Sur l'article 12 bis , la parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je souhaite dire quelques mots sur l'article 12 bis de la proposition de loi tel qu'il a été élaboré par la commission mixte paritaire en ce qui concerne l'exonération de la responsabilité des producteurs pour risque de développement. Ce texte est, pour moi, une source de satisfaction, certes, mais aussi de perplexité et d'inquiétude.
J'éprouve de la satisfaction, car nous sommes loin des propositions qui avaient été faites au Sénat en première lecture, avec un principe de non-exonération pour tous les produits, et, à l'Assemblée nationale et au Sénat en deuxième lecture, avec une non-exonération pour les produits de santé, propositions auxquelles une majorité d'entre nous s'était opposée.
J'observe cependant que la commission mixte paritaire, si elle s'est attachée à répondre aux préoccupations de l'industrie pharmaceutique - le rapport qu'elle a rédigé est particulièrement explicite à cet égard - n'a pas pour autant considéré les enjeux de santé publique que nous avions développés à plusieurs reprises.
En distinguant les produits issus du corps humain des autres produits de santé, elle a certes exclu clairement les médicaments du champ de la non-exonération de la responsabilité pour risque de développement, et les malades qui bénéficient de médicaments innovants ou sous autorisation temporaire d'utilisation, comme les trithérapies, seront satisfaits.
Mais, ce faisant, la commission mixte paritaire a élaboré un texte qui est difficilement applicable et qui présente, à mes yeux, de sérieux inconvénients en matière de santé publique.
Les difficultés d'application du texte pourront sans doute être atténuées grâce à quelques explications en séance et peut-être aussi par un décret d'application dont la rédaction ne sera pas aisée. Les inconvénients, dont les conséquences sont malheureusement plus graves, ne pourront être résolus en l'état.
Ce texte sera d'abord difficile à appliquer. La distinction entre les produits issus du corps humain et les autres produits de santé, qui pouvait être établie clairement voilà quelques années, est devenue très complexe aujourd'hui.
Désormais, de nombreux produits de santé comprennent des substances chimiques ou des matériaux associés à des produits du corps humain, remettant ainsi en cause les distinctions anciennes entre médicaments, dispositifs médicaux et produits vivants, issus du corps humain ou d'origine animale.
Actuellement, ces nouveaux produits de santé, les plus innovants, sont de surcroît promis à un grand développement : je citerai, à titre d'exemple, les produits de thérapie génique ou cellulaire. Mais il y a aussi les vaccins. Dans tous les cas, il apparaît évident que la ligne de partage doit être fixée en fonction du principe actif : s'il n'est pas issu du corps humain, le produit doit bénéficier de l'exonération.
Un autre problème est encore plus grave à mes yeux : tel qu'il est désormais rédigé, l'article 12 bis remet en cause la cohérence de la législation sanitaire que nous avons largement contribué à élaborer, ici même, depuis le début des années quatre-vingt-dix. Cette législation a eu pour objet de soumettre l'ensemble des produits de santé, quelles qu'en soient la nature ou l'origine, à des règles de sécurité communes.
Jusqu'aux années quatre-vingt-dix, il existait, dans les esprits, une certaine tendance à considérer que les principes éthiques applicables aux produits du corps humain garantissaient leur sécurité : le don du sang étant un acte généreux, gratuit, le sang était nécessairement sûr.
Depuis une dizaine d'années, nous avons réussi à convaincre que respect des principes éthiques et sécurité ne sont pas incompatibles.
Rétablir une distinction arbitraire au sein des produits de santé, c'est remettre en cause une évolution majeure, mais récente et donc fragile. C'est laisser entendre que les règles de sécurité applicables aux produits issus du corps humain sont d'une nature, d'une « essence » différente de celles qui s'appliquent aux autres produits de santé.
Cette distinction risque d'être, malheureusement, contre-productive en termes de sécurité sanitaire pour l'ensemble des produits de santé.
M. le président. Toujours sur l'article 12 bis , la parole est à M. Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais ajouter quelques mots après les propos que vient de tenir M. Claude Huriet.
Comme lui, je suis très étonné de l'intérêt que porte subitement M. le rapporteur aux préoccupations exprimées par l'industrie pharmaceutique. Cela me paraît aller à l'encontre de la préoccupation de santé publique qui a toujours animé, sur quelques travées qu'ils siègent, les membres de la commission des affaires sociales, dont nous faisons partie M. Claude Huriet et moi-même.
Je fais miens les arguments que mon collègue vient de développer. Je veux simplement insister sur un point particulier, qui vous concerne personnellement, monsieur le rapporteur.
Je tiens en effet à rendre hommage à votre constance, qu'un auditoire non averti pourrait même, au risque de s'y méprendre, tenir pour de l'obstination ; si l'on n'observait aujourd'hui, dans vos propos, une évolution inattendue dont il faut vous savoir gré, même si, comme vous l'avez dit, elle tient à une certaine forme de « sagesse ».
Déjà, au début des années quatre-vingt-dix, en commission mixte paritaire, vous aviez choisi, sur le même sujet, de réserver un sort particulier aux produits issus du corps humain.
Quel était alors le contexte ? Vous ne l'avez pas oublié, c'était l'époque de l'affaire du sang contaminé. Il s'agissait donc autant, en vérité, de définir un droit particulier de la responsabilité que d'exprimer clairement la volonté d'exclure, pour des raisons éthiques, du champ de l'industrie et du commerce les produits issus du don gratuit.
Or, cette conception est précisément celle qui est à l'origine des développements tragiques qu'a connus cette triste affaire qui, hélas ! n'est pas encore terminée.
A vouloir à tout prix contester que le sang et les produits qui en sont issus sont des produits de santé comme les autres, on a fini par affaiblir les contrôles et mettre en cause la sécurité sanitaire. Monsieur le rapporteur, telle est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales bataille depuis sept ans maintenant pour appliquer un régime juridique uniforme à tous les produits de santé publique, dans l'intérêt de ces consommateurs particuliers que sont les patients.
Consumérisme pour consumérisme, je préfère encore le nôtre au vôtre, monsieur le rapporteur. Si la solution retenue par la commission mixte paritaire permet de garantir l'accès de tous les patients au progrès technique médical en préservant, en particulier, le régime des autorisations temporaires d'utilisation, elle met en péril l'édifice juridique que nous achevons à peine d'élaborer en matière de sécurité sanitaire. En effet, la commission mixte paritaire portant sur cette proposition de loi déposée sur l'initiative de mes collègues MM. Descours et Huriet se réunira le 12 mai prochain.
Doit-on en conclure, monsieur le rapporteur, que la commission des lois n'a pas le monopole du droit, et qu'à trop vouloir en faire on oublie quelquefois les réalités ?
Cependant, malgré les ambiguïtés qu'il recèle et les conflits d'interprétation auxquels il ne manquera pas de donner lieu s'il reste en l'état, nous émettrons un vote favorable sur ce texte.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mon cher collègue, j'avoue que je suis quelque peu étonné par la tournure personnelle que vous avez cru devoir donner à votre propos, qui avait presque l'allure d'un règlement de comptes.
Tout d'abord, il ne s'agit pas de consumérisme.
Veuillez m'excuser d'aborder ces considérations techniques, monsieur Autain : c'est du droit, certes, mais il faut s'y mettre.
M. François Autain. Pas trop !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est un peu comme si nous nous mettions à rédiger des ordonnances !...
M. François Autain. Eh oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est effectivement aussi dangereux de voir des médecins faire du droit que des juristes rédiger des ordonnances. Je me permets de vous suggérer de réfléchir à la portée de cette remarque.
M. François Autain. C'est ce que nous faisons actuellement !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'en reviens à notre sujet : attention, il s'agit non pas de consumérisme, mais de santé publique. En effet, des produits peuvent être dangereux même pour des personnes qui ne les ont pas acquis ; or la relation de consumérisme ne se noue qu'entre un vendeur et un acquéreur.
Un produit peut être dangereux pour d'autres personnes que l'acheteur, par exemple pour vos invités, si vous leur servez des mets qui se révèlent dangereux. Ces personnes n'ont pas acheté cette nourriture ; pour elles, il ne s'agit donc pas d'une relation de consumérisme.
Il est important d'apporter cette précision pour la clarté de nos explications.
Par ailleurs, si je vous ai bien compris, monsieur Autain - mais je ne suis pas sûr que ce soit le cas - il me semble que vous m'avez reproché de faire un sort particulier aux produits du corps humain par rapport aux médicaments en général.
M. François Autain. Vous avez bien compris !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous avez donc dû avoir un instant d'inattention !
J'ai en effet expliqué qu'en commission mixte paritaire j'avais au contraire insisté sur le fait qu'il était impossible de tenir un raisonnement différent pour les produits dérivés du corps humain et pour les autres produits de santé.
Il s'agit là d'un sujet que vous connaissez mieux que moi, monsieur Autain, et que M. Huriet a très bien expliqué tout à l'heure. Mais je tiens à affirmer que j'étais personnellement très réservé sur cette distinction.
Ceux qui ont assisté à la réunion de la commission mixte paritaire, dont certains sont présents dans l'hémicycle, savent que nous étions assez nombreux à partager ce point de vue. Toutefois, un vote a eu lieu et la position que je défendais a été minoritaire.
Mon cher collègue, je vous ai rendu compte de la décision prise par la commission mixte paritaire ; j'ai émis des réserves, mais pas assez nettement peut-être. Je vous demande de le noter.
Je ne vois pas quel est le fondement objectif de cette distinction. J'en aperçois bien l'intérêt du point de vue de l'effet dans l'opinion, mais cet élément n'a pas à être pris en considération d'un point de vue objectif, et je me suis donc efforcé de contrer cette distinction.
Je n'irai pas plus loin sur cette question, même s'il y aurait beaucoup à dire.
Je ne sais également pas pourquoi vous vous en êtes aussi pris, en quelque sorte, à la commission des lois. Certes, son président n'est pas à mes côtés en ce moment, mais, en ma qualité de vice-président, je tiens à vous dire, monsieur Autain, que ses membres ont conscience de faire leur travail aussi sérieusement que possible.
Il est vrai que les considérations, les perspectives, les implications du droit diffèrent de celles de la médecine, qui est une science exacte, contrairement au droit, qui est une science sociale, donc différente.
Nous sommes dans des domaines distincts. Chacun d'entre nous oeuvre en toute bonne foi dans le domaine qui est le sien. En tout état de cause, soyez sûr que la commission des lois a fait ce qui lui a paru raisonnable étant donné ce qu'est le système juridique français.
Permettez-moi d'ajouter un mot, puisque vous avez fait allusion à l'obstination dont j'aurais fait preuve. Mon cher collègue, je ne suis pas obstiné, je suis convaincu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole sur l'un des articles ?...

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