Séance du 15 avril 1999






QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
SUR LA SITUATION AU KOSOVO

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement sur la situation au Kosovo.
Compte tenu de la gravité des événements qui se déroulent dans les Balkans, j'ai souhaité que le Sénat puisse tenir aujourd'hui une séance exceptionnelle afin d'entendre le Gouvernement sur l'évolution de la situation.
En cet instant, je suis sûr d'être l'interprète du Sénat tout entier en exprimant notre émotion et notre solidarité envers les victimes de ce conflit et les réfugiés du Kosovo. Le Sénat vient d'ailleurs de leur accorder un premier secours dans ces circonstances dramatiques.
Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, je vous remercie de votre présence au banc du Gouvernement, à laquelle nous sommes très sensibles car vous savez l'importance que j'attache à l'information complète et constante du Sénat sur les événements du Kosovo, notamment au lendemain du Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles et auquel vous étiez, monsieur le Premier ministre, auprès du Président de la République.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que chaque auteur de questions dispose d'un temps de parole de cinq minutes maximum.
Je remercie la société France 3, qui a bien voulu prévoir la retransmission en direct et en totalité de notre séance exceptionnelle, en dépit de son caractère impromptu.
La parole est à M. Plasait, au nom du groupe des Républicains et Indépendants.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis quelques semaines, chaque jour, l'opinion publique internationale est témoin des centaines de milliers de réfugiés, femmes, vieillards et enfants, qui, victimes de la purification ethnique systématique pratiquée par le tyran de Belgrade, quittent leur pays, dans le plus extrême dénuement.
Il s'agit là, certainement, de l'une des plus grandes tragédies humanitaires en Europe. Il s'agit aussi et surtout d'une action criminelle, préparée depuis longtemps par le régime de Milosevic.
Devant l'inacceptable, on ne peut laisser faire. On ne peut laisser s'installer la barbarie au coeur de l'Europe sans renoncer à l'Europe, à ce qui constitue son âme même, à cette idée que l'on y a forgée de l'homme et de sa dignité, à ces valeurs universelles qu'elle a données au monde.
Dans ces conditions, les hommes libres et les nations libres ont le devoir de dire non et de tout mettre en oeuvre pour ramener la paix et punir les criminels.
C'est ce que, courageusement, les chefs d'Etat et de Gouvernement européens ont décidé de faire en mettant la force au service du droit. Voici donc le conflit engagé.
Mais ne nous y trompons pas : il s'agit non pas d'une crise, mais bien d'une guerre conduite par l'OTAN, pour la paix certes, mais d'une vraie guerre. Et comme toute guerre, elle présente trois aspects : diplomatique, militaire et humanitaire.
Si le groupe des Républicains et Indépendants regrette vivement que n'aient pas été prévus et déployés, parallèlement à l'engagement des frappes aériennes, les moyens d'une action humanitaire d'envergure, il salue l'efficacité des secours aujourd'hui portés aux réfugiés du Kosovo, fruit du dévouement des soldats français, mais aussi de la grande générosité de nos compatriotes.
Au lendemain d'un sommet européen, marqué par la détermination des Quinze et l'initiative du chancelier allemand d'impliquer plus fortement les Nations unies et la Russie dans la recherche d'un règlement politique pour le Kosovo, nous tenons à exprimer ici notre vive inquiétude quant à la situation des populations, déplacées à l'intérieur même du Kosovo et qui n'ont pu atteindre les pays voisins, l'Albanie, la Macédoine ou le Monténégro.
En début de semaine, le secrétaire d'Etat américain parlait de 700 000 personnes déplacées à l'intérieur de la province et menacées de famine. Quelle que soit la réalité des chiffres, devons-nous nous interroger sur la stratégie à suivre, d'autant plus que nous assistons à un effroyable engrenage des malheurs.
C'est pourquoi nous souhaiterions, monsieur le Premier ministre, que vous nous indiquiez le bilan précis de ces opérations aériennes et les objectifs qui leur sont désormais assignés.
A cet égard, je dois vous faire part de ma perplexité devant les propos, que je crois volontiers avisés, récemment tenus par d'éminents militaires. Je pense notamment au général britannique Rose et au général Cot, qui jugeaient ces frappes nécessaires mais pas suffisantes, pour ne pas dire illusoires.
Dès lors, comment ne pas se remémorer ce qu'écrivait le général de Gaulle dans L'Appel : « La guerre commence infiniment mal. Faut-il donc qu'elle continue ? »
Telle est d'ailleurs l'étrange impression laissée par les dernières déclarations de Bill Clinton, qui demande au Congrès des crédits supplémentaires et envoie de nouveaux et importants moyens militaires. Il a d'ailleurs parlé « d'étape suivante de la campagne aérienne ».
Est-ce à dire, monsieur le Premier ministre, que nous sommes déjà ou que nous allons prochainement passer à la phase 3 des opérations de l'OTAN ?
J'ajoute que le Président des Etats-Unis a également parlé d'une mobilisation des réservistes. Faut-il alors en déduire qu'une telle annonce préfigure un engagement de forces terrestres au Kosovo ? Sous quelle forme ? Dans quel but ? Avec quels moyens ? Dans cette hypothèse, à quel niveau se situerait l'engagement de la France ?
Enfin, monsieur le Premier ministre, que font les Alliés à l'égard de l'UCK ? Quelle est notre stratégie ? Ses dirigeants réclament des armes. Des centaines de volontaires s'enrôlent dans ses rangs.
Attaché au respect de la liberté et des droits de la personne humaine, le groupe des Républicains et Indépendants souhaiterait savoir, monsieur le Premier ministre, quel est l'objectif final tant nous sommes convaincus que les démocraties libérales n'auront réellement gagné que le jour où les Kosovars pourront de nouveau vivre en paix au Kosovo. L'avenir de l'Europe se joue au Kosovo. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Estier, au nom du groupe socialiste.
M. Claude Estier. Monsieur le Premier ministre, je tiens d'abord à vous remercier d'être présent aujourd'hui au Sénat pour nous informer, comme vous l'avez fait mardi à l'Assemblée nationale, des derniers développements de l'action entreprise en Yougoslavie. Je tiens également à dire que nous apprécions la fréquente venue devant la commission des affaires étrangères de MM. Védrine, Richard et Josselin.
Il est essentiel, à nos yeux, que la représentation nationale et, à travers elle, l'opinion publique française soient informées, jour après jour, le plus complètement possible. C'est une condition indispensable pour que nos concitoyens comprennent et donc soutiennent, comme c'est le cas pour la grande majorité d'entre eux, l'action qui est menée par la France depuis maintenant plus de trois semaines et qui leur est régulièrement expliquée par le Président de la République et par vous-même, monsieur le Premier ministre.
Dans votre toute première intervention devant le Parlement, le 26 mars dernier, après le déclenchement des frappes aériennes de l'OTAN, vous aviez souligné avec raison que l'action militaire n'était pas une fin en soi et qu'elle n'était que le moyen, après l'échec de toutes les tentatives de négociations, de revenir à une solution politique au problème du Kosovo, avec l'objectif inchangé de permettre aux populations aujourd'hui chassées par les forces serbes de retourner chez elles et d'y vivre en paix et en sécurité.
Nous avons compris et soutenu cette action militaire et nous continuons à la juger indispensable, ce qui ne nous dispense pas d'exprimer quelques interrogations.
Il semble, d'abord, que l'ampleur et la durée des frappes aériennes nécessaires pour faire plier le régime de Belgrade aient été sous-estimées. Certes, comme vous l'avez souligné, le potentiel militaire serbe est atteint de manière significative mais pas au point, du moins jusqu'à ce jour, de ramener Milosevic à la raison.
Il n'a toujours pas apporté la moindre réponse aux cinq questions qui lui ont été posées par les Alliés lorsqu'il a proposé un cessez-le-feu unilatéral qu'il n'a d'ailleurs aucunement respecté.
En fait, son comportement vis-à-vis de ses voisins, en particulier des populations albanaises du Kosovo, n'a pas changé depuis dix ans. Je me souviens, à cet égard, du jugement sévère que le président François Mitterrand portait sur lui après l'avoir reçu à Paris en 1991.
Quoi qu'il en soit, même si son potentiel militaire est affaibli, Milosevic n'a toujours pas cédé. La mobilisation par l'OTAN de nouvelles forces aériennes en grand nombre n'est-elle pas le signe qu'on s'apprête à passer à une nouvelle phase des opérations, en particulier au Kosovo même, à la poursuite des forces serbes qui continuent à y commettre les pires exactions mais en sachant que ces opérations ne sont pas sans risques à l'égard des populations civiles, comme on l'a, hélas ! constaté hier ?
Monsieur le Premier ministre, cette perspective a-t-elle été évoquée hier à Bruxelles au cours de la réunion des chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne ?
Plus généralement, puisque notre séance exceptionnelle se tient au lendemain de cette importante réunion, vous voudrez sans doute nous dire comment l'ensemble des partenaires européens évaluent le bilan de l'action menée depuis trois semaines et, surtout, comment ils envisagent la suite, dans l'immédiat et à plus long terme.
Nous avons enregistré avec satisfaction, depuis le début de cette semaine, les efforts convergents accomplis pour retrouver le chemin d'une solution politique et diplomatique que la France, nous le savons, n'a jamais perdue de vue. Deux éléments importants sont apparus à cet égard.
Le premier est la reprise officielle d'un dialogue avec la Russie. Sans doute ne pouvait-on pas attendre une conclusion décisive dès le premier entretien entre Mme Albright et M. Ivanov, mais cet entretien a été décrit comme un premier pas qui confirme ce que l'ambassadeur de Russie à Paris, que nous avons reçu la semaine dernière au Sénat, nous avait clairement exprimé, à savoir que la Russie est extrêmement désireuse de voir se dessiner une solution politique au Kosovo et qu'elle est prête à y contribuer, évidemment sous certaines conditions qui, à l'heure actuelle, ne sont pas encore toutes réunies.
Le second élément, à nos yeux très positif, est la réintégration dans le débat de l'Organisation des Nations unies, dont nous avons regretté, même si nous en avons bien compris les raisons, la mise à l'écart au moment de l'engagement des opérations. M. Kofi Annan, qui a affirmé sa disponibilité, était présent hier soir à Bruxelles et, si j'ai bien compris, il reprend à son compte les conditions que la communauté occidentale a posées à Milosevic pour aboutir à la paix.
A partir de là, peut-on attendre une initiative concrète de la part du secrétaire général de l'ONU, par exemple qu'il se rende à Belgrade ? D'une façon plus large, à quel moment et de quelle manière pensez-vous, monsieur le Premier ministre, que le Conseil de sécurité puisse revenir sur le devant de la scène, comme la France le souhaite à juste titre, et comme nous n'avons cessé de le demander ?
Quant au troisième volet de notre action, qui n'est pas le moindre - je veux parler du volet humanitaire - vous ne manquerez pas, j'en suis sûr, de nous confirmer tout ce qui est mis en oeuvre, en particulier par la France, pour venir en aide aux centaines de milliers de Kosovars réfugiés dans les pays voisins et aussi - c'est essentiel - pour aider ces pays à faire face, comme ils le font avec beaucoup de courage - je pense, en particulier, à l'Albanie - à cette énorme charge qui est sans rapport avec les faibles moyens dont ils disposent.
Nous avons pris acte avec satisfaction que le début de polémique né cette semaine sur des difficultés administratives qui seraient opposées aux Kosovars désireux de venir en France était sans fondement. Vous nous confirmerez sans doute que la position de notre pays reste bien la même, à savoir que, s'il est souhaitable que les réfugiés ne soient pas trop éloignés du Kosovo, nous sommes prêts à accueillir chez nous, avec des procédures simplifiées, ceux qui manifestent la volonté d'y venir, en respectant les cellules familiales. L'afflux de propositions au numéro vert mis en place la semaine dernière souligne avec bonheur que des milliers de familles françaises sont disponibles pour cet accueil.
Nous y voyons une preuve de plus, s'il le fallait, que les Français font parfaitement la différence entre les bourreaux et les victimes, qu'ils comprennent la nécessité de châtier les premiers et d'aider les seconds et que, pour toutes ces raisons, ils sont et demeurent solidaires, comme nous le sommes, de l'action que mènent conjointement, au nom de la France, M. le président de la République et le Gouvernement que vous dirigez, monsieur le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Del Picchia, au nom du groupe du Rassemblement pour la République.
M. Robert Del Picchia. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'heure est aux interrogations non plus sur l'intervention de l'OTAN au Kosovo, mais sur la sortie diplomatique de la crise.
Malgré le maintien de la pression militaire, la situation sur le terrain ne laisse pas entrevoir d'issue dans l'immédiat, c'est-à-dire une rédition de Slobodan Milosevic. A Bruxelles, hier, les Quinze ont montré leur ferme détermination à poursuivre cette action militaire jusqu'à ce qu'elle atteigne l'objectif qui est - si nous avons bien compris - la destruction des moyens de répression dont disposent les autorités serbes.
Il faudra du temps, et ce temps doit, pensons-nous, être mis à profit pour, parallèlement, préparer la sortie diplomatique et organiser l'avenir du Kosovo. C'est ce que font le Président de la République et le Gouvernement, et nous leur rendons hommage.
La chose n'est pas aisée, et l'action diplomatique - nous acceptons bien volontiers qu'elle reste secrète sur certains plans, dès lors qu'il y va de sa réussite et des intérêts supérieurs de l'Etat - a besoin, pour nous parlementaires, d'être expliquée, tant elle est complexe et revêt des aspects divers.
Aussi, monsieur le Premier ministre, souhaiterions-nous vous poser quelques questions sur les principaux éléments de cette diplomatie.
J'examinerai tout d'abord la sortie de la crise. Pour arrêter les combats, la France - le Président de la République, puis vous-même - a préconisé, dès le début, la voie russe. M. Primakov, qui est un des rares hommes politiques internationaux à pouvoir influencer Slobodan Milosevic, s'est rendu à Belgrade. Mais certains responsables politiques européens, peut-être poussés par la presse, n'ont-ils pas été « maladroits » en parlant d'échec, alors qu'il ne s'agissait que d'une première visite et que l'histoire de la diplomatie des Balkans nous a appris que, dans cette région explosive, c'est un travail de très longue haleine ?
Aujourd'hui, la Russie est remise dans le circuit, et le sommet de Bruxelles a confirmé son rôle, comme la France le souhaitait. Mais un événement est venu entre-temps troubler quelque peu l'action diplomatique des Russes, ce qui m'amène à une autre question, monsieur le Premier ministre. La nomination par Boris Eltsine de M. Viktor Tchernomyrdine comme son représentant spécial pour la Yougoslavie ne va-t-elle pas compliquer la gestion de cette médiation russe ? Il n'est, en effet, un secret pour personne que, si l'ancien Premier ministre russe a de bonnes relations à Belgrade, mais aussi aux Etats-Unis, avec le vice-président Al Gore en particulier, il en a de moins bonnes avec M. Primakov, l'actuel Premier ministre.
La volonté d'associer la Russie à la recherche d'une solution ne peut se faire qu'au travers de l'ONU car, monsieur le Premier ministre, qui peut aujourd'hui faire accepter par les autorités yougoslaves les points de l'initiative du secrétaire général approuvés par l'Union européenne à Bruxelles ?
Je les rappelle : la cessation immédiate de tous les actes de violence, le retrait du Kosovo de toutes les forces militaires serbes, le déploiement d'une force internationale militaire et le retour des réfugiés et des personnes déplacées. Ce sont les exigences de la communauté internationale.
Sous la pression ou les « conseils » russes, Belgrade pourrait les accepter, ce qui entraînerait la suspension des mesures militaires et ouvrirait la voie à une solution politique. Mais, monsieur le Premier ministre, ces points de l'initiative de Kofi Annan devront être inclus dans un projet de résolution du Conseil de sécurité ; tout le monde en convient. Cependant ne risque-t-on pas le veto des Russes et des Chinois si nous les déposons trop tôt ? Cela bloquerait le processus de négociation.
Le point le plus épineux de l'acceptation par Belgrade, et donc par Moscou, de cette initiative de Kofi Annan est celui qui concerne la Force internationale militaire. La Force internationale militaire devrait impliquer la Russie, tout comme elle l'est dans la SFOR en Bosnie, mais aussi, peut-être, l'Ukraine. Comment fonctionnera cette force ? Quelle sera l'importance des forces françaises, dont nous saluons le rôle tant au combat que dans les actions humanitaires ?
Après l'accord politique que tout le monde souhaite aujourd'hui, il y aura le problème de la gestion de cet accord. L'Union européenne a vocation à jouer ce rôle, mais en a-t-elle la capacité ? Au premier rang des responsabilités, l'Union européenne devra être prête - a dit à Bruxelles M. Chirac - à intervenir de façon à permettre le retour des réfugiés, la reconstruction des provinces et la mise en place d'une vie démocratique. Il s'agira donc de prendre en charge, le moment venu et sous mandat de l'ONU, la gestion de l'administration provisoire du Kosovo. Des propositions ont été adoptées par les Quinze à Bruxelles, et nous nous en réjouissons.
Certes, monsieur le Premier ministre, comme vous l'avez dit vous-même, les Quinze affirment leur rôle politique et leur responsabilité. A court terme, sommes-nous prêts, monsieur le Premier ministre, nous Européens et nous Français, et pouvons-nous, pour le long terme, définir une stratégie ? On note - et c'est un grand espoir pour l'avenir - une totale solidarité des Quinze autour des valeurs des droits de l'homme, des valeurs de la démocratie et de la dignité humaine, et des valeurs humanistes.
L'Union européenne a aussi réaffirmé solennellement la solidarité morale et financière avec les centaines de milliers de Kosovars en Albanie, en Macédoine et au Monténégro. Mais, au-delà, ne devrons-nous pas tirer les leçons de ce premier épisode aussi tragique de l'histoire de l'Union européenne et du plus grand conflit en Europe depuis 1945, et peut-être, monsieur le Premier ministre, ouvrir le débat sur les moyens de l'Europe, une force d'intervention humanitaire permanente, un débat sur le concept stratégique de l'OTAN, et une évolution vers une identité européenne de défense ?
Voilà, monsieur le Premier ministre, nos interrogations, et nous vous remercions des explications que vous voudrez bien donner au Parlement. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel, au nom du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme le disait Georges Clemenceau, serait-il plus facile de faire la guerre que la paix ? On est certes tenté de le penser aujourd'hui où, désespérément, on cherche une issue vers la paix. Pour les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, la paix est plus importante que les péripéties de la guerre. Mais, pour le président Milosevic, cela ne fait aucun doute, la paix est un intervalle entre deux guerres. Guidé par un nationalisme exacerbé, il a entraîné le peuple serbe dans l'engrenage fatal de la haine et du fanatisme qui conduit à la guerre.
Après la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, aujourd'hui le Kosovo. Le conflit que nous connaissons sur ce territoire n'est pas récent. Voilà dix ans, les autorités de Belgrade ont retiré aux populations albanophones du Kosovo l'exercice de leurs droits légitimes à l'autonomie. Dès lors, la répression systématique a conduit à une radicalisation croissante et au cercle vicieux de la révolte et de la violence.
Mais, depuis plus d'un an, il s'agit d'une véritable épuration ethnique. Les forces armées et la police serbes sont largement impliquées aux côtés de redoutables milices paramilitaires dans des destructions de villages entiers, des exils forcés de populations terrorisées, voire des massacres.
Aucun des efforts déployés, et en particulier ceux qui l'ont été par la France au sein du groupe du contact, pour parvenir à une solution politique équilibrée et respectueuse des grands principes du droit international n'a pu entamer la détermination de Slobodan Milosevic.
L'Europe pouvait-elle accepter que la paix soit menacée dans cette région fragile, le respect des droits de l'homme bafoué à ses frontières ? Non, on ne pouvait regarder, avec résignation, ces images terribles de cohortes de réfugiés et laisser se développer le risque d'un embrasement de l'ensemble des Balkans.
Par accord de M. le Président de la République et du Gouvernement, la France s'est donc engagée militairement au sein de l'OTAN pour défendre la liberté et la justice. Le peuple français a réagi avec dignité, sérénité et générosité, et cela impose à la représentation nationale une solidarité autour de ce choix.
Mais le souci de la cohésion nationale ne doit pas pour autant nous empêcher d'exercer un contrôle sur l'action gouvernementale. C'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui pour vous poser des questions, monsieur le Premier ministre.
Vous nous l'avez confirmé, la détermination des Alliés comme des Quinze à poursuivre l'action militaire jusqu'à ce qu'elle atteigne l'objectif fixé, c'est-à-dire la destruction des moyens de répression dont disposent les autorités serbes et le retour de ces dernières à la table des négociations, reste entière.
Après plus de trois semaines de frappes aériennes et alors que les moyens militaires devraient être renforcés ces jours-ci, pouvez-vous nous dire si des signes existent d'un ébranlement quelconque de la volonté de Slobodan Milosevic et d'un essoufflement de l'appareil militaire serbe ?
L'évolution interne du pouvoir en République fédérale de Yougoslavie conditionne le passage à une nouvelle phase diplomatique dans laquelle la Russie devrait jouer un rôle non négligeable. Y a-t-il des chances d'une reprise d'un dialogue formel entre l'Alliance et la Russie dans un avenir proche ? Cette étape favoriserait l'indispensable retour au premier plan de l'ONU.
Les chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne réunis hier, en présence du secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, ont discuté d'un plan de paix en quatre points : arrêt effectif des offensives contre les populations civiles du Kosovo, retrait des troupes militaires et paramilitaires serbes de la province, droit au retour des réfugiés, déploiement d'une force de sécurité internationale. Ces objectifs sont sains. Encore faut-il, maintenant, les faire partager plus largement dans l'Europe tout entière, au-delà de la seule assise de l'OTAN.
Cette force d'interposition prévue doit-elle être une simple émanation de l'OTAN - cela paraît bien difficile - ou bien engager la participation d'autres nations placées sous l'autorité de l'ONU, ou même de l'OSCE, qui a déjà pratiqué ce genre d'intervention ? Quelle est la position du Gouvernement français sur ce point ?
Les initiatives et les déclarations se sont multipliées ces derniers jours, apportant, certes, un début de réponse à ces questions, mais je souhaitais que vous confirmiez ici quel est exactement le cap du Gouvernement français.
Enfin, le moment est venu de regarder avec réalisme l'avenir. Au Kosovo, il n'aura que peu de rapport avec le passé ; ne nous trompons pas. Le principe retenu à Rambouillet d'une autonomie substantielle de cette province au sein de la République fédérale de Yougoslavie suffira-t-il à effacer les blessures de la guerre ? Je crains que non. La mise en place de deux districts distincts au sein de cette province me semble plus adaptée et permettrait sans doute aux Serbes et aux albanophones de réapprendre à vivre ensemble, et cela va être difficile.
Ayant rejeté l'idée d'une partition ou de l'indépendance du Kosovo, le Gouvernement français envisage-t-il d'autres propositions pour le statut futur de cette province dans la perspective de la nouvelle phase de négociations, souhaitée par tous ? C'est en effet la paix dans les Balkans, la paix au Kosovo et ailleurs, qui doit être le véritable but pour la France en ces temps difficiles. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo, au nom du groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entrons dans la quatrième semaine de bombardements et des voix s'élèvent jusque chez les stratèges militaires pour dire que les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous.
En réalité, les questions essentielles restent posées.
La répression, l'exode, les horreurs de l'épuration ethnique ont été accélérés. Loin de s'effondrer, le pouvoir criminel de Milosevic,...
M. Emmanuel Hamel. C'est bien de le reconnaître !
Mme Nicole Borvo. ... que nous condamnons sans appel, a été conforté, les démocrates serbes sont encore plus muselés, sont assassinés.
Nos concitoyens ont manifesté un formidable élan de solidarité avec les centaines de milliers d'enfants, de femmes et de vieillards chassés de chez eux. Notre pays doit être à l'unisson de cette générosité pour porter secours aux réfugiés, offrir l'asile à ceux qui le demandent. L'urgence s'impose.
Dans une situation aussi grave, ce qui importe, ce qui sera décisif, c'est de prendre toutes les initiatives politiques et diplomatiques pour enrayer la logique de guerre, pour obtenir l'arrêt de la purification ethnique, c'est d'agir pour la réinstallation des Kosovars, dans la sécurité, au moyen d'une force d'interposition européenne sous mandat de l'ONU, c'est d'exiger un statut d'autonomie pour le Kosovo, c'est de réunir une conférence européenne pour la sécurité et la reconstruction des Balkans.
Ce sont les propositions que nous faisons - depuis le début, pour certaines - et qu'ont rappelées ici même Mme Hélène Luc et M. Jean-Luc Bécart.
On constate aujourd'hui que les conceptions ayant prévalu pour engager les bombardements de l'OTAN - éviction de l'ONU, mise à l'écart de partenaires comme la Russie, ainsi que le jeu de certains milieux occidentaux avec l'UCK - aboutissent à un fiasco.
Les dirigeants américains, maîtres d'oeuvre avec l'OTAN, portent une grande responsabilité.
Où est l'issue ? Certainement pas dans une fuite en avant militaire ou l'envoi de troupes terrestres dans le cadre actuel de l'OTAN, comme certains s'emploient à le réclamer.
Nous sommes donc très attentifs aux initiatives de la France pour s'engager et engager l'Europe sur la voie diplomatique, ainsi qu'aux propos tenus dans ce sens par vous-même, monsieur le Premier ministre, à l'Assemblée nationale, mardi.
Aussi, nous avons estimé que le sommet européen tenu hier, à Bruxelles, avec la présence du secrétaire général des Nations unies était le signe d'une volonté européenne de reprendre l'initiative et de renouer avec le droit international dont l'ONU doit être le garant.
La solution possible du drame que connaissent les Balkans a besoin de l'engagement de l'Europe, de l'Union européenne, mais aussi d'autre pays de la région, en particulier de la Russie, deux priorités affirmées par la France auxquelles nous souscrivons.
Au sommet européen de Bruxelles, hier, l'ensemble des participants a soutenu les propositions du secrétaire général de l'ONU, à savoir la cessation immédiate de tous les actes de violence, le retrait des forces serbes, le déploiement d'une force internationale de sécurité pour le retour des réfugiés. Les Quinze veulent que ces propositions soient reprises par le Conseil de sécurité. Ont été aussi entendues les propositions de la France de confier à l'Union européenne l'administration provisoire du Kosovo, et les propositions de l'Allemagne d'une conférence sur la stabilité dans les Balkans. En revanche, le processus de paix envisagé par l'Allemagne, qui prévoit une réunion des ministres des affaires étrangères du G 8, dont la Russie, la saisie du Conseil de sécurité et une trêve militaire, n'a pas été étudié par les Quinze.
La tonalité des commentateurs ce matin ne nous permet pas de voir clairement sur quelles possibilités peuvent déboucher les différentes propositions que je viens d'évoquer.
Je vous demande, monsieur le Premier ministre, de bien vouloir préciser quel est l'état de la discussion sur ces propositions avec les Russes et avec les Américains.
La France et ses partenaires vont-ils s'engager avec détermination pour donner ses chances à une solution politique qui suppose arrêt des bombardements et de la guerre sur le territoire du Kosovo, ou vont-ils répondre aux sollicitations de l'OTAN d'accentuer le potentiel des frappes ?
Ma seconde question portera sur ce qui s'est passé hier, à savoir le bombardement d'un convoi de réfugiés ayant fait au moins soixante-quinze morts. L'OTAN reconnaît, cet après-midi seulement, partiellement sa responsabilité. C'est un fait gravissime.
Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur un événement qui bouleverse légitimement l'opinion, d'autant que, depuis trois semaines, l'OTAN continue d'accréditer la fiction d'une guerre « propre ». (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur quelques travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis, au nom du groupe de l'Union centriste.
M. Jean Arthuis. Monsieur le Premier ministre, je souhaite en premier lieu réaffirmer le soutien du groupe de l'Union centriste à la politique conduite par votre gouvernement, sous l'autorité du Président de la République. Lorsque, sur le territoire européen, la démocratie et les droits de l'homme sont piétinés, lorsque l'épuration ethnique tient lieu de politique, lorsque la tyrannie accable une population entière, la France s'engage au nom de la liberté. Elle prend toute sa place dans le dispositif déployé par l'OTAN pour contraindre le pouvoir de Belgrade à mettre un terme aux atrocités et reprendre les négociations en vue d'une paix durable dans les Balkans.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Arthuis. Dans ce contexte particulièrement grave, dramatique, nous ne pouvons que soutenir la détermination de la France...
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Arthuis. ... à poursuivre l'action militaire concertée dans laquelle elle est entrée, avec l'espoir que chacun revienne au plus vite à la table des négociations.
S'il est vrai que des voix discordantes se font parfois entendre ça et là, nous ressentons, dans cette épreuve, que nos compatriotes sont rassemblés sur l'essentiel. Le groupe de l'Union centriste tient à cet égard à saluer le courage de nos militaires prenant part aux opérations, comme le fort élan de solidarité populaire qui se manifeste à travers les actions humanitaires.
Nous attendons une solution diplomatique et politique. Après une décennie de balbutiements et de contradictions, les partenaires européens prennent enfin conscience de la nécessité absolue d'unir leurs initiatives, leurs efforts et leurs moyens. Depuis un siècle, l'Europe politique a maintes fois manqué succomber à cause des Balkans. Mais, aujourd'hui, nous espérons ardemment qu'il va en être autrement. Pour l'Europe démocratique, la solution passe par l'union. Pour cet espace meurtri que sont les Balkans, la solution passe par l'Europe.
Les échos du Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles sont à cet égard encourageants. Une réelle convergence de vues est apparue : les pays participants ont en effet approuvé les propositions du secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan. Ces propositions devront bien sûr, pour prendre toute leur portée, être adoptées dans une résolution de l'ONU. Cela implique de préserver l'indispensable dialogue avec la Russie, afin de dégager une vision commune de la résolution de cette crise. La deuxième étape consisterait - et c'est une initiative de la France - à ce que l'Union européenne soit chargée par le Conseil de sécurité des Nations unies d'assumer l'administration provisoire du Kosovo, lorsque, comme nous l'espérons tous, nous serons parvenus à un accord politique.
Mais nous devons aller plus loin et définir nos obligations en matière de développement. Cette réflexion doit d'ailleurs s'inscrire dans un contexte géopolitique plus global. Au Sud, le bassin méditerranéen risque de connaître une instabilité croissante. A l'Est, après la disparition du rideau de fer, plusieurs pays de l'Europe centrale ont été reconnus aptes à entrer rapidement dans l'Union européenne. D'autres accusent un retard économique et social dramatique : à l'évidence, la dictature et le terrorisme se nourrissent du terreau de la misère. Nous devons aujourd'hui prendre toutes nos responsabilités. Oserai-je dire qu'il s'agit tout bonnement de développer une fraternité européenne ? Il y a urgence et nécessité absolue à sortir durablement du chaos les populations des Balkans. Elles ont besoin de reconnaissance, de respect, de considération et d'espérance.
Pensez-vous alors, monsieur le Premier ministre, que l'Europe est aujourd'hui prête à concevoir enfin un effort sans précédent pour mettre en oeuvre un plan énergique de développement économique et social dans cette région ? Ce serait là l'expression forte et réelle de l'Union politique européenne. Ne serait-ce pas aussi l'appel lancé par toutes celles et tous ceux qui, dans la France entière, manifestent spontanément leur solidarité en venant en aide aux réfugiés kosovars ?
Monsieur le Premier ministre, j'aimerais que vous nous fassiez part de vos intentions, de votre résolution à l'égard d'un tel plan de développement économique et social dans les Balkans. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Seillier, au nom de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'apprécie l'effort diplomatique intense que continue à déployer la France parallèlement à son engagement en Yougoslavie aux côtés des alliés de l'OTAN. Il est éminemment souhaitable que cet effort aboutisse rapidement, dès lors que le drame humanitaire que l'intervention aérienne devait empêcher est largement consommé.
Cette relative déconvenue n'est pas imputable à l'exécution des missions qui a été, jusqu'à ces derniers jours, irréprochable. Les pilotes et tous les personnels doivent être complimentés.
Quel sens donner alors aux renforts conséquents demandés en ce moment même, puisque l'espace aérien est entièrement contrôlé par les forces de l'OTAN ? Une seule explication paraît plausible : la destruction des installations économiques de la Yougoslavie, à laquelle l'engrenage de l'intervention a conduit, devrait être d'urgence achevée, car le pilonnage aérien infligé par ce que la terre porte de plus puissant suscite déjà l'incrédulité et, demain peut-être, une franche réprobation.
La longueur d'une guérilla est intellectuellement compréhensible. Celle d'un bombardement massif ne peut pas l'être. Une course est aussi engagée contre la menace d'extension du conflit dans les Balkans. Mon hypothèse est-elle la bonne, monsieur le Premier ministre ?
On ne fait pas la guerre à un peuple mais à un régime, dit-on. Il n'empêche que les infrastructures économiques détruites sont celles d'un peuple, plus que celles d'un régime. Puisque la logique de notre intervention est celle de la paix et que l'endurcissement du président Milosevic semble conduire à exténuer économiquement son pays, notre mission doit d'autant plus clairement signifier sa finalité pacifique et ne s'achever qu'avec la réinstallation des populations aussi bien serbes que kosovars sur leurs territoires, dans des conditions plus confortables et plus sûres qu'avant le déclenchement de l'intervention de l'OTAN.
Il est impossible d'examiner en cinq minutes la liste des difficultés qui restent à surmonter. Je citerai seulement le problème du statut et de l'administration de la Yougoslavie. C'est sur cette question qu'il faut aujourd'hui concentrer la réflexion au sein de l'Union européenne. Je sais que vous vous y employez activement avec le Président de la République, qui a formulé hier d'importantes propositions. Nous souhaiterions recevoir quelques éclaircissements à ce sujet.
Il faut restaurer la confiance à la fois de la population serbe, totalement désorientée, et des albanophones du Kosovo, traumatisés par les persécutions subies. Je pense, comme d'autres, que l'OSCE pourrait être opportunément appelée à jouer un rôle important dans le plan à négocier avec tous les intéressés.
Qui supportera, par ailleurs, l'effort de reconstruction ? L'élan de générosité à l'égard des réfugiés constitue un signe d'espoir d'un large consentement.
Je souhaite enfin évoquer brièvement la nouvelle dynamique de l'organisation mondiale qui a été plus qu'esquissée par cette guerre d'un nouveau type. Est-elle de nature à fonder une jurisprudence stable ? A partir de quel seuil d'appréciation d'une atteinte aux droits de l'homme l'OTAN considérera-t-elle qu'une intervention s'imposera désormais ? Comment apprécier la situation de la Turquie et du peuple kurde sur cette échelle ? Où se trouve situé dans cette graduation le non-respect des résolutions 425 et 426 du Conseil de sécurité relatives au Sud-Liban ? Comment apprécier la situation du Soudan, du Rwanda, les massacres en Algérie ? L'impuissance d'un régime à empêcher les exactions et sa malfaisance directe sont-elles comparables ?
Ces questions et bien d'autres se poseront désormais dans le prolongement de la logique de l'intervention de l'OTAN. Selon quels critères et quelles procédures désigner les « nations dévoyées », selon la formule en usage à Washington, et avec quels moyens et méthodes les ramener sur le droit chemin ?
Mme Madeleine Albright a déclaré, devant une commission du Sénat américain, lors de sa nomination au poste de secrétaire d'Etat, que les Etats-Unis devaient se faire « les auteurs de l'histoire de notre ère ». Ils sont, disait-elle, « plus grands que les autres et voient donc plus loin ». Elle détient donc certainement une réponse à certaines des questions que je soulève !
Je souhaite, monsieur le Premier ministre, que la France ait aussi son propre point de vue sur ces questions, au sein de l'Europe et avec l'Europe, et qu'elle le fasse savoir. Nous le voyons en ce moment : la guerre ou la paix peuvent en dépendre.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous déjà nous fournir quelques réponses à ces interrogations ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de pouvoir m'exprimer devant vous aujourd'hui, ce que je n'avais pu faire directement depuis le début du conflit. Présent aux obsèques de Michel Crépeau, je n'avais en effet pu assister à la dernière séance de questions d'actualité au Gouvernement au Sénat, alors que j'avais l'intention de m'exprimer à cette occasion devant vous sur ce sujet.
Cela étant, dès le début des frappes, je me suis entretenu avec M. le président Poncelet et j'ai pris l'initiative de réunir régulièrement vos présidents de groupe et de commission, au côté de vos collègues députés ; je le referai la semaine prochaine. Par ailleurs, les ministres des affaires étrangères et de la défense, le secrétaire d'Etat à la coopération - ce dernier étant plus particulièrement chargé de l'aspect humanitaire - sont venus à plusieurs reprises devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
Enfin, la précieuse initiative de votre conférence des présidents d'inscrire cette séance de questions à votre ordre du jour me donne l'occasion, conformément à mon souci permanent, de vous entendre et de vous informer.
A l'instant, j'ai eu l'opportunité d'écouter vos analyses et vos suggestions. Elles seront utiles au Gouvernement.
Pour répondre à vos questions aujourd'hui, je me situerai en premier lieu, comme je l'ai fait devant l'Assemblée nationale il y a deux jours, sur le terrain diplomatique. MM. Del Picchia et Cabanel ont particulièrement axé leurs questions sur ce volet.
C'est un terrain que nous n'avons jamais délaissé, je le rappelle, car notre objectif demeure le règlement politique de la crise du Kosovo. Il est apparu, au terme de nombreux mois de tentatives et d'efforts diplomatiques - que l'obstination des autorités serbes à refuser tout compromis a rendus infructueux -, que l'option militaire devenait le dernier moyen de parvenir à l'objectif que nous nous étions fixé.
L'efficacité de l'action de l'OTAN suppose une détermination sans faille, à laquelle les autorités françaises ne dérogeront pas.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Notre pays continuera également à répondre généreusement aux impératifs humanitaires exigés par la situation des réfugiés kosovars. Mais les ressources de la diplomatie doivent en même temps être mobilisées.
La légimité de notre action actuelle en République fédérale de Yougoslavie, au côté de nos alliés, est fondée sur les résolutions et les exigences du Conseil de sécurité des Nations unies. Le Gouvernement français, en accord avec le Président de la République, est convaincu que c'est au même Conseil de sécurité qu'il reviendra de définir le cadre d'une solution politique au Kosovo et les mécanismes de sa mise en oeuvre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - M. Cabanel applaudit également.)
Nous nous sommes réjouis, à cet égard, de la déclaration du secrétaire général des Nations unies, le 9 avril, qui a opportunément rappelé l'ensemble des conditions posées par la communauté internationale au régime yougoslave, démontrant ainsi l'implication croissante des Nations unies en vue d'une solution à la crise.
Cette implication, que j'avais appelée de mes voeux, s'est de nouveau concrétisée hier avec la participation - pour la première fois dans notre histoire commune d'Européens - de M. Kofi Annan au Conseil de Bruxelles consacré au Kosovo.
De même, la permanence des contacts entretenus avec la Russie par les pays occidentaux engagés dans l'action au Kosovo, notamment par la France, est le signe d'une volonté commune de travailler ensemble à une issue politique. C'est fondamental, et je pense que la Russie a les capacités de jouer un rôle déterminant dans la résolution de cette crise si elle est étroitement associée aux efforts pouvant conduire à un règlement politique, sous l'égide des Nations unies. Telle est bien l'approche de la France.
Je dirai même que je souhaite que la Russie s'implique davantage. J'espère que la nouvelle responsabilité confiée, à cet égard, par le président Eltsine à M. Tchernomyrdine - que j'ai eu l'occasion de connaître personnellement lorsqu'il était Premier ministre de la Fédération de Russie - permettra une mobilisation positive dans la recherche d'une solution.
Quant à l'Union européenne - qui est au premier rang pour l'aide engagée en faveur des réfugiés du Kosovo, grâce à la mobilisation de ses Etats membres et avec le soutien de leurs populations - elle doit, selon moi, affirmer son rôle politique et sa responsabilité s'agissant d'un conflit qui se déroule à ses portes et d'enjeux de liberté et de sécurité qui la concernent au premier chef.
Oui, le combat pour la démocratie et les droits de l'homme, face au dernier régime du continent européen qui les bafoue de manière inique, est un combat digne de l'Europe libre, pacifique et prospère que nous voulons construire.
C'est le motif profond de l'assentiment lucide et réfléchi de la majorité des citoyens français et européens en faveur de l'action de l'Europe.
Le Conseil européen qui s'est tenu hier à Bruxelles - tous les orateurs ont évoqué cette réunion - a montré que nous y étions tous résolus, malgré les nuances qui existent entre les pays européens. Cette réunion, à laquelle je participais au côté du Président de la République, a porté en majeure partie sur la situation au Kosovo et elle s'est déroulée en présence du secrétaire général des Nations unies, participation qui s'est révélée bénéfique et utile.
Lors de cette rencontre, les chefs d'Etat et de Gouvernement ont rappelé leur détermination à ne pas tolérer les pratiques d'assassinat et de déportation perpétrées au Kosovo et estimé qu'il était nécessaire et légitime d'appliquer les mesures les plus sévères, y compris les actions militaires.
Ils ont rappelé que l'objectif fondamental était d'instaurer un Kosovo multi-ethnique et démocratique, au sein duquel tous les habitants puissent vivre en paix et en sécurité. Les autorités yougoslaves seront tenues responsables pour la sécurité et le bien-être des réfugiés du Kosovo.
Les gouvernements européens ont apporté leur soutien unanime à la déclaration du 9 avril du secrétaire général des Nations unies, qui résumait en ces termes les exigences de la communauté internationale à l'égard de M. Milosevic : « la cessation immédiate de la campagne d'intimidation et d'expulsion de la population civile du Kosovo ; le retrait sans délai des troupes militaires et paramilitaires de la province ; l'acceptation sans condition du droit au retour des réfugiés et des personnes déplacées ; l'acceptation d'une force militaire internationale chargée de garantir les conditions du retour des réfugiés et les conditions d'acheminement de l'aide humanitaire ; l'acceptation d'un mécanisme de vérification international de la mise en oeuvre de ces engagements ».
Ils ont souligné également la nécessité du vote par le Conseil de sécurité des Nations unies d'une résolution sous chapitre VII intégrant les différentes conditions énumérées par M. Kofi Annan le 9 avril.
Enfin, le Conseil européen de Bruxelles, sensible à la dimension régionale de la crise et soucieux d'offrir à l'ensemble de la région balkanique une perspective d'espoir et de rapprochement avec l'Union européenne, a décidé de convoquer une conférence sur l'Europe du Sud-Est qui arrêtera des mesures susceptibles de favoriser dans la région une stabilisation durable, la sécurité, la démocratisation et la reconstruction économique.
L'Europe démocratique, pacifique et prospère est prête, je vous le confirme - et le Gouvernement français y est déterminé - à faire tous les efforts pour que les Balkans rejoignent vraiment notre temps et notre Europe.
Par ailleurs, vous le savez, à la suite d'une proposition du Président de la République, faite au nom des autorités françaises, l'Union européenne a fait part de sa disponibilité à assumer la charge d'une administration internationale intérimaire pour la mise en oeuvre des dispositions de l'accord politique qui sera un jour conclu entre les parties, ou qu'il faudra imposer aux autorités de Belgrade. Les discussions à quinze se poursuivront, à cet égard, dans les prochains jours.
Mardi, mesdames, messieurs les sénateurs, je relevais que le contexte dans lequel se déroulait le conflit du Kosovo commençait à bouger. Ces dernières quarante-huit heures semblent confirmer, de manière encore modeste mais réelle, un certain nombre de signes positifs. Nous nous devons toutefois de rester prudents : à ces différentes initiatives convergentes ne nous parvient encore aucune réaction satisfaisante de Belgrade.
Entendons-nous bien : si nous sommes effectivement dans une remontée en puissance de la diplomatie, nous n'en restons pas moins dans une intensification de la pression militaire qu'exige le comportement obstiné de M. Milosevic.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous savez comme moi que les autorités de Belgrade persistent dans leur refus d'une solution politique, dont les principes - qu'après M. Kofi Annan je rappelais tout à l'heure - paraissent pourtant raisonnables à la communauté internationale. C'est pourquoi les frappes se poursuivent, à la fois contre le système de commandement et de contrôle de l'appareil militaire serbe et contre les forces engagées dans la répression au Kosovo. Nos moyens militaires y participent résolument, d'une part en veillant à circonscrire le conflit, d'autre part en participant à l'accueil et à la sécurité des réfugiés. L'actualité montre combien c'est difficile, j'y reviendrai dans un instant.
Le dispositif militaire français est en tout cas engagé dans deux directions : les missions aériennes, la présence au sol en Albanie et en Macédoine.
Les missions aériennes, sur lesquelles M. Plasait m'a notamment interrogé, sont assurées aujourd'hui, du côté français, par près de soixante avions appartenant à l'armée de l'air et à la marine. Ces avions opèrent à partir de bases aériennes situées en Italie et sur le territoire national ainsi qu'à partir du porte-avions Foch, déployé en Adriatique. Ils participent à toutes les formes de missions conduites, de jour comme de nuit, par l'ensemble des Alliés.
Afin de maintenir en vol au-dessus de la province une permanence de l'intervention des avions de l'Alliance, des renforts importants seront prochainement envoyés sur le théâtre des opérations, en particulier par les Américains.
Quant à la poursuite de l'action militaire, sur laquelle vous avez été plusieurs à m'interroger, elle fait l'objet d'échanges approfondis et permanents entre tous les gouvernements alliés, qui doivent en conserver la stricte maîtrise. Autour du Président de la République, nous travaillons quotidiennement dans cet esprit.
Il s'agit d'étouffer les forces de répression serbes, de les frapper où qu'elles se trouvent. Cette tactique a d'ores et déjà permis d'obtenir des résultats très significatifs : 70 % des stocks de carburant ont été détruits, la mobilité des forces serbes est très ralentie, leur capacité de réparation et de maintenance est extrêmement réduite.
Aujourd'hui, les forces militaires et paramilitaires serbes, au Kosovo, se trouvent isolées, gênées dans leur approvisionnement. Cependant, dispersées, immobilisées, elles se terrent, ce qui les rend plus difficilement détectables. Elles n'en sont pas moins vulnérables, et désormais soumises à un harcèlement sans répit.
Nous avons tous été très émus par la nouvelle parvenue hier après-midi selon laquelle des réfugiés avaient été victimes de bombardements au Kosovo, à quelques kilomètres de la frontière albanaise. Mme Borvo m'a tout particulièrement interrogé sur ce point.
Nous sommes dans l'attente - en tout cas, au moment où je vous parle - des résultats de l'enquête conduite par l'OTAN, et notamment de la restitution des films pris par les avions alliés engagés, à cette heure-là, dans la région.
Le général Clark, commandant des opérations alliées en République fédérale de Yougoslavie, s'attache personnellement, m'a-t-on dit, à vérifier les faits et à contrôler les allégations serbes. A ce stade une grande prudence s'impose dans l'analyse de l'événement. Nous n'écartons en effet ni une méprise, qui serait dramatique, ni une manipulation, qui serait odieuse.
Notre engagement militaire ne se résume pas, vous le savez, aux opérations aériennes. Nos soldats sont également présents en Albanie et en Macédoine.
En Albanie, la force de sécurisation des opérations humanitaires se met en place. Son état-major sera à pied d'oeuvre demain soir. Nous avons déjà, sur place, plus de 200 hommes, qui soutiennent l'action humanitaire, et nous envoyons près de 500 soldats supplémentaires, qui seront chargés, en priorité, de l'accueil des réfugiés à la frontière, de leur prise en charge immédiate, notamment médicale.
En Macédoine, la brigade française a été renforcée en moyens perfectionnés de renseignement. Forte, maintenant, de près de 3 000 hommes, elle poursuit sa double mission de sécurisation de cette zone face au Kosovo et de soutien à l'action humanitaire au profit des réfugiés. Elle se tient également prête pour participer, le moment venu, à une force internationale de sécurité qu'il sera nécessaire de déployer au Kosovo pour faire respecter un règlement politique.
Je vous le redis, nous souhaitons que cette force relève d'une résolution du Conseil de sécurité. Elle répondra ainsi à notre double souci d'agir dans le cadre du droit international et de doter la force des moyens nécessaires à son efficacité.
Dans la situation difficile d'aujourd'hui, je tiens à renouveler mon hommage et à redire mon soutien aux 7 000 militaires français déployés sur ce théâtre d'opérations. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Paul Loridant applaudit également.)
J'en viens maintenant à la crise humanitaire que M. Milosevic a organisée délibérément à l'intérieur comme à l'extérieur du Kosovo, et M. Claude Estier et d'autres orateurs ont évoquée.
La situation des personnes déplacées dans la province du Kosovo est, pour nous, un motif de très grave inquiétude. Leur nombre précis nous est inconnu ; il s'agit peut-être de plusieurs centaines de milliers de personnes, dont les conditions d'existence deviennent chaque jour plus précaires. Les exactions auxquelles elles seraient soumises nous préoccupent énormément.
Je souhaite ici, solennellement, mettre de nouveau en garde le pouvoir serbe contre les conséquences de son attitude et le comportement de ceux qui, au Kosovo, exécutent sa politique.
Nous sommes déterminés à porter, là comme ailleurs, un coup d'arrêt aux desseins de M. Milosevic. Il devra rendre des comptes devant son peuple, devant l'histoire et, peut-être, devant la justice internationale.
Quant aux réfugiés et aux personnes déplacées en dehors du Kosovo, leur nombre global est aujourd'hui d'environ 640 000. Comme vous le savez, les expulsions massives dont les Kosovars ont fait brutalement l'objet ont créé d'énormes besoins humanitaires auxquels il a fallu répondre dans l'urgence. Cette réponse immédiate, nous l'avons apportée.
La situation en Albanie et en Macédoine s'est désormais nettement améliorée. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés est le coordinateur principal de l'aide humanitaire internationale, ce qui constitue un gage d'efficacité.
Sur le terrain, à la demande du haut-commissaire pour les réfugiés, Mme Ogata, l'OTAN apporte sa contribution à cet effort par un dispositif destiné à la coordination logistique, d'une part, à la sécurisation de l'arrivée, de l'acheminement et de la distribution de l'aide humanitaire dans les camps, d'autre part. N'oublions pas que nous sommes dans des zones fragiles et souvent exposées.
La France a, pour sa part, consenti très vite un effort important : 225 millions de francs d'aide directe financée par le budget de l'Etat.
A ce jour, les armées françaises ont effectué plus d'une centaine de rotations d'avions entre Istres, Tirana et Skopje, et presque autant de rotations d'hélicoptères entre Tirana et Kukes, pour transporter plus de 800 tonnes de fret humanitaire. Aujourd'hui, d'ailleurs, M. Charles Josselin, le ministre de la coopération et de la francophonie, est sur la base d'Istres, où il témoigne de la solidarité du gouvernement français auprès de nos militaires.
La mobilisation de nos concitoyens est, elle aussi, exemplaire.
Il m'est impossible de rendre compte de toutes les initiatives prises par nos compatriotes, par des particuliers ou par des collectivités locales, par de petites associations ou par de plus importantes. Plusieurs milliers de tonnes de biens de première nécessité ont été collectés. Ceux qui ne sont pas transportés directement par les associations le sont par les soins de l'Etat, par voie aérienne ou maritime.
Des coordinnateurs humanitaires ont été désignés à Tirana et à Skopje. Ils s'appliqueront, en liaison avec les organisations non gouvernementales, les ONG, à vérifier la bonne distribution de cette aide, conformément aux voeux des Français qui l'ont rendue possible.
Un exemple parmi d'autres : près de 1 200 000 colis, collectés et acheminés par la Croix-Rouge française et La Poste, devraient quitter très prochainement Marseille pour la Macédoine et l'Albanie, par des moyens aériens et maritimes civils et militaires, affrétés par l'Etat.
Qu'il me soit permis ici de rendre un hommage chaleureux à tous ceux qui participent à l'ensemble de cette mobilisation, en France et autour du Kosovo.
Je voudrais, enfin, relever la généreuse réponse apportée par nos compatriotes concernant l'accueil en France de familles de réfugiés, notamment à la faveur de la mise en place d'un numéro vert.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, l'urgence est d'organiser et de protéger les réfugiés du Kosovo au plus près de leur région d'origine, là où ils se trouvent, en Albanie et en Macédoine principalement, pour préparer leur retour dans leur pays. C'est ce qu'ils souhaitent.
Comme vous le savez, la France a mis en place des procédures adaptées pour répondre à la demande des réfugiés qui souhaiteraient trouver asile et protection sur notre territoire. Ces procédures répondent à des principes simples qui sont ceux qu'a établis le droit international : volontariat des candidats au départ et identification des réfugiés assurée par les services du Haut-commissariat pour les réfugiés. Les réfugiés volontaires ainsi identifiés seront exemptés de la formalité de visa et bénéficieront d'un titre de séjour temporaire d'une validité d'un an.
Ces procédures vont prendre un peu de temps, en raison, notamment, de problèmes d'identification qui relèvent du HCR. Nous nous efforçons d'accélérer et de faciliter les choses. M. Bernard Kouchner, ici présent, est impliqué dans ce travail.
Dans tous les cas, les familles françaises ou les familles d'étrangers vivant en France qui se sont manifestées seront contactées par les services des directions départementales de l'action sanitaire et sociale, les DDASS, afin d'examiner les modalités pratiques de l'accueil projeté.
En parallèle à cette réponse française, l'Union européenne a mobilisé pour l'aide aux réfugiés et aux pays d'accueil un total de 250 millions d'euros. Cela représente une part française supplémentaire de 282 millions de francs. Je tiens à mettre l'accent, aujourd'hui, sur la très grande complémentarité de l'action des pays européens sur le terrain. C'est en association et en étroite coordination avec nos partenaires que nous avons su être efficaces dans l'urgence.
Nous travaillons avec les Anglais dans les camps d'accueil de Macédoine. Nous sommes, avec les Italiens, sur la base logistique de Kukes. Nous gérons avec les Allemands un camp de transit à Fajza, à côté de Krume, et nous leur apportons notre soutien au camp de Spital.
De la même façon, les Européens vont mobiliser la communauté internationale, en vue d'apporter aux Etats de la région affectés par le conflit l'aide à la reconstruction et pour le développement dont ils ont un besoin urgent. MM. Arthuis et Seillier ont évoqué cette question. Cela a été confirmé au Conseil européen d'hier. Le Gouvernement s'en réjouit, puisque, vous le savez, nous avions pris l'initiative de saisir le FMI et la Banque mondiale en ce sens.
Ces différents exemples montrent, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'Union européenne dans son ensemble, dans ses institutions comme dans sa population, est entièrement solidaire et mobilisée. L'Europe et les Européens sont conscients de leur responsabilité devant l'histoire et devant les populations déshéritées du Kosovo. Je sais aujourd'hui que leur détermination est entière. C'est notre honneur et notre force. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Paul Loridant applaudit également.)
M. le président. Monsieur le Premier ministre, me faisant l'interprète de tous les sénateurs, je vous remercie d'avoir répondu avec le plus de précision possible, compte tenu de la situation, aux légitimes préoccupations de tous les intervenants. Ainsi donc, par vos soins, le Parlement, et en particulier le Sénat, se trouve informé de l'évolution de la douloureuse opération du Kosovo.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement sur la situation du Kosovo.

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