Séance du 2 juin 1999







M. le président. Je suis saisi de deux amendements présentés par M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 60 tend à insérer, après l'article 31, une nouvelle division ainsi rédigée :
« Titre III bis. - Contrôle et évaluation de la loi. »
L'amendement n° 61 vise à insérer, après l'article 31, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Chaque année, avant la date fixée à l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale, le Gouvernement présente au Parlement un rapport d'évaluation de l'application des titres I à III de la présente loi.
« Ce document comprend notamment le rapport annuel d'activité du fonds créé à l'article 25 et un compte rendu des réunions de son conseil d'administration.
« Il évalue, pour les finances de l'Etat, des collectivités locales comme pour celles de la sécurité sociale, les conséquences financières de la création d'une couverture de base au titre du régime de résidence et de l'instauration d'une couverture complémentaire.
« II. - Le deuxième alinéa de l'article L. 114-1 du code de la sécurité sociale est complété par les mots suivants : "et un bilan financier des titres I à III de la loi n° du portant création d'une couverture maladie universelle".
« III. - Les opérations de recettes et de dépenses effectuées par le régime général dans le cadre de la couverture maladie universelle sont suivies dans une section comptable spécifique du fonds national de l'assurance maladie.
« Cette section permet de faire apparaître :
« - pour la couverture de base instituée par le titre I, les dépenses engagées par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et le produit des recettes qui lui sont affectées par le même titre ;
« - pour la couverture complémentaire instituée par le titre II, les dépenses engagées par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et les remboursements effectués par le fonds visés à l'article 25. »
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Les amendements que nous allons maintenant examiner sont très importants pour nous parce que - j'espère que le Gouvernement partage notre inquiétude - il n'y a dans ce projet de loi aucun contrôle de prévu sur une éventuelle dérive financière du dispositif.
L'amendement n° 60 vise à introduire un titre III bis intitulé « contrôle et évaluation de la loi » et l'amendement n° 61 concerne le fond de ce nouveau titre.
Je sais bien que nous avons trop tendance à demander des rapports au Gouvernement. Nous ne sommes pas les seuls fautifs : les gouvernements ont souvent tendance à dire qu'ils feront un rapport au Parlement, pour obtenir le retrait d'un amendement gênant.
Cependant, le dispositif d'évaluation que nous proposons ici, demandant au Gouvernement de fournir chaque année un rapport au Parlement, nous semble absolument essentiel.
En effet, il est clair que la loi qui crée la CMU crée une nouvelle charge publique. On peut se réjouir que l'on permette un meilleur accès aux soins pour l'ensemble de la population, notamment pour les plus défavorisés, tout en souhaitant que la dépense publique correspondante soit évaluée et contrôlée. Tel est même notre devoir.
Nous nous souvenons bien évidemment tous de l'instauration du RMI : le coût de la mise en oeuvre de ce dispositif était estimé, en 1998, à 4 milliards de francs, dépense qui devait être financée par l'impôt de solidarité sur la fortune, dont le produit était évalué lui aussi à 4 milliards de francs. Or, pour l'année 1998, qui a pourtant été un millésime exceptionnel pour l'ISF, le rendement de cet impôt est de 10 milliards de francs, tandis que le coût du RMI atteint 25 milliards de francs ! Une disparité énorme s'est donc creusée en dix ans.
On pourrait croire que, avec les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, le Parlement dispose de tous les moyens d'évaluation or il n'en est rien.
Je voudrais rappeler à nos collègues la réponse que vous avez faite, madame le ministre, à notre questionnaire concernant le fonds de financement de la protection complémentaire : « Le fonds de financement ne relève pas a priori du champ de la loi de financement de la sécurité sociale. Il a en effet pour objet de financer une prestation de l'Etat financée à titre principal par une subvention de l'Etat » - j'ajoute, car cela ne figure pas dans votre réponse, que cet argent est « piqué » au département. Le dispositif est sans incidence sur l'équilibre financier des régimes de sécurité sociale, qui sont remboursés au franc le franc lorsqu'ils servent des prestations au titre de la couverture maladie complémentaire. »
Si je prends votre réponse à la lettre, j'en déduis que les dépenses des régimes d'assurance maladie liées à la protection complémentaire seront traitées, dans la loi de financement de la sécurité sociale, de la même manière que les dépenses de la branche famille relatives au RMI. Elles seront absentes sous prétexte d'une compensation au franc le franc. Cela n'est guère acceptable.
Vous avez souvent dit, madame le ministre, que vous vouliez la transparence et la sincérité dans les comptes. Je me permets donc de rappeler que la branche famille ne reçoit aucune participation de l'Etat au titre de la gestion du RMI et que la prise en charge d'une prestation d'Etat n'est jamais neutre.
Aucun dispositif technique ne permet d'apprécier l'ensemble des dépenses résultant de la création de la CMU, notamment pour la couverture de base. Le surcoût lié à l'extension du champ est estimé par le Gouvernement à 600 millions de francs, mais aucun moyen d'apprécier a posteriori le bien-fondé de cette estimation et, de manière générale, l'ensemble des évaluations qui ont présidé au montage financier n'est prévu.
La CNAM enregistrerait un déficit de plus de 12 milliards de francs pour 1999 et la création de la CMU engendrerait 900 millions de francs de charges supplémentaires, selon l'étude d'impact.
Au-delà de ces considérations financières, qui ont toutefois leur poids, nous sommes en droit d'attendre une évaluation du dispositif quant aux délais de traitement des demandes notamment, c'est-à-dire une évaluation complète.
Je propose que le Gouvernement adresse, avant le 15 octobre de chaque année - c'est la date limite du dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale - un rapport sur l'évaluation des titres I à III de cette loi. Cette évaluation doit être à la fois sociale et financière. Elle permettra d'apprécier le bien-fondé de l'étude d'impact, dont nous avons souligné les lacunes.
Ce bilan de la mise en oeuvre de la CMU sera intéressant dès la première année, c'est-à-dire dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
L'un des deux rapports annuels de la commission des comptes de la sécurité sociale présentera un bilan strictement financier, qui sera rendu possible par l'existence d'une section comptable spécifique de la CNAM.
Nous voulons suivre précisément l'évolution des recettes et des dépenses liées à la CMU, tant sur le volet de base que sur le volet complémentaire.
Je rappelle que la CNAM identifie parfaitement les comptes de l'assurance personnelle. Le coût de la transparence que je souhaite serait donc limité.
Le Parlement faillirait à ses devoirs s'il ne demandait pas cette évaluation. Le consentement à l'impôt, par le biais des assemblées, est le fondement de la démocratie. Ce consentement - l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen le précise explicitement - nécessite que l'on puisse en suivre l'emploi.
Si nous voulons être crédibles quant à la CMU, il faut que, au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous puissions voir comment elle évolue.
Sur le fond, madame le ministre, vous partagez notre souci, et j'espère donc que vous donnerez un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur le rapporteur, ne pensez-vous pas que nous devrions réserver l'amendement n° 60, pour statuer d'abord sur l'amendement n° 61 ?
M. Charles Descours, rapporteur. Vous avez tout à fait raison, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'y suis bien sûr favorable.
M. le président. La réserve est donc ordonnée.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 61 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le Gouvernement n'est pas opposé à la présentation devant le Parlement d'un rapport d'évaluation sur la création de la couverture maladie universelle, mais il ne peut pas accepter la rédaction de l'amendement n° 61, qui entre dans ce sujet avec des a priori que le Gouvernement ne partage pas.
Je pourrai être favorable, lors de la nouvelle lecture, à un rapport d'évaluation sur la couverture maladie universelle, à un rapport que le Gouvernement remettrait dès l'année prochaine au Parlement. Ce serait une très bonne chose. Toutefois, compte tenu de leur rédaction actuelle, je ne peux pas accepter les amendements n°s 61 et 60.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 61.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je suis toujours étonné quand le Gouvernement n'est pas en mesure de fournir à la représentation nationale des éléments d'information suffisants. Des rapports d'évaluation sont nécessaires et je partage tout à fait l'avis de M. le rapporteur. Je souhaite d'ailleurs que, lors de l'examen des comptes de la sécurité sociale, chaque année, nous disposions désormais d'une section d'analyse concernant l'évolution des comptes de la couverture maladie universelle.
Cela étant, comme l'a indiqué M. Charles Descours, nous avons souvent mis du temps à obtenir des rapports que nous avions demandés.
Ainsi, pour la loi du 2 janvier 1986, la loi « littoral », il a fallu treize ans pour avoir le rapport d'évaluation prévu à l'article 41. Pour la CSG, dont j'ai été rapporteur en 1991, nous avons attendu plusieurs années avant d'avoir un rapport.
Je voterai pour la publication de ce rapport d'évaluation, en espérant qu'il permettra de faire toute la lumière.
Hier, madame le ministre, nous nous sommes livrés à une bataille de chiffres et vous avez été très sévère à mon égard.
Nous aurions peut-être pu traiter ce différend devant la commission des finances, mais vous n'êtes pas venue. Par ailleurs, vous avez dû malheureusement vous absenter quand j'ai présenté ma démonstration chiffrée dans la discussion générale.
Vous m'avez cependant répondu, en fin de séance : « Vous avez fait une erreur sur la couverture de base : vos chiffres sont faux parce que vous oubliez qu'il y a pour un même assuré plusieurs ayants droit. Le montant n'est pas de 9 400 mais de 4 000 francs. »
J'ai donc vérifié mes chiffres et je vais vous les livrer. Je vous remettrai également deux tableaux, que vous pourrez éventuellement contredire.
L'assurance personnelle couvre 610 000 personnes, à savoir 550 000 cotisants et 60 000 ayants droit. Elle supporte chaque année 5,7 milliards de francs de dépenses non hospitalières, soit une dépense de 9 400 francs par personne. C'est mathématique.
Vous ajoutez 150 000 bénéficiaires, mais, pour eux, la dépense ne serait que de 4 000 francs !
J'ajoute que près de 450 000 RMIstes sont assujettis à l'assurance personnelle.
Je ne pense pas avoir commis d'erreur. Si c'était le cas, je vous invite à faire la contre-démonstration.
Vous nous avez dit par ailleurs, madame le ministre, que la couverture complémentaire coûterait 1 500 francs. Nous avons considéré que cette évaluation était manifestement sous-estimée. Ce chiffre se fonde en effet sur des données de 1995 et comprend un panier de soins plus restreint que celui de la CMU.
De plus, ceux qui vous ont donné le chiffre de 1 500 francs nous disent qu'il faut compter au moins 1 725 francs. Vous les écoutiez il y a un an. Pourquoi ne les écoutez-vous plus aujourd'hui ?
En outre, M. Michel Mercier vous a dit que, dans le département du Rhône, le coût était de 2 100 francs.
Mes chiffres ne comportaient pas d'erreur fondamentale ; je les maintiens.
Le coût global de la CMU sera beaucoup plus élevé que celui que vous avez indiqué, madame le ministre, et je souhaite que le rapport demandé à juste titre par la commission des affaires sociales nous fournisse, dès la première année d'exécution, des informations claires. Nous verrons à ce moment-là qui dit la vérité !
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Je déplore que Mme le ministre ait apporté une réponse quelque peu dilatoire à cette demande.
Elle nous a souvent dit qu'elle voulait la transparence des comptes, et je l'ai crue. J'espère que je n'ai pas eu tort.
S'agissant de la CMU, il faut, me semble-t-il, individualiser les chiffres et donc disposer d'un rapport spécifique. Il faut même que la commission des comptes de la sécurité sociale puisse, lorsqu'elle se réunit, notamment au mois de septembre, évaluer le poids de la CMU dans l'équilibre ou le déficit de l'assurance maladie.
On nous a fait un procès d'intention quant à la rédaction de notre amendement, ce que je ne comprends pas. J'espère cependant que, lors de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale, nous disposerons du rapport sur la mise en oeuvre et le développement de la CMU.
Si, par extraordinaire, nous ne l'avions pas, nous nous insurgerions contre l'opacité que le Gouvernement voudrait entretenir au sujet de cette nouvelle prestation, et nous demanderions la création d'une mission d'information, voire d'une commission d'enquête.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 61, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 31.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 60, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, une division additionnelle ainsi rédigée est insérée dans le projet de loi, après l'article 31.
Nous en revenons à l'article 1er, qui a été précédemment réservé.

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
DE LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

Article 1er