Séance du 29 avril 1999






RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Henri de Raincourt. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, mes chers collègues, ce rappel au règlement s'impose, au moment où, après la mise en cause de l'Etat dans un incendie criminel en Corse, les pouvoirs publics semblent s'enliser.
Il y a un an, M. Chevènement jurait que tout serait mis en oeuvre pour arrêter les assassins du préfet Claude Erignac. Aujourd'hui, ce sont les gendarmes qui sont incarcérés !
Face à une situation aussi grave, le Premier ministre a utilisé les ressorts de la sémantique en invitant à ne pas confondre une affaire d'Etat avec une affaire de l'Etat.
M. Claude Estier. Il a eu raison !
M. Henri de Raincourt. La représentation nationale ne saurait se satisfaire, monsieur Estier, de ce genre de pirouette !
Le Gouvernement peut bien engager une enquête et promettre des sanctions, les faits sont là.
Soit le groupe de pelotons de sécurité, unité d'élite constituée sur décision du Gouvernement et sous contrôle direct du préfet, a opéré sur ordre et, dans cette hypothèse, qui a donné l'ordre, qui couvre, où est la vérité ?
Soit les gendarmes ont agi seuls, et comme le dossier de la Corse est géré en direct par le Premier ministre, cela signifierait alors que le chef du Gouvernement, responsable de l'administration et de la défense, n'est pas au courant de l'activité de services placés sous sa responsabilité. Nous avons peine à le croire, alors que, selon un quotidien du soir, la hiérarchie de la gendarmerie nationale aurait été informée deux jours après que les faits se sont produits.
On aura beau tourner les explications dans tous les sens - et le ministre de l'intérieur s'y est essayé hier soir - dans un cas comme dans l'autre, la réalité s'impose : où est l'Etat ? Où est le droit ?
Quel que soit le résultat de l'enquête, le mal est déjà fait : l'autorité de l'Etat est, une nouvelle fois, affectée par une escapade nocturne peu glorieuse.
Il ne s'agit pas du tout de polémique politicienne (M. Claude Estier s'exclame) , comme j'ai entendu certains le déclarer, mais de l'utilisation de pratiques louches au nom du rétablissement de l'Etat de droit. Comme méthode c'est condamnable ; comme comportement c'est coupable.
Dans cet esprit, il faut tirer les leçons des événements, car sont en cause non seulement l'autorité politique du Gouvernement sur l'appareil d'Etat, mais également le fonctionnement de l'Etat lui-même sur tout le territoire national.
Dans cette affaire, il faut se garder de faire de la Corse et des gendarmes des boucs émissaires presque parfaits. Les uns sont nos compatriotes ; nous les aimons. Les autres sont les serviteurs zélés de la République ; nous les respectons.
La représentation nationale, ici les sénateurs, sont en droit de demander que toute la lumière soit faite rapidement et que les responsabilités des uns et des autres puissent être établies. Il en va, me semble-t-il, de l'intérêt supérieur de la nation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous rassure : le Gouvernement fera en sorte que toute la lumière soit faite sur cette déplorable affaire, et M. le Premier ministre a d'ailleurs indiqué hier de la façon la plus nette à l'Assemblée nationale que plusieurs dispositions étaient prises en ce sens.
Bien entendu, la justice a été saisie immédiatement, dès qu'il est apparu que cette affaire pourrait - nous sommes obligés d'employer le conditionnel, naturellement - impliquer des gendarmes. Elle l'a été d'ailleurs dès lors que l'incendie paraissait être de nature criminelle.
Non seulement le Gouvernement n'a mis aucune entrave, mais il a apporté, par ses services administratifs, son entier concours à la justice. En effet, vous avez pu noter que les services de la gendarmerie ont immédiatement prêté leur concours au procureur en charge de l'enquête, au procureur général et maintenant au juge d'instruction.
Je redis ici qu'il ne peut pas être question que la moindre entrave soit apportée à l'enquête judiciaire ; au contraire, depuis le début, tout est mis en oeuvre pour que l'ensemble des services de l'Etat apportent à la justice tout leur concours.
Je rends d'ailleurs hommage à la gendarmerie. En effet, au plan local, au niveau de la brigade territoriale, lorsqu'il n'existait pas encore de soupçons pesant sur des gendarmes, ou deux jours plus tard, le jeudi, au niveau de la section régionale de recherche de Corse, puis au plan national à partir de vendredi dernier lorsqu'il a semblé que les craintes et les risques d'implication de gendarmes se précisaient, la gendarmerie a immédiatement apporté son concours à la justice.
Le Gouvernement a diligenté deux enquêtes administratives qui, bien entendu, sans empiéter sur l'enquête pénale, auront pour objectif, d'une part, de faire la lumière sur le fonctionnement des services de l'Etat et, d'autre part, de réexaminer, comme l'a indiqué M. le Premier ministre, le fonctionnement du groupe de pelotons de sécurité.
Lorsque les responsabilités auront été établies, quelle que soit la qualité des personnes qui auraient ou qui auront été mises en cause dans cette affaire, il va de soi que toutes les sanctions administratives ou disciplinaires seront prises, sans préjuger des peines que pourra prononcer la justice.
Cela dit, il faut veiller au respect de toutes les règles de la procédure pénale. Même si, aujourd'hui, quatre gendarmes sont mis en examen et placés en détention provisoire, ils sont toujours présumés innocents. Tant que les faits n'auront pas été établis par la justice, ils ont droit évidemment, comme chacun d'entre nous, à la présomption d'innocence.
Dans cette affaire, il est évidemment de l'intérêt de notre pays que nous ne remettions pas en cause la politique de retour à l'Etat de droit qui a été engagée par ce gouvernement avec le soutien de M. le Président de la République. Autant il faut condamner sans faiblesse et sans hésitation les dérapages en l'occurrence très graves, si ils sont confirmés, autant il faut faire en sorte de ne pas prêter le flan à des insinuations, à des polémiques qui fragiliseraient le retour à l'Etat de droit en Corse, car nous savons que d'énormes intérêts sont en jeu pour faire en sorte que nous abandonnions cette politique.
Voilà ce à quoi je voulais vous rendre sensible. Permettez-moi de vous dire pour terminer - mais telle n'a pas été votre attitude - que je trouve que, quelquefois, la tonalité de certaines interventions pourrait laisser douter de la véritable volonté que l'on aurait de restaurer l'Etat de droit en Corse. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)

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