Séance du 12 mai 1998






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Modification de l'ordre du jour (p. 1 ).

3. Réduction du temps de travail. - Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture (p. 2 ).
Discussion générale : MM. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville ; Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Charles Descours, Guy Fischer, Mme Anne Heinis.
Clôture de la discussion générale.

Question préalable (p. 3 )

Motion n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales ; le ministre délégué, Guy Fischer, Jean Chérioux. - Adoption de la motion entraînant le rejet du projet de loi.

4. Retrait de l'ordre du jour d'une question orale sans débat (p. 4 ).

5. Communication de l'adoption définitive de propositions d'acte communautaire (p. 5 ).

6. Dépôt d'une proposition de loi (p. 6 ).

7. Dépôt de propositions d'acte communautaire (p. 7 ).

8. Dépôt d'un rapport (p. 8 ).

9. Ordre du jour (p. 9 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre en date de ce jour par laquelle il l'informe que, en accord avec la commission des affaires économiques, le Gouvernement demande au Sénat de poursuivre la discussion du projet de loi relatif aux animaux dangereux le mardi 19 mai en séance du soir.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, la discussion du projet de loi relatif aux animaux dangereux aura lieu le mardi 19 mai, à seize heures et le soir, et le mercredi 20 mai, à quinze heures.

3

RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 418, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail. [Rapport n° 423 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est saisie aujourd'hui pour la troisième fois du projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail, qui traduit l'une des priorités essentielles de l'action du Gouvernement dans la lutte pour l'emploi et contre le chômage. Je ne puis, à cet égard, que déplorer l'insuccès de la commission mixte paritaire du 21 avril dernier, qui a conduit ce texte à être une nouvelle fois examiné, puis voté par l'Assemblée nationale le 29 avril et le 5 mai.
Je le regrette d'autant plus que les dernières discussions à l'Assemblée nationale ont permis d'avancer sur des points qui avaient donné lieu ici même à des discussions approfondies et de dégager des solutions qui auraient sans doute pu être partagées.
Ainsi, en ce qui concerne la définition du temps de travail effectif, l'Assemblée nationale a eu la volonté de transposer la directive européenne de novembre 1993 en prenant en compte les avancées récentes de la jurisprudence, notamment celle de la chambre sociale de la Cour de cassation.
A la suite du débat qui s'était développé sur la portée exacte de la rédaction que l'Assemblée nationale avait retenue en première lecture, vous aviez souhaité revenir au texte exact de cette directive et le Gouvernement avait manifesté le souhait de réfléchir à une rédaction qui soit la plus claire et la plus précise possible pour éviter d'induire des interrogations ou de l'insécurité juridique pour les acteurs de la négociation.
Cette réflexion a été poursuivie par les députés en concertation étroite avec le Gouvernement et a abouti à un amendement voté par l'Assemblée nationale, qui introduit précisément et judicieusement dans la loi l'ensemble des acquis issus de la jurisprudence.
La rédaction à laquelle l'Assemblée nationale est parvenue retient, à cet égard, la qualification de temps de travail effectif lorsque le salarié est, quel que soit le lieu où il se trouve physiquement placé, dans la situation de ne pas pouvoir disposer librement de son temps et de devoir respecter les directives qui lui ont été données pour les besoins du fonctionnement de l'entreprise. Elle correspond à la distinction opérée depuis plusieurs années par la jurisprudence entre le travail effectif et les astreintes, ainsi qu'aux lignes de partage qu'elle a établies avec beaucoup de discernement en matière de pauses et de trajets.
Nous pouvons nous en féliciter, et je regrette que votre commission continue à émettre des doutes sur le nouvel article 4 bis ainsi rédigé.
De même, en ce qui concerne les transports, vous aviez souhaité que soient prises en compte les spécificités de ce secteur d'activité, qui sont liées à la nécessité d'une continuité de service et aux déplacements que doivent effectuer les salariés. C'est particulièrement vrai en matière de repos journaliers et de pauses, qui donnent lieu à des dispositions particulières liées, notamment, à l'application de règlements européens ou d'accords internationaux, par exemple dans le domaine des transports aériens, fluviaux et routiers.
Pour prendre en compte ce souci, sans adopter une rédaction qui exclurait des secteurs ou des personnels pour lesquels cela n'est pas indispensable, le Gouvernement a proposé un amendement excluant de l'application de l'article 4 ter, relatif au temps de repos journalier et aux pauses, les personnels roulants et navigants du secteur des transports. Cela devrait, comme nous le souhaitons tous, contribuer à créer les meilleures conditions pour les discussions paritaires qui sont, par ailleurs, en cours à Bruxelles sur les différents aspects de la durée du travail dans les transports.
Vous le voyez donc, des compromis et des rédactions satisfaisantes ont pu être trouvés sur des points importants, qui rejoignent certaines de vos préoccupations.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, rétabli les autres dispositions qu'elle avait votées en deuxième lecture. Il s'agit, bien sûr, des articles 1er et 2 du projet de loi, qui fixent un objectif et un cap à la négociation en programmant la baisse de la durée légale, ainsi que de l'article 3, qui porte sur le dispositif d'incitation financière, mais aussi des dispositions relatives aux heures supplémentaires et au temps partiel, qui sont essentielles pour assurer le développement, dans de bonnes conditions, d'un temps partiel choisi.
A la suite de ce vote de l'Assemblée nationale, votre commission vous propose aujourd'hui de ne pas poursuivre la délibération sur le projet de loi en déposant une motion tendant à lui opposer la question préalable. Je ne puis, pour ma part, que le regretter, sachant que, lors des débats précédents, une majorité d'entre vous avait exprimé le sentiment que la réduction du temps de travail était une piste prometteuse, voire incontournable, pour l'emploi, et qu'il convenait de la favoriser, même si nous ne convergions pas sur l'idée que la loi fixe un objectif à travers l'abaissement de la durée légale.
Je ne puis, à cet égard, approuver les arguments évoqués dans la motion que propose votre rapporteur, qui, malgré les discussions approfondies que nous avons pu avoir au cours de la navette, en reviennent à des oppositions de principe, que je déplore.
Pour nous, en effet, la baisse de la durée légale ne s'inscrit en rien dans une démarche « autoritaire », qui, pour citer la motion, « fausse les termes de la négociation entre les partenaires sociaux ».
Il suffit de constater le changement dans le ton du CNPF intervenu ces derniers temps, y compris par la voix de son président, pour se rendre compte que nous approchons maintenant d'un autre moment du débat, qui, dans des termes plus sereins, verra les partenaires sociaux s'engager dans la discussion pour appliquer ce texte dans un grand nombre d'entreprises.
M. Alain Gournac. Ah ça !...
M. Claude Bartolone, ministre délégué. C'est justement pour relancer ce processus de négociation qu'il nous est apparu indispensable, dans un pays comme le nôtre, de fixer un cap par l'intermédiaire de la loi. En effet, malgré l'impulsion donnée par l'accord interprofessionnel de 1995 et, surtout, par la loi du 11 juin 1996, ne sont aujourd'hui concernés par des accords de réduction du temps de travail que 250 000 salariés environ, soit seulement 2 % des effectifs salariés du secteur marchand !
On voit donc mal comment, en l'absence d'un tel objectif légal, ce processus pourrait effectivement reprendre à la hauteur que rendent nécessaire les problèmes d'emploi dans notre pays.
De même, c'est non pas pour « entretenir l'attentisme », mais pour tenir compte du résultat des négociations, et procéder avec progressivité et réalisme, que nous avons prévu une deuxième loi destinée à fixer les modalités de la rémunération des heures supplémentaires et que nous voulons susciter une concertation approfondie avec les partenaires sociaux pour examiner dans son détail le nouveau régime du SMIC.
Par ailleurs, je ne puis comprendre que soit évoqué, à propos du projet de loi, l'alourdissement du coût du travail non qualifié, alors que le dispositif d'incitation financière que nous prévoyons, et que votre commission a contesté, tient particulièrement compte de ce problème. En effet, contrairement au dispositif alternatif que vous envisagiez, qui prévoyait une aide largement inférieure au montant du SMIC, notre texte permet de prendre totalement en charge, à ce niveau de rémunération, le coût correspondant à 7 % d'embauches supplémentaires. Il prévoit, en outre, une majoration spécifique en faveur des entreprises industrielles de main-d'oeuvre, justement destinée à alléger le coût du travail non qualifié.
Quant aux petites entreprises, je considère que le mode de calcul de l'obligation d'embauche, les majorations prévues pour celles qui font un effort particulier en matière d'emploi et les possibilités ouvertes en termes de mandatement permettent de tenir compte de leurs spécificités. J'ai toutes les raisons de penser qu'elles seront nombreuses à conclure des accords, et ce avant même l'échéance supplémentaire que la loi laisse, de façon très souple, aux entreprises de moins de vingt salarirés.
Pour ce qui est de la fonction publique, que la motion de votre commission évoque par ailleurs, le Gouvernement a également décidé de procéder de façon progressive et pragmatique.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Si on vous en laisse le temps !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. C'est à partir d'un état des lieux détaillé des situations et des pratiques, qui, nous le savons, sont très diverses, que les perspectives concernant la réduction du temps de travail seront fixées pour les trois fonctions publiques. Elles le seront en concertation avec les partenaires sociaux, et avec l'objectif d'améliorer l'organisation du travail et la qualité du service rendu au public.
Je voudrais, enfin, revenir sur les arguments évoqués par la motion à propos de la façon dont notre démarche est perçue à l'échelon européen, ou par les organisations internationales.
M. Louis Souvet, rapporteur. Parlons-en !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Justement, parlons-en !
M. Alain Gournac. On en parle ! (M. Gournac brandit la photocopie d'un article de presse.)
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Les lignes directrices adoptées au sommet du Luxembourg évoquent effectivement la réduction du temps de travail comme une façon de « promouvoir la modernisation de l'organisation du travail » par la voie de la négociation sociale et « afin de rendre les entreprises productives et compétitives ».
M. Louis Souvet, rapporteur. Avez-vous lu la presse d'aujourd'hui ?
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Je regarde ce qui se dit au niveau européen, puisque c'est l'élément qui a été avancé par votre commission.
M. Alain Gournac. Lisez la presse !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Cette optique et cette démarche sont entièrement les nôtres et, à cet égard, le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail ne contredit en rien les orientations au niveau européen.
M. Louis Souvet, rapporteur. Eh bien, nous verrons !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Enfin, si le Fonds monétaire international avance, au détour d'une phrase - une seule - dans son rapport sur les perspectives mondiales, que la réduction autoritaire du temps de travail peut aggraver le chômage structurel, je refuse de considérer que cela vise la démarche que nous suivons,...
M. Louis Souvet, rapporteur. Ah bon ?
M. Alain Gournac. Il ne dit plus la même chose !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... d'autant que, selon les prévisions de cet organisme, la France devrait être le pays du G7 où la croissance sera la plus forte en 1999.
M. André Jourdain. Vous allez la casser !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Elle sera de 3 %, contre 2,2 % pour l'ensemble des pays du G7,...
M. Louis Souvet, rapporteur. Merci, monsieur le ministre !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... ce qui montre que notre politique ne limite en rien la confiance du FMI quant aux capacités de notre économie.
Je regrette donc fortement qu'une motion visant à opposer la question préalable ait été adoptée par votre commission. Je souhaite, bien sûr, que votre Haute Assemblée ne suive pas celle-ci sur ce point, en acceptant d'avancer dans un sens que le Gouvernement estime indispensable pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après que le Sénat eut adopté, le 8 avril dernier, en deuxième lecture, le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail, dans une version profondément modifiée, j'en conviens, par rapport à celle qu'avait retenue l'Assemblée nationale, une commission mixte paritaire s'est réunie le 21 avril dernier pour tenter de rapprocher les points de vue des deux assemblées.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, ces derniers se sont révélés inconciliables, notamment en raison de l'article 1er, qui abaisse la durée légale du travail de façon autoritaire.
M. Alain Gournac. De façon autoritaire, effectivement !
M. Louis Souvet, rapporteur. Un constat d'échec a donc été dressé à l'issue de la réunion.
Auparavant, j'avais souhaité lancer un appel à la sagesse en matière de définition du temps de travail effectif. J'avais considéré qu'il « serait déraisonnable et dangereux que l'Assemblée nationale maintienne le texte qu'elle avait adopté à deux reprises ».
L'Assemblée nationale a adopté solennellement le projet de loi le 5 mai dernier, en nouvelle lecture. Afin de pouvoir apprécier les apports de ce nouveau vote, il importe de faire une distinction entre les dispositions relatives à la réduction du temps de travail et celles qui ont trait à la définition de la durée du travail effectif.
Comme on pouvait s'y attendre, l'Assemblée nationale a rétabli son texte pour l'ensemble des dispositions concernant la réduction du temps de travail.
Les députés ont rétabli, en nouvelle lecture, l'article 1er, qui prévoit l'abaissement de la durée légale du travail à trente-cinq heures par semaine au 1er janvier 2002. Ils ont conservé un délai supplémentaire de deux ans pour les entreprises de moins de vingt salariés.
Le Sénat s'était vigoureusement opposé, lors des deux précédents examens du texte, au principe d'une réduction autoritaire de la durée légale du travail ; il avait notamment estimé qu'il était contraire à l'esprit même de la réduction du temps de travail, qui repose sur l'aménagement souple des rythmes de travail, une redéfinition des tâches et des processus de production, et des concessions réciproques et équilibrées entre employeurs et salariés. Il avait, en conséquence, décidé à deux reprises de supprimer cet article 1er.
Nous sommes surpris, monsieur le ministre, de vous entendre dire aujourd'hui qu'il ne s'agit pas d'une réduction autoritaire de la durée du travail.
M. Alain Gournac. Si ce n'est pas une réduction autoritaire, alors, qu'est-ce que c'est ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Oui, vraiment, nous sommes très étonnés.
L'Assemblée nationale a rétabli son texte pour les articles 2 et 3, qui, respectivement, appellent les partenaires sociaux à négocier et substituent une nouvelle incitation financière à la réduction du temps de travail à celle qui avait été introduite par la loi Robien de juin 1996.
Le Sénat avait profondément modifié la rédaction de ces deux articles. Le principe d'une aide forfaitaire accompagnée de diverses majorations lui semblait complexe et susceptible de pénaliser le développement de l'emploi qualifié. Il avait, par conséquent, affirmé sa préférence pour un « reprofilage » de la loi Robien, qui aurait réduit le coût de celle-ci tout en en préservant le caractère fortement incitatif.
Un article écrit par le président de notre commission et que je lisais ce matin montre bien qu'un grand nombre d'accords ont été signés au titre de la loi Robien, qui est pourtant en vigueur depuis peu, et que nous étions donc dans une phase ascendante.
L'Assemblée nationale a supprimé les articles additionnels introduits par le Sénat. Je rappelle qu'ils étaient relatifs à un rapport qui établirait les conséquences de la réduction du temps de travail sur la rémunération mensuelle minimale, à la compensation intégrale par l'Etat des exonérations de charges sociales et à l'application de la loi Robien aux entreprises du bâtiment et des travaux publics.
L'Assemblée nationale a rétabli son texte pour les dispositions qui contraignent les recours aux heures supplémentaires et au travail à temps partiel. Elle a notamment rétabli l'abaissement du seuil de déclenchement du repos compensateur, la modification du régime de l'abattement de cotisations sociales patronales applicable au travail à temps partiel et la limitation des possibilités pour l'entrepreneur de recourir au temps partiel.
L'Assemblée nationale a rétabli ses articles concernant le rapport demandé sur l'application de la loi et celui qui est relatif à la réduction du temps de travail dans la fonction publique.
Si l'Assemblée nationale a suivi sa commission, qui lui demandait de faire preuve « d'obstination » à propos des dispositions relatives à la réduction du temps de travail, elle s'est montrée plus encline à évoluer sur la délicate question de la définition du travail effectif.
En effet, la définition du temps de travail effectif adoptée en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale se rapproche très sensiblement de celle qu'avait proposée le Sénat, c'est-à-dire de la directive européenne.
La définition du travail effectif constituait le véritable enjeu de cette nouvelle lecture, étant donné le peu de volonté de la majorité d'évoluer sur le reste du texte.
La rédaction retenue prévoit que « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. » Elle est très proche de la rédaction retenue par le Sénat, qui reprenait littéralement les termes de la directive européenne du 23 novembre 1993, à tel point que l'on ne voit pas trop, en vérité, l'intérêt qu'a pu trouver l'Assemblée nationale à s'en écarter.
La commission des affaires sociales considère en tout cas que cette rédaction a le mérite de mettre un terme au débat qu'avait ouvert l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale d'un amendement qui laissait craindre qu'une réduction de la durée du travail effectif n'accompagne celle de la durée légale.
L'Assemblée nationale a également repris partiellement un article additionnel introduit par le Sénat, qui visait à exclure le secteur des transports routiers du champ d'application des articles 4 bis et 4 ter . J'ai observé, monsieur le ministre, que ces deux points ont constitué l'essentiel de votre intervention à la tribune, ce qui tend à prouver que nous n'étions pas seuls à être inquiets.
Cependant, la commission des affaires sociales considère que les avancées sur les dispositions relatives à la transcription de la directive européenne, que vous avez soulignées, monsieur le ministre, ne peuvent remettre en cause le caractère globalement inacceptable du texte voté en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Ces avancées tendraient même à confirmer que, sur l'ensemble des questions qui étaient en discussion, l'Assemblée nationale a dit son dernier mot, consistant à réaffirmer sa conviction selon laquelle la réduction autoritaire du temps de travail peut constituer une solution au problème du chômage.
Le Sénat, par deux fois, a condamné l'abaissement de la durée légale du travail, en considérant, notamment, que cette décision allait isoler la France en Europe. A cet égard, je me suis demandé, en vous écoutant, monsieur le ministre, si vous aviez lu la presse d'hier. La Commission européenne - j'ai, dans mon dossier, les articles qui le prouvent et que vous avez sans doute lus ; tous les parlementaires, à plus forte raison les ministres, lisent la presse ! - la Commission européenne, dis-je, vient de rendre publiques ses « grandes orientations des politiques économiques des Etats membres ». Pour la première fois, ce document, qui examine la coordination des politiques économiques, comporte des recommandations pour les onze pays qui adopteront l'euro. L'opinion de la Commission sur la politique des trente-cinq heures qui est menée en France ne présente aucune ambiguïté.
M. Alain Gournac. C'est clair !
M. Louis Souvet, rapporteur. La Commission précise, en effet, qu'« une réduction obligatoire...
M. Alain Gournac. « Obligatoire », en effet !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... et généralisée du temps de travail » - elle ne parle pas d'autoritarisme ; c'est tout de même bien votre texte, on ne peut y échapper ! - motivée en partie par le souhait de relever le niveau de l'emploi, peut avoir des conséquences défavorables et devrait dès lors être évitée. »
M. Alain Gournac. Des « conséquences défavorables » !
M. Claude Estier. Vous utilisez la Commission européenne quand ça vous arrange et vous la dénoncez quand ça vous arrange !
M. Guy Fischer. Quand le CAC 40 passe les 4 000 points, ils n'en parlent pas !
M. Louis Souvet, rapporteur. Puisque vous m'en donnez l'occasion, monsieur Estier, je dirai que, à cette tribune, j'ai entendu nombre de ministres utiliser la Commission européenne dans le sens que vous critiquez aujourd'hui !
Dans ces conditions, et pour marquer une nouvelle fois notre opposition à cette méthode de réduction de la durée du temps de travail, la commission des affaires sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au présent projet de loi. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 21 avril dernier n'a pu qu'enregistrer les désaccords profonds qui demeuraient au terme de la navette sur le projet de loi d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail.
Face à un chômage qui touche trois millions de nos concitoyens et qui est devenu le problème majeur de notre société, nous sommes convaincus qu'une démarche volontariste de l'Etat sur la réduction du temps de travail peut contribuer à créer des emplois que la croissance seule ne pourra générer. Le Premier ministre a rappelé dernièrement que, même à un taux de 3 %, la croissance ne permettrait de créer que deux cent mille emplois dans le secteur privé, ce qui ne signifie pas, chacun le sait, une réduction équivalente du nombre des demandeurs d'emploi.
L'opposition, quand elle n'est pas franchement hostile au projet même de la réduction de la durée du travail, comme M. Sarkozy, par exemple, entend la cantonner dans le champ de l'expérimentation ; c'est la position défendue par la majorité sénatoriale, qui considère qu'une négociation spontanée et équilibrée peut s'engager à un niveau suffisamment important et généralisé pour créer des emplois, et ce sans l'intervention d'aucune loi.
C'est faire l'impasse sur la nature des rapports de forces profondément déséquilibrés qui caractérisent le monde de l'entreprise dans notre pays. C'est faire l'impasse sur les conséquences de la précarité des contrats, de la peur du chômage, qui paralysent précisément le développement du dialogue social.
A cet égard, on commence à peine à prendre la mesure de l'impact de telles pressions sur les comportements au sein de l'entreprise, je pense notamment à la volonté exprimée par un nombre toujours plus important de salariés de bénéficier le plus rapidement possible des différentes mesures de départ anticipé, tant les tensions sont fortes.
Il nous a été reproché de mener, au cours du débat de ce projet de loi, un combat idéologique.
Si refuser la fatalité d'un partage sauvage du temps de travail entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, c'est faire de l'idéologie, si vouloir répartir les fruits de la croissance et les retombées des progrès technologiques de façon plus équitable afin de permettre à tous, en particulier aux chômeurs, d'avoir une place comme membres à part entière dans notre société, c'est faire de l'idéologie, si juguler les excès et les dérives liés trop souvent au recours abusif au temps partiel, c'est faire de l'idéologie, enfin, si engager des réformes profondes qui, à terme, permettent à chacun d'envisager l'avenir avec moins de précarité et donc moins d'angoisse, c'est faire de l'idéologie, alors, nous revendiquons ce combat idéologique, et nous considérons qu'il appartient aux politiques, parmi lesquels les parlementaires, de le mener !
Monsieur le ministre, le Gouvernement auquel vous appartenez nous a proposé, avec beaucoup de détermination et de responsabilité, de mener ce combat sur plusieurs fronts.
Nous avons débattu et voté le soutien à la création d'activités nouvelles liées à l'évolution de notre société à travers les emplois-jeunes. Nous sommes intervenus pour améliorer le pouvoir d'achat des ménages afin de relancer la consommation. A l'issue de l'examen de ce projet de loi dont nous débattons aujourd'hui pour la dernière fois, nous entamerons les discussions sur le projet de loi visant à prévenir et à lutter contre les exclusions, un an à peu près jour pour jour après le changement de majorité voulu par les Français.
La navette législative, sur laquelle je ne m'étendrai pas, a permis de préciser les dernières dispositions qui demeuraient incertaines et sur lesquelles Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité s'était engagée lors des précédentes lectures.
Il s'agit avant tout de la réactualisation du code du travail en ce qui concerne la définition du travail effectif.
M. le rapporteur estime que la définition qui ressort des travaux de l'Assemblée nationale est très proche de celle qui a été proposée par le Sénat et qui se calquait sur la directive européenne de 1993.
M. Louis Souvet, rapporteur. J'avais raison !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ce n'est pas notre avis. En deuxième lecture, nous estimions en effet que l'article 2 de la directive européenne était en quelque sorte un socle minimum, qui reconnaissait, parallèlement, l'importance des pratiques nationales modifiant, par voie conventionnelle ou juridictionnelle, le régime des astreintes, des pauses et des trajets.
Si l'on avait dû se référer uniquement à la formule : « dans l'exercice de son activité ou de ses fonctions », ainsi que la majorité sénatoriale nous le proposait, certains aménagements conventionnels relatifs aux pauses et aux trajets auraient pu, dès lors, être dénoncés, ce qui aurait été contestable et, à n'en pas douter, contesté.
C'est la raison pour laquelle la définition qui ressort des débats à l'Assemblée nationale, en cumulant les notions d'absence de liberté pour le salarié et de respect par celui-ci des directives de l'employeur, correspond mieux aux garanties obtenues par les salariés dans le cadre d'accords avec leurs employeurs ou devant le juge.
Nous nous opposons également sur le sujet délicat du régime applicable aux transports, qui font partie des secteurs dits « exclus » de la directive de 1993.
Des négociations sont en cours, tant au niveau européen - la Commission européenne vient en effet de lancer des consultations avec les partenaires sociaux - qu'au niveau national, dans le prolongement des accords intervenus en 1997.
Le Sénat a souhaité exclure l'ensemble des salariés de ce secteur - les mobiles et les sédentaires - ce que nous réfutons.
Autant la nécessité de prévoir des régimes de protection spécifiques pour les personnels mobiles en ce qui concerne les pauses, les repos journaliers et hebdomadaires est parfaitement compréhensible, autant de telles dérogations ne se justifient plus pour les personnels sédentaires en matière de temps de travail.
D'ailleurs, la Commission européenne estime qu'il n'y a aucune raison de traiter les travailleurs non mobiles des secteurs des transports... différemment des autres travailleurs déjà couverts par la directive ».
Enfin, cette troisième lecture est l'occasion pour le Gouvernement de communiquer la liste des entreprises qui, en raison d'une situation de monopole ou de l'importance de la participation financière de l'Etat, ne pourront pas bénéficier du dispositif d'incitation financière. Au nombre de celles-ci figurent notamment la Banque de France, Electricité de France, Gaz de France, La Poste.
Pour ces organismes, le projet de loi prévoit que la perspective de la réduction du temps de travail fera l'objet de procédures spécifiques.
Mes chers collègues, compte tenu des divergences profondes qui se sont exprimées très largement ici même au cours de ces derniers mois, il était évident que nous ne parviendrions pas à un accord au terme de ce débat.
Il n'est donc pas surprenant que, partant de ce constat, la majorité sénatoriale ait déposé une motion tendant à opposer la question préalable, contre laquelle j'interviendrai par la suite.
Je déplore toutefois que soient apparus d'importants blocages au sein de notre assemblée à propos de tels enjeux, blocages qui semblent au demeurant progressivement s'estomper parmi les acteurs économiques considérés dans toute leur diversité.
Il revient désormais aux partenaires sociaux de s'emparer de ce texte et d'explorer les différentes pistes qu'il ouvre.
Il est de la responsabilité de l'Etat d'accompagner la mise en oeuvre des différents dispositifs.
Il sera de notre responsabilité, en 1999, lors de l'élaboration de la seconde loi, de tirer les enseignements de cette période de négociation qui s'ouvre.
Les socialistes seront attentifs et à l'écoute des acteurs de cette réforme, à vos côtés, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Le fait que l'examen d'un projet de loi se prolonge peut permettre à certains parlementaires de franchir des pas importants et de passer du banc des commissions à celui du Gouvernement ! (Sourires.)
C'est justement ce qui vous est arrivé, monsieur le ministre, puisque, alors que vous siégiez au banc des commissions au début de l'examen de ce projet de loi, vous voilà aujourd'hui au banc du Gouvernement pour le défendre ! Il se peut d'ailleurs que, resté au banc des commissions, vous ayez été plus réceptif aux problèmes dont nous saisissent les employeurs !
Puisque c'est vous qui défendez aujourd'hui ce texte de loi, ce dont je vous félicite, tout en déplorant l'absence de Mme Aubry, qui a dû finir par se lasser, je reprendrai sans polémique aucune devant vous, après M. le rapporteur, ces questions que se posent les chefs d'entreprise, s'agissant notamment du problème de transport et de la durée du temps de travail effectif.
L'écoute des propos tenus en toute honnêteté tant par M. le rapporteur que par Mme Dieulangard ou par vous-même, monsieur le ministre - vous avez fait une explication de texte par rapport à la directive européenne et à la jurisprudence de la Cour de cassation - prouve que nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord. Dans ces conditions, comment voulez-vous que les chefs d'entreprise s'y retrouvent ? Je prendrai un exemple précis.
Un certain nombre d'entreprises organisent elles-mêmes le transport de leurs salariés, quelquefois dans leurs propres cars. Quel est le statut du temps passé dans ces cars ?
On a paraît-il répondu aux chefs d'entreprise se posant cette question que la Cour de cassation en déciderait ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. Bien sûr !
M. Charles Descours. Je vous déclare très sincèrement, fidèle en cela à ce qu'en a dit le président de la commission des affaires sociales du Sénat, que, quand on doit s'en référer aux juges, c'est que nous légiférons mal !
M. Alain Gournac. Tout à fait, et c'est inadmissible !
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Charles Descours. Nous en avons d'ailleurs discuté assez vivement l'autre jour avec la commission des lois au sujet des produits défectueux. Par conséquent, si nous devons nous en remettre à la Cour de cassation, c'est que notre texte est mauvais, comme l'a été - je le dis très sincèrement - l'embrouillamini, au cours de la navette, sur la durée du temps de travail effectif. En effet, tous, y compris les juges, se référeront, dans le Journal officiel , à telle ou telle journée de débat, ce qui aboutira peut-être à des décisions contradictoires. Des dispositions claires, comme le souhaitait la commission des affaires sociales du Sénat, auraient été préférables.
J'en arrive à la question des transports en commun. Monsieur le ministre, vous n'êtes pas conseiller général, car vous ne pouvez être partout ! (Sourires.) Mais nombre de conseillers généraux siègent dans cet hémicycle.
Les conseils généraux sont en charge des transports scolaires. Or, les chauffeurs travaillent deux heures le matin, une heure à midi et deux heures le soir. Le projet de loi prévoit que l'activité ne peut être interrompue plus d'une fois et que l'interruption ne peut durer plus de deux heures. On dit certes qu'il y aura un accord de branche ou un dialogue social.
M. Claude Estier. Bien sûr !
M. Guy Fischer. C'est la sagesse ! C'est le bon sens !
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande donc aux présidents de conseil général, y compris de gauche, s'ils vont accepter en toute sérénité cette augmentation du coût des transports scolaires qui sera nécessairement engendrée ! S'ils sont d'accord pour l'instant, nous verrons ce qu'il en sera dans l'avenir, quand l'addition sera présentée aux conseils généraux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. C'est vraiment de la grande politique !
M. Charles Descours, rapporteur. Mais je ne suis pas un grand politique, monsieur Estier, je suis un sénateur qui essaie d'être près du terrain ! Or, il nous faut être près du terrain pour, nous dit-on, combler le fossé existant entre l'opinion et la classe politique. Pour ma part, j'essaie de le faire.
M. Philippe Labeyrie. Pas comme cela !
M. Charles Descours. Je voudrais enfin évoquer un problème qui, à proprement parler, ne relève pas du projet de loi en discussion aujourd'hui, à savoir l'application des 35 heures dans la fonction publique hospitalière.
La fonction publique, nous a-t-on dit - cela vient d'ailleurs d'être répété à l'instant - n'est pas concernée par ce texte qui s'appliquera seulement au secteur privé.
M. Jean Chérioux. Dont les associations !
M. Charles Descours. Tout cela, malheureusement, est bien théorique, car la boîte de Pandore est ouverte et le Gouvernement a déjà bel et bien accepté le principe d'une extension de la réduction du temps de travail aux fonctionnaires.
J'en veux pour preuve l'article 10 du projet de loi, ainsi que l'accord salarial dans la fonction publique qui prévoit qu'un état des lieux sera dressé avant la fin de l'année afin « d'analyser les implications de la perspective des 35 heures ».
En clair, si le Gouvernement ne s'engage pas dès aujourd'hui à recruter en compensation des 35 heures, il reconnaît aux agents de la fonction publique l'application de la réduction de la durée du travail.
Pour ce qui concerne les hôpitaux, étant donné le poids de la charge salariale dans le budget hospitalier - ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, monsieur le ministre - cette décision va peser directement sur le budget hospitalier, donc sur la sécurité sociale, donc sur l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Or je ne suis pas sûr que tout cela soit bien compris par les partenaires, notamment les partenaires médicaux.
Accepter aujourd'hui et analyser demain les conséquences : telle est bien la méthode du Gouvernement.
Permettez-moi, monsieur le ministre, au risque de perturber le déroulement harmonieux de cette méthode de travail, d'évoquer dès aujourd'hui les conséquences de la réduction du temps de travail dans un secteur qui m'intéresse particulièrement en tant que rapporteur des projets de loi de financement de la sécurité sociale : je veux parler de la fonction publique hospitalière.
Je voudrais, sans esprit polémique, vous poser trois questions.
Comment, tout d'abord, appliquera-t-on les 35 heures à ceux des personnels de la fonction publique qui en bénéficient déjà ? (Sourires sur les travées socialistes.) Je rappelle que la durée de travail d'un certain nombre de personnels de la fonction publique est d'ores et déjà de 35 heures, quand elle n'est pas inférieure. (Protestations sur les travées socialistes.) Quant aux personnels de l'éducation nationale, M. Claude Allègre a considéré qu'ils se mettraient en grève si on leur demandait de travailler 35 heures, car cela reviendrait à augmenter leur temps de travail de trois heures !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Quel niveau, quand même !
M. Charles Descours. Par ailleurs, la réduction de la durée du travail dans la fonction publique hospitalière sera-t-elle suivie d'embauches ?
Enfin, le rapport Nicolas a proposé d'intégrer certaines gardes dans le temps de travail des praticiens hospitaliers. La nouvelle définition de la notion de travail effectif aura-t-elle des conséquences sur les gardes médicales ?
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que, sur l'ensemble des questions que je vous ai posées, vous me donniez des réponses aussi claires et simples que possible...
M. Alain Gournac. Ce sera difficile !
M. Charles Descours. ... pour éclairer les acteurs du monde économique et du monde hospitalier, ainsi que l'ensemble des parlementaires, qui sont appelés à se prononcer chaque année sur les dépenses d'assurance maladie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Labeyrie. Ce n'est pas brillant !
M. Jean Chérioux. Heureusement que vous l'êtes, vous !
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, adopté solennellement le 5 mai dernier en troisième lecture par l'Assemblée nationale, le projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail fait l'objet, cet après-midi, d'un ultime passage devant la Haute Assemblée.
Depuis le 10 octobre, date de la conférence sur l'emploi et les salaires, un long chemin émaillé d'embûches a pu être parcouru pour que, aujourd'hui, la réduction du temps de travail - promesse de campagne des composantes de la gauche plurielle, revendication sociale ancienne partagée et voulue par de nombreux Français - soit en passe d'être traduite légalement.
Permettez-moi de m'en réjouir et même d'oser espérer que cette tendance sera suivie par d'autres Etats membres de la Communauté européenne.
Les élus communistes conçoivent la réduction du temps de travail non pas comme une utopie, mais comme un formidable outil propre à enrayer le chômage et comme une nouvelle conquête sociale pour les salariés.
C'est pourquoi nous voulions que les 35 heures s'appliquent rapidement à tous, sans réduction de salaire, et qu'elles s'élèvent en rempart contre la précarité.
Jusqu'alors, les politiques de l'emploi décidées par les divers gouvernements, bien que très coûteuses, n'ont eu que peu d'effet sur le chômage.
Récemment encore, la Cour des comptes dressait un bilan négatif de l'empilement des aides à l'emploi détournées de leur objectif premier, les entreprises ne daignant bien souvent pas respecter leurs engagements.
Depuis son avènement, le gouvernement de la gauche plurielle s'est attaché à soutenir la croissance, à définir une vraie politique de l'emploi en lançant les emplois-jeunes et en se fixant comme deuxième échéance le passage aux 35 heures d'ici à l'an 2000, ou à 2002 pour les entreprises de plus de vingt salariés.
Les prémices d'une amélioration de la situation économique et sociale pointent. Les chiffres du chômage du mois de mars en témoignent : nous sommes repassés sous la barre symbolique des trois millions de chômeurs. Jeunes, chômeurs de longue durée, cadres, tout le monde bénéficie de cette embellie.
M. Alain Gournac. Merci Juppé !
M. Guy Fischer. Merci la gauche plurielle !
M. Alain Gournac. Non : merci Juppé !
M. Guy Fischer. Pourtant, au-delà des statistiques, au quotidien, concrètement, la situation précaire d'un grand nombre, d'un trop grand nombre de nos concitoyens est restée inchangée.
C'est probablement cet aspect qui a poussé le « très sage » Conseil économique et social, dans son rapport sur le projet d'avis sur la conjoncture au premier semestre 1998, à demander au Gouvernement de continuer à oeuvrer pour réduire la fracture sociale en affectant une partie des fruits de la croissance à la lutte contre le chômage et l'exclusion.
C'est aussi ce qui incite le parti communiste à s'engager et à agir pour que le Gouvernement aille plus loin dans les réformes structurelles.
En conséquence, mon appréciation relative à la reprise et à la baisse sensible du chômage reste prudente car, pour être réellement salutaires, celles-ci devraient s'accompagner d'un recul des emplois précaires, donc de la création de véritables emplois.
Or force est, malheureusement, de constater qu'il n'en est rien. En un an, le travail intérimaire a enregistré un bond record de 40 %.
M. Charles Descours. Bravo la gauche plurielle !
M. Guy Fischer. C'est la réalité, et c'est vous qui aviez engagé cette politique, monsieur Descours !
M. Charles Descours. C'est Juppé ou la gauche plurielle ?
M. Guy Fischer. C'est vous qui l'avez engagée ! Vous savez qu'en matière de macroéconomie les résultats sont toujours longs à obtenir !
M. Alain Gournac. La preuve, Juppé !
M. Philippe Labeyrie. Pourquoi ne l'avez-vous pas gardé, s'il était si brillant ?
M. Guy Fischer. En un an, le travail intérimaire a donc enregistré un bond record de 40 %, et le nombre de demandeurs d'emploi exerçant une activité réduite de plus de soixante-dix-huit heures dans le mois a, quant à lui, augmenté de 31,8 %.
Depuis longtemps déjà, les salariés, au sein de leurs entreprises, ont subi l'intensification, le surtravail.
Stressés constamment par la menace du licenciement, sur fond de crise économique, au nom de la compétitivité, les ouvriers, techniciens, cadres ont été contraints d'accepter des horaires décalés débridés, des heures supplémentaires gratuites, la modération de leurs revendications salariales. Le temps partiel s'est imposé.
Bien souvent - et c'est sur ce point que nous sommes critiques - le travail intérimaire appparaît comme le seul outil utilisé, notamment dans les industries de main-d'oeuvre et plus particulièrement dans le secteur de l'automobile.
Face à un tel constat, encore assombri par le fait que la politique contractuelle fait défaut, le dialogue patronat-salariés étant en panne, seule l'intervention du législateur pouvait impulser le processus de la réduction du temps de travail.
Contrairement à une opinion largement répandue au sein tant de la droite parlementaire que du CNPF, le choix affiché pour la voie législative, avec la fixation d'une date butoir, est un choix judicieux du Gouvernement.
Les salariés, l'ensemble des personnes rassemblées lors des différentes manifestations du 1er mai témoignent de cette volonté d'avancer vers les 35 heures pour l'emploi.
Evidemment, je ne peux le cacher ici, des doutes, des réticences, voire de la méfiance émanent de certains salariés. Je les comprends aisément. En effet, tous sont conscients que la conception des syndicats, que notre conception de la réduction du temps de travail et celle du CNPF sont diamétralement opposées.
L'opposition est palpable, criante. Les uns, animés par le seul souci de la rentabilité, traduiront les 35 heures en aménagement du temps de travail, combinant allègrement annualisation et baisse des salaires.
Les autres, désireux de mettre en balance la rentabilité avec le développement de la main-d'oeuvre et la reconnaissance du salarié en tant qu'individu, voudront une réduction effective du temps de travail avec son corollaire, la création massive d'emplois stables.
C'est l'option que nous défendons.
Dès la première lecture du texte, les parlementaires communistes se sont engagés pour que cette loi serve effectivement l'emploi et qu'elle ne puisse aucunement être facteur de nouvelles inégalités.
Par leurs interventions et l'adoption d'amendements, les députés communistes ont largement contribué à enrichir le projet de loi afin, d'une part, de reconnaître des droits nouveaux aux salariés et d'accroître leur participation et, d'autre part, de prévenir les dérives et de contenir les appétits des grands dirigeants, tout en dénonçant les points importants tels que le niveau du SMIC et la rémunération des heures supplémentaires, qui restent, à notre sens, en suspens.
A l'issue de la deuxième lecture, je considérais que ce texte était équilibré et prometteur.
Après son adoption en troisième lecture, mon appréciation demeure identique, au regard même des précisions qui ont été apportées par certains amendements à l'Assemblée nationale.
Evidemment, la définition du temps de travail effectif, retenue lors de la première lecture, me satisfaisait pleinement.
Moins radicale, la dernière définition selon laquelle il y a temps de travail effectif lorsque le salarié ne peut vaquer librement à ses occupations personnelles, emporte tout de même mon aval, même si un doute persiste quant à l'opportunité de sa juxtaposition avec les anciennes dispositions.
L'avancée est positive au regard de la jurisprudence, contrairement à ce que la majorité sénatoriale voulait imposer.
Au sujet de la modification apportée au texte par l'amendement excluant des dispositions relatives au repos quotidien et aux pauses les personnels roulants sur grande distance ainsi que le personnel navigant, je me rallie à l'opinion exprimée au nom du groupe communiste et apparenté à l'Assemblée nationale par mon ami Jean-Claude Lefort.
D'ailleurs, devant vous, j'avais eu l'occasion de noter les spécificités inhérentes au secteur des transports et les grandes diversités de situations à l'intérieur de cette même profession entre, par exemple, les personnels roulants et les autres.
Il faut noter, toutefois - et ce n'est pas sans importance - qu'en acceptant cette démarche circonscrite à un secteur particulier nous n'entendons nullement ouvrir la porte à d'autres aménagements ou dérogations, contrairement aux intentions du CNPF et de la majorité de la commission des affaires sociales de cette assemblée.
Un dernier point a contribué à rendre plus lisible ce projet de loi, je veux parler de l'utile précision apportée par Mme Aubry au sujet des entreprises et organismes publics éligibles aux aides à la réduction du temps de travail.
Je suis conscient qu'il soit difficile pour l'Etat de « s'inciter » lui-même, si j'ose dire. Toutefois, il nous paraît indispensable que l'Etat soit le premier à montrer l'exemple en appliquant correctement la logique du texte.
Pour conclure, je dirai - et j'aurai l'occasion d'y revenir tout à l'heure - que les débats furent riches et passionnés. Passant outre l'opposition farouche de la droite contre ce texte et l'attitude d'obstruction alarmiste du CNPF, les avancées obtenues sont loin d'être négligeables.
Ce projet de loi globalement satisfaisant, que nous aurions voté si la droite sénatoriale ne faisait pas d'opposition idéologique, devra maintenant entrer dans sa phase active, l'heure étant à la dynamique des négociations.
Le groupe communiste républicain et citoyen attend des salariés et de tous ceux qui vivent la précarité qu'ils se mobilisent, qu'ils abordent les négociations avec la conviction que la réduction du temps de travail est réalisable sans contreparties exorbitantes.
Le marché du travail est suffisamment destructuré, nous sommes déjà parvenus assez loin dans les formes du travail atypique. Je souhaite que les chefs d'entreprise prennent conscience de leurs responsabilités, qu'ils cessent de dénoncer les conventions collectives et que, le plus tôt possible, un grand nombre d'entreprises puissent accéder à ce dispositif. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous revient de l'Assemblée nationale est profondément modifié.
Notre groupe a déjà exprimé son hostilité à une réduction autoritaire, uniforme et généralisée de la durée du travail telle que la prévoit l'article 1er, j'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer devant vous sur ce sujet.
L'approche privilégiée par l'Assemblée nationale dans ce texte - et qui est celle de Mme Aubry et, semble-t-il, la vôtre, monsieur le ministre - me paraît beaucoup trop inspirée par une vision déterministe, voire mécanique des réalités du monde actuel. Elle appartient à ce que l'on pourrait appeler une vision « newtonienne » des choses. Elle ne me semble ni juste ni réaliste. « Newton n'est pas mort », comme le prétend le titre volontairement provocateur d'un petit livre, au demeurant fort intéressant, composé d'articles écrits par des scientifiques et des penseurs parmi les plus grands de notre temps. Et les lois physiques du monde « sensible » n'ont pas changé ; les pommes continuent de tomber des arbres et, lorsqu'elles chutent, elles ne remontent pas naturellement vers le ciel.
Mais cette même physique, en explorant le monde de l'atome et de l'infiniment petit, a découvert que celui-ci était caractérisé, au niveau de chaque particule, par des comportements aléatoires, désignés par Heisenberg sous le nom de « principe d'indétermination ».
De son côté, la biologie a réhabilité la place du hasard dans les systèmes en évolution.
Alors, me direz-vous, pourquoi cette introduction ?
Parce que ces découvertes nous confrontent à un autre type de modèle, dont le monde qui se crée est beaucoup plus proche que la vision simplement « mécanique ». Il fait appel à un autre type de logique.
Nous ne sommes plus dans un monde « stable », son évolution est non pas linéaire mais partiellement aléatoire.
Ce qui caractérise la vie des entreprises de notre époque, ce sont les forts gains de productivité engendrés par les progrès technologiques, eux-mêmes fruits de la créativité et de l'innovation.
Par ailleurs, nous ne sommes pas seuls au monde. Si nos concurrents utilisent ces gains de productivité pour baisser leurs coûts alors que nous les utilisons pour travailler moins, comment s'en sortir ?
« Nous assistons aujourd'hui - d'après l'ouvrage que j'ai évoqué tout à l'heure - à l'évolution d'un monde aux aspects multiples, à travers des phases d'organisations successives qui sont le résultat d'événements et d'individus non moyens ». C'est, me semble-t-il, ce qu'il faut intégrer dans notre réflexion. Mais cela ne va malheureusement pas dans le sens de notre tradition intellectuelle trop cartésienne, manquant de pragmatisme et peu portée à prendre en compte l'individu inventif, moteur de progrès.
Ce que nous reprochons à votre loi, monsieur le ministre, c'est justement de créer de tels corsets qu'elle ne permettra pas l'émergence de ces événements et de ces individus, voire de ces entreprises « non moyens » sur lesquels s'appuient l'évolution et la création. Ce n'est pas de « l'élitisme », c'est la simple identification d'un phénomène.
Or, si les structures et les fonctions restent nécessaires en termes d'organisation de société, parce que c'est l'aspect « sensible », la charpente de la société, en revanche, les changements technologiques et sociaux nous permettant de nous adapter à l'évolution viendront - je cite toujours - de « l'originalité », du penchant pour le risque, de la créativité de la population. Cela postule une certaine liberté, que vous malmenez dans votre texte.
Ce dont la France a besoin - comme l'Europe, d'ailleurs - c'est d'emplois : la France a besoin de créer plus d'emplois nouveaux qu'elle n'en perd, nous sommes tous d'accord sur ce point. Des emplois « classiques », certes, que nous connaissons aujourd'hui, mais aussi des emplois de demain, que nous ne connaissons pas encore et qui sont à inventer, sans peser démesurément sur les finances publiques. Et c'est là que nous divergeons.
C'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à la possibilité d'une réduction du temps de travail, à son incitation, à la condition que ce ne soit pas sur le mode obligatoire et autoritaire que vous privilégiez.
On a jeté l'anathème, dans cet hémicycle, sur le temps partiel au motif - réel, d'ailleurs - que l'on constatait de regrettables abus dans certaines entreprises.
Certes, il faut sanctionner de tels abus, et sans doute mieux encadrer cette activité dans ses conditions de mise en oeuvre. Mais quelle imprudence ! N'était-ce pas l'occasion rêvée d'y associer les femmes, en particulier pour jeter les bases d'une véritable politique de la famille ?
Les femmes représentent 46 % des actifs, et c'est pour elles que se posent avec le plus d'acuité le problème de l'articulation entre vie professionnelle, vie familiale et désir d'enfants,...
M. Jean Chérioux. Cela devient très courageux de le dire !
Mme Anne Heinis. ... ainsi que celui du partage entre le temps choisi et le temps « obligatoire », c'est-à-dire le temps de la nécessité.
Comme le souligne très justement Mme d'Intignano dans son livre L'Usine à chômeurs, qui témoigne par ailleurs d'une approche très originale : « Une femme qui travaille et qui a des enfants suscite un besoin d'emplois familiaux, de restaurants, de cantines, de garderies, de professionnels de l'entretien de la maison, de livraison à domicile, etc. ». J'arrête là l'énumération, étant entendu que bien d'autres professions sont concernées.
Il y a donc là matière à création. Et ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres !
En outre, monsieur le ministre, on constate que les femmes se dirigent naturellement vers les professions les plus dynamiques et les plus créatrices d'emplois - les services, l'éducation, la santé, la communication - contribuant ainsi à la modernisation du marché du travail et à la flexibilité de l'emploi, et donc à la bonne marche de l'économie de notre pays.
Quelle belle occasion manquée !
Le chômage n'est pas une fatalité et le travail n'est pas une ressource épuisée, comme une mine de charbon que l'on ferme. A partir du moment où l'on part de cette hypothèse, on condamne toute ouverture sur le futur.
C'est cette image du gâteau trop petit, qu'il faut partager entre des gens de plus en plus nombreux, que nous récusons. C'est une solidarité de misère, alors qu'il nous faut une solidarité constructive et créatrice de nouvelles richesses.
Lorsque l'on institutionnalise les crises, on les fait perdurer, alors que, au contraire, l'objectif est de sortir de la crise, en évoluant, en nous adaptant au monde tel qu'il se présente et tel que nous pouvons en imaginer le futur, sachant que l'important est d'être capable de réviser sans cesse cette vision du futur.
L'Europe qui se construit, la mondialisation des échanges et l'émergence de pays encore peu développés mais à forte démographie se chargeront de le faire si nous n'y prenons pas garde.
Alors, où est notre chance ? Où est notre avenir ?
L'industrie lourde, avec ses bataillons de main-d'oeuvre, c'est désormais du passé. Elle ne fournira plus des réservoirs d'emplois, mais sa lente extinction, avec tous les drames sociaux et humains qu'elle entraîne, pèse lourd sur les fonds publics.
M. Gérard Braun. Eh oui !
Mme Anne Heinis. Pour nous, l'avenir est dans des structures plus petites, plus souples, plus proches des gens, plus à même de s'adapter et d'innover, car c'est là que la créativité de l'individu peut s'épanouir.
En France, les PME fournissent la moitié des emplois, et ce sont les seules qui en créent de nouveaux dans le domaine marchand. Les « 35 heures payées 39 » à production égale, de l'avis général, risquent d'en faire disparaître un bon nombre, surtout parmi les plus petites, incapables d'absorber ce surcoût.
Alors qu'il faudrait libérer l'initiative, débrider les contraintes, encourager la création et l'innovation, avec ce texte, nous ligotons.
M. Jacques Machet. Très bien !
Mme Anne Heinis. Non, le travail n'est pas une ressource épuisée ; sinon le travail au noir ne serait pas si florissant. C'est une ressource que les plus imaginatifs et les plus audacieux d'entre nous ne demandent qu'à créer, à condition toutefois qu'on ne leur brise pas les ailes, avec des coûts trops lourds par rapport à nos concurrents étrangers, des calculs de boutiquiers sur le temps de travail et une liberté d'entreprendre sans cesse paralysée par la lourdeur de nos structures et de nos lois.
MM. Gérard Braun et Alain Gournac. Très bien !
Mme Anne Heinis. Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que je souhaitais vous livrer - elles ne sont pas exhaustives ! - tout en me permettant de rappeler, comme cela a été fait plusieurs fois dans cet hémicycle, que le rôle du Sénat est d'indiquer avec force et constance ce qu'est sa conception de l'intérêt général.
En conséquence, pour toutes les raisons exposées par notre rapporteur et très clairement énumérées dans les considérants, le groupe des Républicains et Indépendants votera la question préalable présentée par la commission des affaires sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable



M. le président.
Je suis saisi d'une motion n° 1, présentée par M. Souvet, au nom de la commission, et tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant que, lors de l'examen du présent projet de loi, tant en première qu'en seconde lecture, le Sénat a souhaité faire prévaloir le dialogue social et une réduction négociée et équilibrée de la durée effective du travail ;
« Considérant que le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, comme le texte du projet de loi initial du Gouvernement, entend, au contraire, procéder à un abaissement général et autoritaire de la durée légale du travail ;
« Considérant que, ce faisant, le projet de loi fausse les termes de la négociation entre les partenaires sociaux, dont dépend pourtant, selon le Gouvernement lui-même, la réussite d'une politique de réduction du temps de travail ;
« Considérant que les conséquences concrètes de cette décision ont été renvoyées à une loi ultérieure, qu'il s'agisse du contingent autorisé des heures supplémentaires, du taux exact de leur majoration ou encore d'une question aussi fondamentale que la nature du SMIC et son évolution ; qu'en conséquence les partenaires sociaux ignorent la teneur des contraintes qui pèseront ainsi sur eux ;
« Considérant que la démarche adoptée par le Gouvernement a eu ainsi pour premier effet de bloquer le dialogue social et d'entretenir l'attentisme ;
« Considérant qu'en dépit du dispositif d'incitation financière dont il est assorti, et dont le coût pour les finances publiques n'a pas été chiffré, le projet de loi compromet les effets escomptés sur l'emploi d'une politique de réduction du temps de travail adaptée à la diversité des situations des entreprises et des salariés, qu'il risque d'avoir un effet inverse en raison, notamment, de l'alourdissement du coût du travail le moins qualifié qui résulterait du principe des "35 heures payées 39 heures" ;
« Considérant que la réduction autoritaire de la durée du travail de même que le dispositif d'incitation financière proposé sont particulièrement inadaptés à la situation des petites et moyennes entreprises, dont chacun sait qu'elles constituent le gisement des emplois de demain ;
« Considérant que, de surcroît, le seuil retenu de 20 salariés pour une entrée en vigueur différée de la nouvelle durée légale du travail n'a pas de sens alors même que la Commission européenne préconise le seuil de 50 salariés pour définir la petite entreprise et le seuil de 250 salariés pour définir les moyennes entreprises ;
« Considérant que le choix d'abaisser la durée légale du travail entraîne l'extension de cette mesure, d'ores et déjà acceptée dans son principe, à l'ensemble des fonctions publiques et est porteur à ce titre d'une détérioration des comptes publics, notamment des collectivités territoriales et de la sécurité sociale ;
« Considérant, en outre, que l'application de la nouvelle durée légale du travail aux associations, notamment dans le secteur médico-social, grèvera une nouvelle fois le budget des collectivités locales au titre des subventions qu'elles devront leur accorder ;
« Considérant que la démarche dans laquelle s'est engagé le Gouvernement et dans laquelle il engage notre pays se situe en marge des lignes directrices pour l'emploi adoptées par les partenaires européens au sommet de Luxembourg, lignes directrices qui n'évoquent la réduction du temps de travail que pour la placer résolument dans le cadre de négociations entre les partenaires sociaux visant à la "modernisation de l'organisation du travail" et "au soutien à la capacité d'adaptation des entreprises" ;
« Considérant que cette démarche se situe à l'opposé des analyses économiques tant de l'OCDE que du FMI, ce dernier estimant que la loi française sur les 35 heures "devrait aggraver le problème du chômage structurel plutôt que le résorber" ;
« Considérant que l'Assemblée nationale a souhaité, de surcroît, ouvrir, de façon confuse et précipitée, un débat sur la définition du temps de travail effectif ; qu'en définitive le texte qu'elle a retenu en nouvelle lecture s'écarte des termes de la directive européenne ;
« Considérant que, en dépit de l'ampleur des débats auxquels a donné lieu le projet de loi, des incertitudes et des dangers qu'il comporte, de l'inquiétude des agents économiques et des partenaires sociaux et des interrogations des partenaires économiques de notre pays, l'Assemblée nationale a rétabli, en nouvelle lecture, l'essentiel du texte initial proposé par le Gouvernement ; que ce faisant elle a déjà dit son dernier mot ;
« En conséquence, en application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail (n° 418, 1997-1998). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la Commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Louis Souvet, rapporteur. J'ai, me semble-t-il, suffisamment explicité, au cours de la discussion générale, les raisons qui ont motivé le dépôt de cette motion, dont vous venez, au surplus, de lire les considérants, monsieur le président, pour ne pas avoir à ajouter d'autres commentaires.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard, contre la motion.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de l'examen du projet de loi d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail, la majorité des membres de la commission des affaires sociales et la majorité sénatoriale ont souhaité clore notre débat par le dépôt d'une motion tendant à opposer la question préalable, la discussion en commission mixte paritaire s'étant soldée par un constat de désaccord.
Je reviendrai sur certains arguments étayant la motion afin de souligner certaines contradictions qui caractérisent les griefs formulés à l'encontre de ce projet de loi.
La majorité de cette assemblée reproche tout d'abord au Gouvernement et à la majorité parlementaire de faire preuve d'autoritarisme en abaissant par voie légale la durée hebdomadaire du temps de travail.
Nos discussions ont été l'occasion de rappeler que, en France, c'était à la loi républicaine de définir ce repère essentiel qu'est la durée du temps de travail et d'en encadrer les différentes modalités d'aménagement conventionnel afin d'éviter les dérives.
La légitimité de l'intervention du législateur dans ce domaine ne peut donc être remise en cause.
C'est d'autant plus vrai que la démarche du Gouvernement ouvre un vaste champ aux négociations entre les partenaires sociaux, qui, sur le terrain, auront la responsabilité de mettre en oeuvre l'objectif des 35 heures.
M. le Premier ministre rappelait devant les préfets, le 21 avril dernier, que la « loi avait pour but non pas d'organiser elle même le temps de travail dans l'entreprise, ... mais de susciter, dès à présent, un vaste mouvement de négociations au niveau des entreprises pour une réduction rapide et importante du temps de travail, créatrice d'emplois. Sans cette loi, ce mouvement... ne s'engagerait pas spontanément. »
La réduction du temps de travail est donc une des piste que le Gouvernement entend pleinement exploiter pour lutter contre un chômage qui frappe près de 12,7 % de nos concitoyens. Sa mise en oeuvre exige une mobilisation d'envergure, une mobilisation générale.
On nous dit, par ailleurs, que le Sénat a « souhaité faire prévaloir le dialogue social et une réduction négociée et équilibrée de la durée effective du travail ».
Se contenter d'en appeler au dialogue social, mes chers collègues, ne suffit pas, surtout dans notre pays. Chacun connaît, en effet, les pesanteurs, les clivages qui caractérisent la négociation collective. Les bilans quantitatifs de la loi quinquennale de 1993 et de la loi Robien en sont une illustration probante.
Il est indispensable de se donner les moyens d'insuffler un nouvel élan à ce dialogue social, en renforçant son champ d'intervention, en modernisant les outils de la négociation à la disposition des partenaires sociaux.
La loi devrait permettre d'améliorer les procédures existantes, en encourageant le recours au mandatement dans les entreprises dépourvues de délégués du personnel, ou en organisant, pour les unités de moins de cinquante salariés, les lieux de négociation au niveau local, départemental, professionnel ou interprofessionnel.
Je relève que la majorité de cette assemblée s'est opposée à ces deux mesures visant, précisément, à relancer le dialogue social dans les PME.
La commission des affaires sociales estime que l'attitude du Gouvernement a eu pour conséquence de bloquer ce dialogue social. Or, que constatons-nous depuis quelques semaines, depuis, en fait, que les principaux contours du texte sont arrêtés ?
Les partenaires sociaux sont en train de se mobiliser afin d'engager le plus rapidement possible le mouvement des négociations.
De plus, les organisations syndicales multiplient les rencontres visant à former leurs responsables ; certaines éditent des guides, d'autres mettent en place un numéro vert.
Les employeurs font appel à des cabinets de consultants afin de préparer la signature d'accords, sachant qu'un accord type Robien nécessitait en moyenne six mois de réflexion, de discussions et de négociations.
Au-delà des directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, le service public de l'emploi participera activement à cette phase cruciale grâce à l'intervention, en amont, de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail.
On le voit donc, chaque acteur de la négociation se prépare à être opérationnel dès l'entrée en vigueur de la loi et de ses textes d'application.
Il est par ailleurs reproché au projet de loi son inadaptation à la diversité des entreprises et des salariés.
Dans la motion, est évoquée la situation des emplois peu qualifiés. A cet égard, je voudrais rappeler à la majorité de notre assemblée qu'elle a, dans ses contre-propositions, substitué au dispositif d'abattement forfaitaire, visant justement à favoriser l'emploi de salariés peu qualifiés, un dispositif d'abattement calculé en pourcentage, plus favorable aux entreprises employant des salariés hautement qualifiés.
Lorsque le Gouvernement propose des incitations financières majorées pour encourager les entreprises de main-d'oeuvre à passer aux 35, ou aux 32 heures, lorsque l'Assemblée nationale propose des majorations pour des publics en grande difficulté, tels que les chômeurs de longue durée, la majorité du Sénat vote contre ces aménagements.
Je ne reviendrai pas sur la possibilité de cumuler les incitations à la réduction du temps de travail avec la ristourne dégressive sur les bas salaires ou avec les CES.
Notre rapporteur estime également que le dispositif d'incitations financières n'est pas adapté aux petites et moyennes entreprises.
Or le travail parlementaire a précisément contribué à enrichir les modalités d'application de l'ensemble de la loi aux petites et moyennes entreprises : en différant la date d'entrée en vigueur pour les entreprises qui franchiraient le seuil de vingt salariés en 2000 et 2001 ; en renforçant l'intervention financière de l'Etat dans les entreprises de main-d'oeuvre et en octroyant une aide à l'ingénierie qui devrait atteindre 208 millions de francs ; en adaptant la contrepartie en embauches, qui pourra se réaliser sous forme de temps partiel dans les petites unités ou dans le cadre de groupements d'employeurs pour les petites et moyennes entreprises de moins de 300 salariés ; enfin, en prévoyant des modalités de négociation spécifique dans les petites entreprises, car chacun sait que c'est dans ces unités, où la représentation syndicale est particulièrement faible, que se gagnera la bataille des créations d'emplois. C'est dans ce milieu qu'il convient de donner de la vigueur à la démocratie sociale. Le défi est d'importance pour notre pays. Il est aussi de notre responsabilité de le relever.
La France isolée ! C'est un slogan que l'on a beaucoup entendu lors de ces discussions, et encore aujourd'hui.
Au-delà des gouvernements belge ou italien, qui situent leur action dans une démarche identique à la nôtre, je note que la puissante fédération IG Metal, en Allemagne, souhaite engager de nouvelles négociations sur la base des 32 heures.
La démarche de la réduction du temps de travail se situerait, par ailleurs, en marge des lignes directrices pour l'emploi adoptées lors du sommet de Luxembourg.
Les conclusions de ce sommet évoquent la réduction du temps de travail dans la perspective de « la modernisation du travail et du soutien à la capacité d'adaptation des entreprises ».
J'avoue ne pas comprendre en quoi cette orientation serait en contradiction avec le texte de loi. Précisément, nous n'avons eu de cesse d'affimer, durant tout ce débat, que la remise à plat de l'organisation du travail dans l'entreprise était une condition essentielle de la réussite du plan proposé dans ce projet de loi.
Il s'agit, en effet, de lui permettre de mettre les entreprises en capacité d'améliorer leur compétitivité afin de gagner des parts de marché et de dégager des marges suffisantes, à la fois pour permettre l'investissement, créer de l'emploi et améliorer les conditions de travail.
La modernisation des entreprises n'est pas une fin en soi ; elle n'a de sens que si elle est mise au service de l'homme.
La question préalable que vous soumettez au vote de notre assemblée est pour nous irrecevable tant est grave pour notre société le problème du chômage et tant il est urgent de tout mettre en oeuvre pour le réduire le plus possible. Il désagrège le lien social, il crée l'insécurité, il génère la souffrance chez nos concitoyens.
Pour ce qui nous concerne, nous ne prendrons pas la responsabilité de renoncer à la mise en oeuvre de mesures susceptibles de combattre ce mal, ni même de la différer. Nous voterons donc contre cette question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne ne s'étonnera que je soutienne la question préalable adoptée par la majorité de la commission des affaires sociales, et ce bien que cette majorité soit favorable à la réduction du temps de travail ; elle considère en effet que c'est une tendance lourde de toutes les économies développées.
Elle a prouvé son attachement à cette réduction non pas par des discours, mais en adoptant, parfois contre de fortes oppositions - même les vôtres, chers collègues de l'opposition ! - la loi du 11 juin 1996, dite couramment « loi Robien », qui s'est traduite par un certain nombre d'accords intéressant 250 000 salariés - excusez du peu, pour une si courte période ! - et qui créé dans nombre d'entreprises, grandes ou moyennes, de nouveaux comportements de partenariat entre les dirigeants et leurs salariés, visant à l'amélioration des conditions de travail et à l'embauche de nouveaux salariés.
La majorité de la commission des affaires sociales a toujours estimé, comme, d'ailleurs, tous nos partenaires européens - M. Souvet l'a rappelé tout à l'heure - en particulier les experts de la Commission de Bruxelles, que la réduction de la durée du travail ne pouvait se concevoir que si elle était négociée, diversifiée, adaptée, car, dans notre monde moderne et face à la mondialisation, toute référence uniforme, obligatoire, calendaire, a un caractère obsolète qui détone et qui est incompatible avec les contraintes auxquelles sont soumis les marchés.
A tous les arguments présentés par notre excellent rapporteur, Louis Souvet, j'en ajouterai deux.
Le premier - il n'est pas de moi - est le constat d'un très grand bureau d'études en matière de négociation sociale, dont, d'ailleurs, le directeur fait plutôt partie de ceux qui soutiennent l'actuel gouvernement. Selon lui, le délai d'un an et demi fixé par le présent projet de loi pour les entreprises de plus de vingt salariés afin d'aboutir à une négociation globale sur l'aménagement du temps de travail et sa réduction éventuelle, ainsi que sur leur réorganisation, est un délai beaucoup trop court. Il estime qu'il eût été nécessaire de prévoir un délai d'au moins trois ans - celui qui sera accordé aux entreprises de moins de vingt salariés - et que cette précipitation risque de compromettre l'objectif visé.
Je pense moi aussi qu'un délai d'un an et demi, qui aurait été possible pour de très grandes entreprises déjà habituées à des négociations sociales et à la réorganisation de leurs productions ou de leur commercialisation, est tout à fait inadapté pour des entreprises de taille moyenne.
Je rappelle, monsieur le ministre, qu'aux termes des directives européennes sont considérées comme petites et moyennes entreprises, celles qui emploient jusqu'à deux cent cinquante salariés. Là, nous démarrons avec un nouveau seuil, celui de vingt salariés. Les entreprises comptant de vingt à mille salariés auront d'énormes difficultés à appliquer ce texte et les négociations seront sans doute moins positives que ne le dit le Gouvernement.
J'en arrive à mon second argument.
Nous nous sommes placés, tout au long du débat, que ce soit au Sénat ou à l'Assemblée nationale, dans une espèce de dialectique curieuse, qui m'étonne toujours : la loi doit jouer un rôle moteur dans l'accélération des négociations syndicales... à cause des caractéristiques du patronat français... de son retard intellectuel, etc. Mais chaque fois qu'un problème difficile surgit, il convient de s'en remette à la jurisprudence établie par la chambre sociale de la Cour de cassation !
M. Gérard Braun. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ainsi, pour la définition du travail effectif, le législateur est renvoyé aux conclusions des travaux de la chambre précitée !
Nous sommes dans une culture totalement juridique : le loi d'un côté, qui doit déclencher, et la jurisprudence de l'autre, qui doit préciser.
Or nous sommes confrontés à une compétition économique, industrielle et de services qui est aujourd'hui mondialisée. Le plus important, c'est l'offre et la demande de produits et de services sur le marché, ce sont les coûts et la possibilité de créer des emplois dans les technologies nouvelles, dans les services marchands, dans les secteurs qui peuvent se développer, et l'on raisonne toujours en termes de loi et de jurisprudence, pour des secteurs anciens, comme si nous n'étions pas soumis à une accélération formidable du développement et du changement des produits, des métiers, des entreprises et des technologies.
Cette espèce de divorce qui a dominé tous les débats m'étonne. Cela risque de se traduire, monsieur le ministre, avec le problème du temps réduit qui figure dans le texte, par des insuffisances et des échecs des négociations qui vont s'ouvrir.
Ces négociations - M. Souvet l'a rappelé - vont bloquer sur le problème du SMIC. J'ai noté que certaines organisations syndicales, ou certains dirigeants syndicaux, souhaitent que le SMIC soit immédiatement majoré de 11,2 % ; d'autres, au contraire, estiment qu'il faudrait aller un peu moins vite. Quoi qu'il en soit, c'est une contrainte formidable puiqu'elle va dominer l'ensemble de la négociation.
S'agissant du contingent d'heures supplémentaires, c'est l'inconnu.
Quant au problème du temps partiel, le souci moralisateur - la protection des catégories les plus fragiles, etc. - va se traduire par la réduction du recours au temps partiel.
Ces trois éléments ne sont pas favorables à l'ouverture et, surtout, à la bonne conclusion des négociations.
Il reste que le Gouvernement a tenu absolument à traduire dans un texte l'engagement qu'il avait pris devant les électeurs. C'est bien du point de vue de la morale politique, mais j'ai peur que cela ne soit inefficace du point de vue des effets économiques.
Je pense que le texte qui nous arrive en troisième lecture est davantage le ciment de la majorité plurielle que l'amorce d'une modification profonde des rapports sociaux dans notre pays.
Monsieur le ministre, il reste au Gouvernement un an et demi pour proposer les dispositifs d'ajustement qui seront nécessaires du fait des divergences de positions au sein des organisations syndicales. Tous ceux qui ont participé aux auditions auxquelles nous avons procédé ont parfaitement compris les différences considérables qui pouvaient exister entre les positions de la CGT et de FO, d'un côté, et celle de la CFDT, de l'autre. Les négociations seront donc difficiles.
Il reste à espérer que, confronté à la modération salariale, qui est l'une des conditions fondamentales de la création d'emplois, le Gouvernement, lorsqu'il préparera le deuxième texte, celui qui permettra de mettre au point les modalités d'application, reviendra à la réalité et s'écartera des mythes et de l'idéologie.
Aujourd'hui, en troisième lecture, il nous appartient de prendre date et de montrer que le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale n'a pas la moindre chance de susciter des créations d'emplois tant il est mal « fagoté », tant il est étranger aux préoccupations des chefs d'entreprise.
Mes chers collègues, espérons qu'après un certain nombre de mois de négociation le Gouvernement retrouvera le chemin du réalisme. Je l'espère pour la baisse du chômage et le développement de notre pays. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur la motion n° 1 ?
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de ce débat qui, d'une certaine manière, a lieu dans un climat plus apaisé que celui que l'on aurait pu connaître en 1993. En effet, beaucoup de choses ont évolué depuis cette campagne des élections législatives qui voyait les uns et les autres s'opposer d'une manière plus radicale sur cette idée de réduction du temps de travail.
Depuis, c'est vrai, il y a eu la loi quinquennale et un certain amendement Chamart.
Depuis, c'est vrai, il y a eu la campagne des élections présidentielles et un fameux discours social tenu par Jacques Chirac, alors candidat à l'élection présidentielle, à la porte de Versailles, qui évoquait la réduction du temps de travail.
Depuis, c'est vrai, il y a eu la loi Robien, qui montrait que cet instrument visant à permettre la création d'emplois n'était plus un argument d'opposition farouche entre les uns et les autres, mais que celles et ceux qui avaient dénié à la gauche l'idée de pouvoir se servir de cet instrument en revenaient à des positions plus raisonnables sur ce sujet de la réduction du temps du travail.
Aujourd'hui, à l'occasion de cette nouvelle lecture, nous constatons des différences entre la droite et la gauche dans la manière d'appréhender la réduction du temps de travail. C'est un bien pour la démocratie.
Mais je relève, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, que vos arguments pourraient être présentés de manière tout à fait différente.
Pour ce qui est de la position de la Commission européenne, je tiens à vous donner lecture d'un extrait du rapport économique de 1998 qu'elle a adopté récemment, le 25 février 1998 :
« Toutefois, la mise en oeuvre de mesures spécifiques de réduction du temps de travail au niveau microéconomique ne doit pas être exclue pour autant, si cette réduction est justifiée par les conditions locales et si elle est négociée par les partenaires sociaux.
« Dans ce contexte, certaines initiatives suggèrent que des mesures qui combinent, d'une part, une réduction du temps de travail accompagnée de créations d'emplois avec, d'autre part, des avantages fiscaux donnent des résultats positifs. »
Je ne demande pas à des technocrates d'émettre un autre jugement sur le texte que nous vous proposons aujourd'hui. En outre, mesdames, messieurs les sénateurs, comme d'autres, je dirai qu'en dehors de l'approche des membres de la Commission et des décisions prises par un certain nombre de fonctionnaires à Bruxelles, il faut que le politique existe.
Ainsi, suivant l'exemple de M. le Président de la République, qui a su faire entendre la voix de la France pour s'opposer à un certain nombre de nominations technocratiques à la Banque européenne, j'ai tendance à dire qu'à côté des analyses ou des décisions des technocrates il est bon que les responsables politiques occupent leur place et indiquent la direction qu'ils souhaitent suivre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai la faiblesse de penser que, dans ce combat, le Gouvernement français n'est pas isolé.
Voilà quelques semaines, je me suis rendu en Italie, à l'invitation de M. Romano Prodi. A cette occasion, je me suis rendu compte que, grâce à un climat social différent, les organisations syndicales et patronales ayant l'habitude de négocier ensemble, il a leur été possible de se rencontrer, de discuter et d'aboutir à une approche commune sur la réduction du temps de travail.
Il convient également de relever la démarche des organisations syndicales allemandes, qui ont inscrit à l'ordre du jour pour les années 2000 la réduction du temps de travail à 32 heures et la semaine de quatre jours.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans ce grand et beau combat, le Gouvernement français n'est pas isolé.
Je traiterai maintenant de la grande question, à savoir de la répercussion d'une telle décision sur les entreprises françaises et sur les résultats économiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il n'est guère dans mes habitudes d'appeler la Bourse à la rescousse. Il n'en demeure pas moins que je ne pense pas que, si les capitalistes de tous bords, les fonds de pension américains notamment, avaient l'impression que l'économie française est sur le point de s'écrouler, nous aurions, comme nous l'avons fait hier, enregistré un record historique du CAC 40.
M. Jean Chérioux. Il ne s'agit pas des PME, il s'agit là de grosses entreprises !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. Je ne crois pas que ce soient simplement les grosses entreprises. Il suffit de regarder ce qui se passe sur le second marché, où des entreprises connaissent aujourd'hui des résultats également exceptionnels. Mais laissons la Bourse, si vous le voulez bien, pour appeler à la rescousse, afin de vous donner l'envie de soutenir ce texte, le rapport du FMI, un rapport qui tient compte des 35 heures.
Les prévisions du FMI pour 1999 retiennent, pour l'ensemble des pays industrialisés du G7, une croissance de 2,2 % et, pour la France, une croissance de 3 %.
Croyez-vous réellement, mesdames, messieurs les sénateurs, que si les prévisionnistes pensaient que le texte que j'ai l'honneur de défendre aujourd'hui devait avoir les conséquences néfastes qu'un certain nombre d'entre vous ont décrites, ils pronostiqueraient une croissance de 3 % pour la France, qui correspond également à un record historique ?
Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne me flatte pas plus qu'il ne le faudrait de ce record historique envisagé. En effet, malgré ces 3 % de croissance, le chômage resterait à un niveau trop important. Nous savons effectivement les uns et les autres que, si nous devions attendre les effets de la seule croissance pour réduire le nombre de demandeurs d'emploi, cela demanderait des dizaines d'années, ce qui n'est pas supportable dans un pays qui compte entre 3 millions de chômeurs et 5 millions d'exclus. C'est pour cette raison que le Gouvernement a déposé ce projet de loi, pour cette raison essentielle, au-delà de la parole donnée ou des engagements pris dans le cadre des accords de la majorité plurielle.
Donc,non seulement ce texte n'est pas condamné par les différents observatoires internationaux, non seulement ce texte ne nous isole pas sur le plan international, mais, parce qu'il va permettre de reprendre le chemin de la négociation dans les entreprises, il sera un formidable outil de modernisation de la démocratie sociale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, profitant de la célébration du trentième anniversaire de mai 1968, je voudrais vous faire remarquer que, selon notre tradition, hélas ! - c'est culturel, je ne pense pas que ce soit par manque d'intelligence de la part du patronat - les grandes avancées sociales négociées par les partenaires sociaux, les syndicats et le patronat, se réalisent à l'occasion de grandes ruptures de la société française.
Depuis les accords de Grenelle et mai 1968, quels sont les grands textes sociaux, quelles sont les grandes avancées sociales qui ont abouti par la négociation ? On peut les compter sur les doigts d'une seule main. Il a dû y avoir un ou deux textes sur la formation professionnelle !
C'est pour tenir compte de cette spécificité française que nous avons souhaité, par ce projet de loi, donner une impulsion au débat qui doit avoir lieu entre organisations syndicales et patronat.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant qu'ancien membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et, aujourd'hui, en tant que membre du Gouvernement, je fais partie des élus de gauche qui se veulent pragmatiques.

Si le CNPF avait présenté une proposition de négociation, un calendrier de négociations, un texte, aux organisations syndicales, je fais partie de ceux qui auraient bien volontiers accepté de se passer de ces longues séances à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Mais, devant le blocage complet de la négociation salariale et sociale dans notre pays, le législateur a dû prendre ses responsabilités.
Selon moi, avec ce texte, le Gouvernement commet un bel acte de relance de la négociation dans les entreprises. Les négociations vont en effet devoir reprendre entre le CNPF et les organisations syndicales !
Monsieur le président de la commission, tout à l'heure, vous avez fait allusion au délai de mise en application de la loi. D'une certaine manière, ce délai sera proche de deux ans. En effet, les chefs d'entreprise, les directeurs des ressources humaines qui suivent les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat les annonces du Gouvernement et savent, finalement, depuis le 10 décembre dernier...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Bien sûr !
M. Claude Bartolone, ministre délégué. ... à quelle sauce les relations sociales vont être accommodées ! (Sourires.) Et bon nombre d'entre eux ont d'ores et déjà engagé cette réflexion. Ce délai de deux ans, en fait, devrait leur permettre d'aboutir dans de bonnes conditions.
Monsieur Descours, vous avez évoqué la fonction hospitalière. Bien entendu, il faudra que le Gouvernement fasse coïncider dans le temps la négociation qui doit avoir lieu dans la fonction hospitalière publique avec celle qui interviendra dans la fonction hospitalière privée.
Vous avez noté, comme moi, que les fédérations représentatives de ce secteur ont publié un certain nombre de communiqués annonçant qu'elles allaient entamer les négociations sur la réduction du temps de travail. Il faudra à la fois suivre l'avancée de ces négociations d'une manière très précise et être en mesure de faire face à cette nécessaire réduction du temps de travail dans la fonction hospitalière publique, en en tirant toutes les conséquences comptables.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je tenais à apporter.
Avant d'achever mon propos, je tiens à dire quelques mots sur la jurisprudence, pour répondre à M. le président de la commission.
Monsieur Fourcade, je ne suis pas de ceux qui estiment que les députés et les sénateurs doivent mettre les pouces en ce qui concerne la rédaction de la loi. Toutefois, lorsqu'une jurisprudence est acceptée par tous, lorsqu'une jurisprudence a réussi à dégager des règles reconnues par tous, pourquoi se priver du plaisir de dire : puisque chacun se reconnaît dans cette position, cette position devient la loi ?
Je remercie les orateurs qui se sont exprimés à l'occasion des différentes lectures pour la qualité de leurs interventions. Celles-ci ont en effet permis - j'ai eu l'occasion de le faire remarquer dans mon intervention liminaire - de faire progresser un certain nombre de positions, celles du Gouvernement comme celles qui se sont dégagées à l'Assemblée nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi tient donc compte d'un certain nombre de réflexions qui ont été émises par la Haute Assemblée, mais aussi de la jurisprudence élaborée par les plus hautes instances et du débat politique qui a eu lieu depuis 1993 dans ce pays. Nos travaux permettront au patronat et aux organisations syndicales de disposer d'un outil de modernisation du débat social dans les entreprises et d'un bel instrument en faveur de l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, interrogés pour la CFDT par l'institut BVA, les Français, largement convaincus que les 35 heures sont une bonne chose, tant pour la qualité de vie, la création d'emplois et les conditions de travail que pour les relations sociales dans l'entreprise, qualifient tour à tour ce projet de loi d'ambitieux, pour 65 %, de nécessaire, pour 64 %, de réaliste, pour 55 %, mais aussi d'efficace, pour 51 %.
Si la perspective des 35 heures soulève l'engouement dans l'opinion publique, à l'opposé, l'annonce du projet de loi a soulevé une véritable guerre des tranchées entre le Gouvernement et la droite parlementaire, véritable relais du CNPF.
Ayant pour seule référence idéologique le dogme de la rentabilité, les dirigeants du CNPF, dès le 10 octobre dernier, se sont véritablement « bloqués », refusant par principe d'envisager la réduction du temps de travail. Selon les propos de M. Seillières, son organisation a fait du « social défensif ».
Pour déstabiliser le Gouvernement et semer le doute dans l'esprit des Français, le CNPF a mené une campagne alarmiste en usant d'arguments fallacieux.
Dangereuses pour notre économie, selon M. Seillières, les 35 heures seraient une aberration.
En fait, ce projet de loi dérange ces messieurs parce que, indirectement, il pose la question cruciale de la répartition équitable des richesses au sein de l'entreprise entre profits et salaires.
Pour l'année 1997, le retour à la croissance a d'abord profité aux entreprises, la situation florissante de celles-ci induisant une augmentation de la rémunération de leurs actionnaires. C'est cette part-là que le CNPF entend préserver !
Je rappelle à ce propos que les cours de la Bourse ont explosé ces dernières heures, le CAC 40 dépassant les 4 000 points.
Se servant des dénonciations en cascade de conventions collectives, le patronat tente de peser, d'infléchir la volonté du Gouvernement. Il souhaite des ouvertures afin de négocier au rabais la réduction du temps de travail en faisant accepter aux salariés de nouvelles concessions empreintes de toujours plus de précarité.
C'est contre ces multiples tentatives que les parlementaires communistes ont entendu s'élever tout au long des débats.
Aujourd'hui encore, je tiens à dénoncer l'attitude de cette droite qui, après avoir proposé un contre-projet de loi, « Robien bis », que le groupe communiste républicain et citoyen avait rejeté tant en première qu'en deuxième lecture, use d'artifices de procédure pour marquer son opposition à votre texte, monsieur le ministre.
Les arguments développés au nom de la commission par M. le rapporteur ressemblent à ceux qui ont déjà été avancés, et combattus avec force par notre groupe, par MM. Arthuis et Gournac à propos de la constitution de la pseudo-commission d'enquête.
Ils relèvent de la même logique que ceux qui ont été développés récemment par les députés de l'UDF et du RPR soutenant leur motion de censure contre la politique économique du Gouvernement.
Que ce soit pour la mise en place des emplois-jeunes ou la concrétisation des 35 heures, le clivage droite-gauche n'est pas nouveau.
Au nom du groupe communiste républicain et citoyen, je ne vais pas reprendre toutes les objections que nous avons pu élever contre votre conception de réduction-aménagement du temps de travail.
Souscrivant pleinement au dispositif innovant prévu par le projet gouvernemental, nous sommes intimement convaincus qu'il existe une alternative sérieuse au courant de pensée ultralibérale sous-tendant votre proposition.
Par conséquent, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre la motion présentée au nom de la majorité des membres de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens de nouveau à saluer, à l'occasion de cette nouvelle lecture, le travail effectué par notre excellent collègue Louis Souvet, rapporteur, et par la commission des affaires sociales. Il faut souligner la qualité du texte qui avait été élaboré, qui faisait prévaloir le dialogue social et une réducation négociée et équilibrée de la durée effective du temps de travail.
Dans ces conditions, comment ne pas regretter le peu d'écoute que l'Assemblée nationale a réservé aux propositions du Sénat ? Certaines d'entre elles étaient pourtant manifestement dictées par le bon sens ; je pense en particulier à la rédaction de l'article 4 bis, relatif à la définition du temps de travail effectif, qui ne faisait d'ailleurs que reprendre les termes de la directive européenne.
Pourquoi l'Assemblée nationale a-t-elle refusé absolument de se rallier à la rédaction proposée par le Sénat ? On peut se le demander.
S'agissant du reste du projet de loi, je réaffirme, au nom de mon groupe, notre hostilité totale à une réduction uniforme, généralisée et autoritaire de la durée du travail. En effet, c'est bien de cela qu'il s'agit, monsieur le ministre, et non pas de l'hypothétique consensus européen que vous avez évoqué tout à l'heure. Il n'y a jamais eu consensus à l'extérieur de nos frontières sur une réduction uniforme, généralisée et autoritaire du temps de travail.
Les conséquences d'une telle disposition sur notre économie sont réellement à craindre, ainsi que l'illustrent plusieurs études émanant d'organismes dont la réputation est incontestée.
Vous avez invoqué tout à l'heure le FMI. Mais le FMI a dit combien la mise en place des 35 heures lui semblait dangereuse et risquait d'aggraver - j'insiste sur ce mot - la situation de la France !
S'agissant de la Commission européenne, qui a été citée à de nombreuses reprises, le texte auquel vous vous être référé n'est pas celui qui a été évoqué par nos collègues, qui est un texte tout récent, sorti aujourd'hui seulement dans la presse !
Je souhaiterais qu'au moins, monsieur le ministre, vous vous référiez aux bonnes citations !
La Commission européenne a bien indiqué qu'elle n'était pas favorable au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Les premiers effets de celui-ci se font d'ailleurs déjà sentir au regard de la frilosité qui entoure les négociations salariales au sein des entreprises, et c'est là que réside le grand problème : vous prétendez que le présent projet de loi est de nature à provoquer la négociation salariale, nous, nous craignons qu'au contraire il ne la freine, car nous sommes pour la négociation salariale si nous ne sommes pas, je le répète, pour une solution autoritaire comme celle que vous nous proposez !
Nous l'avons répété maintes et maintes fois : non seulement ce texte ne créera pas, globalement, de nouveaux emplois pour les chômeurs - dans la meilleure des hypothèses il n'en détruira pas plus qu'il n'en créera - mais encore il créera une pression sur la qualié des conditions de travail des salariés dans la mesure où les entreprises voudront préserver leur compétitivité, c'est-à-dire leur survie, c'est-à-dire les emplois.
Ce texte mesure va également totalement à l'encontre des échéances de la France dans la construction européenne, dans la mondialisation croissante, et cela vous le savez très bien, malgré les déclarations que vous avez faites tout à l'heure.
En outre, bien des incertitudes demeurent concernant l'existence d'un monstre économique, le double SMIC, mais aussi quant à la pénalisation du travail à temps partiel - donc de ceux qui avaient fait ce choix de vie, qui sera vite insupportable - sur lequel Mme Heinis a fait un exposé particulièrement intéressant.
Enfin, il n'est pas dit de quelle façon les entreprises vont pouvoir, dans certains cas, supporter un surcoût de 11,40 % de leur masse salariale.
La lutte contre le chômage passe pour nous par la baisse du coût du travail peu qualifié, ainsi que la majorité sénatoriale le suggère dans une proposition de loi déposée récemment, mais également par l'amélioration de la formation professionnelle, par la disparition des lourdeurs administratives et surtout par la croissance.
Et heureusement - heureusement pour vous, monsieur le ministre, heureusement pour la France ! - la croissance est au rendez-vous.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, le groupe du RPR votera la motion visant à opposer la question préalable déposée par l'excellent rapporteur de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1 tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que l'adoption de cette motion aurait pour effet d'entraîner le rejet du projet de loi.

(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.

4

RETRAIT DE L'ORDRE DU JOUR
D'UNE QUESTION ORALE SANS DÉBAT

M. le président. J'informe le Sénat que la question orale sans débat n° 233 de M. Louis Minetti est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi 19 mai 1998.

5

COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE
DE PROPOSITIONS D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 7 mai 1998, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E 1001 - « Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen relative au traitement des anciens pays n'ayant pas une économie de marché dans les procédures antidumping et proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement CE n° 384/96 du Conseil. Proposition de règlement CE du Conseil portant modification du règlement CE n° 384/96 du Conseil relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 27 avril 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1037 - « Proposition de règlement CE du Conseil fixant les règles générales pour l'importation d'huile d'olive originaire de Tunisie » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 27 avril 1998 ;
- la proposition d'acte communautaire E 1056 - « Projet de règlement CE concernant la réduction de certaines relations économiques avec la République fédérale de Yougoslavie » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 27 avril 1998.

6

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de MM. Charles de Cuttoli, Paul d'Ornano et Mme Paulette Brisepierre une proposition de loi tendant à compléter la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 en matière de communication audiovisuelle extérieure de la France.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 425, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

7

DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1999 - volume 5, section IV - Cour de justice.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1062 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1999 volume 6, section V - Cour des comptes.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1063 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement CE du Conseil modifiant le règlement CE n° 2505/96 du Conseil portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits industriels et agricoles.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1064 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement CE, CECA, Euratom du Conseil modifiant le règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget général des Communautés européennes.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1065 et distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement CE du Conseil modifiant l'annexe du règlement CE n° 1255/96 du Conseil portant suspension temporaire des droits temporaires autonomes du tarif douanier commun sur certains produits industriels et agricoles.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1066 et distribuée.

8

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Claude Huriet, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Le rapport sera imprimé sous le n° 426 et distribué.

9

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 13 mai 1998, à quinze heures :
1. Discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 404, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, instituant une commission consultative du secret de la défense nationale.
Rapport (n° 422, 1997-1998) de M. Nicolas About, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Aucun amendement n'est plus recevable.
2. Discussion de la proposition de loi (n° 375, 1997-1998), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la détermination des conditions juridiques de l'exercice de la profession d'artisan boulanger.
Rapport (n° 417, 1997-1998) de M. Jean-Pierre Raffarin, fait au nom de la commission des affaires économiques et du plan.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Aucun amendement n'est plus recevable.

Délais limites pour les inscriptions de parole
dans la discussion générale
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux (n° 409, 1997-1998) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 18 mai 1998, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 18 mai 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Préparation de la prochaine rentrée scolaire
dans les écoles élémentaires du département de la Somme

257 rectifiée. - 11 mai 1998. - M. Pierre Martin souhaite interroger Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire sur l'évolution des postes d'enseignants pour les classes élémentaires dans le département de la Somme envisagée pour la future rentrée scolaire et sur les répercussions de cette situation, qui risque d'altérer la qualité de l'enseignement fourni aux enfants.

Statut des élus de l'assemblée de Wallis-et-Futuna

272. - 11 mai 1998. - M. Basile Tui appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer sur la nécessité de réexaminer le statut des élus de l'assemblée territoriale du territoire de Wallis-et-Futuna. Il lui rappelle notamment, qu'une vertu de l'article 12 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, conférant aux îles de Wallis-et-Futuna le statut de territoire d'outre-mer, l'indemnité de fonction allouée aux membres de cette assemblée ne peut se cumuler avec le traitement de fonctionnaire ou d'agent des services publics en activité de service ou en service détaché. Il lui indique que cette situation est difficilement comparable à celle des conseillers généraux de métropole et des départements d'outre-mer. Il lui demande, en conséquence, s'il ne serait par opportun d'envisager de mettre un terme à cette différence de traitement entre élus du territoire et élus de la métropole ou des départements d'outre-mer en ce qui concerne l'établissement et le calcul de leurs indemnités.

Projets d'armement du Gouvernement

273. - 11 mai 1998. - M. Franck Sérusclat souhaite interroger M. le ministre de la défense sur les projets du Gouvernement en matière d'armement. Récemment, le Siroco , bateau vitrine de la technologie française, est parti pour une tournée de démonstration ayant des perspectives commerciales d'exportation de l'armement français. Quelles sont les conséquences positives imaginables, sur le plan de la paix, de la poursuite de ces projets d'armement ? Le ministre ne considère-t-il pas que la sécurité des Etats aujourd'hui passe plus par des réponses aux problèmes d'inégalités de développement, d'atteintes à la démocratie ou à la dignité humaine ?

Forces de sécurité publique dans le département de l'Hérault

274. - 11 mai 1998. - M. Gérard Delfau attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'inquiétude suscitée par le rapport au Premier ministre sur « une meilleure répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure sécurité publique ». S'agissant de l'Hérault, elle s'est cristallisée sur le devenir du commissariat de police de Pézenas et, dans une moindre mesure, de celui de Frontignan, même si beaucoup d'autres questions au fond sont posées par ce département, au 6e rang en termes de délinquance et au 66e rang pour la dotation en forces de sécurité (gendarmerie et police nationale). Le contraste est saisissant. Pour en revenir à Pézenas, il rappelle que le ministre lui-même vient d'annoncer au maire, par un courrier du 31 mars 1998, « l'arrivée d'un officier de police » au 1er juin prochain, avec ce commentaire : « le taux élevé de délinquance justifie qu'une attention particulière soit portée à la situation de cette circonscription de sécurité publique ». Simultanément, l'annonce par voie de presse d'une possible disparition du commissariat et de son transfert à la gendarmerie a plongé les élus dans la stupéfaction, d'autant que la discussion en cours d'un contrat local de sécurité a fait apparaître une flambée de la délinquance en 1996 après dix ans de croissance et une légère diminution en 1997 (- 0,84 %). Faut-il casser l'outil qui fait reculer la violence et les petits délits ? Faut-il appliquer aveuglément des critères purement démographiques dans le répartition entre police et gendarmerie sur le territoire ? La connaissance du terrain des policiers, la culture spécifique d'une commune très touristique dotée de quatre lycées (4 000 scolaires, en tout) ne sont-ils pas à prendre en compte ? Aussi il lui demande quelle procédure il compte mettre en oeuvre pour engager une discussion loyale avec les élus avant toute décision prématurée.

Avenir des écoles de puériculture

275. - 11 mai 1998. - Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur la situation des écoles de puéricultrices. La baisse constante des financements gouvernementaux qui leur sont attribués (de 8 003 francs constants de subvention par élève en 1983 à 6 000 francs constants en 1996) les met en danger et a pour conséquence une inégalité d'accès à la formation ainsi qu'une diminution du nombre des candidates. En effet, de nombreuses écoles sont dans l'obligation soit de demander des frais de scolarité à leurs étudiants, soit à en transférer la charge financière sur les organismes gestionnaires dont elles dépendent. Rompre avec cette logique ce serait remplir les objectifs ambitieux du Gouvernement en matière de santé publique, et notamment de prévention. Pour toutes ces raisons elle lui demande ce qu'il compte faire afin d'assurer la gratuité des études de puériculture et créer des postes supplémentaires de puéricultrices.

Concours d'accès aux écoles vétérinaires

276. - 12 mai 1998. - M. Philippe Madrelle appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur les conséquences de l'arrêté du 6 février 1998 portant ouverture en 1998 de concours pour l'admission de candidats aux écoles vétérinaires. Cet arrêté a fixé le 31 mars 1998, soit un mois avant le début des épreuves, des quotas de places réservées aux élèves de chaque catégorie. Outre cette modification soudaine de règles, qui intervient à un mois des épreuves, cet arrêté crée une inégalité d'accès au concours entre les élèves qui se présentent pour la première fois au terme de deux années de préparation et ceux qui se présentent pour la seconde fois. En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui préciser s'il n'envisage pas de supprimer ces quotas.