Séance du 2 février 1999







M. le président. Par amendement n° 495 rectifié, présenté par M. Pastor, Mme Boyer, MM. Bony, Courteau, Lejeune, Piras, Plancade, Raoult, Trémel, Bellanger, Besson, Demerliat, Désiré, Dussaut, Fatous, Godard, Journet, Percheron, Rinchet, Signé, Teston, Vidal, Weber et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à insérer, après l'article 65, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement confiera aux parlementaires une mission d'analyse liée au développement économique rural, à la fiscalité agricole, à la notion d'intégration, à la gestion et à la transmission des droits à produire ainsi qu'à la définition et l'utilisation des critères de qualité par les divers intervenants économiques.
« Dans le même temps, le Gouvernement s'engage à faire l'évaluation des politiques publiques de qualité et à mettre en oeuvre tout moyen pour y parvenir, en concertation avec l'ensemble des partenaires concernés.
« Cette mission donnera lieu à un rapport qui proposera les adaptations et réformes nécessaires.
« Pendant cette période transitoire le respect des règles de concurrence et de sécurité sanitaire sera assuré par tous les partenaires. »
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Cet amendement n'est que la suite des propos que j'ai tenus tout à l'heure et de ceux qui ont été tenus voilà quelque quinze jours lors de l'examen de l'article 6.
Comme vous pouvez le constater, nous reprenons, dans la présente proposition, la réforme de la fiscalité, la notion d'intégration, la transmission des droits à produire, l'intégration de la gestion des critères de qualité avec un souci essentiel, à savoir obtenir plus de transparence et aboutir à une plus grande équité entre les différents partenaires qui participent à l'ensemble du développement local et rural.
J'ajouterai que nous voulons peut-être aussi pouvoir, dans le cadre de cette mission, prouver que le monde artisanal rural a plus de relations avec le monde agricole que ce qu'on a parfois voulu lui laisser croire.
Dans cet esprit, peut-être apporterons-nous la paix dans nos campagnes et montrerons-nous indirectement aux agriculteurs quels sont ceux qui, peut-être, les titillent de temps en temps parce qu'ils disposent d'autres moyens de pression ; je pense à la grande distribution ?
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Michel Souplet, rapporteur. Monsieur le président, je suis content que nous examinions cet amendement en priorité. En effet, il n'y a pas antinomie entre ce texte et l'amendement n° 92, présenté par la commission, et qui est très important car il complète la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
Par l'amendement n° 495 rectifié visant à insérer un article additionnel, M. Pastor demande au Gouvernement de confier une mission au Parlement. La commission, dans son amendement n° 92, demande au Gouvernement de présenter un rapport au Parlement et ensuite, nous, parlementaires, nous nous saisirons du dossier au sein d'une mission parlementaire sur la constitution de laquelle nous sommes tous d'accord. Mais il ne me paraît pas utile d'insérer dans la loi cette décision, qui est d'ordre parlementaire et qui ne retire rien au souhait qui est le nôtre, à savoir que le Gouvernement s'engage, dans un délai relativement court, à présenter un rapport. Tout à l'heure, lorsque je défendrai l'amendement de la commission, je pourrai expliciter davantage mon point de vue.
Nous avons supprimé l'article 6 parce qu'il y avait des problèmes sur le terrain entre des professions différentes qui travaillent sur des mêmes objectifs et avec des conditions fiscales et sociales dissemblables. Nous souhaitons parvenir, le plus rapidement possible, à une harmonisation fiscale en milieu rural. La tâche est vaste, nous en convenons. Les organisations agricoles ne sont pas toutes encore d'accord sur ce point. Mais nous avons le devoir, en tant qu'élus, d'essayer de tout mettre en oeuvre pour instaurer, dans les campagnes, une harmonie entre les différents corps de métiers.
Le projet de loi d'orientation agricole a l'avantage de bien définir ce qu'est la multifonctionnalité de l'agriculture, de pouvoir dire dans quelles conditions l'agriculture peut travailler. Mais les agriculteurs ne tiennent absolument pas à prendre le travail des autres dans des conditions différentes.
Il s'agit d'un point important. Je suis obligé d'évoquer à l'instant l'amendement n° 92 car nous aurions bien du mal à l'intégrer ensuite si l'amendement n° 495 rectifié était adopté. Or l'amendement n° 92 me paraît plus important de par sa structure même. Par ailleurs, la volonté de la commission consiste à placer le Gouvernement devant la responsabilité de son rapport dans un délai relativement bref, tandis que nous, parlementaires, serions également saisis du dossier. Nous ne nous adresserons pas forcément aux mêmes participants pour cette commission.
Compte tenu de ces explications, je demande à M. Pastor de bien vouloir retirer l'amendement n° 495 rectifié. Nous pourrions ainsi discuter de l'amendement de la commission, sur lequel j'ai d'autres arguments à faire valoir.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, comme nous touchons là à l'organisation des travaux du Sénat sur ce sujet au cours des mois à venir, je me garderai bien de trancher et de vous faire une recommandation.
Cela étant dit, je vous mets en garde, monsieur le rapporteur : confier un rapport au Gouvernement sur un sujet si vaste et dans des délais si courts, c'est s'exposer. En effet, un rapport gouvernemental, cela signifie consulter Bercy - si vous voyez ce que je veux dire... (Sourires) - procéder à des arbitrages interministériels et s'engager dans une mécanique qui sera lourde et sur laquelle vous n'aurez aucune certitude quant à la tenue des délais.
S'engager à faire remettre par le Gouvernement au 1er septembre 1999 - ou au 1er octobre 1999 - un rapport exhaustif sur le sujet me paraît audacieux et ne me semble pas tenable. Je serais même prêt à sous-amender la proposition de M. Pastor. En effet, il n'est pas nécessaire d'attendre dix-huit mois pour confier une mission aux parlementaires. Cette mission peut leur être confiée dans le mois ou les deux mois qui suivent la promulgation de la loi, voire dès la promulgation elle-même. Ensuite, vous auriez la liberté d'organiser vos travaux, vos délais, votre concertation. De mon propre point de vue, cela paraîtrait plus efficace. Ce sont là des considérations d'ordre général dont je vous laisse juges.
M. Michel Souplet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Souplet rapporteur. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je serais tenté de revenir sur ce qui a été dit à l'Assemblée nationale. Voilà quelque deux mois et demi, ce texte a été examiné par l'Assemblée nationale. Les députés ont fixé une date qui, vous avez parfaitement raison, monsieur le ministre, constitue aujourd'hui un butoir trop rapproché.
Pour ma part, je serais tenté de proposer à nos collègues du groupe socialiste, lorsque je présenterai l'amendement n° 92, de le rectifier afin de reprendre la première partie de l'amendement n° 495 rectifié, mais en remplaçant la date du 1er octobre 1999 par celle du 1er janvier 2000, par exemple, de façon à laisser au moins six mois. Il n'est pas raisonnable de prétendre faire un travail sérieux en trois mois. Il faut au mois six mois. J'irais même jusqu'à proposer neuf mois.
Notre collègue François Patriat, rapporteur du projet de loi d'orientation agricole à l'Assemblée nationale, et le Gouvernement, ayant estimé que les dispositions fiscales ne relevaient pas, sur la forme, d'une loi d'orientation, mais devaient trouver leur place dans un projet de loi de finances, ont souhaité inscrire, dans le projet de loi d'orientation agricole, une disposition relative au dépôt d'un rapport concernant la fiscalité agricole par le Gouvernement devant le Parlement.
Or nous savons qu'il s'agit d'un travail complexe. M. le ministre nous a mis en garde s'agissant de Bercy. Effectivement, nous savons que sans cesse Bercy dira « non ».
Toutefois, nous avons défendu, dans cet hémicycle, l'impérieuse nécessité d'assurer cette harmonisation en milieu rural, d'une part, et l'intensification, par chaque chef d'entreprise, de la parfaite connaissance de son entreprise, de son fonctionnement et de ses données financières, d'autre part.
Aujourd'hui, chaque agriculteur tient une comptabilité. Toute l'agriculture devrait - j'en suis convaincu - passer à terme au bénéfice réel. Mais il faut permettre d'y parvenir, ce qui ne peut se faire d'un coup de baguette magique.
Par conséquent, si nous souhaitons effectivement que le Gouvernement présente un rapport au Parlement, il faut alors lui accorder un délai plus long et reporter le dépôt de ce rapport au 1er janvier ou au 1er mars de l'année prochaine. Mais nous devons absolument, dans le même temps, rencontrer les organisations professionnelles agricoles, ce qui peut se faire dans le cadre du groupe de travail de la mission parlementaire.
Trois grands thèmes émergent des premiers travaux de ce groupe de travail : l'avenir du forfait agricole, l'adaptation du régime fiscal à la pluriactivité et la fiscalité de transmission des exploitations.
Conscient de la complexité de ces questions et de l'absence d'unanimité au sein même des OPA, le rapporteur que je suis approuve l'article 65 du projet de loi. Je serai néanmoins attentif au fait que ce rapport ne tombe pas dans l'oubli.
En outre, je vous propose de compléter cet article afin, tout d'abord, de consacrer l'émergence d'un véritable droit des entreprises agricoles et ensuite, d'effectuer une comparaison entre les charges fiscales et sociales des différents acteurs du milieu rural. Telles étaient d'ailleurs les motivations profondes qui ont conduit à la suppression de l'article 6.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Mesdames, messieurs les sénateurs, renversant les rôles, je vais vous mettre en garde contre les pratiques gouvernementales ! (Rires.) Ce sont d'ailleurs les mêmes quel que soit le gouvernement !
Il y a un fil d'or dans l'action des gouvernements : les lois de la République - c'est notamment le cas dans le domaine agricole ! - prévoient systématiquement que le Gouvernement devra remettre un rapport sur la fiscalité. Or, combien de rapports ont-ils été présentés ? Aucun !
On peut certes continuer à prêcher dans le désert ! Néanmoins, je vous mets en garde : si vous voulez aboutir, prenez donc ce travail en main vous-mêmes !
M. Charles Revet. C'est préoccupant ce que vous nous dites, monsieur le ministre ! Le Parlement demande, et il n'obtient pas de réponse !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais ce gouvernement n'agira pas comme les autres !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Je ne comprends pas très bien le débat ! Si le Sénat souhaite se saisir de ce sujet, je ne vois pas pourquoi il serait nécessaire de lui donner l'ordre de le faire dans un texte de loi. Ce serait la première fois que j'assisterais à cela !
La commission a décidé de se saisir de ce sujet. Mais, monsieur le ministre, cela ne m'incite en aucune manière à exonérer le Gouvernement de nous présenter des propositions ! Je ne connais pas de sujet plus difficile que celui-là. Dans ces conditions - c'est la logique de la démarche - je me retourne vers vous, monsieur le ministre ! Il me paraît donc bon d'inscrire dans ce texte l'obligation faite au Gouvernement de nous remettre un rapport Cela en vaut la peine ! (Rires.)
Quant au Sénat, il suivra la suggestion de M. Pastor. Mais pourquoi l'inscrire dans la loi ?
Par conséquent, je soutiens M. le rapporteur et je promets à M. Pastor qu'il ne sera pas déçu : nous travaillerons ! Mais croyez-moi, l'ardeur que met M. le ministre à nous confier ce travail et à s'en dessaisir m'incite à la méfiance ! (Sourires.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 495 rectifié.
M. André Lejeune. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lejeune.
M. André Lejeune. N'oublions pas qu'il y a deux partenaires - le Parlement et le Gouvernement - qu'il ne serait pas judicieux de séparer.
Il serait à mon avis intéressant et sans doute plus efficace que le Gouvernement soit impliqué également.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Oui !
M. André Lejeune. Comment peut-il s'impliquer ? En confiant une mission au Parlement ! (Rires.) Le Gouvernement et le Parlement seront alors associés ! Une telle démarche serait à mon avis plus intéressante et plus efficace que celle qui consisterait simplement à laisser le Gouvernement élaborer un rapport tandis que le Parlement créerait une commission et travaillerait de son côté. Il faut que les deux soient liés, sinon notre action ne sera pas efficace. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je tiens tout d'abord à indiquer que le groupe du RPR demande un vote par scrutin public sur l'amendement n° 495 rectifié.
Il serait sage, à mon avis, que nous suivions la recommandation de M. le président de la commission des affaires économiques,...
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Alain Vasselle. ... qui s'inspire de celle qui a été formulée par M. le rapporteur.
Je pense que légiférer de la façon qui est proposée par les auteurs de l'amendement serait une erreur. Comme l'a dit M. le président de la commission des affaires économiques, ce serait une première !
Il me semble que, sur ce dossier, nous voulons tous, en définitive, atteindre le même objectif. Nous sommes même d'accord sur la voie à suivre, puisque le président de la commission des affaires économiques accepte que le Parlement se saisisse sur le sujet et décide de créer une mission parlementaire, tandis que M. Lejeune, si je comprends bien, ne s'oppose pas à ce que l'on demande au Gouvernement d'apporter sa contribution au traitement du problème.
Cela étant, je crois que, s'agissant d'un dossier aussi délicat, il nous faut adopter une approche globale qui ne soit pas limitative. A cet égard, je note que l'amendement de nos collègues socialistes ne comporte pas de volet social. Il s'agit certainement d'un oubli, mais il aurait suffi de sous-amender le texte pour le réparer.
Ce travail doit être mené en étroite concertation avec la profession - et même l'interprofession - le Parlement et le Gouvernement. Je pense donc que la sagesse serait de s'aligner sur la position de M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Gérard César. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. César.
M. Gérard César. J'abonde dans le sens de M. Vasselle et de M. le président de la commission des affaires économiques.
En effet, lors de la dernière réunion de la commission des affaires économiques du Sénat, nous avons approuvé la proposition de M. François-Poncet qui visait à mettre en place un groupe de travail devant aborder tous ces problèmes de fiscalité et de transmission des entreprises. Cela n'empêchera bien sûr pas le Gouvernement de déposer un rapport.
Mais, pour le moment, le Parlement s'autosaisit - le mot est important - de la création d'un groupe de travail, au sein duquel toutes les sensibilités du Sénat seront représentées, pour étudier ce problème. Bien sûr, il ne faut pas qu'y siègent tous les membres de la commission des affaires économiques ; mais nous aurons à faire appel, pour nous aider dans cette réflexion, au ministère de l'agriculture, au ministère des finances, ainsi qu'à la commission des finances du Sénat.
Je demande donc à nos collègues du groupe socialiste de bien vouloir retirer l'amendement ; sinon, le Sénat aura à se prononcer par scrutin public.
M. Bernard Piras. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras. C'est bien que le Sénat travaille ; mais le Sénat a déjà établi de nombreux rapports dans divers domaines.
M. Alain Vasselle. Des rapports de qualité !
M. Bernard Piras. En tous les cas, ces rapports n'ont pas tous débouché, loin s'en faut, sur des textes de loi.
Or, l'objet du rapport en question, c'est bien de prolonger la loi, comme ce fut le cas avec les lois de 1960 et 1962, par des lois complémentaires. Dans cette démarche-là, Gouvernement et Parlement doivent à mon avis être associés.
M. Alain Vasselle. Nous sommes d'accord !
M. Michel Souplet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Souplet, rapporteur. Je précise que, si l'amendement n° 495 rectifié n'est pas retiré, comme le souhaite la commission, cette dernière émettra alors un avis défavorable, invitant ensuite le Sénat à adopter l'amendement n° 92.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 495 rectifié, repoussé par la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 70:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 98
Contre 221

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