Séance du 1er octobre 1998






allocution du président d'âge

M. le président. Mes chers collègues, c'est la première et dernière fois que je suis à cette place. J'ai appréhendé ce moment, car je mesure l'immense honneur qui m'est fait, même s'il est tout à fait involontaire, de la part des autres comme de moi-même, puisque je le dois uniquement au bénéfice de l'âge, selon l'expression si impropre mais consacrée.
Mais j'ai aussi constaté que le privilège de l'âge, comme l'on dit, donne parfois une liberté de ton et de parole que j'ai appréciée.
En premier lieu, je souhaiterai la bienvenue à nos nouveaux collègues du Sénat de la République. Cette maison ira au-delà de leurs espérances. Ils y trouveront au moins trois choses.
Tout d'abord, ils y trouveront le talent. Quand le talent est associé à la fois à la conviction et à la compétence, il se passe quelque chose d'exceptionnel. Un silence se fait autour de l'orateur, un voile enveloppe l'hémicycle et ouvre la voie à ce qu'il faut bien appeler l'admiration. Ces moments existent, et j'espère que, comme moi, vous les savourerez, mes chers collègues.
Il y a eu, et il y aura encore, de grands personnages au Sénat. Ne voulant pas en dresser une liste trop longue et nécessairement incomplète, je ne nommerai que les présidents Monnerville, Poher et Monory. J'en profite aussi pour saluer nos anciens collègues qui ne retrouveront pas l'hémicycle qu'ils ont, comme moi, apprécié. Souvenons-nous que tous ces hommes avaient choisi le Sénat pour s'exprimer.
Puisque nous sommes à quelques pas du Panthéon, le Sénat peut leur être reconnaissant d'avoir porté si loin la fonction politique. Qu'ils acceptent les hommages des sénateurs ici présents. C'est d'abord eux, ou leurs successeurs de même trempe, que verront nos nouveaux collègues. Si je les évoque, c'est pour faire comprendre que la place à leur côté n'est pas toujours facile à prendre. Nous sommes un certain nombre à avoir moins l'expérience des tribunes ou des maniements d'idées, à ne posséder ni le verbe ni l'éloquence et, par conséquent, à avoir quelques réticences à prendre la parole dans cette enceinte chargée d'histoire.
La deuxième chose que nos nouveaux collègues trouveront au Sénat, c'est la modernité.
Le Sénat est une assemblée moderne. L'impulsion de notre président a été déterminante dans cette modernisation, notamment dans les nouvelles technologies d'information et de communication.
S'il fallait une preuve de cet élan, je conseillerai à tous d'aller visiter une exposition remarquable qui se tient au musée du Luxembourg, une exposition à base d'images « Média Sénat » : le Sénat sur écran, le Sénat interactif, comme l'on dit aujourd'hui, avec un mini-hémicycle et des murs d'images impressionnantes. J'adresse toutes mes félicitations à ceux qui ont conçu cette exposition.
La troisième chose que les nouveaux sénateurs découvriront, c'est le dévouement et la compétence de nos collaborateurs. Mes remerciements s'adressent à tous les fonctionnaires qui nous entourent, nous conseillent et nous aident avec une compétence remarquable. Je remercie aussi nos assistants, nos collaborateurs au positionnement difficile, mais dont nous ne saurions plus nous passer.
Voici donc ce que nos nouveaux collègues découvriront : talent, modernité, compétence, au service de la démocratie parlementaire.
Je terminerai en leur soufflant quatre conseils.
Le premier porte sur les nouvelles technologies.
Je me suis senti trop âgé pour m'initier au maniement de l'ordinateur et d'Internet, mais j'en ai fait profiter mes collaborateurs. Toutefois, ce qui m'est apparu comme inaccessible doit faire partie de votre quotidien, mes chers collègues. Il est impératif de ne pas laisser se creuser un fossé entre le représentant et les représentés, les élus et les électeurs, notamment les jeunes. Je sais que quelques sénateurs - je pense à MM. Laffitte et Trégouët - sont des internautes ; ce sont eux qui ont raison. Je dis donc aux nouveaux sénateurs, quel que soit leur âge : « Allez vers la modernité ! »
Le deuxième conseil concerne le cumul des mandats. (Ah ! sur les travées socialistes.)
Même si la vie politique m'a conduit à me retirer successivement de mes mandats locaux, j'ai été, comme certains d'entre vous, maire, président de conseil général, sénateur. Il serait imprudent de ne pas faire un geste, et je suis certain que le Sénat le fera. Mais il serait terrible de supprimer le lien entre l'élu national et le terrain, et je sais que le Sénat le garantira. Il ne faut ni blocage ni crispation. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Le troisième conseil a trait à la dispersion.
Mettre fin au cumul ne supprimera en rien le risque de dispersion, car cette maison est extrêmement riche en événements. Il se passe toujours quelque chose entre la séance publique, les réunions de groupe, les réunions de commission, les réunions de groupes d'étude et d'amitié, les commissions d'enquête et les missions d'information. Il n'y a pas beaucoup d'autres lieux où tout soit possible, dans un espace si réduit : les auditions de ministres, de présidents ou des plus hauts responsables d'entreprises publiques ou privées, de tous les secteurs.
Le Sénat est une fourmilière. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Michel Charasse. Une grenouillère !
M. le président. Gare aux tentations et aux dispersions ! Je voudrais conseiller aux nouveaux sénateurs d'avoir un cheval de bataille, un thème de prédilection dans lequel ils deviendront de vrais spécialistes, avec, au maximum, deux à trois selles de rechange, des domaines d'intérêt dans lesquels ils s'investiront. Au-delà, c'est pure folie.
Le quatrième conseil vise l'Europe.
Comme beaucoup d'autres ici, je ne me suis pas assez investi sur les questions européennes. Je vais profiter de cette liberté de ton que donne l'âge, mes chers collègues, pour vous dire que c'est impardonnable. Nous sommes tous coupables de cette situation, et j'aimerais que les nouveaux sénateurs soient, sur ce point, radicalement différents.
N'importe quel observateur pourrait se rendre compte du décalage considérable entre un débat sénatorial sur les collectivités locales, débat précis au cours duquel chacun déjoue les pièges de l'autre, et un débat européen, qui reste souvent, convenons-en, généraliste et superficiel. Nous tournons en rond. Nos connaissances restent, au mieux, approximatives. Une mécanique se met alors en place. L'Europe paraît lointaine et compliquée. Dès lors, faute d'avoir fait cet effort indispensable, nous abandonnons l'Europe aux experts, puis nous critiquons ces derniers, alors que les premiers responsables, c'est vous, c'est nous. Nous allons à Bruxelles comme, autrefois, les collégiens allaient voir leur instituteur, la tête basse. Nous y allons peu assurés et nous rentrons plus penauds encore. Mais les premiers responsables ne sont ni les textes ni les technocrates de Bruxelles ; ce sont ceux qui n'ont pas fait l'effort de les lire ou de les comprendre.
Tout reste à faire dans ce domaine.
J'en ai terminé. C'est la première et la dernière fois que je prends la parole à cette tribune présidentielle. Alors, si je devais définir en une phrase le Sénat, je vous dirais que c'est l'expérience au service de la démocratie moderne.
Quand l'âge avance, on goûte avec émotion ces petits moments d'éternité.
J'ai essayé d'être à la hauteur de l'événement et de transformer cet honneur qui m'est fait en un simple moment de bonheur d'homme. Ce sera certainement l'un des derniers de ma carrière politique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)

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