Séance du 15 décembre 1998







M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, auteur de la question n° 369, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le ministre, l'extrême vigueur des réactions des associations de professeurs de classes préparatoires m'interpelle. Elle m'incite, à un moment où l'ensemble du corps enseignant se sent vivement touché par vos remarques, à vous interroger sur l'opportunité de minimiser les épreuves des concours, de diminuer la rémunération des heures d'interrogation orale et d'écrêter de 17 % le montant des heures supplémentaires, dont chacun sait qu'elles n'ont de « supplémentaires » que le nom puisque ce sont des raisons d'ordre structurel qui rendent cette catégorie d'enseignants chevronnés grands « consommateurs » de ces heures que je qualifierai plutôt de complémentaires.
Est-il utile, sous couvert de solidarité avec les emplois-jeunes, que votre ministère finance grâce à cette ponction, de démotiver ces professeurs davantage encore, alors qu'augmenter le nombre des emplois-jeunes est une mesure de caractère éphémère puisque c'est différer le problème de cinq années sans le résoudre ?
Monsieur le ministre, vous avez dit : « Vous ne trouverez jamais dans ma bouche des propos agressifs à l'endroit des professeurs de classes préparatoires. » Je vous en donne acte. « Leurs programmes ont beaucoup évolué sous l'impulsion de M. Lionel Jospin, alors ministre de l'éducation... Ces enseignants font un travail bien difficile et souvent ils meurent jeunes, mais les attaques contre les classes préparatoires sont un fantasme. » Pour travailler dans ce milieu, j'ai une perception particulière de ces fantasmes ! « La seule question qui se pose est celle-ci : faut-il maintenir des classes où il n'y a que quinze élèves et qui envoient un reçu à Polytechnique tous les cinquante ans ? »
Heureusement, les classes préparatoires ne mènent pas toutes à l'Ecole polytechnique, qui ne concerne chaque année que quatre cents étudiants sur les dizaines de milliers concernés par ces concours, et comptent, chacune, en moyenne, quarante élèves !
Vos propos, monsieur le ministre, m'amènent à citer ceux de Mme Jacqueline de Romilly, qui faisait récemment allusion aux vieilles attaques contre l'élitisme en précisant qu'elle trouvait « assez amusant que l'on se refuse à encourager, à aider cet effort de perfectionnement, de formation intellectuelle qui aboutit à un concours, qui aboutit à un progrès, et qu'on fasse cela l'année même du Mondial ». Et d'ajouter : « Les gens qui entraînent ceux qui jouent, on les respecte et, à ma connaissance, on les paye. »
Il est vrai, monsieur le ministre, qu'on les porte aux nues, ces entraîneurs, et qu'à eux reviennent la considération et la gloire. Je n'ai rien à redire à cela. Mais notre souci d'excellence doit-il se limiter au ballon rond ? Sans hiérarchisation de nos valeurs, n'encourons-nous pas un penalty ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je ne voudrais pas qu'un tel débat donne lieu à trop d'amalgames et de confusion.
D'abord, je n'ai rien à envier à Mme de Romilly en ce qui concerne l'élitisme, je vous le dis nettement, et, du coup, je n'ai pas de leçon à recevoir !
En ce qui concerne les classes préparatoires, j'ai fait une chose que je crois juste : les heures supplémentaires dites annuelles, qui étaient autrefois payées sur quarante-deux semaines parce qu'il y avait quarante-deux semaines, sont maintenant payées sur trente-six semaines parce qu'il y a trente-six semaines. Cela me paraît relever d'une bonne gestion.
Grâce à cela, effectivement j'ai pu embaucher 20 000 jeunes qui étaient au chômage au travers du dispositif emplois-jeunes, et je suis content d'avoir réalisé cette opération de solidarité qui ne touche en rien les classes préparatoires.
Les classes préparatoires ne sont pas menacées, non plus que ceux qui y enseignent, qui font un travail très difficile et qui le font dans de bonnes conditions. Simplement, les professeurs concernés ne sont pas contents de voir baisser leurs émoluments.
Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, j'ai augmenté les heures supplémentaires effectives, étant entendu que les heures supplémentaires annuelles sont des heures globales.
S'agissant des concours, savez-vous, monsieur le sénateur, que la France dépense chaque année plus d'un milliard de francs pour l'organisation des concours, ce que nos principaux concurrents s'abstiennent de faire ?
L'administration de l'éducation nationale - et non pas spécialement le ministre - a donc tendance à demander aux responsables des diverses écoles de minimiser le nombre d'options, de particularités, qui augmentent les frais de manière considérable.
Quand on sait que pour recruter 200 normaliens de la rue d'Ulm on dépense plusieurs dizaines de millions de francs, on est en droit de se poser un certain nombre de questions !
Mon administration a donc adopté depuis plusieurs années, depuis le temps où M. Bayrou était ministre de l'éducation nationale, une méthode qui consiste à donner une dotation de base et à dire à ceux qui veulent complexifier les concours qu'ils doivent trouver le financement correspondant sur leurs fonds propres. C'est une méthode de gestion qui en vaut une autre !
Le problème, c'est que, les concours étant gérés par les directeurs d'école eux-mêmes, certaines initiatives ont été prises qui ne me paraissent pas heureuses. Il en est ainsi de celle qui consiste à ne corriger qu'une partie des disciplines et à décréter, sur cette base, une préadmissibilité. En effet, outre le fait que cette initiative ne fait pas faire des économies fantastiques, elle me paraît modifier les conditions du concours. Me souciant d'abord de l'intérêt des élèves, j'ai donc demandé aux directeurs d'école concernés de rapporter la mesure. Par conséquent, là encore, il n'y a pas de menaces.
En fait, il y a beaucoup de fantasmes, dus notamment au fait suivant. Pour certains concours, on compte plusieurs milliers de candidats, si bien que, contrairement à ce qui se passait avant, il y a non plus un jury mais plusieurs. Outre les problèmes de coût, le système atteint donc maintenant ses limites physiques.
Aussi, les directeurs d'école - je dis bien « les directeurs d'école », et non pas le ministère - sont-ils amenés à trouver des formules nouvelles pour faire passer les concours.
Cela n'enlève rien à l'idée que l'on se fait du concours puisqu'il s'agit simplement de modalités.
Pour ma part, je souhaite qu'il y ait davantage de concertation entre les directeurs d'école et les professeurs de classes préparatoires, car, encore une fois, dans cette affaire, le ministère n'est qu'un « marieur » en quelque sorte, et je ne voudrais pas que, pour ne pas régler des problèmes qui sont des problèmes bilatéraux, on se tourne à chaque fois vers le haut, car c'est exactement à l'opposé de ma méthode : je souhaite que les gens discutent entre eux et que le ministère s'en mêle le moins possible.
Pour ce qui est des classes qui ne comptent « que quinze élèves », on ne peut que constater que certaines classes préparatoires ne sont pas assez nombreuses. Ces classes, je ne souhaite pas les supprimer. Je souhaite, au contraire, qu'elles accueillent plus de monde, car la formation qui y est dispensée est très utile.
On m'a très souvent entendu vanter - il y a donc bien des fantasmes ! - la qualité des classes de khâgne, qui assurent une formation littéraire très large, alors que nous n'arrivons pas, à l'Université, à proposer cette formation très large dans les DEUG littéraires parce que les professeurs veulent absolument des spécialisations étroites.
Il y a donc non pas des menaces mais une certaine auto-intoxication d'un milieu quelque peu restreint qui est atteint dans son portefeuille, et qui proteste. C'est là un droit que je lui reconnais pleinement mais, pour autant, ils ne doivent pas avancer des arguments qui n'ont pas de fondement.
M. Jean-Louis Lorrain. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le ministre, je vous remercie de la tonalité de votre intervention, qui m'a touché.
Je n'avais pas du tout l'intention de donner des leçons. Croyez que je m'en garderai bien !
Je partage tout à fait votre avis sur les frais d'examen, les frais de reconnaissance de tel ou tel établissement, pour être moi-même, modestement, président du conseil d'administration d'une école d'ingénieurs.
Au travers de ma question, je voulais simplement lancer un cri. En effet, certains d'entre nous, dans notre catégorie, éprouvent parfois le besoin d'être reconnus pour être dynamisés.
Vous ne partagez pas du tout, me semble-t-il, l'idée d'un élitisme restrictif. Notre pays a besoin d'une élite, même s'il est vrai qu'il faut se soucier aussi de ceux qui n'ont pas la possibilité ou les moyens d'en faire partie.

RATIFICATION PAR LA FRANCE
DE LA CONVENTION UNIDROIT