Séance du 9 février 1999







M. le président. La parole est à M. Leclerc, auteur de la question n° 394, adressée à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
M. Dominique Leclerc. Madame la ministre, après m'être associé aux propos de mes collègues Pierre-Yvon Trémel et Michel Barnier au sujet des incidents qui se sont déroulés hier dans votre ministère, je souhaite attirer votre attention sur le projet de barrage de Chambonchard, dont l'exécution dépend, à l'heure actuelle, de l'octroi de crédits de l'Etat.
Depuis quelques mois, des rumeurs courent - La Tribune du 27 janvier dernier en fait notamment état - selon lesquelles la décision aurait été prise, en conseil des ministres ou à l'occasion d'un comité interministériel d'aménagement du territoire, d'abandonner ce projet.
Cette opération, déclarée d'intérêt public le 12 décembre 1996, serait non seulement bloquée mais en voie d'abandon au profit d'une solution alternative dont vous seriez à l'origine. Cette dernière consisterait, pour l'essentiel, d'une part à revoir les conditions d'utilisation du barrage EDG de Rochebut, d'autre part à construire un nouveau barrage à Commentry.
Une telle solution est, pour plusieurs raisons, totalement inacceptable.
En premier lieu, en faisant un tel choix, l'Etat ne respecterait pas les engagements qu'il a signés avec toutes les collectivités territoriales du bassin de la Loire et enfreindrait ainsi le principe républicain de continuité de l'action publique. Or ces collectivités, je peux vous l'assurer, sont unies par l'intermédiaire de leurs élus, toutes tendances politiques confondues, pour défendre la construction de ce barrage.
En second lieu, cette décision ne respecterait pas la loi sur l'eau du 3 janvier 1992 et le schéma départemental d'aménagement et de gestion des eaux de Loire-Bretagne qui en a découlé : ces textes prévoient des objectifs de débit et de qualité de l'eau qui ne nous paraissent pas atteints par ce projet alternatif.
Par ailleurs, ce projet n'apporterait qu'une réponse locale et inadaptée à un problème qui concerne une région dans sa globalité.
Enfin, de fortes interrogations pèsent sur la qualité des eaux qui seraient relâchées, du fait de l'arsenic qui est stocké à Rochebut.
Parce que le temps m'est compté, je ne peux continuer à vous détailler toutes les raisons qui me poussent à m'opposer à une telle éventualité.
J'ajouterai cependant un dernier mot quant au coût de ce projet alternatif : il est, paraît-il, estimé à 280 millions de francs, sans tenir compte des coûts de gestion et de fonctionnement. Madame la ministre, où trouverez-vous un tel montant, alors que l'Etat tergiverse depuis des années pour verser à l'établissement public d'aménagement de la Loire et de ses affluents, l'EPALA, les 70 millions de francs nécessaires à la réalisation du barrage de Chambonchard ?
Madame la ministre, je pense pouvoir parler aussi bien au nom des habitants du bassin de la Loire que des élus locaux. Nous ne souhaitons pas, vous l'aurez compris, que l'Etat nous propose des solutions alternatives au barrage de Chambonchard. Nous attendons, au contraire, qu'il respecte ses engagements. Pouvez-vous, aujourd'hui, nous faire connaître à quelle date il compte enfin les honorer ?
M. le président. Madame le ministre, avant de vous donner la parole, je tiens à vous exprimer notre solidarité face aux événements qui se sont produits hier dans votre ministère. S'ils sont désagréables personnellement, compte tenu des fonctions et des responsabilités que vous assumez, ils sont aussi inquiétants au regard de l'équilibre que nous souhaitons maintenir dans notre pays.
Je vous confirme donc la solidarité du Sénat, que vous ont déjà témoignée plusieurs de nos collègues.
Vous avez la parole, madame le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je vous remercie, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de vos manifestations de solidarité. Ce qui s'est passé hier dans mon ministère est exceptionnel, et d'autant plus incompréhensible que les mots d'ordre étaient très généraux et qu'à aucun moment les manifestants n'ont cherché à dialoguer ou à faire valoir leurs arguments. Ils étaient, semble-t-il, venus pour casser, et ils l'ont fait.
S'agissant de votre question, monsieur Leclerc, je vous rappelle que le plan décennal « Loire grandeur nature » a été adopté le 4 janvier 1994, à l'issue de plusieurs années de conflits et de discussions.
Il a semblé normal au Gouvernement d'en dresser un bilan à mi-parcours et de s'interroger, dans ce cadre, sur l'opportunité des opérations non encore réalisées en vue de la définition d'une deuxième phase de ce plan et de l'éventuelle intégration de ces opérations dans les prochains contrats de plan Etat-régions.
En ce qui concerne le projet de barrage de Chambonchard, divers éléments ont conduit le Gouvernement à s'interroger sur sa pertinence.
D'abord, l'évolution de la politique agricole commune diminue fortement l'intérêt de l'ouvrage pour l'irrigation, seul élément qui justifiait initialement la participation du ministère de l'agriculture et de la pêche à son financement, à concurrence de 70 millions de francs. Vous avez d'ailleurs cité ce chiffre en omettant toutefois de préciser que l'agence de l'eau de Loire-Bretagne était aussi appelée à financer ce barrage à raison de 190 millions de francs, ce qui est tout de même une somme considérable.
J'ai noté que l'agence de l'eau avait été sommée de payer, mais qu'elle n'avait pas été associée à l'élaboration du plan Loire grandeur nature. Je souhaite qu'elle puisse être considérée comme un partenaire de l'Etat et de l'EPALA dans la deuxième phase de réalisation de ce plan décennal.
Ensuite, ont été mis en évidence, d'une part, une rentabilité médiocre et, d'autre part, un intérêt limité du projet de développement touristique qui avait été imaginé, en raison notamment d'un important marnage estival.
Enfin, d'autres hypothèses techniques paraissent susceptibles d'assurer une bonne gestion des étiages du Cher, tant quantitativement, pour l'alimentation en eau potable de l'agglomération de Montluçon, que qualitativement, par la réduction des pollutions domestiques, industrielles et agricoles.
Pour décider en toute connaissance de cause de la suite à donner à ce dossier, je me suis rendue à Montluçon, le 2 juillet dernier, pour rencontrer les partenaires de l'Etat.
J'ai également lancé un programme d'étude afin d'examiner les solutions de rechange au barrage, en termes de gestion des étiages et de développement du secteur du Haut-Cher, pouvant s'intégrer dans la deuxième phase du plan Loire grandeur nature.
Ce travail n'est pas encore terminé, et le Gouvernement n'a donc pas arrêté sa décision s'agissant du barrage du Chambonchard.
Les grands axes de la deuxième phase du plan Loire grandeur nature seront présentés en conseil des ministres d'ici à quelques semaines. Mais je dois dire, monsieur le sénateur, que j'entends beaucoup d'informations irrationnelles à propos de ce dossier. Ainsi, j'avoue que c'est la première fois que j'entends parler d'un barrage à Commentry ! Toutes les idées semblent être agitées sur le terrain, mais elles reposent, pour l'essentiel, sur des rumeurs ou sur une interprétation des propos que j'ai pu tenir à Montluçon le 2 juillet dernier.
Je ne peux que répéter, de façon tout à fait sereine, que je suis très attachée à la rigueur dans l'utilisation des fonds publics et que je tiens à répondre aux inquiétudes des riverains du Cher en ce qui concerne à la fois la qualité de l'eau, le soutien des étiages et le maintien de l'activité économique. A cet égard, je sais que l'activité de certaines entreprises, installées notamment à Commentry, dépend, pour une part, de leur alimentation régulière en eau.
Nous serons attentifs à tous ces points et nous tenterons d'apporter la réponse la plus concrète et la plus économe possible, qu'il s'agisse de fonds publics ou de fonds privés. Cela étant, nous ne sommes pas encore en état de faire les propositions que vous attendez depuis longtemps, monsieur le sénateur, ce qui justifie votre impatience.
M. Dominique Leclerc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Madame la ministre, je comprends votre volonté de mener une nouvelle réflexion et d'établir un bilan à mi-parcours de la réalisation du plan « Loire grandeur nature ».
En vous posant cette question ce matin, je voulais vous dire l'attachement non seulement de toute la population ligérienne, qui représente plusieurs centaines de milliers de personnes, mais aussi de l'ensemble des élus locaux, toutes tendances confondues.
C'est vrai, le plan Loire grandeur nature est le résultat de nombreuses réflexions et études menées sur l'ensemble des projets concernés.
Pour ce qui est de Chambonchard, la définition en a été revue. En effet, si, dans un premier temps, ce barrage était conçu comme un élément important pour l'agriculture locale, dans sa conception finale, son but est essentiellement la qualité de l'eau du bassin de la vallée du Cher, notamment des villes de Montluçon et de Commentry.
Par ailleurs, vous le savez, ce barrage a constitué, en 1994, l'un des éléments d'une réflexion tendant à prendre en compte différents critères. En premier lieu, et cela nous concerne tous, il s'agissait d'assurer une meilleure sécurité pour toutes les populations ligériennes, avec l'entretien et le renforcement des digues, l'entretien du lit de la Loire et la réalisation de certains ouvrages. En deuxième lieu, la qualité de l'eau devait être préservée, d'où un volet environnemental auquel nous sommes tous attachés. Mais il faut mentionner aussi le rétablissement de la salmoniculture - l'Indre-et-Loire est directement concernée - et la disparition de certains barrages, dont Maisons-Rouges. Là, la raison est revenue !
Encore une fois, tous les élus sont attachés à l'ensemble du plan Loire grandeur nature. Alors, madame la ministre, je voudrais que, à mi-parcours, le gouvernement auquel vous appartenez réaffirme sa volonté politique de prendre en compte tous les éléments qui composent le plan Loire grandeur nature, qui ont fait l'unanimité, afin de prendre en considération les inquiétudes des populations concernées.
Je l'ai dit, c'est aussi le respect de la politique contractuelle qui est en jeu : si Chambonchard représente pour l'Etat une charge de 70 millions de francs, pour l'agence de bassin de Loire-Bretagne, qui a été associée à l'étude et à la réflexion, cette charge représente plus de 190 millions de francs, et les collectivités locales sont aussi engagées à la même hauteur.
De grâce, madame la ministre, que le Gouvernement réaffirme sa volonté politique ! Il s'agit d'une réelle préoccupation, d'un véritable besoin pour le bassin de la Loire mais aussi pour toute la France, car la politique contractuelle constitue aujourd'hui, vous le savez, le fondement de l'ensemble des plans et réalisations, et il convient donc que l'Etat tienne ses engagements.

PLAN D'AMÉNAGEMENT DE LA LOIRE