Séance du 15 juin 1999
M. le président.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Madame le garde des sceaux, à considérer le titre : « Projet de loi renforçant
la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes », qui
oserait ne pas souscrire à une aussi louable intention, singulièrement en un
temps où, au mépris d'un secret qui n'existe plus qu'à l'état de souvenir, sont
trop souvent, à travers des mises en examen, jetés en pâture à l'opinion
publique les noms de personnes lavées de tout soupçon au terme de la procédure
?
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Christian Bonnet.
La brutalité de l'annonce, le vide qui se crée autour des intéressés
constituent pour des innocents une blessure que rien ne saurait effacer.
Les collectivités locales sont devenues autant de secteurs à risques.
Et si ont pu se faire jour, ici et là, des débordements hautement condamnables
qui favorisent, dans l'inconscient collectif, des amalgames dangereux pour la
démocratie, élus ou fonctionnaires sont, dans trop de cas, victimes de l'excès
de zèle de certains magistrats.
Ce n'est pas sans effet pervers : les plus entreprenants sont tentés de se
protéger de tous côtés, de reporter les dossiers, d'ergoter sur les procédures,
de retenir systématiquement, pour l'attribution des marchés, le moins-disant,
fût-il le plus fragile économiquement, afin d'être, le cas échéant, les «
mieux-disant juridiques ».
Oserai-je dire que, si certains élus ou certains fonctionnaires parfois
s'égarent - la sanction devrait alors revêtir un caractère plus rapide et plus
exemplaire que ce n'est souvent le cas - certains magistrats sont bien loin de
la vie réelle, qui n'hésitent pas à « casser » un homme lorsque la barre
transversale d'un but de football blesse accidentellement un joueur sur le
stade municipal ?
Aussi, à bien des égards, votre projet, madame la ministre, vient-il à son
heure et convient-il de le saluer
in globo !
Il est toutefois un aspect auquel mes responsabilités passées m'interdisent de
donner mon accord : la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue,
dont le problème me semble bien plutôt lié aux conditions matérielles qui y
président trop souvent.
S'agissant de la présence immédiate de l'avocat, il convient de se poser trois
questions très simples : est-elle nécessaire sur le plan des droits de l'homme
?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui !
M. Christian Bonnet.
Est-elle opportune sur le plan de la recherche de la vérité ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui !
M. Christian Bonnet.
Est-elle possible sur le plan matériel ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui !
M. Christian Bonnet.
D'abord, est-elle nécessaire ?
Force est de constater que ni en Belgique, ni en Suisse, ni en Allemagne, un
entretien avec un avocat n'est possible pendant la garde à vue.
Force est d'admettre que si, en principe, en Grande-Bretagne, toute personne
gardée à vue peut communiquer avec son avocat à tout moment, la police peut
aussi interdire tout contact pendant les trente-six premières heures s'il
existe un risque que le défenseur entre en contact avec des complices ou des
témoins. On reconnaît bien là le pragmatisme de nos voisins d'outre-Manche !
En Italie, l'article 350 du code de procédure pénale autorise les policiers,
sur les lieux d'une infraction ou dans l'instant des faits, à obtenir, hors la
présence de l'avocat, des renseignements utiles pour la poursuite immédiate de
l'affaire.
Et l'on chercherait en vain, dans le droit européen, une quelconque obligation
quant à la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue. La convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme n'en fait nulle mention en son
article 6. Quant à la Cour de Strasbourg, elle n'a jamais, dans un arrêt,
avancé que l'avocat devait immédiatement apparaître.
La disposition figurant dans le projet de loi amorcerait au demeurant, madame
le garde des sceaux, un glissement très net de notre système procédural vers un
modèle quasiment accusatoire, alors même que ceux qui, dans des pays amis, le
vivent au quotidien se plaisent souvent à souligner les avantages du nôtre.
Celui-ci, au demeurant, ne participe-t-il pas aujourd'hui de l'une et l'autre
de ces philosophies ? Les Français ne sont-ils pas, d'ailleurs, dit-on, friands
de cohabitation, et notre système de protection sociale ne revient-il pas à
marier la philosophie de Bismarck à celle de Beveridge ?
Au fil des années, des évolutions se sont fait jour, qui ont consisté en la
possibilité de faire prévenir un proche par téléphone - la police prend
elle-même l'initiative lorsqu'un adolescent est en cause - en l'examen par un
médecin, en l'entretien avec un avocat à la vingtième heure.
Quant à l'autorité judiciaire, elle exerce, conformément à l'article 41,
troisième alinéa, du code de procédure pénale, son contrôle sur les gardes à
vue. Ainsi les droits de la défense ont-ils atteint en France un niveau que
l'on peut considérer comme élevé.
Compte tenu de tous ces éléments, à la question de savoir si la présence de
l'avocat est nécessaire dans l'immédiateté, la réponse est non.
Deuxième question : cette présence est-elle opportune ?
Là, plus encore, la réponse apparaît négative.
Cette présence immédiate annihilerait les effets positifs très souvent obtenus
pour la manifestation de la vérité par la seule vertu de ce que l'on serait
tenté d'appeler « l'effet de surprise », découlant de ce placement nécessaire à
l'enquête.
Que peut faire, en effet, un conseil dès la première heure ? Il ne peut
prendre connaissance du dossier. Il ne défend pas un client devant un juge,
client qui ne fait d'ailleurs pas, en cet instant, l'objet de poursuites.
Dès lors, que peut-il faire, sinon conseiller à la ou aux personnes gardées à
vue de ne pas compromettre l'avenir en répondant trop volontiers aux questions
dont elle sera l'objet ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas besoin de le lui dire !
M. Christian Bonnet.
L'efficacité de l'enquête doit être préservée, dans le respect des droits de
la défense, mais tout autant de ceux des victimes, entre lesquels un équilibre
a été trouvé depuis 1993.
(M. Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Je sais que vous souffrez, monsieur Dreyfus-Schmidt. Je souffrirai
peut-être en vous entendant, mais ce sera avec beaucoup de plaisir.
(Sourires.)
L'on ne saurait méconnaître les deux risques majeurs de l'évolution
projetée, et d'abord celui de la démotivation d'enquêteurs blessés par la
suspicion autant qu'entravés dans leur action, d'autant que, dans les pays où
l'immédiateté existe, la loi prévoit de sanctionner sévèrement, hormis les cas
de silence, les obstacles ou les mensonges du suspect comme entraves à
l'enquête, ce que votre projet ne prévoit nullement.
Charles Ceccaldi-Raynaud.
L'avocat est un auxiliaire de la justice !
M. Christian Bonnet.
Le second risque est celui d'un impact négatif sur une opinion publique qui,
de plus en plus inquiète de la montée des violences, accueillerait, sur le
point dont s'agit, le texte nous venant de l'Assemblée nationale comme une
concession particulièrement malvenue aux malfrats de toute espèce, paradoxe
dans un projet qui entend renforcer les droits des victimes !
Troisième question : cette présence de l'avocat dès le premier instant
est-elle seulement possible dans les faits ?
Le moins que l'on puisse dire est qu'il y a doute.
Bien des avocats ont à l'esprit le cas de ceux qui, en province, ou tout
simplement aux abords des grandes villes, se trouvent à des lieues du local où
commence la garde à vue.
Le délai de garde à vue court à partir du moment où la personne ne peut plus
librement aller et venir. Or, certaines investigations sont bien souvent
nécessaires sur-le-champ : des constatations, des examens de caractère
technique, tels des prélèvements de traces de poudre sur une personne.
Devraient-elles alors, au mépris de l'efficacité de l'enquête, être différées,
au risque de se priver des possibilités offertes par le développement de la
police scientifique et technique ?
Comment se résoudra concrètement, sur le terrain, le conflit de priorités
entre la nécessité de procéder à certaines vérifications et celle qui vise à
permettre à l'avocat de s'entretenir avec la personne gardée à vue ?
Comment faire face dans le cas de la garde à vue simultanée de plusieurs
personnes ?
Et que dire du problème d'égalité entre justiciables, les uns paumés -
veuillez excuser ce terme familier - et les autres relevant d'une structure
dotée de réseaux d'assistance et de conseil ?
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
M. Christian Bonnet.
Les premiers n'auront pour tout recours que l'appel à un avocat de permanence
délégué par son barreau, alors que les seconds disposeront de conseils attitrés
à même d'intervenir sur-le-champ.
Ecrire un texte est chose aisée, le voter tout autant, l'appliquer peut se
révéler problématique.
Vous êtes hostile, à juste titre, madame la ministre, au libéralisme à tout va
dans le domaine économique. Permettez à un homme, recru, hélas ! d'expérience,
de l'être tout autant au libéralisme à tout va sur le plan pénal, dans une
société en proie au vandalisme et à une violence grandissante.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Bravo !
M. Christian Bonnet.
Car si, dans le premier cas, il s'agit d'un problème de niveau de vie, c'est
la vie même, et la vie d'innocents, qui, dans le second, peut se trouver en
cause.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hubert Haenel.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s'il est
convenu de rappeler que ce texte tendant à renforcer la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes s'inscrit dans la droite
ligne de l'initiative prise par le Président de la République en décembre 1996
et en janvier 1997, et de certaines propositions contenues dans le rapport de
la commission présidée par Pierre Truche, il ne permet cependant pas
d'atteindre les objectifs visés. Pourquoi ? Parce que, comme toutes les
tentatives, le plus souvent avortées d'ailleurs, et ce sous tous les
gouvernements, qu'ils soient de gauche ou de droite, ce texte maintient en vie
un système obsolète, que d'aucuns ont même qualifié de « moribond ».
Cette énième tentative relève, malgré toutes les bonnes intentions des uns et
des autres, de ce que d'aucuns ont appelé « l'acharnement thérapeutique ».
Toutefois - je le dis d'emblée, monsieur le président de la commission,
monsieur le rapporteur - le texte que nous propose M. Jolibois, même s'il ne
franchit pas complètement le pas, me convient, nous convient, parce qu'il va
nettement plus loin que le texte du Gouvernement, corrigé par l'Assemblée
nationale.
Où voulez-vous en venir, madame la ministre, sans nécessairement le dire ? Et
nous, où voudrions-nous en venir, sans oser le faire ? Du passé, oserons-nous
faire table rase ? Telles me paraissent être les premières questions de fond
que nous devrions nous poser. Encore faudrait-il cependant avoir une vision
d'ensemble de la justice, comme celle qui a conduit aux grandes réformes du
début de la Ve République.
Or cette réforme, même si elle améliore le dispositif existant, comme toutes
les autres, ne procède pas toujours d'un corps de doctrine, d'une vision de la
justice pénale.
Quelle est en effet notre vision, votre vision de la justice pénale ?
Qu'est-ce qu'une infraction ? Quel est le sens d'une peine ? Quels sont les
droits de la société, de la victime, du délinquant ?
Quelle place doit revenir à l'Etat ?
Quelles missions et quelle place pour la justice, la police et la gendarmerie
? Quelles relations doivent s'établir entre elles pour lutter contre toutes les
formes de délinquance moderne ?
Quelle est la nature de l'action publique ?
Qui est légitime pour la conduire et quelles responsabilités sont engagées ?
Quel rôle et quel statut pour le ministère public ? Quel rôle et quelle place
pour l'avocat ?
Autant de questions de fond qui se posent et auxquelles nous répondons
toujours au coup par coup, au gré des événements et de l'opinion dominante des
groupes de pression de toute nature, en fonction du contexte politique du
moment, dont nous aurons dans les heures et les jours qui viennent la parfaite
illustration ici même.
Le contexte politique ? Osons le camper pour mettre en lumière les ambiguïtés
des uns et des autres.
Par exemple, ce texte témoignerait-il, comme l'écrivait dans
Les Echos,
le 8 mars dernier, la secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats,
de « la défiance des politiques à l'égard des juges » et ajouterai-je,
réciproquement ? C'est le refrain dominant dans la magistrature. Il est parfois
fondé.
Par ailleurs, les organisations professionnelles de magistrats sont
majoritairement contre les dispositions proposées, les avocats insatisfaits,
les policiers contre, les gendarmes silencieux mais n'en pensant pas moins, les
politiques ne veulent pas ou n'osent pas bouleverser le système en vigueur de
peur de se retrouver cloués au pilori par une presse aux aguets. Tout cela pour
souligner, madame la ministre, que le chemin que vous avez choisi est semé
d'embûches.
Le principal reproche affiché par de nombreux magistrats, policiers et
gendarmes est - M. Bonnet l'a dit à sa façon - celui-ci : est-il opportun et
responsable, au moment où l'insécurité fait rage, où la corruption à l'échelle
européenne et mondiale mine les démocraties, de « désarmer l'Etat » ? Selon la
plupart de ces professionnels, le présent projet de loi affaiblirait l'ensemble
du dispositif de lutte contre toutes les formes actuelles de délinquance.
Il est vrai qu'à sa lecture on a le sentiment de passer d'une logique de «
sécurité » à une logique mettant sensiblement l'accent sur les droits de la
défense.
Au même moment, à propos d'un autre texte - celui qui est relatif au ministère
public - on s'interroge : qui défendra l'intérêt général et le bien commun ?
Qui aura le pouvoir d'engager les poursuites et au nom de quelle légitimité,
dans le respect de quelle déontologie ? Quelle responsabilité pourra être
engagée et devant qui ?
Il me semble qu'à ce stade des réformes il y aurait lieu, avant de légiférer,
afin de bien fixer les idées et mettre au point un corps de doctrine, de se
poser systématiquement à propos de ceux qui exercent un pouvoir ou
accomplissent une fonction dans le domaine judiciaire, quatre séries de
questions fondamentales : quelle légitimité ? quels règles ou code
déontologique ? quelle responsabilité et devant qui ? qui contrôle qui ?
Ces questions sont déjà présentes, mais le plus souvent de façon brouillonne,
dans le débat public en ce qui concerne la classe politique. Elles doivent
l'être aussi pour d'autres autorités, pouvoirs ou fonctions : pour les
policiers, les gendarmes, pour les avocats, pour les magistrats, qu'ils soient
membres du ministère public, juges du siège, notamment juges d'instruction, des
enfants, juges d'application des peines, membres d'une formation de jugement
correctionnel ou d'une chambre d'accusation.
Il ne doit plus y avoir dans notre pays de sanctuaire ; toute autorité, y
compris judiciaire, doit être réellement responsable.
A ce stade, il conviendrait tout d'abord de clarifier le rôle des uns et des
autres, de tous ceux dont la présence dans l'enquête, l'instruction, le procès,
contribue par leurs pouvoirs, statuts, l'esprit qui les anime, à donner plus ou
moins de consistance au principe de la présomption d'innocence et au respect
des droits fondamentaux, de la société, de la victime et de l'auteur présumé de
l'infraction. Ce que je crains, c'est que la partie au procès la moins bien
représentée et défendue soit bientôt, de plus en plus, la société, l'intérêt
général, le bien commun, l'état de droit.
Ensuite, il y aurait lieu de clarifier et d'organiser les relations entre la
police judiciaire et l'autorité judiciaire, l'avocat, la presse. Certes, ces
relations sont complexes, trop souvent ambiguës, qu'elles soient bilatérales ou
multilatérales, par exemple police judiciaire-presse, presse-avocat,
avocat-magistrats, magistrats-presse Il y a, en effet, beaucoup de
configurations possibles. Ce sociogramme fait l'opinion, qui, elle-même, foule
aux pieds les grands principes que nous voulons défendre. C'est à ce stade que
la personne innocente est broyée.
Tant que nous n'aurons pas tenté de remettre un peu d'ordre, au sens propre et
au sens figuré du terme, dans ces relations, nous n'aurons pas réglé
grand-chose.
Si la peine de mort a été heureusement supprimée, reste une peine plus
insidieuse, tout aussi irréparable, qui meurtrit, blesse, traumatise, qui ne
tue pas mais qui mutile, qui marque pour toujours du sceau du soupçon, tâche
indélébile, celui qui a injustement été arrêté, mis en garde à vue, présenté au
parquet, puis au juge d'instruction, mis en examen, mis en détention
provisoire.
L'aveu reste la reine des preuves.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Hubert Haenel.
Un interrogatoire un peu rude, parfois musclé,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà ! Ecoutez-le !
M. Hubert Haenel.
... qu'il soit le fait d'un policier, d'un gendarme ou d'un juge
d'instruction, une garde à vue puis une mise en examen et un mandat de dépôt
dont la publicité est orchestrée, parfois même distillée, sont autant de moyens
d'obtenir cet aveu qui permet ensuite de « construire » un procès-verbal
d'enquête, un réquisitoire, une ordonnance de renvoi, en toute bonne
conscience.
C'est souvent à ce stade que se forge l'erreur judiciaire. Les présidents
d'assises, les présidents de correctionnelle, le reconnaissent, les avocats
aussi. Un dossier mal ficelé parce que mal instruit, le plus souvent à charge,
rarement à décharge, crée le malaise à l'audience correctionnelle et, à plus
forte raison, devant un jury d'assisses.
Pour remédier à cette situation, il y aurait lieu d'afficher les règles
déontologiques des différents acteurs de l'enquête, de l'instruction ou du
procès, d'organiser, le cas échéant, leur mise en cause devant un organisme au
statut clairement identifié et au fonctionnement insoupçonnable.
Les magistrats relèvent du conseil supérieur de la magistrature, dont les
pouvoirs doivent être renforcés et la compostion laïcisée, les avocats de leur
ordre, le barreau, et du procureur de la République. Un dépoussiérage dans ce
domaine des us et coutumes pourrait utilement être envisagé.
Pour les officiers de police judiciaire, ce n'est pas aussi clair, puisqu'ils
relèvent à la fois de l'autorité hiérarchique administrative, qui peut les
sanctionner indépendamment, et parfois contradictoirement de la position de
l'autorité judiciaire et de celle-ci, qui est chargée de les diriger -
procureurs de la République et juges d'instruction - de les habiliter -
procureurs généraux - et de les contrôler - chambres d'accusation.
Deux mesures me paraissent de nature à remédier à cette situation si l'on ne
veut pas - je crois que c'est un sentiment quasi unanime ici - le rattachement
pur et simple de la police judiciaire au ministère de la justice :...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Hubert Haenel.
... d'une part, créer une inspection générale de la police judiciaire placée
sous l'autorité du ministre de la justice - c'est une recommandation du rapport
de la commission d'enquête que j'ai présidée, dont Jean Arthuis était le
rapporteur et qui a été adoptée à l'unanimité, il y a déjà quelques années de
cela - d'autre part, décider que tant que l'autorité judiciaire ne s'est pas
prononcée définitivement sur une « bavure » commise par un officier de police
judiciaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, il
ne peut être statué définitivement, par le ministère de rattachement -
intérieur ou défense - sur la situation administrative du fonctionnaire ou du
militaire en cause.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
« Définitivement » ?...
M. Hubert Haenel.
Absolument ! Cela reviendrait à poser le principe qu'en ce qui concerne un
mandataire de justice, le judiciaire - le pénal en l'occurrence - tienne le
disciplinaire en l'état.
Les atteintes à la présomption d'innocence tiennent moins au fait du porté à
la connaissance de l'opinion publique par voie de presse que de la présentation
parfois tronquée, orientée, malveillante qui en est faite, notamment par le
biais des enquêtes parallèles effectuées sans aucune garantie déontologique par
certains journalistes. Il ne s'agit pas de les interdire, elles sont parfois
nécessaires. Il s'agit seulement de faire respecter quelques grands principes,
comme celui de la présomption d'innocence, qui nous réunit aujourd'hui.
Pour remédier à cette situation, il me semble que nos réflexions pourraient
partir de deux principes : l'enquête préliminaire, la garde à vue, la
perquisition, relèvent du secret absolu, pour la présentation au parquet, puis
au juge d'instruction ; la levée du secret serait organisée au cours d'un débat
contradictoire devant un juge. C'est ce que d'aucuns appellent des « fenêtres »
d'instruction. Les manquements à ces obligations seraient assortis de santions
sévères pour tous ceux qui violeraient le secret, donc porteraient atteinte à
la présomption d'innocence.
C'est pourquoi aussi, même si cette réforme est imparfaite, l'institution du
juge de la détention, que la commission des lois nous propose de ne pas
dénommer finalement, me paraît une mesure tout à fait intéressante. Elle va
permettre une pose, le temps d'arrêt, de réflexion, la distance et le recul
indispensables, la sérénité nécessaire au discernement dans cet engrenage
infernal, pour gagner, ou ne pas perdre de temps dans la course qui part de
l'arrestation et conduit à la détention en passant par l'interpellation, la
perquisition, la garde à vue et ses contrôles : deux fois une demi-heure,
présentation au procureur de la République, au juge d'instruction,
notamment.
Toutefois, madame la ministre, mes chers collègues, il y a, dans le partage du
secret et, parfois même, sa violation, un personnage qui ne figure nulle part
dans la procédure pénale, mais qui est pourtant omniprésent dans l'enquête
policière - on l'a vu encore dernièrement - et même l'instruction : c'est le
ministre de l'intérieur et son cabinet.
Cette présence, la presse s'en fait l'écho tous les jours, nous l'admettons.
Ne nous étonnons pas alors si certaines affaires sont gérées politiquement - ce
n'est pas d'aujourd'hui - non plus depuis le ministère de la justice, mais
depuis le ministère de l'intérieur.
Ainsi, le dénouement tout aussi inattendu qu'étrange de l'assassinat du préfet
Erignac est la parfaite illustration de l'ambiguïté des relations entre la
police judiciaire, son ministre de tutelle administrative, l'intérieur, et son
autorité d'emploi, la justice.
Ce problème récurrent est au coeur de la question du secret de l'enquête et de
l'instruction, donc de la présomption d'innocence.
Le champagne sablé au ministère de l'intérieur aurait dû être, pour le
ministère de la justice, en tout cas pour les magistrats insulaires ou
parisiens, une provocation, voire une gifle.
La question fondamentale qui se pose, et que je pose régulièrement depuis que
je suis sénateur est la suivante : le ministre de l'intérieur et son cabinet
ont-ils accès aux procès-verbaux d'enquête judiciaire diligentée sur ordre du
procureur de la République ou sur commission rogatoire d'un juge d'instruction,
couverts par le secret absolu garanti par le code de procédure pénale ? Si oui,
sur quelle base législative ou réglementaire ont-ils connaissance de
procès-verbaux, de procédures judiciaires ?
Je voudrais, madame la ministre, qu'une fois pour toutes vous disiez au Sénat
quel texte autorise le ministère de l'intérieur à entrer dans le secret d'une
enquête ou d'une instruction. Quel texte l'autorise à gérer une enquête ou une
instruction et à dévoiler et commenter les résultats de celle-ci ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Le pouvoir hiérarchique !
M. Hubert Haenel.
C'est à démontrer, cher maître !
Après tout, on pourrait imaginer que le ministre de l'intérieur ait un droit
de regard, comme l'a avoué récemment et publiquement l'ancien ministre de
l'intérieur M. Philippe Marchand. Mais qu'au moins ce soit clair, visible,
lisible et contrôlé.
Ce type de pratique relève du même esprit que ce qui se faisait avant la
réglementation et le contrôle des écoutes téléphoniques et du secret
défense.
J'ajoute, comme preuve de ces pratiques, que tous les anciens ministres de la
justice, auditionnés après avoir prêté serment devant la commission de contrôle
sur le fonctionnement de la justice, ont déclaré qu'ils apprenaient par un coup
de fil de leur collègue de l'intérieur, sur le réseau interministériel, les
résultats d'une enquête de police judiciaire ou d'une commission rogatoire...
bien avant qu'ils n'en soient eux-mêmes informés par la voie normale, celle des
procureurs et des procureurs généraux.
Le Premier ministre, M. Jospin, dit et répète : « La justice est devenue
indépendante. » Le ministère de la justice s'interdit, et je vous crois,
d'intervenir dans les affaires, d'avoir un droit de regard sur les
investigations menées par les mandataires de justice que sont les officiers de
police judiciaire, ce que je considère d'ailleurs comme parfaitement légitime
si la mise en oeuvre de ce droit de regard est transparente et contrôlée.
Qu'il en soit ainsi, en ce qui vous concerne, madame la ministre, je n'en
doute pas ; mais il n'en est pas de même en ce qui concerne le ministère de
l'intérieur, qui prend votre relais sous le manteau du secret de ses
interventions. Cette réforme et celle du ministère public seraient donc
l'apparence, l'affichage, mais la réalité serait tout autre.
Soucieux que le Parlement soit informé sur la portée de telles pratiques, j'ai
récemment posé une question écrite dont la réponse est parue au
Journal
officiel ; je la tiens à votre disposition.
J'ai demandé au ministre de l'intérieur si les pratiques dénoncées par l'un de
ses prédécesseurs, M. Marchand, étaient toujours en vigueur dans son ministère.
Il m'a été répondu de façon lapidaire, et je dois ajouter, inconvenante, par
les phrases suivantes, qualifiées par les hauts magistrats auxquels j'ai
communiqué la réponse et par certains préfets de « monument d'hypocrisie » : «
L'article 11 du code de procédure pénale fixe le principe du secret de
l'instruction judiciaire. Ce secret s'applique à la phase de l'instruction
préparatoire et aux enquêtes qui la précèdent. A ce titre, seules ont à en
connaître les personnes qui concourent à cette procédure, à savoir le parquet,
le juge d'instruction et l'avocat de la défense. » Point. Y a rien à voir,
passez votre chemin !
Après tout, si le ministère de la justice, donc l'Etat, le pouvoir politique
légitime et responsable devant le peuple souverain est de plus en plus absent
de la mise en oeuvre et du contrôle de l'action publique, je conçois que, sur
beaucoup de bancs de l'Assemblée nationale et du Sénat, à gauche, à droite et
au centre, on trouve que si le ministère de l'intérieur occupe la place laissée
vide par celui de la justice, c'est finalement aussi bien et peut-être
mieux.
Le ministère de l'intérieur, aux yeux de beaucoup, est plus sûr que celui de
la justice. On me le dit tous les jours quand j'essaie parfois de plaider pour
la justice.
Il me semble donc, madame la ministre, qu'un grand texte sur la police
judiciaire s'impose pour qu'on y voie clair, pour qu'on en finisse avec ces
ambiguïtés et ces non-dits.
Si nous creusons un peu le sujet, nous voyons que les difficultés et les
problèmes sont d'ampleur. Ce texte contribuera certes à renforcer la
présomption d'innocence et les droits des victimes. Mais les réponses qu'il
apporte ne sont pas toujours à la hauteur des questions posées, tout simplement
parce que nous ne rompons pas avec une logique surannée et avec les us et les
coutumes qui se sont greffés sur elle. J'y reviendrai lors de la discussion des
amendements que j'ai déposés. Certains visent d'abord à obtenir une réponse
publique et officielle sur certaines questions. Ils visent également à fournir
l'occasion à la commission des lois de nous indiquer le chemin sur lequel on
peut s'engager ou pas.
Je dirai tout d'abord quelques mots sur la garde à vue.
La garde à vue est au coeur du problème de la présomption d'innocence,
puisqu'elle précède souvent la mise en examen et parfois la détention
provisoire. Ce n'est pas une mesure exceptionnelle, mes chers collègues,
puisqu'on a dénombré 382 228 mesures de garde à vue.
La décision de mise en garde à vue est un pouvoir propre de l'officier de
police judiciaire.
Après l'officier de police judiciaire, policier ou gendarme, le second
personnage de la garde à vue, qui est censé la contrôler, c'est le procureur de
la République. Je reviendrai sur ce sujet au cours de l'examen des
amendements.
Vous avez considéré, en réponse à des questions écrites, comme une mission
essentielle pour les magistrats de contrôler la garde à vue. Ils s'en
acquittent avec conscience. Mais beaucoup vous diront qu'ils n'ont ni les
moyens ni le temps. Je reviendrai sur ce point.
Le troisième personnage de la garde à vue, c'est l'avocat. Il interviendra
désormais dès la première heure. Je proposerai pour ma part qu'il s'agisse d'un
avocat de garde, ou de service, désigné selon un tour fixé par le bâtonnier.
Ainsi, si mon amendement est adopté, les truands mis en examen ne pourront plus
consulter leur petit carton sur eux pour avertir tel avocat de leur
connaissance et mettre l'enquête à bas. Cet avocat désigné durant la garde à
vue ne pourra en aucun cas devenir, dans le procès qui suivra, conseil de la
personne qu'il aura assistée.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Une telle mesure contribuerait à écarter des doutes, à mettre fin à
l'ambiguïté qui pèse sur la nature de la présence de l'avocat durant la garde à
vue.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est contraire à leur statut !
M. Hubert Haenel.
Je n'évoque l'instruction que pour dire que le moment est venu que la décision
de mise en examen soit prise par ordonnance motivée et susceptible d'appel. En
effet, avec la mise en examen, le diable est lâché et, dès lors, malgré tout ce
que l'on peut dire, on ne peut plus rien maîtriser, contrôler.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons
passer de longues heures à discuter sur ce texte, qui a au moins le mérite de
poser, même s'il ne les règle pas toutes, quelques bonnes questions.
Certains amendements vous fourniront l'occasion, du moins je l'espère, madame
la ministre, de vous positionner sur des sujets de fond.
Pour ce qui nous concerne, le texte de la commission des lois nous convient
globalement, et je souligne, une fois encore, l'excellent travail de notre
collègue M. Jolibois et de la commission des lois.
La balle est maintenant dans votre camp, madame la ministre.
Un texte de cette nature et de cette importance ne peut être calé, figé une
fois pour toutes par l'examen en conseil des ministres et par les quelques
amendements octroyés à la majorité de l'Assemblée nationale.
Votre attitude à l'égard des amendements de la commission des lois illustrera
votre ouverture et votre réalisme.
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le
présent projet de loi, qui vise à renforcer la présomption d'innocence et les
droits des victimes, constitue un volet important de la réforme gouvernementale
de la justice, un volet qui nous engage sur la voie d'une justice plus
respectueuse des libertés individuelles. Il s'agit d'une étape nécessaire, bien
que difficile à franchir dans les faits.
Concilier les droits de la personne, la nécessaire répression et les droits
des victimes, tout en respectant le principe de la présomption d'innocence,
n'est en effet pas chose aisée.
Vous vous y attelez avec les mesures que vous nous proposez aujourd'hui,
madame la garde des sceaux, et nous les soutiendrons.
Le texte marque incontestablement des avancées pour la défense, en matière de
détention provisoire et de présomption d'innocence, ainsi que pour les
victimes.
Toutefois, on peut regretter que la réforme de la justice se fasse de façon
fragmentée. Il aurait été préférable de procéder à une refonte de l'ensemble de
notre procédure pénale, permettant au législateur et au justiciable d'avoir une
vision globale des modifications de notre législation, en la matière.
Il faut en effet admettre que les réformes successives de notre procédure
pénale - et nous en avons compté une par an sur dix ans - n'ont pas contribué à
éclairer les lanternes de qui que ce soit ni à regagner la confiance des
citoyens dans leur justice.
C'est ainsi par exemple qu'aujourd'hui, et c'est très révélateur, on nous
propose de voter de nouveau des dispositions contenues dans la loi du 4 janvier
1993 et abrogées cette même année 1993 par la loi du 24 août, sous une autre
majorité, d'ailleurs davantage animée par un esprit de revanche politique que
par le souci d'améliorer notre procédure pénale.
La loi du 24 août 1993 avait supprimé le peu d'avancées que contenait la loi
de janvier 1993. Or, quelques années plus tard, il est intéressant de noter le
changement d'attitude de la droite en la matière : au vu des débats à
l'Assemblée nationale, elle est aujourd'hui plus laxiste que la gauche.
Aujourd'hui même, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous
proposez par amendements des mesures, dont certaines nous agréent, et que vous
condamniez hier, lorsque vous étiez au Gouvernement.
Pour notre part, nous estimons qu'il faut saisir l'occasion qui nous est
donnée pour enfin modifier en conséquence notre code de procédure pénale, en
évitant l'écueil du simple « dépoussiérage ».
Cela pose toutefois avec force la question des moyens, sans lesquels tout
changement reste impossible.
Garantir le respect total des libertés individuelles et la présomption
d'innocence nécessite une réforme du régime de la garde à vue et de la
détention provisoire.
Bien qu'entourée légalement, la garde à vue est, par essence, une mesure
attentatoire, tant à la liberté fondamentale d'aller et de venir, qu'à la
présomption d'innocence.
Aussi considérons-nous les dispositions du texte tel qu'il a été amendé par
l'Assemblée nationale comme constituant un changement positif par rapport à la
législation en vigueur.
Dans notre procédure pénale, l'intervention de l'avocat dès le début de la
garde à vue va enfin devenir une réalité.
Il s'agit d'une avancée réelle que nous demandons depuis de longues années et
qui, malgré son intégration dans la loi du 4 janvier 1993, a finalement été
supprimée avant même son entrée en vigueur, sous le gouvernement Balladur, on
se le rappelle.
Il ne subsistait dès lors de cette loi que l'intervention de l'avocat à partir
de la vingtième heure qui, comme chacun le sait, n'est pas une avancée
spectaculaire, puisque les gardes à vue se terminent en général avant cette
vingtième heure.
Aujourd'hui, il est enfin temps de considérer la présence de l'avocat dès le
début de la garde à vue - sous la forme d'un entretien préalable et
confidentiel sur les droits dont bénéficie la personne retenue - comme une
garantie primordiale et comme la mise en conformité de la France avec ses
partenaires européens en matière de garantie des droits des citoyens face à la
police.
De plus, si la garde à vue fait l'objet d'une prolongation, la personne
retenue peut demander à s'entretenir avec un avocat à l'issue de la douzième
heure de cette prolongation dans les mêmes conditions de confidentialité, ce
que nous approuvons pleinement.
L'Assemblée nationale a introduit dans cette partie du texte divers articles
qui nous agréent.
La détention provisoire est un autre instrument de notre procédure pénale en
totale contradiction avec les libertés individuelles et le principe de la
présomption d'innocence.
Aussi le projet de loi s'attache-t-il à encadrer plus spécialement la
détention provisoire pour la rendre plus exceptionnelle, notamment en
instituant un juge de la détention et en limitant les conditions et la durée de
la détention provisoire.
Il s'agit ici non pas d'une réforme d'ensemble de la détention provisoire,
mais d'un renforcement des garanties entourant cette procédure.
Actuellement, force est de constater que la concentration des pouvoirs dans
les mains du juge d'instruction - accusation, enquête, jugement - permet à ce
dernier d'orienter les poursuites comme il le souhaite et de peser ainsi sur
l'issue du procès de façon disproportionnée.
Cette situation entraîne une confusion des rôles et elle est en porte-à-faux
par rapport au principe de la séparation des fonctions d'investigation.
Il était temps de s'attaquer à la question de la détention provisoire dont,
depuis un siècle, chacun dénonce, toutes tendances confondues, les excès et les
conséquences désastreuses sur les individus.
L'article 10 du projet de loi créé donc un juge de la détention provisoire,
distinct du juge d'instruction.
Cette mesure n'est pas sans nous poser quelques problèmes.
Tout comme le juge d'instruction, le juge de la détention reste un « juge
unique » qui prendra sa décision seul, sans pour autant connaître le dossier de
l'intéressé aussi bien que le juge instructeur.
Dès lors, quel est l'intérêt d'une telle modification ? Quel est le but
recherché ?
Méfions-nous que cette démarche ne soit pas comprise comme une récusation du
juge d'instruction qui, ces dernières années, a mis en examen certaines
personnes du monde politique. C'est la défiance des Français à l'égard de la
justice et du politique qui risquerait de s'accentuer.
Il ne faudrait pas que le projet de loi avec, d'un côté, la diminution des
pouvoirs du juge qui instruit et, de l'autre, une presse sous « liberté
surveillée », ne soit perçu dans l'opinion publique comme un instrument servant
à étouffer les délits en col blanc.
Nous sommes, quant à nous, opposés par principe au juge unique, de quelque
matière que ce soit, notamment en matière pénale.
Nous prônons de longue date, comme vous le savez, la formation collégiale pour
ordonner ou prolonger la mise en détention provisoire d'une personne, pour
examiner les demandes de mise en liberté, pour ordonner un contrôle
judiciaire.
Une telle réforme impliquerait évidemment des moyens qui ne sont pour le
moment pas mobilisés.
Le Gouvernement le sait. Soucieux de mettre en place une réforme réaliste et
applicable, il ne souhaite pas aller vers la collégialité. C'est
regrettable.
Si le projet de loi limite les conditions de recours à la détention provisoire
et sa durée, en revanche, s'agissant des seuils, il reste timoré.
Aujourd'hui, pourtant, il est plus que jamais indispensable de réduire dans
nos prisons le nombre de détentions provisoires. Nous tenons en ce domaine un
triste record au plan européen, difficile à assumer pour la France, pays des
droits de l'homme.
Certes, les seuils ne sont pas les seules raisons du nombre trop élevé de
prévenus. Il faut noter également l'engorgement chronique de la justice et des
cabinets des juges d'instruction.
S'agissant du statut de « témoin assisté », créé par la loi du 24 août 1993,
il permet à l'intéressé d'être entendu par le juge, en présence de son avocat,
et d'avoir accès au dossier.
Actuellement limitée aux personnes visées nommément dans une plainte avec
constitution de partie civile ou dans un réquisitoire du parquet, cette
possibilité est, avec le présent texte, étendue aux personnes mises en cause
par des témoins ou par une victime qui ne s'est pas constituée partie
civile.
Le but, certes louable, ainsi recherché est de limiter le nombre de mises en
examen, qui sont perçues par l'opinion publique comme une précondamnation
portant atteinte, par définition, à la présomption d'innocence.
Mais la mise en examen, se faisant plus rare, ne risque-t-elle pas d'être
considérée comme un degré supplémentaire de culpabilité, ce qui irait dans le
sens opposé au but recherché quant au renforcement de la présomption
d'innocence ?
Ce serait d'autant plus vrai si l'on acceptait, comme le propose la commission
des lois, d'élargir encore le champ d'application du statut de témoin
assisté.
J'en viens à présent à la difficile conciliation de la présomption d'innocence
avec la liberté d'expression, d'information.
Nous nous trouvons en présence de deux principes de valeur constitutionnelle,
contraires dans leur conception et dans leurs conséquences. Combiner ces deux
libertés n'est pas chose aisée.
Pourtant, l'individu mis en examen qui prétend être victime d'une atteinte à
la présomption d'innocence n'est pas sans moyen de défense puisqu'il est
protégé par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, et
par le code civil.
Si l'on peut se défendre légalement contre l'atteinte à la présomption
d'innocence et obtenir réparation du dommage causé, en revanche, comment
pourrait-on lutter contre l'opacité et la non-information lorsque la liberté
d'expression, de communication et d'information aura été en droit et en fait
anéantie ?
Que resterait-il de la démocratie si la liberté d'expression était supprimée
au profit de la seule présomption d'innocence ou si elle était considérée comme
de valeur moindre ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Robert Bret.
Il ne saurait être question, à notre avis, au nom de la présomption
d'innocence, de rogner sur la liberté d'expression, car, sans celle-ci,
certains événements ne seraient pas sortis au grand jour et le public n'en
aurait rien su, ce qui, dans une démocratie, pose problème.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vrai !
M. Robert Bret.
Or, depuis vingt-cinq ans, le champ des restrictions apportées à la liberté de
la presse s'est élargi.
Aujourd'hui encore, comme l'a rappelé M. de Broissia, le présent texte ôte des
dispositions de la loi du 29 juillet 1981 pour les intégrer dans le code pénal
: cela aboutit à soumettre les journalistes au régime de droit commun, au même
titre que des délinquants ordinaires.
Pour renforcer la présomption d'innocence, d'autres solutions peuvent être
recherchées, notamment en direction d'un renforcement du droit de réponse.
Par ailleurs, l'innocence établie mérite autant de place que la « culpabilité
présumée ». Il faut en conséquence accorder plus de place dans la presse au
non-lieu, à la relaxe, à l'aquittement, pour faire connaître ces décisions.
En conclusion - j'ai en effet déjà dépassé mon temps de parole - nous sommes
favorables à l'ensemble des dispositions contenues dans le projet de loi, dont
une partie provient d'ailleurs d'amendements des groupes de la majorité
plurielle adoptés à l'Assemblée nationale.
Lors de la discussion des articles, nous ferons pour notre part des
propositions d'amendements pour contribuer à améliorer encore le texte.
Mais, compte tenu de la diversité des amendements déposés, dont certains nous
paraissent non seulement hors sujet mais surtout dangereux pour la démocratie
et les libertés, nous attendrons la fin des débats pour nous prononcer sur
l'ensemble du texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quel beau et ambitieux projet de loi vous nous proposez, madame la garde des
sceaux !
Il tend à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits
des victimes. Pour ce faire, il contient des modifications importantes ou des
innovations en ce qui concerne la garde à vue, la procédure d'instruction - mis
en examen, témoin assisté, témoin - les droits des parties au cours de
l'audience de jugement, la détention provisoire, ses conditions, sa durée ou
son indemnisation, le droit à être jugé dans un délai raisonnable, la
communication, les relations de la presse, tant avec les présumés innocents
qu'avec les victimes, les associations auxiliaires de la justice,
l'indemnisation des victimes d'infraction...
Oui, c'est un grand chantier que le Gouvernement a ainsi ouvert au
Parlement.
Tellement grand, en vérité, que j'ai quelques doutes sur la possibilité
d'enfermer le débat dans le délai prévu
a priori par la conférence des
présidents du Sénat.
Il nous faut examiner chacun des quarante articles que comporte le projet de
loi après son passage à l'Assemblée nationale et, bien sûr - c'est là le rôle
du bicamérisme - proposer toutes les améliorations possibles. Et nous devons
dire qu'il nous apparaît qu'il y en a beaucoup... Sur la forme comme sur le
fond, que j'aurai dû, hélas ! me répéter - il vaut mieux se répéter que se
contredire - pendant une vie parlementaire déjà longue.
Nul plus que moi n'est convaincu que le régime parlementaire est le moins
mauvais de tous.
Nul n'est plus convaincu non plus de la nécessité de changer enfin les
conditions, qui sont mauvaises, du travail parlementaire.
Je continue et continuerai, je pense, jusqu'à ma mort, à, comme disait Martin
Luther King, « faire un rêve ».
Je rêve que les commissions se voient laisser le temps de procéder à toutes
auditions utiles et d'examiner de manière approfondie non seulement les projets
de loi, mais aussi les amendements extérieurs ; cela ne pourrait que faire
gagner du temps en séance publique !
Je rêve qu'aucun projet de loi ne puisse être inscrit à l'ordre du jour -
sauf, bien entendu, mauvaise volonté, difficile à concevoir, de l'une des
assemblées, par exemple du Sénat - sans que le rapport correspondant ne soit
mis en distribution quinze jours, sinon un mois avant, et non la veille ou le
jour même - contînt-il 390 pages ! - de manière que chaque sénatrice et chaque
sénateur puisse en prendre connaissance et assister en connaissance de cause au
débat...
Je rêve que, dans l'assemblée saisie en second, les mêmes rapports se
contentent d'être complémentaires à celui de l'assemblée saisie en premier, ce
qui, à coup sûr, en réduirait l'épaisseur...
Bien sûr, mon rêve porte aussi sur la mise en place hardie d'une procédure
pénale accusatoire, dans laquelle le juge d'instruction disparaîtrait et le
juge tiendrait la balance égale entre la défense et un ministère public
rejoignant le parquet, dont l'a seule éloigné une erreur du menuisier, laquelle
serait enfin réparée...
Je sais bien, madame le garde des sceaux, qu'en ce qui vous concerne vous
n'êtes pas d'accord avec les conclusions de la commission Delmas-Marty, qui
paraissent pourtant à beaucoup d'entre nous ce qui a été fait de mieux, de plus
approfondi, de plus sérieux et de plus prometteur en la matière. Il faudra bien
que nous ayons ensemble à ce sujet une discussion approfondie et qu'elle soit
tranchée.
Je rêve aussi - lorsque j'ai préparé cette intervention, je n'avais évidemment
pu lire le rapport de la commission - d'une remise en chantier complète et
systématique du code de procédure pénale, comme le Parlement a su le faire, sur
l'initiative de Robert Badinter, pour le vieux code pénal.
Dans son rapport écrit, M. le rapporteur affirme que la commission des lois
est disponible pour engager ce travail et y consacrer le temps qu'il faudra
pour redonner à la procédure pénale la cohérence nécessaire à son
fonctionnement. Je ne sais pas ce que la commission a attendu jusqu'à présent
pour le faire, mais je lui en donne acte, et nous suivrons ses initiatives avec
intérêt.
Mais, pour l'instant, cessons de rêver.
Dans cette discussion générale, il me revient de dégager des principes et d'en
tirer quelques conséquences à propos : de la garde à vue et de la détention
provisoire ; du point de savoir si le secret de l'instruction doit ou non
toujours être recherché, et dans quelle mesure ; du rôle du juge d'instruction,
après que le nouveau juge de la détention sera entré en fonction, et peu
importe son nom - qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ! - ; des
dispositions relatives à la presse ; enfin, des droits des victimes.
Garde à vue, détention provisoire, secret de l'instruction ou non, ces
matières sont évidemment dominées par les deux principes constitutionnels,
reconnus par les pactes internationaux, que sont la présomption d'innocence et
les droits de la défense.
Beaucoup interprètent mal la présomption d'innocence telle qu'elle a été
évoquée par l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen
de 1789.
Avec cet article, et sur la proposition d'Adrien Duport, a été coulée dans le
bronze la philosophie pénale de Beccaria.
J'en cite les termes : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il
ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute
rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être
sévèrement reprimée par la loi. »
Cela ne condamne évidemment pas toute arrestation de quelqu'un qui n'est pas
encore jugé.
Cela signifie seulement, mais sûrement, premièrement, qu'un homme qui n'a pas
encore été jugé ne peut être arrêté que lorsque cela est « indispensable » ;
deuxièmement, que, lorsque cela est indispensable, la seule rigueur tolérable
est celle qui est « nécessaire pour s'assurer » de « la personne ».
La loi doit donc déterminer avec précision les cas où une détention provisoire
- et la garde à vue n'est rien d'autre - est « indispensable ».
La gravité de l'infraction reprochée - mais pas forcément commise - doit-elle
être prise en compte ? La notion de « trouble à l'ordre public », notion
imprécise s'il en est, ne doit-elle pas, comme nous le pensons, être bannie
comme elle l'est dans la plupart des législations étrangères ?
Je n'ai le temps que d'évoquer ces questions primordiales, renvoyant donc à la
discussion des articles l'exposé plus approfondi de nos convictions.
La détention provisoire, au sens large du terme, ne pouvant intervenir que
lorsqu'elle est « indispensable », doit donc durer le moins possible. Aussi
l'instruction doit-elle aussi, tout en étant complète, être rapide, ce qui pose
bien sûr la question des moyens de la justice, du nombre des magistrats et de
la conscience qui doit être la leur de leur responsabilité.
Du fait des conditions matérielles de la garde à vue comme de l'incarcération,
force est de constater qu'il existe en la matière une « rigueur » qui n'est
aucunement « nécessaire pour s'assurer de » la « personne ».
Ces conditions doivent donc être, autant qu'il est possible, améliorées.
En attendant, elles constituent une raison de plus pour que la détention
provisoire soit, lorsqu'elle est indispensable, écourtée au maximum. La moindre
des choses est que celui dont il ne sera finalement pas démontré qu'il était
coupable et qui n'en aura pas moins fait de la détention provisoire et subi un
préjudice voire la collectivité réparer ce préjudice, le réparer intégralement,
ce à quoi tend, à juste titre, votre projet, madame la ministre, tel qu'il nous
vient de l'Assemblée nationale.
Enfin, et afin de préserver la présomption d'innocence de beaucoup, et
particulièrement de beaucoup d'élus locaux, il importe que la loi reconnaisse
qu'elle est si nombreuse - lois proprement dites, décrets, arrêtés, circulaires
- qu'un honnête homme est en droit d'en ignorer certaines dispositions.
Il est temps aussi, surtout maintenant que figure dans le code pénal le délit
de mise en danger délibérée d'autrui, qu'en disparaissent les délits
involontaires, si contraires aux principes proclamés dans le code pénal
lui-même : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le
commettre. »
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tout à fait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En ce qui concerne plus particulièrement la garde à vue, elle n'était rien
d'autre à l'origine que le temps nécessaire aux gendarmes et aux policiers,
dans le respect de l'
habeas corpus, pour conduire la personne arrêtée
devant un juge.
La réduction des temps de transport aurait dû entraîner celle de la garde à
vue. C'est le contraire qui s'est produit, parce qu'elle est devenue le moyen
d'interroger les suspects sans la présence de ce gêneur, entre-temps introduit
dans le cabinet du juge d'instruction, et qui s'appelle l'avocat.
L'actualité de tous les jours et la jurisprudence apportent trop d'accusations
ou de preuves de « bavures » pour qu'il ne soit pas temps de mettre un terme
aussi bien aux accusations qu'aux bavures elles-mêmes, en permettant au moins
la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, avec possibilité d'un
entretien entre la personne et l'avocat au moment choisi par eux.
Depuis finalement peu de temps, la durée de la garde à vue a été prolongée et
le moment de la possibilité d'un entretien avec un avocat retardé, dans de plus
en plus de cas, au motif que... « l'affaire est grave. »
Or, premièrement, il s'agit là d'un renforcement d'une « rigueur » qui n'est
nullement « nécessaire pour s'assurer de » la « personne » ; deuxièmement,
beaucoup oublient hélas ! que les personnes gardées à vue peuvent être
innocentes et que plus l'affaire est grave plus les droits de la défense
doivent être préservés !
J'en arrive à mes réflexions sur l'irritant et difficile problème que posent,
d'une part, le principe du secret de l'enquête et de l'instruction et, d'autre
part, le fait qu'il n'est quasiment plus respecté sans que ceux qui le violent
puissent être sanctionnés.
A l'évidence, le fondement de ce secret de l'enquête et de l'instruction est
non seulement qu'elles puissent se dérouler sereinement et efficacement mais
aussi de protéger la présomption d'innocence de celui qui en fait l'objet.
Malheureusement, le même secret permet aussi que des enquêtes ou des
instructions soient menées sans fin ou pas menées du tout, ce qui dans les deux
cas aboutit à l'étouffement de l'affaire.
Cela se produit, certes, dans des cas rares mais qui frappent d'autant plus
l'opinion que ce sont en général non des « misérables » mais des « puissants »
qui bénéficient de cette déviation. La solution ? Une solution possible - il
convient d'être modeste - consisterait peut-être à maintenir, en l'assurant, le
secret sous les quatre réserves suivantes.
Première réserve : plus de secret, dans tous les cas, au-delà d'un certain
délai.
Deuxième réserve : pas de secret en cas de crimes ou délits flagrants.
Peut-être également une différence pourrait-elle être faite selon qu'il
n'existe que des indices et qu'est utilisée la procédure, à juste titre
généralisée par le projet, du témoin assisté, auquel cas le secret serait de
rigueur, ou qu'il existe des indices graves et concordants, auquel cas le
secret serait levé.
C'est dans cet esprit que, en 1993, le 2 juin pour être précis - il y a donc
six ans - nous avions, par voie d'amendement, proposé une distinction entre «
mise en examen » et « mise en cause ». La « mise en examen » que nous
proposions alors n'exigeait que des indices. C'est aussi l'époque où nous
affirmions, sans être entendus, qu'il ne faudrait pas deux jours pour qu'à
juste titre, dans l'opinion, la nouvelle « mise en examen » ait tous les
inconvénients alors dénoncés de « l'inculpation », le seul changement de nom ne
trompant personne.
Troisième réserve : il pourrait également ne pas ou ne plus y avoir de secret
de l'instruction si la personne faisant l'objet de l'enquête ou de
l'instruction en déliait spontanément et librement ceux qui y sont
astreints.
Enfin, quatrième réserve : le secret est d'ores et déjà levé pour ce qui se
dit lors des débats contradictoires et publics, tant devant le juge de la
détention provisoire - la « fenêtre » est créée par le projet - que devant la
chambre d'accusation - la « fenêtre » est agrandie par le projet.
En revanche, il ne nous semble pas qu'il soit judicieux d'autoriser le
procureur de la République, non seulement à faire des communiqués, mais
également à tenir des conférences de presse : le droit, si l'on peut dire, lui
était reconnu pour les premiers par une circulaire de 1958 - confirmée
d'ailleurs implicitement mais nécessairement par une autre de 1985, je dois le
reconnaîre - dont nous avons toujours dit qu'elle était illégale parce que
précisément contraire à l'article 11 et au secret de l'enquête et de
l'instruction, circulaire qui, en revanche, interdisait formellement les
conférences de presse.
Ce n'est pas judicieux parce que le procureur de la République n'est pas
neutre ; il est un accusateur. S'il est besoin d'un communiqué, mieux vaudrait
que l'une des parties, y compris le procureur de la République, puisse demander
de le faire à un magistrat, par exemple au juge pour l'instant appelé « de la
détention ».
Il n'a par ailleurs échappé à personne que certains procureurs - entre autres
magistrats - rares, bien sûr, mais qui existent, ont une tendance à succomber à
une médiatisation contraire à leur devoir de réserve ; cette faiblesse ne doit
pas être encouragée.
MM. Emmanuel Hamel et Jean Chérioux.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En outre - j'en arrive au rôle du juge d'instruction - alors qu'est mis en
place un juge de la détention, il est évidemment nécessaire de laisser au
premier, pour seule tâche, d'instruire à charge et à décharge.
De même que ce serait maintenant le juge de la détention qui statuerait en
matière de détention provisoire, de même c'est, à notre avis, à ce dernier et
non plus au juge d'instruction à placer une personne mise en examen sous
contrôle judiciaire.
Il devrait en être de même, nous semble-t-il, de la révocation éventuelle du
contrôle judiciaire sous réserve, sauf à faire du non-respect du contrôle
judiciaire un délit
sui generis, d'une part, que celui dont on révoque
le contrôle judiciaire ne puisse se retrouver en prison si la peine qu'il
encourt ne permet pas en elle-même de recourir à la détention provisoire,
d'autre part, que, dans le cas contraire, la durée de la détention provisoire
qu'il effectuera au total ne dépasse pas la durée maximale prévue en fonction
de la peine qu'il encourt.
De même, il n'appartient pas au juge d'instruction de prononcer lui-même des
amendes à l'encontre des témoins qui, délibérément, ne comparaîtraient pas ou
refuseraient de comparaître devant lui.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas son rôle, c'est celui du seul tribunal.
C'est pourquoi nous proposons de lui donner compétence en la matière.
Je formulerai maintenant quelques réflexions sur les dispositions du présent
texte relatives à la presse.
Quelques interdictions qui figurent dans la loi du 29 juillet 1881 sur la
liberté de la presse et quelques nouvelles - les unes et les autres souvent
destinées à protéger les victimes - seraient transférées dans le code pénal.
Nous pensons qu'en l'état actuel des choses ce n'est pas souhaitable, et nous
partageons, sur ce point précis, l'avis de la commission des affaires
culturelles à laquelle nous appartenons.
Tant que la totalité des pénalités ne figurent pas dans le seul code pénal -
ce qui est, bien entendu, l'idéal auquel nous devons tendre - il y a lieu de
garder sa cohésion à la loi sur la liberté de la presse et d'y inclure toutes
les infractions existant en la matière non pas parce que nous tenons pour des
raisons subjectives ou professionnelles, comme l'a déclaré tout à l'heure M. le
rapporteur, à un
corpus, mais simplement parce que, dans la mesure où
toutes les pénalités figurent jusqu'à présent dans la loi de 1881, il ne serait
pas de bonne règle d'en insérer certaines qui sont toujours régies par cette
loi dans le code pénal.
En revanche, - et je m'adresse à M. de Broissia, qui a oublié l'une des
décisions de la commission des affaires culturelles - lorsque le délit est non
pas un délit de presse mais un délit général - par exemple la réalisation de
certains sondages, la peine doit figurer non pas dans la loi de 1881 mais - et
c'est la teneur de l'amendement que nous continuons à attendre, comme la
commission l'a décidé - dans le code pénal.
A défaut de transférer les infractions sur la presse dans la loi relative à la
liberté de la presse, il conviendrait au moins d'inscrire dans cette dernière
une référence aux nouveaux articles du code pénal.
Plus fondamentalement, le délai de prescription de trois mois, spécial aux
infractions de presse, doit maintenant, à défaut de rejoindre immédiatement le
droit commun, être allongé.
Non seulement ce délai constitue, parmi d'autres, une « chausse-trappe », qui
empêche des victimes d'obtenir réparation - n'oublions pas que cette loi porte
sur les « droits des victimes » - mais, en plus, il ne tient pas compte du
rythme de la vie moderne et de notre justice.
Nous proposerons que, dans un premier temps, le délai de prescription en
matière de presse soit porté à un an.
Qu'il me soit permis de rappeler que c'est le délai au terme duquel une simple
contravention se trouve prescrite.
Enfin - et sur ce point, madame le garde des sceaux, nous ne comprenons pas
votre attitude ! -, nous continuerons à demander, comme nous le faisons depuis
des années, que l'article 9-1 du code civil, - qui permet d'obtenir en référé
insertion d'une rectification ou diffusion d'un communiqué aux fins de faire
cesser l'atteinte à la présomption d'innocence, ouvre cette possibilité à toute
personne, et pas seulement, comme aujourd'hui, à « une personne placée en garde
à vue, mise en examen ou faisant l'objet d'une citation à comparaître en
justice ». En effet, le plus grave n'est-il pas de présenter comme étant
coupable d'infraction celui qui n'a même pas maille à partir avec la justice ?
La réponse nous semble évidente.
Cette ineptie - passez-moi l'expression ! - se trouve sous cette forme dans le
code civil depuis la loi du 24 août 1993, loi que nous n'avons pas nous-même
votée, en dépit de nos efforts et, je dois le dire, en dépit de l'accord qu'à
l'époque nous avions obtenu de la commission des lois du Sénat d'abord, du
Sénat ensuite. Le Sénat lui-même s'était alors, en effet, opposé à la volonté
de M. Toubon et à celle de l'Assemblée nationale de l'époque pour demander que
la protection qui est accordée à ceux qui ont maille à partir avec la justice
le soit plus encore à ceux qui n'ont rien à voir avec elle.
Excusez-moi de m'emporter un peu, de me passionner, madame le garde des
sceaux, mais j'aimerais tellement vous convaincre !
M. Emmanuel Hamel.
Votre passion vous honore !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Merci, mon cher collègue. Venant d'un passionné comme vous, votre compliment
me comble.
J'ai déjà, chemin faisant - je viens de le faire à propos de la presse, évoqué
les droits des victimes.
Ceux-ci sont reconnus depuis un certain nombre de lois, qui sont d'ailleurs
mentionnées dans l'excellent rapport de notre collègue Charles Jolibois, à
savoir les lois de 1985, 1986 et 1990, c'est-à-dire, pour les deux premières,
depuis le ministère de notre collègue Robert Badinter, qui avait créé une
commission à cette fin, également citée dans le rapport.
Nombre de droits nouveaux sont reconnus à juste titre aux victimes dans le
projet qui nous est soumis, dont certains sur l'initiative de députés.
Je citerai diverses obligations qui sont tout à fait bienvenues.
La première est l'obligation pour les policiers de recevoir les plaintes des
victimes. Cela a l'air simple, paraît même aller sans dire. Mais ce qui va sans
dire va encore mieux en le disant si l'on ne veut plus voir de victimes dont,
au commissariat de police, il aura été refusé d'enregistrer la plainte. C'est
donc une obligation bienvenue.
Est également bienvenue l'obligation pour les procureurs de faire connaître
aux victimes la date de l'audience. Cela me paraît un minimum. Il faudrait de
même que les procureurs soient obligés de répondre aux lettres des plaignants
et, plus généralement, des justiciables.
Enfin, je citerai encore comme bienvenue l'obligation pour les juridictions
d'indiquer aux victimes l'existence de la commission d'indemnisation des
victimes.
En revanche - et vous savez, madame le garde des sceaux, que je ne suis ici
pas du tout d'accord avec vous - autoriser les constitutions de partie civile
pour réclamer des sommes illimitées soit par déclaration au procès-verbal de
police, soit par lettre ou, ce qui revient au même, par télécopie, sans
obligation de comparaître, n'est pas une mesure protectrice des victimes, au
contraire.
La réparation d'un préjudice important suppose une connaissance de ce que sont
la loi et la jurisprudence.
Il vaut donc mieux que les victimes soient présentes pour, éventuellement, se
faire expliquer par le tribunal en quoi leur demande est insuffisante. Elles
ignorent ce qu'est une IPP, une ITT, un
pretium doloris, un
damnum
juventutis. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia,
rapporteur pour avis. Quelle culture !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non, c'est de l'expérience professionnelle !
M. Christian Bonnet.
Si, quand même !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le
damnum juventutis, c'est évidemment, vous l'avez traduit, le
préjudice particulier qui est causé à un jeune qui ne peut plus, par exemple,
pratiquer tel sport.
M. Pierre Fauchon.
On l'avait compris !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne le dis pas pour ceux qui m'avaient compris. Je le précise à l'intention
de ceux qui n'auraient pas compris, ce qui est leur droit !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il vaudrait mieux d'ailleurs, même si nous ne le proposons pas pour l'instant,
parce que nous n'avons pas voulu aller à contre-courant de la position que vous
avez prise, madame la garde des sceaux puisque les plus démunies des victimes
peuvent bénéficier de l'aide juridictionnelle et parce que nous ne voyons pas
d'inconvénient à ce que toutes les victimes aient droit à un avocat d'office,
qu'il redevienne obligatoire - car cela a été il n'y a pas si longtemps -
d'avoir recours à un avocat dont c'est le métier de savoir ce qui peut être
réclamé et comment doit être constitué un dossier de demande de
dommages-intérêts.
Voilà. Je m'en suis tenu à l'essentiel, pour ne pas dépasser mon temps de
parole, sur un rythme plus rapide que je l'eus souhaité, pour être entendu
autant que je l'aurais aimé...
M. Louis de Broissia,
rapporteur pour avis. Vous le fûtes !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le répète, les problèmes à régler pour protéger réellement la présomption
d'innocence sont nombreux et délicats. Leur examen, c'est indéniable, demande
de la réflexion, des débats, du temps.
J'ajoute qu'il serait souhaitable que la procédure pénale ne soit pas remise
systématiquement en chantier à chaque alternance.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pour cela, il n'y a qu'une solution : que la prochaine alternance soit la plus
éloignée possible.
(Rires sur les travées socialistes. - Exclamations sur
les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia
rapporteur pour avis. La plus rapprochée possible !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Car s'opposeront toujours, je le crains, ceux qui, avec Goethe, et avec tel de
nos collègues... que, je n'aperçois plus...
M. le président.
Il est là !
Monsieur Bonnet, c'est pour vous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... préfèrent une injustice au désordre et ceux - dont nous sommes, je n'ai
pas besoin de le dire - qui préfèrent, avec Voltaire, entre autres, laisser
échapper un coupable que condamner un innocent.
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Pierre Fauchon.
Relisez Goethe ! Il faut rétablir la vérité de Goethe !
M. le président.
J'observe que M. Dreyfus-Schmidt a scrupuleusement respecté son temps de
parole.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, je devrai, quant à moi, bénéficier d'un temps de parole
supplémentaire, afin de rétablir l'honorabilité de Goethe !
(Sourires.)
Madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc de nouveau confrontés
au problème de la présomption d'innocence.
Il n'en est guère de plus difficiles parce qu'il oppose, dans le champ clos de
nos consciences, des intérêts essentiels et cependant incommensurables : la
dignité, la liberté de l'homme, d'une part, et l'état de droit, voire la
sécurité de la société, d'autre part.
Le conflit est au paroxysme lors de la mise en détention provisoire :
traumatisme que l'on ne peut envisager sans effroi puisqu'il atteint du même
coup l'être physique et l'être moral ; notre liberté et notre réputation se
trouvent abolies ou ruinées en un moment et, en un certain sens, à jamais.
Notre groupe approuve donc qu'une telle question soit sans cesse remise sur le
métier du législateur et que celui-ci soit convié par le garde des sceaux, et
par le chef de l'Etat, à s'interroger sur la possibilité d'améliorer une loi
qui, depuis la suppression de la peine de mort, est peut-être la plus
importante de toutes.
La réduction cruelle des temps de parole ne me permet pas d'embrasser les
questions posées dans leur diversité. Même si M. le rapporteur a mené cet
exercice avec beaucoup de conscience, je regrette, en particulier, de ne
pouvoir évoquer la question des moyens, madame le garde des sceaux, qui se pose
de manière par trop évidente et par trop douloureuse. Vous avez parlé de
créations d'emplois, mais celles-ci ne devraient-elles pas, en priorité,
combler les insuffisances actuelles, si souvent criantes ?
Je m'en tiendrai à trois brèves observations.
Je tire les deux premières de la prise en considération des deux conditions
essentielles de toute bonne justice, qu'il faut sans cesse rappeler, comme nous
l'avons fait la semaine dernière. Ces conditions peuvent être alternatives dans
les affaires mineures, mais elles doivent absolument être cumulées dans les
plus importantes : pluralité des juges et possibilité de recours.
Est-il cohérent, tout d'abord, que tant de décisions de justice, au pénal
comme au civil, ne puissent être rendues que par un tribunal collégial parce
que leurs enjeux sont graves, quand la plus grave, peut-être, et la plus
irrémédiable des décisions, la mise en détention, peut être rendue par un homme
seul, et souvent très seul ? Cela n'est ni cohérent ni supportable.
Qu'on ne nous dise pas qu'il s'agit d'une détention « provisoire », alors
qu'il y a quelque chose de définitif et d'irrémédiable dans le fait même de
l'incarcération, dès le premier instant de celle-ci.
Qu'on ne nous dise pas que la plupart des détentions ne posent guère de
problèmes parce qu'elles correspondent à des circonstances qui ne laissent
guère de place au doute, car on ne saurait se contenter de la loi des grands
nombres lorsque la personne humaine, dans ce qu'elle a de plus sacré, est en
cause.
C'est pourquoi, ne croyant pas que l'on résolve, du moins suffisamment, le
problème du juge unique par le dédoublement de ce juge, ce que prévoit ce
projet de loi, il me paraît nécessaire que la décision de la détention
provisoire puisse être déférée à une autorité collégiale avant même de prendre
effet, c'est-à-dire par un appel à très bref délai devant la chambre
d'accusation, appel ayant évidemment un caractère suspensif. J'ai déposé un
amendement en ce sens.
L'absence de recours dans le domaine de la criminalité soumise aux cours
d'assises est un autre sujet de scandale auquel nous n'avons pas le droit de
nous habituer.
La question est rendue plus difficile par le fait que nul n'ose mettre en
cause le système du jury, encore que diverses circonstances rendent ce système
très contestable : suppression de la peine de mort, consécration de
l'indépendance de la magistrature, pratique généralisée - et dont on parle trop
peu - de la correctionnalisation.
Quoi qu'il en soit, on voit mal comment faire appel d'un jury à un autre,
fût-il un peu plus nombreux, c'est-à-dire du peuple au même peuple, de l'intime
conviction de quelques-uns pris au hasard à l'intime conviction de quelques
autres pris eux aussi au hasard.
Et cependant, la décision fatale, celle qui porte sur le principe même de la
culpabilité, ne saurait rester sans recours.
Une solution au moins provisoire pourrait consister à donner une seconde
chance au condamné, comme le propose notre rapporteur, sans prétendre faire de
cette seconde chance un appel au sens plein du terme, puisque cela supposerait
motivation des arrêts et hiérarchie des juridictions.
Dans cet esprit, qui est plus humanitaire que juridique, le droit au recours
ne devrait appartenir qu'au condamné, à la victime éventuellement, en cas de
relaxe, mais non au ministère public, car il ne faut pas que la société joue «
au chat et à la souris » avec ses enfants.
Et puis l'idée de la condamnation d'un innocent - je vais revenir à Goethe -
n'est-elle pas infiniment moins supportable que celle de voir un coupable
échapper à la condamnation, d'autant que, en toute hypothèse, les accusés des
affaires criminelles ont toujours subi une longue détention préventive ?
Que M. Dreyfus-Schmidt me permette de lui signaler que, lorsque Goethe a dit
qu'il valait mieux une injustice qu'un désordre, il s'agissait d'éviter un
lynchage, qui aurait été un désordre, sur une personne qui était certes
présumée coupable, mais qui n'en devait pas moins échapper à ce lynchage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ma citation reste exacte !
M. Pierre Fauchon.
Encore faut-il traduire comme il convient ! En la circonstance « injustice »
signifie : justice non rendue.
Ma dernière réflexion dépassera le cadre de notre sujet, et il me semble qu'il
faut le dépasser pour ne pas donner à croire que nous nous soucions beaucoup
plus de la protection des innocents, dans les cas fort rares où ils sont
menacés, que de la protection des victimes, dans les cas de plus en plus
nombreux où la société ne se soucie pas suffisamment de leur sort. Je parle ici
des victimes potentielles de l'insécurité, c'est-à-dire de tout un chacun.
Il ne faudrait pas, j'insiste sur ce point, que nos débats soient interprétés
comme un signal de défiance à l'égard des juges d'instruction, des officiers de
police judiciaire, des agents de la sécurité publique, qui sont déjà aux prises
avec une ambiance générale de tolérance, la multiplication - souvent
paralysante - des précautions et formalités que l'on exige d'eux, pour ne pas
parler du peu de considération dont ils jouissent.
Le respect de la présomption d'innocence est sans doute essentiel. Du moins
peut-on dire que nous progressons dans ce domaine. En revanche, la protection
de la sécurité publique, de la paix publique, de la convivialité publique,
reste insuffisante face à des atteintes qui ne cessent de se multiplier et de
s'aggraver.
On parlait autrefois des « gardiens de la paix » : belle formule !
Où en sommes-nous dans tant d'espaces publics, de quartiers populaires,
d'écoles, où l'insécurité ne cesse de progresser ? Nous apprenons aujourd'hui
par la presse que ce fut le principal souci des électeurs dimanche dernier.
Je conclurai par un voeu : puisse la protection de l'innocence particulière de
quelques-uns ne pas nous faire oublier celle de tous ceux dont la sécurité est
quotidiennement menacée, notamment des personnes âgées, des enfants, des
faibles qui sont, eux aussi, eux surtout, des innocents !
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
« Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable,
s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas
nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la
loi. » Ainsi posée par l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen de 1789, la présomption d'innocence est, depuis, largement
consacrée, tant par le pacte des Nations unies relatif aux droits civils et
politiques que par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales.
En droit interne, l'article 9-1, premier alinéa, du code civil dispose
désormais : « Chacun a droit au respect de la présomption d'innocence. »
Parallèlement, l'article 11 du code de procédure pénale assure le secret de
l'enquête et de l'instruction. Par conséquent, le secret de l'enquête et de
l'instruction est censé assurer la réalité de la présomption d'innocence.
Et pourtant, nous avons tous présents à l'esprit de nombreux exemples de
présumés innocents désignés à la vindicte populaire, broyés par un déballage
médiatique sordide. Dans certains cas, de véritables drames humains se sont
ensuivis. En vérité, les exemples sont légion !
L'inculpation a disparu, pour céder la place à la mise en examen : changement
de mots sans efficacité véritable...
La présomption est sans doute de prétendre apporter une solution juridique à
un problème de société. Les mises en examen sont annoncées à grand fracas,
comme les inculpations l'étaient naguère.
La seule question est alors de savoir s'il faut juguler cette presse par qui
le scandale arrive. Mais ce serait une atteinte à une liberté fondamentale,
comme l'a fort bien indiqué notre excellent collègue Louis de Brossia, atteinte
qui manquerait d'ailleurs son but.
Rien n'empêcherait les organes de presse de révéler que Durand-Dupont a été
placé dans un fourgon de police sur la voie publique ou qu'il a été vu
pénétrant dans un palais de justice. Le remède serait donc pire que le mal, car
les allusions succéderaient alors aux affirmations, les interprétations aux
révélations, les approximations aux certitudes.
Un désordre social plus grand en résulterait car, en l'absence d'information
certaine, le public croirait à une incitation des services de police et des
autorités judiciaires.
Il faut donc se résoudre à une certaine publicité des informations
judiciaires, et il est dès lors préférable de l'organiser, ce que fait
globalement le présent projet de loi, dont le détail a été remarquablement
exposé et analysé par le rapporteur de la commission des lois, notre excellent
collègue Charles Jolibois.
Néanmoins, à partir du moment où une certaine transparence de la procédure est
instituée, la présomption d'innocence ne devient-elle pas intenable ?
L'interrogation est d'autant plus forte qu'existent des présomptions, légales
ou jurisprudentielles, qui combattent très sérieusement la présomption
d'innocence.
Il convient, en effet, de ne pas oublier la nécessité de charges suffisantes
pour que la mise en examen soit prononcée. Or la Cour de cassation a fait, par
les arrêts Cisse, du 4 janvier 1990, et Rondet, du 6 mars 1990, de ces charges
« des indices sérieux » ou « des indices graves et concordants de culpabilité
», sans avoir à craindre apparemment la censure de la Cour européenne des
droits de l'homme, puisque celle-ci, par un arrêt du 25 août 1987, a admis
qu'un état de suspicion ne portait pas atteinte à la présomption
d'innocence.
J'ajoute, s'agissant des présomptions de fait, qu'il est impensable que celui
dont la mise en examen a été révélée, à la suite d'un meurtre avoué et perpétré
devant plusieurs témoins, soit présumé innocent ! Et, puisque la présomption
joue jusqu'au jugement pénal définitif, il me paraît tout aussi impensable que
le même, estimant trop lourde la condamnation prononcée contre lui, demeure
présumé innocent après avoir formé un pourvoi en cassation !
On est là au coeur du problème. Comment concilier l'accusation qu'implique
nécessairement la mise en examen - car on ne voit pas comment pourrait être mis
en examen un citoyen exempt de tout reproche - et l'affirmation de son
innocence ?
La question peut être prise dans tous les sens, elle ne reçoit pas de réponse
satisfaisante. Il n'est quand même pas possible de renoncer à poursuivre des
coupables potentiels pour préserver la présomption d'innoncence ! Qu'on le
veuille ou non, la mise en examen est la notification d'une suspicion !
Alors, oui, madame le garde des sceaux, il faut veiller à limiter les abus, et
cela aux différents stades de la procédure.
Limiter la mise en examen aux personnes contre lesquelles il existe des
indices graves et concordants donnant à penser qu'elles ont commis une
infraction, comme le propose notre commission des lois, me paraît
indispensable.
Préalablement, il peut paraître utile de mieux contrôler la garde à vue. Il
est indéniable que certaines se déroulent dans des conditions inacceptables.
Encore faut-il observer que l'inacceptable, au demeurant marginal, est le fait
de fonctionnaires trop zélés, qui doivent être sanctionnés.
Mais je ne crois pas qu'il faille pour autant prendre des mesures qui seraient
illusoires. Nos collègues députés ont introduit un article additionnel avant
l'article 2, qui prévoit que le contrôle du procureur de la République sur les
gardes à vue se traduira par au moins une visite trimestrielle des locaux de
gardes à vue. Soit ! Mais, s'il s'agit d'une simple inspection immobilière,
celle-ci sera de bien peu d'effet.
De même, vous reprenez une idée qui vous est chère : l'intervention de
l'avocat dès la première heure de garde à vue. Je ne reprendrai pas les
arguments développés par notre éminent collègue Christian Bonnet, que je
partage totalement.
Par ailleurs, votre projet de loi, madame la ministre, comporte des
dispositions tendant à réformer, une fois encore, le régime de la détention
provisoire, ainsi que les délais de procédure.
Cela me paraît tout à fait souhaitable et je forme le voeu que l'objectif soit
atteint. Toutefois, j'observe que ce texte ne va pas au bout de ses ambitions,
et ce particulièrement pour des raisons financières. Sur ce point, je partage
pleinement les interrogations de la commission des lois sur l'ampleur des
moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet de loi.
La création d'un juge unique, magistrat du siège expérimenté, certes, mais
seul juge de la détention provisoire, est la manifestation de cette absence de
moyens. Comment ne pas préférer la collégialité pour une mesure par excellence
attentatoire à la présomption d'innocence ?
Vous souhaitez renforcer les droits de la défense. Bien sûr, je suis tout à
fait d'accord. Mais votre prédécesseur avait engagé, en la matière, la vraie
réforme : la création d'un double degré de juridiction en matière
criminelle.
Victime des aléas politiques, la navette de ce texte avait été interrompue et
nous avons été un certain nombre, ici même, à vous demander de poursuivre cette
réforme. Vous ne l'avez pas fait !
Je me réjouis toutefois de la très heureuse initiative de la commission des
lois d'instaurer un recours contre les arrêts rendus par les cours d'assises.
Cette disposition me paraît essentielle, et j'ai cru vous entendre répondre
tout à l'heure par un « oui, mais... »
Les droits de la défense passent par des garanties procédurales renforcées,
vérité de toujours. Je conclurai par le mot du professeur Ihering, grand
juriste allemand du siècle dernier, pour qui « la procédure est l'ennemie jurée
de l'arbitraire et la soeur jumelle de la liberté. »
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Peyrefitte.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Alain Peyrefitte.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce
projet de loi concerne non seulement la protection de la présomption
d'innocence, mais également la liberté d'expression. Il institue une censure
des images soit des personnes suspectées, soit des victimes. Il accentue une
judiciarisation et une pénalisation des affaires de presse. Il tend à
transformer la presse en bouc émissaire, comme étant le grand responsable des
atteintes à la présomption d'innocence.
Je voudrais montrer que le problème posé n'est nullement réglé et que la
manière dont on l'aborde porte atteinte à la liberté d'expression, qui est l'un
des fondements de notre République.
Je formulerai une observation préalable : on ne peut pas décemment statuer sur
les problèmes de presse sans demander leur avis aux représentants de la presse,
de même qu'on ne peut pas statuer sur les problèmes de médecine sans demander
leur avis aux médecins. Or c'est le cas !
Justement, la presse et l'édition ont de plus en plus maille à partir avec la
justice. On sanctionne les journalistes pour recel de documents et violation du
secret de l'instruction. On perquisitionne au domicile des auteurs. On place en
garde à vue des journalistes, de façon arbitraire. On censure la couverture des
livres. On impose des astreintes ruineuses pour les maisons d'édition. On se
permet des procès d'intention avant même que le livre soit publié, voire avant
même qu'il soit écrit. On condamne la parution d'un livre qui dit la vérité
médicale et on ne condamne pas quatorze ans de mensonges médicaux.
Et c'est au moment où les éditeurs de journaux et de livres, où les auteurs et
les journalistes se plaignent de la pénalisation croissante des affaires
d'information, que ce projet de réforme de la justice veut pénaliser davantage
les médias.
Vous me direz peut-être, madame le garde des sceaux, que l'opposition est
toujours libérale et que le Gouvernement est toujours restrictif. Mais, jamais,
sous la Ve République, aucun Gouvernement n'avait osé avancer des dispositions
aussi restrictives que votre projet de loi.
Ce texte institue des dispositions attentatoires à la liberté d'expression
dans deux domaines : d'abord, la censure des images des suspects menottés et
des « victimes » ; ensuite, l'information pendant la procédure.
Le projet de loi interdit les images des personnes menottées ou entravées.
L'image du guide montagnard menotté était, selon l'exposé des motifs du projet
de loi, choquante et bafouait la présomption d'innocence. Or le guide
montagnard déclarait avoir souffert non pas de la publication de la
photographie, mais du fait d'avoir été menotté comme un bandit dangereux. Sa
femme a eu l'occasion d'expliquer publiquement qu'elle avait dit à leurs
enfants : « Vous allez regarder la télévision, même si vous n'en avez pas
envie, car je veux que vous voyiez comment la justice traite votre papa. »
Il a une autre manière de régler cette question des menottes que d'assortir de
sanctions pénales la représentation d'une réalité qui dérange,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est de ne pas mettre de menottes !
M. Alain Peyrefitte
... ce qui revient à casser le thermomètre pour ne pas voir la fièvre. Il
suffit d'éviter que ne soient délivrés systématiquement des mandats
d'amener,...
M. Gérard Braun.
Tout à fait !
M. Alain Peyrefitte.
... avec leur cortège de contraintes par corps et d'humiliations.
Mais votre projet de loi a présenté comme une « avancée formidable » la
possibilité donnée à la police de prendre toutes mesures pour éviter qu'une
personne menottée soit photographiée. Ce qui serait souhaitable, ce serait non
pas de censurer des images de personnes « menottées », mais de ne pas menotter
les suspects qui ne représentent pas une menace, c'est-à-dire 90 % d'entre
eux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et les autres ?
M. Alain Peyrefitte.
Par ailleurs, sont visés par le projet de loi les photographies, dessins,
figurations de tout crime ou délit lorsque cette reproduction porte atteinte à
la dignité de la victime - il s'agit de l'article 26 du projet de loi.
Cette disposition est bien plus large que ne l'était l'ancienne mesure de
l'article 38. Elle est très confuse. La notion de dignité est relative et
subjective ; elle laisse une grande part à l'arbitraire.
Le parquet, les nombreuses associations de victimes, dont les droits se voient
renforcés, vont pouvoir ainsi interdire la représentation des mauvais
traitements subis.
S'il s'agit de répondre à la demande d'une victime ou d'un prévenu, ou selon
la sensibilité du parquet, nous risquons alors d'être non plus dans l'intérêt
général mais dans l'intérêt privé, et en plein arbitraire, sans la moindre
visibilité.
Le projet de loi institue également des amendes de 100 000 francs, infligées
pour la diffusion d'images violentes. Mais où commence la violence ?
En outre, ces dispositions doivent être inscrites - M. Dreyfus-Schmidt y a
fait allusion tout à l'heure, me semble-t-il - dans le code pénal. Elles
cesseront d'être placées sous le parapluie protecteur de la loi de 1881, loi
fondamentale, et fondatrice de la liberté de la presse, et qui est l'un des
piliers de la République. Cette évolution est une régression.
Avec de pareilles dispositions, combien d'articles ou de photos qui ont déjà
été publiés n'auraient pas pu l'être, comme les photos des attentats
terroristes dans le métro, ou celles des victimes d'exactions au Kosovo, ou
celle de la fameuse Madone algérienne ? Elles pourraient désormais être
condamnées sous prétexte de violence ou de respect des victimes.
Le deuxième domaine d'interdiction concerne l'information du public pendant
l'instruction.
Mme le garde des sceaux, vous disiez, l'an dernier, à l'occasion du colloque
annuel « Presse et Liberté », que j'ai l'honneur de présider et que vous
honoriez de votre présence : « Il est illusoire de compter sur le secret de
l'instruction dans la mesure où tous les acteurs du système judiciaire n'y sont
pas tenus. Il serait donc préférable, comme le préconise le rapport Truche,
d'organiser des fenêtres de publicité de l'instruction, des moments de débat
contradictoire qui permettront de rendre publics les soupçons qui pèsent sur
toute personne, de manière à lui permettre de se défendre. »
Ce que vous nommez « fenêtre de publicité », il vaudrait mieux l'appeler «
meurtrière dans un
bunker ». Tout débat contradictoire serait subordonné
à la décision du président du tribunal et à des conditions qui le rendent
quasiment impossible. Le projet de loi prévoit la substitution du parquet à
l'actuel droit de réponse. Autrement dit, c'est tout un appareil répressif qui
est proposé.
La seule personne légalement autorisée à parler - M. Dreyfus-Schmidt a relevé,
à juste titre, ce paradoxe - c'est l'accusateur public : le parquet, qui pourra
communiquer. Il est pour le moins surprenant que l'information, faite en
principe pour réparer l'atteinte à la présomption d'innocence, soit laissée à
l'arbitraire de l'accusation.
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
M. Alain Peyrefitte.
Naturellement, cette disposition fait peser sur la presse la responsabilité de
l'atteinte à la réputation, en cas de non-lieu. C'est bien connu : « La presse
est responsable puisque cela aurait dû rester secret ». Et pourtant, madame le
garde des sceaux, vous aviez reconnu, voilà un an, que « le secret de
l'instruction trouve sa source profonde non pas dans le souci de respecter la
présomption d'innocence, mais dans le principe inhérent à la procédure
inquisitoire du secret. »
Vous aviez une magnifique occasion, étant donné l'évolution des esprits et des
situations, de remplacer notre procédure inquisitoire et secrète par la
procédure accusatoire et contradictoire. Vous aviez aussi l'occasion de
remplacer le juge « d'instruction » par un simple juge « de l'instruction ».
Cette occasion, nous regrettons que vous ne l'ayez pas saisie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous non plus !
M. Alain Peyrefitte.
Depuis vingt ans, les esprits ont mûri !
Toute une « sur-pénalité » vise à empêcher les médias d'accomplir leur
travail. Comme si les médias étaient seuls responsables de divulguer
l'instruction !
Il est déraisonnable d'autoriser officiellement le parquet et les avocats à
communiquer tout au long de la période d'instruction et d'interdire dans le
même temps à la presse de parler. Nous savons pertinemment que des magistrats
instructeurs, ou leurs greffiers, donnent à des journalistes amis des
informations par téléphone - et je sais de quoi je parle ! - ou même leur
adressent par fax des pièces de la procédure, supposée secrète.
La protection de la présomption d'innocence ne doit pas nous faire oublier...
la présomption d'innocence des journalistes. Le respect des droits des victimes
ne doit pas consister à transformer en victime... la liberté de la presse.
Le renforcement du débat contradictoire permettrait, en repoussant la mise en
examen, d'instaurer, par la procédure très judicieuse du témoin assisté,...
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Enfin !
M. Alain Peyrefitte.
... un débat qui donnerait à la personne mise en cause accès au dossier. Il
permettrait également une information équilibrée à charge et à décharge, qui
respecterait ainsi les principes fondamentaux nécessaires à la tenue d'un
procès équitable et à une information impartiale.
C'est en incitant la presse à prendre en considération les deux thèses
opposées que l'on assurera le respect des droits de la défense tout en la
libérant du plus grand mal qui la guette : le panurgisme de la pensée
unique.
Votre projet de loi m'inquiète pour une autre raison, madame le garde des
sceaux. Il faut des garanties pour le droit d'informer ; or votre projet de loi
malmène ce droit en faisant pencher le fléau de la balance beaucoup trop à
l'encontre de la liberté d'expression.
La première de toutes les garanties souhaitables serait que l'on intègre dans
la loi de 1881 les principes de la convention européenne des droits de l'homme,
dont la France, sous l'impulsion de René Cassin, avait pris l'initiative. Il
n'est pas acceptable que les jugements rendus à Paris le soient sur la base de
principes beaucoup moins protecteurs de la liberté d'expression. Vous auriez pu
prendre l'initiative de cette harmonisation pour éviter l'humiliation de voir
les arrêts des cours françaises cassés par la Cour de Strasbourg.
Il serait utile aussi de rapatrier dans cette loi de 1881, protectrice de la
presse, des articles du code pénal qui devraient y figurer. Or, vous faites
l'inverse !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pas nous
!
M. Alain Peyrefitte.
Vous retirez du cadre de la loi de 1881 des dispositions comme l'article 38,
pour les intégrer dans le code pénal.
On devrait enfin faire entrer dans la loi de 1881 des adaptations nécessaires
au nouveau paysage audiovisuel. Le président de l'Assemblée nationale, M.
Laurent Fabius, l'avait suggéré l'année dernière, alors qu'il n'était pas dans
l'opposition. C'est une suggestion très utile qui devrait être suivie
d'effet.
En somme, il faudrait dépénaliser les affaires d'information. Une société de
dialogue, une société démocratique, une société ouverte, transparente comme
celle que nous voulons être, devrait se permettre de ne juger qu'au civil, et
même de désencombrer les tribunaux en utilisant des structures alternatives à
la justice, comme la médiation. Le journal
Le Monde et la chaîne France
2 ont donné l'exemple du bon usage du médiateur.
(M. le président de la
commission des lois rit.) Cet exemple doit être suivi, comme le montre
l'exemple anglais pour ce qui est du droit de réponse.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Plaisanterie !
M. Alain Peyrefitte.
La seconde garantie souhaitable, c'est qu'il n'y ait plus de référé sans
possibilité d'appel, car la sanction immédiate est ruineuse pour l'information.
Les journalistes et les auteurs se dressent légitimement contre cette sorte
d'urgence inquisitoriale, notamment sous la forme policière des perquisitions
qui ne respectent pas le principe de la protection des sources.
La réforme de la procédure pénale reste donc encore à faire. Elle devient plus
nécessaire que jamais. Si l'on veut briser ce que l'on peut appeler « le cirque
médiatico-judiciaire », il faudra retarder la mise en examen. Il faudra, selon
la procédure du témoin assisté, organiser pour la presse un premier contact sur
l'affaire au cours d'un débat contradictoire, à charge et à décharge.
On éviterait ainsi de clouer au pilori une personne accusée, dès sa mise en
examen. On éviterait de défendre uniquement contre les fuites de la presse ce
secret de l'instruction, devenu illusoire puisque les magistrats et les avocats
peuvent parler dans le même temps.
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Alain Peyrefitte.
On organiserait ainsi des conditions d'information, sinon plus objectives
puisque l'objectivité n'est probablement pas de ce monde, du moins pluralistes.
Le pluralisme est finalement la seule garantie réelle de l'objectivité.
La justice gagnera à ne pas se laisser entraîner à la répression vis-à-vis de
la presse et de l'édition, mais à ménager ses grands alliés pour la
manifestation de la vérité : les journaux et les livres.
Alors, madame le garde des sceaux, n'attachez pas votre nom à un recul de la
liberté d'expression en France ! Acceptez ceux de nos amendements qui veulent
la protéger.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants).
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Emmanuel Hamel.
C'est dur de parler après Alain Peyrefitte !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
D'autant plus dur que M. Peyrefitte est un éminent Seine-et-Marnais !
(Nouveaux sourires.)
M. Emmanuel Hamel.
Et académicien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
parlerais moins de la liberté de la presse que des problèmes situés au coeur du
dossier qui nous est présenté !
En effet, madame le garde des sceaux, ce projet de loi vise à réformer
certaines lacunes graves de notre système judiciaire dont, hélas ! la plus
véritablement préoccupante - le droit d'être jugé dans un délai raisonnable -
n'est pas abordée.
En tout premier lieu, loin de ces dossiers qui font les délices des médias
parce qu'ils visent des personnalités politiques, des personnalités des
affaires ou, maintenant, hélas ! de la haute administration, la justice «
ordinaire » est, pour beaucoup de nos concitoyens, toujours inefficace, lente
et parfois arbitraire.
La plupart des affaires pénales ne font l'objet ni d'instruction ni même de
plainte parfois, et, selon l'encombrement des parquets et des rôles, selon que
l'on comparaît à Marseille ou à Fontainebleau, on n'est pas jugé de la même
manière.
M. Alain Peyrefitte.
Hélas !
M. Jean-Jacques Hyest.
On pourrait d'ailleurs dire Fontainebleau ou Melun, ce serait encore différent
!
Madame le garde des sceaux, certes, nous avons soutenu toutes les réformes
engagées dans le domaine de la petite délinquance pour éviter les courtes
peines de prison et pour favoriser les solutions de médiation et les
alternatives à l'incarcération ; c'est aussi bien souvent que les victimes
étaient oubliées du procès pénal.
Nous allons inévitablement - j'allais dire « une fois de plus » - revoir
toutes les phases et rencontrer tous les acteurs du processus pénal, depuis la
garde à vue, l'instruction et son caractère secret, avec la mise en examen et
la détention provisoire.
Vous avez rappelé, madame le garde des sceaux, les principes de la Déclaration
universelle des droits de l'homme et de la Convention européenne : présomption
d'innocence et jugement dans un délai raisonnable. Mais on pourrait aussi
ajouter à cette liste le principe du contradictoire, l'information et la
garantie du droit des parties, qui ne sont toujours pas respectés, en
particulier pendant la phase d'instruction. Plusieurs réformes ont déjà été
engagées sans grands résultats, sans doute à cause des moyens - nous y
reviendrons - et aussi, il faut bien le dire, à cause de notre culture
judiciaire.
Faudrait-il, comme certains rapports qui ont été évoqués l'avaient proposé,
abandonner la procédure inquisitoire au profit d'une procédure accusatoire dont
les modèles anglo-saxons - vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, et
je partage votre point de vue - ne sont pas sans défaut ni très respectueux du
principe de l'égalité devant la loi ?
Le projet de loi, dans son premier volet, après beaucoup d'autres tentatives,
prévoit donc de modifier le régime de la garde à vue et les responsabilités du
juge d'instruction. Il vise à limiter la durée de la détention provisoire et
propose en outre certaines timides dispositions pour renforcer le droit à être
jugé dans un délai raisonnable.
Il tente une fois de plus de concilier les principes de la liberté de la
presse et de la présomption d'innocence. C'est un vieux débat, et l'on a vu la
vivacité des réactions quand on aborde ces problèmes !
Je pense d'ailleurs qu'il faut toucher à la loi de 1881 avec précaution - mais
j'en dirai deux mots en conclusion.
Le deuxième volet du texte doit être approuvé. Il vise à simplifier certaines
procédures, afin d'assouplir les conditions d'accès de la partie civile au
procès pénal, et à aménager le dispositif d'aide aux victimes.
Mais, comme je le disais en préambule, le grand accusé de la procédure pénale
demeure, pour beaucoup, l'instruction et le juge d'instruction. M. Peyrefitte
rappelait tout à l'heure que c'était le juge de l'instruction, mais il
s'agissait en fait du juge chargé de l'instruction, à savoir un juge du siège
que l'on chargeait pour un délai déterminé de l'instruction. Mais ce juge, par
une curieuse évolution, est devenu un spécialiste et, spécialité aidant, on en
a fait un juge particulier. Responsable de la mise en examen, le juge
d'instruction n'est pourtant à l'origine - on oublie de le dire - que d'une
très faible proportion des mises en détention provisoire.
M. Charles Jolibois,
rapporteur. Il a raison !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce juge est devenu soit le héros qui n'hésite pas à mettre en détention
provisoire les plus puissants - et, quelquefois, il s'en félicite - ou à
bouleverser même les règles de saisine par le parquet - on a en vu quelques
exemples - soit l'inquisiteur implacable qui utilise tous les moyens pour faire
avouer le coupable, oubliant que, en tant que juge, il doit instruire à charge
et à décharge. A cet égard, c'est peut-être symbolique, mais inscrire dans le
code de procédure pénale que le juge instruit à charge et à décharge me paraît
important.
Rappelons également que, si le secret de l'instruction est aujourd'hui
synonyme de préservation de la présomption d'innocence, à l'origine, il était
le symbole du pouvoir sans contrepoids du juge et du parquet. D'ailleurs,
souvenons-nous, pour parler de la presse que, si certains n'avaient pas violé
le secret de l'instruction, beaucoup d'affaires en cours et de condamnations
graves nous seraient restées inconnues.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest.
Quant au renforcement des droits de la défense, madame le garde des sceaux, le
projet de loi prévoit l'assistance d'un avocat dès la première heure de la
garde à vue, dans la ligne d'ailleurs de la loi du 4 janvier 1993. Nous avons
donc déjà eu ce débat sur le rôle de l'avocat lors de la garde à vue. Cette
réforme risque de poser un certain nombre de problèmes, notamment pour les
barreaux eux-mêmes, chargés d'organiser matériellement l'exercice par les
avocats de cette nécessaire défense. Il en sera ainsi notamment quand le lieu
de la garde à vue sera très éloigné. D'ailleurs, même aujourd'hui, la présence
d'un avocat à la vingtième heure de la garde à vue pose des problèmes pour les
barreaux.
Mais surtout, il convient que la garde à vue se passe dans des conditions de
dignité et de sécurité qui doivent être réellement contrôlées par le parquet.
Est-ce le cas partout et toujours ? Je dis non !
En ce qui concerne l'instruction, si l'on oublie que la plupart des mises en
examen et des mises en détention provisoire résultent des réquisitions du
parquet, que le juge d'instruction a souvent beaucoup de peine à contrecarrer -
mais cela nous renvoie à un débat futur sur le rôle du ministère public - et si
le nombre de mises en détention provisoire a depuis les dernières réformes
baissé, vous avez cherché, madame le garde des sceaux, une nouvelle solution au
problème de la mise en détention lors de l'instruction.
Si, comme continue à le souhaiter la commission des lois du Sénat, une
instruction collégiale serait la meilleure solution à ce problème, après
d'autres tentatives, vous proposez que le juge d'instruction soit dessaisi de
cette responsabilité au profit d'un autre juge du siège.
Cela pose le problème de la carte judiciaire. Il faudra donc prévoir des juges
car, sinon, nombre de petites juridictions ne pourront fonctionner.
Cela pose aussi le problème de l'utilité de la chambre d'accusation, souvent
dit chambre de confirmation, et du peu de succès du référé liberté instauré par
la loi du 4 janvier 1993.
Confier à un juge unique, déjà surchargé, la décision dans ce domaine risque
d'être sans effet réel, parce que, bien souvent, il suivra les motivations de
son collègue, et cela risquera de désorganiser un peu plus la vie des
juridictions.
Autant il paraît judicieux de confier à un autre juge cette décision de mise
en détention lorsque cette dernière résulte des investigations du juge
d'instruction, autant il me paraît vain de croire en une quelconque efficacité
du projet de loi sur ce point.
En effet, si l'on doit approuver certaines des propositions que vous faites,
madame le garde des sceaux, notamment en ce qui concerne l'extension du statut
de témoin assisté, renforcé par la commission des lois, le véritable scandale
de notre procédure pénale résulte moins de la mise en détention provisoire que
de la durée de cette dernière.
Après l'Assemblée nationale, le Sénat, j'en suis sûr, ira plus loin que ce
projet de loi, pour mieux encadrer les délais d'instruction et ne réserver la
détention provisoire qu'aux cas où elle est absolument nécessaire. Elle doit
devenir l'exception, notamment en matière correctionnelle.
En effet, madame le garde des sceaux, la situation des juridictions est telle
que le juge d'instruction n'est pas en mesure de suivre réellement ses
dossiers. A tout prendre, affectez les magistrats à qui vous voulez confier la
mise en détention provisoire à l'instruction dans les juridictions les plus
sinistrées. Et donnons à la chambre d'accusation l'obligation réelle de
contrôler l'instruction, pour éviter qu'un détenu ne moisisse pendant des mois
en l'attente d'un acte d'instruction ou, bien entendu, de jugement. C'est en
effet aussi une cause importante, voire la plus importante, des cas de maintien
en détention provisoire.
Remédier à l'inquiétant allongement de la durée des procédures d'instruction
devrait être la priorité de l'action du ministère de la justice, avec des
strictes mesures pour les expertises, les commissions rogatoires et tout ce qui
encadre ces procédures.
Bien entendu - et je ferai des propositions dans ce sens - un autre moyen
efficace de faire du juge d'instruction celui qui instruit à charge et à
décharge est le renforcement des droits à l'information des parties et le
principe du contradictoire, atténuant aussi le caractère inquisitoire de la
procédure sans nuire à l'efficacité de l'instruction. Monsieur le président,
madame la ministre, mes chers collègues, puisque la conférence des présidents a
décidé tout à l'heure de réduire les temps de parole et que le mien est, en
conséquence, presque achevé, je vais maintenant conclure.
Songeant à l'histoire législative récente, depuis les réformes initiées en
matière de procédure pénale par Robert Badinter - que tous ses successeurs ont
essayé de poursuivre, mais ils ont, hélas ! échoué - il nous faut sans doute
faire preuve de réalisme et ne pas systématiquement remettre en cause la place
reconnue au juge d'instruction en matière d'efficacité et d'indépendance. Un
magistrat ne devrait-il pas, avant tout, être un défenseur des libertés, ce qui
ne saurait être une nouvelle spécialité ?
C'est donc un jugement nuancé et mitigé qui doit être apporté sur ce projet de
loi même s'il apporte de nombreuses modifications au code de procédure pénale,
il n'est que partiel, comme l'a souligné M. le rapporteur dans son excellent
rapport.
M. Emmanuel Hamel.
Un rapporteur fait toujours un excellent rapport !
(Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Non ! Mais quand il n'est pas bon, on ne le dit pas !
(Nouveaux
sourires.)
Quoi qu'il en soit, un vêtement usé, à force d'être rapiécé, risque de tomber
définitivement en lambeaux, ce que ni vous ni nous ne souhaitons !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, parce
que plus de 350 000 personnes sont placées en garde à vue chaque année,...
M. Hubert Haenel.
Même 380 000 !
M. Jean-Michel Baylet.
Qui peut le plus peut le moins !
... parce que 60 000 personnes sont mises en examen ou encore parce que 20
000 prévenus sont incarcérés, le présent projet de loi est, bien sûr, d'une
portée considérable. Son intérêt est général.
Si nous sommes dans un Etat de droit, où confondre la coupable est une
exigence ; nous sommes aussi, heureusement ! le pays de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, où la protection des droits de la personne et
de sa dignité ne s'arrête aux portes de la détention, quelles que soient la
forme et la durée de celle-ci.
En 1997, le Premier ministre s'était engagé à réformer le système judiciaire
pour le rendre plus efficace, plus rapide, plus proche des citoyens et plus
attentif aux libertés. C'est sous l'angle de ces libertés que se situe le
projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les
droits des victimes que vous nous présentez aujourd'hui, madame le garde des
sceaux.
Comme vous le savez, les radicaux de gauche se sont attelés très tôt à cette
question puisqu'ils ont déposé l'année dernière, à l'Assemblée nationale, une
proposition de loi tendant à limiter la détention provisoire et visant, plus
précisément, à autoriser la présence d'un avocat dès la première heure de garde
à vue, à prévoir la possibilité de placer la personne mise en examen assignée à
résidence sous surveillance électronique - et le Sénat, en particulier le
président du groupe du RDSE, a beaucoup travaillé sur ce sujet - mais aussi à
relever les seuils de peines encourues au-delà desquels est possible la mise en
détention provisoire ou encore à limiter la détention provisoire en matière
délictuelle et criminelle.
Ce texte avait suscité de vifs débats, mais la majorité des députés l'avait
approuvé le 3 avril 1998. Hélas ! il est tombé aux oubliettes à défaut d'avoir
été inscrit à l'ordre du jour du Sénat. Je le regrette, bien que le projet de
loi qui nous est présenté aujourd'hui relativise ma déception puisqu'un certain
nombre de points auxquels nous tenions y figurent. Il participe en tout cas
d'un même esprit, puisqu'il s'agit, pour une large part, de mettre fin aux abus
de la détention provisoire. Je ne puis que m'en réjouir et vous en remercier,
madame la ministre.
En effet, le présent projet de loi marque de réelles avancées. Elles ne sont
certes pas toujours, je le sais, bien accueillies par les magistrats, mais une
réforme est toujours empreinte d'hostilités. C'est inévitable, mais si l'on se
place du côté du justiciable ordinaire, ce texte comporte d'importants progrès
et il sera toujours temps de résoudre ses difficultés d'application.
L'une des mesures les plus spectaculaires qu'il contient est, bien entendu, la
création d'un juge de la détention provisoire compétent pour ordonner ou
prolonger cette détention. Alors qu'environ 30 000 personnes sont placées
chaque année en détention provisoire, le juge d'instruction est aujourd'hui
seul compétent pour ordonner la détention d'une personne mise en examen. En
instituant une collégialité à deux parties, je pense que les droits de la
défense seront mieux garantis.
Je voudrais toutefois exprimer un regret, certes d'ordre sémantique, mais
fortement symbolique. Les radicaux de gauche considèrent qu'il aurait été
préférable d'intituler le juge de la détention « juge des libertés », puisqu'il
dispose de deux options, la mise en détention certes, mais aussi la remise en
liberté.
On nous a opposé le fait que tous les juges étaient juges des libertés, et
même des libertés publiques, et donc que notre voeu était sans objet. On aurait
toutefois pu s'accorder sur la forme « juge de la détention et des libertés »,
car le choix du seul terme de détention sous-tend une orientation répressive ou
tout au moins privative en situation, pourtant, d'alternative.
Par ailleurs, je voudrais préciser que cette disposition ne sera bien
évidemment un progrès que si les moyens de la justice suivent car, ces
dernières années, plusieurs textes sur cette question n'ont pu être appliqués
faute de moyens. Je pense à la loi du 10 décembre 1985 instituant en substance
une chambre d'instruction composée de trois magistrats, à la loi du 30 décembre
1987 qui abrogeait la précédente pour créer une chambre des demandes de mise en
détention provisoire, ou encore à la loi du 4 janvier 1993 qui prévoyait que le
contentieux de la détention provisoire serait confié à un organe collégial mais
qui n'a pas connu meilleur sort.
La question des moyens est donc essentielle.
Le budget de la justice pour 1999 avait visiblement ce texte en perspective,
puisque plusieurs postes de magistrats ont été budgétisés, ce dont nous pouvons
nous réjouir. On peut espérer, pour 2000, une nouvelle progression des
dotations accordées à la justice ! A l'heure du débat d'orientation budgétaire,
peut-être aurez-vous, madame la ministre, quelques précisions à nous apporter
sur ce thème ?
Le projet de loi, qui prévoit par ailleurs une modification des seuils à
partir desquels la détention provisoire peut être ordonnée à l'encontre d'une
personne mise en examen, suscite un autre point de désaccord entre nous.
A l'occasion de l'examen de la proposition de loi déposée par les radicaux de
gauche sur la détention provisoire, les députés avaient accepté un relèvement
des seuils des peines encourues au-delà desquels est possible la mise en
détention provisoire : ces seuils avaient été portés à trois ans au lieu d'un
an pour les délits contre les personnes et à cinq ans au lieu de deux pour les
délits contre les biens.
On se souvient, madame la ministre, que vous aviez jugé excessive l'élévation
des seuils proposés, et c'est donc tout logiquement que l'article 15 du projet
de loi a ramené les seuils respectivement à deux et trois ans. Il me semblait
pourtant, j'y insiste, que les précédents seuils étaient mieux à même de
limiter les détentions provisoires abusives. En effet, nous examinons ce texte
sous l'angle des libertés, et cette mesure y participe.
Quant à la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, elle constitue
une mesure exemplaire et fondamentale sur le plan du respect des libertés et
des droits de la personne. Le principe en avait été adopté l'année dernière, et
je me réjouis de le retrouver dans le présent texte.
Cette mesure a toutefois un corollaire : une grande partie des personnes
placées en garde à vue recourent à l'aide juridictionnelle, et il sera donc
nécessaire de revoir les moyens à la hausse en ce domaine.
Je constate enfin avec satisfaction que le texte reprend une idée qui nous est
chère, celle de l'indemnisation des frais exposés par les personnes relaxées ou
acquittées. Sur les 30 000 personnes mises en détention provisoire chaque
année, entre 1 500 et 2 000 font l'objet d'un non-lieu ou d'une relaxe. Or à
peine une vingtaine de personnes sont indemnisées, alors que le préjudice, nous
le savons, peut être très important en fonction de la durée de la détention. Il
l'est même dès la première heure, pour des raisons qui n'échappent à
personne.
Dans l'intérêt des justiciables, et particulièrement des plus démunis d'entre
eux, il serait équitable d'obtenir un dédommagement des frais de défense.
Comme vous l'avez très justement souligné, madame la ministre, il ne peut pas
y avoir d'un côté un renforcement des droits de l'accusé s'il n'est pas assorti
de l'autre côté d'un renforcement des droits de la victime. Toutes les mesures
du projet de loi visant à renforcer les droits de la victime contribueront, je
n'en doute pas, à mieux considérer et à mieux informer les victimes.
Mes chers collègues, le projet de loi renforçant la protection de la
présomption d'innocence et les droits des victimes a suscité de nombreuses
réflexions, particulièrement au sein de la magistrature.
Quelles que soient les difficultés que cette profession a soulignées, il faut
bien constater que le présent texte engage un meilleur respect des libertés, ce
qui est tout à fait souhaitable et nécessaire dans un Etat de droit digne de ce
nom.
Que l'on soit accusé ou victime, on peut imaginer combien l'immersion dans la
machine judiciaire, particulièrement sous son angle pénal, peut être pénible et
redoutable. Offrir des garanties aux uns et aux autres, protéger leur dignité
semble naturel, pourvu que l'on soit animé de sentiments humanistes et
républicains.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, sur les travées socialistes, ainsi
que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La discussion générale est close. A ce stade du débat, je souhaite interroger
M. le président de la commission des lois. En effet, je sais que la commission
a encore beaucoup d'amendements à examiner. Par ailleurs, le conseil des
ministres se réunit demain matin.
Dans ces conditions, à quelle heure pourrions-nous reprendre nos travaux en
séance publique demain matin ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le
président, la commission doit encore examiner 202 amendements. Nous nous
réunirons demain matin dès neuf heures ; mais je ne peux absolument pas
préjuger le temps qui nous sera nécessaire. D'après ce que j'ai pu constater en
en prenant rapidement connaissance, certains de ces amendements sont importants
et mériteront discussion. Nous n'aurons donc sans doute pas terminé nos travaux
avant onze heures.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pourquoi la commission ne se réunit-elle pas ce soir ?
M. Jacques Larché,
président de la commission. Parce qu'elle n'en a pas ainsi décidé !
M. le président.
Et parce que l'ordre du jour de la séance publique prévoit l'examen d'un autre
texte ce soir !
Madame le garde des sceaux, je me tourne donc vers vous : si la séance
publique est fixée demain matin à onze heures trente, cela vous laisse le
temps, j'imagine, d'assister au conseil des ministres puis de rejoindre le
Sénat !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Monsieur le président, j'avais pris mes dispositions
pour ne pas assister, le cas échéant, au conseil des ministres.
M. Emmanuel Hamel.
Il ne faut pas le priver de votre présence, madame !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je suis donc tout à fait disponible.
Dans ces conditions, monsieur le président, ne fixez pas la reprise de la
séance publique à onze heures trente alors que M. Larché vient de nous dire que
la commission des lois aurait achevé des travaux à onze heures ! Pour ma part,
je pourrai être présente à onze heures, et même avant. Je ne souhaiterais pas,
en effet, que nous prenions du retard dans l'examen de ce texte, sur lequel de
nombreux amendements ont été déposés.
M. le président.
Madame le garde des sceaux, nous ne voudrions pas vous faire attendre au
cabinet des ministres alors que la commission des lois siégerait encore !
M. Henri de Raincourt.
C'est bien normal !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le cabinet des ministres n'est pas un local de garde à vue !
(Sourires.)
M. Jacques Larché,
président de la commission. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission. Je veux préciser à Mme le garde des sceaux -
mais elle le sait bien ! - que la commission des lois n'a aucunement
l'intention de retarder l'examen de ce texte. J'en veux pour preuve que, jeudi
dernier, alors que nous aurions pu souhaiter assister à l'examen en séance
publique du projet de loi relatif aux commissaires-priseurs, sur lequel nous
avions beaucoup travaillé, la commission s'est réunie toute la journée.
M. le président.
Nous décidons donc que le Sénat se réunira en séance publique demain matin, à
onze heures. Ainsi, Mme le garde des sceaux pourra assister au conseil des
ministres tandis que la commission des lois, quant à elle, disposera de deux
heures pour examiner les amendements qu'elle n'a pas encore examinés.
M. Louis de Broissia,
rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Louis de Broissia,
rapporteur pour avis. Monsieur le président, je souhaite bénéficier de la
présomption d'honnêteté !
M. Dreyfus-Schmidt a dit que j'aurais fait un oubli.
Je précise que, sur l'article 22, des propositions ont été présentées par la
commission des affaires culturelles, propositions que je défendrai, demain
matin, en ma qualité de rapporteur pour avis, devant la commission des lois.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai l'habitude de rapporter très honnêtement les
décisions de la commission. Je vous demande de me donner acte qu'il n'y a pas
eu d'oubli de ma part.
M. le président.
Monsieur de Broissia, c'est moi qui vous donne acte de cette mise au point. Ne
provoquez pas M. Dreyfus-Schmidt...
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je n'ai jamais mis en cause M. de Broissia. Oublier n'est pas malhonnête !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Je répondrai brièvement aux orateurs, car nous aurons
évidemment tout loisir, lors de la discussion des articles, de revenir sur les
dispositions de ce texte.
Je tiens d'abord à noter que presque personne n'a contesté l'intérêt et la
nécessité de ce projet de loi. Vous avez tous dit votre accord pour garantir
davantage la présomption d'innocence et les droits des victimes, ce dont je me
réjouis.
Bien sûr, des regrets, des critiques ont été exprimé. Je n'en suis pas
étonnée, car c'est le propre d'un débat démocratique sur un texte de cette
nature, un texte d'équilibre, qui cherche à concilier des principes
difficilement conciliables, voire contradictoires : les droits de l'accusé et
ceux des victimes ; l'efficacité de l'enquête et les droits des parties ; la
liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence, deux
principes constitutionnels d'égale valeur. Selon le côté où l'on penche, on
peut dire que cela est trop ou que cela n'est pas assez.
En tout cas, je suis heureuse de constater que les critiques entre le pour et
le contre s'équilibrent.
M. Pierre Fauchon.
Se neutralisent !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Plusieurs orateurs ont regretté que je n'aie pas pris
le parti d'une réforme globale du code de procédure pénale.
J'y ai réfléchi, bien entendu ; mais on m'a rappelé que la réforme du code
pénal avait demandé une dizaine d'années. Fallait-il encore attendre dix,
douze, voire quinze ans avant de mettre en oeuvre ces dispositions, dont
certaines me paraissent tout de même assez urgentes ?
J'ai donc choisi d'intégrer cette réforme dans une réforme globale qui, je
pense, apportera une réelle amélioration au fonctionnement de notre justice et,
en effet, de me concentrer sur des dispositions qui me paraissaient
particulièrement importantes et urgentes : la détention provisoire, les mesures
de contrainte, le principe du débat contradictoire et les délais d'instruction
et de jugement car ce sont, je crois, les défauts les plus importants auxquels
nous devons essayer de remédier.
Quant à la réforme de la cour d'assises - je me suis exprimée sur ce sujet
tout à l'heure - elle fera l'objet d'un autre texte. J'espère pouvoir également
mener à bien cette réforme très importante.
Je voudrais remercier M. Jolibois des appréciations qu'il a portées sur ce
texte. Je suis sensible au fait qu'il ait lui aussi considéré que le maintien
de la procédure pénale actuelle était au fond une garantie. Je reviendrai sur
ce point en répondant à ceux qui ont exprimé l'opinion contraire.
A M. de Broissia, je répondrai que le souci de la liberté de la presse ne m'a
jamais quittée. C'est la raison pour laquelle j'ai limité à quatre
incriminations nouvelles, de surcroît très précisément définies, les faits qui
portent atteinte à la présomption d'innocence, en réalité à la dignité des
personnes. Ces incriminations sont, certes, insérées dans le code pénal, mais
nous précisons qu'elles bénéficient des garanties que donne la loi sur la
presse, notamment en matière de prescription.
Par ailleurs, je le souligne, j'ai refusé d'inclure certaines dispositions
dans ce texte précisément pour préserver la liberté d'expression. Certaines de
ces dispositions sont demandées ici - sur l'article 9-1, n'est-ce pas ? Mais
pas par vous, monsieur de Broissia ! Je n'ai pas choisi de revenir à la
rédaction de la loi de janvier 1993 pour des raisons sur lesquelles je
m'expliquerai plus longuement au cours du débat ; mais je vous assure d'ores et
déjà que j'ai, sur ce point, une position très cohérente.
M. Bonnet a exprimé son inquiétude s'agissant de la présence de l'avocat à la
première heure de garde à vue.
D'abord, nous avons prévu des exceptions à ce principe, notamment pour les
affaires de terrorisme et pour la délinquance organisée. Dans les cas qui
préoccupent M. Bonnet, l'avocat ne pourra pas être présent dès la première
heure. Cela m'est reproché par beaucoup de personnes qui auraient souhaité que
nous allions plus loin. Mais nous ne pouvons pas courir le risque qu'il puisse
y avoir, par cet intermédiaire, des communications qui soient préjudiciables à
l'enquête.
Je voudrais dire à M. Haenel que son souci du contrôle de la police judiciaire
est tout à fait légitime et que je le partage. J'ai prévu, dans le projet de
loi sur l'action publique, qui viendra en discussion devant votre assemblée à
l'automne et qui sera examiné la semaine prochaine par l'Assemblée nationale,
des dispositions précises pour aboutir au résultat recherché de façon
pragmatique, et non pas en posant le problème du rattachement. Nous pourrons
naturellement débattre de tout cela. Je pense que nous pourrons obtenir des
résultats tout à fait tangibles en matière de contrôle.
S'agissant des juges d'instruction, je crois qu'il faut être prudent
s'agissant de la motivation et de l'appel de la mise en examen. Je sais bien
que certains juges d'instruction préconisent la mise en place d'un tel système
c'est une question sur laquelle je me suis longuement penchée mais je crois
qu'il faut faire attention au préjugement, auquel aboutirait une mise en examen
qui serait motivée et qui serait confirmée après avoir fait l'objet d'un appel.
Une intention louable peut quelquefois produire des effets inverses au résultat
visé ! C'est la raison pour laquelle je n'ai pas accepté ces propositions.
S'agissant de la détention provisoire, M. Bret a exprimé à nouveau sa position
sur la collégialité.
Un tel dispositif serait peut-être préférable, mais je souhaite quant à moi
engager des réformes dont je suis sûre que j'aurai les moyens de les faire
appliquer. En effet, des réformes de la détention provisoire ont déjà achoppé
sur cette question de la collégialité. En tout cas, j'estime que deux juges
valent mieux qu'un ; c'est déjà un début de collégialité que d'avoir un double
regard sur la décision de mise en examen.
M. Robert Bret.
Il en manque un !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Oui, mais je crois sincèrement qu'il faut se fixer des
priorités.
De surcroît, cette réforme n'implique en aucun cas une défiance vis-à-vis des
juges d'instruction. Je ne cesse au contraire de répéter que je veux les
maintenir, et c'est pour cela que je refuse de basculer dans la procédure
accusatoire et que, par ailleurs, je leur donne des moyens supplémentaires pour
travailler. Je vous renvoie d'ailleurs aux pôles financiers qui sont désormais
en place à Paris, à Bastia et à Marseille ; d'autres suivront,
naturellement.
M. Dreyfus-Schmidt nous a fait, en un temps record, un plaidoyer passionné
pour ses idées, que nous connaissons.
Accusatoire ? Inquisitoire ? Je vous ai dit pourquoi j'avais choisi, moi, de
ne pas changer notre procédure. Je considère qu'il y a dans la procédure
accusatoire des risques réels de privilégier en réalité ceux qui ont les moyens
de s'offrir les services d'un ou de plusieurs bons avocats.
De surcroît, je souligne qu'il n'y a pas de modèle unique et pur, nulle part.
Dans tous les pays, ce sont des systèmes mixtes, précisément parce qu'on a vu
les limites de l'accusatoire là où c'était ce modèle qui prédominait, comme
nous avons, nous, vu les limites de l'inquisitoire chez nous.
Au demeurant, nous introduisons beaucoup d'accusatoire dans notre procédure -
notamment les droits de la défense -, dans ce texte sans basculer pour autant
dans la procédure accusatoire proprement dite.
Je signale que, au Royaume-Uni, on en revient beaucoup de l'accusatoire, et je
ne compte plus les articles de presse, depuis un an et demi, sur le ton : « Ah
! si nous avions un juge d'instruction à la française pour limiter les abus que
l'on constate de plus en plus dans la police ! ».
Je ne reviens pas sur l'article 9-1 ; je m'en expliquerai plus longuement à
l'occasion de la discussion des articles.
Sur les conditions de la détention provisoire, vous avez raison, la politique
pénitentiaire que je mène vise à séparer les personnes détenues à titre
provisoire des condamnés. J'ai créé, cette année, les deux premiers centres
pour peines aménagées, pour, progressivement, réserver les maisons d'arrêt aux
détenus à titre provisoire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et la garde à vue ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. J'y viens.
La garde à vue est une mesure de police contrôlée par le parquet. Il est en
effet nécessaire, et cela a déjà été fait à Paris, d'améliorer les conditions
matérielles de la garde à vue. J'en arrive à M. Fauchon.
S'agissant de la collégialité et de la détention provisoire, j'ai déjà répondu
; je n'insiste donc pas.
S'agissant de l'appel des décisions criminelles, les observations de M.
Fauchon confortent celles que j'ai moi-même présentées dans mon intervention
liminaire. Je le répète, nous travaillons à un système d'appel tournant, que
nous devons mettre au point dans le détail. Je souhaite le soumettre à une très
large concertation, y compris, et avant quiconque, des parlementaires qui sont
principalement intéressés par ce sujet.
J'en arrive aux questions de M. Plasait.
Je comprends ses interrogations ; elles montrent à quel point la recherche
d'un équilibre n'est pas facile. C'est l'objectif du texte, et je me réjouis
que M. Plasait le partage.
A M. Peyrefitte, je dirai d'abord qu'il est en effet impossible de légiférer
sur la presse sans consulter les responsables et acteurs de ce secteur. Je l'ai
fait en recevant des journalistes, des patrons de presse, des syndicalistes,
etc. Je l'ai fait de façon très assidue, monsieur Peyrefitte. Je me suis même
rendue, puisque vous m'y aviez invitée, en 1998, au colloque que vous organisez
chaque année sur la presse et les libertés. J'aurais été ravie d'y participer
cette année, si vous m'aviez invitée. Ainsi, j'aurais pu être interrogée et
répondre !
M. Alain Peyrefitte.
Je vous ai invitée !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux. Non, et je le regrette, car j'aurais pu répondre aux
critiques formulées sur ce projet de loi.
Vous dites que mon projet de loi est, de tous les temps, le plus attentatoire
à la liberté de la presse. Je m'étonne d'une telle affirmation. Quelle
accusation !
Vous devriez relire de près le texte. Estimez-vous la définition des
incriminations trop vague ? Au contraire, ces définitions sont extrêmement
précises, et elles sont limitées à quatre.
Regrettez-vous le fait que je n'ai pas retenu la responsabilité des personnes
morales, principe prévu par la commission Truche ? J'imagine que non !
Regrettez-vous l'introduction de la suspension de l'exécution provisoire d'une
décision de référé portant atteinte à la liberté de l'information ? Cette
disposition n'a pas été beaucoup soulignée dans les débats tant à l'Assemblée
nationale qu'au Sénat. Pourtant, elle figure dans le texte pour éviter,
justement, que, par une décision de référé, il ne puisse être porté atteinte à
la survie économique d'une publication.
Regrettez-vous le principe de la publicité introduite à tous les stades de la
procédure, qui permet une information contradictoire de chacun, et au premier
chef de la presse ?
Lors des consultations auxquelles j'ai procédé auprès des professionnels, je
dois le dire, aucun n'a porté ces appréciations. C'est vrai, les professionnels
s'inquiètent du fait qu'il existe une tendance, comme c'est le cas dans tous
les pays, à des condamnations plus fréquentes, à une élévation du niveau des
amendes ; mais je n'ai entendu personne porter les appréciations que vous avez
portées vous-même. Permettez-moi de vous le dire, j'ai trouvé votre ton
parfaitement excessif et outrancier.
Vous prétendez que, sous la Ve République, n'a jamais existé un texte aussi
attentatoire aux libertés. Peut-être était-ce parce que, en d'autres temps, on
se débrouillait par d'autres moyens pour verrouiller l'information directement,
par l'entremise notamment de l'action des ministres de l'information !
A M. Hyest, je dirai qu'il a raison : non seulement les citoyens ont le droit
à être bien jugés, mais ils ont le droit de l'être dans des délais raisonnables
; il n'est pas admissible que des soupçons pèsent des années durant, surtout
lorsque des instructions se traduisent,
in fine, par un non-lieu, ce
qui, véritablement, confine à un déni de justice.
Je vous présente précisément un texte qui prévoit l'obligation, aussi bien
pour le juge d'instruction que pour le parquet, quand il mène des enquêtes
préliminaires, d'indiquer à l'avance la durée prévisible, ainsi qu'un système
de recours si cette durée devait être dépassée.
Enfin, je veux remercier Jean-Michel Baylet pour l'appréciation positive qu'il
a porté sur ce projet de loi, spécialement en ce qui concerne la détention
provisoire, qui est un souci qu'il exprime depuis longtemps.
Le texte qui vous est présenté, je dois le dire, a été irrigué par la
proposition de loi déposée par votre groupe, celui des radicaux, à l'Assemblée
nationale. Il est vrai qu'en ce qui concerne les seuils interdisant la
détention provisoire, nous ne sommes pas allés aussi loin que le prévoyait la
proposition de loi - nous aurons l'occasion d'y revenir dans le débat - mais,
pratiquement, toutes les autres dispositions ont été reprises. Je crois en
effet que c'était une excellente proposition.
La question des moyens, vous l'avez compris, est évidement un souci pour moi
et, d'ailleurs, une réalité puisque, heureusement, je dispose de ces moyens
supplémentaires que je tâche d'affecter au mieux. Je ne prétends pas, en deux
ans, en trois ans ou même en quatre ans, rattraper des retards qui datent de
plusieurs décennies. Mais je crois que commence à poindre une amélioration, y
compris sur le terrain, dans les juridictions. En tout cas, les magistrats
commencent à le dire ; ce doit donc commencer à être la réalité !
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, la suite de ce débat est renvoyée à demain.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; exceptionnellement, nous les
reprendrons à vingt et une heure trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et
une heure trente, sous la présidence de M. Jacques Valade.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.