Séance du 4 mars 1999






égalité entre les femmes
et les hommes

Discussion d'un projet de loi constitutionnelle
en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle (n° 228, 1998-1999), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. (Rapport n° 247 [1998-1999]).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le 16 février dernier, lors de la seconde lecture du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions, l'Assemblée nationale a rétabli le texte qu'elle avait voté une première fois à l'unanimité de tous les groupes politiques.
C'est une nouvelle fois à l'unanimité, moins deux voix, que l'Assemblée nationale a choisi d'inscrire à l'article 3 de la Constitution le texte selon lequel « la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
En faisant ce choix, l'Assemblée nationale n'a pas retenu la rédaction de la Haute Assemblée qui s'était prononcée en faveur d'une modification du seul article 4 de la Constitution.
M. Pierre Fauchon. Elle avait raison !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je l'ai dit avec netteté devant l'Assemblée nationale le 16 février dernier, et je le redis ici devant vous : le choix et les raisons du Sénat sont respectables.
M. Pierre Fauchon. Ah !...
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Et comme l'a fait très justement remarquer Mme Catherine Tasca, la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, l'analyse et les arguments de votre assemblée ne doivent pas conduire à un débat sur le Sénat lui-même, sujet sans lien avec le projet de loi constitutionnelle que nous discutons aujourd'hui.
MM. Pierre Fauchon et Josselin de Rohan. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais aujourd'hui me concentrer sur l'essentiel, d'abord parce que beaucoup d'arguments ont déjà été échangés, ensuite parce qu'il ne me paraît pas justifié de susciter des oppositions factices entre les deux assemblées.
MM. Marcel Charmant et Roland Courteau. Très bien !
M. Philippe Richert. A qui la faute ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Eloignons-nous d'abord des débats futiles ou scolastiques ! Que veulent faire le Président de la République et le Gouvernement de cette révision constitutionnelle ?
M. Pierre Fauchon. Et le législatif ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous cherchons à atteindre un objectif pragmatique et non pas idéologique.
Notre pays, la France, est aujourd'hui la honte de l'Europe en matière de représentation politique des femmes. Cinquante-cinq ans de droit de vote et trente ans de lutte des femmes n'ont rien changé à cette situation.
M. Roland Courteau. Hélas !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous avons le devoir de changer cet état de choses.
Comme l'a dit justement l'historienne Michelle Perrot dans une chronique : « Les femmes, qui sont aujourd'hui les égales des hommes en instruction, qualification, capacités, autonomie sexuelle, voire, à un moindre degré, effet économique, continuent à être absentes de la décision politique parce que la vie politique s'est construite comme un club masculin où elles demeurent des intruses ».
Certains pensent qu'il conviendrait de laisser faire le temps ou la nature des choses. Et qui n'aurait pas préféré que le changement se fasse tout seul ?
Mmes Hélène Luc et Odette Terrade. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Qui n'aurait pas préféré que les esprits évoluent pour que les femmes soient naturellement à égalité avec les hommes dans nos assemblées représentatives ? Qui ne se serait pas réjoui que les barrières aujourd'hui encore trop visibles s'effacent d'elles-mêmes grâce à l'évolution des moeurs et des pratiques ?
Nous avons été nombreuses - et j'ai été de celles-là - à espérer pendant des années que la volonté et le militantisme finiraient par bousculer les préjugés. Mais nous en sommes aujourd'hui au même point qu'il y a cinquante ans lorsque le droit de vote a été accordé aux femmes : la représentation des femmes dans nos assemblées n'a pratiquement pas augmenté depuis 1944.
C'est pour cela que, lasse de plaider et d'espérer en la bonne volonté des partis politiques, les femmes se sont ralliées à la parité.
Ce sont les batailles politiques et électorales menées par les femmes sur le terrain qui ont fortement nourri leur engagement en faveur de la parité.
Tant qu'elles ne s'étaient pas présentées à une élection, elles ne savaient pas quel parcours du combattant il leur fallait parcourir, quels coups bas il leur fallait recevoir non pas pour être élues mais tout simplement pour arriver à être candidates.
On comprend alors mieux pourquoi il y a une telle unanimité en faveur de la parité chez les femmes « en politique » et une telle réticence de la part de celles qui, n'ont pas eu à affronter cette expérience ou n'ont jamais connu cette triste réalité du terrain politique ou électoral.
L'exclusion des femmes de la vie politique est le produit d'une réalité historique, politique et juridique.
Pendant des siècles, on a dit que les femmes étaient faites pour la maison et les hommes pour le forum. On a même prétendu que c'était la nature qui le voulait. Nous savons que c'est complètement faux ! C'est notre histoire sociale et politique qui a permis cela. Ce n'est pas la nature qui pendant des siècles a empêché les femmes d'aller à l'université et qui leur interdisait, voilà encore peu de temps, d'accéder à la police, à l'armée ou aux plus hautes fonctions de direction.
Ce n'est pas la nature qui fait que l'Assemblée nationale est composée de 90 % d'hommes ou le Sénat de 5 % de femmes ; c'est une histoire, c'est une culture politique, ce sont des règles du jeu non écrites qui permettent de tenir les femmes loin de la vie publique. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Aujourd'hui, je voudrais que nous écrivions ensemble une autre histoire qui aille vers l'égalité réelle des femmes et des hommes, par l'adoption de mesures qui corrigent l'inégalité de fait.
M. Marcel Charmant. Nous y sommes prêts !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le premier point que je veux souligner avec force, c'est que cette révision a un objectif pragmatique et concret. Il s'agit pour les femmes de gagner leur place et leur légitimité en politique, chose possible seulement si elles accèdent aux mandats.
La parité n'est pas d'abord un problème philosophique, elle est une réponse concrète à un problème concret : alors que, dans la plupart des domaines autrefois marqués par la ségrégation des sexes, l'écart ne cesse de s'affaiblir, rien de tel ne se passe dans les lieux où il est question de pouvoir, et spécialement de pouvoir politique. Là, on observe un blocage pur et simple : 0 % à 10 % de femmes seulement dans les états-majors des grands groupes financiers, parmi les grands patrons, parmi les professeurs d'université, parmi les représentants de la nation, parmi les hauts fonctionnaires.
Là où il faut faire sauter les verrous constitutionnels et institutionnels qui excluent les femmes, je crois que le constituant et le législateur ont non seulement la légitimité pour intervenir, mais aussi le devoir de le faire. C'est une question de responsabilité politique face à une situation choquante, et d'ailleurs de plus en plus mal supportée, vous le savez, par nos concitoyens et nos concitoyennes.
Quels moyens pouvons-nous employer ?
Comme je l'ai dit devant l'Assemblée nationale, la parité est un moyen ou un instrument pour parvenir dans les faits, et pas seulement abstraitement, à l'égalité des femmes et des hommes, privilège qui est déjà inscrit dans le préambule de la constitution de 1946.
Je crois que l'on se trompe si on pense que les revendications des femmes en faveur de la parité sont formulées au nom de la différence des sexes entre les hommes et les femmes, comme si, biologiquement, il y avait nécessairement une façon masculine ou féminine de faire de la politique. Je ne sais d'ailleurs pas non plus s'il y a, par nature, des valeurs féminines ou des valeurs masculines. Ce que je sais, c'est que nous ne devons pas nous enfermer dans un débat philosophique, si respectable soit-il, et que nous avons, nous, ici, parce que nous sommes des responsables politiques, à vouloir corriger la réalité concrète dans ce qu'elle a de plus choquant.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ajouterai qu'il me paraît plus important de traiter des problèmes en se donnant les moyens effectifs de les résoudre, plutôt que de lancer des anathèmes au nom de l'universalisme, du différentialisme ou du communautarisme.
Je constate seulement que les femmes et les hommes ne sont pas traités également lorsqu'il s'agit d'accéder aux fonctions politiques. Je dis que les femmes en sont exclues parce qu'elles sont des femmes et qu'il appartient à un pays moderne et démocratique comme le nôtre de remédier à cette inégalité de traitement par la loi. C'est même une condition du renouvellement de notre démocratie. En effet qu'est-ce que la politique lorsqu'elle est si loin de la réalité de la société ?
Parmi les verrous institutionnels, il y a, nous le savons, les partis politiques, qui ont empêché l'émergence d'un vivier de candidates à la vie politique. Et que l'on ne vienne pas dire que c'est parce que les femmes se désintéressent de la vie publique qu'elles ne se sont pas présentées ou qu'elles n'ont pas été élues : c'est bien parce que, dans leur grande majorité, les partis politiques en ont décidé ainsi. Ou bien les femmes n'ont pas été jugées aptes, ou bien elles ont été envoyées dans des circonscriptions que les appareils jugeaient imprenables,...
M. Hilaire Flandre. Vous parlez pour les socialistes !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... ou bien encore elles ont été choisies comme alibi. Cette situation est, à mes yeux, inacceptable.
Par conséquent, dès lors que les partis sont certainement les principaux responsables d'une telle situation, il n'est pas admissible de laisser à leur seule initiative le soin de remédier à une situation qui a été ainsi créée.
Le verrou constitutionnel, tout le monde le connaît. Je n'y reviens que pour souligner qu'il faut apporter une modification à l'article 3 de la Constitution.
En effet, c'est essentiellement sur cet article que s'est fondé le Conseil constitutionnel pour censurer par deux fois, et encore récemment, les efforts faits par le législateur pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions.
Je le dis à nouveau devant vous : nous ne voulons pas modifier cet article 3 par idéologie. Il ne s'agit pas de bouleverser l'idée de la souveraineté du peuple. Il s'agit seulement de se donner des moyens effectifs pour remédier à une inégalité de traitement. Il s'agit de faire cesser l'injustice flagrante faite aux femmes, qui consiste à leur interdire l'accès à un bastion réservé au genre masculin.
Permettre au législateur d'intervenir par la loi est parfaitement conforme à son rôle : corriger les inégalités de traitement pour parvenir dans les faits, concrètement, à l'égalité, c'est-à-dire parvenir au droit commun.
Je ne crois pas que faire de la politique de cette manière ce soit porter atteinte aux grands idéaux de la République.
On nous oppose l'argument de l'universalisme. Mais qu'est-ce qui est inacceptable ? Que les femmes soient exclues de la vie publique, ou qu'elles gagnent le droit à l'égalité républicaine grâce à une mesure que la loi établit ? (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Les antiparitaires se trompent de combat ! Moi, je préfère que l'on mette fin à une anomalie choquante qui fait de notre pays la lanterne rouge de l'Europe, plutôt que de laisser se perpétuer des inégalités choquantes.
M. Roland Courteau et Mme Odette Terrade. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Autre argument avancé par les adversaires du projet de loi constitutionnelle : la parité entre les hommes et les femmes serait la porte ouverte à des revendications similaires de la part de minorités ethniques, religieuses ou linguistiques. Nous ouvririons ainsi la boîte de Pandore du communautarisme.
Permettez-moi d'abord de vous dire qu'il est normal qu'en démocratie tous ceux qui éprouvent un sentiment d'injustice puissent le dire. C'est le jeu normal d'une société ouverte. Mais que ces revendications soient légitimes ou non, qu'elles doivent être converties en mesures législatives ou non, c'est au Parlement de le dire,...
MM. Roland Courteau et Marcel Charmant. Effectivement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et en réalité le Parlement détient la clé de ces décisions. Aussi, que l'on ne nous prennent pas, vous et nous, pour des enfants, en affirmant que parce que l'on reconnaîtrait, dans la Constitution, que les femmes sont la moitié de l'humanité, il y aurait tout d'un coup ce déferlement auquel rien ne pourrait résister. Vous avez montré votre capacité de résistance ; je pense que vous saurez la montrer à l'avenir. (Très bien ! sur plusieurs travées socialistes et sur plusieurs travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Refuser la parité sur le fondement du risque de communautarisme est de surcroît, à mes yeux, un raisonnement spécieux. Je l'ai déjà dit devant vous : les femmes ne sont pas une catégorie ; elles sont dans toutes les catégories parce qu'elles sont tout simplement la moitié de l'humanité. Voilà une excellente raison de principe pour refuser toutes les dérives et tous les débordements, en dehors - mais je la mets en premier - de la volonté politique, que j'évoquais voilà un instant.
Refuser la parité au nom de ce risque, qui, selon moi, est théorique, c'est considérer que l'exclusion des femmes n'est pas suffisamment scandaleuse pour que l'on donne un coup de pouce législatif là où les mentalités résistent.
Enfin, dira-t-on, ultime argument contre l'idée de promouvoir les listes paritaires aux élections à la proportionnelle : elles porteraient atteinte à la liberté de choix des électeurs !
A mon sens - et je sais que vous avez eu des débats sur cette question, qui est une véritable question - cette manière de poser la question est, là encore, erronée. Regardons la réalité une fois de plus. Aujourd'hui, les électeurs disposent de la liberté de choix, mais dans la limite des candidatures qui leur sont proposées par les partis politiques.
M. Marcel Charmant. Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Pour les scrutins de liste, ce sont les partis qui arrêtent l'ordre des candidats sans que les électeurs puissent, sauf exception, le modifier.
M. Marcel Charmant. Exactement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Dès lors, en quoi la parité dans ces listes porterait-elle plus atteinte à la liberté des électeurs que l'état actuel du droit ? Le professeur Guy Carcassonne l'a clairement indiqué lors de son audition au Sénat : « En l'absence de la possibilité de panachage, l'électeur est d'ores et déjà privé de la liberté dans la plupart des scrutins. »
M. Pierre Laffitte. Exact !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En fait, comme il l'a très justement souligné, c'est la liberté des partis qui serait la plus contrainte par une telle disposition. Mais n'est-ce pas précisément ce à quoi votre assemblée souhaitait aboutir en disant qu'il appartenait principalement aux partis politiques de mettre fin à une situation qu'elle jugeait elle-même choquante ? (M. Mélenchon applaudit.)
C'est la raison pour laquelle je n'ai pas le sentiment que, si nous sommes de bonne foi, nous soyons si éloignés les uns des autres.
M. Pierre Laffitte. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Bien entendu, je l'ai dit et répété, on ne peut imposer la parité que pour les scrutins de liste aux élections à la proportionnelle. La parité - je le redis solennellement devant vous au nom du Gouvernement - ne sera en aucun cas un moyen de généraliser les modes de scrutin à la proportionnelle.
M. François Trucy. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous discutons aujourd'hui de la parité et de l'égalité sans arrière-pensée. Le Premier ministre s'y est engagé solennellement : nous n'utiliserons pas la parité comme prétexte pour élargir le champ des scrutins proportionnels, même s'il est vrai que ceux-ci permettent plus facilement la parité.
Par conséquent, le problème posé par le mode de scrutin uninominal reste entier. C'est la raison pour laquelle j'ai suggéré que, pour ce type d'élection le législateur puisse agir par le biais du financement des partis politiques.
M. Guy Cabanel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, et M. Pierre Laffitte. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Sur cette question également - et la réaction de M. le rapporteur et de M. Laffitte le confirme - je n'ai pas l'impression que nous sommes si éloignés. En effet, votre rapporteur a proposé, au nom de la commission des lois du Sénat, de modifier l'article 4 de la Constitution pour bien montrer que les partis contribuent à la mise en oeuvre du principe de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions politiques.
En conclusion, je voudrais dire que je me réjouis qu'un vaste débat ait eu lieu dans l'enceinte des assemblées et dans la société civile.
J'ai le sentiment, et vous pouvez aussi le constater, que nos concitoyens et nos concitoyennes sont à une très large majorité favorables à un partage du pouvoir entre les femmes et les hommes, qui est essentiel à la vitalité de notre démocratie. Ils souhaitent que ce partage soit favorisé par la loi puisque l'évolution spontanée des choses en laquelle nous avons longtemps espéré n'a pas produit le résultat escompté.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je crois que les Françaises et les Français sont attachés au fait que l'on mette fin concrètement à des situations inégalitaires. Ils ne sont plus prêts à accepter que notre démocratie politique exclue la moitié de notre société, qui représente la moitié du genre humain, et que la politique, en excluant les femmes, soit si loin de la réalité de la société.
Je voudrais, enfin, remercier le rapporteur, M. Cabanel, qui a oeuvré constamment au rapprochement des points de vue entre les deux assemblées.
Je sais que la plupart d'entre vous partagent le constat que je fais de la réalité d'une situation choquante.
Bien sûr, une telle réforme constitutionnelle ne pouvait que susciter des interrogations, et celles-ci sont parfaitement légitimes. Je pense que le Gouvernement a apporté les explications qui convenaient en mettant l'accent sur le pragmatisme de sa démarche, mais aussi sur sa détermination et sa volonté. Il n'y a de sa part nulle arrière-pensée.
Il s'agit seulement de se donner les moyens de surmonter les inégalités pour arriver à une situation d'égalité. En cela l'idée de parité correspond bien à un objectif - l'égalité - qui peut parfaitement prendre la forme de mesures qui seront nécessaires aussi longtemps que la situation choquante n'aura pas disparu. Mais nous espérons que, un jour, nous n'aurons plus besoin de ces mesures positives, inscrites dans la loi, parce que enfin, oui enfin, la situation d'égalité aura été créée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est la raison pour laquelle je souhaite que le Sénat adopte aujourd'hui un texte que l'Assemblée nationale pourra finalement voter conforme. J'ai le sentiment que ce pourrait être le cas si vous adoptiez le texte retenu par votre commission des lois. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur plusieurs travées des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Madame le ministre, vous avez bien voulu souligner que le débat sur la parité avait été ouvert au Sénat : j'y ai été sensible. Ce texte, avez-vous dit, permettra de créer une situation d'égalité. Permettez-moi de vous dire qu'une telle situation est déjà effective au Sénat.
En effet, l'un des deux secrétaires généraux est une femme. Le directeur du service des commissions, service phare pour le travail législatif, est une femme. Les six commissions permanentes sont dirigées par trois hommes et trois femmes. Enfin, dix-sept des trente-deux administrateurs des six secrétariats sont des femmes. Le Sénat n'a donc pas attendu la loi pour respecter la parité ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE.)
M. Claude Estier. Et combien de femmes y a-t-il dans l'hémicycle, monsieur le président ?
M. le président. Monsieur Estier, la première nomination, dans un organisme important, à laquelle j'ai procédé concernait une femme.
M. Roland Courteau. Il faut continuer !
M. le président. Comme vous le constatez, le Sénat est attentif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Je ne sais s'il en va de même ailleurs ; vous pourrez le vérifier.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre de la justice, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, je vais changer complètement ma façon d'exposer les choses. Je considère, en effet, que nous devons alléger le débat, cesser d'échanger tant des arguments philosophiques pouvant démontrer toute chose et son contraire...
M. Jean-Luc Mélenchon. N'exagérez pas !
M. Guy Cabanel, rapporteur. ... que des arguments juridique difficiles à expliquer et donnant lieu, eux aussi, à de véritables confrontations.
En réalité, tout a été dit au cours de la première lecture, et je suis sensible au fait que vous avez bien situé le problème, madame le ministre. En effet, dans ce débat, le Sénat, son avenir, son organisation et son mode d'élection ne sont pas en cause.
M. Jean-Louis Carrère. Cela viendra !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Si, demain, le Gouvernement le veut, il peut présenter un projet de loi de réforme électorale. Le Sénat, lui-même, a élaboré des propositions de loi à cet égard. Une loi ordinaire suffit, nous le savons, et l'Assemblée nationale aura donc, en dernière lecture, la possibilité de se prononcer définitivement. Par conséquent, il n'est pas question de mélanger les genres, et le Sénat ne mène aucune action retardataire ayant je ne sais quel objectif caché. Vous l'avez dit, madame le ministre - je tiens à le souligner - et je vous en remercie.
Enfin, en terminant votre intervention, vous avez indiqué qu'il y avait là la possibilité d'une issue. J'affirme très clairement à l'intention de tous mes collègues ici présents que je n'ai pour ma part qu'un désir : trouver une issue honorable à ce débat (Très bien ! sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen) , une issue honorable et utile pour la vie de la République française, pour les femmes et les hommes qui la constituent ! (Très bien ! et applaudissements.)
Si j'abandonne tout ce que j'avais prévu de dire, quels propos puis-je tenir ? (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Faites parler votre coeur ! (Sourires.)
M. Guy Cabanel, rapporteur. Je vais effectivement faire parler mon coeur !
M. Claude Domeizel. Dites que Mme Guigou a été convaincante !
Mme Hélène Luc. Dites qu'elle a raison !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Non ! Mme Guigou est convaincante, mais il y a matière à discuter dans ses propos !
Je voudrais évoquer trois aspects.
Tout d'abord, il ne me paraît pas inutile de parler de l'état d'esprit du Sénat. En effet, nous avons été profondément traumatisés par un véritable choc médiatique (Exclamations sur les travées socialistes.) qu'il nous faut objectivement apprécier et dont nous devons tirer des conclusions.
Par ailleurs, je voudrais expliquer la démarche du Sénat, le 20 janvier, lors de la réunion de la commission des lois, et le 26 janvier, en séance publique, démarche qui, à mon avis, était parfaitement constitutionnelle, parfaitement honorable, et ne signifiait en aucun cas le rejet de la parité.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Pourquoi ? Parce que le Sénat a conscience d'une situation préjudiciable à la réputation de la République française. La place des femmes est insuffisante, et nous ne pouvons pas nous contenter de statistiques selon lesquelles nous avons une petite chance de ne pas être la lanterne rouge de l'Europe des Quinze si les Grecs continuent dans la voie dans laquelle ils se sont engagés depuis quelques années. Cela n'est ni suffisant ni à la hauteur de la réputation d'une grande nation qui a fait la révolution de 1789. Il nous faut trouver un remède, et nous en sommes tous conscients.
Enfin, je voudrais exposer les propositions que la commission des lois m'a autorisé à vous présenter en adoptant les deux textes que j'avais proposés.
M. Pierre Fauchon. Avec des réserves !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Avec des réserves, je le dirai ; mais les réserves peuvent s'exprimer plus encore dans le débat, à l'occasion de l'examen des amendements et sous-amendements que chacun d'entre nous peut déposer.
Mme Hélène Luc. Laissez parler le rapporteur !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Moi, je m'en tiens à ce qu'a voté la commission des lois.
M. Marcel Charmant. Très bien !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Tout d'abord, madame le ministre, sans vouloir faire perdre de temps à mes collègues, je voudrais revenir sur les conditions médiatiques dans lesquelles nous nous sommes trouvés.
Le journalisme a beaucoup évolué depuis un certain nombre d'années. Je dis cela devant le directeur d'un grand journal français, qui est membre du même groupe que moi et qui me pardonnera mes propos.
Nous avons d'abord connu le journalisme d'investigation, exercice difficile, intéressant, qui a donné quelques réussites et qui a révélé certains grands scandales politico-financiers.
Le débat du 26 janvier dernier nous a révélé l'existence d'un journalisme d'approximation, de simplification, de vulgarisation aboutissant à la caricature ! C'est en effet ce qui s'est produit après le vote du Sénat, le 26 janvier.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Enfin, ces jours derniers, j'ai découvert un journalisme d'anticipation : à l'issue d'une réunion du lundi ou du mardi, un journaliste, micro ou stylo en main, vous demande ce que vous pensez. Et vous lisez le lendemain que, jeudi, le Sénat va adopter ceci ou cela, et que l'affaire est donc réglée ! Voilà le meilleur moyen de braquer une assemblée et de ne pas atteindre l'objectif de conciliation que l'on pouvait se fixer !
Dans ces circonstances, je n'ai qu'un regret : que, en 1993, nous n'ayons pas suivi à cet égard les recommandations du doyen Vedel, qui, à la demande de François Mitterrand, alors président de la République, avait formulé une trentaine de propositions pour toiletter nos institutions. S'agissant de la question qui nous intéresse aujourd'hui, le doyen Vedel avait posé deux problèmes : d'une part, la nécessité de faire figurer à l'article 4 le financement public des partis politiques, qui avait pris une place considérable, et de remplacer le système en vigueur ; d'autre part, la nécessité de prévoir un droit à la communication, égal pour tous, lequel est d'ailleurs difficile à définir. A cet égard, une concertation entre les hommes politiques et les journalistes semble s'imposer.
En tout cas, pour ma part, j'ai souffert de la caricature qui a été faite, en particulier de mes propositions.
Un sénateur du RPR. C'est de la malhonnêteté !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Que s'est-il passé le 26 janvier dernier pour que nous ayons un si mauvais écho de la position adoptée par la Haute Assemblée ?
Tout d'abord, ce jour-là, le Sénat a dressé le constat d'une situation qui ne pouvait pas durer, bien que moins sombre que ce que l'on a parfois entendu. En effet, on a constaté, au fil des années, une évolution significative vers une amélioration de la situation : la chose a été possible pour les scrutins de listes à la proportionnelle, et elle a également été facilitée par la dissolution de l'Assemblée nationale : le parti socialiste, ayant des sièges à pourvoir, en quelque sorte, a présenté un nombre important de femmes, dont certaines ont été élues. La situation s'améliore donc !
MM. Jean-Louis Carrère et Marcel Charmant. Grâce à la gauche !
M. Guy Cabanel, rapporteur. La situation s'améliore au fil des années. Soyons patients !
Mme Danièle Pourtaud. Patients ! Vous en parlez à l'aise !
M. Guy Cabanel, rapporteur. La situation s'améliore au fil des années. Faut-il dire pour autant qu'il suffit d'attendre ? Connaissant l'esprit français, je pense qu'il faudrait attendre longtemps !
M. Marcel Charmant. Trop longtemps !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Il faut donc faire mouvement pour essayer d'accélérer les choses.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Le Sénat était conscient de ce constat. Qu'a-t-il fait ? Il a respecté scrupuleusement la Constitution !
La commission des lois du Sénat, en présence du projet de loi modifié par l'Assemblée nationale, laquelle avait adopté un libellé plus précis et un peu plus contraignant, avait vu d'emblée que le vote conforme ne pourrait pas être obtenu.
Le Sénat a joué le jeu des lectures successives, des navettes prévues par la Constitution. Si, vraiment, chaque fois qu'un projet de loi est présenté, le Parlement doit l'adopter le petit doigt sur la couture du pantalon ou sous la pression médiatique, je crains fort, alors, que notre démocratie ne soit en danger !
M. Pierre Fauchon. C'est le cas !
M. Guy Cabanel, rapporteur. En tout cas, cela conduirait à la suppression du bicaméralisme, car le Sénat a pour habitude, peut-être parce que c'est la tradition, d'examiner les textes et leurs conséquences avec une certaine lenteur, la commission des lois faisant preuve de beaucoup de minutie dans ses travaux.
Que s'est-il produit ? Au sein de la commission des lois et en séance publique s'est instauré un débat de fond, cher aux constitutionnalistes. En effet, s'agissant du choix de l'article de la Constitution à modifier - l'article 3 ou l'article 4 - les professeurs de droit constitutionnel que nous avons auditionnés et que j'ai entendus à nouveau étaient partagés, et beaucoup d'entre eux considéraient que tout devait figurer à l'article 4. Je vous rappelle d'ailleurs que, dans les prémices du projet de loi constitutionnelle déposé au conseil des ministres le 17 juin 1998, avaient été évoqués les articles 1er, 3 et 4 de la Constitution, et même l'article 34, qui détermine le domaine de la loi.
Je ne peux pas trahir de secret dans la mesure où je n'en connais pas ! Mais je pense que, entre les conseillers de Matignon et ceux de l'Elysée, la convergence s'est faite sur l'article 3 pour une raison sur laquelle nous reviendrons, et qui me paraît être une raison de fond.
Des constitutionnalistes nous avaient donc conseillé d'opter pour une révision de l'article 4 de la Constitution. Mais, pour ma part, je n'ai rien changé à ma démarche.
En effet, le 20 janvier, j'avais proposé à la commission des lois d'en revenir à la rédaction initiale du projet de loi, qui prévoyait d'insérer à l'article 3 de la Constitution que « la loi favorise l'égal accès », formule que la commission des lois m'a refusée.
M. Claude Estier. Eh bien voilà ! La commission des lois vous l'a refusée !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Fort de l'avis des constitutionnalistes, j'ai proposé d'inclure la phrase de principe dans l'article 4 de la Constitution et de tirer une conclusion sur le financement des partis politiques.
En effet, on ne pouvait pas demander symboliquement aux partis de résoudre le problème sans prévoir un moyen d'incitation. Comme vous l'avez fort bien dit lors de la première lecture, madame le ministre, il faudra, pour parvenir à modifier la situation présente, des dispositions contraignantes, mais aussi des mesures incitatives. Les mesures contraignantes sont ce que l'on appelle les lois électorales d'obligation. La formule retenue pour les élections des conseillers régionaux, qui a été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, était une de ces formules d'obligation. Quant aux mesures incitatives, elles ne peuvent jouer que sur le financement public des partis politiques.
Les choses étaient donc claires. Le texte que j'ai présenté au nom de la commission des lois a été adopté dans son intégralité, après de difficiles débats en séance publique. Il prévoyait à la fois le principe et son application.
Il est vrai que nous n'avions pas levé le risque d'inconstitutionnalité par l'avis du Conseil constitutionnel lié à l'article 3. J'en suis parfaitement conscient puisque ma proposition initiale était différente. En effet, toutes les décisions du Conseil constitutionnel, tant en 1982 que tout récemment, s'agissant des élections régionales, ont été fondées sur l'article 3 de la Constitution, « épaulé » par l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Notre démarche était cependant cohérente. Elle ne méritait ni d'être méprisée ni d'être brocardée. Elle avait le grand avantage de ne pas fermer la porte. Nous n'avions pas rejeté la parité, terme qui ne figure d'ailleurs pas dans le texte, même si les journaux, dont j'ai une collection invraisemblable sur ce sujet, le reprennent régulièrement dans leurs titres. Nous avions laissé la porte ouverte à un débat normal dans le cadre constitutionnel du bicaméralisme. D'ailleurs, M. Guy Carcassonne, dans un article paru tout récemment dans Le Point, nous a encore donné raison, réaffirmant ce qu'il nous avait déjà dit, à savoir que tout devait figurer à l'article 4, dessinant notre démarche à nouveau.
Notre démarche n'était donc pas méprisable ; elle ne fermait la porte à aucune évolution possible et elle ne méconnaissait nullement l'existence de la situation difficile des femmes dans la vie publique.
La réponse de l'Assemblée nationale, qui a sa logique, n'a malheureusement pas tenu compte de l'effort fait par le Sénat. Peut-être avons-nous mal communiqué - c'est peut-être notre défaut, au Sénat - et n'avons-nous pas été compris. En tout cas, j'ai éprouvé quelques regrets - je l'ai d'ailleurs dit à Mme Catherine Tasca - en voyant que, finalement, l'Assemblée nationale n'avait pas tenu compte de nos propositions, ces dernières ayant été rejetées à la fois par les députés de la gauche plurielle et par les députés de nos propres formations politiques.
M. Marcel Charmant. On n'est jamais trahi que par les siens !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Alors, que faut-il faire aujourd'hui ?
Mme Odette Terrade. Avancer !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Comme je le disais tout à l'heure, ma position n'a pas changé d'un iota. Hier, mercredi 3 mars au matin - entre-temps d'autres choses, dont les journaux se sont fait l'écho, se sont passées ensuite au Sénat -, j'ai proposé à la commission des lois de revenir au texte initial et d'ajouter à l'article 3 de la Constitution un alinéa prévoyant que la loi favorise un égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Je pense que cette mesure est indispensable pour poursuivre le dialogue constitutionnel avec l'Assemblée nationale et pour tenir compte préventivement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel lors de l'adoption de chacune des lois qui seraient concernées par le principe de la parité.
Ce texte a été voté par la commission des lois du Sénat, le groupe de l'Union centriste ayant toutefois exprimé des réserves par la voix de notre collègue Pierre Fauchon, qui interviendra tout à l'heure dans le débat. Il faut quand même dire la vérité au Sénat ! (Exclamations amusées sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Très bien !
M. Marcel Charmant. Enfin !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Mais on la dit toujours, d'ailleurs ! (Sourires.)
Dire la vérité au Sénat, c'est poser la question de savoir si cette mesure est sans danger. Je n'aurai pas l'outrecuidance de dire cela, ni de dire à mes collègues qu'il s'agit d'un voeu pieux : cela ne peut pas être un voeu pieux et cette réforme touchera le système électoral français, que nous le voulions ou non, car c'est son but.
Mme Odette Terrade. Mais oui, c'est fait pour cela !
M. Marcel Vidal. Tout à fait !
Plusieurs sénateurs socialistes. Le texte est fait pour cela !
M. Guy Cabanel, rapporteur. C'est, en effet, l'objet de ce texte.
Quelles que soient les déclarations de Mme la ministre de la justice...
M. Josselin de Rohan. Madame « le » ministre ! (Murmures sur les travées socialistes.)
M. Guy Cabanel, rapporteur. ... quelles que soient les déclarations de M. le Premier ministre, qui ont été plus nuancées - je les ai toutes relues, car j'ai demandé aux services de la commission des lois de les recueillir pour moi dans leur totalité - ces déclarations, madame la ministre,...
Mmes Nicole Borvo, Odette Terrade et Gisèle Printz. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Madame « le » ministre !
M. Pierre Fauchon. Parlons français !
M. Jean Chérioux. Ce sont des enfantillages !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Vos déclarations, madame la ministre, sont honnêtes (Ah ! sur les travées socialistes), mais prudentes : quand on les lit, on a l'impression qu'il ne va pas se passer grand-chose. Quant aux déclarations de M. le Premier ministre, elles sont plus en grisaille et, à leur lecture, on n'a pas l'impression qu'il va se passer grand-chose non plus !
La question qui demeure dans le débat d'aujourd'hui, c'est que, en fait, nous n'avons pas de schéma d'application de la réforme. Je le regrette. Peut-être n'avez-vous pas d'idées préconçues mais, face à un tel projet de révision, on est bien obligé d'en avoir quelques-unes !
M. Jean Chérioux. Il faut leur faire confiance pour cela !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Nous connaissons les exemples à travers le monde qui montrent que l'on a pu arriver à la parité, ou à ce que l'on appelle parfois la mixité, c'est-à-dire la quasi-parité, mais nous n'allons pas chicaner sur la parité absolue.
Nous connaissons l'exemple suédois : nous savons comment les Suédoises, par consensus et sans aucune modification constitutionnelle,...
Mme Hélène Luc. C'est parce qu'elles menaçaient de composer une liste de femmes !
M. Guy Cabanel, rapporteur. ... ont obtenu de constituer d'abord un grand vivier de candidatures aux élections locales à quasi-parité, avant d'obtenir ensuite, pour l'élection au Riksdag, l'assemblée unique du parlement suédois, que les partis sélectionnent suffisamment de femmes pour les candidatures.
Cela revient à dire que les partis doivent jouer un rôle déterminant, que l'on ne saurait négliger.
Manque donc dans ce dossier un schéma que je ne qualifierai pas de « plus sincère », ce ne serait pas gentil, mais un schéma plus précis permettant de mieux dessiner ce qui peut se produire. A mon avis, l'exemple suédois est devant nos yeux et il risque fort d'être appliqué...
Mme Nicole Borvo. Pourquoi ne le suivez-vous pas ?
Mme Hélène Luc. Ils ont 40 % de femmes !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Je le sais : cela varie de 40 à 44 % !
J'ai lu dans la presse - on apprend beaucoup de choses en lisant la presse -...
M. Alain Vasselle. Ce n'est pas la presse qui fait la loi, c'est nous !
M. Guy Cabanel, rapporteur. ... que Mme Dominique Gillot, rapporteuse générale de l'observatoire de la parité...
M. Josselin de Rohan. Rapporteuse ?
M. Guy Cabanel, rapporteur. ... avait reçu mission de faire un rapport au Premier ministre pour le début du mois de juin sur les conséquences de l'application des principes que nous allons voter. N'aurait-il pas mieux valu qu'une telle exploration se fasse avant ? Nous aurions été mieux informés !
J'ai donc demandé à la commission des lois de voter le texte que nous avions déjà adopté sur le financement public des partis, qui contribuera à l'application du principe énoncé à l'article 3 de la Constitution.
Je le dis en toute sincérité, je défendrai ces deux positions, parce qu'elles me paraissent permettre le rapprochement du Sénat et de l'Assemblée nationale sur un texte d'équilibre.
Nous savons que la formule de l'article 3 a été acceptée par le Président de la République et par le Premier ministre. Or, sous la Ve République, aucune réforme constitutionnelle n'est intervenue sans l'accord des deux plus hautes autorités de l'Etat. En votant la réforme de l'article 3 et de l'article 4, nous rendons possible un dialogue plus utile, plus constructif avec l'Assemblée nationale, dans l'intérêt de la République française, dans l'intérêt des femmes et des hommes qui vivent sur le territoire national. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
Groupe socialiste, 26 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. « Il faudra un jour ou l'autre élever la femme au rang de citoyen, et habituer nos oreilles au mot de citoyenne. Le tort de la politique, c'est d'être masculine. »
Ainsi s'exprimait avec sagesse Eugène Pelletan, le père de Camille, parlementaire à la fin du siècle dernier. Il disait juste, à une époque où les femmes n'avaient même pas encore le droit de vote. Celui-ci sera d'ailleurs le fait non de la représentation nationale, mais d'une ordonnance.
M. Hilaire Flandre. Du général de Gaulle !
M. Jean-Michel Baylet. Inspirez-vous de cet exemple !
Hélas ! dans le passé, le Parlement, et plus particulièrement le Sénat, il faut le reconnaître, n'a jamais beaucoup brillé lorsqu'il s'agissait d'accorder des droits politiques aux femmes.
En 1922, alors que la Chambre des députés avait fait un premier pas, les sénateurs ont préféré retarder l'octroi du droit de vote aux femmes parce que, paraît-il, il aurait eu des « répercussions lointaines sur la race et la famille », parce que « les femmes, surtout celles des provinces, n'avaient rien demandé », parce qu'elles se « rendaient compte de la nécessité d'une direction au foyer », ou encore parce que « les mains des femmes étaient faites pour être baisées dévotement plutôt que pour manier le bulletin de vote ». (Sourires.)
M. Hilaire Flandre. Ils étaient radicaux !
M. Jean-Michel Baylet. Comme vous pouvez le constater, nos collègues de l'époque ne manquaient pas d'arguments et, à entendre certains encore aujourd'hui ici même, je vois que, hélas ! les esprits n'ont guère évolué. (Exclamations sur les travées du RPR. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. C'était la République radicale !
M. Jean-Michel Baylet. Aujourd'hui, il s'agit non pas directement d'accorder un droit, mais plutôt de réparer une anomalie. Il est question de corriger une injustice terrible : moins de 10 % de femmes sont présentes au Parlement, et pas plus de 7 % de femmes sont maires.
Afin d'accroître l'importance numérique des femmes dans la vie publique, le Gouvernement - et plus particulièrement vous, madame la ministre - a donc choisi de modifier l'article 3 de Constitution, et il a bien fait.
Les termes du projet de loi initial, qui consistaient à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et aux fonctions, auraient dû, c'est une question de bon sens, recueillir l'assentiment général. Pourtant, ce choix, si j'ai bien compris, a soulevé beaucoup de craintes.
Nous ne sommes plus en 1922. Toutefois, contrairement à nos anciens, personne ici, j'ose l'espérer, ne considère les femmes comme mieux disposées à la sphère domestique qu'à celle de la politique.
Mais saisir le principe de l'universalité ne revient-il pas, en réalité, à nier toute possibilité de rattrapage ?
En première lecture, puis en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale, les détracteurs du projet de loi ont maintes fois répété que la modification de l'article 3 ouvrait la porte à des revendications catégorielles, mettant à mal le principe même d'universalité.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Jean-Michel Baylet. Les femmes, il faut le dire et le redire, ne sont pas une catégorie : elles sont, je vous le rappelle, mes chers collègues, et plus particulièrement à vous qui siégez à droite de cet hémicycle (Protestations sur les travées concernées) ,...
M. Alain Vasselle. C'est insolent !
M. Jean-Michel Baylet. ... la seconde moitié de l'humanité...
Mme Odette Terrade. Pourquoi pas la première ? (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet. ... et, à ce titre, elles doivent bénéficier des mêmes droits que les hommes. Et, si ces droits ne sont, comme l'on dit, que théoriques, il revient à la loi de les favoriser.
Par ailleurs, lorsque l'on sait que le suffrage était dit universel dès 1848, soit cent ans avant le droit de vote des femmes, il convient de relativiser le débat philosophique autour de la notion d'universalité.
Même certaines personnalités du monde féminin - Mme Chirac, ce matin même, dans les colonnes du Figaro - ont prétendu se sentir humiliées par un projet de loi qui implique la notion de quota.
M. Alain Vasselle. Elle a raison !
M. Jean-Michel Baylet. Font-elles suffisamment confiance aux évolutions naturelles, sachant qu'il faudra environ, selon les sociologues, cinq cents ans pour aboutir à une représentation équitable des femmes et des hommes aux fonctions électives si rien ne change et si nous ne pesons pas sur les événements ?
M. Alain Vasselle. N'importe quoi !
M. Jean-Michel Baylet. Les femmes qui manifestent en ce moment même devant le Sénat en faveur de la parité se sentent-elles pour autant humiliées ? Non, mes chers collègues : je crois qu'elles sont déterminées, prêtes à combattre l'obscurantisme qui, lui, est humiliant et dégradant. (Protestations sur les travées du groupe du RPR.)
L'humiliation, c'est d'être écarté du pouvoir, non de le revendiquer avec l'aide de la loi. La loi crée, établit, encadre, mais pas seulement : elle révise, elle réforme et elle favorise.
Oui, mes chers collègues, la majorité des femmes veulent la parité, et 80 % de nos concitoyens se prononcent en sa faveur. Les Français d'aujourd'hui - il faudrait vous en rendre compte - sont progressistes et ils attendent de l'actuelle majorité qu'elle oeuvre pour l'amélioration du sort de tous les citoyens.
L'égal accès des femmes aux fonctions et aux mandats électifs est un gage de modernité, et ce principe trouve donc toute sa place dans le cadre de la modernisation de la vie politique décidée par la majorité plurielle.
C'est pourquoi les radicaux de gauche y sont attachés, comme ils sont attachés à une réforme globale des institutions qui permettrait de répondre à d'autres dysfonctionnements.
En attendant, la commission des lois propose aujourd'hui un compromis. On peut s'en satisfaire, même s'il est regrettable qu'il intervienne si tard : il était bien inutile de donner aux citoyens l'image d'un Sénat rétrograde ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Ne vous y associez pas !
M. Jean-Michel Baylet. Nous savons bien que laisser l'entière responsabilité de la parité aux formations politiques revenait à retarder le processus. En dépit de toutes les bonnes intentions, les partis imposent difficilement les femmes au moment des investitures et, de l'extérieur, il est difficile de contrôler la réalité des efforts.
La modification de l'article 3 est donc une nécessité. Elle doit être le pivot du dispositif destiné à accorder une meilleure place aux femmes, et ainsi permettre d'apporter un bol d'air à la démocratie.
« La participation directe et active des hommes et des femmes à la vie politique constitue une condition et un instrument fondamental du système démocratique, la loi devant promouvoir l'égalité dans l'exercice des droits civiques et politiques et la non-discrimination en fonction du sexe, en ce qui concerne l'accès aux charges politiques. » C'est en ces termes, mes chers collègues, que le Portugal a modifié sa Constitution le 20 septembre 1997. Il ne tient qu'au législateur, en particulier à vous-même, de ne pas laisser perdurer dans ce domaine la fameuse et regrettable exception française. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'occasion de la réforme constitutionnelle dont nous débattons aujourd'hui, nul ne conteste que la femme n'occupe pas dans la société politique la place qu'elle a conquise dans la société civile.
Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il faut remédier à une situation qui traduit une inégalité profonde et regrettable qui n'honore guère notre pays.
Pour autant, nous ne saurions admettre l'image qu'on a voulu donner du Sénat lors des débats précédents en caricaturant ou en déformant les propos tenus dans cette enceinte (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) et, par le biais de jugements tendancieux et de procès d'intention, en nous imputant des opinions qui n'ont jamais été les nôtres ou des arrière-pensées que nous n'avons aucunement nourries. (Applaudissements sur les mêmes travées. - Rires et exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Que pouvait-on attendre, il est vrai, d'une assemblée de mal-élus mysogines, de vieillards cacochymes, sinon des votes obscurantistes et réactionnaires ? (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Le pilonnage médiatique auquel nous avons été soumis ne nous aura épargné aucun brocard, aucune outrance, aucun lieu commun, aucune sottise.
Mme Odette Terrade. A qui la faute ?
M. Josselin de Rohan. Si les fulminations de telle ou telle papesse autoproclamée du féminisme nous ont laissé indifférents, comme les incongruités verbales de telle ou telle reine d'un jour des médias, l'intolérance haineuse qui a marqué certaines déclarations de quoi inquiéter. (Exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. Josselin de Rohan. Comme l'écrivait Mauriac, si nos chats étaient des tigres, nous aurions tout lieu d'être inquiets pour nos vies.
Les excès mêmes des tenants du « prêt-à-penser » ou du politiquement correct ont lassé. La mobilisation générale des beaux esprits contre le Sénat a fait long feu.
Un grand nombre de femmes, et parmi les plus éminentes, ont refusé de relayer les mots d'ordre et les slogans ou de se voir catégorisées, instrumentalisées ou enfermées dans des idéologies réductrices ou des raisonnements sommaires.
Mme Odette Terrade. C'est dommage pour elles !
M. Josselin de Rohan. Mme Françoise Giroud, dans un hebdomadaire qu'on ne saurait taxer de complaisance exagérée à l'égard de la Haute Assemblée ou de faiblesse systématique à l'égard de la droite, s'interrogeait récemment en ces termes : « Ce que certains suggèrent » - c'était nous - « est cependant de bons sens : obliger les partis politiques, sous peine de contrainte financière, à présenter un nombre égal de femmes et d'hommes aux fonctions électives. Mais il n'y a peut-être pas de place pour le bon sens », concluait-elle.
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. Essayons de reprendre le débat là où nous l'avons laissé et d'examiner sans passion les moyens de rendre viable une plus grande égalité des femmes et des hommes dans la vie publique.
Nous pensions en toute bonne foi, parce que les partis politiques, dans une démocratie, ont pour vocation et définition d'assurer la diffusion des idées, l'expression des suffrages, de prendre les grandes décisions qui orientent le destin du pays, qu'il leur incombait au premier chef d'organiser l'accès des femmes aux responsabilités et de veiller à ce que le plus grand nombre d'entre elles y soient associées.
Nous estimions qu'il fallait assortir cet objectif d'une incitation en favorisant les formations réalisant une plus grande égalité des hommes et des femmes au détriment de celles qui n'entendaient guère agir dans ce domaine.
On nous a répliqué qu'il fallait inscrire l'obligation dans la loi, faute de quoi les meilleures intentions du monde risqueraient d'être privées d'effet. Confier aux partis la responsabilité d'établir l'égalité revenait à demander au pyromane de préserver l'immeuble de l'incendie puisque ce sont les partis qui sont la cause du mal que l'on dénonce.
On nous a soutenu que l'universalisme de la représentation était une conception périmée, voire archaïque, que la dualité sexuelle était universelle, que la reconnaissance d'un « différentialisme à la française » mettrait fin « à l'ordre androcentrique », que seules des « discriminations positives » permettraient de garantir l'égalité des sexes devant les fonctions électives. Non contente de proclamer un principe, celui de l'égalité, la loi se devait d'en déterminer les modalités. Comment ?
Sur ce point, les réponses varient. Interrogée par la commission des lois, Mme le garde des sceaux n'exclut pas le recours aux quotas. Si l'on questionne le Premier ministre sur les moyens d'appliquer les règles de l'égalité aux scrutins uninominaux, il répond qu'il n'entend pas mettre fin à ce type de votation, du moins pour ce qui est des élections législatives. Pour ce qui est des élections cantonales, cela nous paraît plus flou !
Mais alors, on est en droit de se demander s'il n'existera pas désormais deux catégories de régimes électoraux aux contraintes variables,...
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. ... celle, imposée au scrutin de liste, qui permettra la mise en oeuvre d'une véritable parité - je rappelle que la parité, en français, c'est la stricte égalité entre les femmes et les hommes - et celle à laquelle échapperont les scrutins uninominaux, faute de moyen ou, ce qui est plus grave, de volonté de les mettre en oeuvre.
Est-il concevable, entre nous, que les élections législatives, qui constituent la principale consultation politique dans notre pays, puissent ne pas être tôt ou tard le banc d'expérimentation de la réforme ?
Quelle belle occasion, dans un souci d'unification et de rationalité, d'étendre le scrutin de liste à la proportionnelle à tous les modes d'élection ! Nous voulons bien croire à la sincérité du Premier ministre quand il nous affirme ne rien vouloir changer ; mais ses successeurs se montreront-ils aussi déterminés ?
M. Alain Vasselle. Bonne question !
M. Josselin de Rohan. Pourtant, il nous faut bien sortir de la situation de blocage où nous nous trouvons du fait du vote réitéré de l'Assemblée nationale.
Si nous voulons réaliser la réforme constitutionnelle, chacune des chambres du Parlement doit accomplir un effort pour aller à la rencontre de l'autre.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Josselin de Rohan. Qu'on nous permette, au passage, de nous étonner des clameurs qui ont accompagné notre précédent vote.
Lorsque la Haute Assemblée se prononce de manière différente de l'Assemblée nationale sur un texte, elle ne fait qu'exercer un droit qui lui est reconnu par la Constitution. Ce droit n'est pas une « anomalie » ; il constitue l'essence même du bicamérisme. La navette conduit le plus souvent à l'amélioration des textes parce qu'elle entraîne la disparition des ambiguïtés ou des imprécisions de rédaction, qu'elle définit plus clairement la portée des dispositions légales, qu'elle concilie des points de vue qui paraissent irréductibles. Par là même, elle devient véritablement l'expression de la volonté générale.
Aux yeux de nos Talibans et des commentateurs complaisants qui se faisaient les échos de leurs fureurs, le vote divergent du Sénat était un sacrilège. Mais si le Sénat doit, en toute circonstance, s'aligner sur les décisions de l'Assemblée nationale, à quoi sert-il ? (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Qu'on nous autorise également une remarque. Il ne suffit pas d'inscrire un principe dans une loi pour qu'il prenne corps aussitôt. La réforme des moeurs est plus un préalable à la réforme des lois qu'une conséquence de ces dernières.
La situation dans la fonction publique en est une illustration. L'égalité des hommes et des femmes devant les charges publiques est consacrée depuis longtemps. Or, selon le rapport Colmou, on ne compte, pour les emplois de directeurs dans la fonction publique, que 13 femmes pour 168 postes, soit 7,7 % et, pour les postes de chef de service déconcentrés de l'Etat, 184 femmes pour 2 180 postes, soit 8,4 %. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Alors que la magistrature compte 48 % de femmes, madame le garde des sceaux, sur les trente-cinq premiers présidents de cour d'appel, on ne relève qu'une seule femme et, sur les trente-cinq procureurs généraux, on n'en dénombre aucune. (Marques d'approbation sur les mêmes travées.)
Mme Colmou explique dans son rapport que « les freins à la progression des femmes sont dans le fait et non dans le droit ».
Elle estime que, de tous les remèdes envisageables, le pire serait l'instauration de quotas : « Les femmes, dit-elle, n'ont nullement besoin d'une fonction publique où les concours seraient organisés en fonction du sexe et de la compétence. Les femmes ont les qualités pour accéder aux postes de direction. Il faut rompre la barrière des habitudes, elles n'ont pas besoin qu'on leur aménage une carrière particulière. » Et Mme Colmou de préconiser des mesures progressives et pratiques pour lever les obstacles rencontrés par les femmes pour exercer des responsabilités de direction.
Je gage qu'on nous dira que ces constatations et conclusions ne sauraient être transposables au domaine politique. J'attends cependant qu'on m'explique pourquoi les quotas administratifs sont une fausse bonne idée alors que les quotas politiques sont l'idée du règne. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et sur certaines travées de l'Union centriste.)
Sensibles aux efforts méritoires de M. le président du Sénat, de M. le président et de M. le rapporteur de la commission des lois pour rapprocher les points de vue des deux assemblées, nous sommes prêts à faire un pas important en direction de l'Assemblée nationale et à confier à la loi, en dépit de nos réserves, qui ont été superbement exprimées par notre collègue M. Badinter, la responsabilité que nous réservions exclusivement aux partis.
Mais la rédaction que nous voulons adopter est celle du projet initial du Gouvernement. Elle est plus souple et plus réaliste que celle de l'Assemblée nationale. Au demeurant, c'est cette rédaction, et celle-là seule, qui avait recueilli l'assentiment du Président de la République. Elle permet une meilleure adaptation au contexte social et politique et une plus grande liberté d'action pour la mise en oeuvre de la loi. Tout démontre, en effet, qu'il faudra faire preuve d'imagination et de pragmatisme pour réaliser entre femmes et hommes cette égalité à laquelle nous aspirons.
C'est également la conscience que nous avons des réalités qui nous conduit à associer les partis politiques à la mise en oeuvre de la réforme.
Il leur revient, aux termes de l'article 4 de la Constitution, d'éveiller les femmes à la vie politique comme tous les citoyens, de détecter les compétences, de présenter des candidats aux élections avec les meilleures chances de succès. Il est judicieux qu'ils puissent être avantagés sur le plan financier s'ils font des efforts sérieux pour promouvoir les candidatures féminines.
En combinant à la fois le recours à la loi et aux formations politiques pour assurer une plus grande égalité entre les hommes et les femmes dans la vie publique, nous nous donnons les moyens d'accroître efficacement et concrètement le nombre des femmes susceptibles d'accéder aux fonctions électives.
Le Gouvernement doit désormais faire un choix : accepter nos suggestions et aboutir à un compromis ; maintenir les dispositions votées par l'Assemblée nationale au risque d'une confrontation. Nous avons cru comprendre que tel n'était pas son intention ; mais nous jugerons aux actes.
Le Gouvernement a-t-il pour objectif d'obliger le Sénat à capituler et à se renier ou recherche-t-il un accommodement ?
La cause des femmes est-elle un objectif prioritaire ou les femmes servent-elles d'instrument dans un conflit politique qui oppose le Gouvernement de la gauche plurielle à une majorité sénatoriale orientée à droite ?
Entendez-vous invoquer les impératifs de l'égalité des sexes pour promouvoir la réforme des modes d'élection et la généralisation du scrutin de liste ? Nous attendons des réponses à toutes ces questions, madame le garde des sceaux.
M. Claude Estier. La réponse a déjà été donnée !
Mme Hélène Luc. Elle a répondu !
M. Josselin de Rohan. Vous en avez déjà donné quelques-unes, mais il faudra les réitérer.
Il nous semble, quant à nous, compte tenu de l'importance de l'enjeu et de la nécessité de remédier sans tarder à l'injustice dont sont victimes les femmes, que le sujet devrait non pas donner lieu à des polémiques partisanes ou à des assauts de mauvaise, foi mais, au contraire, inciter au dialogue. Nous sommes, pour notre part nous l'avons prouvé disposés au compromis.
Mais c'est aussi la particularité de cette assemblée, sa force et son honneur que de refuser de se plier aux modes ou de céder aux entraînements, aux passions et aux sirènes trompeuses de la démagogie. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Nous avons été dédommagés du concert de critiques que nous a valu notre précédent vote par les encouragements que nous avons reçus à ne pas rejoindre le troupeau de Panurge (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen) par le fait aussi que nombre de nos citoyens ont pris conscience de la complexité des problèmes soulevés par la réforme constitutionnelle et la mauvaise foi, il faut bien le dire, de certains de nos contradicteurs.
M. Alain Vasselle. Eh oui !
M. Josselin de Rohan. Nous nous prononcerons en faveur des propositions de M. le rapporteur de la commission des lois, avec la conviction d'avoir cherché avec honnêteté le moyen de faire progresser la cause de l'égalité des hommes et des femmes et sans nous dissimuler les difficultés de l'entreprise.
Nous répondrons à la bonne volonté par la bonne volonté, mais si, d'aventure, nous n'étions pas payés de retour, nous saurions assumer nos responsabilités sans nous laisser intimider par les pressions, les calomnies ou les attaques orchestrées.
Le débat n'est pas entre les Anciens et les Modernes, les féministes et les mysogines ; il a opposé ceux qui pensent qu'il suffit de faire étalage de bons sentiments et d'énoncer des principes pour faire avancer une cause et ceux qui, comme nous, ont la conviction que, pour faire évoluer une société, il faut bien plus que des déclamations.
Le Sénat ne « rentre pas dans le rang », comme le proclament quelques médias en mal de titres. Il ne se rallie pas, il ne se renie pas. Il contribue à enrichir le débat démocratique et il accomplit la tâche que lui a confiée la Constitution en s'attachant à accorder les lois à la réalité et à leur donner toute leur portée. Ces dernières semaines, nous n'avons rien fait de plus, mais rien de moins. L'opinion nous en donnera acte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici de nouveau réunis dans cette assemblée - qui a beaucoup fait parler d'elle ces derniers temps - pour discuter, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle relatif à « l'égalité entre les femmes et les hommes dans la vie politique ».
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'opinion publique ne gardera pas, une fois encore, le souvenir d'un Sénat moderne, ouvert sur la vie et sur l'air du temps. (Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Hilaire Flandre. C'est ringard !
Mme Odette Terrade. Je le regrette profondément, et ce d'autant que mon groupe, comme d'ailleurs les sénateurs de la gauche plurielle, s'était attaché, en première lecture, à faire avancer le débat afin d'aboutir à une réforme rapide.
Nous avions en effet vu dans le texte issu du travail des députés un instrument permettant de faire sauter le verrou posé par le Conseil constitutionnel depuis sa décision de 1982, confirmée par celle de janvier dernier.
Il pouvait également constituer un levier pour la conquête d'une plus grande égalité des sexes dans les sphères économiques, sociales et professionnelles. En effet, en dehors de leur trop faible représentation dans les assemblées élues, les femmes souffrent également d'autres discriminations. Elles sont en effet les premières victimes de la précarité du travail, du temps partiel imposé, des bas salaires, y compris à qualification égale, et du chômage. Elles doivent plus que les hommes concilier vie professionnelle et vie familiale. Elles représentent 90 % des chefs de famille monoparentale ! Aujourd'hui plus qu'hier, celles qui ont des revenus modestes voient avec angoisse le remboursement de leur contraception diminuer, voire disparaître ; sans parler de leurs droits acquis à interruption volontaire de grossesse, remis en cause par les commandos anti-IVG, souvent en toute impunité !
Se dissimuler derrière de faux prétextes juridiques, en cherchant à minimiser cette réforme constitutionnelle urgente et attendue, c'est aussi nier cette réalité faite aux femmes aujourd'hui !
La division qui règne à droite sur la prise en compte de cette aspiration paritaire n'échappe à personne. On voit ainsi le conservatisme qui la caractérise osciller entre radicalité misogyne et opportunisme clairvoyant, ce dont la presse s'est fait l'écho !
L'annulation en première lecture de la modification constitutionnelle initialement prévue à l'article 3 ainsi que la responsabilité laissée aux seuls partis politiques de « favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions » remettaient radicalement en cause le sens de la réforme proposée par le Gouvernement, acceptée par le Président de la République et enrichie par l'Assemblée nationale.
Je ne reviendrai pas sur les tristes records que détient notre pays quant à l'insuffisante représentation des femmes dans les assemblées politiques. Les chiffres ont été longuement détaillés lors du débat précédent et ce point, au moins, paraît faire l'unanimité.
Je souhaite plutôt m'employer à reprendre les arguments entendus à droite de cet hémicycle contre ce projet de loi constitutionnelle, dont certains tiennent plus du fantasme que de la raison, et à démontrer combien ils sont sans fondement et à contre-courant de l'aspiration populaire.
Tout d'abord, s'agissant des arguments plus fondamentaux, les craintes exprimées ne me paraissent pas justifiées.
J'ai ainsi entendu certains décrier une atteinte à l'universalisme de notre République. Ils oublient alors d'admettre que ce principe a souvent servi de paravent à l'unique présence des hommes, et que, jusqu'à présent, l'universalisme s'est essentiellement décliné au masculin. Les principes fondateurs de notre République ne doivent en aucun cas être figés. Ne faut-il pas, au contraire, les faire vivre au quotidien ? Il est de notre responsabilité de mettre en place une souveraineté nationale représentée par des hommes et des femmes, à part égale, dans leur différence, ce que nos concitoyens appellent très majoritairement de leurs voeux.
Je le répète, la mixité de l'humanité, constitutive de l'universalisme, est plus garante de démocratie que la neutralité de sexe que certains prêtent à la citoyenneté.
Les mêmes qui dénonçaient une prétendue atteinte à l'universalisme, agitaient également le risque d'une dérive communautariste. Cet argument n'est vraiment pas sérieux !
Pour y répondre, permettez-moi de vous citer, madame la garde des sceaux : « Le sexe est un état de la personne, il ne saurait se réduire à une catégorie, car il transcende tous les groupes. » Les femmes sont, en effet, au même titre que les hommes, l'une des deux composantes de l'humanité. Admettre la dualité des sexes ne porte pas atteinte au principe d'égalité.
La crainte de discriminations positives, me paraît étrange lorsqu'elle ne dénonce pas la discrimination positive qui s'est, jusqu'à présent, exercée, de fait, à l'égard des hommes !
Vraiment, mes chers collègues, favoriser l'égal accès des femmes est une mesure urgente de justice : c'est prendre en compte leur rôle et leur place dans la société.
Certains d'entre vous, mes chers collègues, se sont livrés à une plaidoirie du mérite des femmes et ont dénoncé l'humiliation qui leur serait faite si le projet de loi constitutionnelle tel qu'issu de l'Assemblée nationale était adopté. Mais l'humiliation n'est-elle pas à son paroxysme lorsque la France est le pays européen où les femmes sont le moins représentées au Parlement ? Elles sont 82 sur 893 élus, soit seulement 9,18 %. Je ne vois, pour ma part, aucune humiliation à enfin réparer une situation injuste et de surcroît nuisible à la démocratie.
Je souhaite m'arrêter sur l'idée défendue dans l'amendement de M. Paul Girod, selon laquelle la parité porte atteinte au libre choix des électeurs. Après Mme la garde des sceaux, je me permets de faire référence aux propos de M. Carcassonne, professeur de droit public auditionné par la commission des lois du Sénat, avant le débat en première lecture, qui déclarait que, en l'absence de possibilité de panachage, l'électeur serait d'ores et déjà privé de liberté dans la plupart des scrutins. En effet, la liberté de choix s'exerce, de fait, par le biais des candidatures présentées. En conséquence, en quoi la parité viendrait-elle accentuer la situation actuelle ?
Vous le voyez, il est urgent de mettre un terme à l'exclusion des femmes de la représentation politique, car c'est bien de cela qu'il s'agit !
En inscrivant à l'article 3 de notre loi fondamentale que « la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », le texte issu de l'Assemblée nationale pouvait indubitablement y contribuer activement. Il rendait possible d'autres lois organisant, dans les faits, la parité et l'égalité des femmes et des hommes.
Je tiens d'ailleurs à préciser qu'il permet, en l'état, de discuter ultérieurement d'une modulation du financement des partis politiques à laquelle semblent tellement tenir nos collègues de droite, et à propos de laquelle je demeure sceptique.
En effet, si les partis politiques ont des efforts à fournir - et certains d'ailleurs devront en faire plus que d'autres, tant ils ont pris du retard dans la place faite aux femmes -...
M. Marcel Charmant. C'est vrai !
Mme Odette Terrade. ... il ne me semble pas souhaitable d'intervenir dans leur autonomie et leur liberté d'action. De plus, cette obligation ne concernerait pas les listes qui ne sont issues d'aucun parti.
En revanche, d'autres réformes me paraissent essentielles. Je pense notamment au non-cumul des mandats, au statut de l'élu et de l'élue et à l'introduction d'une part plus grande de proportionnelle.
Vous le savez, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen est favorable à une réforme du mode de scrutin. L'une des raisons de cette position, et non la moindre, est que le scrutin proportionnel est le mode électoral le plus efficace pour tendre vers l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats électifs.
Mme Nicole Borvo. Absolument !
Mme Odette Terrade. Je tiens toutefois à rappeler, pour rassurer la majorité sénatoriale, que le projet de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd'hui ne fait pas état de quelque réforme que se soit de nos modes de scrutin.
La passion qui anime ce débat, son caractère fondamental pour la société que nous voulons construire, la division qui règne encore sur les travées de droite amènent le groupe communiste républicain et citoyen à réserver son vote jusqu'à la fin de ce débat.
Cependant, nous prenons acte de l'attitude nouvelle de la majorité sénatoriale qui propose, pour l'article 3, de revenir aux texte initial du Gouvernement.
Alors que l'opinion publique, les associations et les mouvements féministes sont fortement mobilisés pour l'aboutissement rapide de cette réforme, alors que nous sommes à quelques jours de la journée internationale pour les droits des femmes, j'invite solennellement mes collègues de droite à ne pas reproduire les erreurs du passé (Protestations sur les travées du RPR), à ne pas rater ce rendez-vous de notre assemblée avec la modernité digne du troisième millénaire, et avec l'Histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat en première lecture du présent projet de loi dans notre Haute Assemblée a laissé à la majorité des rares femmes qui en sont membres et à de nombreux hommes progressistes un goût amer, et cette déception a été ressentie bien au-delà de notre assemblée.
Que n'a-t-on pas entendu en effet ?
Nous voulions attenter à la République une et indivisible ; nous considérions le citoyen en fonction de sa spécificité biologique ; rien ne s'opposait à l'élection des femmes, si ce n'est leur propre volonté, voir leur désintérêt ; il suffisait d'attendre pour que, naturellement, les choses évoluent positivement...
Je ne veux pas revenir sur tous les propos qui ont été tenus par une grande partie de la majorité sénatoriale ; pourtant, d'une certaine façon, ils ont été réitérés par le deuxième orateur qui est intervenu dans la discussion générale. Ces propos - je le lui dis - sont blessants et offensants. (Protestations sur les travées du RPR.)
Il ne faut donc pas s'étonner que cette attitude et ces propos ont été sévèrement jugés par la presse et par l'opinion publique.
Mme Nelly Olin. Ça suffit !
Mme Dinah Derycke. Vous avez, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, dénoncé une campagne selon vous calomnieuse alors que seul votre comportement était en cause !
M. Philippe Richert. Ça recommence !
Mme Dinah Derycke. Votre indignation, votre surprise face à ces réactions publiques démontrent que vous n'aviez pas compris ni mesuré l'aspiration profonde de la grande majorité de nos concitoyens.
Vous vous êtes sentis agressés !
M. Philippe Richert. Mais non !
Mme Dinah Derycke. J'ai moi-même été accusée d'avoir tenu de tels propos, car l'on fait une globalité lorsque l'on parle du Sénat,...
M. Josselin de Rohan. Parlez français !
Mme Dinah Derycke. ... sans considérer qu'il y vit une opposition sénatoriale qui ne défend pas les mêmes thèses et les mêmes positions ! Je vous avoue que j'ai parfois eu honte de cet amalgame. (Protestations sur les travées des Républicains et indépendants et du RPR. - Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Josselin de Rohan. C'est ridicule !
Mme Dinah Derycke. En effet, le vote que vous avez émis, accréditait l'idée que vous refusiez purement et simplement l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
Les députés, cela a été dit tout à l'heure, ne s'y sont d'ailleurs pas trompés,...
M. Hilaire Flandre. Des godillots !
Mme Dinah Derycke. C'est vous qui les qualifiez ainsi !...
Les députés ont, à l'unanimité moins deux voix, rétabli leur texte.
Pourtant, nous étions partis du même constat accablant. Mais j'ai bien peur que les larmes que vous aviez alors versées à la tribune, et que vous continuez d'ailleurs à verser,...
M. Josselin de Rohan. Nous ne pleurons pas du tout !
Mme Dinah Derycke. ... n'aient été que des larmes de crocodile.
M. Josselin de Rohan. C'est une militante qui parle !
Mme Odette Terrade. Vous ne l'êtes pas, vous ?
Mme Dinah Derycke. Et vous, n'êtes-vous pas un militant ? Moi, je revendique d'être une militante. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Madame Derycke, ne polémiquez pas avec vos collègues !
M. Josselin de Rohan. Cessez de nous provoquer !
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, ils m'interpellent alors que vous m'avez donné la parole. Vous les laissez faire, alors je me défends et je réponds !
M. Josselin de Rohan. Provocatrice !
M. le président. Mes chers collègues, seule Mme Derycke a la parole, veuillez la laisser s'exprimer !
M. Josselin de Rohan. Un caprice !
Mme Dinah Derycke. Chacun, à cette tribune, a reconnu que la place des femmes dans nos instances représentatives est scandaleusement insuffisante.
Chacun a reconnu que cette injustice ne peut pas perdurer dans un état démocratique respectueux des droits de l'homme.
Chacun a exprimé que cette exclusion de fait des femmes de l'ensemble de nos instances politiques s'explique par le poids de l'histoire et par les conditions de vie qui leur sont faites. En effet, elles assument souvent à la fois une activité professionnelle et les charges familiales, ce qui les rend peu disponibles pour la politique.
Chacun a admis également que la culture, les habitudes, les préjugés ont conduit à cette exclusion que nos voisins européens ont su ne pas accepter. Je prendrai comme exemple le Portugal, qui, pour ce faire, a adapté sa loi consitutionnelle, comme nous vous le proposons aujourd'hui.
Mais à ces blocages majeurs de notre société, à cette tension permanente entre l'égalité de droit et l'inégalité de fait, à ces discriminations masquées ou clairement avoueés, vous n'avez su ou voulu retenir qu'une solution : la bonne volonté des partis. Cette solution était réductrice et aléatoire, l'histoire nous l'a montré. Elle n'était pas acceptable.
La position du groupe socialiste n'a, quant à elle, pas varié : nous souhaitons une inscription à l'article 3 du principe d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
Sans reprendre nos débats de première lecture, je veux rappeler qu'il n'est question ni de fonder un corps électoral distinct, ni de limiter les femmes à la seule représentation des femmmes. Il ne s'agit pas d'une république sexuée, mais du partage équilibré des responsabilités au sein de la République.
M. Charles Descours. C'est une affirmation.
Mme Dinah Derycke. Je veux redire avec force que nous souscrivons pleinement à la règle fondamentale de l'universalité inscrite à l'article 3 de la Constitution, ...
M. Charles Descours. C'est quand même normal !
Mme Dinah Derycke. ... règle que le présent projet ne remet nullement en cause.
Bien au contraire, il s'agit, en effet, d'expliciter, de réaffirmer, d'enrichir ce concept, de lui donner corps. Il s'agit de refuser d'idéaliser la notion de « neutre abstrait » qui a permis d'exclure pendant deux siècles les femmes de la représentation nationale.
Faire état de l'existence des deux sexes n'est pas aller contre le principe de l'universalité. Notons d'ailleurs que le constituant de 1958 n'a pas craint de reconnaître cette existence. Il a en effet précisé au dernier alinéa de ce même article 3 que « sont électeurs les nationaux des deux sexes » !
L'inégalité des femmes dans la représentation nationale n'est pas la conséquence d'une inégalité de nature ! Certes, il existe une différence biologique indéniable entre les femmes et les hommes, mais la nature n'a pas hiérarchisé les sexes. Ce sont les hommes qui, de tout temps et en tous lieux, hélas, ont assigné aux femmes une place inférieure, tant dans la vie privée que dans la vie économique, culturelle et politique. Nous devons donc remédier à cette inégalité inventée par les hommes et subie concrètement par les femmes.
J'en viens maintenant à la proposition de M. le rapporteur, proposition qu'il nous présente à nouveau avec, il faut le dire, beaucoup de constance... après son rejet par la commission des lois le 25 janvier. Cette proposition n'a, par conséquent, pas été discutée en première lecture. Il nous invite à reprendre, à l'article 3, la version initiale présentée par le Gouvernement.
Cette solution ne nous satisfait pas pleinement. En effet, le texte élaboré par les députés nous paraît plus précis. Le terme « favorise » peut en effet laisser croire que l'on accorde une faveur, alors qu'il s'agit de réparer une injustice.
Toutefois, nous voulons voir aboutir cette réforme constitutionnelle que nous jugeons importante et, je le souligne, prioritaire pour la démocratisation de la vie politique. C'est pourquoi, tout en constatant que le texte est moins contraignant que celui de l'Assemblée nationale, nous sommes prêts à considérer qu'il peut constituer une base de compromis acceptable.
En effet, il y est fait mention de la loi, ce qui apporte l'assurance que la révision constitutionnelle ne restera pas un voeu pieux mais sera suivie d'effets. Mon souhait, le souhait du groupe socialiste, est que, rapidement, des dispositions législatives soient adoptées afin d'atteindre concrètement l'objectif que nous nous fixons. C'est pourquoi nous ne pourrions accepter un amendement qui, de façon insidieuse, viderait le texte de sa substance et le rendrait totalement inopérant.
M. Marcel Charmant. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Nous resterons donc vigilants et nous ne nous déterminerons en faveur du texte repris par M. le rapporteur qu'à la condition qu'il reste en l'état.
Comme M. le rapporteur, nous ne contestons pas que les partis politiques portent une part de responsabilité, bien que certains partis de la majorité plurielle, Mme Terrade l'a rappelé, aient déjà consenti des efforts. Qu'il soit possible, par des mesures financières, d'inciter tous les partis politiques à mieux prendre en charge cette question nous paraît constituer une réponse parmi d'autres, et non, comme en première lecture, la réponse exclusive de toute autre.
Je note d'ailleurs que la formulation a changé dans un sens plus contraignant et qu'elle fait désormais référence à l'intervention de la loi. C'est ce que la majorité sénatoriale - il faut le rappeler, mais la plus grande confusion régnait alors - avait catégoriquement refusé en première lecture.
Ces amendements, monsieur le rapporteur, ne nous enthousiasment pas vraiment. Cependant, au regard de ce qui nous a été proposé le 26 janvier, au regard des interventions faites à la tribune et des déclarations péremptoires dans la presse - on se plaint de la presse, mais on se précipite vers elle pour faire des déclarations - nous considérons que vos propositions constituent une avancée.
Vous faites un pas en avant, mais un bien petit pas par rapport au saut en arrière de la séance précédente. Le jugement négatif de l'opinion publique n'est pas étranger à votre volonté, à la volonté de la majorité sénatoriale, d'effectuer un rétablissement. Admirons cet art de la gymnastique ! J'ose espérer qu'il ne s'agit pas d'une pirouette. Les débats cet après-midi nous le diront.
Notre but, à nous socialistes, est de permettre une participation effective et égale des femmes à la vie politique de notre pays. Nous ne transigerons pas sur cet objectif prioritaire qui, nous en sommes sûrs, sera un enrichissement pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a fait couler beaucoup d'encre et a provoqué un vif débat tant au sein de nos assemblées parlementaires que parmi les philosophes, les intellectuels, les juristes et, au-delà, dans toute l'opinion publique. Encore ce matin, nous avons d'ailleurs entendu de nombreuses références à ce débat qui s'est déroulé jusque dans la rue.
Il est vrai que la modification de la Constitution qu'il nous est proposé de voter aujourd'hui ne fait pas l'unanimité, tant dans son principe même que sur sa forme.
La représentation des femmes dans la vie politique de notre pays et, en premier lieu, au sein des assemblées parlementaires, est une exigence que l'Union centriste défend avec conviction. Cette exigence doit d'ailleurs s'appliquer à tous les domaines de la vie publique.
Au nom du groupe de l'Union centriste, je réaffirme donc avec force la position que j'avais exprimée en première lecture : il est inadmissible que les femmes ne soient pas davantage représentées dans notre vie politique.
Pourquoi sont-elles si peu représentées ? Cette situation résulte-t-elle de la loi ou des mentalités et des comportements ?
En ce qui concerne la loi, pourtant, le troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, inséré dans notre actuelle Constitution, apporte les précisions suivantes : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »
Peut-on être plus explicite ? Le débat que nous avons aujourd'hui trouve donc son origine non pas dans un déficit législatif, mais dans le constat d'un écart manifeste entre le droit et les faits.
En France, berceau des droits de l'homme, que les femmes ne trouvent pas davantage de place dans la vie politique est l'aveu d'un échec. Cinquante-cinq ans après que les femmes ont obtenu, sur l'initiative du général de Gaulle, le droit de vote et d'éligibilité, leur place en politique reste marginale. Cette situation contraste fortement avec ce que l'on observe dans la plupart des autres pays européens, la France étant à l'avant-dernier rang en ce qui concerne la présence des femmes dans les parlements nationaux.
On peut regretter qu'il faille recourir à la loi pour changer les mentalités et les comportements, mais il faut bien reconnaître que les inégalités constatées ne s'estomperont sans doute que lentement, trop lentement. Par conséquent, une impulsion est indispensable et, dès lors, le recours à la loi se justifie. Mais les débats, tant dans l'hémicycle que dans l'opinion, montrent que l'introduction de la parité dans la Constitution n'est pas sans risque et que son efficacité n'est pas garantie.
En effet, s'il y a accord sur l'objectif à atteindre - favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives - les interrogations viennent du moyen d'atteindre cet objectif.
Faut-il modifier la Constitution ? Certains y sont opposés et, parmi eux, des spécialistes de droit constitutionnel. Ils font valoir qu'introduire une discrimination positive à l'attention des femmes remet en cause le principe de l'universalité et qu'aucun autre pays n'a ainsi usé de la loi pour favoriser l'accès des femmes aux fonctions électives.
Il faut reconnaître que cet argument, puisé dans les principes mêmes de notre République, est plus que respectable. Je regrette que dans les débats de ces derniers mois - et même dans certaines déclarations de ce matin - les excès des uns en aient minoré l'importance.
En France, le contexte est cependant particulier. Seule une modification de la Constitution permettra de lever le verrou de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce texte est donc utile pour éviter la sanction du Conseil constitutionnel chaque fois que nous voudrons faire un pas en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes.
La question qui subsistait était donc : que faut-il modifier dans la Constitution ? Or le différend entre les députés et les sénateurs portait sur les modalités de cette modification.
Ce texte initial du Gouvernement ajoutait à l'article 3 de la Constitution un alinéa indiquant que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ».
L'Asssemblée nationale est allée plus loin en précisant : « La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Elle est revenue sur ce texte en deuxième lecture et a par conséquent refusé de tenir compte des modifications apportées par le Sénat. Or ces modifications votées par les sénateurs étaient l'aboutissement d'un long et passionnant débat au sein de notre assemblée.
Ce débat est le suivant : l'égalité juridique entre les hommes et les femmes existe déjà dans le préambule de notre Constitution. Ce n'est donc pas la loi qui est responsable des inégalités que l'on peut observer. C'est pourquoi le Sénat avait préféré modifier l'article 4 de la Constitution, jugeant que les partis politiques sont davantage responsables de ce déséquilibre et que seule sera efficace une action volontariste de leur part, éventuellement accompagnée d'une modulation des règles de leur financement public. Nous réaffirmions donc notre volonté de marquer clairement la responsabilité des partis politiques.
Par sa rédaction impérative, la modification apportée par l'Assemblée nationale à l'article 3 de la Constitution n'est pas satisfaisante. Les termes retenus par le texte initial, qui a été adopté en conseil des ministres, paraissent laisser plus de liberté au Parlement dans le choix des mesures législatives. C'est pour cela que la majorité sénatoriale, et à ce titre le groupe de l'Union centriste, préfère voter le texte initial. Nous manifestons ainsi notre souci d'aboutir à un accord, de trouver un compromis.
A cet égard, rappelons que cette culture du compromis, de la recherche d'un accord est davantage partagée dans d'autres pays qu'en France. Les reproches que nous nous adressons les uns les autres sont parfois excessifs. Mieux voudrait essayer très lucidement et très concrètement de trouver les voies d'un accord entre les différentes parties, les différentes composantes.
C'est dans ce souci que notre groupe votera le texte initial.
Enfin, le Gouvernement n'a toujours pas précisé les conditions de mise en oeuvre de ce principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Si ces conditions paraissent assez faciles en ce qui concerne les scrutins de listes, il n'en est pas de même, bien entendu, pour les scrutins uninominaux.
Il ne faudrait pas qu'ensuite certains utilisent le prétexte de la parité pour généraliser le scrutin proportionnel, auquel on peut reconnaître certains avantages, mais aussi de nombreux inconvénients.
Madame la ministre, vous avez reconnu le risque de communautarisation de notre société tout en vous disant opposée à cette évolution. Vous avez démenti d'éventuelles intentions du Gouvernement quant à la modification du mode de scrutin. Vos propos me rassurent, tout comme je me félicite de l'évolution du ton. Vous déclarez que nous sommes plus prêts les uns des autres que nous ne pourrions le penser. C'est ce que certains avaient déjà dit et répété lors de l'examen de ce texte en première lecture, mais à l'époque les propos étaient beaucoup plus vindicatifs.
Vos propos me rassurent, disais-je, mais ceux de certains de vos collègues du Gouvernement me font néanmoins douter.
Cela étant, le texte réécrit et voté par le Sénat, y compris avec la modification de l'article 4 visant à confirmer le rôle, dans ce domaine, des partis politiques, pourrait être transmis dès ce soir à l'Assemblée nationale et ensuite être validé par le Congrès.
Pour autant, le fait de favoriser l'accès des femmes aux fonctions électives ne résoudra en rien la question du retard qu'elles connaissent dans d'autres domaines.
Le rapport intitulé : « L'encadrement supérieur de la fonction publique : vers l'égalité entre les hommes et les femmes », qui a été remis très récemment au ministre de la fonction publique par Mme Anne-Marie Colmou, maître des requêtes au Conseil d'Etat, le montre bien.
Si les femmes représentent 56,9 % des salariés du secteur public, elles sont peu nombreuses à occuper des postes à responsabilité et le Gouvernement auquel vous appartenez devrait bien sûr montrer l'exemple, dans le droit-fil des déclarations dont nous avons été abreuvés ces derniers temps.
Depuis l'arrivée de Lionel Jospin, il semble bien que moins de 10 % des hauts fonctionnaires nommés en conseil des ministres aient été des femmes.
M. Alain Gournac. Voilà !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Et les ministres ?
M. Philippe Richert. Et pourtant, il y en a eu des nominations ! Et là, il n'était pas besoin de modifier la Constitution ! (Applaudissements sur les travées du RPR.) Il suffisait d'avoir la volonté de démontrer que les discours lénifiants du Gouvernement pourraient être suivis d'effets par ailleurs.
La situation dans le secteur privé n'est d'ailleurs pas meilleure. Aujourd'hui, l'inégalité entre les hommes et les femmes reste, en France, indiscutable, par exemple devant le chômage et les emplois précaires, devant les abus du temps partiel, devant la disparité des salaires... Dans le secteur privé, le salaire moyen des femmes est de 25 % inférieur à celui des hommes. Il est inadmissible que, à l'aube du XXIe siècle, des discriminations salariales et à l'embauche entre les femmes et les hommes subsistent, à responsabilités et à compétences égales.
Nous devons donc agir à tous les niveaux pour faciliter l'accès des femmes aux responsabilités, en particulier en prenant des mesures concrètes pour favoriser la conciliation de leur place et de leur rôle dans la famille, la sphère privée, et dans la société, la sphère publique. Les Françaises et les Français nous jugeront, madame la ministre, non pas simplement sur nos intentions, mais sur nos actes.
Pour conclure, monsieur le président, je pense que, au fond, un accord est possible, est souhaitable entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Le groupe de l'Union centriste est favorable à l'aboutissement de ce débat par un accord entre les deux assemblées et il votera, dans sa grande majorité, les deux points évoqués plus haut.
Vous le voyez, madame la ministre, contrairement à ce qui a été largement dit et entendu ces dernières semaines, et je l'avais d'ailleurs clairement affirmé en première lecture, le Sénat est favorable à un meilleur accès des femmes aux fonctions électives, et la discussion ainsi que le vote de ce texte en témoignent. Sur des sujets aussi importants et qui engagent notre responsabilité, nous ne saurions, les uns et les autres, décevoir les Françaises et les Français.
Mais, désormais, tout reste à faire !
Les prochaines élections européennes donneront aux partis politiques une première occasion de mettre en pratique cette volonté de promouvoir les femmes dans la vie politique.
Bien plus, si l'on veut que les femmes soient réellement mieux représentées dans la vie politique, cette volonté doit être quotidienne. En dehors même des périodes électorales, les partis politiques doivent faire une place plus importante aux femmes dans leurs instances.
C'est maintenant que tout commence. Et soyez sûre, madame le garde des sceaux, que le Sénat portera ce dossier en militant vigilant de l'égalité ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le ministre, mesdames les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, lorsque j'ai eu l'honneur d'entrer dans cette assemblée, il y a quelque vingt ans, je savais que je revêtais l'habit de constituant qui m'imposait donc à la fois rigueur, prudence et responsabilité.
Je savais aussi que, chaque fois que j'aurais à modifier la Constitution, je devrais avoir à l'esprit qu'elle s'appliquerait non pas sur un temps court, mais sur une longue période ; c'est la raison pour laquelle, madame le ministre, j'ai été tout à l'heure un peu sceptique sur la manière dont vous avez évacué le problème de la généralisation des scrutins de listes en disant que ce gouvernement ne le ferait pas. Mais il peut venir demain un autre gouvernement, d'une autre origine,...
M. Alain Vasselle. Bien sûr !
M. Paul Girod. ... qui, pour une raison quelconque, utilisera les dispositions dont nous parlons pour aller exactement à l'inverse de ce qui est la tradition nationale française, c'est-à-dire les scrutins uninominaux !
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Paul Girod. C'est un aspect que je me dois d'avoir présent à l'esprit quand j'exerce mon devoir de constituant que je remplis depuis vingt ans, avec une suppléante femme ! Cela n'était pas tellement fréquent à l'époque, et cela ne l'est pas tellement plus aujourd'hui !
Madame le ministre, j'ai toujours été hostile à l'inscription, dans la Constitution, de la référence au financement public des partis politiques. Elle découle de la loi et doit rester à ce niveau, car elle peut évoluer à tout moment.
Mme Nicole Borvo. On est d'accord !
M. Paul Girod. Le fait d'inscrire un tel financement dans la Constitution revient, me semble-t-il, à consacrer définitivement un avatar, ce qui me semble dangereux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je n'avais pas voté le texte issu des premières délibérations du Sénat.
J'en viens maintenant au texte qui nous revient de l'Assemblée nationale et qui me semble inadmissible pour deux raisons.
Premièrement, il découle d'une conception de la vie publique qui relève plus de la photographie que du cinéma. Or, qu'on le veuille ou non, en matière d'arrivée des femmes dans la vie publique, on constate une évolution. Elle est lente, trop lente, voire scandaleusement lente, mais elle existe ! Il faut en favoriser l'accélération, mais il ne faut pas recomposer autoritairement la photographie du jour en redistribuant les rôles ! C'est pourtant ce que fait l'Assemblée nationale en utilisant le verbe « détermine », qui décrit déjà le résultat d'une évolution ultérieure.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Paul Girod. Que l'on favorise l'évolution, qu'on l'accélère, oui ! Que l'on en détermine le résultat, non !
Deuxièmement, le texte de l'Assemblée nationale introduit une rupture avec le principe d'universalisme. Or c'est un peu facile d'évacuer le débat universaliste, communautariste, de manière caricaturale et rapide. Mais c'est un vrai problème.
J'ai relu attentivement l'article 3 dont la Constitution, Mme Derycke, tout à l'heure, a très opportunément rappelé le quatrième alinéa, un alinéa de rassemblement de notre peuple.
Au premier alinéa, le peuple est décrit comme seul souverain et exerçant sa souveraineté par l'intermédiaire de ses représentants et par la voie du référendum.
Au quatrième alinéa, il est écrit : « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes - voilà le rassemblement - jouissant de leurs droits civils et politiques. »
Ajouter à l'article 3 un alinéa qui opèrerait un découpage au sein de notre peuple serait une erreur. Il est préférable, pour conserver la même idée, d'ajouter un texte aussi « rassembleur » que le dernier alinéa actuel de l'article 3.
C'est ainsi que je proposerai, par amendement, d'insérer dans cet alinéa la phrase suivante : « La loi favorise leur égal accès aux mandats électoraux et fonctions électives dans le respect du droit de candidature et de la liberté de choix des électeurs. » Voilà qui serait non seulement plus constructif, plus rassembleur que le texte proposé aujourd'hui par notre rapporteur et contenant cette idée de découpage dans notre peuple, mais aussi plus porteur d'avenir et moins susceptible de manipulations ultérieures ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gélard. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes revient aujourd'hui devant le Sénat dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
Pourtant, le Sénat avait souligné avec force son attachement au principe de l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions et aux mandats électifs.
Pourtant, le Sénat avait souligné que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le préambule de la Constitution de 1946 et la Constitution de 1958 elle-même assuraient déjà en droit cet égal accès des hommes et des femmes et que les véritables coupables étaient non pas la Constitution, la loi ou le législateur, mais les partis politiques ; c'était là qu'il fallait mettre l'accent.
Pourtant, le Sénat avait mis en garde contre les dérives potentielles du texte adopté par l'Assemblée nationale. Mais personne, ou presque, n'a voulu entendre ce que nous avions dit. Personne, ou presque, n'a voulu lire ou relire nos débats. On criait haro sur le Sénat, à tel point qu'on pouvait légitimement se demander si d'autres objectifs n'étaient pas fixés.
Mais l'opinion publique a commencé à évoluer et à considérer qu'on en faisait peut-être un peu trop et que les arguments du Sénat méritaient peut-être un autre jugement.
On a même voulu démontrer un hiatus entre le Président de la République et la majorité sénatoriale, alors que le texte adopté par l'Assemblée nationale n'était pas celui que le chef de l'Etat avait approuvé.
Un sénateur du RPR. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. Le Sénat n'est pas hostile, loin de là, à la modernité, mais il faut que cette modernité ne soit ni ringarde, ni démagogique, ni liberticide. (Applaudissement sur les travées du RPR.)
Pour montrer cette volonté, nous allons accepter aujourd'hui le texte proposé par la commission des lois et négocié préalablement, et nous l'en remercions, par le président du Sénat et les présidents des groupes de la majorité parlementaire.
Mais le Sénat, comme il l'a affirmé au cours de la première lecture, demeurera vigilant sur les suites qui seront données à cette révision constitutionnelle.
Il ne faut pas que cette révision soit prétexte à généraliser le scrutin proportionnel parce qu'il serait le seul à garantir réellement l'égalité des hommes et des femmes.
Il ne faut pas que cette réforme justifie la mise en place des quotas, qui, comme nous l'avons déjà démontré, discréditent ceux qui en bénéficient et sont en contradiction avec les règles démocratiques les plus élémentaires. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Au nom de quoi pourrait-on dire demain qu'un homme ou une femme ne peut pas représenter l'autre sexe ? Quand je vote, je vote indifféremment pour un homme ou pour une femme, selon que j'estime qu'il est le meilleur ou qu'elle est la meilleure ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. Encore faut-il que les femmes puissent être candidates !
M. Patrice Gélard. Il faudra donc que le Gouvernement et le Parlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, manient avec beaucoup de précaution la signification du terme « favorise ». En effet, le risque d'ouvrir la boîte de Pandore est évident. Quoi qu'en dise Mme le garde des sceaux, je crains que telle ou telle catégorie de citoyens n'exige demain l'égalité, en dénonçant la non-concordance de la représentation nationale avec la réalité sociologique et, une nouvelle fois, la discordance entre le pays légal et le pays réel !
M. Alain Vasselle. Très juste !
M. Patrice Gélard. Pourquoi demain, madame le garde des sceaux, n'apparaîtrait pas une revendication pour dénoncer le nombre excessif de parlementaires fonctionnaires qui siègent à l'heure actuelle dans nos assemblées...
M. Alain Vasselle. A l'Assemblée nationale !
M. Patrice Gélard. ... et dire qu'il est anormal que les autres catégories socioprofessionnelles soient à ce point sous-représentées ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Demain, des revendications se feront jour dans la magistrature, l'enseignement et la santé publique pour rétablir l'égalité des sexes, en faisant fi des mérites et des talents !
M. Josselin de Rohan. Dans la magistrature, d'accord ! On y trouvera plus d'hommes !
M. Patrice Gélard. Mais, après tout, ne jouons pas les prophètes de malheur. Restons convaincus du bon sens et de la volonté de rechercher l'équilibre de nos gouvernants et de nos responsables de partis politiques. Peut-être que, demain, ce seront les hommes qui, devenus minoritaires dans les assemblées, se réclameront à leur tour de l'égalité d'accès aux fonctions et aux mandats. (Marques d'approbation sur les travées du groupe du RPR.)
M. Claude Estier. Ce n'est pas encore pour demain !
Mme Nicole Borvo. La parité le leur permettra !
M. Patrice Gélard. Madame le garde des sceaux, je suis convaincu, malgré ce que vous avez dit tout à l'heure et qui m'a quelque peu rassuré, qu'il y a eu une offensive montée pour neutraliser le Sénat.
M. Alain Vasselle. Exactement !
M. Patrice Gélard. La parité, le cumul des mandats, la réforme du mode de scrutin sénatorial, tout cela apparaît comme un ensemble de mesures dirigées contre nous.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. Mais vous ne pouvez mener cette offensive qu'avec l'appui de l'opinion publique, et je ne suis pas convaincu que, dans ce domaine, elle vous suive.
Le Sénat est pour la modernité, tout comme vous, je l'ai dit tout à l'heure, mais pas à n'importe quel prix.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Patrice Gélard. Dans l'affaire de l'égal accès, le Sénat a su montrer où se trouvait la cause réelle de la sous-représentation féminine dans nos assemblées.
Je ne pense pas que le débat qui eut lieu à l'Assemblée nationale mît cela aussi bien en évidence, et je suis convaincu que, lors des prochaines élections européennes, la quasi-totalité des listes seront paritaires sans qu'aucune loi ait été adoptée entre-temps. (Murmures sur les travées socialistes.)
Je suis convaincu qu'aux prochaines élections municipales il en ira de même sans qu'aucune loi intervienne d'ici là. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées.)
J'en tiens avec vous le pari.
Nous ne sommes pas là pour bloquer une réforme qui a sa raison d'être, nous l'avons dit dès le début.
Nous allons une fois encore, comme c'est la tradition au Sénat, faire preuve de sagesse en acceptant un texte que beaucoup d'entre nous trouvent encore imparfait. Mais cette sagesse restera assortie, soyez-en sûrs, de vigilance face aux dérives potentielles et de sens des responsabilités face aux exigences démocratiques et républicaines (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà un peu plus d'un mois, la majorité sénatoriale s'était opposée au projet de réforme présenté par le Gouvernement pour faire sortir la France d'une situation que, par ailleurs, tout le monde s'accordait à trouver inacceptable.
En refusant l'intervention de la loi et en nous proposant de nous en remettre exclusivement aux incitations financières pour les partis politiques, la majorité sénatoriale avait montré sa volonté de ne faire évoluer les choses que le plus lentement possible.
Ce mois de réflexion a apparemment permis à nos collègues d'écouter et, surtout, d'entendre les 79 % d'hommes et les 81 % de femmes de notre pays qui se sont déclarés prêts à voter « oui » à un référendum sur l'inscription de l'objectif de parité dans la Constitution.
M. Alain Vasselle. Cela reste à démontrer !
Mme Danièle Pourtaud. Contrainte d'avancer, au risque de se couper de l'opinion, la majorité sénatoriale accepte aujourd'hui de revenir au texte initial : « La loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions ». Nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais elle entre dans cette réforme à reculons, en refusant la rédaction plus volontariste adoptée par l'Assemblée nationale.
M. Pierre Fauchon. C'est faux !
M. Jean Delaneau. On entre dans la provocation !
M. Alain Vasselle. C'est de la caricature !
Mme Danièle Pourtaud. Pardonnez-moi, mes chers collègues, je vous ai écoutés, et je serais heureuse que vous en fassiez autant à mon égard !
M. Pierre Fauchon. Il ne faut pas nous provoquer !

M. le président. Mes chers collègues, la parole est à Mme Pourtaud, et à elle seule.
Poursuivez, madame !
M. Alain Vasselle. Qu'elle ne nous provoque pas !
M. Claude Estier. Parce que vous ne provoquez jamais, vous ?
M. Jacques Larché. Rarement !
M. le président. Madame Pourtaud, poursuivez, s'il vous plaît !
Mme Danièle Pourtaud. Merci, monsieur le président.

Pour notre part, face à la persistance d'inégalités entre les hommes et les femmes, nous sommes convaincus qu'une telle révision constitutionnelle, qui permet l'intervention du législateur, peut être un formidable levier pour transformer les mentalités et les comportements - je rejoins en cela M. de Rohan - non seulement dans la vie politique, mais aussi dans l'ensemble de notre société.
Néanmoins, cette révision constitutionnelle, si elle inaugure une nouvelle ère, n'est en rien la fin d'un combat. Cette loi d'habilitation nécessaire mais non suffisante devra être suivie d'une ou de plusieurs lois d'application pour que l'égalité devienne une réalité dans nos assemblées.
Je ne crois donc pas inutile de rappeler, tout d'abord, combien une telle révision constitutionnelle s'imposait tout particulièrement dans notre pays.
Pour ma part, j'ai toujours pensé que le combat pour la mixité et l'égalité dans la vie publique était à mener simultanément sur deux fronts : le front politique et législatif d'une part, le front culturel d'autre part.
Du point de vue du combat culturel, les rapports se succèdent pour égrener le même constat : le sexisme perdure quasiment sans amélioration dans tous les secteurs de notre société. La dernière étude de l'INSEE, publiée le 27 janvier 1999, nous confirme que les inégalités hommes-femmes sévissent non seulement dans les partis politiques mais aussi dans toute la sphère professionnelle. Alors que le taux d'activité féminin n'a jamais été aussi fort depuis les années soixante, les femmes souffrent toujours d'un double handicap : elles sont à la fois victimes de discriminations sur le marché du travail, et c'est encore sur elles que reposent à 80 % les tâches domestiques et les responsabilités familiales.
Dans le secteur privé, 32 % des cadres seulement contre 76 % des employés sont des femmes ; à poste égal, l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes est de 28 % ; 14 % seulement sont à la tête d'entreprises de plus de 10 salariés...
Et ce n'est pas mieux dans la fonction publique, cela a déjà été rappelé à cette tribune ! Le récent rapport d'Anne-Marie Colmou renforce malheureusement ce que nous savions déjà. Les femmes sont des plus rares aux postes de responsabilité : 5 femmes parmi les 109 préfets, 4 sur les 30 recteurs, 4 sur les 88 présidents d'universités, 40 sur les 201 membres du Conseil d'Etat...
Seul le débat public permettra de faire évoluer durablement les mentalités et les comportements. A cet égard, qu'il me soit permis de remercier la droite sénatoriale de son involontaire contribution. En quelques semaines, le débat est sorti des hémicycles pour se dérouler dans le pays. Il y avait bien longtemps que la cause des femmes n'avait pas fait la une des journaux et n'avait pas occupé des colonnes entières. Et cela, nous le devons en quelque sorte au blocage de la majorité sénatoriale le 26 janvier dernier.
M. Josselin de Rohan. Ne dites pas n'importe quoi !
M. Pierre Fauchon. Il n'y a pas eu de blocage !
Mme Danièle Pourtaud. Je rends hommage à votre combat sincère pour la cause des femmes !
M. Pierre Fauchon. Avons-nous, oui ou non, voté quelque chose ?
M. le président. Monsieur Fauchon, vous aurez la parole après Mme Pourtaud.
M. Pierre Fauchon. Ce sera trop tard !
M. le président. Poursuivez, madame Pourtaud !
Mme Danièle Pourtaud. Mais nous ne devons pas pour autant relâcher notre vigilance et laisser fléchir notre détermination, car nous savons bien que les résistances sont profondes et que les bonnes volontés s'émoussent vite dans notre pays.
C'est d'ailleurs une leçon à tirer de notre histoire. Pendant des siècles, les femmes ont été exclues abusivement de toute participation aux affaires de la cité, au nom de leur différence sexuelle. De la loi salique jusqu'à la Libération en passant par le code Napoléon, on les a cantonnées à la sphère privée et religieuse. Le mode de fonctionnement actuel de notre vie publique n'est que le résultat de cette construction masculine.
« L'évolution des moeurs ne suffit pas toujours, surtout en France, passablement archaïque, voire bloquée en la matière » estimait encore récemment l'historienne Michelle Perrot. A la différence des pays nordiques, nous ne pouvons donc pas faire confiance à l'évolution spontanée des mentalités et des comportements.
C'est aussi la leçon à retenir des toutes dernières élections.
Si, en 1998, le nombre de conseillères régionales a été multiplié par deux, on a pu constater aux dernières cantonales et sénatoriales que ce bel élan s'était arrêté tout net !
En outre, tous les partis n'avancent pas naturellement du même pas décidé pour investir des candidates et les placer en position éligible. Aux régionales, c'est la gauche plurielle qui a présenté le plus grand nombre de femmes. Je ne résiste pas au plaisir de souligner que c'est le parti socialiste qui les a placées aux meilleurs rangs, puisqu'il a obtenu, proportionnellement, le plus grand nombre d'élues féminines - 35 % - devant le RPR - 25 % - et l'UDF - 23 %.
M. Alain Vasselle. La parti communiste est bien loin !
Mme Danièle Pourtaud. Face à ces différents obstacles qui peuvent facilement devenir insurmontables, il est bien évident que seule la force de la loi permettra de garantir le changement et d'inverser d'une manière irréversible le cours de ce très long fleuve trop tranquille.
On l'aura compris, cette révision constitutionnelle restera lettre morte, en deçà de sa valeur symbolique, si elle n'est pas suivie nécessairement d'une ou de plusieurs mesures concrètes.
Il faut aujourd'hui faire preuve d'une grande hypocrisie pour ne pas reconnaître qu'il y a bien des quotas de fait qui écartent les femmes de la représentation nationale : 5 % au Sénat, 5 % à l'Assemblée nationale jusqu'en juin 1997, 11 % aujourd'hui grâce au volontarisme de Lionel Jospin.
Il est donc indispensable que le législateur prenne des mesures volontaristes pour que l'égalité de droit puisse passer dans les faits.
A cet égard, je souhaiterais d'emblée dissiper ce que je considère comme un malentendu. A travers les quotas de candidatures, il s'agit non pas d'ériger la différence en principe ni de remettre en cause l'universalisme - l'exemple américain est là pour témoigner que c'est un leurre ! - mais d'accélérer le mouvement vers l'égalité et la mixité.
Toute logique quantitative ne peut être qu'une étape,...
M. Hilaire Flandre. C'est une erreur !
Mme Danièle Pourtaud. ... que j'espère provisoire, comme je l'ai déjà dit le 26 janvier. Nous ne voulons pas enfermer la politique dans un carcan rigide !
Interrogé sur la pertinence des quotas comme moyen de remédier aux inégalités entre les hommes et les femmes, François Mitterrand estimait alors : « Il est inadmissible qu'il y ait si peu de femmes élues. »
M. Josselin de Rohan. Il était bigame ! (Sourires.)
Mme Danièle Pourtaud. Il ajoutait : « Puisque cela ne se fait pas naturellement, il faut pendant quelque temps prendre de nouvelles habitudes. »
M. Hilaire Flandre. Il a pris le temps de la réflexion !
Mme Danièle Pourtaud. Je le répète : les quotas de candidatures en faveur des femmes sont pour nous une étape nécessaire mais transitoire pour que la revendication de l'égalité ne demeure pas une posture rhétorique, mais devienne une réalité pour toutes.
Voyons maintenant de plus près quelles pourraient être la ou les lois possibles.
Pour les scrutins de liste, c'est assez simple. Encore faudra-t-il veiller à placer les candidates en position éligible !
Pour les scrutins uninominaux, l'incitation ou la sanction financière - je crois que nous allons devoir travailler, au sein du Parlement, en concertation avec vous, madame la ministre, et faire preuve d'imagination - permettra sans trop de difficultés d'aboutir, à plus ou moins long terme, à notre objectif. Peu-être, madame la ministre, pourrez-vous nous préciser l'état actuel de vos réflexions en la matière.
Quoi qu'il en soit, j'espère que nous pourrons voter dès aujourd'hui, mes chers collègues, sans mauvaise surprise, cette réforme qui a suscité tant d'espoirs pour toutes les Françaises de notre pays.
Je suis en effet certaine qu'il est bien acquis sur tous les bancs de cet hémicycle que les femmes n'ont plus à prouver leur compétence ; elles ont seulement besoin qu'on ne les empêche pas de les exercer. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame « le » ministre (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
Mme Odette Terrade. Rétrograde !
Mme Nicole Borvo. Bon démarrage !
M. Pierre Fauchon. Mais oui, la langue française est vivante : on a certainement le droit d'y introduire... (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen)...
Mme Odette Terrade. Justement, elle doit évoluer !
M. Pierre Fauchon. Puisque vous refusez de m'écouter, je ne vous parle pas de la langue française, qui, bien entendu, vous intéresse si peu ! (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je reprends donc mon propos.
Je ne suis pas monté à cette tribune pour exposer le point de vue de mon groupe, mission remplie par notre ami Philippe Richert, ni même pour développer longuement mon point de vue personnel.
En ce qui concerne celui-ci, je me bornerai à dire, comme je l'avais fait en explication de vote, que je suis résolument favorable à une plus grande intervention des femmes dans la vie publique...
Mme Nicole Borvo. On ne le dirait pas !
M. Pierre Fauchon. ... non seulement pour des raisons d'égalité et d'équité qui ont été suffisamment rappelées et qui sont justes, mais, plus positivement peut-être, parce que je suis convaincu que leur présence peut aider à la nécessaire rénovation de notre vie publique.
Les femmes ont, à mes yeux, et après une assez longue expérience, dans un certain nombre d'activités, une plus grande propension à considérer les problèmes dans leur réalité concrète et dans un souci d'efficacité, tandis que les hommes préfèrent trop souvent les considérer sous l'angle politique ou théorique, sans trop se soucier des résultats de leurs actions.
J'attends donc beaucoup non d'une mythique parité, mais d'un progrès significatif dans ce domaine, et je crois normal que la loi favorise un tel progrès, sans pour autant souscrire à la formulation qui semble « politiquement correcte ».
Mais je veux ici dénoncer les commentaires qui ont accompagné ou suivi nos délibérations, et dont la responsabilité n'incombe pas seulement à des journalistes.
Dire que le Sénat refuse de voter la parité ou, selon la formule employée tout à l'heure par Mme Pourtaud, qu'il « bloque la situation », n'est pas la vérité. (Protestations sur les travées socialistes.) C'est même une contre-vérité !
La vérité est que le Sénat s'est prononcé positivement, comme l'Assemblée nationale, sur la question essentielle du principe de la parité. La différence est de l'ordre des moyens, non de l'ordre des principes. Je vous supplie d'accepter la distinction !
Cette différence résulte de ce que l'Assemblée nationale s'est bornée à formuler une proclamation, en elle-même inefficace, mais surtout grosse de beaucoup d'inconnues : les lois qui allaient devoir être ensuite élaborées. Le Sénat a, lui, considéré qu'il convenait tout à la fois d'assurer la mise en application du principe et de préciser ses conséquences. Il est donc en fait allé plus loin !
Il a tout naturellement retenu que la question de la parité n'était pas, en réalité, affaire de principe. Je me permets de rappeler - j'ignore pourquoi on ne le fait pas plus souvent ! - que le préambule de la Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle, dit expressément que « la loi garantit à la femme » dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », ce qui fait quasiment tautologie avec ce que vous nous demandez de voter.
Mme Danielle Pourtaud. S'il n'y avait pas de problème, nous ne serions pas là pour débattre !
M. le président. Madame Pourtaud, je vous en prie, pas d'interpellation !
Veuillez poursuivre, monsieur Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je dis donc à Mme Pourtaud qu'il ne s'agit pas d'une question de principe car, sur le principe, nous sommes d'accord. Non, c'est une question de mise en oeuvre de ce principe et une question de moeurs politiques. Or, comme l'essentiel des moeurs politiques incombe constitutionnellement aux partis, le Sénat, parfaitement cohérent avec lui-même, a jugé que c'était sur eux qu'il fallait expressément faire peser l'obligation de « favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives ».
On peut parfaitement, sur ce terrain des voies et moyens, ne pas partager le même point de vue : chacun a le droit de préférer telle ou telle modalité. Mais ce n'est pas une raison pour méconnaître ce que nous avons voté, pour en rire ou pour parler de blocage !
Les rieurs - disons-le, il y en a eu d'assez importants - ont ignoré superbement la seconde partie du dispositif sénatorial, qui confère au principe une efficacité assurée en appliquant au mal le plus efficace des remèdes : celui du mode de financement des partis. Voilà l'efficacité garantie !
Quand ils étaient de bonne foi - ce qui est loin d'avoir toujours été le cas - les rieurs ont ainsi fait la preuve, à tout le moins, de leur peu d'objectivité.
Dira-t-on que la seconde disposition dont je viens de parler, proposée par la commission des lois, n'a pas été adoptée sans quelques peines ? Et après ? Ce qui compte, c'est le résultat qui, lui, a été parfaitement clair et tout à fait positif.
Pourquoi l'avoir méconnu ? Pourquoi avoir encouragé ceux qui l'on méconnu et avoir tenu, il y a quelques instants encore, des propos qui vont dans le même sens ?
Tout cela, je n'hésite pas à le dire, n'a pour but que d'enfoncer un clou dans la tête du bon peuple, qui avait jusqu'ici la faiblesse de faire une assez grande confiance à son Sénat. (Rires et exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ce clou porte un nom : c'est l'archaïsme. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Il paraît que le Sénat est archaïque et qu'il est seul dans son genre.
M. Robert Bret. Il est conservateur !
M. Pierre Fauchon. Parce que l'administration, bien entendu, elle, n'est pas archaïque, non plus que l'enseignement, l'organisation des collectivités locales, le système de sécurité sociale et des retraites, le système judiciaire, la police... Il n'y a, nous dit-on, que le Sénat qui soit archaïque et ringard ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Donnez l'exemple !
M. Pierre Fauchon. Une image me vient à l'esprit, qui a déjà été évoquée par notre excellent collègue M. Gélard tout à l'heure : c'est celle des Animaux malades de la peste.
La peste de notre vie publique, c'est en effet, je suis assez enclin à le croire, un certain archaïsme qui l'atteint dans tous ses rouages : « Ils n'en mouraient pas tous mais tous étaient frappés. »
Alors, une fois encore, il faut bien trouver un bouc expiatoire, et ce sera le Sénat, ce baudet dont vient tout le mal !
Mesdames et messieurs les censeurs, mesdames et messieurs les rieurs, relisez donc La Fontaine et écoutez-le quand il écrit : « Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence l'état de notre conscience. »
Le même gouvernement qui se pose en parangon de la parité n'est-il pas celui qui, en deux ans de nominations aux postes de responsabilités administratives, aura tout de même réussi à faire reculer la parité, si j'en crois du moins le titre d'un journal aussi réputé pour son objectivité que le journal Le Monde ?
Plusieurs sénateurs socialistes. Et Juppé ?
M. Pierre Fauchon. On comprend, dès lors, qu'un tel gouvernement ait moins de goût que nous pour les dispositifs concrets. Car le Sénat se défie des proclamations et leur préfère des mesures effectives. C'est sa façon à lui d'être moderne ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Marcel Charmant. Mais c'est Jean-Luc Mélenchon qui était inscrit ?...
M. Robert Bret. Il remplace Mélenchon ! (Sourires.)
M. Philippe Adnot. Non, je ne remplace pas M. Mélenchon ! D'ailleurs, je ne crois pas que lui et moi ayons souvent l'occasion de partager les mêmes points de vue !
Plusieurs sénateurs socialistes. C'est sûr !
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la période que, avec ce texte, nous venons de vivre est particulièrement intéressante. Je ne doute pas que, avec un peu de recul, elle constituera un cas d'école que l'on étudiera avec soin.
Acte I : le Président de la République et le Premier ministre se mettent d'accord sur un texte relativement simple censé inciter tous les acteurs politiques à favoriser l'accès des femmes aux fonctions politiques.
Acte II : l'Assemblée nationale, consciente de l'opportunité qui lui est offerte, transforme le texte, sous couvert de bonnes intentions, de manière à trouver un prétexte à la mise en place de quotas et, surtout, de la proportionnelle.
Acte III : le Sénat, en assemblée avertie, refuse de tomber dans le piège, fait la démonstration de l'absurdité du système et propose un pis-aller, assumant le risque du jugement d'une opinion chauffée à blanc.
Acte IV : déferlante de sarcasmes, de critiques, sur fond d'opinion trompée, manipulée par quelques zélateurs et cireurs de bottes, trop heureux de pouvoir ainsi régler quelques comptes et faire de l'audience à bon marché.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Adnot. Acte V : c'est ainsi que les sénateurs, machistes, opposants au « dieu Jospin », sont considérés comme opposants à la parité.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Caricature !
Mme Nicole Borvo. Et autocritique !
M. Philippe Adnot. Opération politique apparemment réussie.
Seulement voilà, les mouvements d'opinion factices durent ce que durent les roses...
M. Henri de Raincourt. L'espace d'un matin !
M. Philippe Adnot. Peu à peu, les journalistes sérieux, les intellectuels et l'opinion publique s'expriment, et un certain nombre d'entre vous, au fond d'eux-mêmes, le savent bien.
M. Jean Chérioux. Ce sont des farauds !
M. Philippe Adnot. Les choses ne sont pas si simples.
Effectivement, il n'y a pas suffisamment de femmes en politique.
Mme Nicole Borvo. Ça, c'est vrai !
M. Philippe Adnot. Mais pas seulement là ! Et ce n'est pas ce texte qui y changera quoi que ce soit.
Mme Nicole Borvo. Ah bon ?
M. Philippe Adnot. Les femmes savent bien que, même là où elles sont majoritaires, l'accès aux postes de responsabilité ne leur est pas garanti. Une étude vient d'être récemment publiée à ce sujet.
Les femmes savent bien que, sans une évolution plus profonde des mentalités,...
Mme Nicole Borvo. Les Français sont d'accord à 85 % !
M. Philippe Adnot. ... les électeurs continueront de ne pas voter pour elles. C'est sans doute pourquoi, si l'on fait exception de Mme Arlette Laguiller, aucun parti politique n'a songé à mettre une femme tête de liste aux élections européennes.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Ça va venir !
M. Philippe Adnot. Y aurait-il donc quelques hypocrites dans le système ?
Les femmes savent bien que, sans changement dans le déroulement de leur carrière, seules quelques privilégiées accéderont aux postes d'élus, et par favoritisme, dans le cadre des quotas ou de la proportionnelle, rêve de tous ceux qui sont pressés de se passer des électeurs ! (Très bien ! sur les travées du RPR.)
La France sérieuse bouge, s'exprime, nous donne raison.
Mais voilà que le Sénat, à mon avis trop préoccupé d'une certaine opinion, bouge lui aussi pour proposer ce que, politiquement, il aurait dû faire d'emblée pour prendre les malins à leur propre piège.
Je comprends les raisons de cette ouverture et ne veux pas la contrecarrer ; je la désapprouve cependant pour ce qu'elle provoquera. Les socialistes se fichent comme d'une guigne de la parité. Seule la proportionnelle les intéresse ! (Protestations sur les travées socialistes.) La fin de l'histoire nous le dira.
M. Marcel Charmant. Vous allez continuer à faire rire !
M. Philippe Adnot. Pour ma part, je ne saurais me prêter à ce que je considère comme un déni de démocratie, une insulte aux femmes.
A titre personnel, je ne crains pas le jugement des femmes de mon département, qui savent, concrètement, quelle a été mon action en tant que syndicaliste ou comme élu.
Le sujet valant mieux que cela, je ne prendrai donc pas part au vote sur le présent projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)