Séance du 20 janvier 1999






LOI D'ORIENTATION AGRICOLE

Suite de la discussion d'un projet de loi,
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 18, 1998-1999) d'orientation agricole, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence. [Rapport n° 129 ; avis n°s 132 et 151 (1998-1999).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est une évidence, la discussion de ce projet de loi représente un moment de première importance pour l'agriculture française - qui est une part essentielle de l'économie du pays - mais aussi, me semble-t-il, pour une possible meilleure harmonie de notre société.
Longue série que celle des lois agricoles, vous l'avez rappelé hier, monsieur le ministre. Et après bien d'autres, ce projet de loi voulu hier et présenté aujourd'hui prend sa place à l'heure des changements entraînés par la mondialisation et qui font obligation à l'agriculture, pour le moins me semble-t-il, de disposer de points de repère.
Ces points de repère sont bien nécessaires dans le contexte européen, vous l'avez aussi rappelé, monsieur le ministre ; avec les difficiles négociations sur Agenda 2000, sur les fonds structurels entre autres. Vous avez souligné que vous aviez énoncé quelques idées simples avec une fermeté dont nous souhaitons qu'elle perdure.
Les points de repère sont nécessaires aussi dans l'optique de liens sociaux, je l'ai dit, qui doivent être renforcés entre les agriculteurs - ils sont trop souvent perçus comme les bénéficiaires de primes diverses, d'indemnités variées - et une grande partie de la société. J'ai bien entendu vos conclusions à cet égard, monsieur le ministre, à savoir une réorientation des aides, une aide à la personne et à l'exploitation. En résumé, il s'agit, me semble-t-il, de faire preuve de transparence et de moralisation.
Une première mesure apaisante à mes yeux va dans ce sens ; c'est la proposition de la commission des affaires économiques de supprimer l'article 6, dont on a pu découvrir sur le terrain combien il était source de conflit - conflit dont l'importance m'a surpris, je ne saurais le cacher - entre l'agriculture et le secteur de l'artisanat. Cette opposition est paradoxale : on a l'impression de deux lectures différentes d'un même texte ! Il me semble qu'une réflexion s'impose, car il y a là un problème que l'on ne peut éluder.
Une autre mesure est susceptible de favoriser la compréhension entre les catégories sociales. Certes, c'est une question très ponctuelle, mais elle est sensible sur le terrain : c'est la nécessaire réciprocité en matière de construction de locaux d'habitation ou professionnels à proximité de bâtiments agricoles.
Le contrat territorial d'exploitation, qui est une pièce essentielle du projet de loi, peut-il contribuer, lui aussi, à une amélioration des relations sociales ? Certes, ce n'est pas sa première raison d'être, mais ce peut être le cas, me semble-t-il, s'il s'agit de faire en sorte que le contenu du contrat proposé aux agriculteurs soit effectivement en relation avec les situations spécifiques qui existent dans les différentes petites régions agricoles. Autrement dit, il faut éviter le monolithisme, que vous condamniez hier, monsieur le ministre.
Le contrat territorial d'exploitation suscite bien souvent une grande attente, et il serait regrettable qu'il soit un échec. Il ne faudrait pas que les objectifs affichés, à savoir l'emploi, l'occupation équilibrée du territoire, la préservation des ressources naturelles, et surtout une agriculture productrice de valeur ajoutée - aspect qu'il n'est pas question de nier, avez-vous dit, monsieur le ministre - soient fâcheusement freinés par un alourdissement excessif des procédures - on a pu parler ici ou là de « contrats suradministrés » - et par un renforcement excessif du nécessaire contrôle des structures.
Surtout, il ne faut pas que fassent défaut les financements nécessaires. Tous nos interlocuteurs insistent sur ce point. A cet égard, ces derniers expriment une crainte fondamentale, car il est vrai que l'absence de financement au montant nécessaire peut être cause d'un échec regrettable.
Comment ne pas noter de ce point de vue le ferme espoir que nous avons - l'expression est faible - qu'il ne sera pas fait appel aux collectivités locales pour le financement ?
Le contrat territorial d'exploitation soulève une grande attente que l'on ne saurait décevoir, pour peu aussi, que, comme le propose la commission saisie au fond, soient bien circonscrits sa teneur et son champ d'action, ce qui n'exclut pas une nécessaire souplesse permettant une adaptation à la diversité. Comme vous l'avez dit hier encore, monsieur le ministre : vous avez bien l'intention de tirer le meilleur parti de ce qui se sera passé dans la phase de préfiguration.
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas d'évoquer bien d'autres aspects d'un projet de loi dont je redis l'importance. Je me contenterai donc de mettre l'accent sur deux points qui soulèvent des difficultés dans ma région : la politique de la montagne et l'installation des jeunes.
Dans une réponse récente à une question écrite concernant la politique de la montagne vous me rappeliez la position de la Cour de justice des Communautés européennes et vous me donniez rendez-vous à la présentation du texte en discussion aujourd'hui.
Lors du CIAT du 15 décembre dernier, le Gouvernement a manifesté son intention de remobiliser les moyens et les instruments spécifiques à la politique de la montagne.
Si la création d'une interprofession de la montagne peut constituer un outil important, je ne suis pas persuadé - c'est l'autre aspect des choses - que l'utilisation de matières premières provenant d'autres Etats de l'Union pour l'élaboration de produits transformés satisfasse grand monde.
Par ailleurs, il convient que l'objectif environnemental ne prenne pas le pas sur le caractère économique. C'est là une question de fond.
Vous avez déclaré hier qu'il n'était pas question de nier cet aspect. J'y reviens cependant aujourd'hui parce que le risque est réel, en zone de montagne plus qu'ailleurs.
Il faut faire en sorte que des moyens soient donnés pour faire face aux problèmes, tenant aux bâtiments d'élevage, à la mécanisation et à la collecte laitière. C'est particulièrement en zone de montagne.
Est-il besoin d'insister sur la difficulté de maintenir une agriculture compétitive dans les zones défavorisées ? La dotation aux jeunes agriculteurs, diluée dans celles qui sont accordées en plaine, n'a-t-elle pas perdu de son intérêt ?
Pourtant, dans les régions où la tradition le dispute fortement à la modernité, où les situations sont très diverses, c'est la venue de jeunes qui pourra confirmer la notion d'entrepreneur.
M. Gérard César. Ah oui !
M. Georges Mouly. Je ne saurais traiter de l'ensemble des mesures proposées.
Je note qu'en faveur des jeunes, vous avez parlé hier, monsieur le ministre, d'une politique ambitieuse et de dispositifs efficaces. Nous jouons là une partie essentielle et capitale. Chacun souhaite que les jeunes ne soient pas déçus ; ils sont l'avenir.
Je souhaite que cet avenir, nous le bâtissions, comme l'a dit M. François-Poncet, à partir de l'excellent travail de la commission des affaires économiques en particulier, mais aussi de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. Je tiens tout d'abord à féliciter notre collègue M. Michel Souplet pour la qualité de son rapport et la pertinence de ses observations.
Vous avez en effet su, monsieur le rapporteur, parfaitement souligner les insuffisances de certaines dispositions du texte ainsi que le renforcement excessif du contrôle des structures et les carences stratégiques de ce projet de loi. Par carence stratégique, j'entends aussi financement du CTE, mais le président Jean François-Poncet l'a lui-même souligné hier.
Aussi, l'ensemble des propositions que notre groupe présentera au cours de cette discussion, loin de remettre en cause votre démarche, monsieur le ministre, renforcera le dispositif que vous préconisez dans l'intérêt des agriculteurs.
L'agriculture française doit aujourd'hui se donner les moyens de répondre à des enjeux fondamentaux : signature des futurs contrats de plan Etat-région, réforme de la politique agricole commune et des fonds structurels européens, future organisation mondiale du commerce.
Comme le Président de la République l'a exprimé, à l'occasion de sa rencontre avec la profession agricole à Aurillac, le 2 octobre 1998, l'objectif pour notre pays doit être de défendre et de promouvoir son modèle agricole.
Cet objectif de promotion du modèle agricole est essentiel lorsque l'on sait que le secteur agricole gère encore 85 % de notre territoire, que le nombre total d'emplois induits par l'agriculture est de près de 3,5 millions, ou encore que le secteur agroalimentaire est celui qui enregistre le plus important excédent commercial cette année avec 64 milliards de francs.
Premier exportateur mondial de produits agricoles transformés et deuxième exportateur mondial de produits agricoles, notre pays doit continuer à s'appuyer sur la vocation économique de son agriculture, qui est la seule garantie d'une valorisation concrète et durable de notre espace agricole, de la préservation et de la création d'un maximum d'emplois en milieu rural.
Le modèle agricole français des vingt prochaines années sera donc la résultante des grands choix stratégiques qui doivent être définis aujourd'hui.
Or, le projet de loi d'orientation agricole que vous nous proposez, monsieur le ministre, loin de répondre à cette attente, fonctionnarise notre agriculture et suradministre le secteur agricole français, alors même que tous les pays européens ont rompu avec ce désastreux modèle.
Ce constat est d'autant plus déplorable qu'il ne pourra faire l'objet d'un débat approfondi au Parlement puisque, une fois de plus, le Gouvernement a déclaré d'urgence ce projet de loi.
L'ossature de ce texte, le contrat territorial d'exploitation, crée un véritable lien de subordination entre l'Etat et les agriculteurs. De chef d'entreprise responsable et innovant, l'agriculteur français devient un contractuel de l'administration devant répondre impérativement à des contraintes sociales et environnementales.
A ce titre, le Sénat et le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan du budget de l'agriculture que je suis ont déjà pu constater que le budget de l'agriculture pour l'année 1999 confirme cette orientation du Gouvernement, puisque les 300 millions de francs inscrits pour ces contrats sont obtenus par des redéploiements budgétaires aboutissant à vider les chapitres réservés au fonds de gestion de l'espace rural, aux opérations groupées d'aménagement foncier, aux offices agricoles ou encore au fonds d'installation en agriculture, c'est-à-dire aux prêts aux jeunes agriculteurs.
Par cette façon de procéder, le Gouvernement manifeste clairement l'intérêt qu'il porte à l'agriculture française, puisqu'il déshabille Pierre pour habiller Paul. En effet, dans le même temps, et pour les trente-cinq heures, il débloque 750 millions de francs en faveur d'EDF et de GDF !
Il faut également nous indiquer, monsieur le ministre, les actions qui seront amputées au bénéfice de ces contrats et mesurer toutes les conséquences de cette opération idéologique. Celle-ci est, en définitive, un piège pour la profession, car les moyens financiers ne pourront pas suivre et les agriculteurs trompés par le mirage du CTEI vivront des désillusions. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Cornu. Très bien !
M. Gérard César. En effet, si l'on réduit le budget des offices, il faut que les agriculteurs sachent qu'on affaiblit les capacités de soutien à l'organisation des filières et à la compétitivité des entreprises. De même, en ponctionnant sur les crédits d'installation, on porte atteinte à une politique au moment où elle donne des résultats encourageants.
Je me permets d'ailleurs de vous rappeler que, de 1994 à 1997, grâce à une politique volontariste du gouvernement précédent, les installations ont connu une évolution de près de 25 %. Or, aujourd'hui, elles affichent, et ce depuis août 1997, une chute inquiétante de 10 %.
D'ailleurs, juste après votre nomination, monsieur le ministre, vous avez refusé - ce que je comprends compte tenu des calendriers - de vous expliquer sur ce constat et d'exposer votre position lors de la séance des questions au Gouvernement, le 27 octobre 1998, à l'Assemblée nationale.
En outre, vous vous êtes contenté, lors de vos auditions devant les commissions permanentes du Sénat et de l'Assemblée nationale, d'annoncer qu'un bilan serait dressé à la fin de l'année dernière. Or, à ce jour, aucun bilan n'a toujours été dressé. J'espère donc, monsieur le ministre, qu'au cours de ce débat sur le projet de loi d'orientation vous répondrez à ces questions importantes pour l'avenir de l'agriculture.
Ensuite, monsieur le ministre, vous comptez sur les futurs contrats de plan Etat-région pour financer les CTE. Là aussi, cette ponction s'effectuera au détriment des actions mises en oeuvre par les collectivités territoriales et locales en faveur des agriculteurs et du développement économique du secteur agricole.
La vocation économique de notre agriculture est clairement ignorée.
Enfin, vous comptez sur des transferts de crédits européens. Vous semblez accepter ainsi une modulation des aides européennes afin d'en affecter une partie à ces contrats, mais reste il bien sûr, vous le savez bien, à connaître l'avis de nos partenaires européens. Or il n'est pas certain, selon moi, que les Allemands, qui donnent plus qu'ils ne reçoivent pour la PAC, acceptent de payer pour les contrats territoriaux d'exploitation français.
Toutefois, à supposer qu'ils soient d'accord, notre agriculture risque alors de tomber dans un piège redoutable dont vous semblez avoir sous-estimé les dangers. Ce piège n'est autre que la renationalisation de la PAC, dont le grand perdant serait l'agriculteur français, une renationalisation à laquelle le groupe du RPR est farouchement opposé.
Par cette démarche, le Gouvernement place la France hors du jeu des négociations européennes et internationales et en position de faiblesse face à ses concurrents.
M. Auguste Cazalet. Bravo !
M. Gérard César. Pour hâter la socialisation de notre agriculture, on propose, sans attendre le vote de cette loi, et par l'intermédiaire du représentant de l'Etat dans chaque département, c'est-à-dire le préfet, de mettre en place les contrats territoriaux d'exploitation, en retenant leur cahier des charges, en préaffectant les crédits alloués par la dernière loi de finances et en élaborant un programme de mise en oeuvre pour cette année.
Je peux le confirmer, monsieur le ministre, parce que, il y a quelques jours, j'ai vu une circulaire de l'ANDA qui prévoit, sans attendre le vote de la loi, de mettre en place dans chaque département des aides, des cahiers des charges. A quoi sert le Parlement si les circulaires sont envoyées avant le vote de la loi. S'il en est ainsi, il n'y a plus besoin de Parlement, il n'y a qu'à faire uniquement des règlements administratifs. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Cette socialisation de notre agriculture s'affirme également par un renforcement drastique du contrôle des structures, allant jusqu'à mettre en place l'autorisation administrative d'exploitation préalable pour un fils qui reprend l'entreprise agricole familiale.
Non seulement ce dispositif porte atteinte au droit de la propriété, mais il stoppe également l'incitation à la transmission et à l'installation des jeunes. Je m'interroge d'ailleurs sur le fait de savoir si cette disposition est conforme au droit civil. La commission des lois du Sénat pourrait être saisie de cette affaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR propose au Sénat trois grandes modifications.
Tout d'abord, au contrat territorial d'exploitation, qui cantonne l'agriculteur français au rôle de jardinier de l'espace, notre groupe oppose un contrat d'entreprise agricole, qui replace la vocation économique de notre agriculture au centre de la politique agricole commune.
D'ailleurs Mme Lambert, qui siégeait au banc de la commission hier après-midi, a souhaité l'institution d'un contrat territorial d'entreprise. Etait-ce un lapsus ?...
M. Raymond Courrière. Bien sûr !
M. Gérard César. Cela m'étonnerait ! J'imagine plutôt que les anciens du SNJA sont prêts à approuver la proposition du groupe du RPR sur le contrat d'entreprise agricole.
M. Philippe François. Vous désavouez Mme Lambert !
M. Raymond Courrière. Pas du tout, mais vous, vous voulez faire disparaître les agriculteurs !
M. Gérard César. Reconnus comme des chefs d'entreprise responsables, les agriculteurs pourront souscrire un contrat d'entreprise agricole, dont l'objectif est de développer un projet économique global. Ce contrat concerne la production agricole et comporte un ensemble d'engagements portant sur les orientations de production de l'exploitation et sur la contribution de l'activité de l'exploitation à la vie et au développement du tissu rural, dans le prolongement de l'activité agricole.
Le contrat d'entreprise agricole tend ainsi à lier les deux fonctions de l'agriculture : produire et conserver le territoire.
M. Raymond Courrière. Produire à bas prix, selon vous !
M. Gérard César. Un agriculteur, c'est d'abord et avant tout un producteur. C'est parce qu'il produit qu'il contribue à l'entretien et au développement de notre patrimoine rural et qu'il fait vivre nos campagnes.
M. Philippe François. Très juste !
M. Gérard César. Ensuite, à des aides financières qui sont conditionnées par la signature du contrat territorial d'exploitation ou par des impératifs environnementaux, chers à Mme Voynet, ou sociaux, notre groupe oppose un volet fiscal qui transforme l'exploitation agricole en entreprise agricole et qui encourage l'installation, la transmission et l'investissement.
Nous proposons, notamment, de créer un bail d'entreprise qui serait cessible, un fonds agricole qui transpose en agriculture le fonds de commerce, un dispositif qui applique un abattement sur la plus-value de cession dans le cas d'une transmission d'entreprise agricole, ou encore d'étendre le taux de 0,60 % des transactions foncières à l'ensemble du territoire et non plus aux seules zones de développement prioritaire.
En outre, nous proposons que l'aide financière de l'Etat aille en priorité à l'installation des jeunes agriculteurs, à la modernisation, au regroupement, à la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue d'en améliorer la viabilité, à la création et au développement d'entreprises agricoles à responsabilité personnelle, qui contribuent au développement local, à la reconnaissance de l'exploitation agricole en tant qu'entreprise agricole et à l'adaptation du système d'exploitation aux exigences économiques du marché.
Ce volet fiscal tend ainsi à libérer les énergies et à favoriser les initiatives. (M. Courrière proteste.)
Enfin, à un renforcement drastique du contrôle des structures, qui concerne les installations, les agrandissements et les cessions d'entreprises agricoles, notre groupe oppose un système adapté et assoupli.
Nous proposons ainsi que le critère de détermination de l'unité de référence soit constitué par le résultat brut d'exploitation départementale à l'hectare, comme pour la détermination du prix du fermage, que le seuil fixé par le schéma départemental des structures soit compris entre une fois et trois fois l'unité de référence, que le contrôle soit limité au sein des sociétés agricoles à l'installation et au départ d'associés exploitants et que la transmission des exploitations familiales soit protégée.
Sur ce dernier point, le dispositif s'inspire de la loi de 1996 relative aux sociétés anonymes et rend libres les cessions et les transmissions entre conjoints, ascendants et descendants, jusqu'au quatrième degré, pour les entreprises dont la superficie est inférieure à un seuil de trois fois l'unité de référence.
Ce système assoupli et adapté tend ainsi à fonder le contrôle des structures sur une approche économique.
Par ailleurs, je me permets d'appeler l'attention du Gouvernement sur l'impérieuse nécessité de revaloriser définitivement les retraites agricoles - tous mes collègues sont intervenus en ce sens - pour toutes les catégories, que ce soient les chefs d'exploitation, les veufs et les veuves, les aides familiaux et les conjoints d'exploitants agricoles, afin que le minimum de retraite soit progressivement porté à 75 % du SMIC net au 30 juin 2002, c'est-à-dire à la fin de la législature.
Une attention toute particulière doit être consacrée aux mesures envisagées pour revaloriser plus rapidement les plus faibles pensions afin que celles-ci puissent bénéficier de cette mesure dès le 1er janvier 2000.
M. Raymond Courrière. Et Juppé qu'avait-il fait ?
M. Gérard César. Il les avait augmentées, mon cher collègue ! (Exclamations sur les travées socialistes.) Eh oui !
Le gouvernement actuel les a également augmentées ; il faut le reconnaître ; chacun a fait un effort, mais il reste beaucoup à faire !
M. Raymond Courrière. On ne dit pas la même chose quand on est au pouvoir et quand on est dans l'opposition !
M. Gérard César. Nous l'avions dit aussi et M. Juppé l'a fait en matière de retraites agricoles !
M. Raymond Courrière. On nous a vu au pouvoir ! C'est facile... la démagogie.
M. le président. Mes chers collègues, le débat étant organisé, il ne peut y avoir ni interruption ni interpellation ! Chacun doit respecter l'orateur qui s'exprime. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard César. Je vous remercie, monsieur le président.
Une attention particulière - j'insiste sur ce point car il est important - doit être consacrée aux mesures envisagées pour revaloriser les retraites agricoles. Cette décision doit être prise sans plus tarder quand on sait que ces retraites sont les plus faibles de toutes les catégories sociales ; 90 % d'entre elles se situent en effet au-dessous de 3 000 francs par mois.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Gérard César. En outre, la retraite des non-salariés agricoles repose aujourd'hui sur un équilibre fragile. A l'instar des autres catégories professionnelles, il est urgent d'envisager, sur la base d'études plus approfondies et selon les souhaits exprimés par la profession, l'instauration d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour cette catégorie.
Je terminerai mon propos en insistant sur la nécessaire mise en place d'un véritable mécanisme d'assurance récoltes permettant aux entreprises agricoles de se prémunir efficacement contre les risques climatiques et économiques. Je laisse à mes collègues le soin de développer d'autres points du projet.
En effet, plutôt que de présenter au Parlement un énième rapport sur cette question plus ou moins suivi d'effets, il est préférable de lui soumettre rapidement un mécanisme qui s'inspire des systèmes comparables outre-Atlantique, au Canada ou aux Etats-Unis, et qui s'articule avec le régime actuellement en vigueur des calamités agricoles, c'est-à-dire la loi de 1964, que nous connaissons bien les uns et les autres. J'ai d'ailleurs souligné, à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 1999, que le fonds des calamités n'était pas alimenté.
Pour conclure, je tiens à dire que toutes ces propositions du groupe du RPR constituent l'affirmation de la double vocation de notre agriculture, une agriculture économique, d'entreprise, territoriale, productive, humaine et sociale. Elles s'opposent à un texte gouvernemental qui nie l'une des deux vocations de notre modèle agricole, sa vocation économique.
Or, comme l'a dit le Président de la République, « notre agriculture ne peut s'abstraire des réalités économiques... Pour que notre agriculture joue un rôle majeur en Europe et dans le monde et pour qu'elle garde à notre pays, dans chacune de nos régions, cet art de vivre qui nous est tant envié par ailleurs, il faut lui donner les perspectives que mérite une grande ambition ».
Il faut bien le reconnaître, ces perspectives ne sont pas tracées dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.
Mes chers collègues, dans un environnement international et communautaire grevé d'incertitudes, il est pourtant devenu impératif de doter notre agriculture, en perpétuelle mutation, des instruments nécessaires pour lui permettre de répondre pleinement à cette ambition affirmée par le Président de la République.
Ce n'est malheureusement pas votre priorité, monsieur le ministre, et je le regrette. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur César, vous avez légèrement dépassé le temps de parole qui vous était imparti.
Plusieurs sénateurs du RPR. C'est parce qu'il a été interrompu !
M. le président. J'appelle l'ensemble des orateurs inscrits à ne pas trop abuser de la bienveillance du président !
M. Gérard César. Je vous remercie, monsieur le président.
M. le président. La parole et à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture doit répondre aujourd'hui à un triple défi : économique, social et environnemental.
Après la formidable mutation engagée à partir de 1960, alors que les exigences de modernisation et de productivité primaient sur toutes les autres considérations, nous devons définir, pour le prochain millénaire, un nouveau contrat entre la nation et l'agriculture.
Car si la France est aujourd'hui la première puissance agricole de l'Union européenne et le deuxième exportateur mondial, elle a perdu, au cours des quarante dernières années, 4 millions d'actifs agricoles, avec toutes les conséquences que nous connaissons sur les plans humain et social, mais aussi toutes les répercussions en matière d'aménagement du territoire ou de gestion et d'entretien des espaces naturels.
A la veille de la réforme de la politique agricole commune et des négociations de l'organisation commune des marchés, il était donc indispensable et pertinent d'anticiper sur ces deux échéances en fixant un cadre rénové et ambitieux pour notre agriculture, tout en préservant sa spécificité.
Les contrats territoriaux d'exploitation que définit la loi d'orientation sont, à juste titre, la parfaite démonstration de cette volonté d'innovation, qui suppose de concilier des objectifs de production à forte valeur ajoutée avec des activités et des services non marchands dans les domaines de l'environnement et de l'occupation du territoire.
C'est donc bien une nouvelle approche de la politique agricole que vous nous proposez, monsieur le ministre, en fixant à notre agriculture un rôle essentiel dans les échanges mondiaux, mais aussi en redonnant aux exploitants agricoles une vocation de gardiens et de gestionnaires des espaces sensibles.
Cette conception selon laquelle l'agriculture de notre pays a pour vocation de répondre à des besoins alimentaires internationaux tout en favorisant la création d'exploitations, selon laquelle le respect de l'environnement et la mise en valeur du territoire sont aussi importants que la qualité et le coût des productions, nous la partageons pleinement.
Pour ma part, j'insisterai sur deux points : l'importance de l'installation des jeunes agriculteurs et le rôle de l'enseignement agricole.
Ce projet de loi introduit une disposition importante dans ce domaine en permettant une installation progressive des jeunes qui, pour des raisons financières ou techniques, se voyaient dans l'obligation de renoncer à un projet professionnel.
C'est là, monsieur le ministre, une véritable innovation de nature à desserrer l'étau qui bloquait de nombreux candidats à l'installation ; mais il faudra par ailleurs s'assurer de la nécessaire évolution des missions des SAFER, notamment de leur rôle d'attribution des terres qui, il faut bien le reconnaître, ne reflétait pas toujours la diversité des candidats à l'installation selon les régions.
Enfin, il conviendra d'encourager aussi les organismes bancaires, notamment le Crédit agricole, à être de véritables partenaires financiers de ces projets d'installation, non seulement par une politique incitative des taux d'emprunt, mais aussi par un renforcement des fonds d'installation des jeunes agriculteurs, et, dans ce domaine, l'Etat a un rôle important à jouer.
Cette politique d'installation serait vaine, si elle ne s'accompagnait pas d'une modernisation des outils de formation.
Ce projet de loi d'orientation, qui comporte un très important chapitre relatif à l'enseignement, à la recherche et à la formation, ouvre des perspectives nouvelles en reconnaissant, pour la première fois, dans le champ de compétence de cet enseignement, les métiers de la forêt ou de l'aquaculture ainsi que toutes les activités liées à l'aménagement de l'espace, à la gestion de l'eau ou de l'environnement.
Enfin, dans le domaine de l'enseignement supérieur agricole, je soulignerai l'excellente disposition autorisant les formations doctorales.
Cette mesure contribuera à renforcer, sur le plan international, l'image de notre communauté scientifique, dont l'excellent site de recherche d'Agropolis implanté à Montpellier est un « ambassadeur » remarquable.
Le nouveau contenu de l'enseignement agricole est donc bien une réponse adaptée non seulement aux nouveaux défis de l'agriculture, mais aussi aux enjeux importants que sont la gestion de l'espace et la protection de l'environnement.
Nous sommes convaincus de l'existence de gisements d'emplois dans ces domaines, de la pertinence qu'il y a à favoriser l'émergence de nouveaux métiers et, aussi, de l'intérêt qui réside dans la mise en valeur des territoires et de leurs paysages.
Je citerai les initiatives qui ont été prises dans le midi de la France grâce au plan de relance de l'oléiculture financé à la fois par l'Etat et l'Union européenne.
Ce plan a permis à de jeunes agriculteurs de diversifier leur activité en les associant à une démarche de restauration des vergers et de mise en valeur du territoire. Ainsi ce plan a-t-il favorisé, d'une part, la promotion des produits de l'olive, d'autre part, des initiatives dans les domaines touristique et culturel, grâce à la mise en place de « routes de l'olivier ». A cet égard, les actions conduites à Nyons, dans la Drôme, me paraissent exemplaires.
Voyez dans ce témoignage celui de la réussite d'un projet dans lequel l'agriculture renoue avec les préoccupations environnementales. C'est tout le sens de votre projet de loi, monsieur le ministre.
Nous nous félicitons de cette ambition que vous donnez à l'agriculture de notre pays, en souhaitant qu'elle soit imitée, sous votre impulsion, à l'échelle de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Je m'adresserai tout d'abord au rapporteur, notre ami Michel Souplet, pour le féliciter de l'excellent travail que la commission des affaires économiques et du Plan a fait et lui dire que le rapport qu'elle a élaboré est digne de son sujet.
Aussi curieux que cela puisse paraître, monsieur le ministre, je me suis interrogé pour savoir si je devais intervenir dans la discussion générale de ce projet de loi. Malgré toute la passion que vous me connaissez sur ce sujet et mon passé de dirigeant agricole, je me demandais en effet si les discussions générales ne sont pas un lieu commun où chacun se fait un peu plaisir en reconstruisant une agriculture, en refaisant l'inventaire de tout ce que l'on pourrait faire, de tout ce que l'on fait ou de tout ce que l'on ne fait pas pour l'agriculture. Finalement, je me suis décidé à apporter ma pierre.
Une loi d'orientation était-elle nécessaire ? Tout le monde connaît bien l'historique de ce texte.
Le Président de la République va au congrès de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA ; M. Vasseur propose un texte ; on fait une dissolution ;...
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. « On ? »
M. Marcel Deneux. ... le Gouvernement actuel reprend le texte ; un ministre est nommé, puis un second... Mais le projet de loi d'orientation tombe finalement dans le même travers que tous les précédents !
J'avais largement contribué à la rédaction de la loi qualifiée déjà « d'orientation » en 1960. Dans les dix mois qui ont suivi, nous nous sommes aperçus qu'une loi complémentaire était nécessaire. Vous n'éviterez pas cette difficulté, monsieur le ministre, et vous ne ferez pas l'économie d'une telle loi ! En effet, on reproche ici ou là à ce texte - et les reproches sont fondés - de ne pas tenir compte de l'action de production, de manquer de notions économiques, de ne rien prévoir en matière de fiscalité.
S'il s'agit vraiment d'un texte donnant une orientation nouvelle, l'agriculture doit donc être prise dans sa globalité ; or le projet n'est pas suffisant. En effet, malgré des propositions intéressantes, ce texte comporte beaucoup de lacunes que je veux signaler, même si je n'ai pas le temps de les traiter. Il ne contient aucune disposition sur l'organisation économique de la production, sur les retraites, qui sont insuffisantes, sur la transmission de l'entreprise, sur la politique des structures et sa compatibilité avec la politique européenne d'aujourd'hui et encore plus de demain.
Je voudrais aborder quelques points sur la politique agricole, monsieur le ministre.
Quel sera, demain, le degré de compétitivité de l'agriculture française au sein de la concurrence à la fois européenne et mondiale ?
A ce sujet, quelles réflexions faisons-nous sur le modèle européen, un modèle agricole qui bat en brèche le comportement des pays développés et qui fait payer le contribuables plus que le consommateur.
Dans les pays riches, est-il normal, quand l'agriculture est efficace et compétitive, que les prix payés par le consommateur ne soient pas au niveau du prix de revient des meilleurs ?
Demain, en Europe, le niveau de prix devra-t-il être nécessairement bas et ce, me dit-on, pour préparer l'entrée des pays d'Europe centrale et orientale ? Je le comprends, mais je pense que c'est un faux problème.
Le niveau des aides publiques est devenu insupportable. Il nous faut donc maintenant réfléchir, en même temps que s'annonce la réforme avec Agenda 2000, aux moyens d'augmenter le prix du marché intérieur. C'est possible et, finalement, cela coûtera moins cher.
M. Charles Revet. Ce sera plus logique !
M. Marcel Deneux. Il convient également de revoir le niveau des restitutions. Je livre cet élément à votre réflexion à l'occasion de ce débat. La politique actuelle est suicidaire.
Enfin, au-delà des considérations économiques, il est clair que le modèle européen d'agriculture que nous souhaitons a des fondements à la fois sociologiques - nous ne voulons pas, par exemple, d'un modèle américain - et économiques. Nous voulons qu'il soit adapté aux spécificités européennes, à savoir un espace agricole très habité, peuplé de consommateurs riches, dotés d'une agriculture efficace, attachés à l'aménagement du territoire, à leurs paysages, un espace géré par des agriculteurs efficaces et connaissant bien leur métier.
Revenons-en au projet de loi qui nous occupe aujourd'hui.
Pour moi, il est évident que, lorsqu'on parle de l'agriculteur, on a l'image d'un univers, d'un homme qui se veut entrepreneur, indépendant autant que possible, libre, robuste, travailleur, respectueux de son travail, de son environnement et des autres. Il est tout à fait débrouillard, au point que, parfois, le « système D » remplace la formation professionnelle qu'il n'a pas toujours eue. L'agriculteur, c'est quelqu'un qui travaille dans un lieu où des hommes responsables peuvent s'épanouir dans leur travail. L'agriculteur est aussi un homme de bon sens doué de facultés d'adaptation rapides et constantes, autrement dit un homme qui met son intelligence au service de son travail et de son métier.
A force de vouloir améliorer les conditions de travail de cet agriculteur, contre son gré parfois, en l'incluant dans des schémas trop rigides ou trop classiques, peu adaptés à ce qu'il souhaite, on ne le dynamise plus, on ne l'aide plus, on risque même parfois de l'effrayer.
Je vais évoquer maintenant le contrat territorial d'exploitation, sujet autour duquel s'est instaurée une polémique.
Cette notion de contrat est fondamentale en économie. Plutôt que d'en faire seulement un instrument de bureaucratie ou d'encadrement tendant à l'environnement ne pourrait-on pas aussi s'en servir pour orienter la production, pour l'organiser ? A-t-on besoin de légiférer pour apprendre aux agriculteurs à entretenir et respecter la nature ? Ils le font tous les jours, depuis des siècles et des générations. Ils en parlent et ils sont fiers de le faire. « Beau » est un maître mot de leur activité. Qui n'a pas entendu un paysan s'exclamer : « Que la plaine est belle ! Que mon pré est beau ! »
Mais - c'est sans doute un signe des temps - la collectivité nationale ne reconnaît pas cette fonction comme faisant partie de l'activité constante de l'agriculture. C'est sans doute un moyen de les intégrer dans cette société moderne, qui n'est plus une société paysanne, en établissant de manière un peu solennelle un contrat entre le pays et son agriculture.
Ainsi, la notion de contrat est fondamentale. Alors, trop ou pas assez : tels sont les deux écueils entre lesquels vous devez naviguer, monsieur le ministre.
En découlera pour certains - ils l'ont dit - une agriculture encadrée, socialisée, ne pouvant plus respirer, pour d'autres, au contraire, une agriculture mettant en valeur tout son potentiel de développement : autrement dit, pour ces derniers, les contrats permettraient un épanouissement économique et social dans toute sa plénitude.
On peut d'ailleurs à cette occasion - on a déjà commencé - engager une réflexion sur la politique de développement qu'il est souhaitable de mettre en oeuvre pour promouvoir une agriculture moderne. Mais les disparités régionales sont telles que l'on doit se féliciter que cette réflexion ait lieu dans la plupart des départements. On peut ainsi raisonnablement espérer que l'application de la politique des CTE se fera en tenant compte très largement des diversités régionales et des aspirations des acteurs locaux.
C'est le sens que je veux donner aux consultations départementales en cours et au rôle, renforcé par le projet que nous allons examiner, des commissions départementales d'orientation agricole, les CDOA.
Ma vision est plutôt économique. Assurer l'installation et développer l'emploi au travail d'outils économiques performants, c'est rendre les agriculteurs plus autonomes financièrement et ainsi leur permettre de générer des richesses.
Si les CTE permettent d'accompagner, à travers la mobilisation des moyens financiers publics, les exploitants engagés dans des projets de développement en cohérence avec la politique agricole globale, je dis oui.
En revanche, les CTE ne devront en aucun cas se substituer à la politique agricole commune fondée à la fois sur l'organisation des marchés et sur des financements assurant les équilibres territoriaux.
Renationaliser des crédits européens pour financer les CTE serait une erreur historique et impardonnable, en contradiction avec les principes fondateurs de l'Europe agricole et de l'Union européenne.
Le CTE ne doit pas non plus se traduire par une accumulation de contraintes supplémentaires ; au contraire, il doit favoriser par tous les moyens les démarches incitatives.
Je souhaite que les CTE soient de véritables contrats qui lient les entreprises au territoire et, surtout, permettent leur développement. Sans vouloir être exhaustif, le temps ne me le permet pas, je citerai quatre axes d'application des familles de contrats.
Premier axe : les productions animales et végétales ; bien entendu, des nuances existent entre les unes et les autres.
Deuxième axe : l'agriculture biologique dont il faut accompagner le développement. Si les crédits actuellement en vigueur étaient amenés à disparaître, il faudrait prendre le relais. La France a beaucoup de retard en la matière.
Troisième axe : les productions relevant d'un signe de qualité ; le texte actuel y consacre une large part.
Quatrième axe : l'agrotourisme et les produits de la ferme. Dans ce domaine, un gros travail réglementaire, voire législatif, est nécessaire de façon à faire cohabiter sans distorsion de concurrence les différents acteurs du monde rural.
Toute exploitation déjà engagée ou ayant un projet dans un ou plusieurs des axes mentionnés ci-dessus devrait pouvoir signer un contrat.
Dans le passé, nous avons trop souvent souffert de ne pas avoir su accompagner les agriculteurs désireux d'entreprendre en ne mettant en avant que les critères d'exclusion, les risques ou les contraintes.
Moi, je dis oui au CTE, outil d'accompagnement efficace du développement de toutes les exploitations agricoles au sein de filières performantes, elles-mêmes bien organisées.
Cependant, un problème se pose dans la dénomination de ces contrats.
Toutes les tendances qui se sont exprimées ont émis des critiques. Certaines en ont même fait une campagne nationale. Et pourtant, tout le monde est partisan d'une agriculture meilleure, plus forte, mieux organisée. Alors il y a un problème d'intitulé. Est-ce un problème de mots ou un problème de fond ?
Notre ami Gérard César vient à l'instant de faire une proposition qui m'étonne un peu. Il préférerait parler de contrat d'entreprise agricole. Or en même temps on nous dit, et à juste titre, qu'il est dangereux de lier l'entreprise à l'Etat au risque de s'orienter vers une véritable socialisation. Il y a là une contradiction qui mérite d'être levée.
Pour ma part, je tiens au « T » du CTE, c'est-à-dire à la liaison avec le territoire.
Aussi, je me permettrai de vous faire une suggestion, monsieur le ministre, au cas où la dénomination de ces contrats devait évoluer. J'ai entendu hier Christiane Lambert parler de contrat territorial, non pas d'exploitation, mais d'entreprise. Ce n'était peut-être pas un lapsus ! Je crois, en ce qui me concerne, qu'il serait bon de parler de CTEA, c'est-à-dire de contrat territorial d'entreprise agricole ; cette formule aurait à mon sens le mérite de rallier tous les suffrages et de mieux traduire ce que nous voulons faire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je livre cette proposition à votre réflexion, monsieur le ministre !
Pour conclure, je souhaite que cette loi contribue, dans la longue route qui n'est pas achevée de l'adaptation de l'agriculture aux temps modernes, à donner plus de bonheur aux agriculteurs : c'est notre souhait le plus cher. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont.
M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fixer les grandes orientations de notre agriculture pour les décennies à venir est un rude défi, et tous les collègues qui m'ont précédé l'ont bien dit.
En effet, nous attendons de cette loi d'orientation agricole, monsieur le ministre, beaucoup d'ambition, d'autant plus que nous sommes à la veille de décisions importantes qui seront prises dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune ou du prochain cycle de renégociation de l'Organisation mondiale du commerce.
Nous espérons beaucoup du ferme propos que vous avez tenu à ce sujet. Je suis sûr que nos travaux contribueront à relever le rude défi que j'évoquais : développer notre agriculture et la réconcilier avec nos concitoyens.
Rapporteur pour avis du budget de l'environnement, je suis sensible, monsieur le ministre, à votre souci de promouvoir une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Cependant, il me semble que, si les gains formidables de productivité que notre agriculture a connus au cours des trente-cinq dernières années ont parfois été réalisés au détriment des préoccupations environnementales, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a bien longtemps que l'on ne peut plus envisager une installation en agriculture sans se préoccuper de l'environnement.
Depuis vingt ans, le recours aux pesticides et aux engrais azotés a beaucoup diminué. Des mesures incitatives en faveur des analyses de sol ont été prises. Bref, des progrès ont été faits au fur et à mesure que les nouvelles attentes des citoyens et des consommateurs apparaissaient : vous les connaissez, une préoccupation accrue de la santé et de la nutrition, un attachement aux produits de qualité, un retour aux sources et aux racines, un souci de préservation des ressources naturelles et des territoires, sans parler naturellement de la « crise de la vache folle », qui a largement ouvert les yeux de nos concitoyens sur les limites du productivisme et sur les impératifs de sécurité pour la santé de l'homme. Il faut continuer !
Toutefois, votre conception de l'environnement me paraît réductrice de la fonction de production de notre agriculture et, par là même, de sa capacité d'exportation. Non, nos agriculteurs ne peuvent pas être seulement « des producteurs de services et de paysages » - et pourtant Dieu sait si je suis attaché à cet aspect ! - comme cela est indiqué dans l'exposé des motifs du projet de loi ; ils ont bien vocation à être des entrepreneurs, des producteurs et des exportateurs.
Je ne parlerai pas de la vocation économique de notre agriculture. Ce point a été excellemment présenté et développé par notre collègue Michel Souplet, qui a bien montré que notre agriculture ne peut être présente sur nos territoires que si elle est également présente sur les marchés et que l'on ne peut opposer la vocation d'exportation à la présence territoriale ou à l'exigence de qualité, pas plus que l'on ne peut opposer les producteurs en mettant, d'un côté, les jardiniers du xxie siècle et, de l'autre, les exportateurs. Notre agriculture doit rester présente sous toutes ses formes sur l'ensemble du territoire.
Je dirai quelques mots sur le contrat territorial d'exploitation, le CTE, avant d'évoquer les problèmes de qualité et la place du cheval dans l'économie agricole.
Ce CTE, dispositif qui vise à inscrire l'exploitation agricole dans une démarche contractuelle et à rétribuer d'autres fonctions que la production, part d'une bonne intention et d'un grand projet. Cependant, je crains que les modalités prévues pour appliquer une telle politique ne provoquent, de par leur caractère quelque peu bureaucratique, une « suradministration » de l'agriculture.
Nombre de nos collègues l'ont souligné en s'interrogeant sur les moyens qui peuvent y être consacrés. Vous nous avez rassurés, monsieur le ministre, mais quelques questions demeurent.
Comment allez-vous choisir les premiers contrats, comment allez-vous sélectionner les demandeurs ? Comment s'articuleront ces contrats avec les zones protégées soit par Natura 2000, soit par des ZNIEFF, les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique ? Comment imaginer que, dans ces secteurs, de tels contrats pourraient s'arrêter au bout de cinq ans ? Ne va-t-on pas vers de nouveaux « droits à produire » avec toutes les injustices que cela peut induire ?
Il s'agit non pas de financements nouveaux, mais d'un redéploiement de moyens, ce qui suppose - tout le monde l'a dit - la réduction d'autres lignes budgétaires, et je m'inquiète pour celles qui seront amputées au bénéfice des CTE.
Le plus grand flou règne également sur les aides européenne affectées aux CTE. Le Gouvernement souhaite que la France redevienne une force de proposition dans la politique agricole européenne ; nous l'espérons. Le CTE peut être l'axe majeur de cette nouvelle position. Qu'en penseront nos partenaires ? Ne risque-t-on pas de conforter la thèse de la renationalisation de la politique agricole commune ? Là aussi, nous attendons des éclaircissements, car vous savez que nous sommes très attachés au maintien de cette politique agricole commune. Reste la tâche de définir la pratique de ces CTE ; de virtuels, il faudra qu'ils deviennent concrets.
J'évoquais à l'instant l'exigence de qualité et de sécurité des consommateurs. J'aurais aimé que soit nettement abordé dans ce texte, et non pas seulement au détour d'un amendement à l'Assemblée nationale, le problème des organismes génétiquement modifiés. C'est un sujet capital pour l'avenir, et nos concitoyens doivent avoir confiance dans les produits agricoles et alimentaires. Cela ne va pas sans une recherche scientifique préalable et une réflexion éthique. J'approuve, pour ma part, le principe du dispositif de biovigilance mis en place et je pense qu'il est nécessaire d'instaurer une stricte réglementation en matière d'OGM. Je sais que certains de nos collègues aimeraient aller plus vite, mais il me semble que la prudence s'impose dans ce domaine si délicat. L'exemple de la vache folle est là pour nous le rappeler.
De même, l'épandage des boues des stations d'épuration appelle des dispositions durables. On ne peut engager l'avenir que sur des bases acceptées par tous. En ce domaine aussi, nous aurons très rapidement besoin de réponses, même si l'exercice n'est pas facile.
Il y a, dans notre agriculture de qualité identifiée, de larges possibilités pour la promotion de nos produits. Vous le savez, j'avais approuvé la loi de 1990 présentée par M. Nallet sur les appellations d'origine contrôlées, les AOC. Elle me paraît reposer sur de grands principes qu'il ne faudrait pas voir oubliés à travers la multiplication des signes de reconnaissance ; ces grands principes, ce sont : le lien avec le terroir, la typicité des produits et le savoir-faire des hommes.
J'approuve donc totalement le renforcement des syndicats de producteurs, sur lesquels doit reposer la défense des AOC. Sensible aux arguments de la commission quant aux problèmes posés par l'IGP, l'indication géographique protégée, je m'interroge cependant sur sa position tendant à la maintenir en dehors du champ de compétence de l'institut national des appellations d'origine, l'INAO. Que deviendront ces IGP « électrons libres » ? Sans doute le débat nous éclairera-t-il sur ce point.
Je pense que l'INAO, au-delà de ses missions traditionnelles, devrait mener une véritable politique d'information et de communication sur les AOC, sur leur lien avec le terroir et la spécificité des productions, afin de mieux éclairer le consommateur. Mais il faut lui donner les moyens d'agir dans ce sens.
Je ne peux terminer ce propos trop limité sans évoquer la place du cheval dans notre agriculture, qui représente une activité économique à part entière. Notre commission en a bien conscience puisqu'elle en évoque les différents aspects. S'appuyant sur la jurisprudence et notamment sur un arrêt de la Cour de cassation, elle semble considérer que c'est à juste titre que les entraîneurs de chevaux de course ne sont pas reconnus comme pratiquant une activité agricole, que ce soit par nature ou par relation. Cela me paraît discutable.
J'ai, en d'autres circonstances, présenté un amendement qui tendait à les faire assujettir au régime des bénéfices agricoles, sans arriver à convaincre M. le secrétaire d'Etat au budget du véritable caractère agricole de leur activité. Et le sujet reste d'actualité ; il l'est même plus que jamais.
L'entraînement des chevaux de course n'a d'autre but que de sélectionner les meilleurs chevaux sur le plan de la reproduction et est ainsi, me semble-t-il, directement lié à l'activité élevage ; son assujetissement à la MSA le fait bien ressortir au secteur agricole.
Naturellement, le jeu, qui finance les courses et tout le secteur équestre, jette une lumière un peu différente, mais il me semble que la nature de ce secteur hippique et les emplois qu'il crée justifieraient bien la reconnaissance de cette activité comme activité agricole. Je souhaite, monsieur le ministre, que votre action aille dans ce sens. Elle serait bien perçue et justifiée aux yeux de nombreux professionnels.
Le cheval, dans notre pays, relève d'une vraie activité agricole, utilisatrice de terres sans droits à produire - c'est appréciable - créatrice d'emplois - c'est encore mieux ! - aussi bien dans le secteur de l'élevage que dans celui du sport ou du loisir, et qui est respectueuse de l'environnement. Ce secteur mérite sans nul doute une attention vigilante, sans arrière-pensées. Les courses contribuent aussi au budget de l'Etat, ne l'oublions pas.
Dans le projet de loi de M. Vasseur était envisagée une réforme des Haras nationaux, et je sais, monsieur le ministre, que vous prévoyez de nous présenter un texte spécifique à ce sujet. Il faut en effet moderniser leur activité. Dans un domaine largement mondialisé, il faut leur donner la possibilité d'intervenir en soutien du secteur professionnel pour offrir à notre pays des reproducteurs de grande qualité, que nous ne pouvons attirer aujourd'hui faute d'une fiscalité adaptée. Il faut aussi, naturellement, leur confier toutes les tâches « régaliennes » qui s'imposent.
Monsieur le ministre, tels sont les quelques points sur lesquels je voulais attirer votre attention.
Notre agriculture mérite qu'on porte sur elle un regard vraiment nouveau et qu'on lui accorde une grande liberté d'entreprendre. Elle a prouvé qu'elle savait toujours s'adapter, comme M. François-Poncet l'a brillamment rappelé. Ce projet de loi trace-t-il vraiment les lignes directrices dont nous avons besoin pour les années à venir ? Les CTE peuvent-ils placer la France en position de force dans les futures discussions européennes ? Opposer la performance économique et la valorisatoion du territoire n'est pas, à mon sens, la bonne façon de consolider notre agriculture pour qu'elle conserve sa première place en Europe. Mais j'espère dans votre volonté, monsieur le ministre, et dans les travaux de notre assemblée pour qu'elle y parvienne.
Je conclurai en adressant des félicitations à nos rapporteurs pour avis, MM. Vecten et Leclerc, mais surtout à M. Souplet, rapporteur de la commission des affaires économiques, qui a accompli un travail considérable, prouvant sa très grande connaissance de notre agriculture et sa foi dans nos agriculteurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi d'évoquer un souvenir etde vous faire une confession, puis une lecture du projet de loi d'orientation qui vous expliqueront ma position sur ce texte.
Le souvenir remonte à une vingtaine d'années. C'était au moment de la discussion de la loi d'orientation présentée par M. Méhaignerie. A l'époque, le Sénat hésitait beaucoup à renforcer encore le contrôle des structures, constatant la limite que l'on introduisait par là sur le droit de propriété et sur la liberté de contracter ou d'entreprendre.
Un argument l'a emporté, et ce que je veux confesser, c'est le sentiment d'avoir joué un rôle dans sa prise en considération, malgré ma très récente entrée - à l'époque ! - dans cette assemblée.
Cet argument consistait à dire que, dans certaines régions, la pyramide des âges était tellement déséquilibrée qu'il fallait faire de la place, de force, pour les jeunes en situation de s'installer. Sinon, il n'y aurait pas asssez d'agriculteurs actifs au moment de la disparition des exploitants déjà âgés - ils constituaient l'immense majorité - et cela même si s'étaient produit entre-temps des regroupements d'exploitations sur des unités de dimensions inconnues, y compris dans les régions de grande culture.
Je dois avouer que, par rapport à tout cela, j'éprouve aujourd'hui, non pas un remords, certes, mais une gêne obscure, selon la formule célèbre.
En effet, d'évolution en évolution, nous en arrivons au présent texte, suivant en cela un phénomène que nous connaissons bien, celui que nous avons observé avec la dotation globale de fonctionnement, au départ dispositif de liberté pour les communes, aujourd'hui dispositif d'encadrement et d'incitation contraignant.
M. Charles Revet. Tout à fait ! Il faut le rappeler !
M. Paul Girod. Quelle lecture peut-on faire, en effet, de ce projet de loi d'orientation ? Monsieur le ministre, pardonnez-moi de forcer un peu le trait, mais je ne suis pas certain qu'on ne puisse pas employer les termes auxquels je vais recourir.
L'agriculteur, même propriétaire exploitant, y devient une sorte de métayer de l'administration, dominé par un suzerain,...
M. Philippe François. Belle formule !
M. Paul Girod. ... qui sera de fait le préfet ou le directeur départemental de l'agriculture et à qui il se devra, au préalable, de faire acte d'allégeance sous forme de contrat territorial d'exploitation.
M. Charles Revet. C'est très clairement dit !
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Paul Girod. Disparaissent toute réelle liberté d'association, toute souplesse de gestion et, à l'extrême, toute possibilité de solidarité familiale envers celui qui reprend la ferme.
Or nous sommes en guerre économique. L'Etat, le suzerain, se doit, comme jadis, de lever l'ost, et l'ost, aujourd'hui, s'appelle compétitivité.
Est-ce le moment d'employer un concept qui réduit au rôle de manant celui qui gère de fait notre seule richesse naturelle ? Et est-ce le moyen de le motiver ?
Je rends hommage, monsieur le ministre, à votre fermeté à Bruxelles mais je dois désapprouver la logique plus administrative qu'économique de votre texte.
Je crains qu'en s'en sentant proches certaines organisations agricoles ne s'engagent ainsi dans un marché de dupes. Malgré l'excellence du travail de nos rapporteurs, qui cherchent à éviter le pire, le mieux, pour moi, ne saurait conduire à aller au-delà d'une abstention navrée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole est, par excellence, une politique européenne : la majeure partie des dépenses publiques pour l'agriculture provient du budget communautaire ; l'essentiel de la législation sur les marchés est décidé directement par la Communauté. Le contexte européen est donc déterminant lorsqu'il s'agit d'apprécier un projet de loi d'orientation agricole.
Or ce qui caractérise aujourd'hui le contexte européen, c'est qu'il est en pleine évolution, et nous ne savons pas quel sera le résultat de cette évolution.
La Communauté s'est engagée, depuis près d'un an, dans une discussion de grande ampleur autour de l'Agenda 2000 de la Commission européenne, qui comprend un ensemble de propositions concernant les principaux aspects de la politique agricole. Le Sénat a d'ailleurs pleinement participé à ce débat ; on me permettra, sur ce point, de faire référence au rapport de la mission d'information sur la réforme de la PAC, publié l'été dernier, et à la résolution du Sénat adoptée il y a un mois sur la base de ce rapport.
Nous sommes entrés, désormais, dans la phase décisive des négociations sur la réforme de la PAC puisqu'il reste prévu - c'est l'objectif de la présidence allemande - de parvenir à un accord global à la fin du mois de mars ; mais nous savons depuis quelques jours que l'Allemagne souhaite avancer cette date d'un mois. Je rappelle que les négociations portent également sur les perspectives financières de l'Union, avec la controverse que l'on sait sur un éventuel cofinancement des dépenses agricoles.
Comme le cadre futur de notre agriculture dépend avant tout du résultat de ces négociations, il est quelque peu singulier de débattre maintenant d'une loi d'orientation agricole. Je ne dis pas qu'une nouvelle loi d'orientation soit intrinsèquement inutile. Lorsqu'elle a été mise en chantier, il y a deux ans et demi, par Philippe Vasseur, les échéances européennes étaient encore lointaines, et l'exercice avait un sens. Nous pouvions nous doter d'une base solide avant le début des négociations avec nos partenaires. Dès lors que celles-ci sont sur le point de se terminer, n'est-il pas ou trop tard ou trop tôt pour se prononcer sur un texte national d'orientation et, par surcroît, en urgence ?
M. Georges Gruillot. Très juste !
M. Philippe François. Quelle en est la raison, monsieur le ministre ?
Faute de connaître précisément la nouvelle « règle du jeu » européenne, nous allons débattre dans une demi-obscurité, au risque de devoir, à bref délai, reprendre notre ouvrage.
Tout cela n'est pas de bonne méthode : la sagesse serait d'attendre quelques mois de plus pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause et de concentrer pour l'instant notre vigilance sur la réforme en cours d'élaboration à Bruxelles, qui est loin d'être sans risque pour l'agriculture française.
Car nous devons savoir que la tentation grandit, chez plusieurs de nos partenaires et même au sein de la Commission européenne, de procéder à une certaine renationalisation de la politique agricole commune. Sous couvert de subsidiarité, on risque d'arriver à une situation où la gestion des aides n'obéirait plus à des règles communes et où ces aides seraient en partie à la charge des Etats. Or une telle évolution serait doublement dangereuse.
Si la gestion des aides n'était plus suffisamment encadrée, on risquerait d'aboutir à de nouvelles distorsions de concurence entre les producteurs des différents Etats membres, en fonction des priorités qui seraient retenues par chaque Etat. Il serait tout de même paradoxal, au moment où la réalisation de l'euro établit enfin, sur le plan monétaire, la loyauté de la concurrence entre les Etats membres, que la concurrence se trouve à nouveau faussée par une gestion différenciée des aides !
L'idée d'un cofinancement des aides est tout aussi pernicieuse. Tout d'abord, elle irait directement à l'encontre de nos intérêts. Pour dire les choses schématiquement, il y a deux grandes masses dans le budget communautaire : les dépenses agricoles et les dépenses structurelles. Mais chaque fois que nous versons dix-huit euros au budget agricole de l'Union européenne, nous en recevons vingt-quatre ou vingt-cinq en retour, alors que, a contrario, quand nous versons dix-huit euros au budget commun au titre des fonds structurels, nous n'en recevons que neuf en retour. Par conséquent, si l'on réduisait la prise en charge par l'Union européenne des dépenses agricoles, cela se traduirait par une perte sèche pour notre budget national, sans compensation possible.
Par ailleurs, la tentation serait grande d'ôter tout caractère obligatoire à la part des dépenses qui serait à la charge des Etats : on imagine aisément que les pressions dans ce sens seraient fortes, quand on voit quelles controverses souvent démagogiques entourent les aides européennes à l'agriculture. Mais ce serait alors mettre le doigt dans un engrenage, et la politique agricole cesserait peu à peu d'être commune.
Face à ces perspectives inquiétantes, la réponse de la France devrait être ferme et cohérente. Or le projet de loi d'orientation agricole, notamment le principal dispositif qu'il prévoit, à savoir le contrat territorial d'exploitation, tend au résultat exactement inverse : en s'engageant dans un système de modulation nationale des aides et en brouillant la frontière entre le financement communautaire et le financement national, on ouvre la porte aux évolutions qu'il faudrait au contraire contrecarrer. Alors que, à Bruxelles, nous nous opposons, en principe, aux tendances à la renationalisation de la politique agricole commune qui se font jour, nous nous lançons, à l'échelon national, dans une démarche qui, d'une certaine manière, anticipe cette renationalisation. Quel bel argument pour nos partenaires !
Sous sa forme actuelle, le projet de loi d'orientation agricole paraît donc doublement inopportun.
D'une part, compte tenu du calendrier européen, il ne vient pas à son heure. Aristote disait, je crois, qu'une grande partie de l'art politique est d'agir au moment opportun,...
M. René-Pierre Signé. Quelles références !
M. Philippe François. ... or le Gouvernement a manifestement oublié ce précepte.
D'autre part, le contenu même du texte affaiblit la position de la France dans les négociations en cours. Je vois mal, dans ces conditions, ce que nous avons à gagner en l'adoptant maintenant dans la rédaction qui nous est proposée.
Mais il y a plus préoccupant encore. Si, par la force des choses, nous ne connaissons pas le contenu de l'accord qui doit intervenir en mars, ou peut-être même en février, nous connaissons du moins certaines des exigences européennes et internationales auxquelles nos agriculteurs, dans l'avenir, seront confrontés. Ainsi, nous savons que la population mondiale augmentera de 30 % ou de 40 % dans les prochaines décennies. Nous savons que le prochain cycle de négociations commerciales internationales se traduira par une ouverture accrue des marchés. Etre compétitifs sur le marché européen, qui s'aggrandira suite à l'élargissement de l'Union européenne, mais aussi et surtout sur le marché international, sera donc une exigence fondamentale qui s'imposera à nos producteurs.
M. Raymond Courrière. C'est une erreur !
M. Philippe François. Si nous ne savons pas prendre en compte cette exigence, nous n'assurerons pas l'avenir de l'agriculture française.
M. René-Pierre Signé. Parce que vous l'avez assuré, vous !
M. Philippe François. Cela ne signifie pas, bien au contraire, qu'il faille sacrifier à cette exigence les impératifs de sécurité et de qualité des produits, ni l'ambition d'assurer une occupation harmonieuse de l'espace.
M. Raymond Courrière. Et la solidarité ?
M. Philippe François. Je ne sache pas que la recherche de la qualité et de la sécurité ait jamais empêché de vendre, pourvu que l'on soit capable de faire connaître au consommateur les efforts accomplis. L'utilisation de l'espace ne saurait être non plus un handicap, dès lors que l'on s'attache à l'organiser et à l'encourager, au lieu de l'entraver par une fiscalité mal adaptée et confiscatoire.
En réalité, ce serait une erreur particulièrement grave que d'opposer entre elles les différentes exigences auxquelles notre agriculture devra faire face. Des entreprises agricoles qui ne seraient pas compétitives n'auraient aucune chance de développer des productions de qualité, ni de contribuer à l'aménagement de l'espace : dans un climat de concurrence accrue, elles ne pourraient en réalité que dépérir.
Ne croyons pas, mes chers collègues, que la place qu'occupent nos productions agricoles dans les échanges internationaux nous soit due. Souvenez-vous que, pendant des décennies, la France a connu un solde largement déficitaire de ses échanges agricoles. Si nous n'y prenons garde, si nous renonçons au choix de l'ouverture, de la modernisation et de l'acceptation des disciplines du marché, nous cesserons d'être l'une des grandes puissances agricoles et agroalimentaires.
Cela ne signifie naturellement pas que l'avenir de notre agriculture passe par l'acceptation d'un libéralisme mondial sans règles, où la spécificité de l'agriculture européenne serait ignorée, où les exigences sociales et sanitaires seraient méconnues.
M. René-Pierre Signé. Tout cela est contradictoire !
M. Philippe François. Bien au contraire, il faut se battre pour instaurer un libéralisme équilibré et ordonné, où la concurrence s'établit en tenant compte équitablement de l'ensemble de ces contraintes. Mais si nous voulons faire valider, dans les négociations internationales, les grandes lignes du modèle agricole européen, c'est précisément pour pouvoir participer à l'expansion du marché mondial, en nous y montrant compétitifs.
Le projet de loi qui nous est soumis correspond-il à cette orientation essentielle ?
M. Raymond Courrière. Oui !
M. Jean-Marc Pastor. Il est bon !
M. Philippe François. Je ne veux pas faire de procès d'intention, et j'admets volontiers que les différentes fonctions que remplissent les agriculteurs doivent être mieux reconnues. Mais je crains fort que les moyens retenus n'aillent à l'encontre des intérêts à long terme de notre agriculture. A force de dissocier les aides à l'agriculture de toute logique de production, on risque d'entrer de plus en plus dans une démarche malthusienne, où le souci de répartition prévaut sur l'objectif d'expansion.
M. Raymond Courrière. Caricature !
M. Philippe François. Le système actuel des aides n'est sans doute pas parfaitement équitable ; aucun ne l'est dans aucun domaine. Mais si le rééquilibrage revient à décourager la productivité, l'innovation et la croissance, le remède sera pire que le mal.
M. Raymond Courrière. C'est le productivisme que vous prônez !
M. Philippe François. Et si, pour parvenir à ce rééquilibrage, on doit, pour reprendre l'expression du Président de la République, « bureaucratiser » encore davantage une agriculture qui n'est déjà que trop administrée,...
M. René-Pierre Signé. Oh !
M. Philippe François. ... le remède sera carrément un poison. Encadrer les agriculteurs par une armée de fonctionnaires...
M. René-Pierre Signé. Ils n'aiment pas les fonctionnaires !
M. Philippe François. ... n'est pas la bonne recette pour faire en sorte que les productions répondent aux besoins : s'il y a des leçons à tirer de l'histoire, c'en est une.
On aura compris, bien entendu, que je suis enclin au plus profond scepticisme devant le projet de loi qui nous est soumis. En effet, une loi d'orientation a pour objet de préparer l'avenir, or ce texte me paraît relever davantage d'une logique de stagnation que d'une réelle ambition pour notre agriculture. A cet égard, je tiens à remercier mon collègue et ami Michel Souplet, qui, dans l'exercice de sa mission de rapporteur, a accompli un travail constructif qui souligne sa compétence en la matière.
Afin de le soutenir, il faudra, au cours de ce débat que les uns et les autres apportent à cette tentative maladroite et inopportune des éléments complémentaires qui seront nécessaires pour faire valoir une vision plus dynamique de l'agriculture française, laquelle aurait tout à perdre à succomber à la tentation du repli. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lejeune, dont je salue la première intervention à la tribune. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

M. André Lejeune. Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je ne vous surprendrai pas en disant que mon propos sera différent de celui des derniers orateurs qui m'ont précédé, s'agissant en particulier des contrats territoriaux d'exploitation.
Créés par l'article 2 de votre projet de loi, ils en constituent l'une des principales innovations. Ils sont la traduction d'une politique agricole centrée sur le territoire et conciliant agriculture et société.
Ainsi, les multiples fonctions de l'agriculture sont enfin reconnues. En effet, aujourd'hui, le métier d'agriculteur ne se limite plus à la seule fonction de production ou de transformation : le secteur agricole rend de nombreux services à la société, tant dans le domaine social, de par sa contribution à la création d'emplois, que dans celui de l'environnement, en permettant une meilleure occupation du territoire en milieu rural et en préservant les ressources naturelles.
C'est donc l'utilité publique de ce secteur qui est enfin reconnue, et qui sera rémunérée en conséquence. Les agriculteurs ne s'y sont pas trompés, comme en témoigne le nombre important de départements qui se sont portés volontaires pour mener l'expérimentation.
M. Raymond Courrière. Bien sûr !
M. André Lejeune. Comme vous nous l'avez confirmé, monsieur le ministre, nos partenaires européens eux-mêmes sont d'ailleurs très intéressés par le contenu et les objectifs du CTE.
A propos de l'Europe, permettez-moi, monsieur le ministre, de profiter du temps de parole qui m'est accordé pour vous demander de rester très vigilant lors des négociations relatives à la politique agricole commune. En effet, le « paquet Santer » est en l'état inacceptable, surtout pour les régions d'élevage.
Je suis d'ailleurs convaincu de votre détermination à cet égard - vous l'avez réaffirmée hier - tout comme je suis convaincu de la profonde utilité de la mise en place des contrats territoriaux d'exploitation pour l'avenir de notre agriculture.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. André Lejeune. Fondés sur le principe de l'adhésion volontaire, élaborés au plus près du terrain, c'est-à-dire à l'échelon départemental, dans le respect des orientations définies à l'échelon national, ces contrats doivent permettre l'amélioration qualitative des produits et la diversification des activités, laquelle est nécessaire au maintien et à la création d'emplois, ainsi qu'à l'installation des jeunes en milieu rural.
L'existence d'exploitations viables sur l'ensemble du territoire est un gage de pérennité du tissu économique et d'occupation harmonieuse de l'espace dans nos zones rurales. Sans elles, nos campagnes meurent de la conjugaison du dépeuplement et de l'expansion des friches. En tant qu'élu de la Creuse, je sais de quoi je parle.
En outre, un développement durable de l'agriculture ne peut s'envisager que s'il concerne l'ensemble du territoire et favorise la bonne gestion de l'espace. Or les contrats territoriaux d'exploitation traduisent une profonde modification de la conception du soutien de l'Etat à l'agriculture.
A cet égard, le financement prévu, qui atteint 450 millions de francs pour 1999 et qui doit être mis en place en septembre, doit permettre, quoi qu'en disent ceux qui le critiquent, d'assurer un démarrage dans de bonnes conditions du dispositif des CTE. Il doit être évolutif, et l'affectation des crédits doit permettre d'instaurer une équité réelle entre toutes les régions et tous les types de production. Pour cela, le montant des aides financières doit tenir compte du climat et de la capacité du sol à produire, ainsi que des handicaps naturels et des difficultés rencontrées par les producteurs.
En tout état de cause, les CTE sont un outil incitatif, et il est souhaitable que des expérimentations aient lieu avant que ne soient pris les décrets d'application de la loi.
Dans ces conditions, je suis persuadé que les contrats territoriaux d'exploitation seront un instrument efficace au service d'un nouveau mode de développement des exploitations. Ayons confiance ! Faisons confiance à nos agriculteurs, mais, de grâce, renonçons à ces procès d'intention que l'on a trop souvent entendus ces jours-ci ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)

(M. Christian Poncelet remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. Mes chers collègues, nous allons accueillir M. le Premier président de la Cour des comptes.

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