.
Je vais m'efforcer maintenant d'apporter ma contribution au débat en répondant aux préoccupations qui ont été exprimées par M. le rapporteur, par M. le président de la commission des finances et par M. le président de la délégation pour l'Union européenne, dont je salue le travail. Je le ferai dans une perspective dynamique, qui est celle à l'intérieur de laquelle le Gouvernement inscrit résolument son action en matière européenne.
Je rappellerai très brièvement d'où nous venons ; je dirai ensuite où nous en sommes sur l'euro et ce que nous voulons faire de cet instrument ; enfin, j'esquisserai les lignes de force de notre projet européen, qui doit sortir affermi de cette mutation monétaire sans précédent.
L'euro ne tombe pas du ciel. Il est l'aboutissement d'un long processus historique qui permet aujourd'hui d'achever l'unification de l'espace économique européen et de lui donner sa force.
L'euro a une histoire. Comme l'a indiqué hierM. Giscard d'Estaing au Palais-Bourbon, « l'euro vient de loin ». Il représente une étape décisive dans notre cheminement vers une organisation économique européenne solide. En aucune manière, on ne peut soutenir sérieusement qu'il arrive par hasard ou comme par effraction.
La réalité des choses, c'est que les changes flexibles avec lesquels nous vivons depuis l'effondrement du système de Bretton Woods offrent la possibilité à la puissance dominante du moment - c'est toujours la même : les Etats-Unis, avec leur monnaie, le dollar - d'anéantir en toute impunité l'effort d'autres nations, plus vulnérables, en manipulant simplement son taux de change.
Comment accepter sans réagir un tel état de choses ? Je crois que là est le fondement de la démarche qui aboutit aujourd'hui avec l'euro.
Chacun, sur ces travées, se souvient qu'il n'a pas fallu plus de quelques années aux Européens, dans les années soixante-dix, pour engager une réaction salutaire.
Avec les accords franco-allemands de Brême,MM. Giscard d'Estaing et Schmidt marquaient dès 1978 la volonté de nos deux pays d'organiser une réponse au défi du désordre monétaire mondial, ou plutôt de l'ordre monétaire unilatéral, sous l'égide américaine.
Puis le plan Werner a permis de mettre sur pied, en 1979, le système monétaire européen, première ébauche d'un instrument monétaire commun.
La suite est connue, avec notamment les efforts conjoints de François Mitterrand, d'Helmut Kohl et de Jacques Delors, que je n'oublierai pas de citer ici, ne voulant pas mériter la palme de l'ingratitude dont on a voulu nous taxer hier, à l'Assemblée nationale.
L'euro est la réponse politique que l'Europe a voulu apporter face à l'Europe des marchés financiers, qui s'attaquent aux monnaies, et donc à la souveraineté nationale, comme à de simples valeurs boursières. En vérité, le projet de monnaie unique, sur lequel vous allez vous prononcer aujourd'hui, vient couronner vingt années d'efforts constants des Européens pour contrer la toute puissance du dollar et la violence désorganisatrice des marchés financiers.
J'ajoute qu'en 1986 la France a accepté de passer du marché commun au marché unique. L'Acte unique européen a été ratifié à une très large majorité par la représentation nationale en 1986. Dans le concert européen, la responsabilité de cette intégration renforcée de l'espace économique européen a été pleinement assumée par le gouvernement dirigé par M. Jacques Chirac, avec le soutien de sa majorité de l'époque.
Il serait logique, dès lors, que tous ceux qui ont contribué à poser les fondations de cette oeuvre puissamment intégratrice acceptent aujourd'hui de l'achever avec nous.
Le contrat passé avec les Français a été honoré. Les engagements du Gouvernement ont été respectés. L'euro se fera, mais à certaines conditions permettant de rééquilibrer - tel est, en effet, le sens de notre politique européenne - l'Union économique et monétaire dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi.
Le 20 septembre 1992, à l'issue d'un grand débat national, le peuple français s'est prononcé sur l'Union économique et monétaire. L'adhésion populaire n'a pas été très large, c'est vrai.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Pour le moins !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Des questions ont été posées, c'est exact. Des critiques ont été soulevées, comment le nier ? Toutefois, soyons clairs : le peuple a tranché et, en démocratie, l'expression majoritaire du peuple est souveraine. C'est d'ailleurs cela qu'exprime avec force notre constitution.
Pour autant, ce vote, comme je le disais voilà un instant, a laissé transparaître des inquiétudes nombreuses, probablement parce que les enjeux de ce grand projet historique avaient été insuffisamment expliqués.
Le Premier ministre a eu l'occasion de le rappeler : la stabilité monétaire et financière est entrée dans notre culture, longtemps, d'ailleurs, avant que le projet de l'euro ne se concrétise. La gauche a contribué largement à opérer ce travail d'appropriation collective, en rétablissant les « grands équilibres » dans les années quatre-vingt.
Nous avons les uns et les autres, chacun à notre place, chacun en notre temps, chacun avec nos méthodes, terrassé l'inflation. Nous avons rétabli nos échanges extérieurs pour dégager aujourd'hui des excédents absolument considérables. Nous avons progressivement réduit les déficits publics. Nous assumons fièrement cet héritage-là aussi.
Mais il ne faut pas s'y tromper. Pour nous, la stabilité monétaire et financière, si elle est souhaitable, ne constituera jamais un projet politique. Elle n'est pas une fin en soi.
Dès lors, la tâche du gouvernement formé en juin 1997 a été d'expliquer inlassablement la portée exacte du projet européen, du projet monétaire, sans le minimiser, mais en dénonçant sans relâche les apories de ceux qui s'entêtent à en faire une présentation un peu caricaturale.
La tâche du Gouvernement doit être aussi d'accompagner le passage vers la troisième phase de l'Union économique et monétaire, afin que ce grand projet ressemble de plus en plus à ce que nous voulons en faire, à savoir un instrument au service de l'emploi et de la croissance, un instrument également respectueux de la démocratie.
C'est ce à quoi s'est employé le gouvernement de Lionel Jospin depuis maintenant presque un an.
Les quatre conditions que nous avions posées à notre entrée définitive dans l'Union économique et monétaire sont, pour la plupart d'entre elles, d'ores et déjà réalisées, c'est clair, s'agissant de l'entrée des pays du sud de l'Europe dans le premier train de l'euro.
D'autres sont en voie de réalisation, et le Gouvernement a fortement contribué à amorcer le redressement indispensable.
J'insiste pour ma part, car ce n'est qu'un début, sur le rééquilibrage de la construction européenne dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. Cela a fait l'objet d'une résolution à Amsterdam, sur l'initiative de la France, suivie d'un Conseil européen extraordinaire, qui s'est tenu à Luxembourg et qui fut entièrement consacré - c'était une première absolue - à l'emploi. Les étapes suivantes sont connues : dépôt des plans nationaux d'action à Cardiff ; processus régulier d'évaluation et d'approfondissement de la convergence sur l'emploi au Conseil européen de fin d'année. Désormais, un rendez-vous annuel européen sera consacré à l'emploi. C'est un projet très significatif. Qui, dès lors, peut réellement, sans mauvaise foi, tenir pour négligeable le fait de consacrer un Conseil européen sur deux - c'est en effet de cela qu'il s'agit - à cette question ?
Le contrôle démocratique de l'Union économique et monétaire - M. le président de la commission des finances a insisté à juste titre sur ce point - était notoirement insuffisant, surtout après l'adoption du pacte de stabilité dont vous avez beaucoup parlé.
Je ne reviendrai pas sur la résolution sur le Conseil de l'euro que nous avons obtenue au Conseil européen de Luxembourg et qui permet de commencer à corriger les choses. Il appartiendra à M. Strauss-Kahn, qui en a eu l'idée, de la faire vivre de toute ses potentialités afin de construire petit à petit ce « pôle » économique qui n'existait plus dans le débat européen jusqu'à notre arrivée au Gouvernement.
Mais il faut aller plus loin, c'est clair : le contrôle démocratique serait imparfait si les gouvernements étaient seuls responsables. Il faut aussi que les parlements puissent être associés à ce contrôle démocratique. Je réponds ici au passage à la question de M. Poncelet : votre résolution, mesdames, messieurs les sénateurs, s'est fait largement l'écho de cette préoccupation. Le Premier ministre a d'ailleurs assumé avant-hier devant l'Assemblée nationale un certain nombre d'engagements, relatifs notamment à l'audition régulière des membres du directoire de la Banque centrale européenne par le Parlement français, et le président Giscard d'Estaing, MM. Bayrou, Méhaignerie et Barrot ont utilement complété, par voie d'amendement, la proposition du Premier ministre en demandant la constitution d'un comité parlementaire de l'euro, composé pour moitié de parlementaires européens et pour moitié de parlementaires nationaux habilités à exercer un contrôle permanent de la BCE. Et cet amendement a été voté à l'unanimité par l'Assemblée nationale ! Je crois qu'il y a là une piste utile que le Gouvernement est prêt à épauler pleinement.
Vous nous avez aussi, monsieur le président de la commission, demandé ce que devenait, dans ce contexte, le compromis de Luxembourg.
M. Christian Poncelet président de la commission des finances. Oui !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Par définition, ce compromis est toujours en vigueur. Dans ces conditions, il faut être prudent, car le meilleur moyen de lui conserver sa force de dissuasion est justement de ne pas l'invoquer ou l'évoquer à tout propos.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Comme toute force de dissuasion !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Absolument ! Néanmoins, je veux tout de même rappeler que nous ne nous interdisons pas d'y avoir recours et, pour donner simplement un exemple, je mentionnerai la réaction française au projet de nouveau marché transatlantique proposé par M. Brittan, projet qui ne saurait en aucune façon recevoir notre assentiment, car nous estimons qu'il menace nos intérêts essentiels.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Comment rappeler autrement la place de la France dans l'Europe ?
A mon sens, il est important que la résolution émanant du Sénat puisse aussi conforter nos positions au sein des Quinze pour exiger un fonctionnement de l'UEM plus respectueux de l'expression de la volonté populaire, telle qu'elle peut s'exprimer d'abord et avant tout à travers la représentation nationale.
Cette action européenne, le Gouvernement veut maintenant l'inscrire dans la durée ; nous voulons une Europe plus sociale. Nous avons obtenu un chapitre « emploi » dans le traité d'Amsterdam et le protocole de Maastricht fait désormais partie intégrante du traité, depuis que le gouvernement travailliste britannique s'y est rallié. C'est une dimension beaucoup trop négligée du traité d'Amsterdam et M. Juncker, Premier ministre démocrate-chrétien du Luxembourg, a pu dire, avec justesse je crois, qu'en deux jours l'Europe sociale avait progressé plus vite qu'en dix ans.
Nous disposons donc à présent d'une base juridique solide pour construire une Europe plus favorable à l'emploi et au développement des droits sociaux. Il faut maintenant passer sans délai aux travaux pratiques, principalement dans deux directions, à savoir tout d'abord la convergence sur l'emploi - j'en ai déjà parlé - puis ensuite le développement du dialogue social européen, prévu par l'article 4 du protocole social.
Au-delà, nous devrons nous attacher à défendre tous ensemble le modèle social européen, car l'euro rend encore plus indispensable une certaine harmonisation sociale, dans un univers où les échanges de biens et de services seront facilités à l'intérieur de l'Europe.
Reste à savoir dans quel sens s'effectuera cette harmonisation sociale. D'aucuns souhaitent qu'elle soit orientée toujours davantage vers le bas, vers un dépérissement de la protection sociale, mais nous militerons au contraire sans cesse, pour notre part, pour une émulation en Europe, à la fois dans le domaine de la protection sociale et dans celui des conditions de travail. La convergence vers un « mieux-disant social » - cette formule n'est peut-être pas la meilleure - doit être notre horizon. Dans ce domaine, la France a montré la voie en de nombreuses occasions, et encore récemment, comme le rappelait le Premier ministre, en présentant un mémorandum visant à l'harmonisation de la législation sociale dans le domaine des transports.
J'en terminerai en indiquant que l'euro s'inscrit aussi dans l'ambition plus vaste qui est la nôtre, celle d'une « Europe puissance » plus large et politiquement plus forte. Je crois, tout comme ceux qui m'ont précédé à cette tribune, que, loin de représenter un abandon de souveraineté, l'instauration de l'euro constitue un partage de souveraineté qui nous permet d'envisager, selon une perspective plus crédible, la construction de l'« Europe puissance » que nous appelons de nos voeux.
Avec l'euro, comme l'indiquait encore la semaine dernière le Président de la République, l'Europe deviendra la première puissance économique du monde, alors qu'elle n'est aujourd'hui qu'une collection de nations, certes douées d'un grand génie, certes importantes, certes écoutées, certes performantes, mais qui ne représentent chacune, même pour les plus grandes d'entre elles, dont nous sommes, qu'un poids limité dans le concert mondial.
L'euro nous montre aussi la voie à suivre pour renforcer l'Europe politique dans le futur. Nous ne voulons pas d'un grignotage insidieux de notre souveraineté ; nous ne voulons pas d'une dilution de la France dans un grand ensemble européen où le pouvoir ne se situerait nulle part.
Au fond, l'euro est le premier vrai exemple de « coopération renforcée » - j'emprunte là au traité d'Amsterdam - en Europe. L'euro indique la marche à suivre pour d'autres politiques communes qui restent encore largement à construire dans les domaines de la défense, de la sécurité et de l'action extérieure, auxquels, je le sais, le président Genton est très attaché.
« L'Europe puissance » pour laquelle nous militons, c'est d'abord une Europe qui fonctionne, c'est une Europe qui marche, une Europe qui, en définitive, pèsera de tout son poids dans les affaires du monde.
Mais « l'Europe puissance », ce sera aussi la grande Europe qui saura accueillir en son sein les pays candidats à l'adhésion. Sur ce sujet, vous le savez, les négociations ont commencé, le processus d'élargissement a été engagé avec l'ouverture de la Conférence européenne. Ce processus sera très vraisemblablement long, il sera de toute façon exigeant, et nous serons exigeants.
Nous devrons toutefois être à la hauteur de cette mission historique qui vise à éliminer les traces de la division de l'Europe en deux blocs.
Les coopérations renforcées, d'une part, l'élargissement de notre périmètre géographique, d'autre part, sont les deux facettes d'un même processus qui nous rapproche de l'ambition portée par des générations d'Européens depuis la dernier conflit mondial.
J'ajoute que nous n'aurons une Europe qui fonctionne qu'à condition de réformer en profondeur ses institutions dans le sens de la démocratie, de la transparence, de l'efficacité. Cette réforme est nécessaire dans la perspective de l'élargissement. J'ajoute même qu'elle est, pour nous, une exigence préalable à tout élargissement.
M. Christian de La Malène. On lui tourne le dos ! On y va à reculons !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Non, nous y sommes en plein ! Et nous ferons des propositions avant le tournant de l'été qui, je crois, seront à même de faire avancer ce débat.
Une chose est claire, en tout cas pour moi : nous ne pouvons pas nous permettre de recommencer exactement dans les mêmes termes ce qui a échoué à Amsterdam. Il faudra donc procéder autrement. Nous connaissons les voies à emprunter, et nous allons proposer des solutions que je crois pertinentes.
J'ajoute que cette réforme institutionnelle est aussi nécessaire pour remettre l'Europe des Quinze en mouvement après l'euro.
Mais je conclus : à mon sens, il est important que la résolution émanant du Sénat puisse venir conforter nos positions au sein des Quinze pour exiger un fonctionnement de l'UEM qui soit plus respectueux de l'expression de la volonté populaire telle qu'elle peut s'exprimer à travers la représentation nationale. Ce point est fondamental à l'heure même où, comme vous le rappeliez, s'exprime aussi le Bundestag. En effet, un gouvernement qui peut se fonder sur un avis de son Parlement est beaucoup plus fort dans la négociation européenne. Les absents, en l'occurence, ont toujours tort !
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Je veux dire aussi que le Parlement sera, dans les mois et dans les années à venir, le lieu d'autres débats essentiels. Je pense à la transposition de certaines directives relatives au marché intérieur, ou aux débats parlementaires précédant les conseils européens, notamment ceux qui traiteront de la réforme de la politique agricole commune et des fonds structurels avant l'élargissement. Mais je pense naturellement aussi à la ratification du traité d'Amsterdam et à la révision constitutionnelle qui précédera cette ratification !
S'agissant du traité d'Amsterdam, la ratification est encore devant nous. Ce traité, nous le savons, est encore imparfait, il comporte de nombreuses lacunes - d'abord d'ordre institutionnel, je l'ai dit - et il est, à certains égards décevant. Je pourrais multiplier les qualificatifs à son sujet tant sont nombreux les doutes, les questions, les insatisfactions.
En même temps, je crois qu'il est important que le traité d'Amsterdam soit ratifié, comme le disait M. le Premier ministre, « par raison ». En effet, c'est, je crois, une condition nécessaire - même si elle n'est pas suffisante - pour faire avancer l'Europe politique que nous souhaitons, notamment celle de la politique étrangère et de sécurité commune, celle de la liberté de circulation, notamment avec la communautarisation de ce que l'on appelle aujourd'hui l'espace Schengen.
C'est aussi une chance pour permettre un plus grand respect des conditions dans lesquelles vivent nos départements et territoires d'outre-mer, pour faire reconnaître nos services publics, pour faire avancer l'égalité entre les hommes et les femmes, pour conforter le chapitre « emploi » que j'évoquais tout à l'heure, pour faire vivre les droits sociaux.
Lorsque le débat sur Amsterdam viendra devant vous, ce sera une grande occasion de faire le point sur la construction européenne et sur son avenir.
Je le répète, l'euro n'est qu'un élément dans la construction d'une « Europe puissance ». C'est bien cette Europe plus politique, plus large, cette Europe davantage dédiée à la croissance et à l'emploi, cette Europe plus proche des peuples que nous voulons. M. Dominique Strauss-Kahn le disait hier devant l'Assemblée nationale, avec l'euro, l'Europe est de retour. Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit. Nous devons dire aujourd'hui oui à l'euro avec conviction, sans arrière-pensée, mais pas sans interrogations.
Aujourd'hui, en votant cette résolution, mesdames, messieurs les sénateurs, nous faisons avec vous un grand pas en avant, même si nous savons bien que cela n'épuise pas le débat.
Achevons donc cet après-midi la discussion en cours et préparons-nous à celles qui viendront ensuite. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat se prononce aujourd'hui sur le passage à l'euro.
Il s'agit là d'une décision d'une rare portée pour l'avenir des nations européennes et de leurs peuples.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont depuis longtemps affirmé la nécessité d'une construction européenne et d'une coopération dynamique entre pays porteuses de progrès social, de démocratie, garanties de paix.
Nous avons fait le choix de l'Europe. Nous savons que cette Europe ne pourra se faire sans l'apport progressiste de la France, pour faire face aux défis du xxie siècle. C'est le sens de notre intervention.
Cette affirmation forte, que beaucoup oublient pour caricaturer notre attitude, je tiens à la rappeler aujourd'hui, alors que l'Europe traverse une crise économique et sociale grave.
De toute évidence, il faut mobiliser toutes les énergies de notre continent pour combattre ces fléaux que sont chômage et précarité, casse industrielle et jachères agricoles.
De grandes choses sont possibles sur notre continent. Développer les coopérations comme Airbus, Ariane-espace, poursuivre les échanges culturels, dynamiser ensemble les technologies, la formation, sont des actions beaucoup plus enthousiasmantes que l'insoutenable suspens de la désignation du futur président de la Banque centrale.
Pourtant, l'Europe ne crée pas l'espoir. Elle est, au contraire, facteur de malaise, d'inquiétude. Qu'y a-t-il d'étonnant, alors qu'il n'est pas un partisan de l'euro qui n'évoque le succès économique de l'Europe, la formidable convergence démontrée par le rapport de la commission des finances, modèle d'exposé technocratique dont la froideur des chiffres est choquante !
M. Lambert, dans son rapport présenté devant la commission des finances, vante la « performance économique des Etats ». Mais dans quel monde vivez-vous, mon cher collègue ? Comment parler de performance alors que les records de chômage sont battus, que la précarité est devenue la règle ? Comment osez-vous vous exprimer ainsi, alors que l'exclusion, la réduction des dépenses de santé mise en oeuvre par le plan Juppé sont la règle ?
Je regrette vivement l'absence d'humanité dans votre exposé. Jamais vous n'évoquez les drames de ces femmes, hommes et enfants victimes de la course à la réduction des déficits, de la course aux critères.
En 1992, lors du débat référendaire - le temps me manque pour rappeler quelques propos édifiants - l'Europe de Maastricht devait être celle de l'emploi, du progrès social.
Force est de constater qu'aujourd'hui l'Europe est celle du chômage et de Vilvoorde.
L'Europe de Maastricht devait être un bienfait pour les peuples. Les observateurs ont pu noter, durant ces six années, que c'est bien le libéralisme, les choix monétaristes, la politique de la spéculation contre l'emploi qui ont dominé les choix européens.
La déréglementation accélérée des services publics, inspirée à notre pays par la Commission de Bruxelles, a marqué cette période. L'argent, la concurrence sont les maîtres mots de cette Europe-là ; ils s'opposent radicalement à l'Europe humaine, celle de la coopération à laquelle nous aspirons.
Le libéralisme qui fondait les politiques de MM. Balladur et Juppé, ce libéralisme qui fonde le traité de Maastricht, véritable hymne à la libre concurrence et à la domination des marchés, a été rejeté par les Français le 1er juin dernier. La victoire de la gauche a été construite sur le rejet de ces politiques, de ces choix qui privilégient les intérêts de quelques-uns au détriment de l'intérêt général.
Les Français, comme les Britanniques, hier, et les Allemands, demain, n'en peuvent plus. Pour les comprendre, regardez, monsieur le rapporteur, les villes ouvrières dévastées de l'Angleterre, voyez l'Allemagne rongée par le chômage, l'Espagne et ses 20 % de sans-emploi, l'Italie qui sacrifie ses retraités et ses malades à une quête insensée de l'euro !
Les Français ont confirmé leur choix du 1er juin voilà quelques semaines. Le rejet du libéralisme est patent et l'espoir du changement continue à être à gauche ;...
M. Emmanuel Hamel. L'espoir a fui, vaincu par le ciel noir !
Mme Hélène Luc. ... mais de premières inquiétudes se sont exprimées, qu'il faut savoir écouter et prendre en compte.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne sont pas partisans du tout ou rien. Ils savent que le temps est nécessaire pour construire une nouvelle politique.
Or, trop souvent, l'argument des critères de convergence, de la maîtrise des dépenses publiques, vient contrecarrer la satisfaction de la volonté populaire. Le carcan de l'euro est un obstacle à une nouvelle étape dans le changement.
Cela ne peut faire de doute : la politique de l'euro - les Français la subissent depuis des années - est synonyme d'austérité. Elle s'oppose aujourd'hui à toute politique alternative de relance économique pour le retour au plein emploi et au développement de la croissance qui commence à se faire jour.
Le pacte de stabilité adopté en annexe au traité d'Amsterdam, le 7 juin dernier, confirme et renforce cette politique pour les années à venir.
Une politique de gauche, de rupture avec l'option libérale, n'est pas compatible avec les orientations fondamentales du traité de Maastricht. S'il n'y a pas de réorientation de la construction européenne, toutes les bonnes volontés, tous les savoir-faire échoueront.
Le sommet de Luxembourg et, bientôt, celui de Cardiff marquent une prise en compte réelle de l'emploi dans la construction européenne. Le fait que le Gouvernement de la France soit à l'origine de l'ouverture d'une brèche dans la forteresse financière qui se met en place est un point important. Il peut compter sur la première mobilisation des peuples d'Europe contre le chômage, comme à Bruxelles et à Luxembourg, et sur l'émergence d'un mouvement social européen.
L'attitude de notre Gouvernement de refus de l'AMI ou du NTM, tentatives d'instauration de l'ultralibéralisme au niveau des échanges mondiaux, confirme notre jugement positif.
Nous avons donc salué ces premiers résultats, en soulignant, toutefois, la faiblesse du financement des mesures engagées, monsieur le ministre.
Chacun a également pu noter que les critères de convergence sociale ne sont aucunement accompagnés d'un dispositif de sanctions, à la différence des aspects financiers. Cela marque sans nul doute les limites de ces premières avancées, mais nous ne désespérons pas de réussir à imposer beaucoup plus.
Il est urgent de mettre réellement au coeur de la construction européenne l'emploi et le progrès social. A cette fin, nous proposons de substituer à la logique du pacte de stabilité un véritable pacte de croissance dont l'objectif central serait l'emploi.
Il est urgent d'abandonner, par exemple, la logique de la baisse du coût du travail, qui accompagne l'austérité. La part des salaires a en effet baissé dans les pays européens depuis 1991.
Nous ne nions pas les réalités économiques mondiales. Mais nous estimons que c'est la baisse des charges financières et non celles des charges sociales qui doit être prioritaire aujourd'hui. Ce sera le moyen de freiner la spéculation et de diriger de nouveau l'argent vers l'emploi.
Nous estimons que l'Europe à construire doit ainsi s'émanciper des marchés financiers et permettre une expansion budgétaire et monétaire autorisant une véritable politique de relance.
C'est dans cette perspective que nous proposons une action en faveur de la baisse du crédit pour dynamiser l'emploi. Cette orientation de l'argent vers l'emploi doit s'appuyer sur une coopération monétaire nouvelle, une monnaie commune et non unique, fondée sur les monnaies nationales. Cette monnaie commune aurait un rôle de premier plan à jouer pour réformer le système monétaire international au service du développement.
De simples aménagements de l'euro ne feront pas le compte. Il faut prendre à contrepied la vision conservatrice de l'Europe, qui domine actuellement, et la remplacer par une vision progressiste.
Cette nouvelle politique européenne, qui sera combattue par les financiers, aurait un atout irremplaçable, celui de s'appuyer sur le mouvement social. Les peuples doivent, en effet, être les moteurs de cette réorientation.
Agir en ce sens, c'est réconcilier l'idée de l'Europe avec la démocratie.
Or, l'euro c'est la consécration de l'indépendance de la Banque centrale européenne, à laquelle sera transférée la réalité du pouvoir économique et financier.
Quel contrôle des parlements nationaux, quel contrôle du parlement européen ? M. le président Monory ne s'est-il pas félicité, hier, du fait que l'euro « commandera les hommes politiques » ?
Un droit de regard ne sera même pas autorisé par principe aux peuples et à leurs représentants puisque, selon les statuts, les réunions de la BCE seront confidentielles, et ses travaux rendus publics selon le bon vouloir de ses membres.
Il est frappant de constater, comme le relate le député Alain Barrau, rapporteur de la délégation européenne de l'Assemblée nationale, que nombre de réflexions ou propositions pour instaurer un contrôle ont lieu au Parlement européen, alors qu'au sein de notre Parlement elles demeurent bien rares.
Pourtant, ne faut-il pas, au-delà des comptes rendus de courtoisie, édifier un véritable pouvoir de contrôle populaire sur la BCE ?
Certains ont évoqué un pouvoir de censure. A quel niveau : national ou européen ? La réflexion doit se développer ; des décisions doivent être prises.
Selon nous, la notion de souveraineté nationale est indissociable de celle de souveraineté populaire. Nous n'acceptons pas de brader à l'extrême-droite ce principe républicain. La souveraineté nationale est une grande idée démocratique qui a trouvé sa source dans la pensée de Rousseau et dans l'action des révolutionnaires de 1789. Saint-Just lui-même, en affirmant : « Le bonheur est une idée neuve en Europe », liait intimement les idées de nation, de justice et de coopération internationale.
La caricature de la souveraineté nationale à laquelle on se prête sur certaines travées où l'on est inconditionnel de l'euro est lourde de mépris à l'égard du peuple. Pourtant, alors que, depuis quelques semaines, d'aucuns mettent en avant la crise de la politique, peu évoquent l'élargissement du fossé entre les centres de décision et le peuple.
La gauche doit regarder les choses en face et ne pas se mentir. La BCE toute puissante, l'euro soumis aux marchés financiers, tout cela est contraire à un idéal européen démocratique et progressiste.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Hélène Luc. Rien n'est irréversible, l'histoire l'a démontré en tous temps. Le choix de l'euro ne l'est donc pas, et l'affirmer n'a pas de sens.
Monsieur le ministre, nous conservons en mémoire la déclaration commune du parti socialiste et du parti communiste français du 29 avril 1997, qui rappelait : « Avec celles et ceux qui refusent de sacrifier la nation et sa souveraineté à la construction européenne, nous disons non à l'Europe libérale, à l'Europe de l'argent roi et à la soumission au marché financier. »
Nous agissons donc pour que grandisse l'exigence d'une autre construction européenne. Un grand débat doit avoir lieu. Il est encore temps de le mener et les échéances permettent encore d'organiser un référendum.
L'argument de l'approbation du traité de Maastricht par le vote de 1992 n'est pas satisfaisant.
En premier lieu, le débat sur la monnaie unique n'était qu'embryonnaire. Le nom de l'euro n'était même pas décidé.
En second lieu, le pacte de stabilité, qui préconise les critères de convergence au-delà de la mise en place de l'euro, en instaurant un mécanisme de sanctions qui symbolise l'abandon de souveraineté, n'était pas inclus dans le traité de Maastricht.
Nombre de « oui » à Maastricht n'approuvaient qu'une austérité provisoire, pas une austérité à vie !
Enfin, comment parler de démocratie si le peuple ne peut défaire ce qu'il a fait ?
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Hélène Luc. Un référendum sur le passage à la monnaie unique doit donc être organisé, comme l'avait d'ailleurs souhaité M. Chirac, en novembre 1994, car la seule discussion d'aujourd'hui ne peut répondre à l'exigence de démocratie.
En votant contre la mise en oeuvre de l'euro, recommandée par la commission des finances du Sénat, le groupe communiste républicain et citoyen ne livre pas, aujourd'hui, un baroud d'honneur.
Nous ne prenons pas date en attendant l'échec. Nous souhaitons vivement la réussite de l'Europe, mais celle-ci ne réussira que si elle est sociale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il était de notre devoir d'exprimer franchement notre pensée.
Quelle que soit la décision du conseil des ministres européens du 2 mai prochain, notre détermination restera intacte. La réflexion et l'action pour la construction de cette Europe sont devant nous, avec les citoyens.
Nous voulons délivrer un message d'espoir, démontrer qu'une alternative existe et qu'il sera possible, demain, de s'opposer à l'action des banquiers de Francfort pour briser toute velleité de changement de notre continent, en s'appuyant sur la majorité de Français qui rejettent l'Europe ultralibérale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat prend appui sur un traité rébarbatif et nous conduira sans doute à approuver un projet de résolution qui constitue un véritable mode d'emploi de ce traité et de l'euro.
Mais comment ne pas d'abord s'arrêter un instant avec émotion devant un spectacle inhabituel : l'euthanasie programmée, pour ne pas parler du suicide collectif, de onze monnaies, à savoir les trois francs - français et belge et luxembourgeois - le mark, le florin, la lire, la peseta, l'escudo, la livre - irlandaise, il est vrai ! - le schilling et le markka finlandais, qui s'en iront rejoindre au cimetière des espèces monétaires disparues l'as, le thaler et l'écu, qui a raté sa réssurection ? L'euro, au nom un peu fade, lui succède.
Notre débat n'a donc d'autre objet que d'accompagner son entrée ratifiée par le peuple français.
Cependant, nombre de questions se posent. Je veux n'en retenir que trois.
L'euro est-il la solution miraculeuse à nos problèmes français ? Ma réponse est non.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Yann Gaillard. Attendez la suite ! (Rires.)
Le Gouvernement nous prépare-t-il bien à son avènement ? Ma réponse est non.
Existe-t-il une politique de rechange ? Ma réponse est non.
M. Emmanuel Hamel. Mais si !
M. Yann Gaillard. A ces trois questions, trois réponses négatives, mais la troisième négation a plus de poids que les deux premières, qui pourraient nous inciter à la procrastination, c'est-à-dire à hésiter face aux échéances.
Première question : l'euro et les problèmes français. Je devrais dire « le » problème français, qui est aussi le problème allemand et celui d'autres pays européens, à savoir le chômage.
Nous sortons d'années difficiles que, selon certains, la politique monétaire dite du franc fort et l'accrochage au mark expliquent en partie. L'euro sera-t-il l'instrument de notre délivrance ou de notre asservissement définitif à la Bundesbank, transformée en Banque centrale européenne ? C'est une première sous-question.
La seconde, qui déborde du plan monétaire pour s'étendre à l'ensemble de la politique économique et sociale, pourrait être formulée ainsi : la variable monétaire étant bloquée, le processus concurrentiel ne va-t-il pas mettre en cause l'ensemble de nos systèmes budgétaire, fiscaux, sociaux, et, pour tout dire, notre autonomie et notre souveraineté nationale ? Ou, si douloureuse soit-elle, cette évolution n'est-elle pas l'occasion d'une remise à plat, d'une réforme profonde qui étaient de toute manière inévitables ?
Au moment de la réunification allemande, devions-nous décrocher du mark ou accepter la réévaluation de celui-ci, qui, semble-t-il, nous avait été proposée ? Le Gouvernement de l'époque, qui était socialiste, n'a pas voulu faire une dévaluation de plus, et il est vrai que nous nous sommes liés à la politique monétaire allemande, et pour longtemps. Nous avons d'ailleurs fini par en bénéficier puisque le franc fort, qui était devenu la réplique du mark fort, nous a valu, à la longue, les bas taux d'intérêt dont le gouverneur de la Banque de France s'enorgueillit. Mais à quel prix ?
Le débat sur le droit de seigneuriage est donc devenu théorique. A ceux qu'émeut la perte de notre souveraineté monétaire, les autres répondent avec réalisme mais non sans cynisme parfois : mieux vaut un 10 % de souveraineté partagée qu'un 100 % de suivisme obligatoire.
Mais aurons-nous bien ce pourcentage de souveraineté ? C'est là tout le problème. Il se pose sur un double plan. Sur la Banque centrale, elle-même : comment fonctionnera-t-elle, comment s'établira le relais avec les banques centrales, j'allais dire décentralisées, des Etats membres ? Le président, quel qu'il soit, ne sera-t-il qu'un primus inter pares ? Sur le plan de ses rapports avec le Conseil - avec les deux conseils, peut-on dire, puisqu'il y aura ECOFIN et le conseil informel de l'euro - la politique monétaire extérieure, c'est-à-dire le taux de change, sera-t-il bien l'apanage des autorités politiques ? Aurons-nous dès lors l'embryon de ce gouvernement économique que nous voulons tous ?
C'est pourquoi le groupe du RPR du Sénat attache une grande importance à l'amendement déposé par M. de La Malène au projet de résolution. Cet amendement a été adopté par notre commission des finances. Il insiste sur la nécessité de réintroduire, dans un dispositif complexe qui règle les rapports de la Banque centrale et du Conseil, la primauté de l'instance politique. C'est à ce niveau seulement que le volet « croissance » du pacte de stabilité pourra déboucher sur du concret et que l'objectif emploi pourra susciter la même attention que l'objectif de stabilité monétaire.
Certes, non contraignant juridiquement, comme l'ensemble de la résolution, cet amendement, s'il est voté, marquera le souci de la Haute Assemblée de se situer au niveau des vrais enjeux.
Désarmés monétairement, nos Etats pourront-ils compter sur la politique budgétaire pour amortir les chocs conjucturels et structurels, ces fameux chocs asymétriques dont nous menacent certains économistes ? Douter que les Etats aient encore les moyens de mener une telle politique, c'est poser, bien sûr, le problème de la légitimité démocratique, puisque en Europe il y a recouvrement exact des souverainetés nationales et des souverainetés populaires. Quid , dès lors, du rôle des parlements nationaux qui expriment cette double souveraineté ? Le problème est devant nous, non résolu en dépit des promesses du Premier ministre que nous enregistrons.
Je ne reviendrai pas sur l'excellente analyse effectuée par Alain Lambert du pacte de stabilité et de croissance. Je noterai cependant que cet échafaudage a pour objet de déterminer comment et à travers quelles procédures de mise en examen et de jugement les gouvernements pécheurs, c'est-à-dire ceux qui dépassent le critère des 3 % de PIB de leur déficit budgétaire, seront menacés, voire condamnés à payer des pénalités qui aggraveront leur déficit d'autant, mais contribueront aux ressources propres de la Commission.
Franchement, l'exercice a quelque chose de surréaliste. Mais l'essentiel n'est pas là : l'essentiel est dans notre volonté, notre capacité d'organisation et de résistance, à l'intérieur des organismes de décision dont nous faisons partie. En effet, mes chers collègues, il ne faut pas raisonner comme si l'Europe était une affaire extérieure.
Cela dépendra pour beaucoup de l'assiduité des parlementaires, du loyalisme des fonctionnaires que nous envoyons à Bruxelles et à Luxembourg, ces deux cités si proches de nous.
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est bien cela !
M. Yann Gaillard. Francfort, c'est vrai, c'est plus dur !
Et si la contrainte était d'abord celle des faits ? Nous sommes éloignés désormais de la « morale sans obligation ni sanction » qu'esquissait au siècle dernier le philosophe français Jean-Marie Guyau ! Nous entrons dans l'univers de la vertu obligatoire. Mais peut-être cette rigueur luthérienne est-elle indispensable dans un temps où ce qui est mis en concurrence, euro ou pas, ce n'est pas seulement la productivité des entreprises, ni seulement la législation sociale et fiscale, ni même la performance de nos institutions administratives, centrales et décentralisées, mais nos sociologies, et ce que les Anglo-Saxons appellent nos « fabriques culturelles ».
M. Lucien Neuwirth. La vertu devient rigide quand le reste s'amollit !
M. Yann Gaillard. Je pose donc une deuxième question : le Gouvernement prépare-t-il notre pays aux contraintes de l'euro ?
Bien entendu, nous ne le pensons pas. On dira qu'il s'agit là d'un parti pris politique. Il faut croire que ce parti pris est assez largement partagé, puisque les critiques émanent - pour ne prendre que des exemples récents - tant du FMI que du président du patronat allemand, ou en termes voilés, du Premier ministre britannique, M. Tony Blair, dans son discours du 24 mars dernier à l'Assemblée nationale.
La lecture de la presse étrangère, surtout américaine, est à cet égard édifiante dans les rares occasions où elle veut bien se pencher sur nos contrées exotiques. Sans parler des classements peu flatteurs de compétitivité que font régulièrement les instituts internationaux, le dernier en date étant celui de l'IMD de Lausanne auquel vient de se référer M. Poncelet.
Sur la stratégie budgétaire, le Gouvernement, certes, adhère à la nécessité de contenir les déficits publics, puisqu'il a signé à Amsterdam les engagements qui l'y contraignent. Le ministre de l'économie et des finances a eu le bon goût de rappeler ses camarades à une sagesse minimale quand, de nouveau, certains parlaient de répartir les fruits de la croissance.
Reste que le Président de la République a pu, à juste titre, le 16 avril dernier, s'inquiéter des déficits publics en France, et préconiser que l'augmentation des dépenses publiques reste au-dessous du niveau de l'inflation, ce qui ne semble pas correspondre à ce que l'on sait des projets gouvernementaux. Au rythme où nous allons, la progression de l'endettement public devrait se poursuivre jusqu'à l'an 2000...
Mais, plus que la stratégie générale, qui se veut cohérente avec nos engagements européens, ce sont les projets emblématiques, ceux qui soudent la majorité plurielle qui nous paraissent en totale contradiction avec ces engagements : les emplois-jeunes, les trente-cinq heures, peut-être, n'auront pas les conséquences désastreuses que redoutent bien des observateurs, peut-être, mais ce sera faute de pouvoir s'inscrire dans les faits. L'Histoire a parfois de ces retournements...
Et puis, sur tant de points - question de sensibilité politique - la réaction du Gouvernement semble aller dans un sens un peu archaïque. Il a la démarche frileuse, il finit par céder aux nécessités de l'heure, mais à regret, sans avoir le bénéfice du geste.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Yann Gaillard. Il privatise sans privatiser vraiment, comme au temps du « ni-ni ». Il ouvre le système bancaire sur la partie bien gérée mais statutairement protégée de ce système, les banques mutualistes. Jusqu'au ministre de l'agriculture et de la pêche qui met son grain de sel et critique le projet de réforme de la PAC dans ce qu'il a justement de moins critiquable, la réaffirmation, par les baisses de prix, de la vocation exportatrice de l'agriculture européenne, et d'abord française.
La bonne surprise d'un redémarrage de la croissance plus certaines astuces comptables ont permis au Gouvernement de passer la première porte, celle des critères de Maastricht. Combien d'autres se présenteront à franchir ? La chance est une grande vertu politique, mais il ne faut pas en abuser.
Troisième question : y a-t-il une politique de rechange à l'euro ? Réponse : non !
D'abord parce qu'il est proprement inconcevable de revenir sur une stratégie engagée depuis une décennie. Les prolégomènes de l'euro ont été définis en juin 1989 à Madrid, par François Mitterrand, Helmut Kohl et Jacques Delors. Depuis, nous avons eu deux présidents de la République, un de gauche et un de droite. Chacun a nommé tour à tour des gouvernements de dévotion et de cohabitation, soit quatre castings politiques différents. Jamais pourtant notre pays n'a dévié de la voie tracée. Cela signifie bien quelque chose, et qui dépasse la persévérance, pendant toute cette période, de M. Trichet et de son discours.
L'euro est non pas une fantasmagorie technocratique, mais la réponse politique à un événement fondamental, l'effondrement du mur de Berlin, suivi d'un autre, la réunification allemande, comme le rappelait si justement M. Genton. Il s'agissait de poursuivre la construction européenne, entreprise depuis près d'un demi-siècle par Robert Schuman et Jean Monnet, rendue possible par le général de Gaulle grâce au redressement national et à la pierre d'angle du traité franco-allemand, posée avec le chancelier Adenauer.
Des présidents suivants de la Ve République, chacun a apporté sa contribution à l'édifice fondé par ces hommes illustres ; Pompidou au sommet de La Haye en 1969 où fut décidé le principe de l'Union économique et monétaire, Giscard d'Estaing à Bruxelles en décembre 1978 où fut lancé le SME, Mitterrand à Maastricht, Chirac à Amsterdam. Il faudrait être bien présomptueux pour croire que tous se sont fourvoyés et c'est bien ce qu'a compris l'opinion publique. Elle a eu à s'exprimer le 20 septembre 1992, et rien n'indique qu'elle ait varié depuis sa résolution...
M. Emmanuel Hamel. Mais si, elle a compris depuis !
M. Yann Gaillard. ... certains diront dans sa résignation.
Aussi bien les points de vues opposés, fort respectables mais fort différents, ne permettraient pas de fonder une politique de rechange.
Je ne vois pas de stratégies de remplacement, mais, que l'on me pardonne, des postures. Il ne s'agit que de retarder, de nuancer, d'ajouter des conditions qu'aucun de nos partenaires n'est prêt à accepter. Quant à la question de l'élargissement, pour que l'Europe soit élargie, il faut d'abord qu'elle existe, et son existence passe aujourd'hui par l'union monétaire. On dit parfois que l'Europe manque de dimension politique, mais quel acte est plus politique que cette mise en commun du plus régalien des pouvoirs, celui de battre monnaie ? Oui, c'est cela qui effraie, et pourtant c'est cela qui, à terme, devrait rassurer.
Et pourquoi cela se fait-il, en fin de compte ? Le Président de la République l'a fort bien dit dans sa conférence de presse du 16 avril dernier : parce que c'est ainsi que s'organise en ce moment le monde du xxie siècle, et que l'Union européenne n'en est qu'un cas particulier. La même loi d'airain aura suscité, aux quatre coins du monde, la construction de ces grands ensembles, ALENA, ASEAN, MERCOSUR, dont le dialogue se fera sur la plan économique, le seul qui compte aujourd'hui. Mais, pour négocier et dialoguer, il nous faut être équivalents.
Nous savons bien que, réduits à nos seules forces, occupés à cultiver les charmes de l'exception française, nous serions incapables de relever ce défi, de réformer nos structures, de baisser le montant de nos prélèvements obligatoires. Nous subirions sans contrepartie la pression des marchés, lesquels ne se contentent pas de noter les entreprises, dont le capital est de plus en plus détenu par des fonds internationaux. Ces monstres sans remords ne nous laisseront plus jamais le temps de souffler. Si nous voulons défendre l'emploi de nos enfants, il nous faut bien pénétrer leurs règles, afin de pouvoir les contenir, voire les infléchir.
M. Emmanuel Hamel. Ne pas subir !
M. Yann Gaillard. L'Europe nous y aidera peut-être, si nous parvenons d'abord à la convaincre, cette Europe, si nous parvenons, nous, France, à nous transmuer en elle, à lui devenir consubstantielle, puisque tel est notre destin historique et géographique.
A ceux d'entre nous qui sont tentés par le refus, je voudrais dire : nous vous comprenons.
M. Emmanuel Hamel. Ah !
M. Yann Gaillard. Nous n'aimons pas, nous non plus, ce monde abstrait, cruel, froid, que prépare l'interconnexion généralisée des pensées et des décisions en basic english.
Un sénateur socialiste. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Yann Gaillard. Nous sommes, nous aussi, héritiers de Colbert et des physiocrates, plutôt que de Ricardo et d'Adam Smith. Nous préférons, comme vous, la main visible de l'homme à la « main invisible » de l'économie. Mais nous ne voulons pas que cette France que nous aimons fasse rater sa chance à l'Europe, qui est la chance de la France.
A propos de chance, je voudrais rappeler un mot d'un homme que j'ai beaucoup servi et que nombre d'entre nous ont connu, sur ces travées et ailleurs - n'est-ce pas, M. Poncelet ? - je veux parler d'Edgar Faure : « Il n'y a pas de politique sans risque, disait-il, mais il y a des politiques sans chance ». C'est pourquoi, sans illusion mais sans hésitation, comme, je le pense, un grand nombre de mes amis, je voterai la résolution de notre commission des finances. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas, en guise d'introduction, revenir sur la procédure qui a abouti à ce débat si nécessaire aujourd'hui, procédure qui est connue de tous.
Je ne voudrais pas, non plus, revenir sur les dispositions du traité de Maastrich, qui a été régulièrement ratifié par voie de référendum par notre pays, et qui fonde le principe de la monnaie unique, ni sur les décisions postérieures, comme le pacte de stabilité, qui ont été adoptées par le Conseil européen ces dernières années.
Je ne voudrais pas non plus insister sur les recommandations de la Commission concernant la liste des pays qualifiés pour la participation à la troisième phase de l'Union monétaire, car tout le monde connaît cette liste et est maintenant convaincu que l'euro se fera, et qu'il se fera à la date prévue par le traité, c'est-à-dire au 1er janvier 1999.
M. Emmanuel Hamel. Pour le malheur de la France !
M. Xavier de Villepin. J'évoquerai plutôt l'avenir de l'euro en soulevant trois questions qui me semblent déterminantes, à savoir : les engagements du pacte de stabilité pourront-ils être tenus ? Le fonctionnement du Conseil est-il adapté aux nouvelles contraintes de l'euro ? La monnaie unique peut-elle se passer d'un contrôle démocratique ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Xavier de Villepin. Les engagements du pacte de stabilité pourront-ils être tenus ?
Le pacte de stabilité, qui, je vous le rappelle, a été adopté sur l'initiative de l'Allemagne, représente une obligation forte, pour les Etats participant à l'euro, de maîtriser leurs finances publiques, notamment en réduisant les dépenses budgétaires et en baissant les impôts.
Je rappelle ainsi que le pacte leur fait obligation, sous réserve d'amendes, de limiter le déficit de leurs administrations publiques - y compris celles de la sécurité sociale et des collectivités locales - en dessous de 3 % du PIB. Au-delà de ces 3 %, les pénalités seront de 0,2 % du PIB, plus un élément variable égal à un dixième de la différence entre le déficit exprimé en pourcentage du PIB et la valeur de référence de 3 %. Pour la France, cette amende serait de l'ordre de 25 milliards de francs pour un déficit de 4 % du PIB.
M. Emmanuel Hamel. C'est aberrant !
M. Xavier de Villepin. Cela doit retenir votre attention et la nôtre.
On oublie parfois que ces pénalités s'appliqueront aussi à la dette publique si celle-ci est supérieure à 60 % du PIB, l'amende étant alors égale à 0,2 % du PIB.
L'Allemagne sera particulièrement vigilante sur l'application de ces sanctions.
J'en veux pour preuve - M. Poncelet l'a rappelé tout à l'heure - le fait que le ministre allemand des finances a demandé, lors de la rencontre informelle des ministres des finances de York, le 21 mars dernier, à mettre en application le pacte de stabilité dès cette année, c'est-à-dire avant même la mise en vigueur de l'euro au 1er janvier prochain.
C'est ainsi qu'une déclaration devrait être annexée à la recommandation sur la liste des pays participant à l'euro dont nous débattons aujourd'hui. Cette déclaration fera obligation aux Etats membres participant à la monnaie unique d'anticiper à l'automne prochain la présentation des programmes de stabilité qui contiendront les objectifs à moyen terme de réduction du déficit et de la dette publique, ainsi que la description des mesures budgétaires destinées à réaliser ces objectifs et les éventuelles mesures de correction destinées à éviter les dérapages budgétaires possibles par rapport aux objectifs.
Il me semble que cette déclaration, qui est une forme d'avertissement pour les Etats participant à l'euro, doit être prise très au sérieux.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est très juste et cela m'inquiète !
M. Xavier de Villepin. Moi aussi, monsieur Poncelet !
Ceux qui pensent qu'il suffit d'entrer dans l'euro pour toucher à la « terre promise » se trompent. L'entrée dans l'euro est, au contraire, une injonction à une réduction sévère des déficits publics.
En prenons-nous le chemin alors que le coût du traitement social du chômage va augmenter dans les prochaines années, que la stabilisation de la dette publique reste compromise faute de provisionnement de la charge future des retraites des fonctionnaires, le tout compromettant ainsi toute baisse prochaine des impôts, laquelle est pourtant nécessaire à la reprise ; à la croissance et au respect des critères du pacte de stabilité ? Le résultat en est que, selon les statistiques de la Commission européenne, le déficit structurel de la France se situe, hors effet de la croissance, à 2,6 % du PIB, pour une moyenne communautaire de 1,7 %.
Le fonctionnement du Conseil est-il adapté aux nouvelles contraintes de l'euro ?
S'interroger sur le fonctionnement du Conseil de l'euro, c'est en fait poser la question du réglage des politiques budgétaires nationales et de la future politique monétaire centralisée de la Banque centrale européenne.
Comme un certain nombre de spécialistes l'ont souligné récemment, à commencer par le conseiller économique du Premier ministre, le fonctionnement non coopératif du Conseil de l'économie et des finances a fait perdre de la croissance en Europe, avec son inévitable cortège de chômeurs et de laissés-pour-compte de la société.
Le FMI, comme d'autres organismes, constate le manque de coordination des politiques économiques et budgétaires des Etats membres. Il a très nettement critiqué la loi française sur les 35 heures, selon lui, « devrait aggraver le problème du chômage structurel plutôt que de le résorber ».
Le FMI confirme directement les conclusions de notre récente commission d'enquête sénatoriale, laquelle a insisté sur la perte potentielle d'emplois qui pourrait être due à ce choix erroné de politique économique. L'opinion dominante des divers participants à la Commission des comptes de la nation qui se sont réunis cette semaine est, quant à elle, réservée sur la possibilité d'une réduction du déficit structurel des finances publiques compte tenu des objectifs que s'est fixé le Gouvernement, notamment avec les 35 heures, les emplois-jeunes et la loi contre l'exclusion.
Certes, j'ai bien entendu la réponse qu'a faite au FMI notre ministre de l'économie et des finances. Selon lui, la France n'est pas visée, il s'agit « d'une vieille rengaine de tous les adversaires de la réduction du temps de travail ». Mais j'ai aussi noté, monsieur le ministre, que vous insistiez sur la nécessité de tenir compte « au plus près des réalités professionnelles et économiques des entreprises ». Je vous rejoins totalement sur ce point : la France ne pourra tirer un réel bénéfice de sa participation à l'euro que si son gouvernement sait entendre la voix des entreprises.
L'avenir de l'euro sera aussi déterminé par les conditions dans lesquelles nos pays sauront se coordonner face à la politique monétaire unique de la Banque centrale européenne, en particulier pour dynamiser l'économie européenne et pour faire reculer le chômage. L'euro ne pourra rester une monnaie forte, comme le souhaite le gouverneur de la Banque de France, et stable, notamment dans ses rapports avec le dollar, que si le chômage revient à un niveau acceptable dans nos pays, acceptable pour les marchés financiers internationaux, bien sûr, mais aussi pour nos concitoyens.
C'est aussi le point du vue de M. Gehrard Schröder, le candidat à la Chancellerie d'Allemagne : il est certes en faveur d'un système monétaire stable et d'un euro « aussi fort que le mark », mais il juge également que l'Union économique et monétaire n'assurera la stabilité de la monnaie que si l'Europe réussit à juguler le chômage de masse. Il affirme aussi : « Notre politique est de veiller à ce que l'euro ne soit pas une débâcle. »
Il faut en fait reconnaître que le Conseil des ministres ECOFIN ne pourra être réellement efficace dans le domaine de l'emploi - c'est-à-dire faire autre chose qu'adopter de bonnes résolutions - qu'en assurant un meilleur réglage entre les politiques économiques, budgétaires, fiscales et sociales nationales et la nouvelle politique monétaire centralisée.
Poser cette question, c'est aborder le problème non seulement des relations entre le Conseil et la Banque centrale européenne, mais aussi du contrôle démocratique de l'euro.
La monnaie unique peut-elle se passer d'un contrôle démocratique ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Non !
M. Xavier de Villepin. Cette question a été malheureusement absente du traité de Maastricht et des textes postérieurs. Certes, le traité garantit l'indépendance de la Banque centrale européenne. Mais il confère aussi au Conseil d'importantes responsabilités. Il s'agit de la responsabilité de la coordination des politiques économiques, de la responsabilité d'arrêter la position de la Communauté au niveau international pour les questions revêtant un intérêt particulier pour l'Union économique et monétaire et de la responsabilité de décider d'accords de change entre l'euro et des monnaies non communautaires ou de formuler des orientations générales de politique de change à l'égard de celles-ci.
Le bon fonctionnement de la zone euro suppose donc un dialogue constant entre le Conseil et la Banque centrale européenne.
L'indépendance de la Banque centrale, garantie par le traité, ne réclame pas que le Conseil renonce à tout ou partie de ses responsabilités propres. Le respect de la démocratie au sein de la Communauté exige le contraire.
C'est une telle conception qu'a retenue le Conseil de Luxembourg. Je cite à ce propos le texte adopté par le Conseil européen : « Compte tenu de la répartition des compétences prévue par le traité, il faudra ... que s'instaure entre le Conseil et la Banque centrale européenne un dialogue permanent et fructueux ... De ce fait, le Conseil devrait jouer pleinement son rôle en tirant parti des voies de dialogue prévues par le traité. »
Au vu des controverses dans ce domaine, il ne me paraît pas inutile de rappeler que le président de la Banque centrale européenne ainsi que le vice-président et les quatre membres du directoire sont nommés, aux termes de l'article 109 A du traité, d'un commun accord par les Etats membres de la zone euro, statuant au niveau des chefs d'Etat ou de Gouvernement. Il s'agit donc d'une prérogative reconnue aux autorités politiques, dont le rôle ne saurait se limiter à entériner un consensus formé dans le cénacle des banques centrales.
Mais la manière dont le Gouvernement français participera à ce dialogue au sein du Conseil ne saurait échapper à tout contrôle de l'Assemblée nationale et du Sénat. En effet, l'adhésion des populations à cette nouvelle monnaie implique une forme de consentement politique aux orientations qui l'inspirent.
Il serait donc souhaitable, me semble-t-il, que le Gouvernement s'engage à organiser à intervalles réguliers un débat parlementaire sur ce thème afin que chaque assemblée puisse exprimer sa position. Il conviendrait aussi que nos assemblées manifestent une vigilance de tous les instants, non seulement lors du démarrage de l'euro, mais aussi tout au long de la période transitoire, notamment lors de l'échange des pièces et des billets, période pendant laquelle nos concitoyens risqueront fort d'être sérieusement perturbés.
M. Emmanuel Hamel. Ils auront bien raison !
M. Xavier de Villepin. En conclusion, je crois que l'aventure de l'euro ne fait que commencer. Elle sera la meilleure ou la pire des choses selon que nous saurons l'accompagner par des politiques économiques, budgétaires, fiscales et sociales appropriées.
Mais pour que ces politiques soient appropriées, encore convient-t-il que nous en débattions. Je me réjouis donc moi aussi du débat d'aujourd'hui, qui se déroule cependant à mes yeux un peu tard, puisque tous les choix stratégiques ont été faits depuis longtemps. Sans doute n'est-il cependant pas trop tard pour décider, grâce à cette résolution du Sénat qui le prévoit explicitement, d'en permettre d'autres, le moment venu. De la sorte, l'opinion publique de notre pays sera éclairée sur les risques et les enjeux de la monnaie unique.
Compte tenu de ces observations, le groupe de l'Union centriste du Sénat votera la proposition de résolution de nos amis de la commission des finances. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma conviction est que l'Union économique et monétaire est, d'abord, une nécessité pour la France, puis un bien pour l'Europe et pour le monde.
C'est une nécessité pour la France car, avec à peine 1 % de la population mondiale, notre pays ne peut prétendre peser efficacement sur la marche du monde. Les problèmes qui se posent sont d'une ampleur et d'une complexité telles que leur résolution dépasse le cadre des Etats. Cela vaut pour l'environnement, l'immigration, la sécurité, la recherche et les technologies, ainsi que pour le chômage, sujets qui sont au centre des préoccupations politiques à l'aube de ce troisième millénaire. En tous ces domaines, on ne peut aujourd'hui faire cavalier seul.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'économique prime sur le militaire. La puissance se mesure en parts de marchés, qui elles-mêmes structurent l'évolution culturelle des nations. La France a certes stabilisé sa monnaie, mais le franc n'en représente pas pour autant une devise apte à peser sur les événements extérieurs.
Nous vivons, malgré nous, dans l'interdépendance. Mieux vaut organiser celle-ci pour tenter d'en maîtriser les effets que de subir la loi du plus fort, c'est-à-dire celle du dollar. Mettre en oeuvre des méthodes intergouvernementales, telle était bien l'ambition des pères fondateurs de l'Europe, tel reste aujourd'hui l'objectif de l'Union économique et monétaire.
La monnaie unique est aussi un bien pour l'Europe : avec 6 % de la population mondiale et 30 % de la production, le Vieux Continent ne pèse pas sur les affaires du monde à la hauteur de ses immenses capacités et de ses 370 millions d'habitants. Le formidable pouvoir intégrateur de l'euro, son effet démultiplicateur de puissance, conduiront dans l'avenir les Etats de l'Union à défendre des positions communes dans les institutions internationales comme l'OMC, le FMI, en y renforçant d'autant son influence.
L'euro représente également un bien pour le monde. Nous assistons aujourd'hui à la constitution de grands ensembles régionaux : ALENA - Accord de libre-échange nord-américain - Mercosur - Mercado comun del Sur - ASEAN - Association of Southeast Asian Nations - etc. Ils constituent un prélude à la mondialisation. Sur cette position, l'Europe a pris de l'avance.
La crise financière en Asie a rappelé les dangers d'un système international fondé sur une seule monnaie de réserve, le dollar. Une prise de conscience s'est fait jour : une deuxième monnaie mondiale de référence est nécessaire ; l'euro est précisément destiné à jouer ce rôle.
Les Américains, qui ont longtemps douté de la capacité des Européens à créer une monnaie unique, ...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Hubert Durand-Chastel. ... admettent maintenant l'avènement de l'euro et s'y préparent. L'ambassadeur des Etats-Unis à Paris déclarait hier au Sénat devant la commission des affaires étrangères : « L'euro n'est pas une menace et nous souhaitons son succès ».
D'autres grands pays, comme la Chine, ainsi que les gestionnaires de fonds de pension ont déjà indiqué qu'ils basculeront une partie de leurs avoirs en euro. L'euro va donc permettre un rééquilibrage du système monétaire international, en servant de contrepoids au billet vert pour le bien du plus grand nombre.
Dans la marche vers l'euro, l'effet attractif au sein de l'Union est remarquable. Il n'y a qu'à voir les efforts considérables déployés par l'ensemble des participants pour pouvoir prendre le premier train de l'euro. C'est un succès total du traité de Maastricht : à la fin de 1997, quatorze des quinze Etats membres avaient réalisé une convergence jamais encore atteinte de leurs économies concernant l'inflation et le déficit public. La France a dû faire de gros efforts pour réduire à 3 % son déficit budgétaire. Le chemin formidable accompli par les pays du Sud - Espagne, Portugal, Italie - dément les pronostics les plus sceptiques qui avaient été faits. Même la Grèce, seul pays des Quinze non qualifié pour 1999, a ramené son taux d'inflation de 13 % à 4 % du PIB, et poursuit ses efforts pour rejoindre ultérieurement la zone euro.
Il s'agit donc d'un véritable engouement pour l'euro, car ces pays n'étaient nullement contraints à entrer dans l'Union économique et monétaire, comme le Danemark, la Suède et la Grande-Bretagne, qui ont choisi de ne pas y adhérer en 1999.
Ces résultats montrent bien que l'Union économique et monétaire procède d'une forte volonté politique commune. Certes, des peurs compréhensibles, des interrogations légitimes s'expriment, mais les sondages indiquent que 92 % des Français croient à l'avènement de l'euro et que 57 % d'entre eux l'approuvent.
En Allemagne, où les réticences sont les plus fortes, la volonté politique du chancelier Kohl a été déterminante, face à une Bundesbank toute-puissante. Les critères de Maastricht ont été interprétés en tendance et non à la lettre ; le pacte de stabilité, voulu par nos partenaires outre-Rhin, est contrebalancé par l'instauration d'un Conseil politique de l'euro placé à côté de la Banque centrale européenne et voulu par la France ; elle a obtenu également au sommet de Luxembourg que des plans nationaux de lutte contre le chômage soient présentés et discutés à l'échelon européen.
Ainsi, le constat est plus que positif, avec la performance tout à fait remarquable des pays de l'Europe latine, la solidité du couple franco-allemand et l'ampleur de l'évolution des Anglais.
Face aux contraintes de saine gestion que réclame la monnaie unique, la France, plus que d'autres, doit accomplir les réformes qu'elle a trop longtemps différées : la flexibilité du travail, la mobilité professionnelle, l'adaptation de la protection sociale et la réduction des dépenses publiques. Pensez-vous raisonnable, monsieur le ministre, d'augmenter les dépenses publiques dans le premier budget de l'euro de 1999, alors que tous les experts estiment qu'elles doivent au contraire être structurellement réduites ?
Notre pays reste par ailleurs handicapé par une fiscalité élevée, avec les risques de délocalisation que nous connaissons déjà. La véritable mission de l'Etat n'est-elle pas de faire en sorte que les entreprises qui embauchent, essentiellement les PME, gagnent de l'argent en embauchant, c'est-à-dire qu'il soit rentable de créer de l'emploi sans subvention publique ?
Un autre impératif, si l'on veut éviter un rejet de l'Europe par les peuples, est la démocratisation des institutions européennes. Le Premier ministre annonce une modification du mode de scrutin aux élections européennes. Mais ne conviendrait-il pas parallèlement de conforter les pouvoirs du Parlement européen en incluant un Sénat européen, je dis bien un Sénat européen,...
M. Jacques Habert. Excellent !
M. Hubert Durand-Chastel. ... qui renforcerait son pouvoir législatif vis-à-vis de la Commission de Bruxelles, un pouvoir considéré comme faible par rapport à celui de nombreux autres pays, les Etats-Unis d'Amérique en particulier.
M. Jacques Genton, au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne. Nous avons déjà été recalés deux fois !
M. Hubert Durand-Chastel. S'agissant du rapprochement des peuples vers l'Europe, la monnaie unique devrait du reste y contribuer par son fort pouvoir symbolique. « L'euro, c'est l'Europe dans nos poches », déclare justement le commissaire européen Yves Thibault de Silguy.
M. Paul Loridant. Avec ça, on ira loin !
M. Hubert Durand-Chastel. En conclusion, la création de l'euro est un événement historique et paradoxal. C'est un formidable pari et on n'a jamais vu une monnaie unique précéder l'établissement d'un gouvernement central. Mais la construction européenne est, dès l'origine, exceptionnelle. Jean Monnet s'était inspiré d'une méthode d'homme d'action, en disant « l'intendance d'abord, la politique suivra ».
La construction européenne est une aventure collective menée sur cette base, en dépit des égoïsmes nationaux et de l'individualisme ambiant. Les avantages à moyen et long termes devraient l'emporter largement sur les difficultés de la transition.
A la fusion des monnaies correspond l'union économique et, par conséquent, l'union politique. Là est le véritable défi : l'euro est un commencement et son phénomène d'entraînement sera considérable.
Les Français de l'étranger, que je représente, sont en très grande majorité favorables à l'euro car ils vivent déjà dans la mondialisation.
M. René Régnault. Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel. J'approuve donc pleinement la résolution de la commission des finances sur l'euro et demande au Gouvernement de valoriser les atouts français au sein de l'Union européenne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Jacques-Hubert applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les excellentes interventions de M. le rapporteur et de M. le président de la commission des finances,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... qui ont bien précisé les termes du débat, et après les points très utiles, parfois les contestations, apportés par les orateurs qui m'ont précédé, je tiens à marquer d'emblée le soutien que le groupe des Républicains et Indépendants apporte à l'action du Président de la République et du Gouvernement pour poursuivre la mise en oeuvre de l'euro, à laquelle nous attachons tous beaucoup d'importance.
M. René Régnault. Ça, c'est bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est l'aboutissement d'une grande idée, et vous me permettrez de créditer M. Valéry Giscard d'Estaing et M. Helmut Schmidt, qui en furent les promoteurs.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le débat d'aujourd'hui, mes chers collègues, a le mérite de souligner les différentes positions des uns et des autres, et de marquer les lignes de clivage qui traversent le Sénat, comme elles ont traversé hier l'Assemblée nationale.
Trois attitudes de principe peuvent exister.
D'un côté, il y a les nostalgiques du franc Poincaré, qui s'interrogent sur l'utilité d'une monnaie unique et qui contestent sa mise en place trop prématurée. Certains sont opposés à toute création nouvelle, et d'autres en sont restés à la monnaie commune.
D'un autre côté, il y a les « euro-optimistes », qui sont persuadés que la mise en oeuvre de la monnaie unique est une simple formalité, et qu'à condition d'assortir cette création d'un certain nombre de concepts nouveaux elle réglera, à elle seule, tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Puis il y a les raisonnables, les plus nombreux dans cette assemblée bien sûr, parmi lesquels se range le groupe des Républicains et Indépendants (Sourires), qui acceptent le passage à l'euro, mais qui s'interrogent sur les conditions du maintien de notre pays dans ce système.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très juste !
M. Jean-Pierre Fourcade. Le vrai problème pour nous consiste non pas à discuter sur les conditions du passage à la monnaie unique, mais à nous demander si la politique actuelle du Gouvernement nous permettra d'en tirer tous les bénéfices, comme l'a fort bien dit M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Merci !
M. Jean-Pierre Fourcade. L'euro est nécessaire pour plusieurs raisons.
Nous sommes partisans de la monnaie unique parce que nous avons besoin d'une monnaie d'une dimension suffisante par rapport aux grandes monnaies du monde, notamment aux monnaies de réserve.
Nous vivons dans un monde ouvert à la concurrence, dans lequel les notions d'équilibre de la balance des paiements, de développement de la productivité, de valeur de la monnaie sont devenues des références générales qui s'imposent à nous.
Quels que soient les regrets que l'on puisse avoir à l'égard de tel ou tel système qui s'est effondré, il faut bien accepter aujourd'hui les règles générales de fonctionnement du monde. C'est en fonction de ces règles que nous devons faire avancer la construction européenne.
Je sais bien que beaucoup de nos collègues, on l'a vu tout à l'heure, trouvent quelque peu ésotérique le vocabulaire utilisé par les gouverneurs de banques centrales et les ministres des finances, qui adorent parler de stabilité des prix, de convergence ou de maîtrise des taux d'intérêt et des problèmes de croissance. (M. le président de la commission sourit.)
Mais il suffit d'avoir participé à l'une ou l'autre de leur réunion pour savoir que c'est de cette manière que les affaires du monde se résolvent, et ce d'autant plus que, comme certains l'ont oublié, le mur de Berlin est tombé voilà quelques années.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Heureusement d'ailleurs !
M. Jean-Pierre Fourcade. Moi qui ai vécu l'effondrement du système de Bretton-Woods, voilà presque vingt-cinq ans - je représentais la France au moment de la signature des accords de la Jamaïque -, qui ai connu les effets dangereux de la toute-puissance américaine, qui ai mesuré depuis l'importance dans l'économie mondiale de l'absence d'une parade au dollar, je me réjouis de la création de l'euro et je ne comprends pas qu'on puisse venir nous parler d'abandon de la souveraineté nationale, alors que nous allons participer à la gestion d'une grande monnaie de réserve.
Est-ce un effet du sort ou un heureux présage ?
C'est précisément au moment où les économies des pays d'Amérique du Sud entrent dans une croissance forte, c'est précisément au moment où les économies des pays asiatiques connaissent des difficultés, que la mise en oeuvre de l'euro va constituer une parade au dollar et nous permettre de retrouver une perspective de stabilité monétaire internationale. Pour avoir vécu le système précédent, avoir assisté à son effondrement et avoir mesuré tous les inconvénients sur l'investissement, sur l'emploi et sur nos économies des désastres occasionnés par le flottement des monnaies, je crois que la création de l'euro, dans la conjoncture actuelle et compte tenu de l'ensemble des précautions qui sont prises, ne pourra que faciliter le développement des entreprises, de l'emploi et de la croissance à partir d'une solidité financière retrouvée.
En revanche, monsieur le ministre, le soutien clair que nous apportons à la résolution présentée par la commission des finances - et j'ai particulièrement apprécié, monsieur le président de la commission des finances, les quelques ajouts de la proposition rectifiée (M. le président de la commission sourit.) qui me paraissent aller tout à fait dans le sens de ce que je souhaitais - pose un grand problème, car la réussite de la troisième phase de l'union monétaire et économique dépendra fortement de la manière dont celle-ci sera menée au cours des prochaines années.
Nombre d'entre vous l'ont dit, mes chers collègues : la monnaie unique n'est pas une fin en soi. C'est un début, et si elle doit être un vecteur de croissance et de création d'emplois, notamment pour notre pays, qui connaît aujourd'hui une inflation presque nulle et un très fort excédent de sa balance des paiements - ce qui est plus important que l'excédent de la seule balance commerciale - la question de fond est de savoir si la France est en mesure de tirer le meilleur parti de la monnaie unique.
M. Lambert a longuement expliqué que les règles de convergence en matière d'inflation, de taux d'intérêt, d'endettement et de déficits publics ont été posées, à la fois, par le traité d'Amsterdam et par les actes subséquents et qu'elles sont indispensables pour que la zone de l'euro soit compétitive. Ces principes doivent être respectés, non seulement lors de la phase transitoire, mais aussi de façon permanente par la suite, au moyen d'une application stricte du pacte de stabilité et de croissance.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que moins de stabilité amènerait davantage de croissance. L'expérience montre en effet, autour de nous, que ce sont les pays qui ont le mieux respecté les critères de convergence, qui ont le plus réduit le taux de chomâge, qui bénéficient de taux de croissance satisfaisants. Il existe un lien entre la stabilité et la croissance, ne continuons pas, par conséquent, à développer cette vieille théorie, qui a beaucoup séduit autrefois un certain nombre de nos prédécesseurs et un certain nombre de nos chefs d'entreprises, selon laquelle un petit peu d'inflation faciliterait la croissance. C'est une erreur manifeste,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Vieille théorie !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... il est démontré que c'est faux.
M. Xavier de Villepin. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade. Or le Gouvernement que vous représentez, monsieur le ministre, qui est favorable à la création de la monnaie unique, ce dont nous le félicitons, mène une politique économique et sociale qui nous paraît s'éloigner de celles que mènent les autres pays européens, y compris de celles des pays qui sont dirigés par des socialistes ou par des socio-démocrates.
Votre politique risque d'entraver la réussite de l'euro. Je ne vous cacherai pas que mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants sont inquiets de voir les chemins que vous empruntez. Je prendrais trois exemples.
Le premier concerne évidemment le budget. Vous risquez - j'ai senti que cela commençait à venir - de céder à la tentation, comme un certain nombre de vos prédécesseurs illustres - je me souviens du discours que M. Fabius prononça à cette tribune, en 1982, au moment de la présentation du budget - vous risquez, dis-je, de céder à la tentation de croire que l'augmentation de la dépense publique a des vertus par elle-même. Or, dans le monde qui est le nôtre, la dépense publique n'a aucune vertu, surtout dans un pays dont la structure de la population active diverge par rapport à celle de la moyenne de ses partenaires. Je rappelle qu'en France 24 % des emplois de la population active au travail sont des emplois publics, du secteur public ou du secteur protégé, alors que la moyenne européenne est inférieure à 18 %. Il est évident qu'un certain nombre de mesures du type de la loi sur les emplois-jeunes notamment risquent d'aggraver, à terme, ce pourcentage, qui est l'une de nos caractéristiques dangereuses en matière de compétitivité.
MM. Poncelet, Lambert et de Villepin ont parlé de la fiscalité alourdie sur l'épargne et le revenu. Je vous renvoie à leurs excellents développements, auxquels je souscris.
Mon deuxième exemple concerne le domaine économique et social.
Si l'approfondissement du volet social du traité doit être une des priorités - je la retrouve d'ailleurs dans le texte de la résolution de la commission des finances - il ne peut se faire qu'à la condition que la réduction de la durée du travail y soit non pas considérée comme la solution unique mais comme une démarche parmi d'autres susceptibles d'améliorer la situation.
A cet égard, je ne rappellerai pas ici, monsieur le ministre, les propos du directeur général du FMI sur votre affaire - car ce n'est pas notre affaire - des trente-cinq heures. Je ne dirai pas non plus ce que pensent à l'heure actuelle un certain nombre d'économistes européens, notamment nordiques, Suédois, Finlandais ou Norvégiens par exemple, qui trouvent que l'idée de décréter la réduction de la durée du travail et de l'imposer par la loi aux entreprises n'est pas un élément constitutif - n'en déplaise à Mme Luc - du modèle social européen.
Si, jamais, cette loi devait s'appliquer - nous avons deux ans pour voir ce qui va se passer - nous prendrions à l'évidence un chemin divergent de celui de nos partenaires.
Je prends un troisième exemple : la politique d'aménagement du territoire chère au coeur de notre ami Charles Pasqua.
Vous êtes en train - si j'en crois ce qu'on dit des projets de Mme Voynet de la transformer en politique des banlieues. Vous êtes en train de passer de la pensée unique dont on a tellement parlé à un nouveau concept socialiste qui est la pensée unique urbaine !
C'est tout à fait intéressant, mais je crois qu'il appartient au Sénat, qui représente le territoire national, qui représente l'ensemble des collectivités de notre pays, même si, comme l'a dit M. le Premier ministre, nous sommes « une anomalie démocratique », de vous faire observer que, dans la compétition qui va s'organiser et dans la convergence des politiques économiques et sociales qui vont permettre de soutenir l'euro, il nous faut avoir une politique d'aménagement du territoire qui ne s'écarte pas de la moyenne de celles que mènent nos voisins et ne pas passer sous silence l'ensemble de l'espace rural, ce qui serait très grave dans la perspective dans laquelle nous nous inscrivons.
Il est donc essentiel que nous nous engagions dans l'harmonisation croissante des politiques économique et sociale. C'est, sur ce point fondamental, que se situe l'enjeu majeur de l'euro et ses perspectives de succès. L'euro ne sera un vecteur de croissance que si les politiques de tous les pays membres s'ajustent durablement, aussi bien sur le plan monétaire que sur le plan social et sur le plan économique. A cet égard, le financement de notre système de prestations sociales, le traitement des problèmes de l'immigration et la lourdeur de notre réglementation du travail sont des obstacles à cette convergence et à cette évolution harmonieuse de l'ensemble de nos politiques.
Je sais, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que vous le savez. Je sais aussi que vous répondrez ce soir que la politique du Gouvernement est tout à fait en phase avec ce qui se fait à Bruxelles.
La commission des affaires sociales du Sénat a reçu la semaine dernière Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité, qui est venue présenter le plan français correspondant aux directives européennes sur la lutte contre le chômage.
Il est clair que, dans ces directives européennes, la réduction et l'aménagement de la durée du travail ne sont qu'une des dix-neuf mesures proposées, alors que pour nous, c'est devenu une mesure essentielle. Il est non moins clair que le succès de l'euro imposera, à terme, que l'on rapproche toutes ces politiques et que l'on évite de se lancer dans des déviations très dangeureuses pour nos entreprises, nos travailleurs et l'ensemble de notre pays.
En définitive, monsieur le président, le groupe des Républicains et des Indépendants est favorable à l'adoption de la proposition de résolution rectifiée de la commission des finances.
Je souscris notamment à l'invitation faite au Gouvernement d'approuver la liste des Etats membres, de faire que le système européen veille à la fois à la croissance et au maintien d'un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, ce qui me paraît essentiel,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est réclamé par la totalité de l'assemblée !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... de poursuivre l'approfondissement de tous les volets de l'Union économique et monétaire, notamment en matière de politique agricole et de politique industrielle, de prévoir une information régulière du Parlement, de produire l'ensemble des rapports, avis et recommandations auxquels pourraient donner lieu la mise en oeuvre des articles 103 et 104 C du traité.
Nous trouvons dans cette résolution la marque de notre engagement commun en faveur de l'euro, de notre souci de poursuivre rapidement l'approfondissement de tous les volets de l'Union économique et monétaire. Nous y trouvons aussi la trace de notre inquiétude sur la convergence et sur la politique de l'actuel gouvernement, mais, mes chers collègues, nous sommes engagés sur le long terme. Il y aura bien un jour ou l'autre une alternance et, par conséquent, il sera toujours possible de corriger...
M. Emmanuel Hamel. Ce n'est pas pour demain !
M. René Régnault. Il est réaliste !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... Il a fallu vingt ans pour la maturation de la monnaie unique ! En vingt ans, il y en a des alternances !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. D'accord pour vingt ans ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Il est important que, dans une très large majorité, le Parlement français accepte de s'engager dans la création de la monnaie unique. Il est nécessaire de tout mettre en oeuvre pour qu'elle soit bénéfique à notre pays, et c'est dans cet espoir que je souhaite que la plupart de nos collègues adoptent la résolution rectifiée,...
M. René Régnault. Et bien rectifiée !
M. Jean-Pierre Fourcade. ... si habilement présentée par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après l'Assemblée nationale qui l'a fait hier en votant à une large majorité, le Sénat doit aujourd'hui se prononcer à son tour sur les modalités de la dernière phase de la réalisation de l'Union économique et monétaire et, en particulier, sur la liste des premiers pays participant à la monnaie unique qui sera arrêtée dans quelques jours par les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats membres de l'Union européenne.
La résolution que nous allons voter n'a guère de valeur juridique, mais c'est l'occasion pour nous de faire le point sur l'état de la construction européenne qui nous concerne tous.
Longtemps, la monnaie unique a été un projet qui paraissait lointain. Il n'est désormais plus un objectif, c'est une réalité.
La décision de doter l'Europe d'une monnaie unique est l'aboutissement d'un long processus, commencé avec la signature du traité de Rome en 1957. Cette idée s'est imposée progressivement, avec alternance de phases d'accélération et de stagnation, depuis la création d'un système monétaire européen en décembre 1978, qui a été la première concrétisation de la volonté de créer une zone monétaire stable en Europe, jusqu'à l'inscription de la perspective de la monnaie unique dans le traité de Maastricht, qui - je le rappelle à mon tour - a été adopté par référendum par le peuple français.
Pour les pays européens, l'enjeu est sans précédent historique. Il s'agit désormais de bâtir une union politique à partir de cette construction monétaire et économique.
La construction européenne atteint donc aujourd'hui une étape décisive. Son orientation future ne peut plus dès lors résulter que d'un choix politique pleinement assumé par les Etats membres.
Ce choix doit être clairement fait. Il est d'autant plus essentiel qu'il y a convergence, voire similarité des objectifs assignés à l'Union économique et monétaire et des objectifs généraux de la construction européenne.
Plus encore qu'auparavant, l'Europe est à un tournant, confrontée à des choix déterminants pour son avenir. Des décisions qui seront prises dans les jours et les mois à venir dépendent le modèle de société que nous voulons développer à l'échelle du continent européen, ainsi que la place et le rôle de la France dans cette perspective.
L'occasion se présente aujourd'hui de mesurer les opportunités et les enjeux de la réalisation de l'Union économique et monétaire. Cette réflexion est aussi celle des objectifs que nous souhaitons donner à la construction européenne.
En terme d'atouts et de développement, la réalisation de l'Union économique et monétaire représente sans nul doute l'une des avancées les plus importantes de l'histoire de la construction européenne.
Avant même d'entrer en vigueur, vous le souligniez hier, monsieur le ministre de l'économie, l'euro, par sa seule perspective, apparaît comme un facteur de stabilité économique dans l'Union européenne. Dès sa mise en place effective, il devrait entraîner des effets positifs rapidement visibles.
Cela permettra en effet d'achever la réalisation du marché intérieur en éliminant l'incertitude et les coûts de transactions inhérents aux opérations de change ainsi que les frais de couverture contre les risques de fluctuation monétaire.
Cela permettra d'accroître, de ce fait, l'activité économique en facilitant l'activité des entreprises et la consommation en stimulant les échanges intercommunautaires et, par conséquent, en favorisant la création d'emplois.
Enfin, cela permettra de renforcer la stabilité monétaire et la puissance financière de l'Europe grâce à la disparition de toute possibilité de spéculation entre les monnaies.
L'instauration de la monnaie unique est, à l'heure actuelle, le seul vrai projet d'approfondissement de l'Union européenne.
Il s'agit de faire en sorte que cette étape historique serve tout à la fois de vecteur de changement et de catalyseur d'une dynamique d'intégration face aux défis que nous aurons à relever dans les mois et les années à venir, s'agissant notamment de la réforme des institutions et de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle peut constituer, comme l'a dit M. le ministre des affaires étrangères, le choc fédérateur dont l'Europe a besoin.
La monnaie unique doit être, en effet, le pilier d'une cohésion nouvelle. Elle permettra en fait de réaliser, en grandeur réelle, l'expérience primordiale de coopération renforcée et de savoir si ce système peut devenir à terme un principe de fonctionnement de l'Union.
En fin de compte, l'instauration de la monnaie unique fait une exigence de la rationalisation de l'organisation de l'Union.
J'en arrive à ce que doivent être, à nos yeux, les conditions de réussite de la monnaie unique.
Première condition : la réalisation d'une zone euro large.
A cet égard, nous nous félicitons des conclusions de la Commission européenne, qui répondent aux souhaits exprimés dès l'origine par les socialistes, à savoir : faire l'euro sur une base large, de manière qu'il contribue à faire de l'Europe une Europe puissante.
Cela a été rendu possible grâce aux efforts accomplis par tous les pays candidats à l'euro, alors qu'il y a encore peu d'années presque aucun Etat membre ne satisfaisait, même globablement, aux critères de convergence.
Les progrès réalisés ont permis à la Commission européenne de recommander que onze pays participent au premier groupe de la monnaie unique.
S'agissant de la France, alors que voilà seulement un an on s'interrogeait, c'est le moins que l'on puisse dire, la Commission européenne considère que notre pays remplit les conditions nécessaires pour participer à la monnaie unique. La France satisfait en effet à tous les critères de convergence définis par le traité. On me permettra au moins de penser que l'action du gouvernement de Lionel Jospin n'y est pas pour rien.
M. René Régnault. Très juste !
M. Claude Estier. J'ajoute, pour répondre d'un mot à M. Fourcade, que cette action continuera, j'en ai la conviction, à placer la France en bonne position dans cette Union économique et monétaire.
M. Jean-Pierre Fourcade. C'est un voeu !
M. Claude Estier. Il faut d'ailleurs noter que le respect des critères de convergence paraît s'inscrire dans la durée avec la convergence des Etats vers un très bas niveau d'inflation, la réduction structurelle sensible des déficits, la stabilité du mécanisme de change européen et le niveau historiquement bas des taux d'intérêt à long terme.
Les efforts de convergence consentis par les Etats membres, en particulier ces derniers mois, et le nombre final de pays participant dès maintenant à l'euro traduisent une volonté politique d'assurer une monnaie unique stable et crédible. Au regard de la détermination politique des Etats, c'est bien l'interprétation en tendance des critères de convergence qui a prévalu, et c'est également ce que nous souhaitions.
Deuxième condition : le rééquilibrage de la construction européenne et de l'Union économique et monétaire dans le sens des priorités de la croissance et de l'emploi.
Depuis neuf mois, grâce aux initiatives du Gouvernement français, en accord avec le Président de la République, le débat a évolué vers un rééquilibrage de la construction européenne et de l'Union économique et monétaire dans le sens de nouvelles priorités accordées à la croissance et à l'emploi.
La résolution sur la croissance et l'emploi adoptée lors du Conseil européen d'Amsterdam et les conclusions du sommet européen sur l'emploi ont permis, en premier lieu, de placer sur le même plan la stabilité budgétaire et la lutte pour la croissance et l'emploi, en deuxième lieu, de souligner le rôle que pourra jouer l'Union économique et monétaire dans le renforcement du marché intérieur et dans la création des conditions de la croissance économique et de la création d'emplois, enfin, en troisième lieu, d'insérer l'émergence d'une Europe sociale dans la perspective du passage à la monnaie unique.
La résolution sur la coordination des politiques économiques, adoptée par le Conseil de Luxembourg en décembre 1997, répond, quant à elle, à l'exigence de la convergence des économies européennes et d'une concertation étroite entre les Etats membres participant à la monnaie unique afin de favoriser, dans la stabilité économique, la croissance et l'emploi.
Troisième condition : un euro qui soit compétitif par rapport au dollar.
Outre la stabilité monétaire interne, il est nécessaire de souligner que la valeur extérieure de l'euro sera déterminante pour consolider le rôle et la position de l'Union européenne, en matière monétaire et commerciale, sur la scène économique internationale. Aujourd'hui, le rééquilibrage de l'euro par rapport au dollar répond à cette condition, ce qui doit permettre à l'économie européenne d'être moins dépendante des fluctuations de la monnaie américaine. D'ailleurs, à lire quelques articles de presse d'outre-Atlantique, il semble que l'on commence à s'en inquiéter aux Etats-Unis.
M. René Régnault. Eh oui !
M. Claude Estier. Quatrième condition : la création d'un pôle de politique économique face à la Banque centrale européenne.
La résolution du Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre 1997 a institué le Conseil de l'euro. Il s'agit bien d'un pendant politique à la banque centrale, devant favoriser, comme le souhaitait le Gouvernement français, la concertation et la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro. Il traduit l'émergence du pôle politique et économique face au pôle monétaire.
Certains font certes valoir que ce Conseil de l'euro aura peu de pouvoirs. Je crois, pour ma part - et il me semble m'inscrire ainsi dans la ligne de pensée que vous avez exposée hier, monsieur le ministre de l'économie - que ce conseil aura les pouvoirs qu'il voudra bien se donner en fonction d'une volonté politique que nous espérons voir nos partenaires partager.
Au total, compte tenu des progrès réalisés ces derniers mois dans le sens d'une formulation plus politique du projet, nous pouvons considérer que les conditions d'introduction de l'euro sont aujourd'hui suffisamment favorables pour espérer la réussite de la monnaie unique.
Cependant, au-delà de ces sujets de satisfaction, de nombreuses interrogations demeurent, qui sont à la mesure même de ce défi et de l'exigence de solidarité qui conditionne la réussite de cette nouvelle phase de la construction européenne. Pour être bref, je résumerai quelques-unes de ces interrogations.
Comment seront absorbés les chocs économiques dans les différents pays avec des taux de change fixes, sans mécanismes de transferts en matière financière et d'emplois ?
Les taux de change ne pouvant plus varier, sur quels mécanismes devra reposer la correction d'éventuels déséquilibres économiques entre les Etats membres ?
Comment la nécessité pour chaque pays de conserver des marges de manoeuvre afin de faire face à une éventuelle récession pourra-t-elle se concilier avec la nécessité d'utiliser tous les instruments de politique économique disponibles en vue de créer des emplois ?
M. Emmanuel Hamel. Très bonne question !
M. Claude Estier. A cet égard, nous ne pourrions évidemment souscrire à l'idée évoquée ici par plusieurs orateurs et exprimée par ailleurs par le ministre de l'économie et des finances allemand, M. Theo Waigel, préconisant l'adjonction d'une déclaration commune aux décisions du passage à l'euro, début mai. Cette déclaration exprimerait l'engagement de tous les pays de la zone euro à poursuivre une consolidation budgétaire allant au-delà des règles du pacte de stabilité, des recommandations et des résultats présentés dans les rapports de convergence de la Commission européenne, ainsi que des efforts et de la détermination des pays candidats.
Il semble cependant que le ministre allemand se soit montré ces derniers jours plus conciliant à cet égard, en reconnaissant cette semaine à Luxembourg qu'il est du ressort des Etats de décider s'il convient de consacrer les fruits de la croissance retrouvée à la réduction des déficits publics ou de les affecter à de nouvelles dépenses. Peut-être, monsieur le ministre, pourrez-vous nous confirmer qu'il en est bien ainsi.
Pour toutes les raisons que je viens de développer, dès lors que la politique monétaire sera gérée à l'échelon européen, il serait indispensable que la politique économique prenne également une dimension européenne. La perspective de la monnaie unique a déjà permis un rapprochement des économies de nos pays. Elle doit être aujourd'hui le vecteur d'une politique économique européenne qui consacrera à terme l'édifice de l'intégration.
L'objectif d'une convergence plus poussée des critères de Maastricht ne peut tenir lieu de politique économique commune. Et les critères en tant que tels ne peuvent devenir les seuls paramètres des politiques économiques.
Une autre exigence est celle d'une harmonisation fiscale et sociale, afin d'éviter toute tentation de concurrence et, en quelque sorte, de prime au moins-disant social et fiscal.
Sur ce point, évidemment essentiel, quelques réponses ont d'ores et déjà été apportées, qui vont dans le bon sens.
D'abord, un premier code de conduite fiscal a été conclu le 1er décembre 1997. Bien qu'il soit largement insuffisant, il permet l'instauration soit d'une retenue à la source minimale sur la fiscalité de l'épargne, soit d'un échange d'informations entre Etats. Par ailleurs, il met en place un code de conduite sur la fiscalité des entreprise par lequel les Etats s'interdiraient d'attirer, par des dispositions d'exception, les capitaux des autres pays de l'Union.
Ensuite, des lignes directrices communes ont été retenues en matière d'emploi. A la suite du Conseil européen de Luxembourg, en novembre 1997, les Etats membres se sont mis d'accord sur des objectifs communs en matière d'emploi, dont la réalisation sera évaluée annuellement à travers des plans d'action nationaux. Le plan français, vous le savez, mes chers collègues, vient d'être rendu public par le Gouvernement et transmis à nos partenaires en vue du prochain sommet de Cardiff.
Enfin, la création d'un Conseil de l'euro se situe dans la continuité de nos efforts pour développer, à côté de la Banque centrale indépendante, une coordination politique garante de l'équilibre institutionnel et démocratique. Lieu de la coordination des politiques économiques entre les pays participants à l'euro, le Conseil de l'euro constitue un progrès certain vers l'affirmation d'une Europe plus politique.
En conclusion, je dirai que nous sommes aujourd'hui à la fois à un point d'aboutissement d'un processus de convergence ainsi que de plus grande intégration économique et financière et au début d'une nouvelle ère, celle d'une nécessaire participation plus directe des citoyens à la construction européenne.
Dire cela, c'est souligner l'importance du contrôle démocratique de la mise en oeuvre de l'Union économique et monétaire, contrôle qui passe par la préservation du caractère éminemment politique des décisions qui permettront la réussite de l'euro, par une meilleure information et surtout une plus grande association des parlements nationaux au fonctionnement de la monnaie unique et au respect de ses objectifs, par une meilleure prise en compte du rôle des parlements nationaux sur le plan de la réflexion, comme relais des préoccupations, et sur le plan de l'information et de la sensibilisation des citoyens à ce défi commun.
A cet égard, nous ne pouvons qu'approuver les considérants de la proposition de résolution rectifiée qui nous est soumise : ils insistent sur la nécessité à la fois d'une information régulière du Parlement et d'un dialogue également régulier entre celui-ci et la Banque centrale européenne. Dans son intervention de mardi à l'Assemblée nationale, le Premier ministre s'est engagé à agir en ce sens, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre délégué. Dans ce sens aussi va le Comité parlementaire de l'euro, dont la création a été souhaitée par l'Assemblée nationale.
Nous avons regretté, dans un premier temps, que la commission des finances n'ait pas retenu l'amendement que nous avions fait introduire dans le projet de résolution adopté par notre délégation pour l'Union européenne et qui mettait l'accent sur la nécessité de renforcer dans les années à venir les volets économique et social de l'Union économique et monétaire.
Monsieur le rapporteur général, je vous en donne acte, vous avez confirmé que la commission des finances avait en fin de compte repris cette idée fondamentale dans la proposition de la résolution rectifiée ; ainsi, celle-ci devrait pouvoir être adoptée par une large majorité au Sénat, comme ce fut le cas hier à l'Assemblée nationale.
Quoi qu'il en soit, on l'aura compris par mon exposé, les socialistes demeurent de fervents partisans de la construction européenne, qui entre avec l'euro dans une phase décisive. Nous sommes décidés à agir, avec le Gouvernement, pour que cette construction se poursuivre avec l'accord et dans l'intérêt des peuples. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « la preuve du pudding, c'est qu'on le mange » disent les Anglais. Ainsi en va-t-il de l'euro, ce curieux amalgame de politique française, de finance allemande et de morgue technocratique. (Sourires.) Or, dans quelques jours, nous allons confier notre destin monétaire et, partant, économique et social, à cette oligarchie financière dont nul ne sait de laquelle de ces trois conceptions elle s'inspirera : le politique, la finance ou la technocratie.
Le politique primera, nous assure M. Jospin. La monnaie avant tout, affirme le chancelier Kohl. Indépendance ! indépendance ! martèlent les eurocrates.
Bref, la France va brûler ses vaisseaux, le 2 mai prochain, à Bruxelles, sans avoir la moindre idée de ce sur quoi elle s'embarque,...
M. Emmanuel Hamel. Le malheur, la destruction !
M. Charles Pasqua. ... prenant l'euro pour l'Europe, un peu comme le singe de M. de La Fontaine prenait le Pirée pour un homme.
Eh bien non ! Messieurs les ministres, l'euro n'est pas l'Europe ! Et s'il était l'Europe, alors, c'est que l'Europe aurait définitivement renoncé à être ce qu'elle est : une civilisation, fondée sur le progrès général des peuples qui la composent, chacun d'entre eux étant réuni au sein d'une démocratie véritable.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, vous le savez bien, comme le sait le Premier ministre, qui nous l'avait excellement expliqué lorsqu'il n'était encore qu'aspirant à cette fonction.
On peut discuter sans fin des avantages économiques de l'euro ou de ses inconvénients - les faits nous départageront - mais l'on ne peut pas nier cette réalité : une fois dans l'euro, les peuples n'auront plus jamais leur mot à dire sur la plus grande part des politiques qui les concernent directement puisque la valeur de la monnaie comme le volume du budget de la nation ne seront plus du ressort de la démocratie représentative.
M. Emmanuel Hamel. Tragique lucidité !
M. Charles Pasqua. Quand on sait qu'à travers la politique monétaire, notamment par le niveau des taux d'intérêt, comme à travers la politique budgétaire, notamment par la dépense publique, un pays peut choisir de privilégier le court ou le long terme, d'investir ou non pour son avenir, de corriger ou non les disparités entre les hommes et entre les territoires, on voit bien de quoi nous nous privons à tout jamais. Nous entrons bien dans l'ère de la politique unique, au sein de laquelle les choix proposés aux électeurs seront très marginaux.
C'est bien pourquoi ce projet de monnaie unique a pu être qualifié, un jour ou l'autre, de technocratique, voire de totalitaire, par tous les hommes politiques de ce pays, à commencer par l'actuel Président de la République et l'actuel Premier ministre. La définition est exacte, tant le totalitarisme consiste aussi à vouloir faire le bien des gens contre leur gré, c'est-à-dire à leur demander de renoncer à tout pouvoir de décision. C'est bien ce à quoi l'euro va aboutir.
La IIe République inventait le suffrage universel. Nous en célébrons, ce jour même, le cent cinquantième anniversaire. Les IIIe et IVe Républiques consacraient la souveraineté de la loi, donc du Parlement. La Ve a instauré la souveraineté du peuple français. C'est bien avec ces quatre Républiques, autant dire avec la République tout court, que nous allons rompre. Et qu'on ne nous parle pas de souveraineté collective ou partagée.
M. Michel Barnier. Mais si !
M. Charles Pasqua. Non ! La souveraineté ne se partage pas. La souveraineté, c'est le pouvoir de dire non.
On peut, en toute honnêteté, je vous l'accorde, penser que nous allons avec l'euro partager une influence plus grande que celle que nous avions jusqu'ici ou en bénéficier. Mais on ne peut en aucun cas prétendre qu'il existe, avec le traité de Maastricht, une autre souveraineté monétaire que celle de la Banque centrale. Nous n'avons aucune raison de penser que celle-ci n'assumera pas complètement l'indépendance que le traité lui a dévolue ; j'emploie ce mot puisque M. Jospin n'aime pas celui d'abandon. On ne peut pas nier qu'au sein de cette instance suprême nous disposerons de 10 % ou de 12 % des voix, ce qui, vous me l'accorderez, est un peu court pour parler de souveraineté.
La réalité, monsieur le ministre, c'est que la souveraineté collective existe bien, mais qu'elle porte un nom, à savoir l'Etat fédéral. Or cet Etat fédéral, parce qu'on sait que les Français ne le souhaitent pas ou qu'on n'ose pas le leur demander - qui a peur des Français ? Moi ou vous ? - cet Etat fédéral, disais-je, nous est imposé de façon subreptice, politique après politique. Aujourd'hui, c'est la monnaie et le budget. Demain, ce sera avec le traité d'Amsterdam, la sécurité et le droit ; tout le droit sera subordonné au droit communautaire.
Excepté la défense, l'Etat fédéral américain n'a pas plus de pouvoirs que n'en aura, dès l'an prochain, cet Etat artificiel, arbitraire, discrétionnaire, que certains appellent l'Europe.
Je sais bien, pour avoir entendu le Premier ministre à l'Assemblée nationale, que dans ce lego technocratique et juridique, l'absence de tout contrepoids politique, comme de toute vie démocratique, vous chagrine un peu. Lionel Jospin a donc décidé de s'en remettre à la providence pour - je reprends ses propres termes - « aller plus loin » et « trouver les procédures politiques correspondantes, conciliant démocratie et efficacité ». L'enfer, on le sait, est pavé des meilleures intentions. Le problème, messieurs les ministres, est qu'on ne connaît pas de démocratie, c'est-à-dire une vie politique régie par le suffrage universel direct, dont le périmètre franchisse les limites d'une nation ou dépasse le sentiment d'un peuple. Eh bien, qu'on l'invente ! nous dit M. Jospin. Certes ! En attendant cet heureux événement, nous sommes en train de sauter d'un avion avant l'invention du parachute. Mais, jusqu'à présent, tout va bien.
Ainsi va l'Europe depuis qu'elle a renoncé au grand dessein politique que lui avaient assigné ses concepteurs, Winston Churchill et Charles de Gaulle, puis au projet de société que ses fondateurs, Robert Schuman, Jean Monnet, Paul-Henri Spaak, Alcide de Gasperi, avaient défini, dessein et projet au sein desquels tous les peuples européens, de l'Atlantique à l'Oural, auraient effectivement pu inscrire leur destin et mettre en commun leur avenir. C'est cela qui s'appelait l'Europe.
En lieu et place, monsieur le président de la commission des finances, nous aurons l'Euroland et ses institutions hermétiques, ses rites secrets, ses desseins obscurs - convergence stabilité, subsidiarité - et, maintenant, ses oukases quasi quotidiens ! Ouvrez l'oreille et écoutez les propos tenus outre-Rhin !
Eh bien, messieurs les ministres, me démontrerait-on par a + b que ce Big Brother-là va nous assurer la prospérité que je n'en voudrais à aucun prix ; je vous le dis, moi, en toute clarté.
Mais de prospérité, nous n'en aurons aucune et d'emplois encore moins, du moins de ce côté-là. La course à la monnaie unique nous aura déjà coûté un gros million d'emplois et la résurgence d'une misère indigne d'une société développée. Elle nous aura coûté un sous-investissement massif depuis que, en 1990, vous avez choisi la politique dite du franc fort, sous-investissement dont nous sortons à grand-peine pour le secteur privé et pas du tout pour l'Etat.
Nous savons bien, même si vous n'osez pas ou si vous ne pouvez pas le dire, que la Banque centrale européenne appliquera une politique monétaire stricte, restrictive, du moins pendant toute la période probatoire de l'euro. Crédibilité aux yeux des marchés financiers oblige et obligera, d'autant plus que la zone euro va englober, dès le départ, des pays dont l'orthodoxie n'est pas avérée aux yeux de nos amis allemands et néerlandais.
Voilà pourquoi le chancelier Kohl, qui ne pratique pas le double langage, l'a clairement indiqué : « l'euro ne créera pas d'emplois ».
Il ne créera pas par lui-même davantage de croissance, n'en doutez pas, messieurs les ministres. Le retour de la croissance dont nous profitons actuellement doit tout à la hausse du dollar : il y a d'ailleurs quelque incroyable aveuglement à vouloir créer un euro fort, c'est-à-dire cher par rapport au dollar, quand on sait que c'est en réalité le dollar fort qui favorise les économies européennes.
Alors, que M. Jospin, si lucide voilà un an, ne nous fasse pas prendre aujourd'hui des vessies pour des lanternes. Il ne s'agit, avec l'euro, ni de croissance, ni d'emploi, ni de solidarité. La croissance, l'emploi et la solidarité, qui seront, je l'espère, au rendez-vous des années à venir le seront sans l'euro ou malgré l'euro.
Voilà, messieurs les ministres, ce que je voulais vous dire, après avoir écouté avec attention l'intervention du Premier ministre, mardi dernier. Les voeux pieux n'y changeront rien : l'euro est une mécanique destinée à fabriquer de toutes pièces un super-Etat, détaché de toutes les contingences démocratiques et politiques. N'en attendez rien d'autre et, surtout, ne faites rien croire d'autre aux Français. Ils ne vous suivraient pas.
Ne pas les consulter directement est sans doute la meilleure des façons d'éveiller leur méfiance. Tous les responsables politiques devraient y réfléchir avant de tenter de faire ratifier à la sauvette le traité d'Amsterdam.
Là encore, j'ai envie de vous dire, messieurs les ministres, et, à travers vous, au Premier ministre : qui a peur de la politique ? Consultons les Français ! N'ayons pas peur d'eux !
Une politique malthusienne, des institutions opaques, la démocratie éludée avant d'être escamotée. Où est-elle donc cette Europe censée associer les peuples à une grande ambition, cette « cathédrale » dont parlait le général de Gaulle ? Oui, où est-elle ?
« Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », dit le poète. Je crains qu'à partir du 2 mai nous n'entrions dans l'Europe sans conscience. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel. Tragiquement lucide !

(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'interviens après M. Charles Pasqua. Hier, dans une configuration un peu similaire, Michel Barnier relevait le défi, avec le talent qu'on lui connaît. Ce précédent rend ma tâche encore plus rude. Pour maintenir l'intérêt de notre débat, il ne me reste donc qu'à me démarquer du discours que nous venons d'entendre.
M. Charles Pasqua. Ce que vous allez faire !
M. Denis Badré. Je pense pouvoir le faire sans trop de mal : en tout cas, je vais essayer.
Permettez-moi, tout d'abord, de me réjouir de la tenue de ce débat sur un sujet qui domine l'actualité économique et politique depuis de nombreuses années, et dont l'importance pour l'avenir de notre pays n'a d'égal que les passions qu'il soulève.
Des peuples à l'histoire fort ancienne et qui se sont si souvent et si violemment heurtés vont, d'un commun accord, mettre en place une monnaie unique. Il s'agit là d'un événement sans précédent, dont la France et l'Allemagne sont les deux principaux artisans. Nous vivons une grande date de l'histoire de la construction européenne, un événement historique pour la France et pour l'Europe.
Cette monnaie unique représente, à mes yeux, une expression spécialement forte et visible - tous les européens auront en effet les mêmes euros dans leur porte-monnaie - de l'oeuvre de paix et de liberté qu'est la construction européenne.
Bien que le traité de Rome ait déjà explicitement prévu que les problèmes de change pouvaient être considérés comme communs, l'idée d'une monnaie unique en Europe n'a mûri que lentement. Frapper la monnaie, je vous le concède, monsieur Pasqua, est bien un privilège de souveraineté. Nous ne pouvions donc avancer en ce domaine qu'avec circonspection et en prenant toutes les précautions voulues. Tel fut le cas.
Il est d'abord en effet question de donner à la France et aux Etats de l'Union un moyen exceptionnel, « unique », de continuer à exister sur la scène mondiale. Ce sont aussi notre humanisme et notre culture et pas seulement notre « bourse » qui sont en jeu.
Les négociations du GATT après l'accord de Blair House, qui ont été évoquées tout à l'heure avec beaucoup de justesse par M. le président de la commission des finances, comme le débat qui s'ouvre sur l'accord multilatéral sur l'investissement nous le rapellent : la France seule aura du mal à faire prévaloir ses thèses ; elle peut en revanche les faire reprendre par l'Union et alors les faire triompher.
L'euro est donc le fruit d'une longue histoire. Monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure repris des propos tenus par M. Giscard d'Estaing. « L'euro, disait-il, vient de loin ». Cette citation est tout à fait à l'ordre du jour.
C'est à l'occasion du sommet européen de La Haye de décembre 1969, douze ans après le traité de Rome, que les Six ont pris la décision de principe de créer une Union économique et monétaire, sur la base d'un rapport de M. Raymond Barre.
Le rapport Werner d'octobre 1970 proposa la création de l'Union économique et monétaire dans un délai de dix ans. Mais entre-temps sont intervenus le premier choc pétrolier de 1973 et une crise qui ébranla l'ensemble des économies européennes.
De 1971 à 1979, fonctionna alors, tant bien que mal, le « serpent » monétaire, sorte de zone mark de monnaies fortes avant que, en mars 1979, entre en vigueur le système monétaire européen grâce à l'implication personnelle, déterminée et visionnaire du président Valery Giscard d'Estaing et du chancelier Helmut Schmidt.
Le SME créait alors une nouvelle monnaie, l'écu, à côté des monnaies nationales. En dépit des crises traversées de 1979 à 1990, le principal mérite du SME est d'avoir convaincu les différents gouvernements européens de conduire une politique de désinflation, sans laquelle on n'aurait pu envisager ni convergence des politiques économiques ni, a fortiori, de monnaie unique.
Depuis cette époque, que de chemin parcouru ! Tout d'abord réticentes, les opinions publiques européennes qui ont été également évoquées, voilà un instant, par M. Pasqua, ont évolué favorablement à l'égard de l'Union économique et monétaire, qui les inquiétait au départ. Elles ont en effet compris tout l'avantage que l'Europe et chacun des pays membres pourraient tirer de la monnaie unique. Et elles ont tranché : aujourd'hui, l'Union économique et monétaire franchit une étape capitale dans son existence, puisqu'il s'agit de sélectionner ses onze premiers pays membres ; nous entrons dans le concret.
Ainsi se trouve consacré un processus d'unification monétaire auquel la famille politique que je représente a apporté une contribution toute particulière et éminente.
Il a fallu, pour chacun de ces membres, autant d'enthousiasme que de rigueur, autant de détermination que de vigilance. Il faut tout de même se souvenir de discours récents précisant que l'Union économique et monétaire ne pourrait jamais voir le jour puisqu'elle serait inévitablement victime à la fois de la conjoncture économique et des égoïsmes nationaux. On annonçait, dans le meilleur des cas, que l'enfant serait mort-né ; or, il n'en est rien.
Le Sénat est donc aujourd'hui saisi d'une proposition de résolution portant sur la recommandation de la Commission européenne du 25 mars.
A ce propos, je me réjouis de la très forte concordance entre le texte proposé par M. le rapporteur général, au nom de la commission des finances, et celui qu'avait présenté au préalable M. Xavier de Villepin devant la délégation pour l'Union européenne.
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
M. Denis Badré. Je suis, pour ma part, heureux et honoré d'avoir pu les accompagner l'un et l'autre dans leur démarche, une démarche qu'a fortement inspirée M. Jacques Genton, président de la délégation pour l'Union européenne, à qui je tiens aussi, avec toute l'amitié que je lui porte, à rendre hommage.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Hommage mérité !
M. Xavier de Villepin. C'est vrai !
M. Denis Badré. La mise en place de l'euro est déjà un succès pour l'Europe et les Européens, un succès provenant d'un engagement politique très fort des chefs d'Etat et de gouvernement européens depuis le traité de Maastricht. D'ailleurs, aujourd'hui, l'euro existe déjà ; nous sommes déjà, de fait, dans l'euro.
Il faut, pour l'Union européenne et pour chacun de nos Etats, que ce premier succès soit confirmé après le 1er janvier 1999. Comme la convergence économique, et avec elle, le succès doit être durable.
On peut déjà percevoir les effets positifs du processus d'unification monétaire et de l'application des critères de convergence du traité de Maastricht : je pense à la victoire sur l'inflation, à la baisse des taux d'intérêt, à la stabilisation des taux de change et, surtout, à la réduction des déficits publics. Comme le note la Commission européenne, tous les pays de l'Union, à l'exception de la Grèce, ont ramené leur inflation au-dessous de 2 % et sont parvenus à afficher un déficit inférieur ou égal à 3 % du produit intérieur brut.
Dès 1999, nous aurons donc une large majorité de qualifiés pour l'euro : onze pays et non quatre ou cinq comme on l'imaginait à l'origine. Souvenons-nous : voilà encore peu de temps, la participation de l'Italie semblait problématique, et, plus récemment encore, celle de l'Allemagne et de la France paraissait compromise.
Le fait de « jouer à onze » n'est pas indifférent pour l'avenir. C'est bon pour l'Europe et pour sa construction, qui pourra se poursuivre sur le fondement d'un nouvel élan collectif ; c'est également bon sur le plan économique et monétaire. Il est clair, en effet, qu'une union économique et monétaire à onze sera plus puissante et plus attractive, qu'elle facilitera et accélérera le rapprochement entre les structures sociales et économiques des partenaires concernés. Et moins nombreux seront les absents, plus ils seront incités à adopter rapidement à leur tour l'euro.
La mise en place de l'euro est un progrès incontestable de l'intégration européenne. Un tel succès n'était pas évident : n'oublions pas que les critères de convergence ont été fixés sur la base d'un taux de croissance de 2,5 %, taux qui allait même descendre par la suite autour de 1,5 % - c'était le cas il n'y a pas plus de deux ans, avec les effets que l'on sait sur l'endettement et sur le déficit budgétaire. Aujourd'hui, on devrait parler un peu moins de critères et un peu plus de convergence. Nous devrions d'ailleurs faire l'effort de chercher un autre terme que celui de « critères » - « harmonisation » n'est peut-être pas encore parfait ; cherchons mieux ! - afin de réconcilier les Européens avec la monnaie unique. Ce serait bon pour l'Europe, un peu moins technocratique et, de plus, tout à fait réaliste.
Comme le remarque très justement Jean Boissonnat dans son ouvrage intitulé la Révolution de 1999, « si l'euro est né de l'Europe, l'Europe naîtra de l'euro. » De nouvelles perspectives se présentent à nous ; l'Union monétaire constitue une opportunité exceptionnelle afin de relancer la construction européenne et de traiter un certain nombre de nos problèmes internes.
Pour que le succès d'aujourd'hui soit confirmé demain, la réduction des déficits publics, en particulier, devra être elle-même durable, monsieur le ministre.
Ce critère du déficit budgétaire, perçu généralement comme le plus important - le seul, d'ailleurs, qui soit manifestement identifié par l'opinion - a été apprécié par la Commission et par l'Institut monétaire européen avec la rigueur voulue et, bien sûr, en tendance. Dans le cas de la France, si l'objectif de 3 % est nominalement atteint en 1998, la structure de ce déficit doit être encore améliorée.
Je n'oublie évidemment pas non plus le niveau d'endettement public dont s'est ému, dans ses dernières conclusions, l'Institut monétaire européen. Ce dernier critère a été jugé de manière un peu moins stricte. Ainsi, l'Italie et la Belgique, qui restent très éloignés du taux de 60 %, ont été malgré tout sélectionnés pour l'Union économique et monétaire. Il faut tout de même rappeler que le taux moyen d'endettement dans l'Union est toujours proche de 80 %, alors que l'objectif était de 60 %.
Quant à la France, comme le note l'Institut monétaire européen, pour qu'elle stabilise sa dette au-dessous de 60 %, il faudrait que son déficit public soit ramené rapidement à moins de 2 % du produit intérieur brut. Vous le savez, monsieur le ministre, les experts hésitent sur le point de savoir si ce taux devrait être de 1,5 % ou de 1,8 %. En tout cas, 3 %, c'est nettement trop.
A cet égard, nous prenons acte de la volonté affichée par l'actuel gouvernement de ramener ce déficit à 2,5 % en 1999, puis à 2 % en l'an 2000. C'est indispensable, car le montant de la dette continuera a progresser tant que le déficit sera de 2,5 % ou de 2 %. N'oublions pas que nous sommes partis de 1,5 % en 1989 et qu'il aura fallu sept ans pour refaire le terrain perdu en trois ans, de 1989 à 1992. En 1993, nous étions à 6 %. Nous sommes revenus de 6 % à 3 %. Il est plus dur de remonter le courant que de laisser filer !
Sans vouloir revenir à nouveau trop longuement sur ce sujet, je rappellerai que l'annuité de notre dette et, par voie de conséquence, en l'absence d'autres recettes, notre déficit seraient aggravés de plus de 100 milliards de francs, à savoir plus de 1 % du PIB, si nous étions restés avec les taux d'intérêt de l'époque. Tout se tient. La sagesse collective des Etats de l'Union a un effet multiplicateur heureux. Et les critères retenus par le traité de Maastrich sont assez cohérents ! Il est urgent de stopper l'inexorable progression de notre dette, donc de ramener notre déficit nettement en dessous de 2 %.
Il reste à présent à définir les moyens d'une politique qui installera durablement cette dette et ce déficit « dans le vert » ! Ce sera probablement l'un des sujets majeurs du débat d'orientation budgétaire que nous espérons avoir au Sénat en juin prochain.
Nous pouvons déjà légitimement nous interroger sur nos possibilités de financer les dépenses nouvelles provenant des 35 heures, de la majoration des traitements des fonctionnaires ou de la montée en puissance des emplois-jeunes, et, simultanément, sur notre possibilité de réussir à réduire la dette et les prélèvements.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Eh oui !
M. Denis Badré. En dépit d'une embellie de la croissance et donc d'une augmentation plus forte que prévue des rentrées fiscales, tant que la dépense publique augmente, cela s'apparente encore à la quadrature du cercle !
Nous continuons à penser qu'un objectif de strict maîtrise des dépenses s'impose. Après le déficit, on a parlé de la dette, c'était bien. Après la dette ; il faudra bien passer à la dépense publique, monsieur le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Denis Badré. Sans évoquer ici les difficultés qu'aura peut-être à surmonter un jour tel ou tel Etat membre de l'Union économique et monétaire, la période dite transitoire que va connaître l'UEM de 1999 à 2002 ne sera pas sans dangers.
Dès lors que la nouvelle monnaie sera opérationnelle, le monde entier va tester la capacité des gouvernements et de la Banque centrale européenne à faire de l'euro une monnaie forte, en particulier par l'applicaiton du pacte de stabilité et de croissance, et par la menace des sanctions qu'il prévoit. Je pense qu'il faudra plus les percevoir comme une arme de dissuasion que comme une arme réelle. A ce propos, je considère que l'application du pacte doit s'accompagner d'une limitation du budget européen, faute de quoi nous risquons d'assister à une dangereuse dérive de ce dernier, dérive qui ne pourra être financée que par l'impôt.
Par ailleurs, deux périls devront être évités. Le premier serait la définition de la politique économique européenne uniquement à travers la seule gestion monétaire de l'Union. Il faut être extraordinairement clair et repousser toute cause de confusion.
La responsabilité principale de la définition de la politique économique de l'Europe revient au Conseil européen, assisté par le conseil des ministres des finances. Il faudra qu'ils jouent l'un et l'autre leur rôle. S'ils y parviennent, ce que je souhaite et que je pense, nous aurons progressé vers l'Europe politique. S'ils échouent, alors, avec la fin de l'Union économique et monétaire, ce sera une régression pour l'Europe et, par voie de conséquence, pour chacun de nos Etats.
L'autre péril est l'existence d'une politique économique exclusivement nationale que mènerait chaque Etat de l'Union, sans tenir compte de la monnaie unique.
M. Jean-Pierre Fourcade. Les trente-cinq heures !
M. Denis Badré. Effectivement !
L'Union économique et monétaire va effectivement obliger les pays européens à coordonner leurs politiques budgétaires et leurs politiques fiscales. Il faut faire en sorte que leurs décisions nationales soient compatibles. Cela représente, pour chaque Etat, une exigence politique nouvelle et une contrainte qu'il faut accepter, car rien n'est gratuit.
Il faudra aussi veiller à ce que les harmonisations interviennent le moment venu, lorsque les conditions du succès seront réunies, et non prématurément. Nous devons, sur tous les sujets, conjuguer détermination et rigueur.
Je rappelle, à titre d'exemple, ce que nous avons dit à propos des problèmes posés par l'harmonisation de la TVA. Parce que je souhaite ardemment la poursuite et le succès de la construction européenne, je me suis, voilà quelques mois, opposé clairement à cette tribune à ce que cette harmonisation se fasse imparfaitement ou trop tôt. Je soulignais alors que cela se retournerait contre l'équilibre de notre budget, ce qui serait insupportable et - c'est encore plus grave, à mon sens - que cela se retournerait contre l'Europe puisque cela détournerait les citoyens européens de la construction européenne.
Il convient aussi d'éviter que, à défaut de dévaluations monétaires « compétitives », les pays européens ne s'engagent dans une forme de concurrence fiscale. Le vote par le parlement britannique d'une nouvelle baisse de l'impôt sur les bénéfices est à cet égard plutôt inquiétant, sinon pour les entreprises britanniques, du moins pour nos Etats. L'Europe a besoin d'urgence d'un code de bonne conduite pour la fiscalité sur les entreprises, sur le modèle de celui qui a été adopté pour la fiscalité sur l'épargne.
J'ajoute que le passage à l'euro constitue une opportunité historique pour notre pays qui doit engager rapidement et fermement les réformes structurelles dont dépendra demain, en grande partie, la compétitivité des entreprises françaises.
Il y a ainsi des procédures à inventer. Ces procédures devront intéresser les parlements nationaux, compétents en matière de budget et de fiscalité.
A ce propos, M. Xavier de Villepin insistait à juste titre, dans sa proposition de résolution, sur le nécessaire dialogue entre la future Banque centrale européenne et le conseil des ministres. Ce point est essentiel, car, si le système monétaire paraît d'essence fédérale, en revanche, les budgets resteront sous le contrôle des Etats nationaux.
Il faut donc insister sur l'importance du dialogue qui sera à mettre en oeuvre entre la Banque centrale et chacun de nos Etats.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Oui !
M. Denis Badré. De mon point de vue, il faudra également que le système européen de banques centrales rende compte régulièrement aux parlements des onze Etats de ses décisons en matière monétaire. Un tel dialogue devrait permettre de promouvoir un système original et acceptable par tous, monsieur Pasqua.
Nous voyons bien là que l'Europe que nous imaginons et que nous construisons depuis un demi-siècle est de nature originale. On ne peut la classer dans aucun schéma classique. Et je pense que le débat sur le fédéralisme est aujourd'hui largement dépassé.
De même que la Commission est, à côté des Etats, un partenaire à part entière de l'Union et non un secrétariat général au service des Etats, de même nous allons voir fonctionner un système européen de banques centrales réunissant la Banque centrale européenne et les banques centrales des Etats.
J'ajoute que le budget européen, malgré les dérives inflationnistes que je dénonçais à l'instant, qui m'inquiètent, que je déplore et contre lesquelles je me battrai toujours, n'est pas un budget fédéral, et c'est bien comme cela.
L'autorité budgétaire parlementaire, interlocuteur du système européen de banques centrales, est donc bien une autorité partagée entre les parlements des Etats membres de l'Union économique et monétaire et non pas une quelconque autorité fédérale.
M. Charles Pasqua. Cela ne durera pas !
M. Denis Badré. C'est bien avec cette autorité, et donc avec chaque parlement national, que le système européen de banques centrales devra traiter.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui ! C'est exact !
M. Denis Badré. Pour ma part, je choisis sans hésitation une souveraineté restaurée et partagée, qui sera largement la nôtre, plutôt qu'une souveraineté qui nous appartiendrait de manière exclusive, mais qui serait en voie d'évanouissement.
De même que nous devons pouvoir dépasser le débat sur le fédéralisme, nous devons aujourd'hui enrichir notre réflexion sur la souveraineté en nous souvenant que nous avons la volonté politique de construire l'Europe selon un modèle original, qui respecte et considère comme sa principale richesse l'identité de chacune des nations qu'elle réunit.
Nous construisons pas à pas, année après année, un modèle original. Nous serons forts ensemble si nous valorisons la diversité de nos identités.
Pour construire l'Europe, il faut de la détermination et de la rigueur, disais-je. J'ajoute qu'il faut aussi un peu plus d'imagination, un peu moins de parti pris, toujours beaucoup de passion et le souci constant d'aller à l'essentiel.
Nous construisons l'Europe des Européens, l'Europe pour les Européens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, par les nouvelles perspectives qu'il offre, le projet d'Union économique et monétaire engage aujourd'hui l'Europe sur la voie d'une puissance mondiale nouvelle.
La situation actuelle montre que, globalement, l'approfondissement de la construction européenne est aujourd'hui perçue autant comme une nécessité que comme un véritable atout pour l'avenir.
Sur le fond, l'enjeu de la construction européenne fut dans un premier temps d'assurer aux peuples concernés une paix perpétuelle doublée d'une prospérité durable. A l'époque, les enjeux de la guerre froide renforcèrent ces déterminations.
Aujourd'hui, la donne internationale a profondément changé ; mais le projet d'union politique demeure plus fort et plus nécessaire que jamais. Il prend la forme d'un projet économique et monétaire global qui dépasse très certainement en intensité politique ce que furent en leur temps le traité de Rome et l'Acte unique européen.
Par souci de clarté, j'articulerai mon développement autour de deux idées forces qui me tiennent à coeur : le passage à l'euro en tant que processus autant politique qu'économique et la perspective d'une Europe intégrée pour plus de développement et de progrès social.
L'euro m'apparaît avant toute chose comme un puissant facteur d'intégration.
Concernant la place de l'euro dans le processus de construction européenne, je rappellerai que, au 1er janvier 1999, l'euro sera la seule monnaie d'échange pour un vaste ensemble économique de près de 300 millions d'habitants. Cet ensemble économique, déjà bien intégré, a une capacité productive et consommatrice supérieure à celle des Etats-Unis. L'Europe possède ainsi tous les éléments matériels d'une grande puissance économique mondiale.
Les événements monétaires des dernières années ont toutefois montré qu'il manquait encore à l'Europe davantage de cohésion dans l'adversité. L'euro offrira, à cet égard, une dynamique collective nouvelle.
En tant que puissance monétaire, l'Europe pourra alors contrebalancer la puissance du dollar et mieux asseoir ainsi sa présence dans le monde.
L'Union économique et monétaire va enfin permettre d'assurer la relève d'un SME aujourd'hui dépassé. Avec l'euro, l'Europe entre enfin de plain-pied dans une dynamique profondément intégratrice.
La marche à l'euro a par ailleurs été favorisée par les politiques d'assainissement économique mises en oeuvre au cours de la dernière décennie.
M. Christian Poncelet président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Bernard Angels. Si l'euro tire aujourd'hui profit de ces politiques, il n'en est pas pour autant à l'origine. Sans la perspective de l'euro, ces politiques auraient probablement été menées. Il s'agissait en effet, pour les économies concernées, de s'adapter au nouveau contexte de mondialisation qui s'imposait à elles. Avec la perspective de l'euro, ces politiques ont été menées de façon concertée et organisée.
J'en viens à l'euro comme forme d'intégration.
Sur le plan économique, l'euro est l'instrument qui offrira aux Etats membres la stabilité monétaire qui leur a récemment fait défaut. Il se situe, par ailleurs, dans le prolongement du grand marché et en constitue, en fait, l'élément régulateur.
La vocation de l'euro est également d'offrir aux pays membres les moyens d'une solidarité monétaire sans faille. C'est pour cela qu'il était indispensable que l'Italie et l'Espagne intègrent le premier cercle des pays de l'euro ; non pas uniquement pour équilibrer au sud la zone euro, mais également pour couper court, à l'avenir, à toute nouvelle forme de dévaluation compétitive.
M. René Régnault. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Bernard Angels. Sur le plan politique, nombreux sont ceux qui se sont inquiétés des conséquences de l'intégration monétaire et qui l'ont perçue comme l'élément d'un processus de désagrégation de l'Etat-nation.
A ceux-là, je répondrai que les événements monétaires de cette dernière décennie ont montré que l'ouverture économique ne pouvait que s'accompagner d'un renforcement du poids des marchés financiers. Il en résulte qu'aujourd'hui la bonne santé des économies se décide davantage aux bourses de New York, Tokyo et Francfort qu'au sein des gouvernements.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Hélas !
M. Bernard Angels. Hélas, bien sûr !
Aussi, à moins de prôner un retour illusoire au contrôle des changes, il convenait de prendre acte de cet état de fait afin de mieux organiser la riposte.
Dès lors, l'alternative est simple. Faire face aux marchés financiers et retrouver des marges de manoeuvre économique suppose de devenir une grande puissance. C'est là tout l'enjeu de l'accélération du processus d'intégration européenne.
Il s'agit donc, pour les Etats européens, de travailler collectivement au renouveau de leur souveraineté économique. Cela signifie qu'en Europe la souveraineté économique ne peut plus se définir à l'aune des nations prises isolément, qu'elle doit s'exercer dans un cadre régional davantage organisé.
Dans ces conditions, la question qui se pose porte sur les conditions d'exercice d'une souveraineté partagée en matière monétaire. Elle porte également sur l'existence nécessaire de contre-pouvoirs démocratiques susceptibles d'encadrer l'action de la future banque centrale européenne.
J'en viens au problème de la future valeur de l'euro. Une fois l'euro formé, sa valeur sera déterminée conjointement par l'action de la Banque centrale européenne et le jeu des marchés financiers. Sur la durée, sa stabilité sera également fonction du rôle qui lui sera assigné sur la scène monétaire internationale.
D'une manière générale, la puissance de l'Europe intégrée devrait assurer l'euro d'une crédibilité qui le mettra à l'abri des tentatives de destabilisation.
A raison de sa crédibilité, l'euro devrait pouvoir concurrencer le dollar comme monnaie internationale de transaction et de réserve. Entre-temps, il est probable que le pouvoir d'attraction de l'euro imposera aux Etats-Unis une plus grande prudence dans le maniement du pouvoir monétaire du dollar. En cela, l'euro demeure une réponse réelle, quoique tardive, au coup de force monétaire américain de 1971.
Nos objectifs visent à la formation d'une Europe davantage intégrée pour plus de croissance et davantage de progrès social.
Deux conceptions s'opposent, aujourd'hui, sur la nature et la fonction de la construction européenne.
Pour certains, la construction européenne est celle d'un grand marché libéré des contraintes qui prévalent en matière de mouvement des biens, des personnes et des capitaux.
Cette option, nous le savons tous, est depuis longtemps prônée par certains gouvernements et par les adeptes à tout crin du libéralisme. Cette approche est également défendue par les Etats-Unis, pour qui l'absence de règles équivaut au règne de la loi du plus fort.
Pour nous, concurrence des systèmes sociaux et ajustements par le bas nous aligneraient immanquablement sur un modèle anglo-saxon que nous récusons, et ce pour des raisons sociales évidentes, mais également pour des raisons d'efficacité économique. Ainsi, loin d'être le cadre d'une nouvelle zone d'échanges libérée de toute entrave, l'Union constitue pour nous un nouvel espace de régulation économique.
L'Union devra donc se concentrer sur les objectifs primordiaux que sont la croissance économique et la lutte contre le chômage.
La puissance de l'Union devrait par ailleurs permettre d'absorber les crises économiques mieux que ne le feraient les Etats pris séparément. Mais, pour cela, l'Union doit se doter des moyens de régulation et d'intervention nécessaires. Elle doit être à même de prévenir et de gérer efficacement les chocs asymétriques qui, touchant une économie nationale, contribuent à l'isoler de l'ensemble dans lequel elle s'intègre.
Nous considérons que l'Union doit également agir en amont des crises afin d'aider à la consolidation des situations structurelles les plus fragiles. Par voie de conséquence, je suis hostile à tout élargissement prématuré de l'Union à l'Est, qui pourrait nous exposer à des chocs asymétriques en cascade.
L'Union doit donc avoir des moyens budgétaires et l'autorité politique nécessaires au renforcement de la croissance et à la gestion des crises économiques, d'autant qu'en cas de difficulté économique l'absence de moyens aurait pour conséquence de faire de l'emploi et de l'investissement les seules variables de sortie de crise, ce à quoi nous nous refusons catégoriquement.
Enfin, en application du principe de subsidiarité, nous pensons que les Etats membres doivent conserver des marges de manoeuvre budgétaires importantes qui leur permettent d'agir. Pour cela, gouvernement économique de l'Union et Etats nationaux devront également agir de façon concertée et étroitement coordonnée.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Sans aucun doute !
M. Bernard Angels. Enfin, nous souhaitons un renforcement de la coordination à l'échelon européen des politiques économiques et sociales.
Les politiques nationales d'assainissement menées depuis plusieurs années par les Etats membres ont permis de les faire converger sur trois principes fondamentaux : la maîtrise de l'inflation, une réduction relative des déficits publics et la stabilisation de leurs taux de change.
Des disparités importantes demeurent, notamment en matière d'endettement public. Il est toutefois probable que le retour de la croissance, l'accroissement des recettes fiscales et la convergence des politiques budgétaires auront pour effet de réduire les principaux écarts.
Sur le plan économique, on est en droit d'attendre de la nouvelle Europe qu'elle contribue à la dynamisation des économies nationales, grâce à des investissements structurants dans les transports et l'aménagement du territoire, mais au moyen également d'une politique commerciale énergique à l'extérieur et d'une aide à la dynamisation des tissus économiques locaux - aides aux PME, joint-ventures, mises en réseau, etc.
Enfin, sur le plan fiscal, des avancées ont déjà été faites, mais l'Europe continue à buter, en la matière, sur des difficultés techniques. Ainsi en est-il tout particulièrement en matière de convergence des systèmes de TVA. Je n'oublie pas non plus la question de l'harmonisation des autres formes de fiscalité, car la liberté donnée aux marchés financiers ne doit plus privilégier les pays à faible fiscalité et favoriser les situations de dumping fiscal.
Mais c'est surtout en matière sociale qu'il convient d'avancer rapidement. Ici, l'Europe n'en est qu'au stade embryonnaire et les écarts entre les pays sont criants, qu'il s'agisse du coût du travail, des charges sociales, de l'étendue des couvertures sociales, de la sécurité, du statut du salarié ou du droit syndical dans les entreprises.
Dans tous ces domaines, des ajustements s'imposent pour neutraliser les risques d'un dumping social à l'échelle du continent tout entier.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ils s'imposent même rapidement !
M. Bernard Angels. Je vous remercie d'approuver, monsieur le président.
Dans ce domaine, rien ne doit être abandonné au seul jeu du marché.
L'ensemble de ces préoccupations ainsi qu'une lutte efficace contre le chômage nécessitent d'importants moyens financiers, une véritable ambition pour l'Europe et une coordination efficace des politiques à mener.
Sur le plan budgétaire, les Etats devront conserver de réelles marges de manoeuvre et l'Union se doter d'un budget ouvert à la réalisation de grands projets structurants.
Enfin, le Parlement européen rénové devra être étroitement associé aux décisions de politique économique et monétaire.
Pour conclure, je dirai que nul ne peut contester le caractère historique de la démarche qui nous mène aujourd'hui à l'euro. Si certaines inquiétudes demeurent, l'avancée des positions françaises lors du dernier sommet d'Amsterdam devrait pouvoir les atténuer.
Il en est ainsi en matière d'élargissement au Sud des pays faisant partie du premier train de l'euro ; il en est ainsi pour ce qui est du pacte de croissance et de la neutralité de la future valeur de l'euro par rapport au dollar.
Enfin, l'existence d'un futur gouvernement économique aux côtés de l'autorité de la Banque centrale européenne semble aujourd'hui en bonne voie, avec la mise en place du Conseil de l'euro.
Au-delà de sa simple fonction financière, l'euro est donc un instrument politique d'intégration des économies qui devrait nous apporter prospérité, puissance et confiance dans l'avenir. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la manière dont la monnaie unique se met en place, je relève trois éléments.
Tout d'abord, l'indépendance de la Banque centrale européenne est affirmée avec une extrême rigueur.
Ensuite, l'objectif principal du système européen de banques centrales est de maintenir la stabilité des prix. C'est une priorité sans réserve.
Enfin, la Commission européenne a fait le choix d'une liste large de participants ; un seul candidat, la Grèce, a été « recalé ».
Or, la manière dont ces trois éléments vont se combiner me paraît tout de même poser problème.
En faisant le choix d'une liste large, la Commission européenne a fait un choix politique. Nous avons, certes, reçu de volumineux rapports qui nous expliquent que, techniquement, les onze pays retenus sont prêts. Mais nous savons bien qu'avec les mêmes éléments techniques on aurait pu tout aussi bien justifier une liste plus restreinte de participants !
Pourquoi la Commission a-t-elle fait ce choix ? Principalement, me semble-t-il, pour ne pas couper l'Europe en deux. Si les pays méditerranéens étaient restés en dehors de l'euro, on aurait vu se former deux blocs d'importance à peu près égale, les participants et les non-participants, et cela aurait provoqué une tension interne difficile à contrôler. Dans un tel contexte, le fonctionnement des institutions de l'Union aurait sans doute été très perturbé. Avec une liste large, nous voyons déjà les problèmes que pose la non-participation de certains Etats membres : par exemple, on se demande comment faire pour réunir le Conseil de l'euro au mois de mai, alors que la Grande-Bretagne, qui exerce la présidence jusqu'au mois de juin, ne fera pas partie de ce Conseil. Avec une liste restreinte de participants, les difficultés auraient été plus fréquentes et bien plus compliquées à résoudre.
Des raisons politiques et institutionnelles ont donc sans doute joué un grand rôle dans le choix de la Commission.
Mais ne nous dissimulons pas que son choix, si les gouvernements la suivent, aura aussi des conséquences politiques.
Depuis qu'a été lancé le débat sur l'élargissement, certains ont souligné qu'il fallait essayer de constituer une sorte de noyau dur autour de l'Allemagne et de la France afin de contrecarrer les ferments de dispersion liés à l'élargissement. Cette suggestion a retrouvé toute son actualité après le conseil européen d'Amsterdam, qui n'a pas pu trouver un accord sur une réforme institutionnelle de nature à consolider l'Union dans l'optique de son élargissement. Dans ces conditions, certains ont plaidé pour que la monnaie unique soit le pôle d'attraction autour duquel se constituerait le noyau dur nécessaire pour empêcher que l'Union ne perde peu à peu sa consistance politique.
Or, avec le choix d'une liste large, nous nous écartons inévitablement de ce scénario. Nous entrons dans une dynamique où la zone euro est appelée elle aussi à s'élargir progressivement. La monnaie unique ne sera donc pas le ciment d'une « petite Europe » au sein de la grande.
Nous devons donc concevoir l'euro comme voué à accompagner progressivement l'élargissement, plutôt que comme un contrepoids à l'élargissement.
La conséquence est que la monnaie unique européenne est destinée à régir un ensemble très hétérogène ; cela est déjà vrai des onze pays retenus, cela sera plus vrai encore lorsque l'euro s'appliquera à certains pays candidats d'Europe centrale.
Mais comment pourrons-nous faire face à cette grande hétérogénéité ? Une monnaie unique, et donc une politique monétaire unique, s'appliquant à un ensemble d'Etats disparate - c'est du jamais vu - produira inévitablement des effets contrastés. Si la politique suivie s'apparente, comme on peut le penser, à celle qui est suivie aujourd'hui pour la gestion de la zone mark, l'effort d'adaptation demandé à certains pays non seulement sera considérable, mais devra s'exercer dans la durée, et la longue durée.
Tout laisse à penser, dès lors, que l'unification monétaire, par les effets qu'elle entraînera, appellera de nombreuses interventions correctrices de l'Union européenne. Le développement des transferts budgétaires, l'harmonisation fiscale, l'harmonisation sociale sont autant de questions qui ne pourront être éludées.
Or, souligner cela, c'est poser le problème de l'équilibre politique du système qui nous est proposé. D'un côté, nous avons une banque centrale indépendante, dotée de l'irresponsabilité des monarques, et qui dispose cependant de pouvoirs très étendus. De l'autre côté, on trouve des organes politiques faibles : le Conseil de l'euro, informel, sans pouvoir de décision, et le Conseil ECOFIN qui, quant à lui, dispose de certaines attributions - coordination des politiques économiques, orientation de la politique de change - mais qui n'a aucune espèce d'autorité sur la Banque centrale européenne.
En un mot, dans un tel système, les organes politiques, qui seuls ont une légitimité démocratique parce qu'ils sont responsables, n'ont pas ou n'ont que peu de pouvoirs ; et les organes indépendants, que nul ne contrôle, ont de larges pouvoirs et peu de comptes à rendre.
Si, comme je l'ai indiqué, la monnaie unique et la politique monétaire unique appellent effectivement, du fait de l'hétérogénéité des situations, un ensemble de mesures correctrices, budgétaires, fiscales, sociales, alors cet arrangement institutionnel que je viens de décrire ne pourra guère être durable.
On ne peut laisser très longtemps un organe dépourvu de légitimité démocratique, comme l'est la Banque centrale européenne, jouer un rôle déterminant, directement ou indirectement, dans la vie économique et sociale de l'Union.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Christian de La Malène. Je crois donc indispensable d'appliquer le traité sur l'Union européenne d'une manière qui rééquilibre cette construction au profit du politique. Lors de la dernière conférence intergouvernementale, on n'a pas voulu discuter de l'Union économique et monétaire, de peur de compromettre la réalisation de la monnaie unique. Soit. Mais, de ce fait, les ambiguïtés du traité sont toujours là et la vie se chargera de nous les rappeler.
Je doute que l'union ne parvienne à fonctionner durablement de manière satisfaisante avec un régime aussi rigide que celui qui nous est proposé : un système de banques centrales indépendant et uniquement préoccupé de la stabilité des prix, un pacte de stabilité budgétaire limitant la possibilité de politiques de relance, des transferts entre Etats limités et pourtant jugés excessifs par les principaux contributeurs au budget de l'Union, le tout destiné à régir un ensemble d'Etats évidemment hétérogène.
Qu'on m'entende bien : je ne remets pas en cause le principe de la monnaie unique, mais j'ai le sentiment que, telle qu'elle est actuellement conçue, elle risque de peser lourdement sur la vie économique, sociale, politique des Etats membres, en imposant des ajustements qui seront sans doute plus importants qu'on ne veut bien nous le dire aujourd'hui.
La réussite durable de l'euro me paraît donc supposer une application souple du traité, de manière à rendre une marge de manoeuvre à l'Union et aux Etats membres. Dans cette optique, la Banque centrale européenne devrait clairement être chargée de veiller, non seulement à la stabilité des prix, mais encore à la croissance et à l'emploi ; par ailleurs, le Conseil devrait pouvoir définir des orientations au service desquelles la Banque centrale européenne serait tenue de placer son action. Alors, mais alors seulement, l'Europe serait mieux armée, me semble-t-il, pour gérer sa propre disparité et pour mettre sa monnaie au service de son économie, et non l'inverse.
L'euro est un pari. Sans doute fallait-il le faire pour consolider une construction européenne qui n'était plus cimentée par la confrontation Est-Ouest. Mais, quitte à faire un pari aussi risqué, mieux vaut mettre toutes les chances de son côté.
Je souhaite que le texte que nous adopterons aujourd'hui indique clairement qu'une application ouverte et pragmatique du traité est nécessaire compte tenu du niveau atteint par le chômage dans un grand nombre d'Etats membres. Mon vote final dépendra donc du sort qui sera réservé à l'amendement que je présenterai sur ce point. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Pour répondre à l'attente générale du Sénat, je serai assez bref de façon à éviter une séance de nuit.
Je ne reviendrai pas longuement sur les propos de M. le rapporteur, de M. le président de la commission et de M. Genton parce qu'ils ont tous trois dit excellemment, malgré quelques petites piques inévitables à l'égard du Gouvernement, pourquoi notre pays, qui s'y était engagé depuis longtemps, devait aujourd'hui franchir cette étape de la monnaie unique.
Je n'y reviens pas ; nous avons eu l'occasion au cours de la nuit dernière, à propos de la Banque de France, de déborder très largement du sujet et de nous exprimer sur l'euro en général. Je dirai la même chose, s'agissant de l'intervention de M. Gaillard.
Personne ne m'en voudra de répondre plus particulièrement à ceux qui ont été critiques plutôt qu'à ceux qui approuvent, c'est bien légitime.
M. de Villepin, notamment, s'est arrêté quelques instants sur un sujet qu'il a d'ailleurs été le seul à aborder, celui des sanctions financières, en se demandant si les engagements du pacte de stabilité pourront être tenus.
Oui, ils pourront l'être et il convient même qu'ils le soient.
Les pénalités sont une sorte de dissuasion ; mais personne n'a l'intention de les mettre en oeuvre.
Un déficit de 3 % du PIB est un déficit élevé. Nous raisonnons maintenant comme si nous étions obligés d'avoir des déficits très importants.
Je me permets de vous rappeler qu'au cours des vingt dernières années, de 1973 à 1993, nous n'avons jamais atteint 3 % de déficit, même les années où beaucoup d'entre nous considèrent que le déficit était important, je pense en particulier aux années 1981 et 1982.
Un budget équilibré, ce n'est pas scandaleux. Il y a des moments où il faut qu'il y ait un déficit pour soutenir la croissance ; il y a des moments où il peut y avoir des excédents.
Aujourd'hui, vous le savez, en 1998 déjà, cinq pays de l'Union auront des excédents parce qu'ils sont en avance dans la phase de croissance par rapport à nous, qui aurons encore du déficit.
Il n'y a aucun scandale à avoir du déficit ; mais il n'y a aucune nécessité a priori à en avoir. Le réglage de la conjoncture ne se fait pas avec l'idée que plus il y a de déficit, mieux l'on se porte.
Si les rédacteurs du traité ont retenu un seuil de déficit de 3 %, seuil assez élevé, c'est parce qu'à l'époque, certains l'ont rappelé tout à l'heure, on enregistrait des déficits de 1,5 %. Il n'y a aucune raison de ne pas revenir à ce taux. Dans ces conditions, le problème des pénalités, à mon avis, se pose peu.
Concernant l'année 1998, monsieur le sénateur, vous pensez qu'il y aura une déclaration au sommet du 2 mai, sur l'encadrement et vous dites que, dès 1998, on aura telle ou telle obligatoire. C'est tout à fait normal. En 1997, le seuil était de 3 %, c'était le fameux critère. Pour 1999, nous nous sommes mis d'accord pour maintenir ce seuil. C'est l'essence du pacte de stabilité. Si nous nous sommes contraints à passer en dessous de 3 % pour être admissible à la monnaie unique, ce n'est pas pour le faire exploser ensuite. Il faut en rester à 3 %, c'est l'esprit du pacte de stabilité. Mais comme le pacte de stabilité commence en 1999 et que 1997 c'est 1997, l'idée qui consiste à dire que 1998 doit se dérouler normalement, en conformité avec 1997 et avec ce que l'on attend pour 1999, honnêtement, n'a rien de farfelu.
Quant au fait que nous rappelions que l'objectif de moyen terme doit être de réduire le déficit, je crois que c'est en effet souhaitable.
Tant que nous serons en croissance, il faudra réduire le déficit pour pouvoir utiliser les réserves lorsque nous serons dans une période où la croissance se ralentira. Mais si nous voulons utiliser les batteries, pour reprendre la formule de mon collègue Christian Sautter, au moment où l'on a besoin d'électricité, il faut les recharger quand le véhicule roule vite. Donc « recharger les batteries du déficit », en l'occurrence, c'est le réduire suffisamment pendant que la croissance est forte.
Par conséquent, à moyen terme, à échéance de trois à quatre ans, il faut que nous parvenions à réduire le déficit. Nous aurons peut-être besoin de cette réserve au moment où la croissance commencera - malheureusement cela arrive toujours - à ralentir.
Certains ont cité M. Schröder, d'autres, à l'Assemblée nationale, ont cité M. Blair. Je me réjouis infiniment de constater que les références principales de l'opposition sont aujourd'hui des leaders socio-démocrates ou travaillistes en Europe. Cela montre bien où est le courant.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Des libéraux !
M. Emmanuel Hamel. Vous êtes loin de Tony Blair. Lui, il défend la Grande-Bretagne et ne veut pas sa fusion dans l'Europe.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le sénateur, je crains d'être plus « blairiste » que vous !
M. Emmanuel Hamel. Je ne le crois pas !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mais je crains aussi que vous n'ayez pas suivi les déclarations récentes qu'il a pu faire à Westminster quand il a expliqué que, dès qu'il le pourrait, son pays rejoindrait l'euro. A ce moment-là, vous quitterez le blairisme !
M. Durand-Chastel a été très positif à l'égard de la résolution. Il a abordé le premier une question très importante que beaucoup d'entre vous ont reprise. Il s'agit des dépenses publiques.
Monsieur le sénateur, vous posiez la question de savoir s'il est raisonnable d'augmenter les dépenses publiques alors que tous les experts disent qu'il faut les diminuer.
Nous reviendrons sur cette question du budget pour 1999 à de nombreuses reprises, bien avant même la discussion du projet de loi de finances. Je souhaite simplement que nous discutions entre nous sur des concepts clairs.
Personne n'a jamais écrit dans aucun livre d'économie qu'il ne faut pas augmenter la dépense publique. Ce qui compte, c'est de savoir quelle est la part de la dépense publique par rapport au PIB. Si la richesse s'accroît, la dépense publique s'accroît aussi, et il n'y a aucune raison de considérer que la dépense publique ne doive pas s'accroître.
Là où cela ne va plus, pour certains, et ce point mérite discussion en effet, c'est si on veut voir croître ou décroître la part de la dépense publique.
Mais lorsqu'on dit que la dépense publique, en 1999, va augmenter de 1 %, le problème est de savoir non pas si elle augmente de 1 %, mais par rapport à quel taux de croissance du PIB elle augmente de 1 %. Or comme la croissance attendue du PIB pour 1999 est de 3 %, le ratio de la dépense publique par rapport au PIB continuera de décroître en 1999.
Ayons donc des concepts raisonnables présents à l'esprit.
Cela n'a pas de sens de comparer la dépense publique d'une année à celle d'une autre année.
En disant que la dépense publique est plus forte en valeur absolue en Allemagne qu'en France, on pourrait en tirer la conclusion que l'Allemagne est plus interventionniste. Non ! Cela signifie simplement que son PIB est plus important.
C'est, bien sûr, la part de la dépense publique dans le PIB qui est la bonne variable. Mais nous aurons souvent l'occasion de revenir sur ce point.
M. Fourcade est intervenu de façon positive. Il a déclaré qu'il ne faut pas céder à la tentation de croire que les dépenses publiques ont des vertus par elles-mêmes.
Je crois qu'il exagère. La dépense publique a des vertus par elle-même. Trop de dépenses publiques, c'est trop. Pas assez de dépenses publiques, ce n'est pas assez.
Soyons pragamatiques. comme nous y a invité M. de la Malène tout à l'heure à propos du traité lui-même.
La dépense publique a des effets positifs. J'ai assisté récemment à l'inauguration d'une usine IBM près de Paris. Les dirigeants de cette entreprise, qui pouvaient choisir de s'implanter en Pologne, en France ou en Grande-Bretagne, ont opté pour la France.
Interrogés sur les raisons de ce choix, ils ont répondu que si les impôts et charges sociales étaient plus lourds en France, le personnel était mieux formé et les infrastructures, notamment en matière de télécommunication, étaient bien meilleures. D'où, la décision d'une installation en région parisienne.
Le problème est donc non pas de savoir si la dépense publique est trop ou pas assez élevée, mais de déterminer avant tout à quoi elle sert. Est-elle efficace ?
Finalement, le problème est identique à celui qui se pose pour l'investissement dans le secteur privé. On paie une certaine somme et on veut en avoir pour son argent.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est le problème de la distinction entre le fonctionnement et l'investissement !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Notre vrai problème, c'est donc de rendre la dépense publique plus efficace ; le Gouvernement s'y emploie.
Ensuite, M. Fourcade a longuement parlé des 35 heures. Je ne reviens pas sur ce débat qui ne concerne pas directement l'euro. Cela prendrait trop de temps et j'ai dit que je voulais être bref.
Permettez-moi simplement de rappeler que, selon le principe de subsidiarité, ces questions de politique de l'emploi sont du ressort national. Je ne peux donc pas laisser passer l'idée reprise dans plusieurs interventions selon laquelle la mise en place de l'euro empêcherait l'application d'une politique différente de celle de ses voisins.
La subsidiarité est très précisément définie. Les politiques de l'emploi sont des politiques subsidiaires. J'en veux pour preuve que le Gouvernement a mis en oeuvre une politique sur les 35 heures, que cela plaise ou déplaise à certains.
Or, nous avons déjà depuis plusieurs années des parités extrêmement rigides par rapport aux principales monnaies qui deviendront l'euro dans plusieurs années. Cela ne nous a pas empêchés de mettre en place les 35 heures.
Qu'on en soit content ou mécontent, c'est une autre question. Il n'est toutefois pas exact de dire que la monnaie unique interdit de mener les politiques de l'emploi ou les politiques fiscales souhaitées au plan national.
Je ne dirai jamais suffisamment à M. Estier combien j'ai trouvé excellente son intervention. Il a évoqué lui-même le problème que pose le texte que les Allemands, et d'autres avec eux, souhaitent voir adopter à l'occasion du prochain sommet.
C'est un texte d'encadrement de l'euro, qui ne me gêne pas. Il me gênerait s'il devait ne traiter que des problèmes budgétaires, car il n'y a pas de raison à cela. La France s'est en effet battue, depuis un an, pour que l'on n'oublie pas les problèmes de l'emploi à côté du problème budgétaire.
Si nous adoptons un texte global qui rappelle que nous nous sommes engagés, d'une part, à être raisonnables en matière budgétaire et, d'autre part, à développer les questions de l'emploi, nous atteindrons bien l'équilibre que le Gouvernement a souhaité. Si le texte prend cette forme, il ne me dérange pas.
M. Pasqua est revenu sur un certain nombre de thèmes qu'il avait déjà évoqués et qu'on lui connaît bien, notamment sur celui de la souveraineté, sur celui de l'Etat fédéral qu'on impose subrepticement. Honnêtement, je ne crois pas qu'il en soit ainsi, ou alors, c'est tellement subreptice que cela m'a échappé !
Il se pourrait toutefois que la supranationalité s'impose subrepticement, mais pas obligatoirement sous la forme fédérale. Je ne vois cependant pas beaucoup d'éléments qui donnent à penser aujourd'hui que la construction européenne s'oriente plutôt vers une tendance fédéraliste que vers une tendance centralisée.
Monsieur Pasqua, quand vous dites que la monnaie unique est « intégrante », que, de ce fait, l'intégration politique suivra et que, dans ces conditions, nous allons de plus en plus vers une structure politique forte à la tête de l'Europe, je pense que vous avez raison.
On peut le souhaiter ou ne pas le souhaiter, mais dire qu'elle est obligatoirement fédérale me paraît exagéré. Vous avez peut-être raison, mais je n'en vois vraiment pas nettement les traces.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué ensuite l'idée que la Banque centrale européenne mènerait une politique monétaire stricte, et vous avez eu l'air de le regretter. Je ne sais pas bien ce que c'est qu'une politique monétaire stricte, mais je sais ce qu'est une politique monétaire qui sert l'économie.
Aujourd'hui, je vois que la politique monétaire menée par les banques centrales qui deviendront, par leur réunion en quelque sorte, la Banque centrale européenne est telle que les taux d'intérêt en Europe sont les plus bas du monde. Si c'est cela mener une politique monétaire stricte, cela me convient.
Pour aider l'investissement, la consommation, il faut des taux d'intérêt faibles. Or nous avons de tels taux, justement grâce à la perspective de l'euro. Donc, il m'apparaît plutôt que la perspective de l'euro, et l'euro encore plus, aboutira à des taux d'intérêt faibles.
De plus, l'esprit n'est pas à négliger. Au-delà des discours, je vous en donne une illustration qui en vaut la peine. Aujourd'hui, le gouvernement italien, parce qu'il est acquis qu'il sera intégré à l'euro et que les marchés financiers en ont conscience, emprunte moins cher que n'emprunte le gouvernement de Tony Blair auquel vous prêtiez tout à l'heure beaucoup de vertus.
La place financière de Londres, l'importance économique et financière encore plus grande de la Grande-Bretagne n'empêche pas qu'elle emprunte à un taux plus élevé que les Italiens parce que les Britanniques sont en dehors de l'euro et que les Italiens, dont on se moque souvent à tort, sont dans l'euro.
L'euro est un facteur de baisse considérable des taux. Ce n'est pas une politique monétaire stricte, c'est une politique monétaire qui soutient l'activité.
Vous avez fini, monsieur Pasqua, par une critique du Président Chirac. (M. Charles Pasqua manifeste son étonnement.) Vous avez dit qu'on voulait faire ratifier à la sauvette le traité d'Amsterdam. Or, comme c'est le Président de la République qui décide des modalités de ratification du traité, j'ai vu là une critique subreptice mais, évidemment, je ne veux pas la commenter.
M. Charles Pasqua. Sur proposition du Gouvernement !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Badré est intervenu sur le thème : l'union fait la force. Je crois qu'il a tout à fait raison, mais j'apporterai une correction sur un point mineur, une correction à laquelle je tiens beaucoup : le déficit prévisible pour 1999 est non pas de 2,5 % mais de 2,3 %.
Je pense donc que le déficit se situera, en l'an 2000, au-dessous de 2 %, ce que j'ai annoncé voilà six mois en présentant le projet de loi de finances pour cette année. Ce taux de 2 % est important parce que notre dette baisse à partir du seuil de 2 %.
Par conséquent, j'entends bien que, dans notre pays, à partir de l'an 2 000, le rapport de la dette au PIB baisse, ce qui n'était pas arrivé - vous en conviendrez avec moi - depuis quelques lustres.
Enfin, M. de La Malène est intervenu dans le sens que l'on sait. Je retiens principalement de son propos l'idée qu'il faut opérer un rééquilibrage en faveur du politique. Vous sembliez dire, monsieur le sénateur, que la crainte principale était - je caricature vos propos en les simplifiant - que tout cela soit trop technocratique, mal équilibré, en défaveur du pouvoir politique, thème qui avait d'ailleurs été évoqué par plusieurs orateurs avant vous. Je ne crois pas qu'il en sera ainsi.
Je crois, en tout cas, que la Banque centrale que nous mettons en place n'est pas plus puissante, pas plus indépendante que ne le sont aujourd'hui les banques centrales nationales. Vous me répondrez que, face aux banques centrales nationales, il y a un véritable pouvoir politique. C'est vrai ! Il faut donc que nous ayons un tel pouvoir au niveau européen.
Mais, pour autant, ce réel pouvoir politique qui existe en Allemagne ou en France face à la Banque centrale n'intervient pas sur l'activité de la Banque centrale. Et, en France, c'est notamment vous qui l'avez voulue indépendante.
M. Emmanuel Hamel. Pas moi !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes ! Le « vous » ne vous incluait pas, monsieur le sénateur !
M. Emmanuel Hamel. Merci !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très bien ! Vous êtes donc cohérent avec vous-même !
Je dirai donc que votre majorité a voulu qu'il en soit ainsi. Ne chicanons pas.
Aujourd'hui, aucun gouvernement européen n'intervient sur sa banque centrale. Et même les Britanniques, qui ont gardé pendant plus longtemps que les autres une banque centrale dépendante, viennent de passer à une banque centrale indépendante.
De toute façon, aujourd'hui, les pouvoirs publics n'interviennent pas sur les banques centrales. Demain, ils n'interviendront pas plus, mais pas moins. En effet, d'ores et déjà - on peut le regretter, mais ce n'est pas l'euro qui change quelque chose - le pouvoir monétaire est un pouvoir que la plupart des pays ont décidé de laisser entre des mains extérieures à la politique.
On a souvent cité à cette tribune, comme à celle de l'Assemblée nationale au cours des jours précédents, l'exemple des Etats-Unis. Honnêtement, aux Etats-Unis, Alan Greenspan mène la politique monétaire qu'il juge bonne, et il n'y a pas d'interférence du gouvernement. D'ailleurs, le gouvernement américain ne se risquerait pas à donner des instructions au Federal Reserve System bien que ses statuts prévoient que ses domaines de compétences sont vastes. Il reste que la politique monétaire est menée par une instance indépendante, et il n'y a pas de pays moderne aujourd'hui sur la planète où il n'en soit pas ainsi.
D'ailleurs, le Premier ministre chinois, Zhu Rongji, qui était à Paris récemment, me disait que son intention, pour moderniser la Chine, était de mettre en place, aussi rapidement que possible, une politique monétaire qui ne serait plus dépendante du pouvoir politique. Vous constatez ainsi combien ces idées ont fait le tour de la terre !
Par conséquent, finalement, la question relative à la Banque centrale est de savoir ce sur quoi on veut être rigoureux. A ce propos, M. de La Malène a expliqué à plusieurs reprises - je terminerai sur ce point - qu'il fallait interpréter de façon souple cette affaire. Je ne dis pas « laxiste », mais « souple ». Par conséquent, la vraie question, et ce sera ma conclusion, est de savoir ce sur quoi on est souple et ce sur quoi on est rigoureux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes volontiers, dans vos discours, rigoureux sur les salaires, en regrettant qu'il n'y ait pas suffisamment de flexibilité - plus de flexibilité signifiant plus de pression sur les salariés - et vous souhaitez être moins rigoureux sur la politique monétaire. Moi, j'accepte volontiers que nous ayons une politique monétaire plus rigoureuse et qu'on soit moins rigoureux sur les salaires. Nous voyons bien ainsi qu'il existe une différence fondamentale entre nous sur le plan politique.
Ayons une banque centrale rigoureuse, et qu'elle ait pour objectif de maintenir des taux d'intérêt bas. Que la rigueur soit de ce côté-là, et nous pourrons avoir, du côté du salaire et du pouvoir d'achat, une politique plus allante.
Vous, vous préférez opter pour l'autre choix, c'est-à-dire pour la rigueur en matière de marché du travail et une plus grande facilité sur le plan monétaire. Ce n'est visiblement pas le choix du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Serge Vinçon. C'est une vraie caricature !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la proposition de résolution rectifiée de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.

J'en donne lecture :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution,
« Vu la recommandation de la Commission européenne en vue d'une recommandation du Conseil conformément à l'article 109 J, paragraphe 2, du Traité,
« Invite le Gouvernement :
« - à approuver, au sein du Conseil, la liste des Etats membres remplissant les conditions nécessaires pour l'adoption d'une monnaie unique, telle qu'elle est proposée par la Commission européenne ;
« - à veiller à ce que le système européen de banques centrales respecte les missions qui lui sont imparties par l'article 105 du traité sur l'Union européenne afin que l'Union économique et monétaire contribue à atteindre les objectifs déterminés par l'article 2 de ce traité, c'est-à-dire, en particulier, une croissance durable, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie ;
« - à réaffirmer que le bon fonctionnement de la zone euro ainsi définie suppose que tous les Etats membres s'attachent à retrouver la marge de manoeuvre indispensable pour que chaque politique budgétaire nationale puisse jouer son rôle d'ajustement conjoncturel dans le cadre d'une politique monétaire unique ;
« - à élaborer et mettre en oeuvre un programme de stabilité, pleinement conforme à nos engagements européens et au rôle de notre pays en Europe ;
« - à veiller à ce que le Conseil, dans le cadre d'un dialogue permanent avec la Banque centrale européenne (BCE) exerce effectivement les responsabilités qui lui sont reconnues par les articles 109 et 109 B du traité sur l'Union européenne, en tirant parti des possibilités de modulation institutionnelle décidées dans le cadre de la résolution adoptée par le Conseil européen de Luxembourg le 13 décembre 1997 ;
« - à poursuivre rapidement l'approfondissement de tous les volets de l'Union économique et monétaire et, en particulier, la coordination des politiques économiques dans la perspective d'un rapprochement des conditions fiscales et des performances sociales en visant notamment une amélioration de la situation de l'emploi ;
« - à assurer l'information régulière du Parlement sur l'action que le Gouvernement conduira à ces différents titres, à organiser un débat annuel à ce sujet dans chacune des deux assemblées, à produire à l'appui du projet de loi de finances de l'année le programme de stabilité notifié par lui et, au moins une fois par an, une présentation des programmes des autres Etats membres ;
« - à communiquer aux présidents des commissions permanentes compétentes du Parlement tous rapports, avis et recommandations auxquels pourrait donner lieu la mise en oeuvre des articles 103 et 104 C du traité sur l'Union européenne du 7 février 1992 ;
« - à favoriser un dialogue régulier entre la BCE et le Parlement français afin que celui-ci soit informé de la politique monétaire menée par celle-ci ;
« - à agir en sorte que soient pleinement respectées les dispositions de l'article 109 A du traité sur l'Union européenne, en vertu desquelles la nomination des membres du directoire de la BCE relève de la pleine responsabilité des chefs d'Etat ou de gouvernement des Etats membres participant à la monnaie unique ;
« - à veiller à ce que les politiques économiques et monétaires des Etats non participants garantissent l'équilibre des taux de change nominaux et réels de leurs monnaies vis-à-vis de l'euro. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 11, Mme Beaudeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit la résolution :
« Le Sénat,
« Vu l'article 88-4 de la Constitution,
« Vu la recommandation de la Commission de Bruxelles (E 1045) pour le passage de onze pays - dont la France - à la monnaie unique dès le 1er janvier 1999,
« Vu que ladite recommandation doit être examinée par les chefs d'Etats et de gouvernement le 2 mai 1998,
« Demande au Gouvernement :
« - de surseoir à l'examen de la recommandation de la Commission européenne tant qu'un grand débat national n'aura pas eu lieu sur les implications de l'euro, notamment sur le plan social, de la démocratie et de la souveraineté, et sur les alternatives possibles en matière de coopération monétaire ;
« - de faire respecter ses objectifs sociaux, de relance de l'emploi et de la réduction du temps de travail pour lesquels notre peuple vient encore d'affirmer sa volonté de voir l'action gouvernementale poursuivie et amplifiée ;
« - de proposer à nos partenaires de travailler en commun à une véritable orientation de la construction européenne tournée vers le développement social et l'emploi, et donc à une coopération monétaire conçue pour ces priorités ;
« - qu'en tout état de cause, la décision finale de passage ou non de la France à la monnaie unique revienne aux citoyens, consultés par voie de référendum. »
Par amendement n° 1 rectifié, M. de La Malène et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après le huitième alinéa de la résolution, un alinéa ainsi rédigé :
« - à proposer aux gouvernements des Etats membres d'appliquer le traité sur l'Union européenne en sorte que l'objectif principal du SEBC ne soit pas seulement la stabilité des prix, mais aussi la croissance économique et un niveau d'emploi élevé, et, que, d'autre part, le SEBC remplisse ses missions dans le respect des orientations arrêtées par le Conseil. »
La parole est à Mme Beaudeau, pour présenter l'amendement n° 11.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous considérons que la question de la construction européenne est bien trop importante pour en laisser le traitement aux seuls initiés des mouvements monétaires. Le débat sur le statut de la Banque de France - en fait sa liquidation - l'a démontré la nuit dernière.
Des questions particulièrement importantes ne sont pas résolues et messieurs les ministres, vous voulez mettre notre pays en situation de participer à une construction économique et surtout monétaire pour laquelle l'ensemble et la réalité des problèmes institutionnels, économiques et sociaux nont pas été tranchés.
Vous prétendez, pour tenter de le justifier, qu'en 1992 une majorité de Français a ratifié les modifications du traité de Rome adoptées à la conférence de Maastricht.
Mais, je me permets de vous le rappeler, les Français n'ont pas eu alors à connaître du pacte de stabilité budgétaire qui est à l'euro ce qu'on été au franc, à la peseta ou à la lire les politiques budgétaires restrictives qui ont été menées ces dernières années au nom du renforcement de la compétitivité des entreprises ou de la conformité à des critères de convergence.
Là est notre point de vue sur une question essentielle : ne cherche-t-on pas à imposer aux peuples d'Europe, et donc au peuple de France en particulier, un indépassable horizon d'austérité et de rigueur, accompagné d'une remise en question de la dépense publique ?
On se trompe décidément de temps et de cible.
Depuis quand, mes chers collègues de la commission des finances, la stabilité d'une monnaie, et celle des prix qui doit ou devrait en découler, est-elle devenue le but ultime de toute politique économique, alors qu'elle devrait, au mieux, en constituer un instrument, au moins en être le reflet au travers de l'appréciation de la valeur des titres monétaires ?
Sans doute depuis que la technocratie européenne, éloignée des peuples et du terrain, a essayé de nous « vendre » l'euro fort pour mieux faire passer, avec la flexibilité et la précarisation des conditions de travail, la remise en cause de la démocratie sociale et des garanties offertes aux salariés et à leurs familles par la protection sociale, la réduction programmée du pouvoir d'achat et, au-dessus de tout, l'amélioration sensible de la rentabilité financière.
Tel qu'il est conçu aujourd'hui, l'euro n'est rien d'autre qu'un instrument destiné à poursuivre la logique d'une société libérale, où le plus grand nombre partage les sacrifices et le plus petit les dividendes.
Au printemps 1997, les Français ont largement indiqué leur refus de cette société profondément inégalitaire que l'on nous propose dans ce type de construction européenne.
Ils ont manifesté leur souhait d'une politique économique et sociale réellement alternative, mettant au centre de son action la satisfaction des besoins collectifs et la lutte contre le chômage pour retrouver les chemins d'une croissance saine et porteuse de créations d'emplois.
Aujourd'hui, il importe donc que ces orientations soient clairement affirmées et portées, y compris au plus haut niveau européen, par le gouvernement que notre pays a choisi de placer aux commandes du pays.
C'est en effet de cela qu'il s'agit.
Notre amendement vise donc, en prévoyant la réécriture de la proposition de résolution de la commission des finances, à retenir comme essentiels les points suivants.
Il s'agit tout d'abord que la clarté soit faite sur l'ensemble des implications que recouvre la mise en place effective de la monnaie unique.
S'il s'agit demain, au nom de la parité de l'euro vis-à-vis du dollar ou du yen, par exemple, de mener telle ou telle politique budgétaire ou fiscale, il importe que cela soit effectivement précisé.
Il s'agit ensuite que les priorités affichées de l'action du Gouvernement soient maintenues et développées, y compris à l'échelon communautaire. Je pense notamment ici à la réduction du temps de travail en vue de créer des emplois.
Il convient donc de mettre le poids de la France dans la balance pour que les objectifs strictement monétaristes fixés pour la troisième phase de l'Union économique et monétaire soient abandonnés au profit d'objectifs clairs et mobilisateurs en matière de croissance économique, de création d'emplois et de développement harmonieux des sociétés. N'est-ce pas là d'ailleurs ce qu'affirme le traité de Rome à travers les missions qu'il assigne à la Communauté ?
La France peut et doit peser pour réorienter la construction européenne.
Enfin, il est indubitable que ce grand débat national sur le devenir de la construction européenne ne peut être limité à nos échanges parlementaires.
Nul ne peut prétendre aujourd'hui que le peuple de notre pays n'a pas, ou n'a plus, le droit de dire son mot sur la manière dont se déroulent les choses. Vous voulez supprimer le franc, mais le peuple français n'a pas encore été consulté sur une telle décision.
Il n'y a pas, à notre sens, de construction européenne digne de ce nom sans consultation du peuple, consultation aussi fréquente que possible parce que légitime, et sous toutes les formes appropriées. C'est le fondement démocratique et républicain de toute évolution de notre société.
Tel est le sens du dernier attendu de notre amendement, par lequel nous proposons que soit effectivement organisé un référendum sur les enjeux de la monnaie unique.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. de La Malène, pour défendre l'amendement n° 1 rectifié.
M. Charles Pasqua. Excellent amendement !
M. Christian de La Malène. L'amendement que je soumets au Sénat tend à demander un infléchissement de la conception de l'euro qui a triomphé jusqu'ici en pratique, et cela sur deux points.
Tout d'abord, je crois que la Banque centrale européenne ne doit pas avoir pour objectif principal la seule stabilité des prix. Elle doit aussi avoir pour objectif la croissance économique et le plein emploi, comme c'est d'ailleurs le cas de la Réserve fédérale américaine, vous le savez parfaitement, monsieur le ministre de l'économie.
Ensuite, il me semble que la Banque centrale européenne ne doit pas être « un empire dans un empire », mais qu'elle doit agir au contraire en fonction des orientations générales arrêtées par le Conseil de l'Union européenne.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Christian de La Malène. Pourquoi cet amendement ?
En fixant comme objectif principal à la Banque centrale européenne la stabilité des prix, le traité a semblé faire sienne une conception « monétariste », selon laquelle une politique monétaire expansive ne peut avoir d'effet durable sur la croissance et l'emploi. Elle est seulement susceptible d'alimenter l'inflation.
Faut-il graver dans le marbre cette conception monétariste ? Je ne le crois pas. Sans entrer dans une vaste controverse théorique, j'observerai que les Etats-Unis ont échappé à la récession qui a touché l'Europe en pratiquant, lorsqu'il le fallait, des taux d'intérêt réels très bas, presque nuls. A l'inverse, selon de nombreux économistes, parmi lesquels beaucoup sont partisans de la monnaie unique, il se pourrait que de 25 % à 30 % de notre chômage résultent de la politique monétaire restrictive qui a été menée par la Banque de France alors que la croissance française était tombée au plus bas.
Cela m'amène à estimer que l'Europe a besoin d'un dispositif plus pragmatique, moins orthodoxe, qui conduise la Banque centrale européenne à privilégier la croissance et l'emploi dans la zone euro.
Mais, comme il n'appartient pas à la Banque centrale européenne de définir la politique économique menée par l'Union et les Etats membres, cela suppose que son action soit placée au service des orientations générales arrêtées par le Conseil. Ainsi serait en partie corrigée l'anomalie du statut actuel du système européen de banques centrales, qui donne aux banquiers centraux un pouvoir considérable et une irresponsabilité complète. Un tel statut heurte de front le principe même de la démocratie, qui veut que le pouvoir appelle la responsabilité.
Je crois qu'il faut démocratiser et donc « politiser » la gestion de la monnaie unique. Cela me paraît être le seul moyen d'assouplir le système très rigide qui résultera de l'unification monétaire.
En effet, que va-t-il se passer avec la mise en place de l'euro ? Face à des écarts importants de compétitivité, ou face à des chocs économiques frappant certains Etats membres plus que d'autres, l'ajustement ne pourra plus se faire par les variations du change. Quelles variables d'ajustement subsisteront alors ? Il y aura le niveau des prélèvements obligatoires, le niveau des salaires et surtout l'emploi.
M. Charles Pasqua. Et voilà !
M. Christian de La Malène. En disant cela, je ne joue pas les Cassandre : il suffit de regarder la situation de l'Allemagne de l'Est, ou celle de l'Italie du Sud, pour constater quels sont les effets d'une monnaie unique dans une zone où existent des écarts de compétitivité importants.
On me dira qu'il existe des palliatifs, notamment la mobilité des travailleurs et les transferts budgétaires. Mais la mobilité des travailleurs en Europe est entravée par de nombreux motifs qui sont généralement légitimes, car les hommes et les femmes ne sont pas des pions. Quant aux transferts budgétaires, n'en exagérons pas l'efficacité : l'Allemagne de l'Est et l'Italie du Sud bénéficient d'énormes transferts financiers qui, jusqu'à présent, n'ont pas eu l'effet escompté. A supposer même que ces transferts budgétaires soient plus utiles que je ne le crois, encore faudrait-il que les Etats les plus prospères y consentent : or, c'est le contraire que nous observons aujourd'hui de la part des Etats contributeurs nets.
Ne croyons pas que l'euro va nous apporter une sorte de confort monétaire, en nous délivrant du risque de change sans rien nous demander en contrepartie. En réalité, la monnaie unique a des avantages indéniables, mais elle est aussi un pari difficile, notamment parce que l'optique retenue est très rigide, très contraignante, qu'elle prive non seulement les Etats membres, mais aussi l'Union elle-même, du recours à une politique monétaire intelligente.
Je crains qu'une Europe des banquiers centraux ne soit pas une Europe de la croissance. Je crains même que la reprise en France ne soit contrariée si la Banque centrale européenne décide d'entrée de jeu de pratiquer des taux d'intérêt relativement élevés pour asseoir sa crédibilité. Face à cela, je crois que nous devons affirmer clairement la priorité de la croissance et de l'emploi, et, pour cela, la primauté du politique et de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 11 et 1 rectifié ?
M. Alain Lambert, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur l'amendement n° 11, présenté par Mme Beaudeau, et un avis favorable sur l'amendement n° 1 rectifié, défendu par M. de la Malène.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'amendement n° 11 comporte deux parties différentes.
La première concerne les conséquences de l'euro, les avantages et les inconvénients que celui-ci risque d'avoir sur le plan social en matière d'emploi. Je crois que la meilleure réponse a été donnée par M. Angels dans son intervention tout à l'heure car, en reprenant les mêmes préoccupations que les vôtres, madame Beaudeau - à savoir l'emploi, la protection sociale et la volonté de croissance - il en est arrivé à la conclusion que c'est l'euro qui permettra d'atteindre ces objectifs plutôt que le contraire.
Il s'agit là d'un débat de fond sur la politique qui, certes, reste ouvert, mais je considère - vous me pardonnerez, madame Beaudeau - que les arguments avancés par M. Angels sont plus convaincants que ceux que vous avez exposés en défendant cet amendement !
L'autre partie de l'amendement concerne le référendum sur lequel, madame Beaudeau, vous connaissez la position du Gouvernement. Je ne puis donc, évidemment, inviter le Sénat à voter cet amendement puisque la position du Gouvernement est la suivante : il y a eu un référendum, les Français ont choisi et il n'y a pas de raison d'y revenir.
L'amendement de M. de La Malène ne me paraît pas mauvais, il me paraît superflu. L'idée et la lettre consistent à dire qu'il n'y a pas que la stabilité des prix, mais qu'il y a aussi la croissance économique, un niveau élevé d'emploi.
Mais qu'est-ce que le traité dit d'autre en son article 105-1 ? « Le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté tels qu'ils sont définis à l'article 2. »
Que dit l'article 2 ? « ...un haut degré de convergence et de performance économique, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, un relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale élevé. »
Le traité prévoit donc déjà que le système européen de banques centrales doit apporter son soutien à ces objectifs.
Ce n'est pas contradictoire et donc pas gênant, mais c'est superflu. Et comme je connais le souci de la Haute Assemblée de disposer de textes juridiques parfaitement ficelés et ne répétant pas deux fois la même chose, je n'invite pas le Sénat à retenir cet amendement.
M. Lucien Neuwirth. Si cela va sans dire, cela va mieux en le disant !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11.
M. Michel Barnier. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier. On connaît la courtoisie habituelle du ministre de l'économie et des finances et le ton qui convient ici, dans notre Haute Assemblée, à des débats importants ; mais tout de même, monsieur le ministre, je trouve un peu courte et un peu anodine la réponse que vous avez faite aux membres du groupe communiste, qui appartient à votre majorité et à votre Gouvernement.
Je pense que la proposition faite par le groupe communiste, qui appartient à la majorité, est tout de même beaucoup plus importante et beaucoup plus grave que ne le laisse croire le ton un peu anodin que vous avez utilisé.
Madame Beaudeau, on peut soit se féliciter du vote émis par les Français au mois de juin 1997, soit le regretter - dans cet hémicycle, les opinions sont partagées - mais on ne peut qu'en prendre acte, c'est la démocratie. En tout cas, un point n'était pas ambigu dans la proposition formulée par le parti socialiste à l'époque et par celui qui est devenu le Premier ministre : c'était l'attachement à la construction européenne et au respect des engagements pris bien avant par le Président de la République en faveur de la création de la monnaie unique.
Ce qui, en revanche, apparaîtra de plus en plus ambigu, mensonger - j'emploi ce mot, même s'il est grave, après l'avoir pesé - hypocrite, peut-être, dans l'attitude du parti communiste et dans celle de la majorité plurielle, c'est qu'il continue à soutenir ce Gouvernement, voire à y participer - combien de temps ? Nous le verrons bien ! - sachant pertinemment que le Premier ministre avait pris cet engagement en faveur de la monnaie unique.
Vous pouvez toujours nous donner des leçons de démocratie et parler des citoyens, mais je me demande, madame Beaudeau, combien de temps vous allez tenir dans cette forme d'hypocrisie et de mensonge politique.
M. Claude Estier. Il n'y a pas d'ambiguïté au RPR ?
M. Michel Barnier. La différence, monsieur Estier - on peut le regretter, mais il en est ainsi en ce moment - c'est que vous gérez ensemble la France.
Vous la gérez ensemble - je le répète tranquillement et sérieusement - dans une sorte de mensonge politique.
Monsieur le ministre, vous serez bien obligé d'indiquer comment vous allez atteindre l'objectif d'équilibre budgétaire, le déficit descendant progressivement de 3 % à 2 %, puis de 2 % à 1 % et, enfin, de 1 % à 0 % sans doute, en 2002. Nous verrons alors si cette ambiguïté, ce mensonge politique est toujours accepté par les différents groupes de la majorité qui constituent le Gouvernement.
J'en viens à ma seconde observation. Madame Beaudeau, vous parlez de nouveau, comme d'autres, de référendum. Vous soutenez que les Français n'ont pas été consultés sur le passage de la France à la monnaie unique.
Combien de temps vous et quelques autres allez-vous entretenir cette bataille ? Elle a été tranchée de la manière la plus démocratique qui soit par le peuple français, que cela vous plaise ou non. Les Français sont intelligents, madame.
M. Emmanuel Hamel. Ils ont été trompés, mon cher collègue, ils le comprennent maintenant.
M. Michel Barnier. Ils ont bien compris pour quoi ils ont voté. La question était claire. On a suffisamment dit que ce traité était compliqué - ce qui est vrai -, parfois même illisible, mais un point au moins était clair : la monnaie unique. Les Français ont répondu démocratiquement « oui » à la question posée.
Nous n'avons aucune raison d'y revenir, sauf à remettre en cause, tous les quatre ou six ans, les décisions prises par le peuple.
Mon opinion personnelle est qu'il n'y aura aucune raison de revenir sur cette question, même s'il y aura peut-être des raisons de revenir sur d'autres sujets par référendum.
Tout à l'heure, notre collègue M. Pasqua parlait d'un vote à la sauvette du traité d'Amsterdam. Je ne sais pas quelle sera la décision prise par le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, à propos du traité d'Amsterdam mais, mes chers collègues, quand bien même il envisagerait un vote par le Congrès, ce ne serait pas un vote à la sauvette.
M. Charles Pasqua. Ce débat, nous l'aurons le moment venu.
M. Michel Barnier. Nous l'aurons le moment venu, mais vous l'avez ouvert tout à l'heure, monsieur Pasqua.
M. Charles Pasqua. J'ai simplement dit quels étaient les risques et les dangers auxquels nous nous exposions. Mais si vous voulez ouvrir le débat, je suis prêt à y participer.
M. Michel Barnier. Non, c'est vous qui l'avez ouvert et je ne trouve pas...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Barnier, le temps nous est compté.
M. Michel Barnier. Monsieur le président, je me suis abstenu de prendre la parole tout à l'heure, il ne me semble donc pas exagéré de dire mon opinion, beaucoup de choses ayant été dites.
M. le président. Mais vous avez déjà dépassé de trente secondes votre temps de parole.
M. Michel Barnier. Alors je vais m'arrêter, monsieur le président, après avoir bien fait comprendre pourquoi je m'opposais personnellement à l'amendement de Mme Beaudeau.
J'ajouterai simplement que l'amendement de M. de La Malène me paraît non pas superflu mais nécessaire et important, dès l'instant où il vient confirmer l'application du traité dans ses articles 1er et 2.
Monsieur le ministre, permettez-moi d'ajouter encore que, quand Mme Beaudeau parle des citoyens, elle a raison. Nous avons dit suffisamment qu'on ne leur parlait pas assez de l'Europe.
J'ai trouvé un peu courte - vous n'aviez sans doute pas le temps de faire autrement - la réponse que vous avez faite à l'issue du débat, à propos de la consultation plus normale, plus quotidienne des Français sur les questions européennes. Il ne s'agit pas seulement de distribuer des brochures sur l'euro - celles que vous avez distribuées étaient bien faites d'ailleurs - il faut aussi ouvrir le débat dans l'éducation nationale, dans les programmes scolaires, créer des bureaux sur l'Europe, développer l'information à propos de l'Europe dans chaque département.
Je voudrais que vous ne négligiez pas, aux côtés du ministre délégué, M. Moscovici, qui est, lui aussi, sincèrement engagé dans cette action, l'information à laquelle ont droit les citoyens français.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Barnier, vous avez commencé votre explication de vote en disant que la courtoisie présidait généralement aux débats dans cette assemblée - je le reconnais volontiers - mais il faudrait, dans ce cas, que chacun s'y conforme. Il ne suffit pas de dire que l'on a pesé ses mots. Lorsque l'on parle de « mensonge politique », on utilise une expression forte, et je veux espérer que vos propos ont dépassé votre pensée.
Qui plus est, comme le rappelait M. Estier, en matière de position sur l'Europe, il me semble que la clarté est bien plus du côté du Gouvernement que de celui de l'opposition.
En effet, il est clair pour tout le monde, depuis 1992, que nos amis communistes ont exprimé sur ce problème une position négative. Ils ont néanmoins décidé de participer à un gouvernement en sachant que ce gouvernement ferait l'euro et les Français le savaient clairement. On peut dire qu'il y a une certaine contradiction entre nous sur ce point, c'est évident. Elle a été dépassée. Les Français le savaient et, dans ces conditions, on ne peut parler de mensonge politique, monsieur le sénateur.
Le mensonge politique se trouve plutôt dans la position de certains de vos amis. Je fais allusion à une personne qui, aujourd'hui, occupe une position importante au RPR, qui était contre le vote en 1992, qui a dit ensuite qu'elle l'avait accepté et qui, hier, tout à coup, a dit : « Je l'ai accepté, mais néanmoins je suis de nouveau contre. »
Il y a là quelque ambiguïté, vous le reconnaîtrez.
Si je voulais aller plus loin, mais je m'en abstiendrai, je pourrais déborder sur d'autres matières que l'euro. En fait, la clarté politique, c'est de se présenter à des élections en disant avec qui on veut faire alliance, et le mensonge politique, c'est de se présenter à des élections, fussent-elles régionales, en nouant des alliances par derrière. (Protestations sur plusieurs travées du RPR.)
M. Charles Pasqua. Nous ne sommes pas concernés par cette dernière considération.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certes !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Je souhaite tout d'abord répondre en quelques mots à notre collègue M. Barnier.
Je lui dirai calmement que nous n'avons pas l'habitude de donner de leçon et que nous éprouvons quelques difficultés à accepter le contenu de son intervention, notamment les adjectifs qu'il a employés à l'égard de notre collègue et de l'ensemble du groupe.
Mme Hélène Luc. Très juste !
Mme Danielle Bidard-Reydet. Le débat a été, je crois, de haut niveau.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Oui.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Des conceptions très différentes se sont exprimées, les orateurs et oratrices ont exposé, les uns et les autres, avec authenticité ce qu'ils pensaient.
Monsieur Barnier, l'avenir tranchera et une certaine prudence s'impose quant à l'appréciation que nous pouvons porter sur l'avenir de notre société. Donc, de grâce pas de leçons !
La parité d'une monnaie est-elle un instrument de politique économique ou le but de cette même politique ? C'est un peu à cette question que nous sommes confrontés avec la mise en oeuvre de la troisième phase de l'Union économique et monétaire au travers de la mise en place de l'euro, pour lequel nous avons rappelé, et nous continuons de rappeler, n'en déplaise à certains, nos inquiétudes et nous voulons attirer l'attention de nos concitoyens sur la gravité des conséquences de sa mise en oeuvre.
Je crains fort - mes camarades et collègues également - que les peuples des différents pays de l'Union européenne n'aient, dans les années à venir, à supporter, au nom du maintien de la parité de l'euro, des politiques budgétaires restrictives.
Par cette logique de monnaie forte, on continuera donc à privilégier, d'une part, la réduction de la dépense publique, d'autre part, la confirmation de l'ensemble des prélèvements effectués auprès du plus grand nombre de contribuables possible.
On peut par exemple s'attendre, dans cette logique, à la remise en cause, notamment au travers des pouvoirs importants conférés au système européen de banques centrales de toute autre politique que celle consistant à réduire les dépenses sociales, les dépenses d'investissement de l'Etat et des autres administrations publiques, ainsi qu'à la pérennisation des prélèvements fiscaux sur la consommation populaire.
La logique du pacte de stabilité budgétaire de caractère ultralibéral, c'est, selon notre appréciation, plus d'impôts et moins de redistribution.
Tout cela pour pouvoir, si l'on peut dire, disposer d'une monnaie forte liée aux marchés financiers internationaux et au développement de la guerre économique.
La guerre économique ne se gagne pas autrement que dans le cadre du développement des potentiels de créativité et de croissance que recèle le travail des salariés, dans les domaines de la production, de la recherche et de l'innovation.
C'est parce que nous sommes favorables à une autre construction européenne, s'appuyant sur de véritables coopérations entre les peuples, profitable à tous, facteur de croissance et d'emplois, oeuvrant pour une meilleure qualité de la vie, que nous refusons fortement ce raisonnement monétariste et que nous voterons, bien entendu, l'amendement présenté par Marie-Claude Beaudeau.
M. le président. Mes chers collègues, je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'un certain nombre d'entre vous souhaitent encore s'exprimer sur les amendements et que j'ai reçu de nombreuses demandes d'explication de vote sur l'ensemble. Je souligne qu'à cette heure, si je suspends la séance, nous ne pourrons reprendre nos travaux qu'à vingt-trois heures.
Si nous poursuivons maintenant jusqu'au terme du débat, j'aimerais que ce soit d'une manière telle que chacun puisse s'exprimer, mais de façon suffisamment concise pour que nous puissions en finir dans des délais raisonnables.
M. Charles Pasqua. Il ne reste que deux amendements !
M. le président. Monsieur le président de la commission des finances, j'aimerais connaître votre sentiment sur la suite de nos travaux.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le président, les indications que vous venez de donner me conduisent tout naturellement à souhaiter que nous en terminions dès maintenant. Mais pour cela, mes chers collègues, j'ai besoin de votre compréhension. N'oubliez pas que nos collaborateurs qui nous aident dans l'accomplissement de notre mission et qui travaillent depuis ce matin ont droit à quelque repos.
M. Charles Pasqua. Manifestons notre solidarité aux fonctionnaires !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je vous remercie mon cher collègue ! Cette solidarité se manifesterait parfaitement si chacun faisait un effort de concision dans ses interventions. (Applaudissements.)
M. le président. Dans ces conditions, nous poursuivons l'examen des amendements n°s 11 et 12 rectifié.
Nous en étions parvenus aux explications de vote sur l'amendement n° 11.
M. Christian de La Malène. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène. Soyez sans crainte, monsieur le président, je serai extrêmement bref.
Je voudrais faire deux remarques à la suite de l'intervention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Qu'il se rassure, je connais le contenu de l'article 105 et de l'article 2 du traité, mais je sais également quelle est la priorité qui est donnée à la banque centrale. Personne ne peut le contester.
En réalité, je n'ai pas très bien compris quelle était la position du Gouvernement.
M. Charles Pasqua. Il est contre !
M. Christian de La Malène. Je n'ai pas compris s'il était contre, s'il s'en remettait à la sagesse du Sénat ou s'il estimait qu'il n'avait aucune importance. Sans doute suis-je un peu sourd, mais je n'ai rien entendu.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur de La Malène, je ne crois pas du tout que vous soyez sourd, mais il n'y a pire sourd que celui qui ne veut entendre...
Le Gouvernement a dit que cet amendement ne lui convenait pas parce qu'il était superflu et qu'en conséquence il en demandait le rejet.
M. Christian de La Malène. Monsieur le président, je le maintiens !
M. le président. Je considère donc que vous avez expliqué votre vote sur votre amendement n° 1 rectifié.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous sommes en train de discuter de l'amendement n° 11.
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Cet amendement, je le voterai parce que, ne me sentant aucunement lié par un souci qui serait d'ordre politicien, je considère qu'il nous commande de choisir, en tant que Français, entre une attitude de rejet et une attitude d'acceptation d'un processus qui, à travers l'euro, implique l'abandon de la souveraineté monétaire de la France et nous conduit à voir disparaître une partie de nous-mêmes.
Que demande cet amendement ? Il demande un grand débat national. Monsieur Barnier, vous devriez être content de voir le parti communiste répondre à votre attente d'un débat national sur ce sujet fondamental !
La France doit-elle cesser d'être elle-même ? Doit-elle renoncer à son indépendance ?
L'Europe qu'on lui propose doit-elle être celle de l'abandon de sa souveraineté ou celle de la coopération avec d'autres Etats, mais lui permettant de rester elle-même ? Voilà un grand débat !
Autre débat : cette politique que l'on va nous imposer ne sera-t-elle pas fondamentalement - vous le savez, mais vous n'osez l'affirmer ! - une politique monétariste, inspirée par les marchés financiers, conduite sous la pression de la finance, et où l'homme sera floué, roué, meurtri ? Je reprends à dessein les mots d'Aragon, car il y a là une convergence avec le parti communiste.
Nous avons combattu ensemble l'occupation nazie. Aujourd'hui, je me retrouve avec les communistes pour combattre l'occupation de la France par le dogme monétariste, dans l'oubli de l'homme et dans l'acceptation de la perte de notre souveraineté.
Le débat que demande cet amendement, il faudra bien l'entreprendre, monsieur le ministre. Si modeste que je sois, j'estime, au risque d'y laisser ma peau, devoir y contribuer parce que j'aime tant la France que je ne veux pas sa disparition.
Cet amendement demande également que, sur le problème de la monnaie unique, le peuple soit consulté par voie de référendum.
Monsieur Barnier, vous connaissez l'histoire mieux que moi puisque vous avez été choisi pour être ministre, alors que, moi, je n'ai jamais été qu'un simple parlementaire. Mais j'ai réfléchi sur l'histoire ! Notre pays a connu des rebonds. Après Waterloo, grâce au Congrès de Vienne, nous avons réémergé et nous avons évité la destruction. Après Sedan, ce furent des décennies de pensées sur la ligne bleue des Vosges, monsieur Poncelet ! « Pensez-y toujours, n'en parlez jamais ! » Et puis, il y eut la revanche !
Nous avons subi la défaite, l'Occupation et, après cinq ans de combat, ce fut encore la résurrection, grâce au général de Gaulle et à tous ceux qui l'avaient suivi dans la Résistance.
Alors, dans l'histoire d'un peuple, il est des moments où l'on doit faire appel à lui pour, quand il s'est trompé, lui donner la possibilité de reconnaître son erreur et de choisir une autre voie, celle de la sagesse, celle de sa survie. Bien sûr, notre peuple doit s'adapter au monde moderne, mais il ne saurait le faire au prix de sa propre disparition !
Voilà pourquoi je trouve tout à fait fondé, et historiquement important, qu'on insiste, au risque de mécontenter le pouvoir, sur le devoir démocratique d'un appel au peuple pour lui demander si véritablement, sachant ce qu'est le traité de Maastricht et conscient de ses conséquences, il accepte de demeurer dans cet engrenage, d'être broyé et de disparaître, ou si, dans un sursaut de sagesse, il se ressaisit pour redevenir lui-même, prêt à coopérer avec les autres peuples, mais sans abdiquer sa souveraineté.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Hélène Luc. M. Hamel ne regrettera pas d'avoir voté avec nous !

M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je veux seulement indiquer que les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants voteront l'amendement présenté par le groupe du RPR.
M. Bernard Angels. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. J'ai écouté avec attention les explications de M. de La Malène mais cet amendement reste, à mes yeux, superflu.
Soit vous faites référence à l'Union économique et monétaire dans son ensemble, et nous ne pouvons que partager votre souci de voir la croissance et l'emploi constituer pour elle un objectif général. Mais c'est déjà ce qu'affirme l'article 105. Dès lors, pourquoi le rappeler puisque le texte de la résolution rectifiée répond à votre préoccupation ?
Soit vous réécrivez en fait l'article 105 afin que l'objectif de la politique monétaire soit à la fois la stabilité des prix, la croissance et un niveau d'emploi élevé. Dans ce cas, vous demandez au Gouvernement d'aller à l'encontre du traité qui a été accepté par le peuple.
Par ailleurs, dans la deuxième partie de votre amendement, vous indiquez que le système européen de banques centrales doit remplir ses missions dans le respect des orientations arrêtées par le Conseil, et cela n'emporte davantage ma conviction.
Soit vous faites référence aux missions de change. Dans ce cas, vous proposez aux gouvernements des Etats membres d'appliquer ce qui est prévu dans le traité : le système européen de banques centrales est bien soumis au Conseil ECOFIN pour les politiques de change. Il vous faudrait, à tout le moins, rectifier votre amendement.
Soit, enfin, vous visez la politique monétaire, mais vous remettez alors en cause l'indépendance du système européen de banques centrales, c'est-à-dire une des dispositions principales du traité ratifié par les Français. Dans cette hypothèse, proposer aux gouvernements des Etats membres d'appliquer le traité de l'Union européenne pour ne pas le respecter est tout à fait inacceptable.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 87:

Nombre de votants 314
Nombre de suffrages exprimés 298
Majorité absolue des suffrages 150
Pour l'adoption 218
Contre 80

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je donne la parole à M. Loridant pour explication de vote.
M. Paul Loridant. Comme le souligne le rapport de la commission des finances, la consultation du Parlement français avant le passage à l'euro n'a ni la valeur juridique ni l'importance politique de celle qui aura lieu au Bundestag, à la suite de la décision du tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe.
Néanmoins, six ans après la ratification du traité de Maastricht, il était essentiel de rouvrir un débat aussi capital. Les objections et les critiques que nous formulions en 1992, nous les renouvelons ici, ce soir, car elles restent pleinement fondées.
Malgré des tentatives méritoires de rééquilibrage de la construction européenne, l'Europe de Maastricht, au fédéralisme rampant, dominée par la toute-puissance des banquiers centraux et par les marchés, menace notre équilibre social et national et tourne le dos à une construction plus réaliste de l'Europe, la confédération.
L'euro est porteur de tensions sociales et nationales.
Comme ma collègue Hélène Luc, je suis loin de partager le satisfecit et l'optimisme du rapporteur. La réflexion économique et sociale ne se réduit pas à une série de tableaux et de courbes monétaires : elle doit d'abord s'imprégner du réel, du vécu de nos concitoyens. Aussi, je me vois mal aller expliquer à nos concitoyens des campagnes et des banlieues qui souffrent du développement du chômage, de l'exclusion, des inégalités, de l'absence de perspectives, que la convergence des économies européennes est un succès.
Ce que M. Lambert a soigneusement omis d'évaluer dans son rapport, c'est le coût économique et social de cette convergence, les conséquences des critères de Maastricht, le résultat des années de rigueur et de monétarisme.
L'approfondissement de la crise partout en Europe, y compris dans la vertueuse Allemagne, a apporté un tragique démenti aux professions de foi des tenants de Maastricht.
Les peuples, tenus à dessein dans l'ignorance des enjeux réels de ce traité, attendent encore les millions d'emplois promis.
Je maintiens que nous opposer la ratification du traité de Maastricht en septembre 1992 pour clore définitivement le débat sur la construction européenne n'est pas très sérieux, surtout si l'on se souvient des conditions dans lesquelles ce petit « oui » a été arraché aux Français.
Je n'ai malheureusement pas le temps de revenir sur ce point mais je vous renvoie à l'excellent livre d'André Halimi : Les Nouveaux Chiens de garde.
Le débat, posé dans des termes caricaturaux, biaisé par une surmédiatisation des partisans du oui, n'a été ni à la hauteur de l'enjeu ni respectueux des citoyens.
Aujourd'hui, les Français sont plus que sceptiques sur les bienfaits de l'euro ; au mieux ils y adhèrent par une espèce de fatalisme. Ils risquent demain, avec l'instauration concrète de l'euro, de connaître un réveil difficile.
Dans une étude récente, M. Patrick Artus souligne les conséquences sociales et fiscales de la mise en place de l'euro avec une banque centrale indépendante.
Il relève que, dans un régime de taux de change flexibles, contenir les salaires et la protection sociale ou réduire la fiscalité n'est pas nécessairement opérant pour les entreprises puisque les variations des parités monétaires peuvent annuler l'impact de ces mesures. En revanche, avec une zone euro placée sous la coupe de banquiers centraux, les pays n'auront plus la possibilité d'amortir les chocs par une politique contra-cyclique ou en agissant sur la monnaie ou les taux d'intérêt. La seule véritable variable d'ajustement restant à la disposition des entreprises, ce sera les salaires et, pour les Etats, ce sera la fiscalité.
Dans un environnement de liberté totale de circulation des capitaux et d'arbitrages instantanés, une concurrence brutale opposera les entreprises et les pays. L'Europe sociale n'existant pas, il ne faudra pas attendre longtemps avant de voir le chômage flamber en même temps que la Bourse. Telle est la logique dans laquelle nous entraîne l'euro.
Nos arguments contre la monnaie unique sont fondés et ne relèvent pas d'une hystérie contre l'Europe ou d'un comportement irrationnel. Sans projet politique consistant, sans de grandes initiatives de croissance capables de relancer les économies et de lutter contre le chômage, sans Europe sociale, vous ne trouverez pas, mes chers collègues, le soutien des peuples européens.
Il est, au contraire, fort à craindre, que toutes ces désillusions, que ne manquera pas de développer une construction strictement monétaire de l'Europe, ne provoquent une aversion à l'égard de l'Europe et n'alimentent un discours de repli pour le coup nationaliste et vraiment réactionnaire.
Nous donnons acte au Gouvernement de sa volonté de réorienter une construction européenne déséquilibrée, essentiellement d'essence libérale et technocratique. Mais, pour le parti communiste français et pour le Mouvement des citoyens, le compte n'y est pas.
J'ai eu l'occasion hier soir, lors de la discussion générale du projet de loi réformant le statut de la Banque de France, d'aborder ce point. On estime inutile de consulter à nouveau les citoyens sur l'euro, en dépit du pacte de stabilité et du traité d'Amsterdam. Dont acte !
Mais alors nous serons, qu'on le veuille ou non, contraints, de remettre l'ouvrage sur le métier et de repenser l'architecture de la construction européenne sous la pression de la question sociale.
Il faut repenser la construction européenne.
On a souvent tendance à caricaturer les propos des adversaires de l'euro en les qualifiant d'anti-européens pour mieux dénigrer toutes leurs propositions alternatives.
Le fédéralisme qu'induit l'euro ne recueille pas notre assentiment car la nation européenne n'existe pas. On peut le regretter, mais c'est une réalité : les nations demeurent encore le cadre dans lequel s'organise et se développe le débat démocratique.
C'est donc à partir de ce constat qu'il faut repenser les institutions européennes en privilégiant l'idée de confédération, de l'Atlantique à la Russie, ouverte sur le Sud, stimulée par des politiques communes.
Une telle conception serait plus réaliste et conforme aux intérêts et à la vocation océanique, continentale et méditerranéenne de la France.
L'urgence, je le répète, consiste à mettre en avant une construction européenne large préservant les souverainetés nationales, et focalisée sur la question sociale, quitte à revoir la copie de Maastricht et à repousser l'échéance de la monnaie unique. L'urgence ne consiste pas à nous enfermer dans le donjon monétaire et libéral de l'euro en contradiction avec ce qu'est la France et la diversité de l'Europe.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre la proposition de résolution sur laquelle il demande un scrutin public.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Le groupe socialiste avait déposé une proposition de résolution qui exprimait l'ensemble des principes qui doivent guider, selon nous, la mise en place de la monnaie unique et le renforcement de la construction européenne dans le sens d'une Union plus politique, plus sociale et plus proche de ses citoyens.
Nous avions déposé des amendements reprenant les principaux éléments de cette résolution. Certains principes ont été repris par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, d'autres par la commission des finances.
Même si le texte de la commission des finances comporte encore des nuances d'appréciation, nous estimons, aujourd'hui, que ce qui prime, c'est d'exprimer la volonté de la France d'entrer avec vigueur dans l'euro.
C'est pourquoi nous avons retiré nos amendements et nous voterons la résolution de la commission des finances, bien que nous regrettions l'adoption de l'amendement n° 1 rectifié présenté par M. de la Malène, mais je n'y reviendrai pas.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il est voté !
M. Bernard Angels. Mes chers collègues, aujourd'hui, l'heure n'est plus aux hésitations et aux remises en cause à propos de la monnaie unique. L'euro sera la monnaie de l'Europe et de la France le 1er janvier 1999 et celle des Français le 1er juillet 2002.
L'important, aujourd'hui, nous semble-t-il, est de montrer la volonté de la France d'aborder, en tête, cette étape historique de la construction européenne.
Il n'est donc plus temps de regarder derrière, il nous faut réfléchir ensemble à ce que sera cette nouvelle « Europe avec l'euro ».
Nous sommes conscients que l'euro nous impose de nouveaux débats sur sa gestion partagée. Je pense, en particulier, à cette priorité que doit être l'emploi dans toutes les politiques européennes.
M. Christian de La Malène. Vous n'avez pas fini d'en baver !
M. Bernard Angels. Je pense également à la nécessité de travailler désormais à une harmonisation sociale et fiscale, qui, bien sûr, dans notre esprit, ne peut se faire que par le haut, dans le sens d'une plus grande solidarité et d'une meilleure cohésion sociale, dans le sens de la préservation et du développement de notre modèle social.
Je pense, enfin, à l'exigence d'une plus grande coordination des politiques économiques, à un meilleur contrôle démocratique du pôle monétaire de la monnaie unique, ce qui implique un gouvernement économique fort.
Le Gouvernement français a déjà obtenu des premiers résultats. Le rééquilibrage de la construction européenne est engagé. Le groupe socialiste du Sénat fait confiance au Gouvernement pour qu'il poursuive ses efforts dans ce sens. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Au terme de ce débat, nous avons donc un ensemble cohérent : d'une part, le texte rénové, européanisé, relatif au statut de la Banque de France, qui a été adopté cet après-midi même en commission mixte paritaire, et, d'autre part, la résolution sur la mise en place de l'euro.
Nous apportons notre soutien à cette résolution équilibrée, qui a été modifiée par l'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Christian de La Malène, et qui affirme la volonté de mettre en place l'euro de manière contrôlée et volontaire en prenant toutes les dispositions nécessaires pour mettre la politique monétaire au service du bien-être, de la croissance et de l'emploi.
Monsieur le ministre, vous avez estimé que certaines déclarations de M. Fourcade, qui est intervenu au nom du groupe des Républicains et Indépendants, du président de la commission des finances ou de M. le rapporteur étaient des piques à votre égard. Non, monsieur le ministre, ce n'en sont pas. Les propos qu'ils ont tenus traduisent en fait une conviction forte et la volonté d'être vigilant.
Ils reprennent également les mises en garde solennelles que nous avons déjà formulées l'année dernière lors de l'examen du projet de loi de finances et que nous réitérerons lors de la discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, ainsi que lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1999.
Si nous avons exprimé ces mises en garde, c'est parce que nous voulons réussir l'euro. Nous abordons un défi difficile. Nous voulons que la France soit exemplaire...
M. Claude Estier. Nous aussi !
M. Jean-Philippe Lachenaud. ... non seulement au regard des critères de convergence mais aussi en termes d'endettement et de niveau de la dépense publique.
Nous voulons aussi que la France soit le moteur de la mise en place de l'euro. Tout au long des débats, notre vision des choses a été caricaturée. La Banque centrale et les responsables de la majorité sénatoriale ont été présentés comme les tenants d'une politique exclusivement monétariste. Mais telle n'est pas notre vision des choses. Nous sommes pour une croissance durable et créatrice d'emplois.
Le Gouvernement dispose encore, et heureusement, d'instruments importants de la politique économique ; il doit les utiliser dans ce sens pour que la mise en place de l'euro soit une véritable réussite. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pasqua.
M. Charles Pasqua. Depuis quarante-huit heures, s'est engagé dans cette enceinte, un débat sur l'Europe au travers de la modification des statuts de la Banque de France, d'une part, et de la proposition de résolution qui nous est présentée ce soir, d'autre part. Il s'agit en réalité d'une autre vision globale de l'Europe sur laquelle nous avons commencé à débattre ; je dis bien « commencé » car le débat qui s'est engagé ici hier ne s'arrêtera pas avant au moins un an. Nous aurons d'autres occasions d'expliquer notre vision des choses.
Nous aurons une révision constitutionnelle qui est rendue nécessaire par la ratification du traité d'Amsterdam, par lequel nous abandonnerons à nouveau une part de notre souveraineté. Puis, nous aurons les élections européennes. Quel que soit le mode de désignation choisi, le débat de fond doit avoir lieu et il aura lieu.
J'estime que le débat, tel qu'il s'est déroulé dans notre enceinte, a été d'un très haut niveau. Les arguments qui ont été échangés, même s'ils font apparaître entre nous certaines divergences ...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est nécessaire en démocratie !
M. Charles Pasqua. ... auront en tout cas fait ressortir notre ambition commune et notre attachement à la France, quelle que soit la démarche que nous choisissons. Aussi, tout en reconnaissant que l'amendement n° 1 rectifié présenté par notre collègue et ami Christian de La Malène a le mérite d'apporter des précisions, je ne voterai pas cette proposition de résolution, ce qui n'étonnera personne.
En fait, comme un certain nombre d'entre nous l'ont souligné, nous nous inquiétons de l'absence de contrepoids politique et nous éprouvons quelques craintes à l'égard de l'objectif prioritaire assigné à la Banque centrale européenne par le traité. Je ne suis pas en train de prêcher pour le monétarisme ; je ne crois pas que ce reproche puisse m'être adressé. Je suis, au contraire, préoccupé de voir que l'Europe qui se met en place ne va pas dans le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire dans celui de l'intérêt des peuples qui la composent.
Je reconnais que l'amendement n° 1 rectifié de notre collègue Christian de La Malène a le mérite d'apporter certaines clarifications et d'inciter le Gouvernement, par exemple, à faire en sorte que le Conseil de l'euro soit plus vigilant. Je ne veux pas être désagréable envers le Gouvernement mais je ne le surprendrai pas en lui disant que je ne lui fais pas confiance. C'est la raison pour laquelle, avec regret mais sans aucune hésitation, je ne voterai pas la résolution.
M. le président. La parole est à M. Genton.
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je souhaite demander à M. le rapporteur de bien vouloir me confirmer que l'amendement A après le cinquième alinéa, l'amendement B, tendant à compléter le neuvième alinéa, et l'amendement C, après le treizième alinéa, sont bien intégrés dans le texte final que nous allons voter.
Si la réponse est favorable, je voterai bien évidemment la résolution qui est proche du texte de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Alain Lambert, rapporteur. La réponse est positive.
M. le président. Je crois pouvoir vous rassurer, mon cher collègue, car la lecture attentive du texte de la résolution rectifiée montre bien que ces amendements ont été intégrés.
M. Jacques Genton, au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je suis content de l'avoir entendu dire.
M. le président. La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth. Depuis deux jours, nous participons à des débats d'une très grande qualité. Les interventions des différents orateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, ont témoigné d'une réelle profondeur. Au moment où le Sénat est mis en cause d'une façon que je qualifierai d'immodérée, la démonstration est faite de la qualité du travail accompli par notre assemblée s'agissant d'un sujet particulièrement sensible pour les Français.
M. Philippe de Gaulle. Très bien !
M. Lucien Neuwirth. Comme plusieurs orateurs l'ont indiqué, notamment M. Charles Pasqua, nous aimons tous profondément notre pays.
C'est la raison pour laquelle, après le vote émis sur l'amendement n° 1 rectifié, après les déclarations du Président de la République à propos de la nécessité d'une Europe des nations que nous avons, pour notre part, toujours voulue et toujours souhaitée, la partie la plus importante du groupe du RPR votera la résolution telle qu'elle a été amendée par notre collègue M. de La Malène.
Je veux en profiter pour remercier les différents présidents de séance : ils ont en effet permis à ce débat de se dérouler dans d'excellentes conditions, nous permettant de disposer du temps d'expression et de parole nécessaire pour aller au fond des choses. Enfin, je tiens également à féliciter la commission des finances pour la qualité de son travail. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Le groupe de l'Union centriste a toujours été favorable à la réalisation de la monnaie unique, aboutissement logique du grand marché que la France a construit depuis de nombreuses années.
Je tiens à indiquer, après Lucien Neuwirth, que nous avons beaucoup apprécié la qualité du débat et que nous éprouvons le plus profond respect pour toutes les idées qui ont été émises ce soir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Les sénateurs non inscrits, à une exception près, voteront la résolution de la commission des finances, avec l'impression que nous sommes arrivés à un grand moment de notre vie publique : nous assistons en effet à la constitution d'un empire qui, peut-être pour la première fois dans l'histoire, s'est fait non par la voie des armes, mais par la libre volonté des hommes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe socialiste, l'autre, du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 88:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 281
Contre 31

6

DÉCE`S D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jacques Moutet, qui fut sénateur des Pyrénées-Atlantiques de 1980 à 1992.

7

DÉPO^T D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Dérian, Michel Duffour, Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade une proposition de loi pour l'interdiction de la fabrication, du stockage, de la commercialisation et de l'utilisation des mines antipersonnel.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 403, distribuée et renvoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

8

DÉPO^T D'UNE RÉSOLUTION RECTIFIÉE

M. le président. J'ai reçu, en application de l'article 73 bis , alinéa 8, du règlement, une résolution rectifiée, adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur la recommandation au Conseil relative au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (n° E-1045).
Cette résolution rectifiée sera imprimée sous le numéro 401 et distribuée.

9

DÉPO^T D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de décision du Conseil portant attribution d'une aide financière exceptionnelle à l'Azerbaïdjan.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-1059 et distribuée.

10

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Alain Lambert, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi modifiant le statut de la Banque de France en vue de sa participation au Système européen de banques centrales.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 402 et distribué.

11

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 avril 1998 :
A neuf heures trente :

1. Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. Georges Mouly attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur le problème posé par la situation des employeurs publics à l'égard de l'assurance chômage pour les salariés relevant du dispositif emplois-jeunes.
La loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 prévoit en effet que les établissements publics administrés par l'Etat pourront adhérer à l'assurance chômage pour les personnes recrutées en emplois-jeunes, dès que la convention régissant ce dispositif sera conclue entre l'Etat et l'UNEDIC.
La loi en revanche n'a pas prévu cette possibilité pour les autres personnes morales de droit public, à savoir les collectivités locales, pour les mêmes emplois. En conséquence, celles-ci doivent, soit s'auto-assurer, soit adhérer à l'assurance chômage pour l'ensemble de leurs agents, ce qui pose d'importants problèmes auxquels il convient de trouver une solution dès maintenant pour ne pas en rencontrer de bien plus importants dans cinq ans.
Voilà pourquoi il lui demande ce qu'elle compte entreprendre pour régler au mieux ce problème, qui commence à inquiéter non seulement les employeurs, mais aussi les employés eux-mêmes, c'est-à-dire les bénéficiaires de contrats emplois-jeunes. (N° 216.)
II. - M. Daniel Eckenspieller attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les problèmes rencontrés par les aéro-clubs du fait de la modification de la codification du taux des cotisations d'accident du travail.
La plupart de ces associations étaient affectées, jusque-là, au régime 80.4 AA « Ecole de conduite » au taux de 1,9 %. En 1997, une reclassification de leurs activités par la Caisse nationale d'assurance maladie en « sports aéronautiques » au régime 92.6 CB a porté le taux de leurs cotisations « accident du travail » à 22,30 %.
C'est la raison pour laquelle il lui demande d'intervenir auprès de l'instance concernée, afin qu'elle accepte de reclasser, au regard du taux de cotisation « accident du travail », l'ensemble des associations aéronautiques, comme elles l'étaient précédemment, à savoir comme « école de conduite ». Il lui demande, par ailleurs, de bien vouloir lui indiquer quelles sont ses intentions à cet égard. (N° 235.)
III. - M. Gérard César attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les réactions de nombreux maires de son département concernant le versement des indemnités de chômage relatives aux emplois-jeunes.
En effet, ce dispositif n'a pas été prévu et l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie, le commerce et l'agriculture, l'UNEDIC, refuse aux communes l'affiliation des contrats du programme « Nouveaux emplois - nouveaux services ».
Aussi, il souhaiterait connaître les dispositions envisagées par le Gouvernement. (N° 237.)
IV. - M. Jacques Oudin appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'urgence de certaines décisions relatives à la réforme en cours de la sécurité sociale.
En ce qui concerne la branche vieillesse, il est indispensable de compléter les mesures d'ajustement qui ont été prises en 1993 pour le régime général de retraite et de prendre enfin des mesures comparables pour les régimes spéciaux de retraite. A elle seule, la gravité de la situation financière de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, justifie des mesures immédiates.
En ce qui concerne la branche famille, il est indispensable de clarifier les charges financières imputées à la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF. Il est également urgent de faire savoir aux Français si l'actuelle majorité a l'intention de pérenniser la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Cette mesure votée l'an dernier, à titre provisoire selon la déclaration d'intention du Gouvernement, est en effet manifestement contraire aux principes d'universalité et de solidarité fondateurs de la sécurité sociale.
En ce qui concerne la branche maladie, il est urgent de mettre à jour la nomenclature des actes professionnels, de publier le règlement conventionnel minimal des médecins, d'adresser des directives claires aux directeurs des agences régionales de l'hospitalisation et de donner à l'Agence nationale d'évaluation et d'accréditation en santé, l'ANAES, les moyens de ses missions.
Chacun des neuf points précédents est particulièrement urgent et nécessite une prise de position dépourvue d'ambiguïté de la part du Gouvernement. C'est pourquoi il lui serait reconnaissant de bien vouloir éclairer le Sénat sur ces sujets qui intéressent très directement tous les Français. (N° 242.)
V. - M. Alain Vasselle appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur la nécessité d'améliorer la prise en charge des personnes atteintes de démence sénile et, en particulier, de la maladie d'Alzheimer. Pour l'essentiel, c'est actuellement sur la famille et l'entourage que repose la prise en charge du malade dont l'état se dégrade progressivement et inexorablement. Une politique de prise en charge efficace et ambitieuse de la maladie d'Alzheimer passe par des actions multiples en vue d'améliorer la connaissance de ces maladies et la qualité de vie des malades et de leur entourage.
Or, à ce jour, la maladie d'Alzheimer ne figure pas, en tant que telle, parmi les trente maladies « comportant un traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse », répertoriées par l'article D. 332-1 du code de la sécurité sociale, alors qu'une affection comme la maladie de Parkinson en fait partie. Même si une telle reconnaissance est de la compétence du pouvoir réglementaire, il ne peut que l'inviter fortement à l'accomplir, dans la mesure où cela constituera un signal fort pour la prise de conscience des conséquences douloureuses de cette maladie sans coût pour la collectivité. Cette mesure permettra de prendre en compte cet enjeu de santé publique et de politique sociale que sont la maladie d'Alzheimer et les démences séniles en général, et d'améliorer la qualité de prise en charge des personnes qui en sont atteintes.
C'est pourquoi il lui demande de lui préciser quelles actions il entend engager afin de faire face aux conséquences particulièrement pénibles de cette « épidémie silencieuse ». (N° 228.)
VI. - M. François Lesein appelle l'attention de Mme le ministre de la culture et de la communication sur la nature des suites qu'il convient de donner à la divergence des opinions exprimées par M. le Président de la République et la Commission européenne en matière de taxe sur la valeur ajoutée sur les produits multimédias.
Il est aujourd'hui patent de constater que nombre de ces produits, notamment les CD-ROM, poursuivent, dans le domaine de l'éducation, par exemple, des objectifs similaires à ceux du livre pour lequel le taux de TVA est réduit.
De plus, on ne saurait considérer l'approche de la culture uniquement par le biais de la littérature. Il convient bien au contraire d'encourager la diffusion des autres modes d'expression culturelle qui, à l'instar de la peinture, de la musique ou du cinéma, sont accessibles au plus grand nombre, essentiellement grâce à l'essor des CD-ROM, des disques compacts ou des vidéocassettes.
Aussi, il lui demande quels aménagements pourraient être opérés afin que le souhait du Président de la République, partagé par l'ensemble des Français, puisse être exaucé. (N° 114.)
VII. - M. Jean-Marie Poirier appelle l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur le problème des nuisances sonores causées par les actuelles conditions de fonctionnement de l'aéroport d'Orly.
Les relevés très sérieux effectués par une association locale regroupant sept communes voisines de l'aéroport, à partir du système SONATE, sur une période de cinq mois en 1997, font apparaître la fréquence des infractions aux procédures prévues par le code d'exploitation d'Orly.
Les constats effectués établissent à l'évidence que nombre d'aéronefs quittent prématurément la zone de navigation obligatoire après le décollage d'Orly et accélèrent abusivement leur descente lors des atterrissages. Trop d'appareils anciens et bruyants continuent de circuler. Et le régime de couvre-feu applicable entre vingt-trois heures trente et six heures fait l'objet de nombreuses dérogations.
Par ailleurs, sur le plan normatif, il n'y a pas de correspondance exacte entre le découpage du plan de gêne sonore, le PGS, et la zone de navigation obligatoire, la ZNO. Un aéronef peut simultanément respecter la réglementation de circulation en se conformant à la ZNO et enfreindre celle de l'exposition au bruit en sortant de la zone du PGS.
Face à ces nuisances, il faut ici souligner l'exaspération des populations, qui ont de plus le sentiment que le dialogue environnemental est en panne et que les pouvoirs publics sont impuissants, voire négligents.
Il souhaite savoir si l'administration a procédé à des contrôles, si le décret du 27 mai 1997 instituant des sanctions administratives pour la protection de l'environnement des aérodromes est appliqué et si des sanctions ont été prononcées.
Il souhaite, par ailleurs, connaître les mesures que le ministère compte prendre pour faire respecter la réglementation et, plus précisément, s'il est favorable au maintien de la fréquentation à 250 000 créneaux horaires, au maintien du couvre-feu dans les horaires actuels et à une éventuelle révision du plan de gêne sonore qui couvre la zone d'Orly. (N° 209.)
VIII. - A la suite des déclarations de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement visant « à une meilleure répartition des trafics aériens entre Orly et Roissy », Mme Marie-Claude Beaudeau lui demande de lui faire connaître la nature, la programmation d'une telle répartition et s'il n'estime pas qu'elle puisse compromettre à terme l'environnement, la qualité de vie dans la région de Roissy-en-France et de l'emploi dans la région d'Orly. (N° 226.)
IX. - M. Germain Authié rappelle à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement que la transformation en autoroute de la RN 20 entre Paris et Toulouse va être prochainement achevée.
Au sud de Toulouse, en direction de l'Espagne et de l'Andorre, les travaux sont programmés jusqu'à Foix. La mise à deux fois deux voies de la RN 20 doit être poursuivie vers le Sud, entre Tarascon-sur-Ariège et Ax-les-Thermes. L'ouverture récente du tunnel du Puymorens, l'accroissement des échanges entre la France, l'Espagne et l'Andorre rendent indispensable dans les plus brefs délais cette mise à deux fois deux voies dans la vallée de la haute Ariège.
Un flux de véhicules, et notamment de poids lourds, en constante progression, emprunte cet itinéraire et traverse chaque jour les bourgs et les villages de montagne dans la vallée sinueuse et encaissée de la rivière Ariège. La population de cette zone et les élus constatent les multiples accidents de circulation et redoutent chaque jour davantage que ne se produise une catastrophe comme celle qui est survenue en Andorre.
Il lui indique que les services de la direction départementale de l'équipement ont établi depuis plusieurs années un projet de mise à deux fois deux voies de la RN 20 dans le secteur concerné. Ce projet a recueilli à deux reprises au moins un accord global des élus et des milieux socio-économiques.
Il semble cependant que ce projet fasse l'objet de multiples allers et retours entre Paris et la préfecture de l'Ariège et que, de ce fait, la procédure de mise en oeuvre ne puisse toujours pas être lancée.
Il lui demande de bien vouloir lui faire connaître à quelle date M. le préfet de l'Ariège sera autorisé à lancer la procédure d'enquête publique concernant la mise à deux fois deux voies de la RN 20 entre Tarascon-sur-Ariège et Ax-les-Thermes et à quel moment les travaux pourront alors être entrepris. (N° 230.)
X. - M. Jean Bizet attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la décision prise récemment par le Gouvernement de revaloriser de 2,6 % sur les deux prochaines années le traitement des fonctionnaires.
Cette décision, lourde de conséquences pour le budget de l'Etat, semble faire abstraction de l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés de la fonction publique de 11,1 % ces cinq dernières années quand, dans le même temps, ce pouvoir d'achat ne progressait que de 6,3 % pour les salariés du secteur privé.
Cette décision, avec 5,5 millions de fonctionnaires, alourdira ainsi les dépenses publiques de plus de 15 milliards de francs.
Cette décision, s'ajoutant à la récente création des emplois-jeunes, qui constitueront à terme et pour la plupart d'entre eux autant d'emplois publics supplémentaires, fera de notre pays le leader incontesté des pays créateurs d'emplois publics avec 1,6 million de postes créés depuis 1979 pendant que 600 000 emplois privés étaient détruits.
Cette décision, s'intégrant selon toute vraisemblance et dans un proche avenir à la politique de réduction du temps de travail imposée par le Gouvernement, on comprendrait mal, en effet, que l'Etat ne donne pas l'exemple et exclue dans cette mesure 25 % des actifs de ce pays ; peut-on alors imaginer que l'application de cette politique nécessitera la création de nouveaux emplois... publics ?
En clair, il lui demande pourquoi cette augmentation et comment elle sera financée : par emprunt ou par accroissement de la fiscalité ?
Entre rigueur budgétaire et augmentation de la dépense publique, où se trouve, en cette affaire, la cohérence gouvernementale ? (N° 222.)
XI. - M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur la question des remplacements des enseignants absents, dans l'enseignement scolaire, en particulier en regard de la situation existant dans l'académie Rhône-Alpes.
Face à la question de l'absentéisme des enseignants, largement évoquée, des élèves se trouvent privés de professeurs. Ceux-ci doivent donc être remplacés.
Cependant, les conditions actuelles de remplacement ne sont pas satisfaisantes, en particulier dans l'académie Rhône-Alpes. Voici des exemples de ce dysfonctionnement : enseignements non assurés dans certaines matières, lenteur extrême du remplacement d'un professeur de français dans un collège situé dans une zone classée sensible.
Dans cette académie, les titulaires remplaçants représentent moins de 1 % du total des enseignants et le nombre des maîtres auxiliaires disponibles diminue du fait de leur intégration par concours.
En conséquence, le rectorat fait appel à des vacataires pour assurer les remplacements, donc à des personnels dans une situation très précaire et ne pouvant pas assurer une continuité pédagogique. Le remplacement est alors fragmenté, ou plusieurs vacataires sont embauchés successivement.
De plus, la situation ne semble pas en mesure d'être améliorée l'année prochaine, le nombre de postes mis au concours diminuant pour la troisième année consécutive et aucun poste de titulaire-remplaçant n'étant prévu.
Il souhaiterait connaître ses intentions en la matière, sa volonté de lutter contre la précarité des vacataires, ainsi que les moyens avec lesquels il entend assurer les remplacements des personnels titulaires et qualifiés, dans un souci du service public. (N° 225.)
XII. - M. Jean-Louis Lorrain appelle l'attention de Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire sur les études des latinistes, dans la filière des lettres classiques. La trilogie français, latin et grec a toujours constitué une grande tradition de la culture française et un élément non négligeable d'unité de la culture européenne.
Or une décision récente allant à l'encontre des dispositions antérieures, favorablement accueillies par les enseignants et les parents d'élèves, contraint désormais les élèves de troisième à opter, au choix, soit pour le latin, soit pour le grec. Les priver de ce double enseignement fragilise la formation classique tout entière. Et cette dernière est un moyen efficace pour lutter contre la baisse de niveau souvent observée dans les collèges.
Quelles motivations ont précédé une telle prise de position et quelle sera la filière désormais pour ceux des élèves qui souhaitent étudier simultanément grec et latin ? (N° 193.)
XIII. - M. Jean-Pierre Demerliat attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur la situation de la Compagnie générale d'électrolyse du Palais-sur-Vienne, la CGEP, société du groupe Pechiney, dont celui-ci veut supprimer les activités de raffinage, entraînant par là la suppression de 200 emplois sur les 250 que compte cette usine.
La CGEP est à l'heure actuelle la seule raffinerie de cuivre par électrolyse existant en France dont l'expérience et le savoir-faire sont reconnus au niveau national et européen.
Pour faire face à ses difficultés d'approvisionnement, l'entreprise a réalisé en 1992 un investissement de 60 millions de francs, dont 10 millions de francs de fonds publics, pour pouvoir traiter des déchets cuivreux à basse teneur. Cet investissement devait permettre la pérennisation de l'usine du Palais. Or, aujourd'hui, ce nouveau four est arrêté, faute de rentabilité selon la direction.
Cette entreprise possède des atouts non négligeables méritant d'être développés, c'est pourquoi il importe que toutes les études nécessaires soient menées à bien, que ce soit en matière de recyclage au sens large ou concernant les approvisionnements en déchets cuivreux.
Il lui demande donc de veiller à ce qu'aucune piste ne soit négligée pour permettre la pérennité de ce site industriel. (N° 243.)
XIV. - M. Martial Taugourdeau appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat au logement sur l'avenir du 1 % logement.
Il lui précise que l'article 45 de la loi de finances pour 1998 - n° 97-1269 du 31 décembre 1997 - a donné un support législatif au second prélèvement de 7 milliards de francs opéré sur le 1 % logement, résultant de la convention d'objectifs en date du 17 septembre 1996 et de la loi n° 96-1237 du 30 décembre 1996 relative à l'Union économique et sociale du logement.
Il lui rappelle que le Sénat n'a pas manqué, à l'occasion de la discussion budgétaire en décembre dernier, de manifester son opposition sur le changement d'affectation des sommes prélevées sur le 1 % logement qui, à l'origine, devaient servir au financement exclusif du prêt à taux zéro. Il précise qu'il s'agit maintenant de financer en plus les aides à la personne, ce qui constitue une sérieuse entorse aux conventions d'objectifs passées avec les collecteurs interprofessionnels du logement, les CIL, et la manifestation pour l'Etat du non-respect de la parole donnée.
Il souligne que, pour 1998, le Gouvernement ne semble pas décidé à élaborer la sécurisation, pourtant nécessaire, tant pour l'avenir du 1 % logement que pour le financement futur du prêt à taux zéro.
En conséquence, il lui demande, d'une part, quelles initiatives il compte prendre pour assurer une véritable pérennité au dispositif du 1 % logement, et, d'autre part, quelles assurances il peut apporter pour répondre aux légitimes inquiétudes exprimées par les CIL quant à l'avenir du 1 % logement, et plus particulièrement pour ce qui est du taux de collecte.
Enfin, il lui demande de bien vouloir lui préciser si ces fonds seront à nouveau mis à contribution pour le financement des aides à la personne en 1999, alors que rien de tel n'avait été négocié entre les CIL et les pouvoirs publics. (N° 213.)
XV. - M. Désiré Debavelaere appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les difficultés que crée à un certain nombre d'exploitants agricoles d'établissements classés « élevages laitiers ou bovins à viande » de plus de quarante ou cinquante vaches pour le second cas l'obtention, par des particuliers ou des promoteurs de permis de construire des habitations à moins de cent mètres de leurs bâtiments d'élevage.
Alors que les éleveurs sont tenus de respecter cette distance minimale des immeubles occupés par des tiers au titre de la réglementation des installations classées, aucune règle de réciprocité ne figure en effet dans la loi n° 76-66 du 19 juillet 1976 et dans le code de l'urbanisme. (N° 231.)
XVI. - M. Louis Minetti attire à nouveau l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur le problème des fruits et légumes.
En juillet 1997, M. le ministre a accepté comme base de travail ses propositions, notamment la création d'un comité franco-espagnol sur ces questions. Depuis, il est allé deux fois en Espagne, et le comité franco-espagnol s'est réuni trois fois. La délégation sénatoriale sur les fruits et légumes s'est rendue, elle aussi, en Espagne et a présenté plusieurs propositions.
Ces principales propositions portent sur :
- la mise en place d'une action commune sur les fruits et légumes qui pourrait devenir un front méditerranéen dans l'Europe et pour la modification de la politique agricole commune ;
- la prise en compte commune du fait que l'Europe ne produit que 40 % des fruits et légumes qu'elle consomme, que les fruits et légumes représentent 25 % de la production européenne et ne participent qu'à hauteur de 4 % du budget européen ;
- la mission confiée à la commission franco-espagnole de prévoir et de moduler les productions dans l'intérêt commun et de prévoir et gérer les crises ;
- la responsabilisation des grands groupes bancaires, commerciaux et de transports pour assurer un revenu décent aux agriculteurs, y compris en rétablissant les coefficients multiplicateurs ;
- la négociation avec le Gouvernement espagnol pour l'égalisation des conditions salariales telle que sa signature à Luxembourg le prévoit pour une Europe sociale.
Il désire connaître quelles mesures concrètes il compte prendre pour la mise en place de ces propositions et des développements qu'elles supposent. (N° 234).
A seize heures :
2. Hommage solennel à Victor Schoelcher.
A la suite de M. René Monory, président du Sénat, pourront intervenir M. Gérard Larcher, président du comité de parrainage de la commémoration, pour dix minutes, un orateur pour chaque groupe et la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, pour dix minutes, et le représentant du Gouvernement.
A l'issue de la séance, la plaque à la mémoire du président Gaston Monnerville sera dévoilée dans l'hémicycle.

Délais limites pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant modification de l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles (n° 343, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (n° 344, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil de famille (n° 99, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept heures.
Deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la partie législative du livre VI (nouveau) du code rural (n° 332, 1997-1998) :
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 28 avril 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt et une heures vingt.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Application de la loi Evin

250. - 23 avril 1998. - M. Philippe Arnaud attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur certains effets qui découlent de l'application de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 dite loi Evin concernant l'interdiction de vente à consommer sur place ou à emporter et de distribution de boissons alcoolisées des 2e et 3e groupes. En effet, lors de manifestations telles que les comices agricoles ou foires promotionnelles, vitrine des productions du terroir local, les organisateurs ne peuvent assurer les dégustations ou vendre à consommer sur place des produits comme le pineau des Charentes, par exemple. Ce qui est fort préjudiciable au développement de l'économie locale. Il lui demande quelles sont les mesures qui peuvent être mises en oeuvre afin d'autoriser, dans ces cas particuliers, la promotion des produits locaux du 3e groupe.

Application de la contribution sociale généralisée
aux retraités de la SNCF

251. - 23 avril 1998. - M. Pierre Lefebvre interroge Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur les conséquences de l'application de la loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998 concernant les retraités de la SNCF. D'une part, tous les retraités assujettis à la contribution sociale généralisée (CSG), qui bénéficient d'une majoration pour enfants, voient le total de leurs retenues augmenter puisque cette majoration est soumise à la CSG alors qu'elle ne l'était pas à la cotisation de la caisse de prévoyance. D'autre part, tous les retraités assujettis au taux réduit vont payer 2,8 % de CSG en plus alors que leur cotisation de la caisse de prévoyance ne baissera que de 1 %, d'où une perte du pouvoir d'achat de 1,8 % qui s'ajoute à la perte de 1 % subie en janvier 1997 lors de la création du taux réduit. Quant aux retraités qui vont se trouver pour la première fois assujettis au taux réduit de CSG du fait des modifications des conditions d'exonération (remplacement de la cotisation de référence par le revenu fiscal de référence), ils ont commencé l'année avec une perte de 2,8 % de leur pouvoir d'achat. Il lui demande quelles dispositions elle compte prendre pour au moins maintenir le pouvoir d'achat de ces catégories de retraités de la SNCF.



ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 23 avril 1998


SCRUTIN (n° 87)



sur l'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Christian de La Malène et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, tendant à insérer un alinéa dans le texte de la résolution rectifiée, adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation en application de l'article 73 bis, alinéa 8, du Règlement, sur la recommandation de la Commission en vue d'une recommandation au Conseil relative au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire (objectifs et missions du SEBC).

Nombre de votants : 314
Nombre de suffrages exprimés : 298
Pour : 217
Contre : 81

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Abstentions : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 17.
Contre : 6. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Mme Joëlle Dusseau et M. Robert-Paul Vigouroux.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (93) :

Pour : 91.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ MM. Gérard Larcher, qui présidait la séance, et Emmanuel Hamel.

GROUPE SOCIALISTE (75) :

Contre : 75.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (57) :

Pour : 56.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. René Monory, président du Sénat.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :

Pour : 44.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Jean-Paul Bataille.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (10) :

Pour : 9.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Basile Tui.

Ont voté pour


Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Philippe Darniche
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
André Gaspard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët


François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Xavier de Villepin
Serge Vinçon

Ont voté contre


François Abadie
Guy Allouche
Bernard Angels
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Claude Estier
Léon Fatous
Aubert Garcia
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Dominique Larifla
Guy Lèguevaques
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Michel Manet
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Paul Raoult
René Régnault
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière


Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
André Vezinhet
Marcel Vidal
Robert-Paul Vigouroux
Henri Weber

Abstentions


Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Nicole Borvo
Jean Derian


Michel Duffour
Guy Fischer
Pierre Lefebvre
Paul Loridant
Hélène Luc
Louis Minetti



Robert Pagès
Jack Ralite
Ivan Renar
Odette Terrade
Paul Vergès

N'ont pas pris part au vote


MM. Jean-Paul Bataille, Emmanuel Hamel et Basile Tui.

N'ont pas pris part au vote


MM. René Monory, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 314
Nombre de suffrages exprimés : 298
Majorité absolue des suffrages exprimés : 150
Pour l'adoption : 218
Contre : 81

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés, conformément à la liste ci-dessus.

SCRUTIN (n° 88)



sur l'ensemble de la résolution rectifiée, adoptée par la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation en application de l'article 73 bis, alinéa 8, du Règlement, sur la recommandation de la Commission en vue d'une recommandation au Conseil relative au rapport sur l'état de la convergence et à la recommandation associée en vue du passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire.

Nombre de votants : 316
Nombre de suffrages exprimés : 312
Pour : 281
Contre : 31

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (93) :

Pour : 76.
Contre : 13. _ MM. Robert Calmejane, Charles Ceccaldi-Raynaud, Charles de Cuttoli, Philippe de Gaulle, François Gerbaud, Adrien Gouteyron, Emmanuel Hamel, René-Georges Laurin, Maurice Lombard, Pierre Martin, Paul d'Ornano, Charles Pasqua et Jean-Pierre Schosteck.

Abstentions : 3. _ MM. Jean Bernard, Philippe Marini et Alain Peyrefitte.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Gérard Larcher, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (75) :

Pour : 74.
Contre : 1. _ M. Jean-Luc Mélenchon.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (57) :

Pour : 56.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. René Monory, président du Sénat.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :

Pour : 44.
Contre : 1. _ M. Jean-Paul Bataille.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (10) :

Pour : 8.
Abstention : 1. _ M. Philippe Darniche.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Basile Tui.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Guy Allouche
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Bernard Angels
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Henri Belcour
Jacques Bellanger
Claude Belot
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernadaux
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Auguste Cazalet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
William Chervy
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Yvon Collin
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Marcel Daunay
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Aubert Garcia
André Gaspard
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Jean Grandon
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Claude Haut
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Roger Hesling
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Serge Lagauche
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Dominique Larifla
Edmond Lauret
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lèguevaques
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Claude Lise
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Kléber Malécot
André Maman
Michel Manet
René Marquès
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Gérard Miquel
Louis Moinard
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Bernard Plasait
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Roger Quilliot
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
René Régnault
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Roger Rinchet
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin


Claude Saunier
Bernard Seillier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Fernand Tardy
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
André Vezinhet
Marcel Vidal
Robert-Paul Vigouroux
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Henri Weber

Ont voté contre


Jean-Paul Bataille
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Nicole Borvo
Robert Calmejane
Charles Ceccaldi-Raynaud
Charles de Cuttoli
Jean Derian
Michel Duffour
Guy Fischer
Philippe de Gaulle
François Gerbaud
Adrien Gouteyron
Emmanuel Hamel
René-Georges Laurin
Pierre Lefebvre
Maurice Lombard
Paul Loridant
Hélène Luc
Pierre Martin


Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Paul d'Ornano
Robert Pagès
Charles Pasqua
Jack Ralite
Ivan Renar
Jean-Pierre Schosteck
Odette Terrade
Paul Vergès

Abstentions


MM. Jean Bernard, Philippe Darniche, Philippe Marini et Alain Peyrefitte.

N'a pas pris part au vote


M. Basile Tui.

N'ont pas pris part au vote


MM. René Monory, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait la séance.

Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.