Séance du 30 mars 1999







M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 441, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame le secrétaire d'Etat, le 16 juillet 1998, j'avais fait part à Mme Aubry, au moyen d'une question écrite, de notre inquiétude de constater une progression régulière du nombre de maladies et de troubles professionnels et, partant de la nécessité de mener une action publique dans les domaines de la santé en général et de la sécurité au travail en particulier.
Je suis étonnée, madame la secrétaire d'Etat, qu'à ce jour aucune réponse ne m'ait été apportée, ce qui me conduit à poser cette question orale huit mois après. Je vous remercie de venir ce matin exprimer la réponse du Gouvernement mais, très courtoisement, j'observe que ma question n'a trait ni aux droits des femmes ni à la formation professionnelle : il s'agit de santé publique, problème national !
De quoi s'agit-il ?
Le nombre d'accidents du travail déclarés progresse de 2,5 %, celui des accidents mortels de 7 %. Le nombre de maladies professionnelles reconnues est en croissance. Le nombre de cas de troubles musculo-squelettiques est passé de 4 704 en 1995 à 6 183 en 1996. Les chiffres de 1997 et 1998 ne sont pas encore publiés. Pourquoi ?
Les pathologies liées à l'amiante creusent la tombe de milliers de salariés dans un contexte reconnu de sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. Comme vous le savez, le rapport de M. Deniel, que vous connaissez, l'affirme.
Dans un cadre social, l'écart se creuse entre ce qui est connu des effets pathologiques et ce qui est reconnu dans la législation de prévention et de réparation des atteintes liées au travail. Je sais aussi que vous avez eu connaissance du rapport de Mme Thébaud-Mony.
M. Jospin, lors du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, le 25 février dernier, a semblé manifester la volonté de définir une véritable politique de connaissance des risques et de veille sanitaire.
D'ailleurs, même le patronat s'inquiète. Il vient ainsi de décider d'examiner le fonctionnement du système français de prévention des risques. La rédaction d'un rapport parlementaire a été confiée par M. le Premier minister à Mme Grezulka et à M. Aschiéri. Le rapport, qui a été rendu en novembre 1998, remet en question l'organisation, le rôle et les missions des institutions officiellement chargées des risques professionnels.
Madame la secrétaire d'Etat, je ne suis pas la seule à m'inquiéter de cette situation grave et évolutive, qui met en danger la vie des salariés au travail. Je suis d'ailleurs surprise - et je l'avais fait savoir à M. Kouchner - que les états généraux de la santé n'aient pas retenu initialement ce thème de réflexion, qui, comme vous le savez, a été ajouté in extremis.
Le 8 avril prochain, j'organiserai ici même, avec mes amis du Sénat, de l'Assemblée nationale et du Parlement européen, une rencontre interdisciplinaire sur le thème de la santé et du travail. Cette rencontre présente un intérêt évident, et l'importance du rôle des pouvoirs publics dans ce domaine est plus qu'évidente.
Aussi, je vous invite, madame la secrétaire d'Etat, à y participer. Vous pourrez, j'en suis persuadée, prendre la mesure de l'émotion des milieux médicaux, syndicaux et patronaux, même si ces derniers portent une lourde responsabilité dans l'évolution dramatique de la situation.
En conclusion, je voudrais vous demander s'il existe des solutions et quels sont les organismes compétents.
L'Institut national de recherche et de sécurité, à qui a été confiée en 1968 une mission de recherche, a pris la suite d'un organisme créé à la Libération, au moment où, en s'appuyant sur les valeurs et l'enthousiasme de cette époque, le bonheur des hommes était vu sous un angle conquérant, c'est cet organisme qui est chargé de la recherche, de l'information, de la formation sur les risques professionnels.
Nous nous posons la question de savoir si le Gouvernement apprécie comme il convient l'importance de cet institut.
Nous pensons que son financement doit être fondamentalement assuré et développé dans le cadre du fond accidents du travail et maladies professionnelles, qui est, vous le savez, financé par les entreprises, avec des objectifs plus précis et complets, dans le sens d'une véritable prise en compte de la demande sociale des salariés dans le domaine de la protection de la santé au travail.
Que pense faire le Gouvernement pour aller dans cette voie ?
Nous nous permettons de lui suggérer de prévoir une modification substantielle du conseil d'administration de l'INRS, en attribuant une majorité de sièges aux représentants des salariés et en prévoyant une représentation élue des agents de l'institut, lesquels ne siègent pas actuellement.
Nous pensons également que la commission scientifique de cet organisme doit être réformée, pour assurer une véritable indépendance aux chercheurs et supprimer la censure patronale qui s'y exerce.
Vous le voyez, financement, gestion démocratique, ambition scientifique nous semblent être les points sur lesquels doivent porter les modifications dans le cadre d'une campagne énergique en faveur d'un renouveau de l'action de soins et de prévention des maladies professionnelles.
M. le président. Puis-je me permettre de rappeler que chaque intervention doit contenir une seule question et que chaque orateur devrait se limiter à trois minutes pour formuler sa question... et non pas six minutes, comme cela vient d'être le cas, madame le sénateur.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Madame la sénatrice, sur un ton aussi courtois que le vôtre, permettez-moi de dire que, membre de ce Gouvernement, j'ai dû apprendre le caractère collégial de cet exercice et apprendre à m'exprimer sur des sujets qui, à l'évidence, dépassent le strict champ de mes compétences.
La seule chose dont je puis témoigner, vous le savez pertinemment, c'est que la réponse qui vous est faite est d'abord visée par la ministre de tutelle. C'est donc en son nom que je me permets de vous la communiquer.
Votre intervention, madame la sénatrice, pose dans toute sa portée la question de la reconnaissance, de la réparation et de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il s'agit pour le Gouvernement, et pour la ministre de l'emploi et de la solidarité tout particulièrement, d'une priorité.
Le nombre des accidents du travail avec arrêt a augmenté de 2,4 % en 1997 après cinq années de baisse régulière. Le nombre des maladies professionnelles reconnues en 1996, dernières données communiquées par la CNAM, s'est élevé à 13 278 parmi lesquelles les affections péri-articulaires et les pathologies liées à l'amiante constituent les maladies les plus fréquentes.
Ces chiffres sont doublement préoccupants. D'une part, ils représentent une hausse sensible par rapport aux années précédentes ; d'autre part, ils ne rendent pas compte de la réalité de l'ensemble des maladies susceptibles d'être rapportées à une origine professionnelle.
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité tient à rappeler, à cet égard, qu'à la suite notamment du rapport établi par M. Deniel l'an dernier le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures.
En premier lieu, il s'agit de mesures destinées à améliorer la reconnaissance des maladies professionnelles, notamment le report de la prescription au jour de la reconnaissance de l'origine professionnelle par un médecin, ainsi que l'encadrement des conditions dans lesquelles les caisses d'assurance maladie peuvent contester une demande de réparation.
En second lieu, plusieurs tableaux de maladies professionnelles ont été révisés et complétés au regard de l'évolution des connaissances scientifiques et médicales, et de nouveaux tableaux ont été créés pour les lombalgies professionnelles.
En outre, des affections qui ne figurent pas dans les tableaux existants peuvent également être reconnues comme des pathologies professionnelles, donner lieu à indemnisation à ce titre et fonder une meilleure connaissance des risques.
Enfin, la mise en place de l'Institut de veille sanitaire va donner une nouvelle impulsion au développement de l'épidémiologie, notamment dans le domaine de la santé au travail.
En ce qui concerne la tarification, il est clair que les conséquences financières des accidents du travail et des maladies professionnelles doivent être imputées à la branche « accidents du travail » de la sécurité sociale. C'est, comme vous l'indiquez, une question de principe et une démarche cohérente pour inciter les employeurs à la prévention.
Vous avez évoqué, enfin, l'Institut national de recherche et de sécurité. L'INRS doit avoir une place incontestée parmi les organismes experts. Il en détient le potentiel humain, scientifique et technique. Mais il faut que les choix et la validation des études soient transparents et incontestables sur le plan scientifique.
Par ailleurs, le cadre des relations de l'INRS avec la CNAM et les ministères compétents doit être clarifié aux plans juridique et opérationnel. Une mission de l'inspection générale des affaires sociales est en cours pour éclairer Mme Martine Aubry et M. Bernard Kouchner sur ces questions.
Permettez-moi enfin d'évoquer l'initiative récente des partenaires sociaux relative à l'examen du système français de prévention, de manière à rechercher et à proposer les évolutions et les adaptations qu'il appelle. Il faut se réjouir de cette initiative, car il est essentiel que les partenaires sociaux marquent, par leurs travaux, leur volonté d'agir aussi dans ce domaine, notamment sur le terrain de l'entreprise.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. Madame Beaudeau, je vous demande de répondre brièvement à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je veux vous remercier, madame la secrétaire d'Etat, de votre réponse. Je connaissais les mesures adoptées par le Gouvernement, mesures qui ne sont pas négligeables et que les salariés, leurs associations et leurs syndicats considèrent comme importantes. Je vous donne donc acte qu'effectivement des choses ont été faites.
Je crains cependant que votre réponse de ce matin ne reste imprécise et un peu trop au niveau de l'intention.
Vous avez rendu hommage aux salariés et à l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le financement de cet institut doit être assuré par les entreprises et non par l'impôt, de façon que les employeurs soient contraints de réduire les risques dans l'entreprise et incités à la prévention. Il faut en effet traiter cette question en amont.
Par ailleurs, les victimes doivent avoir une place prépondérante dans la gestion de la réparation-prévention.
Le fonctionnement actuel de l'Institut national de recherche et de sécurité ne permet pas de répondre à la demande des salariés concernant la santé et la prévention dans l'entreprise. Or seuls les salariés, leurs représentants et les agents de cet institut peuvent peser avec efficacité sur les orientations des entreprises.
Vous partagez avec nous, je crois, l'idée selon laquelle ce n'est pas sans les salariés que l'on garantira leur droit aux soins et, au-delà, le droit à la santé et au travail.

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