Séance du 11 mai 1999







M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 442, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite que vous répondiez aujourd'hui avec clarté et sans nouveaux faux-fuyants à une question en apparence compliquée, mais qui est fort simple.
L'Institut d'émission des départements d'outre-mer, l'IEDOM, est une des premières victimes de la Banque centrale européenne et de l'euro. D'autres suivront !
L'Institut d'émission sera-t-il intégré à la Banque de France ou sera-t-il transformé en une société filiale de la Banque de France ?
Vous le savez, une filialisation ne serait pas sans poser des problèmes de principe, mais elle soulèverait aussi la question du devenir des personnels qui s'occupent du financement de l'économie locale.
La filialisation pose tout d'abord des problèmes de principe : la loi du 2 décembre 1945 a nationalisé la Banque de France. La filialisation de l'Institut est donc une remise en cause grave de cette loi.
Je ne crois pas que l'on puisse faire cohabiter deux types de structures différents - succursales et filiales - pour résoudre le même problème. En effet, la loi est une. Or les filiales seront des sociétés anonymes de droit privé. La loi de nationalisation est donc remise en cause.
De plus, ces atteintes graves à la loi seraient portées sur une partie seulement de notre territoire national, ce qui pose également un problème de principe.
Quatre départements d'outre-mer, ainsi que Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, sont concernés. Tous les parlementaires de ces régions et toutes les organisations syndicales sont opposés au projet de filialisation.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, présentant la filialisation à l'Assemblée nationale, la comparait à une « possible mise en oeuvre de la participation des départements d'outre-mer à la grande aventure européenne ». Ce n'est pas ce que ressentent les citoyens de ces départements, qui considèrent la filialisation comme une formule au rabais pour les missions telles qu'elles existent aujourd'hui sur l'ensemble du territoire métropolitain.
Nous touchons également, avec cette question, au problème politique du devenir des départements d'outre-mer dans la construction européenne.
Les personnels sont unanimes, et ils l'ont démontré dans des mouvements forts de protestation. La filialisation, c'est la transformation du statut des personnels et la modification des missions, accentuées par les conséquences de l'insularité.
Avec beaucoup d'à-propos, les syndicats prévoient que cette nouvelle situation pourrait constituer un précédent « réimportable » en Europe. C'est pourquoi les personnels s'opposent unanimement à ce début de démantèlement de la Banque de France.
Bien au-delà des principes et de l'intérêt des personnels, c'est le devenir de toute une région qui serait compromis par la disparition du réescompte, qui permettait aux entreprises les plus fragiles, notamment aux PME-PMI, d'obtenir des financements à 5,5 %, sans parler du transfert à un autre opérateur de l'activité « fonds de garantie bancaire », qui jusqu'alors avalisait à hauteur de 70 % les concours consentis aux entreprises.
En démantelant l'IEDOM, vous démantèleriez aussi la Banque de France, vous toucheriez, monsieur le secrétaire d'Etat, au service public en lui associant le capital privé et, bien entendu, vous porteriez ainsi atteinte à la loi de nationalisation de la Banque de France.
Je vous demande donc de nous dire quelle est, à ce jour, la position du Gouvernement et si vous n'estimez pas qu'il est prudent et responsable de répondre à l'attente de tous dans ces départements d'outre-mer, en prévoyant l'intégration de l'Institut à la Banque de France et le passage de ses agents sous statut de cette banque. L'ensemble du territoire serait alors régi par une institution monétaire commune et indivisible.
Il est temps, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement fasse connaître clairement ses intentions. En effet, le ministre de l'économie et des finances ne peut pas écrire, dans une lettre du 27 avril dernier, que « l'évolution de l'Institut ne doit pas s'engager dans la précipitation » et, dans le même temps, déposer, selon les dernières informations que nous avons pu avoir sur cette question, un projet de loi d'habilitation qui lui permettrait de légiférer par ordonnances.
Nous voulons vraiment savoir, ce matin, où en est le Gouvernement
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Madame la sénatrice, l'Institut d'émission des départements d'outre-mer exerce, dans les départements et les collectivités territoriales d'outre-mer, des missions monétaires. Or, depuis le 1er janvier 1999, ces missions sont exercées, vous le savez, par le système européen de banques centrales. Il est donc clair qu'il faut faire évoluer l'IEDOM vers un rapprochement avec la banque centrale.
Cela étant, je vous confirme ce qu'a écrit le ministre de l'économie et des finances le 27 avril dernier : ce rapprochement ne doit pas être engagé dans la précipitation. Toutefois, précipitation ou non, la France est dans l'obligation de modifier les statuts et le rôle de l'Institut pour les rendre compatibles avec les tâches qui ont été assignées au système européen de banques centrales par le traité sur l'Union européenne.
Cette évolution institutionnelle sera précédée d'une concertation avec le personnel de l'IEDOM, concertation qui est actuellement en cours.
Il est important que les évolutions nécessaires se fassent dans l'intérêt de l'Etat, dans l'intérêt des départements d'outre-mer, dont vous avez souligné la spécificité, mais aussi dans l'intérêt de l'Institut d'émission et - vous y avez insisté - dans l'intérêt de son personnel, qu'il soit parisien ou local.
Dans ce contexte, la possibilité de constituer une filiale de la Banque de France est effectivement examinée, car il apparaît nécessaire de tenir compte des spécificités des économies des départements et collectivités territoriales d'outre-mer, spécificités auxquelles, vous le savez, les élus ont marqué à de très nombreuses reprises leur attachement.
C'est pourquoi nous proposons de maintenir la participation de représentants locaux au conseil de la nouvelle structure, de sauvegarder le statut des personnels - vous m'avez interrogé sur ce point - et d'associer de manière constructive, au sein de l'Institut, les compétences monétaires et les compétences en matière de développement des agents détachés par l'Agence française de développement.
Je tiens à dire solennellement que toute privatisation de l'IEDOM est, bien sûr, totalement exclue. La Banque de France est une institution dont le capital est entièrement détenu par l'Etat, l'émission de la monnaie est de la seule compétence du système européen de banques centrales et ne saurait être confiée à un autre établissement.
Vous ne devez donc avoir aucune crainte - et les personnels non plus - de voir réapparaître la situation d'avant-guerre, lorsque l'émission monétaire a été confiée à des banques privées locales, dites coloniales, de 1851 à 1944.
Vous avez mentionné le respect du principe d'égalité républicaine. Je tiens à préciser que le mode d'organisation proposé par le Gouvernement n'a d'autre objet que de prolonger un fonctionnement qui, depuis la création de l'IEDOM en 1959, a donné entière satisfaction aux populations et aux élus des départements d'outre-mer.
J'insiste, pour conclure cette réponse que j'espère claire, sur le fait que le rapprochement entre l'IEDOM et la Banque de France sera sans effet sur l'emploi.
Tels sont les éléments que je voulais apporter en réponse à votre question, madame la sénatrice.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous n'avez toutefois pas levé mes inquiétudes ni celles du personnel.
En effet, une inexactitude subsiste dans les courriers qui m'ont été adressés en réponse à une question écrite que j'avais posée le 18 mars, ainsi que dans la réponse que vous venez de me faire ce matin.
En effet, il n'y a eu, monsieur le secrétaire d'Etat, ni concertation ni négociation avec les personnels, d'où leur manque de confiance.
Vous ne contestez pas dans votre réponse qu'un dispositif pour suppléer au taux de réescompte pratiqué dans les départements d'outre-mer se révélera pourtant nécessaire en cas de filialisation. L'euro sera mis en circulation en 2003, mais vous n'apportez aucune précision quant au maintien du statut actuel des personnels. Il faut tout de même reconnaître que l'intégration de l'IEDOM à la Banque de France par relais administratif, financier et statutaire réglerait les problèmes posés sans aucune difficulté.
Je rappellerai, comme l'avait fait M. Bernard Trichet lorsqu'il était directeur du Trésor, que « les activités de la banque relèvent pour la plupart du service public et les filialiser risquerait de signifier à terme de les vendre ».
Vous ne levez donc aucune des inquiétudes. Avec votre projet de filialisation, on s'est engagé vers le démantèlement, à terme, de la Banque centrale et vers une privatisation de son capital. La question de cet institut d'émission n'est pas une simple question annexe concernant l'outre-mer. Je crois, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il s'agit d'une question nationale qui est liée à un transfert de souveraineté, à une dérive européenne que nous considérons comme très grave.

PRÉSENTATION DES AVIS D'IMPÔTS LOCAUX