Séance du 5 octobre 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Organismes extraparlementaires (p. 1 ).

3. Dépôt d'un rapport du Gouvernement (p. 2 ).

4. Expression « Guerre d'Algérie ». - Adoption d'une proposition de loi (p. 3 ).
Discussion générale : MM. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants ; Marcel Lesbros, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Aymeri de Montesquiou, Gilbert Chabroux, Jacques Baudot, Marcel-Pierre Cléach, Joseph Ostermann, Guy Fischer, Bernard Joly, Mme Gisèle Printz, M. Jean Faure, Mme Nelly Olin, MM. Jean-Marc Pastor, Jean-Luc Mélenchon.
M. le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.

Article 1er (p. 4 )

M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Adoption de l'article.

Articles 2 à 5. - Adoption (p. 5 )

Vote sur l'ensemble (p. 6 )

MM. Claude Estier, Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales ; le président.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.

5. Démission de membres de commissions et candidatures (p. 7 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 8 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

6. Candidature à la délégation du Sénat pour l'Union européenne (p. 9 ).

7. Nomination de membres de commissions (p. 10 ).

8. Service public de l'électricité. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 11 ).
Discussion générale : MM. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie ; Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Henri Weber.

9. Nomination d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (p. 12 ).

10. Service public de l'électricité. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 13 ).
Discussion générale (suite) : M. André Bohl.

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

MM. Ladislas Poniatowski, Jacques Valade, Pierre Lefebvre, Gérard Delfau, Jean Besson, Michel Mercier, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Murat, Jean-Marc Pastor, Pierre Hérisson ; Gérard Larcher.
Clôture de la discussion générale.

11. Modification de l'ordre du jour (p. 14 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

12. Service public de l'électricité. - Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 16 ).
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Article 1er (p. 17 )

Amendement n° 231 de M. Hérisson. - MM. Pierre Hérisson, Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques ; le secrétaire d'Etat, Robert Bret. - Adoption.
Amendement n° 300 de M. Lefebvre. - MM. Robert Bret, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 246 de M. Valade. - MM. Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Henri Weber. - Adoption.
Amendement n° 19 de la commission. - Adoption.
Amendement n° 247 de M. Valade. - MM. Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Robert Bret. - Rejet.
Amendement n° 248 de M. Valade. - MM. Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Henri Weber. - Adoption.
Amendement n° 20 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.

Article 2 (p. 18 )

Amendement n° 249 de M. Valade. - MM. Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 21 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 301 de M. Lefebvre. - MM. Guy Fischer, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet.
Amendement n° 250 de M. Valade. - MM. Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 22 de la commission. - Adoption.
Amendement n° 205 rectifié bis de M. Bohl et 251 de M. Valade. - MM. André Bohl, Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement n° 205 rectifié bis , l'amendement n° 251 devenant sans objet.
Amendement n° 23 de la commission. - Adoption.
Amendements n°s 24 de la commission et 206 rectifié de M. Bohl. - MM. le rapporteur, André Bohl, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement n° 24, l'amendement n° 206 rectifié devenant sans objet.
Amendement n° 25 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, M. André Bohl. - Adoption.
Amendements n°s 26 et 27 de la commission. - Adoption des deux amendements.
Amendement n° 406 de M. Hérisson. - MM. Pierre Hérisson, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendements n°s 28 de la commission, 302, 303 de M. Lefebvre et 252 de M. Valade. - MM. le rapporteur, Guy Fischer, Jacques Valade, le secrétaire d'Etat. - Retrait des amendements n°s 302 et 303 ; adoption de l'amendement n° 28, l'amendement n° 252 devenant sans objet.
Adoption de l'article modifié.

Article 3 (p. 19 )

Amendement n° 207 rectifié bis de M. Bohl. - MM. André Bohl, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendements n°s 253 de M. Valade et 407 de M. Hérisson. - MM. Jacques Valade, Pierre Hérisson, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement n° 253, l'amendement n° 407 devenant sans objet.
Amendement n° 29 de la commission. - Adoption.
Amendement n° 304 de M. Lefebvre. - MM. Ivan Renar, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 228 rectifié bis de M. Bohl. - Adoption.
Amendement n° 30 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, André Bohl. - Adoption.
Amendement n° 229 rectifié bis de M. Bohl. - Adoption.
Amendements n°s 408 rectifié de M. Hérisson, 254 de M. Valade, 31 de la commission et 305 de M. Lefebvre. - MM. Pierre Hérisson, Jacques Valade, le rapporteur, Ivan Renar, le secrétaire d'Etat, Michel Mercier, au nom de la commission des finances. - Irrecevabilité de l'amendement n° 408 rectifié ; rejet de l'amendement n° 254 ; adoption de l'amendement n° 31, l'amendement n° 305 devenant sans objet.
Amendements n°s 255 de M. Valade, 32 de la commission et sous-amendement n° 438 de M. Bohl ; amendements n°s 1, 2 de M. Besson, 33 de la commission et sous-amendement n° 439 de M. Bohl ; amendement n° 34 de la commission. - MM. Jacques Valade, le rapporteur, Jean Besson, le secrétaire d'Etat, André Bohl. - Retrait des amendements n°s 1, 2 et 255 ; adoption du sous-amendement n° 438 et de l'amendement n° 32 modifié, du sous-amendement n° 439, de l'amendement n° 33 modifié et de l'amendement n° 34.
Adoption de l'article modifié.

Article 4 (p. 20 )

Amendements n°s 35 à 37 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat, Gérard Le Cam. - Adoption des trois amendements.
Amendements n°s 306 et 307 de M. Lefebvre. - MM. Gérard Le Cam, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Retrait des deux amendements.
Amendement n° 38 de la commission et sous-amendements n°s 208 rectifié bis, 209 rectifié de M. Bohl et 256 rectifié de M. Valade ; amendements n°s 257 de M. Valade et 308 de M. Lefebvre. - MM. le rapporteur, André Bohl, Jacques Valade, Gérard Le Cam, le secrétaire d'Etat. - Retrait des amendements n°s 257 et 308 ; adoption des sous-amendements n°s 256 rectifié, 208 rectifié bis , 209 rectifié et de l'amendement n° 38 modifié.
Amendements n°s 309 de M. Lefebvre, 258, 259 rectifié de M. Valade, 39 de la commission et sous-amendement n° 423 du Gouvernement. - MM. Gérard Le Cam, Jacques Valade, le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Rejet des amendements n°s 309 et 258 ; adoption du sous-amendement n° 423, de l'amendement n° 39 modifié et de l'amendement n° 259 rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.

13. Texte soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 21 ).

14. Ordre du jour (p. 22 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES

M. le président. J'informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.
En conséquence, j'invite la commission des affaires culturelles à présenter trois candidats, un titulaire et deux suppléants, appelés à siéger au sein de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur, et j'invite la commission des affaires sociales à présenter un candidat pour siéger au sein du conseil d'administration de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.
Les nominations des sénateurs appelés à siéger au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement dans les conditions prévues par l'article 9 du règlement.

3

DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT

M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport pour 1998 relatif aux conditions de mise en oeuvre de l'agrément prévu en faveur des investissements réalisés dans certains secteurs économiques des départements et territoires d'outre-mer, établi en application du paragraphe III de l'article 120 de la loi n° 91-1322 du 30 décembre 1991 portant loi de finances pour 1992.

4

EXPRESSION « GUERRE D'ALGÉRIE »

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 418, 1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la substitution, à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l'expression « à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ». [Rapport n° 499 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne prononcerai en cet instant que quelques mots d'introduction, puisque c'est vous qui aurez réellement la parole et, surtout, le pouvoir d'accomplir l'acte important qui nous réunit ce matin : qualifier de « guerre » le conflit d'Algérie et lui donner sa véritable signification historique. Il fallait, en effet, le faire.
Peut-être considérez-vous qu'il s'est écoulé beaucoup de temps entre la fin de la guerre d'Algérie et l'acte juridique que vous allez concrétiser ce matin. C'est vrai ! Mais chacun sait que cette période a été particulièrement difficile pour notre pays compte tenu des réalités et des liens historiques que la France a avec l'Algérie. Toutefois, on ne peut pas ignorer la réalité, et la grandeur d'un pays, c'est effectivement de regarder son histoire en face avec lucidité, avec courage, avec détermination.
En Algérie, c'était la guerre : 1,7 million de soldats ont été mobilisés avec des moyens militaires d'intervention, avec la souffrance de la guerre, la mort, la blessure, l'ensemble des déchirements liés à cette situation.
N'oublions pas non plus le drame vécu par nos concitoyens qui vivaient en Algérie et qui ont dû abandonner leur maison, leur foyer, leur cimetière, leurs racines pour revenir en France.
C'est tout cela qu'il faut, aujourd'hui, prendre en compte si l'on veut réellement reconnaître à ces soldats la dignité d'ancien combattant, la plénitude de cette réalité au même titre que ceux qui sont intervenus au service de la France à d'autres moments de notre histoire.
Ces soldats du contingent, ces appelés, ces rappelés, ces gendarmes, ces militaires d'active ont alors, comme cela a été toujours le cas dans notre histoire, répondu à l'appel de la nation.
Je sais bien que le pays leur a reconnu un certain nombre de droits dès 1955, puis leur a accordé la carte de combattant en 1974, mais c'était toujours au titre d'« opérations de maintien de l'ordre », des « événements d'Algérie ». Personne ne voulait vraiment qualifier la réalité, malgré l'intervention des parlementaires, lors de la discussion, chaque année, du budget du monde combattant, malgré les positions, les espérances et les demandes des associations du monde combattant.
Personnellement, lorsque j'ai accepté la responsabilité qui est la mienne aujourd'hui, j'ai immédiatment utilisé le mot de « guerre, », parce que je n'aurais pas imaginé utiliser un autre terme. Au demeurant, à l'époque, vous-mêmes, les journaux, la radio, nos familles évoquaient la « guerre d'Algérie ». Je ne vois pas comment il m'aurait été possible de qualifier ce conflit autrement ! Je n'ai d'ailleurs pas de mérite particulier : il s'agissait simplement de bien marquer le détermination du pays à accepter dorénavant, quelles que soient les sensibilités politiques de chacun, ce concept de guerre.
Au demeurant, le devoir de mémoire s'applique à cette période au même titre qu'aux autres périodes et il exige cette vérité historique. Or, par décence pour nos soldats qui sont morts en Algérie ou qui y ont été blessés, pour les combattants qui ont été engagés, qu'ils soient appelés ou rappelés, pour les militaires d'active, pour les harkis qui ont combattu à notre côté et qui, malheureusement, connaissent pour la plupart un sort tragique, pour les rapatriés et les pieds-noirs, ce devoir de mémoire ne peut s'exercer que si nous considérons la réalité historique telle qu'elle a été.
J'espère que, en qualifiant aujourd'hui de « guerre » ce qui s'est passé alors en Algérie, vous allez permettre également une avancée vers la réconciliation. En effet, je crois beaucoup que le monde des combattants français, de nos soldats qui portent cette histoire tragique en eux, peut être aussi un élément de réconciliation avec l'Algérie d'aujourd'hui.
Il s'agit de ne rien oublier, de prendre l'histoire dans sa réalité ; mais nous devons aussi être capables de dépasser ce moment tragique pour nous engager, au-delà du devoir de mémoire, dans un acte de réconciliation qui servira nos intérêts communs. Tel est, en tout cas, le voeu que j'émets.
Ce que vous allez faire aujourd'hui est quelque peu inhabituel pour un parlement, dont le rôle est plutôt de voter des lois. Dépassant ce matin votre compétence juridique, vous allez qualifier l'histoire, ce qui constitue effectivement un acte exceptionnel. Ainsi, vous allez dire qu'en Algérie c'était la guerre, et ce parce que c'était bien la guerre. Je vous en remercie ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marcel Lesbros, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte qui ouvre au Sénat la présente session parlementaire est important. Si sa dimension est essentiellement symbolique - mais il est des symboles forts ! - il doit être l'occasion, pour la représentation nationale, de témoigner et d'achever un lent travail de mémoire au sujet d'une page douloureuse de notre histoire, marquée de conflits qui constituent aujourd'hui encore un drame pour nombre de nos concitoyens.
Entre 1952 et 1962, en effet, 1 343 000 jeunes appelés et rappelés et plus de 400 000 militaires d'active ont franchi la Méditerranée pour faire leur devoir sur les différents théâtres d'opérations d'Afrique du Nord.
Leur sacrifice a cependant été longtemps occulté dans la mémoire collective des Français.
Mme Hélène Luc. Cela, c'est vrai !
M. Marcel Lesbros, rapporteur. La guerre d'Algérie a en effet été vécue comme une « guerre sans nom ». Pourtant, les conflits d'Afrique du Nord ont été lourds de conséquences humaines.
Je pense aux 25 000 militaires tués, je pense encore aux 70 000 militaires blessés, je pense aussi aux quelque 400 000 victimes civiles d'origine européenne ou africaine.
Ces conflits furent également un drame pour près d'un million de civils européens contraints d'abandonner la terre où ils étaient nés et pour les harkis, aujourd'hui encore confrontés à leur tragique destin.
Je tenais en préalable à rendre à tous l'hommage qu'ils méritent.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 10 juin dernier. Elle vise à substituer à l'euphémisme « opérations effectuées en Afrique du Nord » l'expression plus conforme à la réalité de « guerre d'Algérie et combats en Tunisie et au Maroc » dans les dispositions à caractère législatif du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et du code de la mutualité. Il s'agit donc, selon l'expression utilisée par le Président de la République en 1996, de « mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant ».
La commission des affaires sociales a toutefois tenu à examiner, conjointement au texte adopté à l'Assemblée nationale, deux propositions de loi qui ont été déposées au Sénat et qui, au-delà de différences bien légères, recouvrent un objectif identique.
Il s'agit de la proposition de loi n° 344 relative à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc, présentée par M. Guy Fischer et plusieurs de ses collègues,...
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Marcel Lesbros, rapporteur. ... et de la proposition de loi n° 403 tendant à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie, présentée par MM. Serge Mathieu, Aymeri de Montesquiou, Joseph Ostermann et votre rapporteur.
Nous ne pouvons donc que nous féliciter du consensus apparu au sein de la représentation nationale sur cette question tellement sensible pour les anciens combattants d'Afrique du Nord.
Ce n'est en effet que progressivement, mais toujours partiellement, que le droit français a pris en compte la réalité des conflits d'Afrique du Nord.
La loi du 6 août 1955 conférait aux militaires participant à ce que l'on nommait alors « opérations de maintien de l'ordre en Afrique du Nord » les mêmes droits qu'à ceux qui avaient participé à des conflits antérieurs, à la notable exception de la carte du combattant, remplacée par un titre de reconnaissance de la nation créé par la loi de finances pour 1968.
Ce n'est qu'en 1974 que la loi a assuré une complète égalité des droits entre les militaires engagés dans les opérations d'Afrique du Nord et ceux qui avaient servi dans les conflits antérieurs. La loi du 9 décembre 1974 a ainsi donné vocation à la qualité de combattant à ces soldats en procédant, au sein du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, à l'assimilation de ces « opérations » aux conflits antérieurs, et en considérant les supplétifs comme militaires à part entière. Aujourd'hui, ce sont 1,2 million de nos compatriotes de la troisième génération du feu qui sont ainsi titulaires de la carte du combattant au titre des conflits d'Afrique du Nord.
Cette loi faisait pourtant toujours mention des « opérations effectuées en Afrique du Nord » et non de la guerre d'Algérie.
Depuis, un quart de siècle s'est écoulé sans que les sacrifices consentis par nos soldats dans ces conflits aient été pleinement reconnus.
Le Sénat a pourtant, depuis longtemps, cherché à faire reconnaître la qualité de combattant aux anciens des conflits d'Afrique du Nord. Ainsi, le 11 décembre 1968, le Sénat a adopté, à la quasi-unanimité, sur un rapport de la commission des affaires sociales, une proposition de loi tendant à la reconnaissance de la qualité de combattant aux militaires ayant pris part aux combats en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Mais l'Assemblée nationale n'a jamais adopté cette proposition de loi.
La Haute Assemblée fut ainsi la première à chercher à rompre avec ce qu'un historien a pu appeler « l'amnésie mise en scène » régnant autour de la guerre d'Algérie.
A l'origine pudiquement qualifiés « d'événements », les conflits d'Afrique du Nord devinrent bientôt des « opérations de maintien de l'ordre » ou des « opérations de pacification » avant d'être figés dans la loi sous le terme, pour le moins ambigu, d'« opérations effectuées en Afrique du Nord ».
En retenant, dès 1968, le terme de « combats », le Sénat - il est de mon devoir de le rappeler - posait la première pierre d'une remise en concordance du langage officiel et de la réalité historique.
Parmi les hommes politiques, certains avaient, certes, déjà parlé de « guerre ». C'est ainsi que le général de Gaulle lui-même constatait, en mai 1958, que « toute la population est jetée dans la guerre ».
Mais le langage officiel, tel qu'il est inscrit dans la loi, en reste depuis 1974 aux « opérations effectuées en Afrique du Nord ».
Cette situation est vécue, à juste titre, par les anciens combattants sinon comme un reniement, du moins comme un manque de reconnaissance pour ce qu'ils ont fait par devoir au service de la nation.
La nature particulière de ce conflit, qui ne ressemblait pas aux guerres du début et du milieu de ce siècle, a pu expliquer les réticences à le qualifier d'emblée de guerre.
Mais l'évolution des esprits, confortée par les progrès de la recherche historique, a peu à peu conduit à considérer que les événements d'Afrique du Nord devaient, par les méthodes de combat utilisées et les risques encourus par nos soldats, être assimilés à une guerre et non pas à de simples opérations de police.
Si chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître que l'expression du langage courant « guerre d'Algérie » correspond à la réalité historique vécue par nos concitoyens, il n'en demeure pas moins que seule la loi peut mettre fin à cette situation. Il est donc nécessaire d'officialiser cette appellation et de faire disparaître l'expression « opérations effectuées en Afrique du Nord » du code des pensions militaires d'invalidité et du code de la mutualité pour les combats qui se sont déroulés sur le territoire nord-africain entre 1952 et 1962.
Depuis quelques années, plusieurs initiatives se sont cependant succédé pour reconnaître officiellement la réalité de ces combats.
Ainsi, le 18 septembre 1996, à l'issue d'un entretien avec les associations représentatives des anciens combattants d'Afrique du Nord, le Président de la République avait indiqué qu'il convenait de « mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant ».
A son tour, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, dont je salue ici l'action, s'est prononcé, en septembre 1997, en faveur d'une reconnaissance officielle de la « guerre d'Algérie ».
En avril 1998, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants s'est tourné vers le secrétaire d'Etat au budget pour que les inscriptions sur les titres de pension fassent désormais référence non plus aux « opérations en Afrique du Nord », mais à « la guerre d'Algérie et opérations d'Afrique du Nord ». Cette modification n'est, hélas ! pas encore effective.
De la même manière, deux plaques qui sont de véritables « lieux de mémoire » ont vu leur inscription modifiée. L'inscription sur la plaque apposée à Notre-Dame-de-Lorette, qui abrite depuis 1977 le cercueil du soldat inconnu d'Algérie, est devenue : « Ici repose un soldat inconnu mort pour la France lors de la guerre d'Algérie. »
Quant à la plaque commémorative de l'Arc de triomphe, elle est ainsi rédigée : « Aux morts pour la France lors de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (1952-1962). »
A ce propos, nous ne pouvons que souhaiter que cette politique de la mémoire des conflits d'Afrique du Nord se poursuive également par la création d'un mémorial national de la guerre d'Algérie, afin d'incarner l'hommage de la nation à tous ceux qui sont « morts pour la France » dans ces terribles circonstances.
Toutefois en dépit de ces initiatives, le changement de qualification officielle des « opérations en Afrique du Nord » ne pourra être complet qu'après une modification de la loi.
La reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie passe en effet nécessairement par une intervention législative.
Sur le plan juridique, dans la mesure où des dispositions à valeur législative font référence aux « opérations effectuées en Afrique du Nord », seul le législateur est habilité à les modifier.
Sur le plan des principes, la commission des affaires sociales estime important que la représentation nationale témoigne solennellement sa reconnaissance aux anciens combattants d'Afrique du Nord en appelant par leur nom, et non par un quelconque euphémisme, les conflits dans lesquels ils ont été engagés.
C'est là l'objet du débat d'aujourd'hui. Il s'agit d'affirmer, M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé à juste titre, qu'en Algérie c'était la guerre. Il s'agit aussi de reconnaître qu'en Tunisie et au Maroc ce furent de véritables combats.
Certes, ce n'est pas sans doute pas au législateur de qualifier juridiquement les événements historiques. Mais, dans le cas présent, cette démarche redevient légitime, le législateur ayant longtemps choisi, malgré les initiatives sénatoriales, d'atténuer la réalité d'un conflit par des circonvolutions sémantiques.
La nécessaire reconnaissance de la réalité des opérations d'Afrique du Nord ne doit cependant pas dispenser d'étudier avec attention, au-delà de son importante dimension symbolique, les implications juridiques de la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie.
L'analyse des textes permet de conclure à l'absence de conséquences matérielles, qu'il s'agisse des droits à réparation reconnus aux combattants mobilisés pendant ces conflits, des dommages de guerre ou des éventuelles mises en jeu de la responsabilité pénale pour certains actes individuels.
En revanche, même si cette proposition de loi vise avant tout à nous aider à regarder avec lucidité notre passé, elle ne sera pas sans implication pour l'avenir.
En réconciliant les Français avec leur passé, l'adoption de cette proposition de loi permettra d'inscrire tous ceux qui ont souffert de ces conflits à leur juste place dans la mémoire nationale. Jusqu'à présent, il n'y avait pas de mémoire nationale autour des conflits d'Afrique du Nord. Il n'y avait que des mémoires éclatées. Les pieds-noirs, les appelés, les militaires de carrière, chacun avait son histoire, chacun s'était constitué une mémoire particulière. Accepter la qualification de guerre est alors le moyen de rapprocher ces mémoires éparses.
Mais, au-delà d'une réconciliation strictement nationale, cette proposition servira également de fondement à une réconciliation entre le peuple français et le peuple algérien, réconciliation qui exige à l'évidence que la France accepte au préalable la réalité d'un passé douloureux.
J'observe d'ailleurs que le quotidien algérien El Watan considère la discussion de cette proposition de loi comme « la volonté de la société et de la classe politique françaises de normaliser les rapports entre la France et l'Algérie, d'aller vers une réconciliation ».
Pour conclure, je tiens à rendre un hommage particulier à tous les jeunes appelés, rappelés, réservistes, engagés et harkis qui ont servi avec bravoure et honneur la patrie et le drapeau français. Demain, plus encore qu'aujourd'hui, cette génération incarnera le monde combattant. Il est donc nécessaire de reconnaître l'étendue de leurs sacrifices.
Il s'agissait non pas de simples « opérations de police », mais bien d'une guerre et de combats. Aussi notre respect pour leur engagement souvent tragique doit-il se concrétiser par une mise en accord de la loi avec la réalité, au nom de la reconnaissance de la nation.
Pour ces raisons, la commission propose au Sénat d'adopter sans modification la proposition de loi votée à l'Assemblée nationale. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 40 minutes ;
Groupe socialiste, 33 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 24 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 22 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants, mes chers collègues, l'examen de la proposition de loi substituant à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » l'expression « à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc » est une opportunité pour notre assemblée de gommer des ambiguïtés et des non-dits.
Les raisons sont nombreuses de s'en réjouir, mais j'en retiendrai trois.
La première, c'est l'ajustement du droit sur une réalité historique aujourd'hui pleinement reconnue. Le droit ne saurait en effet contribuer à occulter plus longtemps des événements qui ont marqué durablement notre conscience collective.
La deuxième raison est la dimension solennelle et symbolique de cette reconnaissance. La mobilisation a été forte pour parvenir à ce résultat et ce texte est le fruit de nombreuses initiatives émanant de tous les horizons politiques.
La troisième raison est la possible unanimité des deux assemblées parlementaires sur ce texte, ce qui, espérons-le, augurera d'une nouvelle session fondée sur un travail constructif entre les deux assemblées parlementaires.
Je suis, pour ma part, particulièrement attaché à la défense de ce texte, et ce à un double titre.
Tout d'abord, au printemps dernier, avec mes collègues Marcel Lesbros, Serge Mathieu et Joseph Ostermann, j'avais déposé une proposition de loi « tendant à la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie ». C'est donc résolument que je défends aujourd'hui la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale qui nous est soumise, l'essentiel étant que les anciens combattants d'Afrique du Nord soient enfin reconnus comme tels. Il ne saurait y avoir de « guerre législative » sur un tel sujet ; seule la réalité compte.
Par ailleurs, le 21 septembre 1997, M. le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants employait l'expression « guerre d'Algérie » pour la première fois. C'était à l'occasion de l'inauguration, à Pavie, du mémorial gersois des anciens combattants « morts pour la France » et des victimes civiles d'Afrique du Nord. Le Gers, ses combattants et l'ensemble de ses habitants ont été fiers et honorés d'avoir la primeur de cette déclaration officielle.
Je suis donc, je le répète, particulièrement heureux de défendre ce texte aujourd'hui.
Cette proposition de loi n'entraîne pas de conséquences financières pour l'Etat. Elle n'a pas non plus d'incidence statutaire ou judiciaire. En effet, elle ne met pas en jeu la responsabilité pénale d'anciens combattants, que ce soit devant le juge français, le juge algérien ou le juge international.
Quelles sont, alors, les conséquences de cette nouvelle qualification ?
Elles sont d'une tout autre nature et touchent au respect, à la reconnaissance et au devoir de mémoire que la nation doit avoir à l'égard des anciens combattants d'Afrique du Nord.
Ce texte a pour objet de mettre fin à un « déni d'histoire », si vous me permettez d'employer cette expression. Les anciens combattants d'Algérie ont longtemps été considérés par les autres Français comme ayant participé à une guerre peu semblable aux autres.
En effet, cette guerre était particulière en raison des liens qui unissaient la France avec son ancien département : elle bouleversait plus de 130 années de vie commune.
Au regard de la législation, cette guerre n'osait pas dire son nom, comme on n'ose appeler une chose, un événement dont on aurait honte. Elle ne s'inscrivait dans aucune analyse classique des conflits, surtout au regard de la Première Guerre mondiale ou de la guerre 1939-1945.
Mais ne soyons pas critiques à l'égard de nos prédécesseurs : la guerre d'Algérie s'inscrivait clairement dans un processus de décolonisation révolutionnaire, et utiliser le mot « guerre », c'était reconnaître dès le départ une souveraineté nationale à l'Algérie, ce qui ne pouvait être accepté par la France.
Pourtant, les méthodes de combat et les risques encourus par les soldats méritaient une telle appellation. Le bilan parle de lui-même : 70 000 militaires blessés, 25 000 militaires tués, des centaines de milliers de victimes civiles d'origine africaine ou européenne.
Requalifier cette période historique s'annonce comme une reconnaissance, un hommage national rendu à tous ceux qui se sont battus, aux morts et à leur famille. Oui, il s'agissait bien d'une violence organisée pour atteindre un objectif, une violence entre des groupes, entre des sociétés, même si elle n'opposait pas deux Etats.
La reconnaissance que nous souhaitons aujourd'hui pour les anciens combattants n'aurait peut-être pas été possible sans l'arrivée au pouvoir d'une génération qui a combattu en Algérie, génération incarnée au premier chef par le Président de la République et une cinquantaine de parlementaires.
Aujourd'hui, le sacrifice de nos soldats acquiert une nouvelle dimension et la France va enfin pouvoir gommer toutes les équivoques et convier les Français à une mémoire nationale de la guerre d'Algérie.
Pour l'avenir, il sera plus aisé de transmettre ces faits aux générations futures.
Pour l'avenir, cette clarification devrait aussi faciliter une réconciliation sans équivoque entre la France et l'Algérie, et déboucher sur un nouvel esprit de coopération
Travail de réconciliation entre les deux peuples, mais aussi clarté pour les Français d'origine algérienne, parfois tiraillés entre les deux cultures, car, au-delà de la reconnaissance solennelle et de l'hommage qui est rendu aux anciens combattants, c'est aussi de la cohabitation dans le creuset de la République qu'il est question.
Mes chers collègues, si, comme je l'espère, ce texte est également adopté à l'unanimité par la Haute Assemblée, la date du 5 octobre 1999 restera marquée dans la mémoire de ceux qui se sont battus il y a un demi-siècle et, plus largement, dans la mémoire de la nation tout entière.
Je voterai donc la proposition de loi substituant à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » l'expression « à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc », comme l'ensemble des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Chabroux. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée a une portée symbolique, morale, éthique, affective dirai-je aussi, dont nous mesurons tous l'importance. Son inscription à l'ordre du jour du Sénat, au premier jour des travaux de la session qui s'ouvre, fait honneur à notre assemblée.
Cette proposition de loi, qui est due à l'initiative du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, affirme qu'entre 1954 et 1962, en Algérie, c'était la guerre, la guerre avec tout ce que cela veut dire, tout ce que cela représente de drames, d'horreurs, d'abominations, mais aussi de courage, d'abnégation et d'héroïsme.
D'autres textes avaient été présentés à l'Assemblée nationale, par d'autres groupes. Au Sénat également, il y a eu d'autres propositions de loi ; elles vont toutes dans le même sens.
Il faut louer la sagesse et la lucidité du rapporteur, M. Lesbros, et de la commission des affaires sociales qui nous proposent d'adopter sans modification la proposition de loi votée - faut-il le rappeler ? - à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Il importe avant tout de reconnaître la réalité des conflits en Afrique du Nord - en Tunisie, au Maroc et en Algérie - et d'adopter sans délai le texte qui nous est soumis.
Je veux aussi vous rendre hommage, monsieur le secrétaire d'Etat, pour n'avoir jamais hésité, dans vos discours et dans les actes commémoratifs que vous avez accomplis, à employer le mot de guerre. Vous avez été le premier à le faire, dans les fonctions qui sont les vôtres, et cela mérite d'être souligné.
Nous savons bien que le temps n'a que trop duré, qu'il faut mettre fin à des années et des années - quarante-cinq ans se sont écoulés depuis l'éclatement de la guerre et trente-sept depuis le cessez-le-feu - d'ambiguïté, d'amnésie et d'hypocrisie.
Nous savons bien - tout le monde le sait dans notre pays - qu'il y a eu la guerre d'Algérie, c'est une évidence. La question qui se pose est sans doute celle de la dénomination des conflits en Afrique du Nord, pour accorder le langage officiel avec le langage courant, et, plus encore, celle des raisons pour lesquelles cette guerre n'a jamais voulu dire son nom.
Pourquoi n'a-t-on eu de cesse de présenter ces conflits de façon rassurante et faussement pudique en les qualifiant successivement d'« événements », d'« actions de maintien de l'ordre », d'« opérations de rétablissement de la paix civile », d'« entreprise de pacification » ? Tout au plus les actualités titraient-elles, pendant cette période, sur « le drame algérien » !
Les jeunes appelés et rappelés partirent avec, comme l'écrivait l'un d'entre eux, « cette idée véhiculée aussi bien par la presse française que par les militaires, idée martelée au point de devenir une véritable intoxication, qu'on allait poursuivre là-bas l'oeuvre de colonisation à la française ». Il faut ajouter, pour être juste, que quelques journalistes, toutefois, faisaient preuve de courage et prenaient des risques.
Comment ne pas voir qu'il y avait guerre, une guerre de décolonisation commencée au moment même où s'achevait la guerre d'Indochine, au moment même où, à Bandung, les pays du tiers monde traçaient les voies de leur émancipation ? Il s'agissait d'une guerre d'un type nouveau, sans doute, d'une guerre de guérilla érigeant le terrorisme en méthode de combat généralisé.
Comment ne pas voir l'ampleur de la mobilisation ? Toutes les armes, tous les régiments, tous les services durent puiser au plus profond de leurs ressources et se livrer au maximum.
Comment ne pas voir l'effort énorme supporté par le contingent ? C'était toute une génération qui était confrontée à la guerre, et quelle guerre ! Que sait-on aujourd'hui de cet effort ? Pratiquement rien si l'on en juge par les réactions de l'opinion publique et des jeunes générations !
Il est temps de rendre cette guerre aux anciens combattants d'Afrique du Nord parce qu'ils l'ont faite et que personne ne pourra le nier. C'est une justice qui leur est due c'est aussi leur honneur et leur dignité.
Pour tous ces jeunes, la guerre, était omniprésente, même là où l'on ne s'en méfiait pas et un jeune qui allait en Algérie faisait son devoir comme n'importe quel autre soldat de n'importe quelle guerre. Rien ne saurait donc distinguer un ancien combattant d'Afrique du Nord d'un autre ancien combattant.
Pourquoi a-t-on aussi peu parlé des hommes sur le terrain ?
Comment pourrait-on ne pas évoquer le quotidien de ces soldats, le déchirement du départ, de la séparation familiale, l'acheminement laborieux jusqu'au camp, honteux, de Sainte-Marthe, à Marseille, avec la division d'infanterie de montagne, l'entassement dans les cales d'un vieux bateau qui faisait encore une fois son dernier voyage, la rudesse de l'instruction, la beauté sauvage des paysages, les rigueurs du climat, les accrochages, la peur, la fatigue, le courrier qui n'arrive pas, les maladies, les blessures, la sonnerie aux morts qui retentit au petit matin ?
Il y eut ainsi près de deux millions de jeunes qui furent appelés ou rappelés, voire maintenus, pour servir en Algérie en plus des militaires d'active, et qui accomplirent souvent vingt-huit mois et plus, jusqu'à trente-deux mois, de service.
Aujourd'hui, nous devons penser à ceux qui sont tombés près de 30 000, pour la plupart à l'âge de vingt-ans ; penser aux familles qui ont perdu un fils, un frère, un mari, un fiancé ; penser aux enfants qui ont grandi sans connaître leur père ; penser à ceux qui revinrent marqués dans leur chair par la blessure ou la maladie, sans compter les traumatismes psychiques qui subsistent encore.
Nous devons également penser à ceux des musulmans, les harkis, qui ont fait le choix le plus difficile, celui de rester fidèles à la France, et qui ont gagné le droit, pour eux-mêmes et pour leurs enfants, d'appartenir pleinement à notre nation. Nous ne pouvons pas oublier non plus le drame des rapatriés, contraints de tout abandonner et de recommencer leur vie comme si rien n'avait existé auparavant.
Oui, c'était la guerre ! Et, quelle que soit l'appréciation que l'histoire portera sur ces années douloureuses et sur les responsabilités qui furent engagées, elle ne saurait effacer le courage dont firent preuve les combattants, tous les combattants. N'oublions pas que plusieurs centaines de milliers d'Algériens de tous âges disparurent dans cette guerre.
C'était une guerre aussi par les profonds bouleversements qu'elle a provoqués sur la scène politique française et internationale : l'effondrement de la IVe République, le séisme du 13 mai 1958, avec la formation d'un Comité de salut public à Alger, l'arrivée au pouvoir de Charles de Gaulle, Charles de Gaulle à Alger, Charles de Gaulle à Mostaganem, Charles de Gaulle élu président de la République, la Ve République.
Il est étonnant que la référence au général de Gaulle ne soit pas venue plus souvent dans les interventions de la droite, que ce soit à l'Assemblée nationale ou maintenant au Sénat, comme si l'on pouvait occulter cette période de notre histoire.
Il faudrait rappeler la longue marche qui a conduit de Gaulle de Mostaganem, en 1958, aux accords d'Evian et aux référendums de 1962,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quatre ans !
M. Gilbert Chabroux. ... après bien des épisodes qui laisseront des traces indélébiles dans notre histoire : les barricades, les complots, le putsch des généraux, l'OAS, la répression sanglante de Charonne.
Charles de Gaulle a mis un terme à la guerre.
Avec le référendum du 1er juillet 1962, le peuple algérien allait choisir l'indépendance après 132 ans de présence française.
Les séparations, celles des peuples comme celles des personnes, ne se font jamais sans déchirement. La Méditerranée, dont le nom arabe signifie « la mer blanche du milieu », est devenue mer de divorce, mer de rupture, d'obsession et de fantasmes, tant sur une rive que sur l'autre.
Mais, aujourd'hui, l'espoir renaît. La France assume son histoire et, en Algérie, une petite lumière s'est allumée. Le référendum du 16 septembre dernier sur la concorde civile marque certainement une nouvelle étape dans l'histoire de ce pays.
Lorsque l'Algérie connaîtra l'apaisement que nous appelons de nos voeux, nous devrons développer un nouveau dialogue de paix et de fraternité avec le peuple algérien ; ce dialogue sera facilité si, les uns et les autres, nous sommes capables de faire une analyse commune de la présence française et des conditions dans lesquelles elle a pris fin sur l'ensemble du Maghreb.
Mes chers collègues, au moment où la construction européenne se trouve à un nouveau tournant de son histoire, il faut rappeler que la France s'est engagée dans une démarche de solidarité à l'égard de nombreux pays du monde, et que c'est avec l'ensemble des pays méditerranéens que l'Europe doit resserrer ses liens pour faire de la Méditerranée une zone de paix et de prospérité.
Dans l'esprit de beaucoup, 1999 apparaît comme la dernière année du xxe siècle. Ce siècle aura été atroce, avec les deux guerres mondiales, des massacres, des génocides, avec aussi la guerre d'Algérie.
Il est nécessaire de reconnaître et d'assumer l'histoire, qu'il s'agisse du premier génocide du xxe siècle, le génocide arménien, ou de la dernière guerre de la France, la guerre d'Algérie, pour en tirer des leçons et engager les jeunes générations à construire un monde qui devrait être celui de la paix, de la solidarité, de la fraternité. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Jacques Machet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Baudot.
M. Jacques Baudot. « Aujourd'hui, à la compagnie opérationnelle, il y a eu des dégâts, trois morts dont le capitaine commandant la compagnie et deux appelés. En partant en opération, leur jeep a sauté sur une mine, ils n'ont pas eu le temps de souffrir... mais c'est pas de chance. A chaque sortie, on se demande si on aura ou pas de la chance. J'ai peur...
« Mecheria, mars 1959. »
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tenais à vous faire partager, l'émotion que j'ai ressentie à la lecture de ces quelques lignes tirées du journal d'un appelé.
S'il est encore quelqu'un pour douter que les combats en Afrique du Nord furent une guerre, j'ajouterai la liste des 20 000, 25 000, 27 000 morts, 30 000 peut-être - les chiffres varient. Ils avaient entre dix-huit ans et vingt-cinq ans. Ils étaient métropolitains ou harkis. Ils portaient l'uniforme français.
C'était la première fois que des appelés participaient à un tel conflit. Partis avec toute l'innocence de leur jeunesse à la découverte d'un monde qu'ils imaginaient ensoleillé et riant, ils auront rencontré l'horreur et quelquefois la barbarie.
Ils sont morts pour la France. Leur mémoire et le sacrifice de leur vie méritent bien cette reconnaissance. Leur mémoire et leurs familles ont droit à cette reconnaissance.
Je parlerai aussi de ceux qui ont eu, comme on le dit souvent avec légèreté, sans prendre conscience du drame qu'ils ont vécu, la chance de revenir au pays. Certes, ils sont rentrés vivants, mais certains blessés dans leur chair, tous meurtris au fond d'eux-mêmes ; aucun n'a pu oublier.
Durant trente-sept ans, les anciens d'Afrique du Nord ont porté seuls, avec la plus grande discrétion, presque comme une honte, le poids de ce tragique souvenir.
Si les dirigeants de l'époque, par pudeur ou par souci de dédramatiser les événements, les avaient qualifiés « d'opérations de maintien de l'ordre », il est admis par tous, depuis longtemps, que ce qui s'est déroulé en Afrique du Nord était bien une guerre, malheureusement une guerre.
Aucun conflit n'est identique à un autre, mes chers collègues, mais mourir dans une tranchée, dans une rizière ou dans le djebel, n'est-ce pas toujours mourir sous le feu d'un adversaire ? N'est-ce pas cela la guerre ?
La requalification de cette tragique période ne modifiera pas énormément la vie de ceux qui ont laissé une partie d'eux-mêmes en Algérie, au Maroc ou en Tunisie. Du moins leur ouvrira-t-elle l'accès aux mêmes droits que leurs aînés, et ce n'est que justice. Elle redonnera, aussi et surtout, un peu de cohérence à l'histoire de notre pays.
Cependant, pour symbolique que soit cette initiative, je me réjouis qu'elle revienne au Parlement. Elle témoigne, s'il en était encore besoin, du respect que portent les élus au sang versé pour la nation.
Toutefois, cela a déjà été dit, cette reconnaissance ne sera totale que le jour où l'idée de la création du mémorial en hommage aux victimes de ces combats s'imposera à tous.
Vous oeuvrez, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'érection de ce monument, en relation avec les parlementaires et les associations. Je formule le voeu qu'il soit édifié le plus rapidement possible. Pourquoi pas en 2002 - c'est demain - quarantième anniversaire de la fin du conflit ? Ce serait peut-être une bonne date. Alors, nul ne pourra plus jamais dire : « l'Algérie, ce n'était pas une guerre. » (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Cléach.
M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je me réjouis que l'ouverture de la session se fasse sur l'examen de la proposition de loi n° 418 relative à la substitution, à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l'expression « à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ».
Qualifiée d'abord d'« événements » puis d'« actions de maintien de l'ordre » et d'« entreprise de pacification » avant d'être figée dans la loi sous les termes ambigus d'« opérations effectuées en Afrique du Nord », la guerre d'Algérie a longtemps été une « guerre sans nom ».
Quarante-cinq ans après son commencement, trente-sept ans après le cessez-le-feu, cette guerre sera - enfin ! - désignée comme telle.
Pour mes compagnons et moi-même, qui avons vécu cette période, c'était réellement et tout simplement une guerre qui, comme toute guerre, a été une tragédie : 1 343 000 jeunes appelés et rappelés et plus de 400 000 militaires d'active ont franchi la Méditerranée dans les conditions qui ont été rappelées par l'orateur précédent et que j'ai personnellement vécues, 23 000 militaires ont été tués, dont 6 400 soldats du contingent.
A ces chiffres il faut bien entendu ajouter les victimes civiles d'origine africaine ou européenne, les historiens estimant que leur nombre varie entre 400 000 et 500 000.
La guerre est une situation de fait avant d'être une situation de droit. L'opinion publique, les journaux puis les historiens, tout le monde qualifia ce conflit de guerre. Seule l'appellation juridique restait en discordance avec le langage courant.
C'est pourquoi l'inscription dans notre droit de la reconnaissance de la guerre d'Algérie est un geste symbolique particulièrement fort.
C'est avant tout l'occasion de rendre un hommage solennel, en satisfaisant au devoir de mémoire, à ceux qui, répondant à l'appel de leur pays, ont fait le sacrifice de leur vie.
A cet égard, je souhaite que le mémorial national de la guerre d'Algérie voie rapidement le jour pour couronner cet hommage rendu à tous nos compagnons d'armes « morts pour la France » lors de ces conflits.
C'est aussi un geste de reconnaissance envers ceux qui ont perdu leurs proches, ceux qui ont sacrifié une partie de leur jeunesse et tout particulièrement ceux qui sont revenus blessés ou traumatisés par ce qu'ils avaient vécu.
Cette officialisation de la guerre qui s'est déroulée sur le sol algérien répond à la demande unanime de toutes les associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord. Pour en avoir été souvent saisi, je sais combien cette reconnaissance leur tient à coeur.
Si la guerre d'Algérie et les combats de Tunisie et du Maroc restèrent officiellement qualifiés de simples opérations, paradoxalement, le législateur a progressivement assimilé les soldats d'Afrique du Nord aux combattants des conflits précédents. Néanmoins, faute de reconnaissance, les combattants de cette génération ont souvent eu le sentiment que leurs sacrifices n'étaient pas pleinement reconnus, alors que, comme leurs aînés, eux aussi avaient répondu à l'appel de leur pays.
Ce texte est donc une légitime reconnaissance des souffrances vécues par les Français d'Afrique du Nord.
Rappelons à cet effet que la fin des conflits et la conclusion des accords de paix furent suivis de l'exode d'un million de nos concitoyens, qui durent quitter l'Algérie, terre qu'ils chérissaient, pour regagner la métropole dans des conditions qui, malheureusement, ne furent pas toujours à l'honneur de la France.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vrai !
M. Marcel-Pierre Cléach. Ce texte participe aussi d'un devoir de mémoire et d'une exigence d'honnêteté envers la communauté harkie, qui a payé le prix du sang pour appartenir à la nation française. Ses membres, qui ont souvent eu, et à juste titre, le sentiment d'être abandonnés, exclus, voire trahis, peuvent compter sur notre soutien et notre vigilance pour veiller à la bonne exécution des mesures annoncées par Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Enfin, l'adoption de cette proposition de loi peut influer favorablement sur les relations franco-algériennes. Cette guerre, tragique pour le peuple français comme pour le peuple algérien, a mis fin à une histoire commune longue de 132 ans. Le choix des mots n'est pas neutre. Puisse la reconnaissance des faits aider à une plus grande entente entre nos pays au moment où le peuple algérien continue à vivre une histoire difficile !
Bien que je ne méconnaisse pas, monsieur le secrétaire d'Etat, votre volonté d'éviter d'aborder toute revendication afin de conserver à ce texte toute la portée symbolique qu'il mérite, je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour rappeler à votre attention la nécessaire décristallisation des pensions des combattants d'outre-mer, ainsi que l'obligation morale qui nous est faite d'accorder la nationalité française aux personnes ayant combattu dans la légion étrangère.
Les anciens combattants sont particulièrement sensibles à ce que les légionnaires, dont la plupart ont appris à connaître et à aimer la France au fur et à mesure de leurs campagnes, et en tout cas à la servir, souvent héroïquement, voient leur bravoure et leur fidélité à notre drapeau reconnues par la nation. Ne réécrivons pas à leur égard la malheureuse histoire des harkis ni, à un autre degré, celle des combattants d'outre-mer quelque peu oubliés.
Je voudrais enfin vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, combien je suis attaché à ce que le mouvement des anciens combattants ne se divise pas sur le choix d'une date de célébration du souvenir de la guerre d'Algérie, et j'appelle de cette tribune les représentants de ce mouvement à mettre tout en oeuvre pour imaginer une solution qui rallie l'ensemble des anciens d'Algérie. On ne se bat pas pour le choix d'une date, c'est trop triste et quelque peu dérisoire. On se bat, ensemble, pour la mémoire.
En conclusion, je ne vous surprendrai pas, mes chers collègues, en vous disant que je voterai, ainsi que l'ensemble du groupe des sénateurs républicains et indépendants, sans modification, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale.
Les plus hautes autorités de l'Etat ont contribué à cette avancée puisque le Président de la République, dans sa déclaration du 10 septembre 1996, puis vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, et je vous en remercie, vous êtes prononcés en faveur d'une reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie.
C'est maintenant au Parlement qu'il revient de qualifier l'histoire en officialisant dans la loi l'appellation « guerre d'Algérie ». Le 10 juin dernier, l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi à l'unanimité. Je souhaite qu'à son tour notre assemblée, unanime, reconnaisse l'existence de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi d'abord de vous faire partager l'émotion qui est la mienne en prenant la parole sur un sujet aussi important et symbolique que celui de la reconnaissance de l'état de guerre en Algérie.
En effet, la discussion de la présente proposition de loi me rappelle comme elle rappelle, à nombre d'entre nous, les événements auxquels nous avons participé, événements qui ont motivé le maintien sous les drapeaux pour les uns et le rappel pour les autres.
Cette discussion, qui obéit à un devoir de mémoire, est symbolique à plusieurs titres, notamment dans la mesure où il s'agit du premier texte inscrit à l'ordre du jour de cette session. Gageons que l'esprit de consensus qui a animé la commission animera nos débats.
Dans une correspondance avec son ami Louis Ullbach, Emile Zola écrivait en 1871 : « Une société n'est forte que lorsqu'elle met la vérité sous la grande lumière du soleil. ». Souhaitons que la détermination dont nous faisons preuve aujourd'hui effacera les tergiversations passées.
Le conflit algérien était-il une guerre ? La question ne souffre plus de discussion aujourd'hui.
On a parlé en 1954, cela a été rappelé par M. le rapporteur, d'« événements », alors que déjà, 55 000 de nos soldats avaient été envoyés dans le bled. Une année plus tard, les termes d'« opérations de police » apparurent sans pouvoir rendre compte de la réalité du terrain, pour être remplacés rapidement, en mars 1956, par l'opaque expression d'« actions de maintien de l'ordre », alors que 400 000 hommes avaient été mobilisés et que, parallèlement, le maintien du contingent avait été porté à vingt-sept mois, voire trente, pour certaines armes.
Les termes officiels ont passé la guerre - puisque c'en était une - à courir après la réalité sans jamais la rattraper, des « opérations de rétablissement de la paix civile » jusqu'à l'« entreprise de pacification », de la fin 1957 à la fin du conflit.
Si nous pouvons comprendre pourquoi, en ces temps troublés, l'Etat ne pouvait reconnaître l'état de guerre, nous pouvons regretter qu'il nous ait fallu trente-sept ans pour enfin le reconnaître a posteriori.
Un million et demi d'hommes mobilisés pendant huit ans et 200 000 supplétifs ; plus de 23 000 morts parmi nos hommes, dont 6 400 appelés du contingent ; plus de 400 000 victimes au total, civiles, militaires, d'Europe ou d'Afrique du Nord : il s'agit bien là d'une guerre.
Pour les historiens comme pour nos concitoyens, il n'y a pas de doute sur la qualification. Souvenons-nous que dans l'ouvrage intitulé Paix et guerre entre les nations, écrit en 1961, Raymond Aron proposait comme moyen de classification des conflits en tant que guerre, parmi d'autres critères, le nombre de morts, le nombre de blessés, la violence des combats, l'hétérogénéité des causes défendues.
Pour nos jeunes, engagés ou appelés du contingent, qui ont laissé dans un oued desséché deux années de leur vie au mieux, perdu un ami au pire, c'était bien une guerre.
Pour ceux qui ont fait le choix douloureux de se battre contre une partie d'eux-mêmes - harkis ou indépendantistes - en rejoignant un camp ou l'autre, c'en était bien une également.
Pour les mères qui ont perdu leur fils, tombé dans une embuscade, fauché par un attentat, mort au combat, c'était bien une guerre. Il n'est pas de différence entre un fils disparu en 1916, en 1940 ou en 1960. L'amour familial ne souffre pas de subtilités juridiques.
Aussi, il n'est que temps de rétablir une égalité de traitement entre les générations du feu.
Il fallait du temps pour légiférer, certes, mais il fallait aussi un consensus. C'est sans doute la seule explication légitime qui justifie d'avoir attendu si longtemps. Il ne fallait surtout pas que nous soyons divisés, déchirés sur cette question. Ce ne fut pas le cas, et c'est bien.
Le Président de la République, Jacques Chirac, a montré la voie le 10 septembre 1996, devant des associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord, en indiquant qu'il convenait de « mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant ».
Le secrétaire d'Etat aux anciens combattants, je le reconnais volontiers, s'est, à partir de l'année suivante, prononcé pour une reconnaissance officielle de la « guerre d'Algérie », mettant le discours officiel en adéquation avec la réalité.
Au Parlement également, des propositions de loi émanant de tous les groupes développèrent la même idée désormais acquise. A l'Assemblée nationale, outre la proposition Floch, dont nous débattons aujourd'hui, deux autres propositions de loi furent déposées, l'une d'origine communiste et l'autre cosignée par les trois groupes de l'opposition nationale.
Parallèlement, au Sénat, trois propositions de loi furent discutées simultanément en commission, celle qui a été transmise par l'Assemblée nationale, celle du groupe communiste républicain et citoyen et celle de la majorité sénatoriale, cosignée par votre serviteur.
Mais, bien au-delà du consensus sur la nécessité de légiférer, c'est le consensus dans les débats qui m'a le plus réjoui.
La proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale tout en ayant été largement amendée, et ce jusqu'à son titre ; chaque groupe apporta sa pierre aux débats afin de nous transmettre un texte largement amélioré.
D'autres termes auraient pu être choisis même si l'expression « guerre en Algérie et combats en Tunisie et au Maroc » me semble effectivement la plus pertinente, mais, en votant ce texte en l'état, nous ferons un geste fort, nous émettrons un signe de notre volonté d'aller vite, car il n'est que temps que le langage officiel soit conforme à la réalité historique.
En votant ce texte à l'unanimité, nous donnerons le signe fort que la représentation nationale dans son ensemble, les deux chambres confondues, reconnaît solennellement les services et les sacrifices des personnes qui ont servi la nation. La forte portée symbolique et consensuelle sera de nature à gommer les années de silence vécues par certains comme un reniement.
Evidemment, d'autres questions se posent. Nous avons notamment soulevé dans notre proposition de loi celle de l'octroi de la campagne double. Au demeurant, je me rallierai volontiers à la sagesse de la commission. Il est important, en effet, de ne pas dénaturer la teneur hautement symbolique de ce texte par des mesures d'ordre matériel. Il est également important de ne pas rendre plus floue encore qu'elle ne l'est la frontière entre le domaine réglementaire et le domaine législatif.
Notre priorité absolue doit rester le rétablissement de l'égalité entre les générations du feu.
Il n'en demeure pas moins que le domaine réglementaire devra également suivre. Le Gouvernement lui aussi devra, dans son champ d'action, rétablir l'égalité entre les générations du feu.
Il en est ainsi de certaines promesses, notamment de celle du Premier ministre qui, en mars 1999, proposait d'accorder une retraite anticipée aux chômeurs en fin de droits justifiant de quarante annuités diminuées du temps passé en Afrique du Nord.
Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de la préparation du débat budgétaire, mais il serait temps de concrétiser les mesures pourtant prévues dans la loi de finances pour 1999 en ce qui concerne l'application du système de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE. L'article 121 prévoyait l'attribution de l'ARPE aux anciens combattants d'Afrique du Nord. Or, les décrets d'application n'ont toujours pas vu le jour.
Mais ne dénaturons pas la teneur et la qualité de nos débats. Nous parlions de symboles, de signes forts que veut lancer le Parlement en direction de ceux qui ont servi la nation. Je reprends votre propos, monsieur le secrétaire d'Etat : Nous allons, en effet, « qualifier l'histoire ».
Alors qu'y a-t-il de plus symbolique qu'une date de commémoration ou qu'un mémorial ?
Au sujet de la commémoration, spécialistes et historiens débattent sur la pertinence de deux dates. Si le 19 mars 1962, date des accords d'Evian, semble satisfaire un grand nombre, on ne peut nier que la violence ne cessa pas à cette date. La fusillade tragique de la rue d'Isly, une semaine après la signature de ces accords, ne peut que cruellement nous le rappeler. Ce n'est que le 3 juillet 1962 que l'indépendance de l'Algérie fut reconnue solennellement.
Dans ce laps de temps de près de trois mois et demi, des Français et surtout des harkis furent tués en grand nombre dans des conditions de barbarie si insoutenables que je n'ose les rapporter ici.
Vous me permettrez donc de ne pas trancher ; un débat serait le bienvenu pour que la date de commémoration soit choisie le plus judicieusement possible.
Il est un autre débat dans lequel, en revanche, je souhaite intervenir présentement, c'est celui du mémorial. Une commission présidée par Jean Lanzi devra, notamment, en déterminer le lieu d'implantation. Je crois savoir que celui-ci devrait se trouver à Paris.
Alsacien, je ne risque pas de procès de connivence avec la Provence, monsieur le secrétaire d'Etat - si ce n'est que « la Marseillaise » a été composée à l'hôtel de ville de Strasbourg (Sourires) - si je dis que l'on peut s'interroger pour savoir si ce mémorial doit nécessairement trouver sa place à Paris.
Vous savez comme moi que la plupart des combattants devant rejoindre l'Algérie embarquaient à Marseille. Tous ces hommes, dont j'ai fait partie - et certains me l'ont confirmé - ont vu ainsi un jour du bateau disparaître la France et Marseille à l'horizon sans savoir ce qu'ils trouveraient en Algérie, ne sachant que trop ce qu'ils laissaient en France. Tous ces hommes vous diront, comme ils me l'ont dit, que la dernière chose qu'ils virent de la France, ce fut Notre-Dame-de-la-Garde, imposante et majestueuse.
La commission n'a pas encore tranché ; quitte à choisir des symboles autant qu'ils aient un sens fort.
En ce premier jour de session, je suis fier que le Parlement rende hommage à ceux qui ont combattu pour la France.
Le groupe du Rassemblement pour la République, auquel j'appartiens, adoptera ce texte sans aucune réserve. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en cette fin d'un siècle marqué par les guerres, ce 5 octobre nous permettra de rendre justice à la troisième génération du feu et verra officialisée l'expression : « à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ». Enfin !
Avec la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, en effet, nous nous apprêtons enfin à marcher dans les pas de nos collègues de l'Assemblée nationale afin de rétablir la vérité de l'histoire.
Pour les personnes de ma génération, le cessez-le-feu du 19 mars 1962 fut une journée de liesse. J'avais dix-huit ans et, avec de nombreux jeunes de mon âge, je menais depuis deux ans des actions pour la paix en Algérie. Ce fut le premier engagement politique de mon existence.
C'était la fin d'un cauchemard qui durait, pour nos aînés, depuis la Toussaint 1954 et qui concerna les jeunes appelés, ou rappelés, nés entre 1931 et 1941.
De ce drame, nos communes portent à jamais la trace sur leurs monuments aux morts. Morts pour quoi ? Pas pour une guerre pourtant. L'opinion publique, dont le bon sens réfute souvent les paradoxes, l'avait fort justement appelée la « guerre sans nom ».
Quelle que puisse être l'analyse que nous portons, collectivement ou personnellement, sur la guerre d'Algérie, il importe aujourd'hui de nous retrouver pour rendre respectueusement hommage à ceux qui l'ont faite.
En effet, même si les finalités de cette guerre ne suscitaient aucun enthousiasme particulier de leur part, les jeunes des années 1954-1962 - à 90 % des appelés - ont sans conteste accompli leur devoir de citoyen français. Enfants durant l'occupation allemande, victimes des privations de cette époque, ils ont passé jusqu'à trente mois de leur jeunesse en Afrique du Nord. Bernard Thomas, auteur d'un roman dans lequel il évoque la « génération perdue », dit de ces jeunes qu'ils étaient « étrangers à un conflit où la politique les avait plongés ».
Quant à René Lenoir, dans son livre Mon Algérie tendre et violente, il affirme que les stigmates de la guerre, les Français de la métropole les portent eux aussi.
Pendant sept ans, les gouvernements leur ont caché la vérité, ce qui n'est jamais bon pour une démocratie. Officiellement, il n'y avait pas de guerre en Algérie ; il n'y avait que des « événements », une rébellion ; l'armée pacifiait.
Pour eux, ces longs mois furent marqués par l'immersion dans un monde de souffrances ; ce fut l'angoisse du lendemain, les copains tués ou blessés, la longue attente de la lettre de la mère, de l'épouse, de la fiancée lointaine, l'espoir de la permission - accordée avec parcimonie - la solitude, parfois la misère intellectuelle. Et puis, à vingt ans, le plus déchirant était sans doute de ne pouvoir faire de projets.
Ce conflit coûta à la France le lourd tribut de 30 000 morts et 300 000 blessés. Mais la froideur des chiffres ne saurait faire oublier la douleur des familles endeuillées, des deux côtés de la Méditerranée, la détresse des rapatriés quittant la terre aimée de leur naissance, les harkis, qui furent bientôt laissés pour compte.
Pour tous les combattants, aux blessures physiques s'ajoutèrent les blessures morales, et ces dernières sont, nous le savons, inguérissables, indélébiles.
A cette génération profondément meurtrie, il était indécent, immoral, de dénier avoir vécu, souffert en état de guerre.
Alors, avec leurs associations, auxquelles je voudrais rendre hommage, ces hommes ont mené, pendant des décennies, une véritable quête de la vérité.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Guy Fischer. Pourquoi ce long combat, qui contribua largement à la reconnaissance que nous nous apprêtons à officialiser aujourd'hui ? Parce que, pour un combattant, l'engagement au service de la patrie n'appelle pas seulement une réparation matérielle : c'est avant tout une question d'honneur.
A ce point de mon propos, je souhaite rendre hommage à M. le secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez compris voilà bien longtemps les raisons profondément humaines qui faisaient que les anciens combattants en Afrique du Nord n'auraient jamais obtenu tout leur dû sans cette reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie.
Même si je crois, comme les collègues de mon groupe, qu'il n'est pas de guerre juste, je suis tout aussi sincèrement convaincu que respect, réparation, mémoire constituent les trois pans indissociables de la dette de la nation envers ceux qui ont combattu en son nom.
Il est une seconde question que l'on est fondé à se poser : pourquoi cette reconnaissance vient-elle si tard ? Sans doute y avait-il une certaine mauvaise conscience collective, ou plutôt un rejet dans le silence et dans l'inconscient d'une épopée coloniale mal assimilée et surtout mal terminée. Quoi qu'il en soit, je me félicite de ce que la représentation nationale accepte enfin aujourd'hui ce que l'opinion publique, comme les historiens, avait déjà largement assimilé : ce fut bien une guerre !
Si cet acte symbolique revêt encore autant d'importance quarante-cinq ans après, c'est aussi parce qu'il témoigne de l'imprescriptibilité des droits moraux et matériels d'une génération plutôt oubliée par l'histoire.
Enfin, et cela me paraît d'une importance extrême, le passé d'un peuple est le creuset de son avenir. Ainsi, pour mener à bien le devoir et le travail de mémoire qui lui incombe, notre nation ne pouvait travestir plus longtemps un événement qui influa le cours de l'histoire et transforma la vie des hommes. La France et l'Algérie sont marquées durablement.
J'ai dernièrement recueilli le témoignage d'un ami de longue date, qui ne m'avait jamais parlé de « sa » guerre d'Algérie. Cette proposition de loi l'a incité à sortir de son silence, à exhumer un vécu volontairement et soigneusement mis de côté.
Comment expliquer cette pudeur, ce silence ? Une telle attitude semble commune à tous les rescapés d'événements traumatisants. C'est comme si, dans une société encline à l'oubli, une étrange arithmétique poussait les hommes, dans la chambre bien close de leur inconscient, à se compter une part de responsabilité dans les faits et une part de culpabilité pour avoir laissé des camarades derrière eux. C'est le « pourquoi pas moi ? » qui hante encore bien des consciences.
En libérant ainsi la mémoire de milliers de survivants, sans doute permettrons-nous à notre histoire de s'enrichir de leurs témoignages, de leur pensée vivante, et aux nouvelles générations de poursuivre, en toute connaissance de cause, le travail de mémoire que nous nous devons de leur léguer.
L'expérience, les expériences vécues par les anciens combattants font d'eux des partisans résolus et conscients de la paix et de l'amitié entre les peuples. L'une et l'autre appellent tolérance et grandeur d'âme. C'est aussi pour cela que nul d'entre eux, aujourd'hui, n'est indifférent aux souffrances qui endeuillent la terre et le peuple algériens, faisant comme un sinistre écho à leurs propres douleurs.
Mes chers collègues, par ce texte que nous adopterons, je l'espère, à l'unanimité - mais je ne doute pas que celle-ci se manifestera - nous rendrons un hommage solennel à cette troisième génération du feu. Nous mettrons l'indispensable point d'orgue à la réconciliation, nous nous honorerons d'avoir tracé la voie d'une ère nouvelle, qui verra se renforcer l'amitié, la coopération et la solidarité entre deux peuples épris de paix. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il convenait, plus de quarante ans après le début du conflit, d'accorder la terminologie courante et la qualification juridique. Trois millions d'hommes, ou plus, ont servi en Algérie entre 1952 et 1962. Les premières victimes, dès le premier mois, ont été portées « morts pour la France ».
Aux 55 000 hommes stationnés en 1954 se sont adjoints les appelés du contingent, les rappelés, les maintenus, les militaires d'active, les forces de gendarmerie et les supplétifs. Avec 30 000 morts et le double de blessés, auxquels il faut ajouter près de 500 000 victimes civiles d'origine européenne aussi bien que mulsumane, comment peut-on véhiculer plus longtemps un euphémisme de mauvais aloi ?
Il ne s'agit pas ici d'apprécier les raisons pour lesquelles, en 1830, l'Etat français s'est engagé dans une conquête de l'Algérie, pas plus que de porter un jugement sur les motivations des Algériens qui ont déclenché les hostilités en novembre 1954. L'expansion territoriale et les luttes de libération ont leur temps dans l'histoire. Néanmoins, le fondement qu'on leur trouve se traduit toujours en vies sacrifiées, offertes ou prises.
Le consensus trouvé aujourd'hui devrait permettre de solder totalement le contentieux lié à ces événements.
Or nous sommes, les uns et les autres, régulièrement saisis par des rapatriés d'Algérie dont les dossiers sont encore en souffrance et par des associations de harkis exposant leurs plus que difficiles conditions d'existence. Ce sont des Français comme vous et moi, qui ont eu confiance en la parole de leur pays et dont l'amertume est grande aujourd'hui.
Un énorme travail a été fait, s'agissant de la conscience collective, pour dire à ceux qui ont traversé la Méditerranée armes à la main qu'ils appartiennent bien à la troisième génération du feu. Mais on ne saurait laisser certains de nos concitoyens sur le bord du chemin. La reconnaissance et la réparation enfin accordées à ceux qui ont fait leur devoir sur une terre où on les a envoyés ne sauraient être refusées à ceux qui y sont nés.
Le texte que nous examinons ce matin, monsieur le secrétaire d'Etat, ne se prête pas à l'inclusion de mesures visant telle ou telle catégorie. Néanmoins, je souhaiterais vivement que le Gouvernement s'engage à liquider les contentieux encore existants et à satisfaire des demandes légitimes.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, pour avoir été présent en Algérie le 19 mars 1962, je n'accepterai jamais que cette date soit retenue pour saluer la mémoire des victimes de ce conflit. Un tel choix me semble mal venu sachant que 1 500 Français, et au premier chef des harkis, furent tués, pour ne pas dire massacrés, après l'application des accords d'Evian. On se souvient que l'embarquement de ces communautés, en juin 1962, a plus que laissé à désirer.
Ceux qui ont opté pour la date du 19 mars n'étaient assurément pas sur place pour assister aux événements qui ont suivi !
Encore une fois, monsieur le secrétaire d'Etat, ne laissons pas le travail inachevé après en avoir accompli l'essentiel. Après le deuil, la meurtrissure, le sacrifice, l'hommage de la nation doit être total, généreux et respectueux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat de la République participe ce matin à un moment exceptionnel de la vie parlementaire. Exceptionnel, car, nous qui écrivons la loi, nous allons qualifier l'histoire.
Cette histoire est celle de la guerre d'Algérie.
A quelques mois de l'an 2000, il est important que le pays et nous-mêmes, les élus, regardions avec lucidité et courage l'épreuve du conflit algérien.
La guerre d'Algérie a été un moment très douloureux de notre histoire récente.
En effet, 1 700 000 soldats du contingent ont servi en Algérie. Plus de 30 000 furent tués et plus de 60 000 blessés. Un million de nos compatriotes, après le cessez-le-feu, durent quitter leur maison, leur terre, là où ils avaient leurs racines, pour revenir en métropole. Plusieurs centaines de milliers de Français musulmans servirent comme supplétifs et connurent un sort dramatique que personne ne peut ni ne doit oublier.
Comme dans toute guerre, les souffrances furent grandes. C'est sans doute à cause de ces plaies, qui ne sont pas encore toutes refermées, qu'il a fallu attendre si longtemps pour avoir le débat qui nous réunit ce matin au Sénat.
Cette guerre, notre génération l'a vécue directement.
Pour ma part, je me souviens des collègues de travail dans la sidérurgie lorraine qui, le matin, arrivaient, les yeux rougis par les pleurs, en me disant qu'un père, un frère, un fiancé venait d'être appelé ou rappelé pour aller se battre en Algérie. Certains n'osaient pas prononcer le mot de guerre : il était tabou. Et pourtant !
Personne ne peut ignorer aujourd'hui, comme personne ne l'ignorait à l'époque, l'angoisse quotidienne des familles. Que de larmes versées, que d'inquiétude, car aucune famille n'était épargnée, que ce soit par le départ d'un appelé ou par celui d'un rappelé, que ce soit par le départ d'un gendarme ou par celui d'un militaire d'active.
En Algérie, c'était bien la guerre, et la France se doit de le reconnaître, non seulement par respect pour toute une génération de Français et d'Algériens touchés par ce conflit, mais aussi pour que cette partie de notre histoire soit connue dans son intégralité par les jeunes générations.
C'était la guerre et nous devons, en votant le texte déjà approuvé par l'Assemblée nationale, rendre ainsi hommage aux sacrifices consentis par ces 1 700 000 soldats qui ont répondu à l'appel de la nation, un appel lancé par des gouvernements démocratiquement désignés par le peuple.
Les anciens combattants d'Algérie, comme tous ceux qui les ont précédés dans les conflits antérieurs, doivent être reconnus dans leur vraie qualité d'anciens combattants.
Il n'y a jamais eu de doute pour quiconque : l'étape que nous abordons ce matin - l'étape de la qualification juridique - devait être franchie.
Dès le début du conflit, la France a reconnu aux soldats tués au combat la qualité de « morts pour la France ». La loi du 6 août 1955 a étendu des dispositions du code des pensions militaires d'invalidité en matière de blessure de guerre.
Le titre de reconnaissance de la nation et la carte d'ancien combattant furent accordés à la suite de débats parlementaires qui n'allèrent pas aussi loin que celui qui nous réunit ce matin.
Notre débat, comme le texte qui est soumis à notre vote, répond à une revendication essentielle des associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord.
Notre rôle d'interlocuteurs privilégiés du monde combattant en sera conforté, car nous témoignons de notre détermination à renforcer et à développer les intérêts moraux et matériels du monde combattant.
Je sais bien que notre présente discussion ne porte pas sur des questions matérielles. Il ne faut pas mélanger les genres. Notre démarche est de nature éthique et morale. Cependant, nous ne renonçons pas à voir aboutir les légitimes revendications des associations. Je pense ici au sort des plus grands invalides, à la situation des veuves et des anciens combattants en grande difficulté sociale.
A cet égard, les avancées obtenues depuis le début de l'actuelle législature vont dans le bon sens. Mais il y a encore du chemin à faire.
Il était temps que les plus hautes autorités de l'Etat mettent en harmonie le langage officiel sur le conflit algérien avec la réalité des faits.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez été le premier des membres du Gouvernement à utiliser systématiquement l'expression « guerre d'Algérie » dans vos discours officiels. De même, vous avez inauguré de nombreux monuments portant la mention « guerre d'Algérie » ainsi que de nombreuses stèles. Vous avez aussi fait apposer deux plaques reprenant l'expression « guerre d'Algérie », l'une sous l'Arc de triomphe, l'autre à Notre-Dame-de-Lorette.
Ainsi, après une longue attente, trop longue sans doute, l'heure est enfin arrivée de reconnaître la réalité historique, pour donner aux soldats de cette génération engagée dans la guerre d'Algérie leur pleine légitimité d'anciens combattants.
Je voudrais terminer mon propos par une observation qui vaut engagement pour l'avenir.
Au-delà de cette reconnaissance, ce texte s'inscrit également dans une perspective plus ambitieuse. En effet, à la lumière de l'action de nos prédécesseurs qui ont su oeuvrer, après 1945, pour la réconciliation franco-allemande et la pérennité d'un couple franco-allemand moteur de la construction européenne, cette proposition de loi, comme l'indique son exposé des motifs, nous invite à poser les bases d'une autre réconciliation, mais entre la France et l'Algérie, cette fois, deux nations qui ont eu partagé un destin commun et qui peuvent s'engager ensemble sur la voie de la construction d'une entente entre les pays méditerranéens.
C'est pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que les sénatrices et les sénateurs socialistes voteront le texte qualifiant le conflit algérien de « guerre d'Algérie ».
C'est justice que de le faire. (Applaudissements).
M. le président. La parole est à M. Faure.
M. Jean Faure. Monsieur le secrétaire d'Etat, tout à l'heure, vous avez dit que le Parlement s'apprêtait à se livrer à un exercice pour lui assez rare, qualifier l'histoire.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Tout à fait !
M. Jean Faure. Il est vrai que la classe politique est souvent plus prompte à s'occuper de réécrire l'histoire et à dénoncer des génocides qui se déroulent ailleurs qu'à reconnaître sa propre responsabilité.
J'ai beaucoup apprécié les propos de M. Chabroux, qui, lui, a réécrit l'histoire telle que nous l'avons vécue, j'allais dire cheminement par cheminement, et je lui sais gré d'avoir, en quelque sorte, reconstitué un itinéraire qui fut celui de millions d'entre nous.
Je n'ai pas tout à fait compris la référence au général de Gaulle, mais je dois dire que nombre d'entre nous ont été ébranlés lorsque, quelques années plus tard, retournant sur les lieux, en Algérie, ils ont découvert que les noms de ceux qu'ils avaient chassés et pourchassés, de ceux que l'on appelait à l'époque des criminels de guerre, Amirouche, le Sanguinaire, le Rouge, et bien d'autres, que ces noms-là ornaient désormais les rues et que, les anciennes plaques ayant été arrachées, la rue Michelet était rebaptisée : « rue du colonel Amirouche, héros de la Résistance » !
Vous comprenez pourquoi cette jeunesse, qui a été envoyée là-bas par le pouvoir politique, a pu se poser des questions pendant de longues années sur la légitimité de notre action.
En inscrivant aujourd'hui dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ainsi que dans le code de la mutualité la guerre d'Algérie, nous apportons une légitime reconnaissance à ceux qui ont tant souffert dans leur chair et dans leur âme durant l'une des périodes les plus douloureuses de notre histoire ; à ceux qui sont tombés au champ d'honneur et à ceux qui ont laissé un fils, un mari, un proche ; à ceux qui se sont battus pour une certaine idée de la France ; à nos compatriotes pieds-noirs qui ont laissé une partie d'eux-mêmes sur cette terre qu'ils chérissaient autant que la France et à laquelle ils ont tant apporté ; enfin, à nos frères harkis qui ont payé de leur vie pour revendiquer pour eux et leurs enfants la fierté d'appartenir à la France.
Je veux rendre hommage à Marcel Lesbros, mon collègue de l'Union centriste, qui a su, dans son excellent rapport, exprimer la reconnaissance de la nation, dans un souci de vérité historique, à tous les anciens combattants d'Afrique du Nord. Nous répondons enfin aujourd'hui à une demande répétée et nous pouvons nous féliciter du consensus qui est apparu au sein de la représentation nationale sur cette question.
En votant une proposition de loi qui, je le rappelle, avait été déposée par la majorité sénatoriale, nous allons accomplir un geste symbolique fort.
Je n'ajouterai rien à ce qu'ont dit mes collègues sur le sacrifice de nos camarades, sur le drame de nos compatriotes pieds-noirs, sur leur attente. Leurs propos, justes, parlent d'eux-mêmes.
Non, c'est d'une communauté oubliée que je parlerai aujourd'hui, une communauté qui a eu trop longtemps le sentiment d'avoir été dépossédée de son histoire et de son identité ; je veux parler des sacrifiés de notre histoire, je veux parler de la communauté harkie. Pour avoir partagé pendant deux ans leurs combats, leurs souffrances, leur foi en la France, je souhaite, quarante ans après, m'exprimer en leur nom.
Comme vous le savez tous, la communauté harkie est constituée par l'ensemble des familles des anciens membres des forces supplétives, recrutés dans les départements français d'Afrique du Nord parmi les Algériens de souche et qui ont combattu aux côtés de l'armée française au cours des événements en Algérie entre 1954 et 1962. Le recrutement de supplétifs est de tradition ancienne. Au cours de la période coloniale française, l'armée d'Afrique s'est illustrée glorieusement sur de nombreux champs de bataille, en particulier lors des deux guerres mondiales.
Au total, ce sont près de 200 000 hommes qui choisirent de soutenir la France dans ce qui allait devenir une guerre civile.
Pour la plupart de ces combattants musulmans, il s'agissait non seulement de défendre leurs terres et leurs familles, mais également de s'engager par fidélité à la République et à la patrie française, que leurs pères, grands-pères et parfois eux-mêmes avaient défendues sur bien des champs de bataille en Europe et dans d'autres parties du monde. Il s'agissait parfois aussi de réagir aux excès de toute nature commis par les insurgés du moment.
Le destin de ces hommes courageux, dont 15 000 moururent et 65 000 furent blessés dans les combats, allait basculer dans la tragédie après la signature des accords d'Evian, le 19 mars 1962.
En dépit des stipulations de ces accords, qui prévoyaient que nul Algérien ne devait être inquiété, poursuivi ou mis en cause pour des faits liés aux événements en Algérie, l'horreur allait se conjuguer à la cruauté, à partir du mois de juillet 1962, pour faire des anciens supplétifs les victimes de massacres atroces. Un rapport du service historique de l'armée de terre, établi en 1975, fait état de plusieurs dizaines de milliers de morts : ce ne sont donc pas, monsieur Joly, 1 500 hommes qui ont été massacrés après le 19 mars 1962, mais bien plus, même si les circonstances de l'époque ne se prêtaient guère à une statistique exacte.
La situation fut d'autant plus dramatique que les moyens de transport entre l'Algérie et la métropole se révélèrent insuffisants pour faire face à toutes les demandes de départ. En effet, les pouvoirs publics n'avaient pas envisagé de favoriser l'exode massif d'Algériens musulmans hors de leur pays, croyant naïvement que les accords d'Evian seraient respectés. En définitive, entre 55 000 et 60 000 hommes, femmes et enfants ont quitté terres et maisons pour la France, où ils ont conservé la nationalité française par déclaration recognitive.
Inattendue, la fuite de 1962 n'en a été que plus tragique. Quelques heures avant le défilé qui devait célébrer l'indépendance, des camions militaires français sont passés chercher les anciens harkis, désormais dénoncés comme « collabos » et livrés à de mortelles représailles. Les familles ont fui sans rien pouvoir emporter ; elles savaient qu'elles ne reviendraient pas ; de 30 000 à 150 000 personnes, selon les estimations, sont abandonnées par l'armée française, puis massacrées ou emprisonnées par les Algériens. Ceux qui ont pu fuir ont été accueillis en France dans l'urgence, dans des camps de transit, des camps isolés, puis regroupés soit dans des hameaux de forestage, soit dans des cités urbaines, dans l'indifférence générale.
La France de 1962 n'a malheureusement pas assez pris conscience qu'elle avait à gérer de lourdes conséquences humaines.
L'établissement des anciens harkis dans notre pays a été effectivement très difficile. Ils ont tout d'abord été accueillis avec crainte, gêne, parfois même avec répulsion ou hostilité. Ils cumulaient les handicaps : le handicap de la langue, en particulier chez les veuves de harkis rapatriées ; le handicap de leur appartenance d'origine à la société traditionnelle rurale algérienne, fort éloignée de la société française en mutation des années soixante. En outre, leur formation professionnelle était inexistante.
Les anciens harkis n'ont que faiblement bénéficié des indemnisations instaurées pour les rapatriés d'Afrique du Nord ; car ils avaient rarement la possibilité de faire la preuve et l'estimation de la valeur de leurs anciennes possessions en terre algérienne.
Enfin, la communauté harkie a eu le sentiment que la politique de regroupement, soit en hameaux de forestage, soit en cités urbaines, a accentué son isolement au sein de la société française.
Mais les harkis ont surtout souffert moralement du voile pesant qui s'est abattu sur leur histoire. Mis au ban de leur pays par les nouvelles autorités algériennes, interdits de séjour sur leur lieu de naissance, les harkis ne trouvèrent, au cours de leur première année en France, que la volonté d'oublier une histoire trop récente et trop douloureuse.
La dette à l'égard des 15 000 supplétifs de l'armée française - 60 000 personnes avec les familles - réfugiés après l'indépendance de l'Algérie est l'un des dossiers qui réveille périodiquement notre mauvaise conscience, surtout à l'occasion des révoltes déclenchées par les enfants et petits-enfants de ces éternels « oubliés de l'histoire », notamment en raison de l'abandon d'une grande partie d'entre eux aux représailles du FLN après 1962, ainsi que du sort indigne qui a été réservé aux survivants rapatriés dans les camps français.
Aujourd'hui, trente-sept ans après, les enfants et petits-enfants des harkis rapatriés ne sont-ils pas les grands sacrifiés de la guerre d'Algérie ? En effet, au-delà de la notion de guerre, les harkis rapatriés qui ont choisi l'option de la France n'ont pas bénéficié de conditions décentes de vie et d'intégration de la part de leur mère patrie, ce qui malheureusement, mais logiquement, a eu des répercussions sur les deuxième et troisième générations.
Trente-sept ans après, le problème des rapatriés subsiste, et nous ne sommes toujours pas parvenus à le résoudre définitivement, ni matériellement ni psychologiquement, malgré un certain nombre de lois d'indemnisation dont la dernière remonte à 1994. Celle-ci avait prévu une allocation forfaitaire aux anciens harkis ou à leur veuve, ainsi qu'une aide à l'acquisition de logements et quelques mesures plus timides en faveur de l'insertion sociale et professionnelle des enfants de harkis, mesures diversement accueillies dans une communauté ballottée depuis l'origine entre espoir de reconnaissance et révolte.
La loi de 1994 doit en principe apurer, entre 1995 et 2000, la dette aussi bien morale que financière contractée à l'égard d'une population constituée aujourd'hui de retraités. Cependant, cette loi est apparue nettement en retrait par rapport aux promesses qui avaient été avancées quelques années plus tôt.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je connais votre attachement à la justice et je veux donc attirer votre attention sur la situation des enfants de la deuxième et de la troisième générations qui ont souffert du sentiment de rejet qui s'est développé à l'égard de leur communauté harkie. Ils ont parfois manifesté avec violence leur désarroi, d'une part, en constatant que leur père ou leur grand-père n'avait pas eu la reconnaissance morale et la place qu'il méritait dans notre société et, d'autre part, en subissant les déséquilibres sociaux propres à nos régions du Sud et les difficultés que connaît notre tissu économique.
Les préjudices subis par les harkis n'ont pas été sans conséquence : rancoeurs et désillusions ont fait naître, chez les enfants et petits-enfants des harkis, un véritable malaise social, qui est aujourd'hui encore bien réel.
Le dossier délicat des harkis et de leurs familles, qui concerne une population éprouvée, déracinée, en général insuffisamment intégrée et dont les descendants sont malheureusement trop souvent englobés par amalgame dans un groupe qui n'est pas toujours bien accepté, aurait mérité un traitement plus généreux et plus respectueux pour accéder à la reconnaissance que mérite cette communauté et aux réparations auxquelles elle a légitimement droit.
Les descendants des harkis ont souvent subi le contrecoup des difficultés d'insertion de leurs parents. Leur taux de chômage est malheureusement supérieur à la moyenne nationale. Pendant trop longtemps, les problèmes de la communauté harkie n'ont pas suffisamment retenu l'attention des pouvoirs publics.
Si les diverses lois d'indemnisation des rapatriés de 1970, 1978, 1982, 1987 et 1994 ont engendré plus d'amertume que de satisfaction et le sentiment, chez les rapatriés, de faire l'objet d'une aumône, elles ont au moins eu le mérite d'exister et ont, chaque fois, réveillé notre conscience.
Il est inutile aujourd'hui de chercher, trente-sept ans après, à établir un ordre de responsabilités dans une politique d'indemnisation et d'intégration qui n'a pas été ce qu'elle aurait dû être. Mais il est temps d'oeuvrer pour la réconciliation entre tous les fils et petits-fils d'une même patrie.
En conclusion, l'examen, aujourd'hui, de la proposition de loi relative à la reconnaissance de la guerre d'Algérie remet en lumière la nécessité de prendre des mesures symboliques en faveur des harkis, telles que la création d'un site de mémoire harkie et leur distinction dans les grands ordres nationaux.
S'agissant des mesures sociales, il y en a eu un certain nombre avec les diverses lois d'indemnisation. Elles ne tiennent toutefois pas compte des réalités, ni des revendications de la communauté harkie. Vous me rétorquerez, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce domaine concerne votre collègue ministre de l'emploi et de la solidarité, Mme Aubry. C'est la raison pour laquelle je me permettrai d'émettre un souhait : soyez notre porte-parole auprès de votre collègue du Gouvernement afin que, dans le prochain budget pour 2000, des mesures significatives puissent être prises pour les harkis, d'une part, et pour leurs enfants, d'autre part.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Jean Faure. Je pense, par exemple, à l'octroi d'une retraite digne, indexée et équivalente au SMIC.
Certaines mesures sont notoirement insuffisantes. Cela est vrai pour le montant de la rente viagère attribuée aux plus de soixante ans ne disposant pas du minimum vieillesse, qui est véritablement perçue comme une aumône. Il faut donc réajuster le plan d'action 1999-2000 et répondre ainsi à la demande pressante des intéressés.
Pour les enfants des harkis, de la deuxième et de la troisième génération, l'emploi est primordial, et les mesures annoncées cette année par Mme Aubry ne semblent pas avoir été encore concrétisées.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que, à l'échelon du Gouvernement, un effort nouveau soit engagé en vue d'améliorer les moyens d'existence des harkis et d'assurer un emploi à leurs enfants, marquant ainsi la reconnaissance de la France pour les sacrifices qu'ils ont consentis.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean Faure. Ainsi, ceux qui ont rythmé les années de vie commune que j'ai partagées avec eux de leur célèbre chant « Nou k'ouni ser Harka Algézaïa » - c'est-à-dire : « Nous qui sommes les Harkis d'Algérie » - composé par mon ami Azem Slimane, ainsi, disais-je, ces hommes entonneront-ils avec fierté l'hymne national qui nous a réunis : « Allons enfants de la patrie... » (Applaudissements.)
MM. Alain Gournac et Jacques Machet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Olin. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nelly Olin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour aborder une page de notre histoire que nous savons tous douloureuse ; et nous le faisons avec beaucoup d'émotion.
Voilà quarante ans, le général de Gaulle eut le courage de prendre les décisions difficiles mais nécessaires qui s'imposaient pour mettre fin à la guerre d'Algérie. Le général de Gaulle eut ce courage et cette détermination dont le régime des partis ne fit pas plus montre en 1958 qu'en 1940.
Il aura donc fallu plus de quarante ans à la France pour que les demandes on ne peut plus légitimes des associations d'anciens combattants d'Afrique du Nord soient entendues.
Je tiens tout d'abord à rendre hommage aux trente mille Français morts en Algérie, aux trois cent mille hommes qui en revinrent blessés et au million de personnes qui furent traumatisées par ce conflit.
Mes pensées vont vers ceux ou celles qui y ont perdu un fils, un frère, un époux, parfois un père.
Pour les anciens combattants, pour les familles, nous nous devions de réparer non pas nos fautes mais notre silence.
Certes, il s'agissait d'un conflit particulier. Certes, il s'agissait d'un département français. Cependant, les moyens engagés, les risques que prenaient nos soldats ne sont pas sans rappeler des dispositifs mis en oeuvre en temps de guerre.
Trop longtemps le prétexte que seule la France était impliquée dans ce conflit a été mis en avant pour ne pas parler de guerre. Pourtant, les familles et les soldats n'ont pas vécu ces événements autrement.
Les avancées ont été longues et parfois douloureuses pour les anciens combattants. Le 9 décembre 1974, la France reconnaît la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations en Afrique du Nord. Il s'agissait là d'une avancée. Cependant, même vingt ans après le début des conflits, la France ne reconnaissait pas l'état de guerre. Pour les anciens combattants, une fois de plus, la France n'avouait pas une situation de fait.
Ce silence, qui dure depuis quarante-cinq ans, nous devons aujourd'hui le reconnaître et l'assumer.
Le 18 septembre 1996, le Président Jacques Chirac demandait de « mettre le langage officiel en conformité avec le langage courant ».
Ce qui, dans les textes, était appelé bien hypocritement des « opérations de maintien de l'ordre » n'était en fait qu'une guerre, avec tout ce qu'elle implique de souffrance, de peine, et parfois de rançoeur.
Cette proposition de loi visant à requalifier les événements d'Afrique du Nord a une valeur hautement symbolique. Cependant, voilà quarante-cinq ans, le départ de milliers de jeunes n'avait rien d'un symbole. Il s'agissait d'hommes sacrifiant leur jeunesse, les plus belles années de leur vie, pour leur patrie, parce que la nation le leur avait demandé et parce qu'ils avaient une conscience du devoir national.
A leur retour, cette même nation a tenté d'oublier cette période sombre de son histoire, et ce qui avait été fait par devoir au service de la patrie n'a pas été reconnu.
La reconnaissance en tant que tel d'un conflit qui a marqué toute une génération par sa durée, par son ampleur, va permettre à la France d'assumer ses actes. J'espère que nous saurons en tirer les bons enseignements qui permettront de renforcer la paix.
Cette partie de notre histoire, qui a longtemps été taboue, qui a peu ou pas du tout été enseignée à l'école, va enfin pouvoir être abordée sereinement.
Ce devoir de réparation envers les anciens combattants doit pouvoir se répercuter sur leurs droits au même titre que pour les anciens combattants des guerres précédentes. Nous attendons, monsieur le secrétaire d'Etat, le débat budgétaire et nous veillerons à ce que tous les droits auxquels les anciens combattants d'Afrique du Nord peuvent prétendre soient reconnus, pour que l'hommage que nous leur rendons aujourd'hui ne se limite pas seulement à une reconnaissance morale.
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Nelly Olin. En ce jour empreint d'émotion, mais aussi de lucidité, de vérité et de réalité, nous témoignerons, par un vote à l'unanimité, de notre reconnaissance, de la reconnaissance de la nation, tant attendue mais ô combien méritée. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Gournac. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai pu apprécier la qualité globale des propos des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, et je voudrais notamment souligner la qualité de l'intervention liminaire de notre rapporteur.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de citer les chiffres officiels du bilan de ce que l'on appelait jusqu'alors les « opérations de maintien de l'ordre en Afrique du Nord de 1952 à 1962 » : 1 700 000 soldats mobilisés, 25 000 morts et plus de 70 000 blessés. Je veux bien sûr parler ici de la « guerre sans nom », de cette guerre que, par pudeur, on ne veut pas évoquer ou dont on a honte.
Comme toutes les guerres, la guerre d'Algérie a, certainement, été une guerre sale, mais elle ne ressemblait cependant pas aux autres conflits que nous avions connus au cours du siècle. Elle était particulière, si particulière qu'il a fallu attendre près de quarante ans pour la qualifier.
Permettez-moi tout d'abord, monsieur le secrétaire d'Etat, de rendre hommage à votre grand courage et à la justesse des actions que vous conduisez. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie également d'avoir osé - enfin ! - franchir le pas. Beaucoup en ont parlé, mais il fallait le faire à un moment donné.
Depuis votre arrivée au secrétariat d'Etat, je l'ai souvent signalé, vous avez montré des signes très forts en direction du monde combattant.
Deux grandes avancées avaient, certes, été réalisées depuis la fin du conflit : tout d'abord, en 1968, l'attribution du titre de reconnaissance de la nation ; puis, en 1974 - plus de dix ans après ! - la qualité de combattant reconnnue aux personnes ayant participé aux opérations en Afrique du Nord entre février 1952 et juillet 1962.
Grâce à ce dernier texte, une égalité de droits avait été reconnue entre les militaires engagés dans les opérations en Afrique du Nord et ceux qui avaient servi en période de guerre. Toutefois, cette loi, qui constituait certes une nette avancée, ne mentionnait pas encore le mot de « guerre ».
Dès votre arrivée, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez, dans tous vos discours officiels, commencé à utiliser le terme, confortant ainsi plusieurs initiatives de parlementaires et répondant par là même aux souhaits justifiés d'associations d'anciens combattants. Nous avions, lors du vote de la loi de finances de 1998, salué comme il se devait cette initiative et vous nous aviez assuré, à l'époque, qu'elle se concrétiserait le moment venu.
Vous avez tout d'abord choisi de vous pencher sur l'octroi de la carte d'ancien combattant, c'est-à-dire sur la reconnaissance du titre d'ancien combattant aux militaires ayant servi en Afrique du Nord dès 1952, et plus précisément sur les sols tunisien et marocain. Cela revenait à reconnaître pour la première fois la réalité des combats sur l'ensemble du territoire de l'Afrique du Nord. Lors du vote du projet de budget de 1998, j'avais d'ailleurs eu le privilège de défendre un amendement sur ce sujet.
Par circulaire du 15 janvier 1998, comme vous vous y étiez engagé, la carte d'ancien combattant put ainsi être attribuée aux anciens combattants d'Afrique du Nord ayant servi au Maroc et en Tunisie et « pouvant se prévaloir d'une continuité de dix-huit mois entre le Maroc ou la Tunisie et l'Algérie où ils auraient été transférés en unité constituée ».
Puis, lors du vote du budget de 1999, vous avez encore étendu l'octroi de la carte du combattant aux militaires ayant servi quinze mois dans une unité combattante en Afrique du Nord. Et cette durée, vous nous proposerez de la diminuer encore lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2000.
A petits pas, nous avons donc avancé sur la voie de la reconnaissance pour les anciens combattants. Il ne restait qu'une étape à franchir : il fallait, juridiquement, qualifier l'histoire. C'est ce que nous allons faire aujourd'hui, comme l'ont déjà fait unanimenent nos collègues députés, au mois de juin.
Certes, cette démarche participe davantage de l'acte symbolique que d'actions concrètes en direction du monde des anciens combattants d'Afrique du Nord. Mais que ce symbole est fort ! Comme il était attendu de tous ! Et des anciens combattants tout d'abord, qui, durant quarante ans, ont vécu avec des souvenirs douloureux en tête, qui savaient pouvoir compter sur la compassion et l'hommage de tous, mais qui ne se sentaient pas légitimement reconnus comme acteurs dans une guerre qui les a pourtant douloureusement marqués, au même titre, sans nul doute, que d'autres conflits passés. La non-reconnaissance officielle était vécue par eux comme un reniement, comme l'indifférence de tout un peuple qui voulait cacher un pan de son histoire et donner l'impression de vouloir l'oublier.
Ce symbole était attendu aussi des familles des victimes, pères, fils ou frères morts au combat, ainsi que des historiens qui, par leurs travaux sur la nature des combats, ont progressivement, au fil du temps, considéré que les événements d'Afrique du Nord devaient être qualifiés eux aussi de guerre.
Il était attendu de nous tous, enfin, qui nous efforçons depuis longtemps d'accorder à ces combattants la place qui est la leur et de les honorer comme il se doit.
Bien sûr, ce texte ne met absolument pas un point final aux revendications du monde combattant. Mais je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que, lors des débats budgétaires à venir, vous saurez prouver votre volonté de poursuivre dans la voie des réparations qui doivent être accordées aux anciens combattants - nous ne manquerons d'ailleurs pas de vous le rappeler - ainsi que dans votre détermination à honorer et à renforcer un devoir de mémoire qui est indispensable.
Il s'agit simplement aujourd'hui d'oser affronter publiquement, officiellement, la réalité, de la regarder en face. Il s'agit, en fait, de redonner à tous ces hommes qui l'ont vécue l'honneur et la dignité.
Ce texte s'inscrit aussi dans une perspective plus ambitieuse, celle qui vise à jeter les bases d'une réconciliation entre pays méditerranéens, entre la France et l'Algérie, deux nations qui ont partagé une destinée commune et qui peuvent s'engager ensemble sur la voie de la construction d'une entente.
Le chemin fut difficile pour parvenir à mettre un terme à cette guerre, à une guerre qui apparaît comme la dernière du siècle - un siècle atroce ! - aux yeux de bon nombre de Français, à une guerre qui a fait suite à nombre de génocides et de déchirements mondiaux.
L'espoir de vie, de rapprochement entre les peuples est cependant toujours demeuré, et c'est maintenant le devoir de mémoire qu'il convient de faire vivre, afin de permettre aux jeunes générations de construire aujourd'hui un monde de paix et de fraternité.
Ce texte ravivera certainement - il l'a déjà fait ! - des souffrances ; mais, par sa haute portée symbolique, il apaisera les coeurs et fixera à jamais, je le souhaite, la solidarité qui doit exister entre les peuples ainsi qu'entre les nouvelles et les anciennes générations.
A nous, aujourd'hui, d'assumer pleinement notre histoire par la reconnaissance de la « guerre » d'Algérie afin d'être plus crédibles et de porter un regard plus serein vers la voie de la paix. Tout cela mérite largement le vote unanime de notre assemblée, j'en suis convaincu. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je m'exprime en cet instant à cette tribune comme un membre parmi d'autres d'une génération qui n'a eu ni le malheur d'avoir à combattre ni la douleur d'avoir à arbitrer les conflits qui séparaient ses pères - conflits de coeur, de raison, d'esprit - et qui ont été la trame de cette guerre, de ce qui s'y est déroulé, des passions qui l'ont animée.
Mais d'une génération aussi qui a eu à payer le prix fort de ses conséquences, celui qui marque pour toujours un esprit et le blesse à jamais, celui de l'arrachement, de la patrie perdue, de la beauté du paysage que l'on ne reverra jamais, des tombes que l'on laisse derrière soi.
Aujourd'hui, nous mettons les mots en accord avec les faits. Soit, c'était une guerre et, dorénavant, la nation ne chipotera plus le respect qu'elle doit à ceux qui ont porté ses armes, qui ont obéi, qui ont fait leur devoir et qui verront maintenant leur vie reconnue pour ce qu'elle a été et leurs sacrifices pour ceux qu'ils ont été.
Nous mettons les mots en accord avec les faits ? Alors, allons jusqu'au bout du devoir de mémoire, car, à ceux qui ont souffert, à ceux qui ont perdu, à ceux qui sont morts, à ceux qui sont blessés, nous ne devons pas que de bonnes paroles ; nous leur devons la vérité, la vérité qui est politique et qui permet à la nation, épreuve après épreuve, de renforcer son expérience et de savoir ce qu'elle doit, pour l'avenir, éviter à jamais.
C'était une guerre, oui, mais une guerre civile qui opposa des gens qui avaient mené ensemble au coude à coude deux guerres mondiales, qui s'aimaient au quotidien avant de se haïr et de s'entredétruire ; c'était une guerre politique dans le contexte de la décolonisation ; c'était une guerre sociale, car ceux que nous affrontions étaient le parti des humiliés et des opprimés. C'était donc une guerre perdue, perdue parce que le bon droit républicain et son idéal égalitaire n'étaient plus du côté de nos armes.
Comme il est dur et cruel d'avoir à dire que, comme nous combattions pour un ordre injuste, il était juste d'être défait ! Honte alors à la poignée d'extrémistes, d'ultra-égoïstes qui, jour après jour, par leur comportement, par leurs mots d'ordre, par leurs directives politiques, ont sans cesse creusé le fossé qui a opposé entre eux Maghrébins, Berbères, Arabes et Européens ! Honte aux marchands d'illusions qui, jusqu'à la fin, ont soufflé sur les braises des rêves les plus fous pour qu'à la honte de la défaite s'ajoute l'horreur de la débandade et des massacres qui ont suivi !
C'est le moment de penser à ceux qui avaient rêvé un autre chemin, celui d'une France fraternelle qui aurait pu vivre sur l'une et l'autre rives de la Méditerranée, une France égalitaire faisant sa place à chacun, reconnaissant chacun dans sa dignité sans tenir compte de la couleur de la peau, de la religion, de tous ces humus dont nous sommes certes faits mais dont l'idéal républicain exige que nous sachions nous détacher. En vain !
Alors, c'est le moment d'évoquer les visages de ceux qui ont essayé d'accomplir ce rêve : je pense à Léon Blum, avec les décrets Blum-Violette, je pense au visage douloureux et lumineux d'Albert Camus, qui a rêvé de cette Algérie jusqu'au bout, à celui de Max Marchand, à celui d'Henri Allègre et, enfin, à celui des innombrables appelés et militaires professionnels qui refusèrent de suivre leurs chefs factieux et sauvèrent la République.
Ce rêve n'est par mort - c'est la leçon que je tire de cette guerre - et je veux dire à tous ceux qui ont aimé l'Algérie et qui continuent d'aimer la France comme elle est, comme elle se donne à voir, qu'il continue.
Oui, ce rêve continue dans nos banlieues, où nous voulons que cette France qui unit toutes les couleurs, toutes les origines et toutes les religions puisse vivre.
Est-ce un hasard de l'histoire si nous retrouvons dans cette quête les mêmes adversaires, les mêmes mots et, parfois, les mêmes hommes qui s'opposent à ce rêve d'une France républicaine ?
Ce rêve continue ! Il vivra, et je veux cette fois-ci avec vous tous, mes chers collègues - car je suis sûr que vous êtes animés des mêmes sentiments - que ce rêve soit victorieux.
Mon dernier mot sera pour dire que rien n'est mort de l'ardent amour que nous avons eu pour l'Algérie. Quand elle souffre, nous continuons à souffrir avec elle. Quand elle se déchire, nous nous sentons déchirés. En reconnaissant la guerre que nous y avons faite, nous reconnaissons quelque chose de ce que nous avons encore en commun et qui fait que nous souffrons, que nous rêvons avec l'Algérie. Nous formons ainsi pour elle et pour son peuple les voeux de bonheur, les voeux de rassemblement que, hélas ! nous n'avons pas su former lorsque nous étions en situation de les réaliser. (Applaudissements.)
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de commencer à vous répondre, je tiens à saluer l'expression unanime qui, ce matin, s'est manifestée au sein du Sénat de la République sur la nécessité de qualifier de guerre ce qui était jusqu'alors le conflit algérien.
Vos interventions constructives étaient empreintes d'une émotion qui savait conjuguer la réalité avec le langage du coeur et de l'esprit. Les valeurs de la République permettent, il est vrai, de dépasser les différences de religion, de philosophie, de couleur de peau, d'ethnie ou de culture. Elles rassemblent autour des notions de liberté, d'égalité et de fraternité, des hommes et des femmes qui savent accepter qu'au-delà de leurs différences existe quelque chose qui les dépasse : tout simplement cette citoyenneté qu'expriment les valeurs de la République.
Au vrai, il s'agit là d'un travail que nous devons conduire à chaque instant de l'exercice de nos responsabilités. Liberté, égalité, fraternité ne sont pas simplement trois mots inscrits sur les frontons des édifices municipaux, c'est une exigence que nous devons satisfaire dans chacune de nos responsabilités de la vie quotidienne, et il faut que, dans ce pays, nous soyons vraiment rassemblés pour que vivent chaque jour cette liberté, cette égalité et cette fraternité.
Guerre d'Algérie : le Parlement, qui avait la parole, va effectivement décider de cette qualification historique. Ce travail n'apportera pas une réponse aux questions que les uns et les autres vous avez évoquées et qui concernent des choses fortes, comme la situation des harkis.
Quand le harki est de nationalité française, il bénéficie aujourd'hui exactement des mêmes droits que tous les autres combattants, notamment au regard du code des pensions militaires d'invalidité. A cet égard, je m'exprime pour la part de responsabilités que j'assume au sein du Gouvernement.
Il est vrai que nous avons aussi à leur endroit un devoir de mémoire, de respect et de reconnaissance. J'ai fait des propositions à la communauté française musulmane pour que nous nous accordions sur une juste traduction de ce respect et de cette reconnaissance. A cet effet, je crois que nous devons nous appuyer sur l'article 1er de la loi de 1994, qui fixe bien les termes de notre relation. Pour ma part, je m'efforce aussi d'intégrer des harkis dans les promotions de décoration.
M. Jean Faure a évoqué les conséquences de situations que la nation a plus ou moins bien assumées dans le passé à l'égard des deuxième, troisième et autres générations qui les ont suivis. Les réponses ne se trouvent pas à l'intérieur du département ministériel dans lequel j'assume une responsablité. Celles que je veux apporter à cette communauté de harkis consacreront, par l'exercice du devoir de mémoire, son appartenance à la République française.
Samedi matin, j'assistais à Nantes, à une cérémonie très intéressante dont l'initiative revenait justement à une association qui rassemble en son sein les jeunes des générations qui ont succédé à nos anciens combattants, qu'ils soient harkis ou d'Afrique noire.
A travers le devoir de mémoire soutenu par le monde ancien combattant de Loire-Atlantique et célébré en présence de la troupe, le message consistait à revendiquer la citoyenneté française. Tel est, selon moi, l'exemple que l'on doit suivre ; telle est en tout cas la responsabilité qui me revient au sein du Gouvernement.
Pour le reste, j'ai bien enregistré votre propos : nos communes, nos départements, nos régions et l'Etat lui-même se doivent d'apporter des réponses en termes d'insertion sociale au profit des deuxième et troisième générations. Il s'agit là d'une responsabilité collective et nationale qu'il nous faut assumer maintenant.
Si le Gouvernement, pour sa part, s'y emploie, nous pouvons aussi tous agir selon nos propres degrés de responsabilité, y compris locales, en ne transigeant en rien sur le devoir de mémoire.
En ce sens, l'acte que vous allez accomplir en votant l'expression : « guerre d'Algérie » constitue un élément de participation à cette politique puisque cette mémoire va s'exercer dorénavant en direction de toutes celles et de tous ceux qui ont été concernés par ce conflit.
Le prolongement de ce devoir de mémoire passe naturellement par la réalisation d'un mémorial national consacré à la guerre d'Algérie, mémorial sur lequel figureront les noms de tous ceux et de toutes celles qui ont perdu la vie, y compris les harkis, monsieur Faure : il ne saurait être question de faire une distinction.
Une commission a été réunie. Elle est présidée par M. Jean Lanzi qui est là ce matin. Composée de représentants du monde combattant d'Afrique du Nord, elle a choisi à l'unanimité la capitale, Paris, pour site de réalisation de ce mémorial.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. J'ai donc engagé des discussions avec le député-maire de Paris, M. Tiberi, pour que nous puissions trouver ensemble un site adapté à l'honneur avec lequel nous entendons saluer la mémoire, le dévouement, l'abnégation, le sacrifice et la dignité des anciens combattants qui, en Algérie, en Tunisie et au Maroc, toutes catégories de soldats confondues, appelés, rappelés, gendarmes, soldats d'active, harkis, ont répondu, en ces instants-là, à l'appel de la nation.
Quand vous aurez délibéré, il appartiendra aux historiens de poursuivre les recherches et de rétablir les faits pour qu'au seuil du nouveau millénaire rien ne soit oublié de ce vingtième siècle finissant, jalonné d'épreuves redoutables que notre pays a rencontrées et dépassées. La guerre d'Algérie en fait partie.
Il faut que notre histoire serve à fonder la citoyenneté des jeunes générations qui auront à assumer le XXIe siècle avec les instruments à leur disposition. Une société ne peut vivre sans référence à des valeurs, valeurs dont l'histoire est la matrice.
Vous allez donc accomplir un acte très important en respectant, en cet instant, la parole du Parlement. En effet, si nous aboutissons ce matin à cette reconnaissance, nous le devons non pas à l'initiative du Gouvernement, mais à la volonté des parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat de la République de faire écho aux revendications du monde combattant d'AFN, qui, lui, a souffert pour écrire cette histoire.
Puissions-nous utiliser votre travail pour enseigner aux jeunes générations la paix, la sécurité, la fraternité que nous voulons pour nous-mêmes et pour les autres, pour l'Europe et pour les pays au-delà de la Méditerranée. Ce sera alors l'honneur de la République française que de faire vivre, au-delà de ces épreuves, le grand message universel de la France contenu dans la devise de la République, à savoir liberté, l'égalité et la fraternité. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

MODIFICATION DU CODE
DES PENSIONS MILITAIRES D'INVALIDITÉ
ET DES VICTIMES DE LA GUERRE

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - L'article L. 1er bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre est ainsi rédigé :
« Art. L. 1er bis . - La République française reconnaît, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs, les services rendus par les personnes qui ont participé sous son autorité à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.
« Elle leur accorde vocation à la qualité de combattant et au bénéfice des dispositions du présent code. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Le courage, disait Jaurès, c'est de chercher la vérité et de la dire. »
Le moins qu'on puisse dire, c'est que le courage a manqué pendant quarante-quatre ans puisqu'il aura fallu quarante-quatre ans pour appeler un chat un chat et pour reconnaître que ce qu'il était convenu d'appeler pudiquement « maintien de l'ordre », « pacification », « événements », entre 1954 et 1962, s'agissant de l'Algérie, n'était rien d'autre qu'une guerre.
Vous avez été l'un des premiers - vous et le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat - à avoir eu le courage, à un poste de responsabilité, de le dire.
Aujourd'hui, c'est la loi qui va le dire, et c'est là un acte de justice à l'égard de deux catégories de citoyennes et de citoyens.
C'est un acte de justice, d'abord, à l'égard des centaines de milliers de ceux, tous ceux qui, dans cette guerre, ont donné leur temps, toujours, et, trop souvent, leur sang ou leur vie même.
Ils seront désormais considérés officiellement comme des combattants à part entière et, puisqu'il n'est jamais trop tard pour bien faire, nous nous en réjouissons.
Reconnaître officiellement qu'il y eut une guerre d'Algérie, c'est aussi un acte de justice à l'égard de ceux qui, en luttant politiquement pour « la paix en Algérie », n'ont cessé de le dire.
Je me permettrai de faire deux citations.
Voici la première : « Une fois de plus, des hommes qui avaient sincèrement voulu la pacification entraînent le pays dans ce qu'il faut bien appeler la guerre ». Ainsi s'exprimait, le 28 mai 1956, un député « progressiste » dont j'ai la fierté de dire que je porte le nom puisqu'il s'agit de mon père.
La seconde citation est extraite d'un article paru le 10 août 1956 dans un bi-hebdomadaire qui s'appelait Quand Même ! : « Aujourd'hui, en Algérie, les armes répondent aux armes, les exécutions capitales aux attentats, les ratissages aux embuscades. Sans doute M. Bourgès-Maunoury - j'aurais pu en citer d'autres - affirme-t-il toujours que "la pacification n'est pas la guerre." C'est déjà ce que l'on disait en 1830 ! C'est baptiser carpe le lapin. "Pacification" ou "guerre", des hommes tombent chaque jour en Algérie... »
Vous comprendrez ma satisfaction devant la rédaction de l'article 1er de la proposition de loi que nous allons voter : j'étais le signataire de ces lignes.
Un mot encore : j'espère qu'il ne faudra pas attendre quarante-quatre ans pour qu'il soit admis officiellement et une fois pour toutes que la guerre d'Algérie a pris fin en tant que telle non le 16 octobre 1977, mais le 19 mars 1962. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Articles 2 à 4



M. le président.
« Art. 2. - Le deuxième alinéa de l'article L. 243 du même code est ainsi rédigé :
« Ces dispositions sont également applicables aux membres des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ainsi qu'à leurs ayants cause lorsque les intéressés possèdent la nationalité française à la date de présentation de leur demande ou sont domiciliés en France à la même date. » - (Adopté.)
« Art. 3. - Dans le premier alinéa de l'article L. 253 bis du même code, après les mots : "caractère spécifique", les mots : "des opérations effectuées en Afrique du Nord" sont remplacés par les mots : "de la guerre d'Algérie ou des combats en Tunisie et au Maroc". » - (Adopté.)
« Art. 4. - Dans le premier alinéa de l'article L. 401 bis du même code, après les mots : "ayant participé", les mots : "aux opérations effectuées en Afrique du Nord" sont remplacés par les mots : "à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc". » - (Adopté.)

TITRE II

MODIFICATION AU CODE DE LA MUTUALITÉ


Article 5

M. le président. « Art. 5. - Dans le septième alinéa (6°) de l'article 321-9 du code de la mutualité, après les mots : "pris part", les mots : "aux opérations d'Afrique du Nord" sont remplacés par les mots : "à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc". » - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Estier pour explication de vote.
M. Claude Estier. Je souhaite, en quelques mots, confirmer, comme l'ont déjà fait mes amis qui sont intervenus dans la discussion générale, que le groupe socialiste votera, naturellement, cette proposition de loi, qui sera, je le pense, adoptée à l'unanimité.
Ce texte présente à nos yeux le mérite de mettre fin, après plus de quarante ans, à cette hypocrisie qui faisait qualifier d'« événements » ou d'« opérations en Afrique du Nord » ce qui a été une véritable guerre et ce que les Algériens ont d'ailleurs toujours appelé « la guerre d'indépendance ».
Ainsi que vous l'avez souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, le langage officiel va enfin être mis en conformité avec le langage courant, ce qui permettra à la fois d'adapter la rédaction de textes fondamentaux comme le code des pensions militaires et celui de la mutualité, d'asseoir la légitimité combattante des anciens combattants d'Algérie, de reconnaître ainsi les sacrifices consentis et, enfin, de répondre aux exigences du devoir de mémoire, qui se concrétisera dans l'édification du mémorial que vous venez d'évoquer devant nous.
Cette proposition de loi permet d'assumer l'histoire telle qu'elle est, dans le respect des générations de Français et d'Algériens touchés sur les plans personnel, physique, psychologique et familial lors de ces huit années de conflit.
Mais ce texte s'inscrit dans une perspective plus ambitieuse. Il doit en effet contribuer à la réconciliation définitive entre la France et l'Algérie, et ce à un moment où l'Algérie elle-même semble s'engager vers un nouvel avenir.
Pour tous ceux, dont je suis, qui n'ont cessé de travailler au développement de l'amitié et de la coopération entre deux peuples qui ont tant en commun, le vote qui va intervenir représente un acte historique que nous saluons comme il doit l'être. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est avec émotion que nous allons voter cette proposition de loi.
Elle était indispensable. Elle apportera à l'ensemble de nos compatriotes qui ont participé à cette guerre, mais aussi à ceux qui sont de l'autre côté de la Méditerranée, la réponse à une attente forte. A cet égard - je rejoins ainsi les derniers propos de M. Estier, président du groupe d'amitié France-Algérie - je suis certain que cette réponse mobilisera des énergies convergentes entre nos deux pays.
J'ai reçu, dans la nuit où a eu lieu le vote de l'Assemblée nationale, un fax en provenance de Mecheria, dans le sud Oranais, témoignant du soulagement qu'avait suscité cet acte parlementaire et soulignant, bien sûr, l'attente du vote de notre assemblée.
J'approuve, bien entendu, toutes les paroles qui ont été prononcées par les différents intervenants. J'ajouterai toutefois, à l'attention de M. Dreyfus-Schmidt, que, ayant fait partie de la commission d'armistice du 19 mars, je peux l'assurer que la guerre ne s'est pas terminée ce jour-là. Il a fallu attendre longtemps pour qu'elle s'éteigne ! Mais chacun a ses symboles, et je respecte ceux qui ont accepté celui-ci. Je relève, d'ailleurs, qu'ils n'ont pas tous la même sensibilité politique.
Pour avoir vécu cette période, je sais que la guerre ne s'est pas terminée le 19 mars, ni même le jour du vote de la déclaration d'indépendance, vote auquel j'ai moi-même participé, comme en témoigne ma carte d'électeur, que j'ai retrouvée voilà peu.
En raison de l'importance de ce texte, la commission des affaires sociales a demandé que le Sénat se prononce par un scrutin public. Cela permettra d'associer tous ceux qui ne sont pas ici à cet acte symbolique majeur, tellement important pour marquer la fin de cette période. (Applaudissements.)
M. le président. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il me soit permis, à la place qui est la mienne en cet instant, de souligner combien le débat qui nous a réunis ce matin a été empreint de solennité et de gravité.
Au travers de nous tous, Gouvernement et parlementaires, c'est la nation tout entière qui s'honnore avec le vote de cette proposition de loi. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 1:

Nombre de votants 320
Nombre de suffrages exprimés 320
Majorité absolue des suffrages 161
Pour l'adoption
320(Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

5

DÉMISSION DE MEMBRES DE COMMISSIONS
ET CANDIDATURES

M. le président. J'ai reçu avis de la démission de M. Simon Loueckhote comme membre de la commission des affaires sociales.
J'informe le Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères en remplacement de M. Michel Barnier, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
J'ai reçu avis de la démission de Mme Lucette Michaux-Chevry comme membre de la commission des lois.
Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom du candidat proposé en remplacement.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

6

CANDIDATURE À LA DÉLÉGATION DU SÉNAT
POUR L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. L'ordre du jour appelle la désignation d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, en remplacement de M. Michel Barnier, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Le groupe du Rassemblement pour la République m'a fait connaître qu'il présentait la candidature de M. Robert Del Picchia.
Cette candidature a été affichée. Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

7

NOMINATION DE MEMBRES
DE COMMISSIONS

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement pour la République a présenté des candidatures pour la commission des affaires étrangères et pour la commission des lois.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :
- Mme Lucette Michaux-Chevry membre de la commission des affaires étrangères, en remplacement de M. Michel Barnier, démissionnaire de son mandat de sénateur ;
- M. Simon Loueckhote membre de la commission des lois, en remplacement de Mme Lucette Michaux-Chevry, démissionnaire.

8

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 243, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité [Rapport n° 502 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est conscient des enjeux qui sont attachés à cette importante réforme - enjeux politiques, car il s'agit d'une réforme d'une grande portée, enjeux sociaux, car elle concerne des dizaines de milliers de salariés, et enjeux économiques, en raison des répercussions de ce texte sur le secteur français de l'énergie, de l'électricité en particulier - que je vous présente, au nom du Gouvernement, le projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
L'examen de ce texte par l'Assemblée nationale au mois de février dernier a montré qu'un large consensus existait sur l'attachement au service public et la nécessité d'une politique énergétique nationale. C'est en me plaçant dans la perspective ainsi tracée que je vais exposer l'esprit du projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis.
Une telle présentation sera d'autant plus facile que le temps passé - jugé trop long par certains - entre la lecture de l'Assemblée et celle du Sénat aura permis une évolution des esprits, propice à un débat positif pour tous les opérateurs comme pour les clients.
Le secteur électrique français est aujourd'hui à une charnière de son histoire. Le Parlement est saisi, je l'indiquais en commençant mon propos, d'une importante réforme et il est crucial pour l'avenir du secteur électrique français que cette réforme soit réalisée dans de bonnes conditions et, désormais, dans les meilleurs délais.
Ce projet de loi contribue à rendre le système électrique plus compétitif, bien qu'il le soit déjà largement en France, par l'introduction maîtrisée de certains éléments concurrentiels.
Il constitue ainsi le moyen de transposer en droit français la directive européenne sur le marché intérieur de l'électricité adoptée en 1996. A cet égard, la transposition s'impose, de manière à respecter les engagements internationaux de la France et à éviter que des contentieux liés à une absence de transposition de la directive ne conduisent, sur des décisions de tribunaux, à une application directe de la directive sans protection du service public.
Cette directive s'impose donc à nous. Il faut d'ailleurs lui rendre une justice : à la suite des efforts de mon prédécesseur, Franck Borotra, et en application du « principe de subsidiarité », la directive laisse de très larges marges de manoeuvre aux Etats membres. Le travail du Parlement peut faire en sorte que l'exercice nécessaire de transposition soit finalement l'occasion de vrais progrès. Et je vous propose, au nom du Gouvernement, de vrais progrès.
A cet égard, je rappelle que l'échéance pour la transposition de la directive était fixée au 19 février 1999 par la directive elle-même. Dans le principe, la loi et les décrets d'application essentiels auraient dû être publiés à cette date. Cela n'a malheureusement pas été le cas. Le Gouvernement a estimé, à son entrée en fonction, qu'une réforme d'une telle ampleur et d'une telle portée ne pouvait être élaborée « à la va-vite », qu'elle nécessitait une concertation approfondie. Nous avons donc mené pendant près de dix-huit mois cette concertation approfondie avec l'ensemble des institutions, des personnes, des organismes intéressés par l'évolution du système électrique français.
Le Gouvernement a ainsi sollicité, sur la base d'un Livre blanc largement diffusé, l'avis de nombreuses instances nationales, comme le Conseil économique et social ainsi que le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz et le Conseil de la concurrence.
Pour passer le cap d'une période transitoire pendant laquelle la directive est entrée en vigueur, sans que les textes de transpositions soient tous publiés - je tiens à indiquer cela de la manière la plus claire et la plus formelle au Sénat - EDF a mis en place, avec mon accord, un système temporaire d'accès négocié des tiers aux réseaux. Ce cadre juridique transitoire est fragile, certes, et suscite des critiques visibles et grandissantes de la part de plusieurs autres Etats membres, en particulier du Royaume-Uni et de l'Allemagne - à cet égard, j'ai une lettre de mon collègue britannique et j'ai reçu mon collègue allemand - pays dans lesquels EDF joue un rôle par ailleurs croissant.
C'est pourquoi il est crucial pour l'avenir du secteur électrique français et du service public de l'électricité, mais aussi pour la crédibilité de la France, que la réforme soit maintenant menée dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais. C'est l'unique raison - vous la comprenez certainement - pour laquelle le Gouvernement a déclaré l'urgence pour ce texte.
L'examen en première lecture par l'Assemblée nationale a fait évoluer le projet initial du Gouvernement de façon sensible tout en conservant, je crois, son esprit.
Il revient maintenant au Sénat, dans un esprit que je sais d'avance constructif, comme la Haute Assemblée l'a toujours démontré sur des textes difficiles - et celui-ci l'est passablement.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de ces compliments dont nous prenons acte.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. ...tels que « l'après-mine », qui a été voté à l'unanimité par la Haute Assemblée, il revient donc maintenant au Sénat, disais-je, d'apporter les améliorations nécessaires au texte que je propose.
Au travers du projet de loi, le Gouvernement a souhaité que soient prises en compte les aspirations de notre pays en matière de cohésion sociale, d'aménagement du territoire, de développement industriel et de politique énergétique de long terme.
Tout d'abord, le projet de loi a pour ambition de dessiner un service public de l'électricité conforté, qui allie équité, solidarité et dynamisme.
Pour la première fois, le projet de loi définit le contenu du service public de l'électricité, il précise les différentes missions de service public, les catégories de clients auxquelles elles s'adressent et les opérateurs qui en ont la charge.
La première mission du service public de l'électricité a trait au développement équilibré des capacités de production d'électricité. Les obligations imposées aux opérateurs doivent permettre d'atteindre les objectifs de la politique énergétique nationale, qui trouveront leur traduction concrète dans une programmation pluriannuelle des investissements de production.
La deuxième mission du service public de l'électricité concerne le développement et l'exploitation des réseaux, qui sont au coeur du fonctionnement du système électrique et doivent donc être au service de tous les utilisateurs, sans exception et sans biais.
La troisième mission concerne la fourniture d'électricité. Elle vise tout d'abord la fourniture pour les clients non éligibles, dans des conditions égales sur l'ensemble du territoire national. Parallèlement, le service public doit concourir à la cohésion sociale ; il intègre à présent un dispositif renforcé en vue d'assurer un droit à l'énergie, progrès sensible de ce texte voulu par l'Assemblée nationale sur l'initiative de sa majorité ; l'instauration d'une tarification de « produit de première nécessité », le renforcement du mécanisme d'aide et les dispositions en matière de prévention des coupures aux personnes en situation de précarité en sont l'illustration tangible et forte. Ce texte a beaucoup évolué dans ce sens à l'Assemblée nationale.
Enfin, le Gouvernement attache la plus grande importance, aux côtés d'EDF, à ce que la présence en zone rurale, d'une part, et dans les quartiers en difficulté, d'autre part, soit consolidée, et je sais que la Haute Assemblée y sera très sensible.
Il ne suffit pas de dire ce qu'est le service public et qui en a la charge. Il faut encore en prévoir le financement, lorsque celui-ci n'est pas assuré de façon naturelle et équitable par les recettes. Le projet de loi met donc en place des mécanismes de financement permettant de répartir équitablement les charges résultant des missions de service public entre les opérateurs du secteur.
Conjointement avec mon collègue Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, j'ai confié une mission à M. Jean Syrota, afin de préciser les méthodes d'évaluation de ces charges en vue de garantir un bon accomplissement des missions de service public et d'éviter les distorsions de concurrence entre les opérateurs. Les réflexions ainsi menées éclaireront l'élaboration des décrets nécessaires et faciliteront le futur travail de la commission de régulation de l'électricité, sur laquelle je reviendrai dans un instant.
Le projet de loi organise une ouverture progressive du marché de l'électricité à la concurrence pour renforcer la compétitivité de notre économie.
Les règles françaises conduiront à l'éligibilité des grands consommateurs finals d'électricité, notamment les principaux établissements industriels.
Je serai très ferme sur un point : l'introduction d'éléments de concurrence, loin de s'accompagner d'un recul du service public, doit bien au contraire s'accompagner d'obligations de service public claires. Cette introduction doit permettre de progresser vers une meilleure satisfaction des aspirations des consommateurs en stimulant littéralement les opérateurs dans la recherche d'un meilleur service au meilleur coût.
A cet égard, les pouvoirs publics seront bien évidemment attentifs à ce que les clients non éligibles, qui demeureront, par construction, clients d'EDF et des distributeurs non nationalisés, bénéficient eux aussi des progrès dans la qualité et le prix des services qui leur seront offerts. Le projet de loi prévoit la mise en oeuvre d'outils de régulation garantissant l'absence de « subventions croisées » au détriment des clients non éligibles. La récente baisse des tarifs, qui a été décidée par M. Strauss-Kahn et moi-même le 1er mai dernier et qui s'insère dans un mouvement tendanciel profond, illustre d'ailleurs cette action en faveur des clients non éligibles.
Le projet de loi met en place des outils concrets qui permettront de mettre en oeuvre une politique nationale de l'énergie recueillant l'assentiment le plus large, en donnant le rôle qui doit être le sien - le premier - au Parlement.
L'énergie n'est pas un bien de consommation comme les autres, ce n'est pas un bien banal. Elle fait l'objet, compte tenu des enjeux qui y sont attachés, d'une politique publique forte, la politique énergétique, à laquelle notre pays est très attaché et qui relève naturellement du Gouvernement sous le contrôle du Parlement ; j'ai eu l'occasion de le préciser lors d'une déclaration à l'Assemblée nationale, le 21 janvier dernier, au nom du Gouvernement.
L'un des objets fondamentaux du projet de loi est de permettre au Gouvernement et au Parlement de conserver la faculté de mettre en oeuvre cette politique énergétique nationale au travers de l'application des grandes orientations de la directive européenne.
La programmation pluriannuelle des investissements, par exemple, constituera la traduction concrète de la politique énergétique nationale dans le domaine de l'électricité. Elle permettra de garantir la sécurité d'approvisionnement de notre pays, la protection de l'environnement et la compétitivité de la fourniture au travers d'un développement équilibré et bien conçu en amont des capacités de production, faisant la part qui lui est due à chaque source primaire d'énergie. En un mot, elle assurera un équilibre judicieux entre toutes les sources de production d'énergie.
Loin de constituer un carcan administratif, cette programmation pluriannuelle des investissements a vocation à permettre d'orienter de façon souple mais efficace l'évolution du parc de production national. Elle sera élaborée et révisée périodiquement sous l'autorité du ministre chargé de l'énergie et fera l'objet d'un rapport au Parlement.
Le projet de loi vise, enfin, à consolider et à renforcer le rôle des collectivités locales dans le secteur électrique. Je sais que le Sénat sera sensible à cet aspect des choses.
Le projet de loi réaffirme pour les collectivités locales leur qualité d'autorité concédante de la distribution ainsi que leur mission de contrôle des missions de service public concédées. C'est un point très important.
Le texte précise et élargit la possibilité pour les collectivités locales d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité et de production décentralisée, notamment à partir d'énergies renouvelables ou de déchets. Elles pourront bénéficier de « l'obligation d'achat » pour l'électricité produite à partir de ce type de productions. La possibilité d'intervenir en matière de maîtrise de la demande d'électricité, notamment chez les particuliers, recevra un fondement législatif clair et sans ambiguïté.
En outre, les collectivités locales se voient garantir un droit d'accès aux réseaux pour approvisionner, à partir de leurs éventuelles installations de production, les services publics dont elles ont la charge. Il y a là, vous pouvez le constater, une très nette évolution dans la capacité des collectivités à prendre en charge par elles-mêmes cet aspect de leur politique locale.
Enfin, les distributeurs non nationalisés pourront intervenir vis-à-vis des clients éligibles, sous les conditions propres à assurer la loyauté de la concurrence. « L'éligibilité partielle » qui est donnée aux distributeurs non nationalisés leur permettra de lutter à armes égales avec les autres fournisseurs vis-à-vis des clients éligibles.
Dans le cadre ainsi tracé, le Gouvernement a entendu jouer pleinement le jeu de la concurrence équitable, tout en donnant à l'opérateur public EDF les moyens d'un développement international, nécessaire à cette grande entreprise publique.
Il est essentiel, tout d'abord, que les utilisateurs des réseaux publics de transport et de distribution de l'électricité, qui sont au coeur du système électrique, puissent avoir accès au réseau dans des conditions transparentes et non discriminatoires, en payant une juste rémunération du service rendu.
Or, l'un des facteurs de réussite d'EDF est qu'il s'agit d'une entreprise intégrée de production, de transport et de distribution. Ce facteur de réussite ne doit pas être remis en cause alors que la directive n'oblige pas à séparer juridiquement le gestionnaire du réseau de transport. Le Gouvernement a décidé de confier à EDF la gestion unique du réseau de transport tout en lui demandant - je crois que c'est l'esprit qui a guidé la rédaction de certains amendements de la commission - d'assurer une stricte séparation - qui peut certainement être améliorée - de ces activités en son sein.
Corrélativement - ce sujet est lui aussi crucial - le projet de loi doit permettre de mettre en place de fortes garanties, nécessaires à une indépendance suffisante du gestionnaire du réseau de transport au sein d'EDF. Y contribuent la séparation comptable de la fonction transport, l'indépendance de gestion des moyens mis à la disposition du GRT, le gestionnaire du réseau de transport, le mode de nomination de son directeur, l'obligation de confidentialité des informations commercialement sensibles. Ces quelques aspects parmi d'autres sont destinés à assurer de manière très claire et transparente l'indépendance totale du GRT. Ces garanties ont été précisées et même renforcées par l'Assemblée nationale. Elles constituent d'ores et déjà l'un des dispositifs les plus complets de l'Union européenne dans ce domaine.
Par ailleurs, dans le même esprit de clarté et de transparence, le groupe d'expertise de haut niveau présidé par M. Paul Champsaur a mené une réflexion sur les principes de tarification du transport. M. Champsaur m'a récemment remis un rapport d'étape sur ce sujet. J'ai souhaité que ce rapport connaisse une large diffusion afin d'alimenter le débat sur la future organisation électrique.
Le projet de loi met en place les conditions nécessaires pour garantir l'avenir industriel d'EDF tout en veillant à l'exercice d'une concurrence loyale.
Comme je l'ai déjà dit, EDF a été, est et restera une entreprise publique intégrée : entreprise, publique, intégrée, chaque mot compte ! Elle le restera en vertu d'un principe de bonne gestion, suivant lequel on ne change pas une formule qui gagne ! Elle restera, dans ce cadre, le plus grand électricien au monde.
M. Henri Weber. Très bien !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. L'objet légal d'EDF, c'est-à-dire son domaine autorisé d'intervention en tant qu'établissement public, est notablement accru à l'égard des clients éligibles pour lui permettre d'affronter la concurrence à armes égales.
La demande industrielle inclut en effet aujourd'hui des prestations qui constituent le complément technique ou commercial de la fourniture d'électricité. Les concurrents d'EDF pourront offrir ces prestations aux clients éligibles alors que EDF, en vertu de son objet légal, ne le peut pas encore aujourd'hui.
Il y aurait rupture de l'égalité entre les différents opérateurs au détriment de l'opérateur historique français.
Pour les clients non éligibles sur le territoire national, pour lesquels EDF conservera un monopole de fourniture, l'interdiction faite à cette dernière par la loi de 1946 d'intervenir à l'aval du compteur sera maintenue, garantissant ainsi le respect du métier des professions concernées du secteur concurrentiel. Toutefois, afin de répondre aux objectifs de politique énergétique et environnementale, EDF pourra mener des actions destinées à promouvoir la maîtrise de la demande d'électricité.
Enfin, EDF devra respecter des modalités des activités complémentaires à la fourniture d'électricité, modalités de nature à garantir une concurrence loyale. Le projet de loi prévoit notamment une obligation de filialisation de ces activités complémentaires.
Une régulation transparente et efficace aura pour objet d'assurer le bon fonctionnement du secteur électrique, notamment par la coexistence harmonieuse du service public et de la concurrence au bénéfice de tous les consommateurs.
Il reviendra au Gouvernement - c'est un axe politique - sous le contrôle du Parlement - c'est un autre axe essentiel - de définir et d'appliquer les choix de politique énergétique, notamment en ce qui concerne la programmation pluriannuelle des investissements, l'autorisation d'installations de production et de lancement d'appels d'offres.
De même, le Gouvernement devra préciser les missions de service public, réglementer les tarifs, veiller à la réglementation technique de l'électricité et, de manière générale, faire en sorte que le secteur électrique puisse fonctionner au mieux, en fonction des attentes économiques, sociales et politiques, notamment en fonction des attentes des plus défavorisés des consommateurs.
Il reste que certaines tâches, sans être essentielles au regard des missions propres de l'Etat et des collectivités locales, sont importantes pour le bon fonctionnement de la concurrence. Le projet de loi choisit de confier à une commission de régulation de l'électricité indépendante, formée d'un collège de six membres, des responsabilités importantes pour le fonctionnement loyal des aspects concurrentiels du système électrique, notamment en ce qui concerne l'accès aux réseaux.
Les mesures proposées sont, en un mot, équilibrées. Il faut que notre pays saisisse l'opportunité de moderniser et de conforter le service public de l'électricité, de dynamiser l'ensemble du secteur électrique par une plus grande ouverture et d'assurer au secteur électrique français, et en particulier à l'établissement public EDF, une place économique prépondérante digne de son avance technologique, digne de ses succès passés, au sein du marché européen de l'électricité.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, pouvoir faire confiance à la Haute Assemblée pour qu'ait lieu un débat ouvert et constructif, dans le respect de l'intérêt national. J'ai pu, à cet égard, me féliciter de la volonté de dialogue - même si existent entre nous quelques différences, voire des différences importantes - du rapporteur, M. Revol, comme d'un certain nombre d'orateurs de tous les groupes que j'ai eu l'occasion de rencontrer avant cette discussion. Je pense qu'une fois de plus nous pourrons faire ensemble du très bon travail législatif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. « Il est probable que nous allons voir prochainement abordée la question de la distribution de l'énergie par l'électricité. Ce sera là certainement un des grands événements de notre siècle qui constituera une véritable révolution sociale. » C'est en ces termes, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'un publiciste soulignait, voilà à peine plus de cent ans, l'importance prévisible du développement de l'électricité. Ses espoirs n'ont pas été déçus, même si l'électricité n'est utilisée partout en France pour des usages domestiques que depuis à peine quatre-vingts ans. Elle est largement distribuée sur toute l'étendue de notre territoire : notre pays est entré ainsi dans la « société de consommation électrique ».
Loin d'être purement technique, le sujet qui nous occupe aujourd'hui constitue donc un enjeu politique, économique et social, puisqu'il intéresse aussi bien la compétitivité de nos entreprises que la vie quotidienne des Français.
La directive n° 96-92 a posé les bases d'une ouverture progressive du marché de l'électricité. Mais, bien qu'elle soit juridiquement entrée en vigueur le 19 février 1997, cette directive nécessite, pour s'appliquer pleinement dans notre pays, d'importantes mesures de transposition.
Tel est l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat.
Sa discussion marquera un tournant déterminant dans l'histoire du secteur électrique français puisqu'il sera, avec la loi du 8 avril 1946 portant nationalisation de l'électricité et du gaz, le principal texte applicable à l'électricité adopté au xxe siècle.
Evoquée dans le programme du Conseil national de la Résistance, annoncée par le général de Gaulle devantl'Assemblée nationale constituante, la nationalisation de l'électricité a institué un monopole qui a permis la reconstruction de l'économie française d'après-guerre et contribué à l'essor des Trente Glorieuses.
Mme Hélène Luc. Ça, c'est vrai !
M. Henri Revol, rapporteur. Il est légitime de lui donner acte de ses réussites.
Cependant, ce système, dans sa forme originelle, n'est plus adapté aux réalités de l'économie contemporaine, marquée par la constitution du grand marché intérieur européen et par l'accroissement de la concurrence.
L'adoption de la directive de libéralisation marque le début d'un processus progressif qui est précisément destiné à renforcer la compétitivité de l'industrie européenne en abaissant - à qualité et fiabilité constantes - significativement le coût de l'énergie.
Je résumerai le contenu de la directive en disant que celle-ci tend à assurer un accès non discriminatoire au réseau, afin de faire jouer la concurrence entre les fournisseurs d'électricité. Conformément au principe de subsidiarité, elle laisse aux Etats la faculté de choisir, dans le cadre qu'elle détermine, les moyens de parvenir aux objectifs qu'elle fixe.
N'aurait-il pas été souhaitable que la France respecte le calendrier auquel elle s'était engagée ? Je le crois !
Le projet de loi qui nous est transmis par l'Assemblée nationale répond-il à ces objectifs ? Hélas, non !
Telles sont les deux premières questions que je souhaite aborder devant le Sénat, avant de lui présenter les principales propositions de la commission des affaires économiques.
Commençons par le calendrier.
La directive n° 96-92 prévoit que les clients consommant plus de 40 gigawattheures - c'est-à-dire de gros clients, par exemple une verrerie ou un producteur d'aluminium - sont éligibles à la concurrence à compter du 1er février 1999.
N'est-il pas particulièrement regrettable que le Gouvernement ait déclaré l'urgence sur ce texte à des fins purement procédurales, pour attester vis-à-vis de Bruxelles de son empressement à accomplir la transposition, alors même que la procédure parlementaire traîne en longueur depuis le dépôt du projet de loi à l'Assemblée nationale en décembre 1998 ? Par cette manoeuvre, si le mot m'est permis, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement auquel vous appartenez me semble avoir porté gravement préjudice aux droits du législateur, et je tiens à élever une vigoureuse protestation au nom de la commission des affaires économiques.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Pourtant, en la matière, vous êtes des experts !
M. Henri Revol, rapporteur. J'observe, en outre, que nos partenaires critiquent violemment la lenteur de la transposition en France et menacent de saisir les instances européennes compétentes. Notre pays ne saurait-il tenir sa parole ?
Au demeurant, tous les industriels que nous avons rencontrés souhaitent qu'un texte soit adopté dès que possible. Ils souffrent en effet gravement du manque de visibilité qui résulte du caractère transitoire de la présente période et des incertitudes qu'ils subissent, tout comme EDF, d'ailleurs, qui est entravé dans son développement international à cause de la clause de réciprocité contenue dans la directive.
Le contenu du projet de loi appelle, quant à lui, quelques observations et de nombreuses critiques.
Vous souhaitez procéder, monsieur le secrétaire d'Etat, à une transposition a minima. Soit ! Mais encore faudrait-il que votre projet soit conforme à l'esprit de la norme européenne. Tel n'est malheureusement pas le cas puisque le texte transmis au Sénat comporte tout un dispositif de mesures propres à entraver les échanges d'électricité, dans un esprit malthusien totalement contraire à l'esprit de la directive.
Comment justifier l'interdiction du négoce d'électricité ? Comment expliquer la limitation corrélative de la faculté d'acheter pour revendre du courant aux seuls producteurs, en proportion d'une fraction de leur production ? Cette dernière mesure revient à instituer un monopole au profit d'EDF, ce qui est d'autant plus aberrant que l'opérateur historique ne revendique nullement cette armure de carton-pâte et qu'il s'est d'ores et déjà empressé de créer à Londres une filiale de négoce !
Comment soutenir, en droit, la faculté donnée à EDF de dénoncer les contrats en cours, qu'il s'agisse de contrats de vente ou de contrats d'achat de courant ? D'aucuns voient, à juste titre, dans ces mesures des armes possibles de représailles, destinées à lutter contre l'ouverture du marché et susceptibles de donner lieu à des abus de position dominante.
Toutes ces mesures maladroites, conçues pour préserver la situation acquise d'EDF, sont chimériques à l'heure de la libéralisation.
Au surplus, des mesures anti-économiques figurent dans ce texte. Je ne citerai, à titre d'exemple, que l'institution d'une taxation des autoproducteurs d'électricité pour le courant qu'ils consomment, alors même qu'ils n'empruntent pas le réseau public de transport !
M. Ladislas Poniatowski. Tout à fait !
M. Henri Revol, rapporteur. Cette disposition n'est-elle pas absurde dans la mesure où ces industriels concourent précisément, en produisant du courant pour eux-mêmes, à éviter des coûts d'investissement à EDF ?
En outre, l'indépendance de la régulation est notablement insuffisante. Comment la commission de régulation de l'électricité, la CRE, serait-elle indépendante, alors qu'elle est flanquée d'un commissaire du Gouvernement - pouvant d'ailleurs être simultanément commissaire du Gouvernement auprès d'EDF - qui peut maîtriser son ordre du jour ? Aurait-on voulu mettre la CRE sous tutelle ?
Enfin, le projet de loi laisse une place bien trop large au pouvoir réglementaire en ne prévoyant pas moins de vingt-cinq décrets d'application, dont la moitié portera sur des matières essentielles.
M. Charles Revet. Comme toujours !
M. Henri Revol, rapporteur. Je déplore d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement n'ait, malgré mes demandes réitérées, pas été en mesure de m'adresser les projets de décret en question. Pouvez-vous me dire dans quel délai vous envisagez de les publier ?
Au total, par les imprécisions qu'il recèle et les contradictions dont il est truffé, le projet de loi est susceptible de faire naître un nombre important de contentieux préjudiciables aux investisseurs, qui ont avant tout besoin d'un cadre juridique clair, précis et stable. Ces procès feront sans nul doute, en revanche, le miel et la fortune des cabinets d'avocats !
La commission des affaires économiques a souhaité modifier ce texte afin d'organiser une réelle ouverture du marché et d'assurer la pérennité d'un service public mieux défini.
Contrairement à ce qu'affirment les partisans d'une logique surannée, la libéralisation du marché de l'électricité sera bénéfique à la compétitivité de l'économie française.
C'est pourquoi il convient, en premier lieu, de constituer un vrai marché de l'électricité, afin que les prix reflètent les coûts et que l'offre permette de satisfaire une demande aux caractéristiques toujours plus diversifiées.
Dans ce contexte, il est impératif de rétablir le droit d'acheter de l'électricité pour revente. Le Gouvernement prendrait une grave responsabilité en encourageant la fuite du négoce hors de France, ce qui priverait notre pays d'une source importante de valeur ajoutée. Pourquoi ne pourrait-on avoir en France une bourse de l'électricité alors qu'on en voit fleurir sur toutes les places européennes ?
Il est également souhaitable de supprimer les obstacles à la fluidité du marché, à commencer par le cadre contractuel de trois ans, dont tous les observateurs s'accordent à souligner le caractère arbitraire.
L'égalité des opérateurs doit être parfaitement assurée sur le marché. C'est pourquoi il convient d'interdire tout risque d'abus de position dominante qui résulterait de la dénonciation par EDF d'un contrat de vente ou d'un contrat d'achat d'électricité.
Il est également nécessaire d'accroître la transparence des modalités d'octroi des autorisations de créer des installations de production et de mise en oeuvre des appels d'offre, tous les producteurs d'électricité devant être soumis à des procédures aussi brèves que possible.
La commission proposera, à ce titre, toute une batterie d'amendements tendant à garantir les droits des entreprises et des citoyens face à l'administration, à raccourcir les délais de jugement et à assurer le caractère contradictoire des procédures juridictionnelles.
Il va de soi que, dans notre esprit, la taxation des autoproducteurs doit être supprimée.
La commission de régulation de l'électricité doit, pour sa part, être totalement indépendante du Gouvernement. Dès lors que Electricité de France est soumis à la tutelle de l'Etat, la puissance publique ne peut rester en position de juge et partie. C'est pourquoi nous souhaitons dégager la commission de régulation de tout risque de mise sous tutelle en clarifiant les fonctions du commissaire du Gouvernement placé auprès d'elle et en faisant du ministre la seule autorité compétente pour faire part à cette commission des orientations de la politique énergétique.
Le rôle de la commission de régulation doit également être renforcé. C'est pourquoi nous vous proposerons d'accroître ses pouvoirs, ainsi que les moyens matériels et juridiques dont elle dispose. Nous souhaiterions savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, quels seront les moyens budgétaires et humains dont sera dotée la commission de régulation.
S'agissant du gestionnaire du réseau public de transport, la commission des affaires économiques estime que, pendant une période transitoire d'un an, nécessaire à la maturation du marché, le GRT - tel est le sigle retenu - peut demeurer matériellement intégré à l'opérateur historique. Une séparation juridique immédiate entre le GRT et EDF nous paraît effectivement présenter des difficultés. C'est pourquoi la commission souhaite avant tout assurer la parfaite impartialité du GRT lorsqu'il donne, ou donnera, accès au réseau.
Il convient toutefois d'envisager dès à présent une nouvelle étape en prévoyant que le statut juridique du service autonome gestionnaire du réseau public de transport pourra être modifié compte tenu des conclusions d'un rapport que la commission de régulation émettra dans un an au plus tard. La commission de régulation pourra, de la sorte, comme le suggère un amendement de Valade, approuvé par la commission, faire le point par rapport à nos principaux partenaires européens, notamment ceux chez qui le GRT est constitué sous forme de filiale.
La commission des affaires économiques a également souhaité pérenniser le service public en en assurant le financement. En effet, le renforcement des mécanismes de marché n'est nullement incompatible avec l'action de la puissance publique, qu'elle s'exprime à l'échelon national, grâce au ministre qui doit élaborer la programmation pluriannuelle des investissements, ou à l'échelon local, par l'irremplaçable action des collectivités locales.
Le Sénat a, dans le passé, pleinement soutenu les gouvernements successifs qui ont exigé, au cours de l'élaboration de la directive - laquelle, je le rappelle, a duré neuf ans ! - que celle-ci prévoie la faculté de fixer des obligations de service public. Il importe cependant de distinguer entre les prestations de service public et les modalités de leur organisation.
Nous entendons garantir la pérennité du service public, notamment sur le plan territorial. C'est pourquoi nous avons souhaité renforcer la participation des représentants des collectivités locales aux observatoires des services publics.
La péréquation tarifaire est un élément indispensable à la préservation du service public. Elle a une dimension politique puisqu'elle traduit l'unité et la solidarité territoriale de notre pays. Nous sommes résolus, en conséquence, à tout faire pour la préserver.
La commission des affaires économiques est non moins soucieuse d'assurer l'avenir de l'opérateur historique. Conformément aux recommandations de la commission d'enquête sur l'avenir de la politique énergétique de la France, présidée par notre collègue Jacques Valade, nous approuvons l'élargissement raisonné du principe de spécialité d'EDF. Il serait irréaliste de prétendre assurer l'égalité des opérateurs en « corsetant » l'opérateur historique. Il est cependant nécessaire que l'observatoire de la diversification joue pleinement son rôle, sans toutefois ligoter EDF.
La préservation de l'équilibre financier d'EDF passe aussi par une correction du dispositif d'aide aux plus démunis adopté par l'Assemblée nationale. La création d'une « tranche sociale » est de nature à coûter 4 milliards de francs par an à EDF. C'est pourquoi nous souhaitons recentrer ce mécanisme en renvoyant au dispositif d'ores et déjà prévu par la loi du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion. D'un point de vue plus général, la commission juge souhaitable de renforcer les mécanismes de compensation à EDF des charges publiques, ainsi que le coût des contrats d'achat signés avant l'entrée en vigueur de la directive.
J'ai évoqué devant vous les principales questions qui sont traitées - bien ou mal - dans le projet de loi. Mais il est une question majeure aussi, qui, elle, n'y figure malheureusement pas. Je veux parler de l'avenir des retraites des agents d'Electricité de France. Si les informations dont je dispose sont exactes, le rapport entre les actifs et les inactifs pourrait atteindre un pour un en 2020. Que compte faire le Gouvernement pour affronter cette réalité, car la question qu'elle soulève se posera dans des termes - le mot n'est pas trop fort - dramatiques ?
En 1996, le gouvernement auquel participaient MM. Fillon et Arthuis avait parachevé l'ouverture du marché des télécommunications, entamée dix ans plus tôt, en réglant la question des retraites des agents de France Télécom. Comment la même question sera-t-elle réglée pour les agents d'EDF ?
C'est sur cette interrogation solennelle que je conclurai mon propos, en soulignant combien, sur ce point, le Gouvernement assumerait une lourde responsabilité, monsieur le secrétaire d'Etat, en restant dans l'expectative. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Weber.
M. Henri Weber. Monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous soumettez aujourd'hui à notre discussion a été qualifié par notre rapporteur, notre excellent collègue Henri Revol, dont je veux saluer ici le remarquable travail, de « transposition a minima » de la directive européenne sur l'électricité. Je le qualifierai plutôt, pour ma part, de transposition équilibrée et prudente, et je crois que, en matière d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie électrique, la prudence et la recherche de l'équilibre constituent deux vertus majeures plutôt que des défauts.
En 1989, lorsque la vogue ultralibérale venue d'outre-Manche et d'outre-Atlantique batttait son plein, la Commission de Bruxelles, invoquant l'article 90, alinéa 3, du traité de Rome, a tenté d'édicter une directive sur le secteur de l'électricité et du gaz prévoyant la liberté totale d'accès au réseau pour tout opérateur à compter du 1er janvier 1996.
Le Conseil des ministres de la Communauté européenne était alors fermement opposé à cette orientation, qui impliquait à court terme le démantèlement du service public de l'énergie.
La directive de 1996, qu'il s'agit aujourd'hui de transposer en droit français, est heureusement d'une tout autre nature.
Elle préconise une ouverture maîtrisée et progressive du marché de l'électricité. Elle respecte le principe de subsidiarité. Chaque Etat est tenu d'atteindre les objectifs prescrits selon les modalités qui lui conviennent, conformément à son histoire et à ses traditions.
Aujourd'hui, l'ultralibéralisme est un peu passé de mode. On assiste à un début de prise de conscience des dangers qu'une dérégulation excessive et précipitée fait courir à nos sociétés.
C'est le cas pour la banque et la finance, domaines dans lesquels notre gouvernement mène un combat courageux et de moins en moins solitaire pour le renforcement des règles prudentielles et des instances internationales de régulation.
C'est le cas dans les transports ferroviaires, aériens et même routiers. D'ailleurs les chauffeurs de poids lourds manifestent aujourd'hui même pour une meilleure réglementation de leur temps de travail.
C'est le cas aussi dans le secteur de l'électricité, car on constate, en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis, que l'ouverture excessive à la concurrence se solde souvent par une baisse de la qualité et de la fiabilité du service rendu au consommateur : ici, on déplore un mauvais entretien des infrastructures, ailleurs des fluctuations déstabilisantes des prix.
Vous avez tous en mémoire, mes chers collègues, les événements survenus, en juin 1998, dans le Middle West, où, à la suite d'une canicule particulièrement sévère, le prix du mégawatt est passé en quelques jours de 40 dollars à 7 000 dollars, contraignant les constructeurs d'automobiles à suspendre leur production !
La prudence et le souci de l'équilibre que traduit votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, tel que l'a amendé et voté l'Assemblée nationale, sont donc, n'en déplaise à la majorité du Sénat, tout à fait bienvenus.
EDF est à la fois une très grande entreprise industrielle et le principal opérateur, et de loin, du service public de l'électricité.
Votre projet de loi tient compte de cette double nature. Il tend, d'une part, à assurer l'avenir d'EDF en tant que grande entreprise industrielle et de services dans une économie mondialisée et, d'autre part, à garantir que cet opérateur historique assumera les missions de service public que la nation lui a confiées aussi bien et même mieux encore qu'il ne l'a fait depuis 1946.
L'avenir d'EDF comme entreprise de pointe du secteur de l'énergie n'est pas le retranchement dans un bastion national, à l'abri des protections que lui donne le statut de monopole. L'avenir d'EDF comme entreprise réside dans son adaptation à la demande, qui est de plus en plus une demande de services diversifiés et sophistiqués, et dans son expansion internationale.
EDF n'est pas ce monstre bureaucratique et inefficient que décrivent certains. C'est une entreprise douée d'une extraordinaire capacité d'innovation et de mobilisation. Du plan hydraulique des années cinquante au programme d'équipement nucléaire des années soixante-dix, elle a maintes fois donné la mesure de son savoir-faire. Son image est excellente et son expertise est universellement appréciée dans un monde où les mégalopoles poussent comme des champignons et où les besoins en énergie et en équipement électriques sont illimités.
Nous faisons pleinement confiance à EDF pour faire face à la concurrence sur son marché domestique. Nous sommes convaincus aussi qu'elle peut et qu'elle doit devenir une grande entreprise internationale, développant ses activités sur les cinq continents. Pourquoi abandonnerions-nous ce rôle et cette place aux électriciens américains, allemands ou scandinaves ? Qui peut croire que l'avenir d'EDF est de rester une entreprise franco-française confinée à l'hexagone, alors que ses concurrents vont changer de dimension ?
Ce développement à l'international est déjà bien engagé : EDF est active au Brésil, au Mexique, en Argentine, en Grande-Bretagne, au Portugal, en Espagne, en Suisse, en Italie, en Autriche, en Suède ainsi que dans plusieurs pays d'Europe de l'Est, d'Afrique et d'Asie, dont la Chine.
Mais qui peut croire que nous pourrons développer ainsi notre activité à l'étranger tout en fermant notre propre marché de l'électricité à toute concurrence ? Déjà, les contentieux et les menaces de rétorsion se multiplient.
Nous devons ouvrir partiellement et progressivement notre marché de l'électricité à la concurrence, mes chers collègues, non pas seulement pour honorer la signature de la France, engagée le 19 décembre 1996, pas seulement, ni même principalement, parce que la concurrence permet de baisser les prix de l'énergie et d'améliorer sa qualité. Il ressort d'ailleurs de votre rapport, monsieur Revol, que les prix de l'électricité en France restent parmi les plus bas d'Europe et qu'ils sont, en tout état de cause, plus bas que ceux qui ont cours en Allemagne, en Italie ou en Grande-Bretagne. J'ai bien dit en Grande-Bretagne, pays dans lequel, je le souligne, la concurrence totale et la privatisation n'empêchent pas, dix ans après l' Electricity Act de 1989, la pratique de prix supérieurs aux nôtres. Non, nous devons ouvrir notre marché de l'électricité à la concurrence, fondamentalement, parce qu'il s'agit là d'un de nos secteurs d'excellence et que nous ne pouvons pas espérer nous développer à l'étranger si nous n'autorisons pas, sous certaines conditions, les entreprises étrangères qui le souhaitent à venir s'implanter chez nous.
En même temps qu'il prend en compte l'avenir de l'entreprise, votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, veille à préserver et même à renforcer les missions de service public d'EDF. Il réaffirme la nécessité d'une politique publique forte dans le domaine de l'électricité.
Le ministre en charge de l'énergie aura la responsabilité d'établir une programmation pluriannuelle des investissements de production. Il aura compétence pour fixer les tarifs réglementés, délivrer les autorisations d'exploitation et de production, arrêter le montant des charges liées au bon accomplissement des missions de service public.
EDF, vous l'avez rappelé avec force, demeure une entreprise publique intégrée. Le statut des personnels est préservé et pourra être étendu, par la négociation collective, aux personnels des nouveaux entrants.
Les grands principes du service public sont actualisés et de nouvelles préoccupations sont prises en compte, et d'abord des préoccupations sociales, avec la garantie du maintien d'une fourniture minimale d'électricité aux personnes en difficulté, en application de l'article 36 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions. Une tarification sociale sera instaurée en fonction des besoins et des revenus des personnes concernées.
Ce projet de loi manifeste également une préoccupation pour la défense de l'environnement et l'aménagement du territoire, avec les mesures d'encouragement à la production décentralisée, laissant plus d'espace aux initiatives locales, ainsi que la volonté de favoriser la diversification des sources d'énergie primaire et des techniques de production, en particulier la cogénération.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la majorité sénatoriale vous reproche de n'être pas allé assez loin. Plusieurs des amendements qu'elle a déposés ne me choquent pas. Certains contribuent même à améliorer votre texte. D'autres me semblent, au contraire, en contradiction avec la démarche prudente et équilibrée qui est la vôtre.
S'agissant du gestionnaire du réseau de transport, le GRT, je note, monsieur le rapporteur, que, contrairement à certains de vos amis - et j'ai lu votre rapport attentivement - vous ne proposez pas la grande séparation organique d'avec EDF... en tout cas, pas dans votre rapport. « L'éclatement de l'opérateur historique, écrivez-vous, aurait un coût économique et social exorbitant par rapport à l'intérêt d'un tel système. Vouloir imposer d'emblée, poursuivez-vous, un mode d'organisation qui ne correspond pas à la maturité du marché en dépit des spécificités nationales et de l'histoire pourrait s'avérer tout à fait contreproductif. »
Je ne peux que saluer votre pragmatisme et souscrire à vos propos. Mais, dès lors, pourquoi prévoir, dans une rédaction d'ailleurs très floue, ce que vous appelez « une évolution ultérieure du GRT », en clair une filialisation au bout d'un an ? Il y a là une contradiction entre ce que démontre votre rapport et ce que vous proposez, au nom de la commission, à titre d'amendement. Pourquoi cette proposition, alors que la directive européenne ne l'impose pas et que vous aviez vous-même recommandé de préserver le caractère intégré d'EDF ?
Le projet de loi qui nous est présenté offre toutes les garanties - statutaires, administratives, judiciaires - de l'autonomie et de l'impartialité du GRT par rapport à EDF et à tous les opérateurs. J'y reviendrai plus longuement, si besoin est, dans la discussion des articles.
En ce qui concerne la commission de régulation de l'électricité, ou CRE, je ne comprends pas, monsieur le rapporteur, comment vous pouvez parler « d'indépendance de façade ». Cette autorité administrative de régulation, composée de six membres irrévocables, a été dotée de services et de moyens budgétaires propres. Elle dispose d'importants pouvoirs de proposition et de sanction. Elle aura les moyens de contrôler l'accès aux réseaux de transport et de distribution et de garantir l'absence de toute forme de discrimination.
Je ne comprends pas bien non plus votre fixation à l'égard du commissaire du Gouvernement placé auprès de la CRE. Son rôle est d'assurer la coordination entre les deux autorités qui sont en charge du secteur, la CRE et le ministre chargé de l'industrie, ce qui me semble nécessaire.
Pour ce qui est de l'achat pour revente, je ne crois pas, monsieur le rapporteur, que son encadrement soit, comme vous l'écrivez, « totalement contraire à la directive ». Le trading est certes une activité aujourd'hui nécessaire pour beaucoup d'entreprises. Il leur permet de s'adapter aux demandes de leurs clients et leur offre la possibilité d'étendre leurs activités internationales. Mais je ne crois pas que sa libération totale produirait l'effet miraculeux que vous décrivez.
Une telle mesure entrerait directement en contradiction avec notre souci de construire une politique énergétique durable et cohérente, notamment par le biais de la programmation pluriannuelle des investissements. Elle risquerait également d'entraîner des variations de prix aussi imprévisibles que néfastes. Enfin, affirmer comme vous le faites, monsieur le rapporteur, que l'interdiction du trading pour les fournisseurs reviendra à accorder à EDF un monopole de fait, c'est oublier que, si EDF assure aujourd'hui 95 % de la production française, 34 % de la consommation nationale sera ouverte à la concurrence dès 2003.
C'est pourquoi je considère avec vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que le négoce d'électricité doit être encadré : autorisation ministérielle et seuil de production me semblent donc être des garanties salutaires.
Vous avez déclaré qu'un seuil de 20 % vous semblait raisonnable. Ma seule interrogation à ce sujet porte sur la base à partir de laquelle ce taux sera calculé : s'agira-t-il de l'ensemble de la production européenne ou bien, comme le sous-entend M. le rapporteur, de la seule production nationale, ce qui, il est vrai, modifierait sensiblement la donne ?
J'en viens à la question des autoproducteurs, que M. le rapporteur a amplement abordée. La commission propose de les exonérer de toute contribution au fonds de service public de la production d'électricité. Cette proposition ne me paraît pas acceptable. Tous les acteurs de l'électricité doivent contribuer au financement des surcoûts liés à l'accomplissement des missions de service public, y compris les autoproducteurs. L'Assemblée nationale a assoupli le dispositif en renvoyant à un décret le seuil à partir duquel ils seront redevables de cette contribution. Il faut s'en tenir là.
Vous dénoncez également, monsieur le rapporteur, la durée des contrats. Les députés ont souhaité encadrer davantage l'ouverture du marché de l'électricité, en imposant une durée minimale de trois ans aux contrats de fourniture d'électricité, en vue de concilier la liberté contractuelle avec les exigences d'une politique énergétique de long terme. Il est vrai que cette disposition risque d'être contraire à la directive européenne. Mais votre proposition visant à supprimer purement et simplement ce délai me semble trop radicale. Pour notre part, nous préférons la solution du Gouvernement, qui consiste à maintenir cette durée tout en réaffirmant le principe de mutabilité, qui permet de réviser ou de résilier un contrat. C'est une solution équilibrée.
Enfin, je dirai un dernier mot sur l'instauration du tarif social. Une bonne partie de la droite la refuse, au motif que cette question relèverait exclusivement de l'action sociale et que son coût serait trop élevé. M. le rapporteur retient ce dernier grief qui, à nos yeux, n'est pas recevable : EDF, au titre de son obligation de service public, ne peut se détourner de ses missions sociales, notamment de l'objectif de cohésion sociale, dont ce tarif est un élément essentiel. En revanche, l'argument sur le risque de saupoudrage, donc d'inefficacité, nous semble plus pertinent. Vous proposez de faire bénéficier de ces tarifs les seules personnes visées par la loi contre les exclusions, soit environ 450 000 personnes. N'est-ce pas trop restrictif ? Peut-être vaudrait-il mieux donner plus de latitude au pouvoir réglementaire, en vue de permettre un ciblage plus fin des publics à viser ?
Je n'aborderai pas les questions concernant la distribution d'électricité et le pouvoir concédant des communes, deux points que mes collègues et amis Jean Besson et Jean-Marc Pastor vont amplement traiter.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de loi illustre bien ce que nous, partisans de l'économie mixte ou, comme on dit aujourd'hui, d'une économie de marché régulée par le droit, la loi et les contrats, savions déjà : un certain degré d'ouverture à la concurrence n'est pas contradictoire avec l'existence de services publics puissants et dynamiques ; il peut même être utile à leur rénovation et à leur essor.
Nous voterons donc votre texte prudent et équilibré sauf, évidemment, si la majorité sénatoriale le dénature par des amendements inacceptables. Dans ce cas, à notre grand regret, monsieur le secrétaire d'Etat, nous serons contraints de voter contre. (Applaudissements sur les travées socialistes.)

9

NOMINATION
D'UN MEMBRE DE LA DÉLÉGATION
DU SÉNAT POUR L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. J'informe le Sénat que la candidature présentée par le groupe du Rassemblement pour la République à la délégation du Sénat pour l'Union européenne a été affichée et n'a fait l'objet d'aucune opposition.
En conséquence, cette candidature est ratifiée, et je proclame M. Robert Del Picchia membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je lui adresse mes félicitations pour ce succès et la campagne active qu'il a menée. (Sourires.)

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SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi portant transposition de la directive « électricité » arrive enfin devant le Sénat. Je ne peux que féliciter M. le rapporteur de l'énorme travail d'analyse et de proposition qu'il a su faire. Je veux également rendre hommage à mes collègues qui, en l'espace de quarante-huit heures, un samedi et un dimanche, ont pu apprécier la lecture de 450 pages de texte.
M. Jacques Valade. Très bien !
M. André Bohl. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous rends également hommage, car ce texte fait suite à un projet de directive, à une directive, à un Livre blanc. Vous l'avez soumis à toutes les associations concernées et vos services ont prêté une grande attention aux remarques qu'elles ont formulées.
Cette transposition est difficile. Il faut en effet comprendre, assimiler, traduire en une loi une évolution importante du service public de l'électricité, car, désormais - et tout débat politique est vain à ce sujet - le marché de l'électricité est européen.
Mais si l'électricité s'ouvre à la concurrence, elle n'est pas un produit comme les autres.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Absolument !
M. André Bohl. L'électricité ne se stocke pas. Elle n'est pas identifiable. Sa production, son transport et sa distribution posent un colossal problème technique exigeant une forte capitalisation.
Aux traditionnels production, transport, distribution, s'ajoute désormais la fourniture. Cette innovation a des conséquences considérables sur le plan des garanties juridiques, techniques et économiques. Elle a également des conséquences formidables pour EDF, qui n'est pas une entreprise intégrée en matière de fourniture, et uniquement en cette matière.
La garantie juridique de la fourniture de l'électricité reposait sur des principes découlant de la loi de nationalisation du gaz et de l'électricité et sur la loi du 15 juin 1906 relative aux distributions de l'énergie. Le projet de loi que nous examinons maintient la responsabilité des autorités organisatrices : l'Etat, les communes ou leurs regroupements.
Du fait de la séparation des opérations liées à la desserte en électricité, en séparant la fourniture, le transport, la distribution, en libérant la production et le négoce, il est introduit une notion nouvelle, la gestion de réseau, dont les collectivités doivent garantir l'existence.
La sécurité technique était fondée sur une intégration nationale pour le transport, une unicité territoriale pour la distribution selon des règles établies par des textes permettant l'interconnexion des réseaux, car l'électricité doit être injectée dans le réseau selon des normes strictes.
La sécurité économique était assurée par des mécanismes de garantie, de péréquation ou de solidarité. La garantie était l'exclusivité de la desserte territoriale soit directement par les régies, soit par voie de concession. La contrepartie en était la charge du développement en zone urbaine. La péréquation prenait plusieurs formes ; le FACE, le fonds de péréquation pour les distorsions de la distribution permettait l'électrification des zones rurales. La solidarité était incluse soit dans la tarification administrée, soit dans les conventions départementales ou nationales au bénéfice des démunis, dont il ne faudrait pas oublier l'existence.
La transposition modifie la situation présente.
La sécurité juridique des communes et de l'Etat est-elle assurée ? On peut s'interroger sur la difficulté créée par l'existence de deux catégories de clientèles - « éligibles » et « non éligibles » - dont les droits et obligations sont interdépendants.
Comment peut-on financer le développement de ces réseaux si, d'une part, les clients éligibles peuvent échapper à la contrainte de liaison physique en construisant des lignes directes et si, d'autre part, les clients non éligibles captifs sont alimentés par ce même réseau ? Cette obligation de permanence du service public découle des obligations du code de l'urbanisme et des lois de 1906 et de 1946. Si les tarifs de péage ne sont pas bien calculés, les non-éligibles feront, de fait, les frais de réductions de prix accordées aux éligibles.
La sécurité technique est indispensable dans un domaine où la responsabilité pénale de l'opérateur et de la puissance organisatrice peut être recherchée. Dans un domaine où les échanges entre réseaux seront plus intenses que précédemment, ce risque n'est pas à négliger.
La sécurité économique des opérateurs, notamment des opérateurs de distribution, reste essentielle. Depuis l'ouverture effective du marché européen de l'électricité, on constate une réticence croissante pour la production d'électricité. Les difficultés en Allemagne illustrent de manière caricaturale l'impossibilité de réaliser de nouvelles unités de production de masse devant satisfaire les besoins, la volonté étant, de plus, de déconnecter du réseau les unités produisant à base nucléaire. Je vous en donne acte volontiers, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'est absolument pas votre ligne de conduite.
Les péages des lignes de transport sont soit négociés, soit administrés. Dans ce dernier cas, le niveau des tarifs devra tenir compte et du développement et de l'interconnexion, sinon la concurrence se traduirait soit par une majoration des tarifs des non-éligilibles, soit par une étatisation des réseaux à l'identique des voiries ou autres réseaux communaux ou nationaux.
Cette sécurité économique est encore plus nécessaire en matière de distribution. La loi de nationalisation a préservé la fonction originelle des communes dans la distribution d'électricité soit en tant que concédant, soit en distribution directe, par leur régie - les sociétés d'économie mixte, les SEM - et les sociétés d'intérêt collectif agricole pour l'électrification, les SICAE. Les communes et syndicats exerçant directement en régie la desserte en énergie ont été maintenus. Ces entreprises dites « de l'article 23 » ou entreprises non nationalisées constituent des laboratoires intéressants. Celles qui, imprudentes, n'ont pas réinvesti dans leurs réseaux ou dans les évolutions technologiques ont disparu.
Celles qui restent sont confrontées à un nouveau dilemme : leur clientèle est appelée à se réduire, mais leur obligation de service public de desserte territoriale est confirmée. Or, les faits vont plus vite que la législation et l'éligibilité ouverte se limitant à un site est déjà dépassée. Les groupements économiques font leurs achats pour l'ensemble de leurs sites. Par ailleurs, des plaques industrielles se dotent de moyens de production pour un ensemble de clients potentiellement éligibles et réduisent d'autant la marge de négoce des régies et autres opérateurs locaux.
Cette situation met bien évidemment en cause l'opérateur, mais aussi la collectivité support. Aussi serai-je amené à demander quelques précisions concernant ces situations périlleuses qui risquent de compromettre la sérénité des débats futurs sur l'évolution du marché européen de l'énergie : par exemple, qu'en sera-t-il de la réciprocité inscrite dans certains textes de transposition d'autres pays, point auquel M. le rapporteur a fait allusion tout à l'heure ?
Mon propos a été centré sur les problèmes posés aux collectivités, notamment territoriales, et je préciserai ma pensée lors de la discussion des articles.
Avant de conclure, je présenterai quelques observations concernant les autres parties du texte.
Ce texte prévoit un organisme de régulation, ce qui me paraît une bonne chose ; mais il crée nombre de services de contrôle. Il serait sage que la desserte en électricité, qui est un problème technique et économique, reste l'objet essentiel des débats de tous ces organes de contrôle.
Il convient de constater que, s'agissant de la matière énergétique qu'est l'électricité, les mouvements spéculatifs n'ont pas eu de répercussion notable sur des tarifs qui sont certes administrés, mais qui répartissent la charge de façon égale entre les intervenants. La cohésion sociale n'a pas eu à souffrir de cette situation et la confiance de la population en la technicité des électriciens a été constante.
C'est pourquoi il me semble nécessaire à la fois d'aménager le statut d'Electricité de France et de maintenir la trame du cadre social des industries électriques et gazières.
Souvent, les textes approuvés paritairement et transposés par simples notes administratives aux entreprises non nationalisées, que je qualifie de « régies » pour être plus simple, n'ont pas de caractère légal. L'introduction du statut dans le code du travail en permettra la transparence et la validation législative.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite pour ma part que ce débat soit fructueux. Il est délicat, mais il peut aboutir à une meilleure politique économique, fondée sur une meilleure compétitivité, tout en sauvegardant la cohésion sociale, et ce en vue d'un développement équilibré du territoire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui saisis d'un projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Je souhaite m'arrêter quelques instants sur ce titre, emblématique parce qu'ambigu, et même doublement ambigu.
Premièrement, ce titre ne fait nullement état de l'objet véritable du projet de loi, à savoir la transposition en droit français de la directive communautaire du 19 décembre 1996. Or, comme nous le verrons, le projet de loi, dans son état actuel, ne propose qu'une transposition a minima de cette directive, ce que je regrette.
Deuxièmement, le titre de ce texte se veut prometteur : la modernisation et le développement du service public de l'électricité. Mais, du fait même d'une transposition frileuse de la directive, nous pouvons légitimement nous interroger pour savoir si les dispositions prévues répondent aux ambitions affichées ou s'il n'y a pas un simple effet d'annonce qui serait, finalement, préjudiciable à la modernisation de tout ce secteur économique.
Dans nos débats, nous devons donc veiller à deux points fondamentaux.
D'une part, nous devons traduire de manière étendue dans notre droit les dispositions européennes. Nous le pouvons puisque la directive laisse le choix entre plusieurs modalités pour atteindre son but de libéralisation du marché de l'électricité.
D'autre part, nous devons veiller à garantir l'avenir de l'entreprise performante qu'est EDF. EDF est, effectivement, l'une des plus grandes entreprises mondiales d'électricité, et se caractérise par des tarifs compétitifs, par l'excellence de ses agents et par une réelle qualité de ses services.
Dans un premier temps, permettez-moi, mes chers collègues, de saisir l'occasion qui m'est donnée de rappeler les quatre principes auxquels notre groupe est particulièrement attaché : l'ouverture du marché, la nécessité de transposer la directive, l'obligation pour EDF de jouer le jeu de cette directive et de poursuivre ses efforts pour rester compétitif, et, enfin, la défense du consommateur et de l'aménagement du territoire.
Tout d'abord, au regard de ce texte, l'ouverture du marché demeure malgré tout très limitée, monsieur le secrétaire d'Etat, puisqu'elle est réservée dans un premier temps à quelque quatre cents clients éligibles, essentiellement de gros industriels, représentant 26 % de la consommation.
La majorité des clients, notamment les PME-PMI et les particuliers, ne bénéficieront donc pas de cette libéralisation et de la baisse des tarifs qui devrait logiquement en découler, contrairement à ce qui se passera dans certains pays voisins. Certes, c'est un premier pas non négligeable lorsque l'on sait ce que représente la consommation d'électricité pour des secteurs comme la sidérurgie, la chimie ou l'automobile. Mais le Gouvernement aurait pu dès maintenant envisager une mise en concurrence plus large, et tout au moins préparer les étapes suivantes de l'ouverture du marché.
Tel ne semble pas être le cas, et la France fait malheureusement figure de « mauvais élève » de la classe tant elle a tardé à transposer la directive européenne. Elle est, en effet, avec la Belgique - je mets à part l'Irlande et la Grèce qui, comme l'a rappelé M. le rapporteur, ont obtenu un délai supplémentaire - l'un des derniers pays à entamer ce processus de transposition.
La directive européenne sur l'électricité a certes une longue histoire sur laquelle je ne m'étendrai pas, sauf pour savoir gré au précédent gouvernement d'avoir sorti les négociations de l'ornière pour aboutir au texte adopté le 19 décembre 1996.
Comme pour toute directive, un délai de transcription a été fixé au 19 février 1999, et le présent texte a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale en décembre 1998.
Que s'est-il donc passé depuis juin 1997 ? Une large concertation, nous dit-on. Admettons l'argument.
Seulement, maintenant, compte tenu du temps imparti à la discussion parlementaire, la France entame sa procédure de transcription hors délai. De plus, l'urgence ayant été déclarée, le Parlement ne pourra se livrer à un débat approfondi, ce que mériterait cependant un texte d'une telle importance.
Il s'agit là, en outre, d'une situation risquée puisque n'importe quel intervenant du secteur peut se prévaloir de la directive et saisir les tribunaux, qui se chargeront alors de dire le droit en l'absence d'un texte législatif définitif.
L'attitude du gouvernement français est donc difficilement compréhensible, car la transposition de la directive est non seulement obligatoire - nous venons de le voir - mais encore nécessaire afin de permettre l'intégration d'EDF dans un paysage économique nouveau, désormais mondial et - nombre d'intervenants l'ont rappelé - hautement concurrentiel.
L'histoire, en effet, ne se prête pas à la répétition et appelle, au contraire, l'adaptation constante. La période de l'après-guerre est définitivement révolue et, aujourd'hui, la plupart de nos partenaires se sont résolument engagés sur la voie de la libéralisation.
A cet égard, les chiffres sont éloquents, et il nous faut en tenir compte : l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Finlande et la Suède ont ainsi ouvert leur marché à 100 % ; par ailleurs, l'annonce récente du projet de fusion entre les groupes allemands Veba et Viag en fera des concurrents redoutables ; en outre, dans les pays de l'Europe du Nord comme la Finlande ou la Suède, il existe déjà une bourse de l'électricité ; enfin, en Grande-Bretagne, même les particuliers peuvent faire jouer la concurrence.
Dans ces conditions, comment la France peut-elle continuer à se distinguer de ses partenaires si elle veut véritablement moderniser et développer son service public de l'électricité et continuer de permettre à EDF de jouer un rôle international de premier plan ?
En effet, EDF est déjà la première entreprise d'électricité au monde en termes de production et de volume ; elle intervient largement à l'international, dans l'optique d'une démarche concurrentielle comparable à celle d'une entreprise privée conquérant de nouveaux marchés. Ainsi, en un an, le groupe EDF a doublé ses engagements financiers à l'étranger : ceux-ci sont passés de 13,5 milliards de francs, en 1997, à 28 milliards de francs en 1998, et EDF prévoit de doubler à nouveau prochainement ses investissements à l'extérieur de notre pays. A cet égard, l'entreprise, présente dans une dizaine de pays européens, en Afrique, en Asie et en Amérique latine, intervient comme producteur, distributeur et prestataire d'ingénierie pour plus de 15 millions de clients dans le monde.
Dans ces conditions, je regrette, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas profité de ce texte pour ouvrir le capital d'EDF, car cette ouverture aurait facilité des prises de participation à l'international et permis ainsi de conforter le rôle mondial d'EDF. Vous pouviez le faire !
Dans un marché sans frontières, l'harmonisation des seuils d'ouverture paraît inéluctable : pourquoi, alors, ne pas résolument l'anticiper, au lieu de la limiter, comme le fait le texte qui nous est soumis, et ce au détriment in fine d'EDF ? Notre législation devrait aller plus clairement et plus fermement vers une libéralisation plus complète du marché, même si elle doit réformer - en douceur, cela va de soi - les structures d'EDF. Il ressortit en effet à une concurrence loyale qu'une entreprise internationale accepte d'être soumise à la concurrence sur son propre territoire ; pour cela, il faut non seulement encourager EDF à s'adapter, mais aussi ne pas décourager les nouveaux opérateurs.
A ce titre, je souhaiterais revenir sur un point qui a été âprement discuté par nos collègues députés, à savoir la question du statut des agents d'EDF. Nous comprenons l'attachement de ces agents à leurs conditions salariales et sociales, et nous ne pensons pas que ces dernières soient un obstacle à la modernisation de l'entreprise.
Enfin, le groupe des Républicains et Indépendants, auquel j'appartiens, entend que tout consommateur soit traité de la même manière et qu'il n'y ait pas rupture d'égalité entre celui de la ville et celui de la campagne. Nous avons aujourd'hui l'impression que toutes les faveurs vont à la ville. Je citerai à cet égard quelques textes récents sur l'intercommunalité, sur la révision de la loi Pasqua, sur l'aménagement du territoire, ainsi qu'un texte à venir sur le mode d'élection des représentants de la Haute Assemblée. Il ne faudrait pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que le présent texte allonge cette liste d'inégalités.
Notre objectif doit donc être de donner à EDF tous les moyens de rester une entreprise compétitive, poursuivant le développement de ses savoir-faire et la valorisation de son riche potentiel humain et technique.
Malheureusement, sur plusieurs points, le texte qui nous est soumis ne permet pas d'atteindre ces buts.
Premièrement, EDF conserve son monopole du transport de l'électricité par le biais du GRT, le service gestionnaire du réseau public de transport, auquel presque tous les orateurs précédents ont fait allusion. Or, il n'y a pas de réelle libéralisation du marché de l'électricité sans indépendance du GRT.
Je me permettrai d'insister sur l'article 13 tel qu'il nous est soumis, car il montre bien, dans cette affaire, que le Gouvernement reste au milieu du gué sans formuler de choix clairs et s'en tient à une transposition minimale de la directive. Cette dernière, dans son article 7, alinéa 6, prévoit que, si le réseau de transport n'est pas indépendant des activités de production et de distribution, le GRT doit « être indépendant, au moins sur le plan de la gestion, des autres activités non liées aux réseaux de transport ».
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous contentez de cette demi-mesure, sous couvert certes du texte européen, alors qu'il aurait fallu aller plus loin et garantir une véritable indépendance du GRT, en prévoyant, par exemple, sa filialisation. Je suis persuadé que nous en débattrons largement dans quelques heures.
C'est pourquoi, à titre personnel, je défendrai un amendement visant à garantir une plus grande indépendante du GRT.
En attendant, les dispositions de l'article 13 sont loin d'emporter notre approbation.
Tout d'abord, la rédaction de son deuxième alinéa est floue : qu'est ce qu'une indépendance sur le plan de la gestion ? Comment seront concrètement séparés les services ? Comment circulera l'information ?
Par ailleurs, le directeur du GRT sera nommé sur proposition du président d'EDF : est-ce là un gage d'indépendance ? La réponse est d'évidence négative.
Enfin, à ce jour, nous ne connaissons pas les conditions de mise en place du « budget propre » du GRT. Je souhaite que vous nous apportiez quelques éclaircissements sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat.
Deuxièmement, il faut que l'organisme chargé de fixer les tarifs soit parfaitement et totalement indépendant et que l'organe de régulation ait les pleins pouvoirs et ne soit pas une filiale déguisée d'EDF. Sur ce point, les amendements que proposera M. le rapporteur me semblent aller dans le bon sens.
Troisièmement, il nous faut veiller à un statut harmonisé pour tous les opérateurs afin de respecter une concurrence loyale. C'est pourquoi j'apporterai mon soutien aux amendements défendus par M. le rapporteur, notamment aux articles 9, 47 et 48.
Quatrièmement, il me semble utile de prévoir que l'observatoire de diversification puisse émettre un avis en cas de rachat de petites entreprises. Je défendrai plus tard un amendement à ce propos.
Enfin, nous devons nous assurer du maintien de la qualité du service public. Dans cette perspective, il nous paraît légitime que l'Etat tienne son rôle d'impulsion et de régulation en gardant tous ses pouvoirs sur la définition de la stratégie énergétique du pays, c'est-à-dire sur la programmation pluriannuelle des investissements de production, en toute équité entre les différents opérateurs. Le contre-exemple que nous devons garder à l'esprit est la privatisation du téléphone en Grande-Bretagne qui a abouti, certes, à une baisse des prix, mais aussi, malheureusement, à une baisse parallèle de la qualité.
Je conclurai, mes chers collègues, en rappelant qu'EDF se trouve à un moment déterminant de son histoire. Ses succès, jusqu'à présent, ne peuvent que susciter l'admiration et les encouragements. Je souhaite donc que le présent texte ne constitue pas un découragement à son développement. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de modernisation et de développement du service public de l'électricité est enfin inscrit à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée.
Le Gouvernement, on vient de le rappeler, avait déclaré l'urgence pour ce texte ; mais, après son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale le 2 mars, ce n'est qu'aujourd'hui, le 5 octobre, que le Sénat voit ce texte fondamental inscrit à son ordre du jour. Sept mois se sont écoulés ! Ce gouvernement a une notion très relative de l'urgence ! Mais je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous partagez, dans une certaine mesure, cette analyse, et que vous avez fait en sorte de restreindre ce délai. Mais sept mois, c'est long !
Au-delà de cette péripétie, monsieur le secrétaire d'Etat, la démarche est très tardive et trop timorée.
Très tardive car, dans ce domaine essentiel pour l'avenir de la France, vous avez pris un retard important que ni l'application de la procédure d'urgence ni l'obtention d'un vote positif et définitif du Parlement ne réussiront à combler. Ainsi, l'application de la directive européenne du 19 décembre 1996 a largement dépassé l'échéance du 19 février 1999 imposée par Bruxelles, mettant notre pays dans une situation difficile face à l'Union européenne ainsi que nos entreprises, en particulier EDF, vis-à-vis de la concurrence.
Votre démarche est trop timorée également, car vous vous êtes contenté de proposer un dispositif qui inscrit dans le droit français tout ce que vous ne pouviez refuser d'y inscrire, sauf à vous mettre en infraction avec les règles établies par l'Union européenne.
Force est de constater - et nous le déplorons - que ce sentiment est largement partagé par nos partenaires européens. Le 11 mai dernier, notamment, nos collègues européens en charge de l'énergie se sont livrés à une très vivre critique sur l'ouverture du marché que vous proposez à la France.
Alors que l'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède et la Finlande ont d'ores et déjà ouvert leur marché à hauteur de 100 %, alors que le Danemark, la Belgique et les Pays-Bas ont, quant à eux, ouvert leur marché à hauteur respectivement de 90 %, 50 % et 32 %, l'Europe vous reproche et, de ce fait, reproche à la France une ouverture a minima, à l'opposé ou trop éloignée de l'esprit de la directive.
Une ouverture à hauteur de 25 % seulement des clauses trop restrictives pour les nouveaux entrants, notamment pour la durée des contrats, un opérateur public ultra-protégé sur son marché, ou encore la lenteur de nos procédures parlementaires compliquées par les débats idéologiques interminables auxquels vous ne pouviez échapper à l'Assemblée nationale, voilà autant de critiques de la part de nos partenaires européens.
Votre homologue britannique est même allé jusqu'à vous adresser, au mois de juillet dernier, une lettre qualifiée de comminatoire par le fameux et très sérieux quotidien Financial Times, d'une teneur peu amicale et vous menaçant, d'une part, de rétorsion si le secteur français de l'énergie n'était pas libéralisé dans les trois mois et, d'autre part, de ne pas respecter le principe de réciprocité si la France n'appliquait pas les règles établies par la directive.
Cette menace de la Grande-Bretagne a d'ailleurs été relayée, au début du mois de septembre dernier, par des plaintes de la part de compagnies d'électricité britanniques mais aussi espagnoles et autrichiennes qui se seraient émues auprès de Bruxelles de ne pouvoir entrer sur le marché français alors qu'EDF s'est déjà implantée en Grande-Bretagne avec l'acquisition de London Electricity puis de South West Electricity. L'expansion - sans doute souhaitable - de notre géant historique préoccupe également notre partenaire allemand.
En fait, monsieur le secrétaire d'Etat, on vous reproche visiblement de contribuer au développement et à l'expansion d'EDF sur les marchés extérieurs et, dans le même temps, de protéger l'opérateur public sur son marché premier, c'est-à-dire le marché français, par des manoeuvres retardatrices au regard des règles européennes.
Ces critiques, ces menaces et ces plaintes sont-elles fondées, monsieur le secrétaire d'Etat ? Qu'en est-il exactement ? Surtout, cette attitude est-elle réellement nécessaire ?
J'entends ici et là - et cet après-midi encore - l'apologie d'EDF. Mais qui conteste la capacité de notre entreprise publique dans l'instant et dans l'avenir ? Ses performances sont suffisantes pour lui permettre d'affronter en toute sérénité la concurrence nationale et internationale ! Il faut rappeler que la directive du 19 décembre 1996 s'inscrit dans la logique de l'achèvement du marché unique qui, à l'origine, était prévu pour 1992.
De ce fait, la France a affirmé la volonté - notre volonté - d'étendre à l'électricité les trois principes de base du régime économique défini par le traité sur l'Union européenne : la liberté d'établissement des producteurs, la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux dans un espace européen sans frontières intérieures, la liberté pour les producteurs et les consommateurs de bénéficier des avantages d'une concurrence libre, saine et équilibrée.
Cette finalité, à l'élaboration de laquelle la France a largement contribué, est recherchée par la définition de règles qui s'appliquent à tous les acteurs de manière transparence, non discriminatoire et en fonction de critères objectifs.
Quelques principes de base ont été énoncés par l'Union européenne : un gestionnaire de réseaux de transport chargé de gérer le flux d'énergie en tenant compte des échanges avec d'autres réseaux interconnectés, et un gestionnaire du réseau indépendant des autres activités de production et de distribution ; une autorité indépendante des parties qui régule et contrôle en toute transparence le marché ; enfin, la séparation des activités de production, de transport et de distribution.
Je tiens à souligner que les négociations sur la rédaction de ces règles sont restées bloquées pendant plusieurs années - quelques orateurs l'ont rappelé - du fait de l'insistance légitime et essentielle de la France, et je tiens ici à rendre un hommage particulier à Franck Borotra, qui s'est attaché à ce que cette politique de libéralisation ne remette pas en cause le principe particulier de service public auquel nous sommes tous très attachés,...
M. Henri Weber. Très bien !
M. Jacques Valade. ... à savoir le respect d'un service public minimum afin de préserver l'aménagement et le développement du territoire et de permettre l'accès pour tous à l'électricité par le biais, notamment, d'une péréquation des tarifs et une obligation de desserte, principes qui ont été évoqués voilà un instant.
Cependant, ces règles établies par l'Union européenne qui adaptent le marché de l'électricité aux évolutions technologique et économique que nous vivons aujourd'hui sont-elles conformes avec l'organisation de notre système électrique actuel et, plus largement, avec notre politique énergétique ?
D'aucuns, surtout chez nos partenaires européens, défendent l'idée que l'on pourrait s'affranchir de toute politique énergétique nationale dans la mesure où l'ouverture croissante du secteur à la concurrence et la montée en puissance de l'Europe en ce domaine la rendrait désormais inutile.
Pour ma part, conformément aux principes qui ont guidé les choix du général de Gaulle lors de la création d'Electricité de France et de la mise en place de la filière nucléaire française, je ne souscris pas à une telle démarche et j'estime que l'on ne peut faire confiance aux seules forces du marché...
M. Henri Weber. Très bien !
M. Jacques Valade. ... ou s'en remettre à la seule politique européenne pour ce qui concerne un secteur aussi fondamental et stratégique que l'énergie.
M. Pierre Lefebvre. C'est bien vrai !
Mme Hélène Luc. Il faut continuer !
M. Jacques Valade. Nous n'avons jamais varié !
Certes, on peut considérer qu'à de nouvelles donnes, à de nouvelles contraintes correspondent de nouveaux objectifs, tant en termes environnementaux qu'économiques et sociaux. Mais, pour autant, l'enjeu central reste le même : il faut toujours permettre aux entreprises, mais aussi à l'ensemble des citoyens, d'accéder à l'énergie la plus sûre et la plus compétitive possible.
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'Etat, les impératifs d'hier, c'est-à-dire l'indépendance énergétique de notre pays et son excellence technologique, demeurent et doivent demeurer.
Les fondements de notre politique énergétique expliquent sa réussite. La France ne saurait renoncer aux principes qui ont inspiré cette politique et aux succès qu'elle a remportés dans ce domaine.
L'ouverture à la concurrence est une réalité mondiale. Loin de condamner une politique énergétique à l'échelon national, cette libéralisation la rend au moins aussi nécessaire.
D'ailleurs, le cadre négocié et proposé par l'Union européenne permet à la France de répondre simultanément aux exigences énergétiques du court et du long terme.
Cela passe par la diversification des approvisionnements et, tout d'abord, compte tenu de nos ressources naturelles, par le maintien de notre excellence et de notre avance technologiques en matière nucléaire.
L'industrie nucléaire constitue l'un des fers de lance de notre industrie, dont les enjeux sont de niveau mondial.
Il n'est pas raisonnable de remettre en cause une telle source d'énergie qui produit près de 80 % de notre électricité, qui est à la fois sûre, compétitive et qui doit être considérée comme respectant les impératifs de l'écologie. Le recours à l'énergie nucléaire permet, en effet, de réduire les émissions de gaz à effet de serre de quelque 700 millions de tonnes par an en Europe. Son rôle est essentiel, tant au plan économique qu'en termes d'emplois.
Dire cela n'est pas céder, comme on l'entend trop souvent, à l'action d'un lobby industriel, c'est avoir foi dans la maîtrise de l'énergie, de toutes les énergies, par l'homme.
Il faut, par conséquent, développer sans relâche toutes les énergies dites renouvelables et poursuivre l'exploitation de l'énergie nucléaire en s'entourant de toutes les sûretés nécessaires.
A-t-on supprimé les vols aériens du fait de telle ou telle imperfection ou de tel ou tel accident d'avion ? A-t-on fermé toutes les unités de production chimique après Seveso ?
A cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut une fois encore évoquer la décision d'arrêt et de démantèlement du surgénérateur Superphénix, décision politique plutôt verte que rose ou rouge et que le Sénat a largement analysée et commentée dans le cadre de la commission d'enquête sur l'énergie que j'ai eu l'honneur de présider. Nous regrettons toujours cette décision, dommageable aux intérêts de la France et de ses industriels.
Les charges financières que génère votre décision, monsieur le secrétaire d'Etat, n'incombent plus ni à EDF ni aux opérateurs entrant sur le marché, comme vous l'aviez prévu initialement. Ce n'est que justice, car c'est bien à l'Etat seul d'assumer la responsabilité d'une telle décision.
D'une façon plus générale, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, s'agissant de la préparation du nucléaire du futur, de veiller dès maintenant à assurer la continuité et la pérennité de cette filière.
Dans cette perspective, il est essentiel de poursuivre les réflexions et les recherches et de prendre à temps les décisions nécessaires en tenant compte du calendrier de mise en oeuvre des nouvelles technologies. Je pense tout particulièrement ici au REP 2000, prochain standard des centrales nucléaires d'EDF, destiné à succéder à l'actuel palier N 4 et qui devrait être équipé de l'îlot nucléaire franco-allemand EPR. C'est d'ailleurs probablement autour de cette période que les réacteurs hybrides pourraient trouver tout leur intérêt.
Enfin, il faut poursuivre activement les programmes de recherche engagés dans le cadre européen dans le domaine de la fusion nucléaire.
Mais, si le renforcement de la source d'énergie d'origine nucléaire est impérativement nécessaire, il ne constitue pas une démarche suffisante. Il est indispensable d'adapter notre politique énergétique à la situation que nous vivons.
Nos comportements doivent s'améliorer dans le sens d'une gestion plus rationnelle des combustibles fossiles par une politique de maîtrise et d'économie de l'énergie, d'une définition d'une politique de transport moins énergivore et respectant davantage l'environnement et d'une prise en compte plus globale et plus responsable du développement local.
La décentralisation favorise la recherche de la meilleure utilisation des énergies primaires et permet de susciter des opportunités, tant par la mise en oeuvre de nouvelles technologies que par le développement des énergies renouvelables.
Il importe donc, d'une part, de confirmer et de renforcer les compétences des collectivités locales et les missions de service public qui leur incombent dans le domaine énergétique et, d'autre part, d'inciter le regroupement des petites et moyennes entreprises, actrices de ce développement local et créatrices d'emplois.
Enfin, les technologies nouvelles doivent être développées. Parmi celles-ci, la cogénération, technique de production combinée d'énergie thermique et d'électricité, doit être systématiquement encouragée.
La cogénération est conçue pour valoriser et redistribuer l'énergie et permet d'optimiser tant les coûts d'installation que les rendements énergétiques.
La France a donc les moyens de répondre aux enjeux auxquels elle est confrontée et de s'adapter aux nécessaires évolutions technologiques du marché électrique.
Je crains cependant que votre approche, monsieur le secrétaire d'Etat, ne freine la France dans cet élan.
Comme vient de le souligner M. Poniatowski, le projet de loi que vous nous soumettez risque de placer la France à la traîne dans le dernier wagon du train dont la destination est la libéralisation du secteur de l'électricité.
Alors que ce projet de loi devrait, d'une part, assurer la pérennité et le développement de la superbe entreprise qu'est EDF à la fois sur le plan intérieur et extérieur, et, d'autre part, permettre que les uns et les autres puissent être en situation d'affronter la concurrence, vous nous proposez, en effet, un texte en trompe-l'oeil. Peu avare de précisions sur les multiples détails de l'organisation du service public, ce qui est louable, il ne permet pas, et c'est regrettable, d'utiliser au mieux les perspectives offertes par le nouveau système imposé par la directive européenne.
Or, la mise en oeuvre de l'ouverture du marché énergétique n'est possible que dans la transparence et sur la base de dispositions inattaquables, sous peine de déclencher des contentieux à bien des égards dommageables, que ce soit pour EDF ou pour les opérateurs entrants.
Deux éléments de la nouvelle organisation sont stratégiques : le gestionnaire du réseau de transport, d'une part, et la commission de régulation de l'électricité, d'autre part.
L'indépendance du gestionnaire du réseau de transport est indispensable et ne peut être totalement assurée que par une séparation claire et nette de l'opérateur historique.
L'article 7 de la directive précise d'ailleurs « qu'à moins que le réseau de transport ne soit déjà indépendant des activités de production et de distribution » - ce qui n'est pas le cas pour la France - « le gestionnaire du réseau doit être indépendant, au moins sur le plan de la gestion, des autres activités non liées au réseau de transport ».
La séparation physique et comptable étant en cours d'achèvement, je ne crois pas qu'il faille aujourd'hui décider définitivement de la structure juridique du gestionnaire du réseau de transport, monsieur le secrétaire d'Etat.
Etablissement public autonome, filiale, que sais-je encore ? Il me paraît prématuré de statuer dès aujourd'hui. Des exemples nombreux de fonctionnement de gestionnaires de réseaux chez nos partenaires européens confortent cette position et nous prouvent que décider aujourd'hui sur cette question serait bien imprudent.
Je vous propose, par conséquent, une attitude vigilante et pragmatique. La sagesse doit l'emporter sur les débats idéologiques et d'un autre temps. C'est la raison pour laquelle je suggère, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à l'issue d'une période d'une année à compter de la promulgation de cette loi et sur la base d'un rapport établi par la commission de régulation de l'électricité, vous déposiez un projet de loi définissant la régime juridique du gestionnaire du réseau de transport. Croyez bien que nous serons très attentifs à l'avis que vous formulerez sur cette disposition, monsieur le secrétaire d'Etat.
Cette période d'une année pendant laquelle la constitution et la mise en oeuvre de cet organe seront confiées à EDF nous permettra, ainsi qu'à tous les acteurs concernés, d'avoir par rapport aux évolutions du marché une idée plus précise, plus affinée et plus objective de la structure juridique adéquate, efficace et transparente pour tout le monde.
S'agissant du rôle et des compétences de la commission de régulation de l'électricité, je suis, monsieur le secrétaire d'Etat, nettement plus intransigeant.
L'indépendance que vous proposez pour le régulateur repose essentiellement sur deux points : premièrement, l'autonomie et l'inamovibilité des membres de cette instance dotée de crédits d'études comparables à ceux d'EDF ; deuxièmement, la capacité d'expertise que lui confèrent ses services propres.
Or, la directive européenne précise bien que cette autorité est indépendante des parties pour régler les litiges relatifs aux contrats, aux négociations et aux refus d'accès et d'achat.
La commission de régulation de l'électricité est donc un véritable juge de paix, à l'image de l'Autorité de régulation des télécommunications. C'est la raison pour laquelle le projet de loi doit attribuer au régulateur des blocs de compétence autonomes et précis, différents du pouvoir réglementaire de l'Etat et s'articuler avec les compétences des instances juridictionnelles, administratives et civiles existantes, tout en précisant quels sont les liens de procédures entre elles, notamment en ce qui concerne les délais de saisine et de réponse.
Monsieur le secrétaire d'Etat, faisons en sorte que cette autorité puisse jouer pleinement son rôle de régulateur, en toute indépendance et sans discrimination.
Par ailleurs, je m'interroge également sur les dispositions du projet de loi qui étendent le statut des agents d'EDF aux nouveaux entrants. Nous aurons sans doute l'occasion d'en parler à propos des amendements qui ont été déposés à ce sujet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne m'attarderai pas plus longuement sur les nombreux autres points du dispositif que vous proposez, notre rapporteur, M. Henri Revol, l'ayant excellement fait. J'en profite pour rendre un hommage particulièrement appuyé à la qualité du travail qu'il a conduit avec la même ardeur que lorsque, voilà quelques mois, il fut le rapporteur de la commission d'enquête.
Par ailleurs, nous aurons l'occasion de revenir sur ces points lors de l'examen des amendements qui ont été déposés.
Toutefois, je ne peux m'empêcher d'évoquer la multiplication des contraintes sur les nouveaux entrants, notamment l'inégalité de traitement entre les clients éligibles et l'opérateur public. De même, le seuil d'éligibilité est - on l'a dit - bien trop bas : c'est oublier que les véritables clients sont les entreprises, les collectivités locales et les usagers. Ces contraintes sont autant de freins à une ouverture loyale, équilibrée et efficace du marché de l'électricité.
Il en est de même pour le négoce de l'électricité, aujourd'hui désigné par le vocable de trading . Cet aspect a déjà été évoqué. Nous souhaitons naturellement que cette possibilité de commerce soit offerte aux entreprises françaises.
Aucun pays interconnecté ne peut s'isoler durablement de ce mouvement. En effet, des marchés multiples et plus complexes permettront à chacun de minimiser le coût de l'énergie utile dont il a réellement besoin. On l'observe déjà sous une forme plus ou moins avancée au Royaume-Uni, en Scandinavie, en Allemagne, en Espagne, ou encore aux Pays-Bas, mais aussi dans un nombre grandissant de pays non européens.
La fonction de trading est donc nécessairement appelée à se développer. L'ignorer, c'est dresser un obstacle artificiel au développement d'un marché concurrentiel, objectif essentiel de la construction européenne. A cet égard, les restrictions que vous proposez d'instaurer, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'encontre des activités d'achat et de revente, qui seraient réservées aux seuls producteurs dans la limite d'un seuil de production annuel, constituent clairement une barrière à l'entrée des nouveaux entrants, ce qui serait un cas unique dans l'Union européenne.
Cette disposition est d'ailleurs surprenante et paradoxale au regard de l'actualité concernant EDF, qui s'est alliée avec Louis Dreyfus dans le négoce de l'électricité ; cela a été évoqué au début de la séance.
Ainsi, la tutelle de l'opérateur public, c'est-à-dire vous, monsieur le secrétaire d'Etat, autorise EDF à pratiquer le négoce de l'électricité et, dans le même temps, l'interdit pour les nouveaux entrants en France. Il s'agit là d'un paradoxe qui mérite quelques explications.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous confirme que toutes mes remarques ont pour seul objectif d'affirmer la volonté forte de donner à la France les moyens de répondre pleinement aux enjeux technologiques et économiques auxquels elle est confrontée.
La directive européenne vise à introduire la concurrence dans l'industrie électrique partout où elle est souhaitable et possible.
La France s'est engagée avec ses partenaires européens à construire un marché unique régi par la concurrence. Il faut qu'elle tienne ses engagements.
C'est la raison pour laquelle, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, je m'efforcerai, tout au long de l'examen de ce projet de loi, d'adopter une attitude de responsabilité et de propositions. Nous jouerons certes le rôle d'opposant qui est le nôtre, mais exclusivement préoccupés de l'intérêt des usagers, des collectivités, des entreprises et de notre pays tout en étant soucieux de respecter les règles européennes que nous avons adoptées.
Monsieur le secrétaire d'Etat, que ce débat soit l'occasion pour vous de faire taire les critiques, les menaces et les plaintes, car l'intérêt partisan doit s'effacer devant l'intérêt de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, plus de sept mois après l'Assemblée nationale, le Sénat est à son tour amené à examiner en première lecture le projet de loi dit « de modernisation et de développement du service public de l'électricité » portant transposition dans notre droit national de la directive européenne datée du 19 décembre 1996 « concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité ».
A la simple évocation de ces deux intitulés, il y a de quoi rester perplexe, tant les concepts mis en avant sont éloignés entre eux, j'irai jusqu'à dire antagoniques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le titre prometteur et ambitieux qu'affiche le texte que vous nous présentez aujourd'hui ne peut dissimuler à lui seul la mécanique du libéralisme que met en oeuvre cette directive.
Ne nous voilons pas la face, ce projet de loi, malgré les correctifs que l'on pourra y apporter par ailleurs - ils sont et seront encore nécessaires - reste foncièrement imprégné de l'idéologie libérale et mercantiliste qui anime la construction européenne depuis trop longtemps.
Il est regrettable - je le dis sans détour - que ce soit un gouvernement de gauche qui porte la responsabilité de retranscrire une directive libérale négociée et votée en d'autres temps par un gouvernement de droite désavoué par les Français.
Je le regrette d'autant plus que l'ensemble des forces politiques qui constituent actuellement la majorité plurielle s'étaient dressées avec virulence pour exiger la renégociation d'une directive qui, à présent, s'impose à nous malgré nous.
Mon ami André Lajoinie disait avec raison, à l'Assemblée nationale, qu'il s'agissait d'un « déni de démocratie ». Le mot est fort, mais il est juste !
Pour autant, le Gouvernement avait la possibilité - comme nous n'avons cessé de le demander - d'engager une renégociation de la directive « électricité » à l'échelon communautaire. Nous maintenons quant à nous, aujourd'hui, cette exigence ! De toute évidence, les spécificités de notre organisation électrique nationale, de par sa structuration à la fois intégrée et dense, pouvaient être prises en compte pour démontrer la nocivité des plans de Bruxelles.
Cette option a, hélas ! été rejetée. Dès lors, l'alternative se résumait au vote d'un projet de loi qui soit le moins mauvais possible ou à l'application brutale et dévastatrice de la directive.
A l'issue des travaux de l'Assemblée nationale, je dirai que ce texte, bien qu'il comporte quelques aspects favorables au service public, est caractérisé par le respect strict des dispositions libérales de ladite directive.
Les députés communistes ont eu le souci, par le dépôt d'une série d'amendements, d'infléchir, autant que faire se pouvait, les aspects les plus néfastes de cette libéralisation.
Le texte qu'il nous revient d'examiner après son passage à l'Assemblée nationale représente, à mes yeux, ainsi que pour l'ensemble des parlementaires communistes et de leurs partenaires, une base à partir de laquelle il doit être possible d'avancer, mais en aucun cas de régresser, comme nous pressent de le faire certains lobbies patronaux.
La reconnaissance d'un droit à l'électricité pour tous et l'instauration d'une tranche sociale de consommation pour les familles modestes constituent un progrès que nul ne conteste. Je ne peux, cependant, m'empêcher de m'interroger : pourquoi avoir attendu cinquante ans et, précisément, l'occasion d'un débat qui porte sur la libéralisation de l'électricité, pour satisfaire enfin à une ancienne revendication des salariés et des usagers du service public ?
Malgré cela - j'insiste - je conteste l'idée, présente dans l'exposé des motifs du texte comme dans le discours que vous avez tenu à l'Assemblée nationale, monsieur le secrétaire d'Etat, selon laquelle il y aurait une continuité, voire une filiation, entre la loi de nationalisation et ce projet de loi de transposition.
J'y vois plutôt une rupture, pis encore une revanche historique des intérêts privés capitalistes sur une loi que ceux-ci n'ont jamais supportée parce qu'elle répondait à l'intérêt général : la loi de nationalisation de l'électricité et du gaz du 8 avril 1946.
Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de citer à mon tour l'un de vos illustres prédécesseurs. Je veux parler de Marcel Paul, ministre de la production industrielle et père de la loi de nationalisation.
Devant l'Assemblée constituante, le 27 mars 1946, il rappelait avec force le principe fondateur de cette loi en ces termes : « Faire en sorte que les intérêts privés n'aient pas la possibilité de s'opposer aux intérêts du pays... leur idée générale, leur conception était non pas d'équiper le pays pour l'avenir, de procéder à des investissements à très longue échéance, mais de faire des opérations rentables dans l'immédiat, sans considération des intérêts d'avenir de la France. »
Il concluait son intervention de la sorte : « Voter la nationalisation, c'est respecter la volonté du pays ; c'est travailler pour son avenir, pour sa prospérité et pour son indépendance. » Comme ces mots sont encore d'actualité !
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. En quoi, la concurrence pourrait-elle mieux garantir, demain, le développement et l'indépendance de notre pays que ne l'a fait, durant un demi-siècle, le monopole public ?
Faut-il croire que le service public, après s'être épanoui dans le cadre du monopole public, aurait besoin d'un nouvel horizon sans doute plus conforme aux règles du capitalisme moderne ?
Surtout, peut-on admettre que l'électricité devienne une marchandise ordinaire soumise aux aléas du marché, alors que ce bien représente, pour des milliards d'individus, un élément indispensable à la vie ?
Ce qui est essentiel à la vie ne peut et ne doit pas être une source de profit !
Certes, l'électricité a un coût. Mais celui-ci ne saurait être l'objet de discrimination entre les personnes selon leur solvabilité, leur situation sociale ou leur position géographique.
Je doute que la transformation du citoyen-usager en un simple consommateur à la recherche incessante du prix le plus bas constitue véritablement un progrès de civilisation.
L'attachement des Français au service public de l'électricité, leur satisfaction manifestée à l'égard d'EDF, de son personnel reconnu pour ses compétences, sa disponibilité et son professionnalisme, me conduisent, en vérité, à penser que cette libéralisation répond bien davantage à des intérêts particuliers qu'à l'intérêt général.
En outre, chacun le sait, EDF rapporte davantage qu'elle ne coûte à l'Etat, lequel n'a pas effectué d'apports nouveaux en capital depuis 1982.
A l'heure où il est sans cesse question d'encadrement budgétaire, vous reconnaîtrez avec moi, mes chers collègues, qu'en l'occurrence l'Etat a tout intérêt à garder la maîtrise d'une entreprise qui réalise plus de six milliards de francs de bénéfices chaque année.
Seuls quelques puissants groupes industriels ont réellement intérêt à cette ouverture à la concurrence.
La directive est incontestablement une étape décisive, mais non nécessairement l'aboutissement vers l'objectif de la déréglementation.
Ainsi, quinze ans après, nous subissons encore les relents nauséabonds de la vague ultralibérale qui a balayé notre pays et le monde occidental au cours des années quatre-vingt.
Cependant, je ne désespère pas de voir bientôt - et plus tôt qu'on ne le croit - les Etats se raviser dans leur frénésie libéralisatrice, si j'en juge par l'échec et les dangers que recèlent les expériences en cours. Si les libéraux arguent souvent des insuffisances et des pesanteurs du secteur public pour justifier sa libéralisation et sa privatisation - ce discours est entendu à satiété au sein de cet hémicycle - en revanche, on ne les entend que très rarement s'interroger sur les effets pervers de la concurrence.
Mes chers collègues, jugeons sur pièce ! Prenons pour exemple la Grande-Bretagne, pays qui a libéralisé son secteur électrique dès 1989 et dont le mode de fonctionnement était proche du système français, selon les termes du rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la politique énergétique de la France.
Selon ce rapport, les gains de productivité ont davantage profité aux actionnaires privés qu'aux consommateurs ; la baisse des prix est inégale, la sécurité d'approvisionnement n'est plus complètement assurée et les effectifs ont subi une réduction drastique. Ce constat, monsieur le rapporteur, vous ne pourrez le contester, puisque vous en êtes l'auteur.
La libéralisation anglaise est à ce point un échec que l'actuel gouvernement Blair organise ce qui peut être interprété comme un retour de l'Etat dans le secteur électrique.
Ce phénomène n'est d'ailleurs pas spécifique à la Grande-Bretagne, puisque, partout où l'ouverture à la concurrence est la plus prononcée, le secteur s'est rapidement fragmenté et, de plus en plus, les Etats ont tendance à vouloir concentrer et élargir les activités de leurs opérateurs nationaux.
Face à la profonde restructuration des industries électriques et gazières, qui est d'ores et déjà à l'oeuvre avec des opérations de concentration à l'échelle européenne et internationale, et l'émergence d'oligopoles, voire de véritables monopoles privés, il y aura nécessité d'imposer un retour en force de la puissance publique pour encadrer, contrôler et réguler le secteur énergétique, mais aussi pour engager les investissements lourds.
Dans cette perspective, notre pays a tout intérêt à maintenir un puissant pôle public électrique et gazier pour éviter les désagréments prévisibles que connaîtront - et que connaissent déjà - certains pays qui se vantent aujourd'hui d'avoir ouvert leurs marchés au-delà des exigences de la directive.
D'ailleurs, certaines voix critiques commencent à se faire entendre hors de nos frontières.
Dans un entretien accordé au journal Libération , le 11 mai dernier, le président du principal syndicat allemand des services publics, Herbert Mai, faisait le constat suivant : « En Allemagne, la libéralisation a entraîné 40 000 suppressions d'emploi en deux ans, et 40 000 autres pourraient suivre. Dans toute l'Europe, 250 000 emplois sont menacés sur un total d'un million ! » Il observait déjà que « quelques grands groupes vont bientôt dominer le marché : ils peuvent offrir du courant moins cher en l'achetant par exemple dix centimes le kilowattheure en Ukraine, ou dans d'autres pays pratiquant le dumping social et écologique, alors que le coût de production atteint jusqu'à trente centimes en Allemagne ».
Ces jours-ci, des milliers d'employés municipaux d'électricité outre-Rhin manifestaient pour demander un soutien de l'Etat face à la guerre des prix que se livrent entre eux les grands groupes électriciens. Seraient-ils les premiers déçus d'une ouverture qui ne fait que débuter ?
Christian Brunier, député socialiste de Genève, expliquait récemment que la baisse des prix est actuellement payée par les salariés et se fait au détriment de la sécurité et de l'environnement.
Ainsi, en Norvège, le gouvernement vient de prendre des mesures d'urgence pour pallier la dégradation du niveau de sécurité, devenu critique, des installations.
A Auckland, cité présentée comme le fleuron de la dérégulation du marché électrique, une panne a privé la ville de courant pendant plus de deux mois au printemps 1998 : les entreprises comptaient au plus juste pour satisfaire les actionnaires ; elles ont donc eu beaucoup de mal à réparer trois lignes à haute tension défectueuses.
En réalité, la seule et unique promesse affichée par les partisans de la libre concurrence serait la baisse des prix.
Dès lors, comment parler d'économies d'énergie ou encore de gestion raisonnable et économe des ressources énergétiques de la planète ? Chacun le sait, l'épuisement progressif des ressources disponibles, la nécessité de recourir à des techniques d'exploitation plus élaborées et plus coûteuses, la croissance exponentielle de la consommation énergétique des pays émergents sont autant de facteurs qui pousseront à la hausse le niveau des prix et des tarifs.
Favoriser la concurrence aujourd'hui, c'est refuser d'anticiper sur l'avenir et, plus dangereux, c'est attiser, nous semble-t-il, les tensions entre les producteurs, entre les Etats et entre les peuples.
Justifier la concurrence par la seule baisse des prix est un leurre. Là où la libéralisation est déjà bien engagée, les prix, après quelques années de chute, ont tendance à repartir à la hausse, notamment pour les petits consommateurs. Les clients dits éligibles réussissent, quant à eux, à tirer leur épingle du jeu grâce à la pression qu'ils sont en mesure d'exercer sur le niveau des cours négociés au jour le jour.
En contrepartie, les multinationales accélèrent le pillage des ressources de notre planète, alors que le consommateur voit progressivement sa facture augmenter pour une fourniture de qualité moindre.
D'aucuns diront ici qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir s'agissant d'EDF qui dispose de suffisamment d'atouts solides pour affronter avec succès la concurrence. Nul ne le contestera !
Faut-il cependant rappeler que la performance économique, technologique, humaine et financière de l'opérateur national est le résultat de sa position de monopole public qui a prévalu depuis la Libération ? Elle est aussi le fruit d'une culture du dialogue social et de la cogestion que certains voudraient, ici, mettre en pièces.
A court terme, EDF gagnera vraisemblablement des parts de marché à l'extérieur, mais, à plus long terme - lorsqu'on évoque les questions d'énergie, c'est sur une période longue qu'il faut raisonner -, quelles garanties avons-nous qu'EDF sera à même d'assurer ses missions de service public et, dans le même temps, de mener la guerre des marchés et des prix ?
La commission des affaires économiques s'apprête à proposer un certain nombre de modifications de ce texte. Ses propositions visent à assouplir les conditions de la concurrence et remettent en cause les garde-fous mis en place par les députés. C'est l'occasion, pour certains de nos collègues, de s'attaquer au statut du personnel d'EDF, ainsi qu'à son régime de retraite.
La contribution des autoproducteurs au financement des missions de service public est supprimée ; la tranche sociale, au lieu d'être un moyen de prévenir les situations de précarité, deviendrait un simple substitut au dispositif « anti-coupure d'électricité » ; l'autonomie du gestionnaire des réseaux publics de transport est étendue avec la perspective d'une filialisation, ce qui aurait pour effet de préparer le démantèlement de l'entreprise EDF ; les prérogatives de l'autorité de régulation sont élargies, au risque de transformer le ministre de tutelle en simple exécutant de propositions qu'il ne peut contester ; l'instauration d'une durée minimale des contrats de fourniture entre producteurs et clients éligibles est remise en cause, au mépris de l'idée de planification à long terme du secteur. De même, la commission propose la création d'une « bourse de l'électricité » pour le plus grand bénéfice des traders de l'électricité et des spéculateurs de tout poil.
Il est bien évident que notre groupe, qui reste hostile à la philosophie de ce projet de loi, ne pourra suivre la majorité sénatoriale dans sa volonté de préparer et d'accélérer les prochaines étapes de la libéralisation.
Un texte qui jouerait habilement sur de subtils équilibres entre de meilleures garanties en faveur du service public de l'électricité, d'une part, et une accélération de la libéralisation, d'autre part, serait contraire aux engagements pris à l'Assemblée nationale entre les députés de la majorité et le Gouvernement.
Aussi, nous souhaitons que les députés puissent se saisir au cours de la navette des propositions que notre groupe défendra pour apporter les précisions utiles à la cohérence du texte.
En tout état de cause, il ne saurait être question, pour nous, de revenir, de près ou de loin, sur les acquis du projet de loi dans sa rédaction actuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans les années trente, les compagnies d'électricité qui formaient à l'époque un oligopole de quelques trusts privés furent accusées, à juste titre, de pratiquer des tarifs trop élevés, de ne pas suffisamment investir et de ne pas desservir les zones peu denses. De la concurrence initiale entre les entreprises électriques privées a ainsi émergé l'idée d'un contrôle et d'une régulation publics.
La nationalisation décidée en 1946 et débouchant sur la création d'EDF est apparue dans ce contexte d'autant plus justifiée que la reconstruction d'après-guerre nécessitait de très gros investissements de longue durée de vie et qu'il s'agissait d'une industrie très capitalistique avec une programmation à long terme.
Les principes du service public se sont alors traduits en actes, avec l'obligation de continuité, de fourniture, d'égalité de traitement des usagers et de péréquation nationale des tarifs.
Ce rappel des années trente n'est pas inutile au moment où le seul argument avancé par les thuriféraires du marché - et donc, pour partie, par la majorité sénatoriale - consiste à mettre en avant la nécessité de casser le monopole d'EDF afin, dit-on, de mieux servir et à moindre coût le consommateur. Et si, au final, mes chers collègues, d'ici à quelques années, la déréglementation aboutissait, à l'inverse, au renchérissement du prix du kilowattheure pour les particuliers et à l'affaiblissement des normes de sécurité ?
Avec l'accident de Tokaimura, au Japon, l'actualité nous offre un exemple saisissant du risque nucléaire lié à l'irresponsabilité d'un producteur quand le profit devient la seule règle.
Plus près de nous, la Grande-Bretagne illustre jusqu'à la caricature la faillite de certaines privatisations d'entreprises publiques : elles n'ont enrichi que les actionnaires et les hauts dirigeants ; elles ont renchéri le coût de la prestation sans améliorer le service, au contraire.
Il fallait faire cet utile rappel avant que débute la discussion relative à la transposition de la directive européenne, afin que l'idéologie ne masque pas les vrais enjeux et les conflits d'intérêts.
Justement, dans le passé, même si tous les pays européens n'ont pas, en matière énergétique, des ressources équivalentes, ni le même type d'organisation, tous ont été amenés à reconnaître que les enjeux énergétiques ne pouvaient relever du seul droit commun de la concurrence, qu'ils devaient découler aussi de principes et de règles qui correspondent, pour l'essentiel, au registre de ce que nous appelons les missions de service public.
Il est vrai que, plus récemment, ces modes nationaux de définition et d'organisation se sont heurtés aux logiques dominantes d'intégration européenne et de création d'un marché unique dans chaque secteur.
Adoptée après huit années de discussion - ce délai est en soi significatif - la directive européenne de 1996 sur le « marché intérieur de l'électricité » déréglemente pour partie le secteur électrique en introduisant progressivement la concurrence. Les plus gros consommateurs pourront désormais s'adresser au producteur de leur choix, qu'il soit français ou européen, et cette part de marché, qui est de 25 % en 1999, doit passer à 33 % en 2003.
La directive comporte également, cela va de soi, une clause de « réciprocité » qui interdit à un acteur national de profiter de l'ouverture européenne tout en restant protégé sur son territoire.
Il faut reconnaître que la directive européenne fait courir de réels dangers au service public de l'électricité, en valorisant le court terme, en favorisant les gros consommateurs et, surtout, les groupes industriels et financiers qui veulent « écrémer » le marché.
Ne faire confiance qu'à la logique de la concurrence ne permet, en effet, de prendre en compte ni la sécurité d'approvisionnement, ni le long terme, ni la rareté des ressources énergétiques, ni le sort des générations futures, ni la protection de l'environnement.
Si l'on allait jusqu'au bout de cette voie, on continuerait à gaspiller l'énergie, compte tenu du faible coût actuel du gaz, au lieu de conduire une politique énergétique d'économies et de maîtrise, de mettre en oeuvre le principe de précaution, de diversifier les modes de production, de promouvoir les énergies renouvelables et la gestion des déchets. Sur ce sujet comme sur bien d'autres, l'opinion publique française est en retrait, et le Gouvernement le sait bien.
En même temps qu'elle libéralise - j'essaie d'avoir une lecture très objective du texte -, la directive reconnaît cependant aux Etats qui le veulent la possibilité d'édicter des missions de service public, de faire financer les obligations de celui-ci par tous les opérateurs, de mettre en place une politique énergétique à long terme, notamment.
L'article 3 précise ainsi que « les Etats membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l'électricité des obligations de service public dans l'intérêt économique général, qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement. Ces obligations doivent être clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables ; celles-ci, ainsi que leurs révisions éventuelles, sont publiées et communiquées sans tarder à la Commission par les Etats membres. Comme moyen pour réaliser les obligations de service public précitées, les Etats membres qui le souhaitent peuvent mettre en oeuvre une planification à long terme. » On voit dès lors que les réserves, du fait sans doute non seulement des efforts du Gouvernement français mais aussi des opinions publiques, ont été, pour partie en tout cas, prises en compte dans la directive. Toutefois, ces éléments que je viens de citer ne sont en rien des obligations ; il s'agit seulement de possibilités laissées aux Etats membres.
Le rapport de la Commission européenne sur l'état de la libéralisation des marchés de l'énergie du 4 mai 1999 souligne cependant que tous les Etats membres réglementent de manière convergente les activités des compagnies d'électricité en matière de protection des consommateurs - obligation de connexion et de fourniture, tarifs - de protection de l'environnement - promotion des énergies renouvelables, internationalisation des coûts externes - de sécurité des approvisionnements, etc.
Ce rapport ajoute que, dans ces domaines, « les objectifs et approches des Etats sont de plus en plus similaires ». Ce mouvement général est en soi significatif, même si, bien sûr, les bonnes intentions devront être confrontées aux dures réalités de la course au profit.
En tout cas, cet état d'esprit européen justifie, si besoin était, la prudence du gouvernement français.
Dans le même temps, la Commission souligne que beaucoup reste à faire pour achever la mise en place d'un véritable marché intérieur de l'énergie : développement des capacités d'interconnexion, rapprochement des tarifs pour les particuliers selon le principe d'équité...
A ce sujet, je note qu'EDF ne sera pas mal placée, puisque le consommateur parisien paie 40 % de moins sa facture d'électricité que l'habitant de Düsseldorf. Encore faut-il que la prochaine étape d'une ouverture à la concurrence, si elle doit arriver, se fasse après harmonisation des conditions sociales des salariés. L'intégration européenne est à ce prix.
Tel est le chantier, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'avec le gouvernement français vous avez trouvé quand vous avez été porté aux responsabilités à la suite, notamment, du mouvement social de fin 1995-début 1996, qui avait été déclenché, il faut s'en souvenir, pour défendre les services publics.
C'est dire si le dossier était délicat, et je ne serai pas de ceux qui vous reprocheront d'avoir procédé avec circonspection et sans omettre aucune étape de la nécessaire concertation : Livre blanc, consultation du Conseil économique et social, des partenaires sociaux, des diverses institutions.
Le résultat est là : un texte équilibré qui répond aux exigences de la Commission tout en préservant les chances de l'opérateur public et en confortant le statut de ses salariés. Je vous le dis, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez bien travaillé.
Je ne vais pas reprendre l'ensemble des dispositions et des articles qui ont pour vocation de prolonger et d'actualiser la loi de 1946 en insérant notre politique énergétique dans le contexte européen. Redoutable quadrature du cercle, j'en conviens ! (Sourires sur les travées de l'Union centriste.) Mais, mes chers collègues, vous que je vois sourire, ne fait-on pas toujours la politique du possible et non pas forcément celle que l'on a rêvée, la politique idéale ? C'est très exactement à ce niveau du débat et dans ce contexte que nous devons apprécier ce texte.
Je retiendrai brièvement quelques lignes de force.
Ce projet de loi réaffirme d'abord les missions de service public de l'énergie et fait d'EDF l'opérateur et le garant de cette fonction.
Je vois, bien sûr, l'objection qui peut poindre : ouvrir la concurrence pour les quelque 400 clients éligibles ne va-t-il pas entraîner un déséquilibre et, par contre-coup, de secousse en secousse, faire glisser EDF sur la voie de la privatisation ? Je ne le crois pas. Je fais confiance aux pouvoirs publics, mais aussi aux agents et à la direction pour que soit infirmée l'assertion selon laquelle le monopole serait la condition d'un service public performant.
L'entreprise publique a les moyens de résister, mieux ; elle a les moyens de se développer. Elle doit trouver sur les marchés étrangers la possibilité d'affirmer sa spécificité qui est liée à notre civilisation. Elle a d'ailleurs déjà obtenu quelques succès retentissants, en Angleterre notamment.
Pour mieux affirmer le caractère social de cette politique - deuxième dimension que j'ai voulu souligner - le texte de loi voté à l'Assemblée nationale consacre l'existence d'un droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité. C'est une innovation dont la mise en oeuvre ne sera pas facile, ni dans le financement, ni surtout dans la définition des ayants droit. Mais il faut saluer cette avancée, tout comme la confirmation de la péréquation géographique des tarifs et le financement du surcoût des missions de service public assumées par EDF au moyen d'une participation des opérateurs privés.
Reste, et c'est peut-être le point le plus controversé, la commission de régulation de l'électricité.
N'éprouvant aucune sympathie particulière pour l'ART, l'Autorité de régulation des télécommunications, je suis a priori bien disposé à l'égard de cette instance de régulation. L'avenir nous dira si la formule choisie est la plus opérationnelle.
Subsiste enfin un point qui fait problème dans l'opinion publique depuis très longtemps : l'absence de transparence, dans un premier temps, et, en tout cas, de dialogue démocratique, dans un deuxième temps, sur les grands choix énergétiques de la nation.
Ce fut la règle pendant une trentaine d'années. Mais, depuis 1997, un progrès certain a été accompli dans ce domaine et quelques dispositions de votre projet de loi, monsieur le secrétaire d'Etat, conforteront cette timide avancée. Encore faudra-t-il faire vivre ces structures de concertation, et l'on sait bien que ce n'est pas le plus facile.
Les radicaux de gauche voteront sans état d'âme ce projet de loi dans la mesure où il représente le meilleur compromis possible dans le contexte actuel. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Besson.
M. Jean Besson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'intitulé même du projet de loi exprime avec force la volonté du Gouvernement d'inscrire notre future organisation électrique dans le cadre d'une conception renouvelée du service public. Je me réjouis pleinement de cette approche visant à conforter un dispositif qui nous apporte chaque jour la preuve de son efficacité, de sa compétitivité et de sa solidarité, et à créer les conditions de sa réussite face aux défis du futur.
A cet égard, permettez-moi d'exprimer ma conviction que notre entreprise publique, premier électricien au monde, dispose de tous les atouts pour s'imposer comme l'un des énergéticiens les plus performants et pour conquérir de belles parts de marché.
Dans cette intervention, je centrerai mon propos sur l'autre composante de l'électricité, à savoir la distribution publique, qui se trouve au coeur même du service public, dans la définition fonctionnelle du terme, puisqu'il s'agit de garantir l'acheminement d'une électricité de qualité à tout consommateur en tout point du territoire, comme dans sa définition organique puisque la législation de 1906, comme celle de 1946, a confié la responsabilité de cette compétence aux communes, qui confient ensuite la gestion des réseaux à un prestataire - EDF dans 95 % des cas - sous le régime juridique de la concession.
Ainsi, les communes et leurs groupements sont les propriétaires des réseaux de distribution. Cela représente 1 260 000 kilomètres, soit 93 % de la longueur totale des réseaux électriques français.
Le plus souvent, ces compétences sont exercées par des syndicats départementaux qui, avec discrétion et efficacité, sont des pionniers de la coopération intercommunale.
Les élus locaux peuvent donc revendiquer à juste titre leur part de reconnaissance dans la réussite du slogan « même prix et même électricité pour tous ». Ils confèrent ainsi une assise démocratique à un système très centralisé.
Le texte approuvé en Conseil des ministres était déjà globalement satisfaisant pour nos collectivités. L'Assemblée nationale a apporté un certain nombre de retouches qui faciliteront l'application de cette future loi. Je pense que nous pouvons ajouter encore quelques améliorations, sans, bien sûr, dénaturer le texte adopté par l'Assemblée nationale.
Je distinguerai successivement deux grandes fonctions dans le rôle des collectivités territoriales.
La première concerne l'exercice du pouvoir concédant.
C'est la loi du 15 janvier 1906 qui a instauré le pouvoir concédant des communes et fait de la concession le principal mode de gestion de ce service public.
Dans le droit-fil de la décentralisation, et sous l'impulsion des syndicats départementaux d'électricité agissant collectivement sous l'égide de la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies, le pouvoir concédant a connu, dès le début des années quatre-vingt-dix, un véritable renouveau avec la publication d'un nouveau modèle de cahier des charges.
Au moment de la prévisible accentuation de la logique industrielle et commerciale d'EDF, il est important que la loi codifie, sans cependant les figer, les avancées de la négociation contractuelle : c'est une exigence de démocratie à l'égard des citoyens-consommateurs, dont les collectivités sont les représentants institutionnels, c'est un devoir de transparence inhérent à la gestion déléguée d'un service public. A ce titre, il est indispensable de garantir aux collectivités un accès suffisant aux informations nécessaires à l'exercice d'un véritable contrôle, dans le respect, bien sûr, des règles de la confidentialité et du secret commercial.
Dans cette nouvelle logique, les collectivités territoriales, garantes du service public pour tous, ont vocation à représenter les clients non éligibles. De même, elles détiennent désormais une compétence reconnue qui leur confère la capacité de siéger dans des instances comme l'observatoire national et les observatoires régionaux du service public de l'électricité, dans les organismes contribuant à la définition de la politique de l'énergie et dans les commissions départementales de modernisation et d'organisation des services publics, où - c'est une suggestion - il pourrait s'avérer opportun de créer une sous-commission « énergie ».
La seconde grande fonction des collectivités locales est la maîtrise d'ouvrage des travaux d'électricité en zone rurale.
Pour leur permettre l'exercice de cette prérogative, a été créé, en 1936, le Fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, instrument de péréquation du financement des investissements entre les zones urbaines et les zones rurales.
En 1998, le montant du programme FACE s'est élevé à 3 milliards de francs, 60 % de cette somme provenant de la contribution des distributeurs et 40 % de la participation des collectivités territoriales. En outre, sur leurs fonds propres, les collectivités ont réalisé 2 milliards de francs supplémentaires de travaux.
Le FACE est donc un levier puissant et efficace de mobilisation des cofinancements publics et d'activation de la commande publique. C'est aussi et surtout la force de frappe du service public. Il représente le prix à payer pour garantir l'égalité d'accès et de prix de la fourniture. A ce titre, il s'inscrit d'ailleurs pleinement dans le sens des dispositions instituant le futur fonds du service public de production d'électricité.
Vous connaissez, monsieur le secrétaire d'Etat, notre attachement et celui de l'ensemble des représentants des communes rurales à cet instrument financier exemplaire de cohésion et de solidarité entre territoires. Vous avez déjà dissipé les craintes que nous avions exprimées à la lecture des avant-projets. Peut-être souhaiterez-vous nous apporter en séance des assurances supplémentaires.
Je tiens à souligner la nécessité de maintenir durablement la gestion et les mécanismes de financement du FACE. Malgré les efforts accomplis, les besoins sont encore très importants. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, vos services, avec ceux du ministère de l'agriculture et de la pêche, ont évalué à 30 milliards de francs l'ensemble des travaux à réaliser à court terme pour porter les réseaux ruraux à un niveau convenable.
Il reste encore beaucoup à faire pour fiabiliser nos réseaux. Avec mon collègue Michel Teston, président du conseil général de l'Ardèche, ici présent, je n'en veux pour preuve que ces 55 000 familles de la Drôme et de l'Ardèche privées d'électricité pendant une semaine cet hiver.
Il convient également de signaler l'accroissement des contraintes d'insertion des ouvrages dans l'environnement et les exigences de qualité liées à la multiplication des appareils électroniques.
Avant de conclure, je souhaiterais évoquer un point plus particulier sur lequel mon attention a récemment été appelée dans mon département ; je veux parler de la redevance d'occupation du domaine public.
En application de la réglementation en vigueur, EDF verse actuellement aux communes une redevance annuelle qui se situe - elle n'a pas été augmentée depuis 1956 - entre 5 francs et 200 francs selon le nombre d'habitants. Ces montants nous apparaissent tout à fait dérisoires !
A la faveur de ce débat, je souhaite vivement, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous preniez l'engagement d'une revalorisation très significative du montant de cette taxe ; je préfère même employer l'expression « fixation d'un nouveau taux », en juste proportion des sujétions que représente aujourd'hui l'occupation du domaine public.
Je conclurai en soulignant le bon équilibre du texte adopté par l'Assemblée nationale, équilibre entre le respect des principes essentiels du service public et la nécessaire modernisation. Les intérêts des collectivités territoriales me paraîssent bien garantis, même si nous pouvons y apporter encore quelques points de perfectionnement. Nous devons reconnaître, monsieur le secrétaire d'Etat, votre capacité d'écoute et votre volonté de prendre en compte au mieux les souhaits de chacun dans la mesure, bien sûr, où ils ne contredisent pas la logique de votre texte.
A propos de souhaits, j'en formule un dernier : que les clients non éligibles, que les citoyens consommateurs de nos petits villages ou des quartiers défavorisés des villes bénéficient eux aussi, au même titre que les grosses entreprises, de la modernisation, des baisses de tarifs induites par les gains de productivité et de la meilleure qualité d'accueil. Pour le concessionnaire du service public de l'électricité, tout client est, par définition, quelqu'un d'important ; il doit le devenir encore plus !
En revanche, monsieur le rapporteur, je formule les mêmes réserves que mon ami Henri Weber sur les propositions du Sénat. Je considère en effet que la perspective de filialiser dans un an le gestionnaire du réseau de transport est inacceptable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la lecture du projet de loi relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité provoque des sentiments contrastés.
L'étonnement, d'abord, de voir que, sous ce titre quelque peu général, se cache en fait une réalité bien précise, à savoir la transposition en droit français de la directive européenne sur le marché intérieur de l'électricité.
Mais, plus que cet étonnement, elle provoque le surprise quand on constate que le Gouvernement, qui est pourtant aux affaires depuis plus de deux ans et à qui la Constitution donne une entière maîtrise de notre ordre du jour, a laissé s'accumuler un tel retard pour transposer cette directive, alors que cette transposition, qui aurait dû intervenir avant le 19 février 1999, aura de la peine à être réalisée avant le 19 février 2000 !
Il ne s'agit pas de notre part d'un fétichisme particulier à l'égard du respect des textes européens. Mais nous pensons que, par cette attitude dilatoire, le Gouvernement met dans une position de faiblesse à la fois EDF et tous les acteurs du secteur électrique. Cet état de non-droit est dangereux.
Elle provoque, enfin, cette lecture, la stupéfaction de voir que le Gouvernement, désireux de rattraper ce retard, a demandé l'urgence pour ce projet. Il n'y aura donc, sur un texte aussi important, qu'une seule délibération de nos assemblées, alors qu'il s'est tout de même écoulé sept mois entre le moment où l'Assemblée nationale a été saisie et le moment où ce texte vient devant le Sénat. Ce projet, je crois, méritait un peu mieux.
Au-delà de ces considérations, nous sommes bien conscients, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il s'agit d'un texte à la fois important et délicat.
Il est important puisque, comme cela a été le cas en matière de télécommunications, le paysage économique et industriel dans le secteur de l'électricité a été dominé dans notre pays, depuis des décennies, par un opérateur historique, EDF, véritable bras séculier de l'Etat depuis 1946.
Tous les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune ont souligné quelle a été la qualité du rôle joué par EDF. Je voudrais, à mon tour, dire que non seulement par la valeur de ses agents, de ses dirigeants, mais aussi grâce à la volonté politique des gouvernements qui se sont succédé à la tête de notre pays, cet opérateur a su, en matière nucléaire notamment, forger avec constance et permanence, et au-delà des clivages et alternances, un outil remarquable et performant.
Ce texte est délicat en raison que l'évolution que doit aborder désormais EDF et qui consiste à faire passer cet établissement de la culture du monopole à celle de la concurrence, tout en assouplissant ses missions de service public.
Nous savons que EDF s'y prépare activement, tant en France que dans ses développements à l'étranger, et nous ne pouvons que nous en réjouir. C'est une évolution délicate, et l'on peut comprendre que le Gouvernement ait pris certaines précautions et ait agi avec une certaine prudence, au risque, toutefois, de paraître quelque peu timoré sur un certain nombre de points dans son projet de transposition.
Je ne relèverai que deux de ces points sur lesquels le Gouvernement nous paraît trop frileux et trop en retrait par rapport à ce qu'il a lui-même parfois annoncé.
Tout d'abord, il est permis de s'étonner que le Gouvernement ait retenu une formule qui place au sein d'Electricité de France le service gestionnaire du réseau public de transport.
Les concurrents d'EDF - car il faut bien regarder les choses en face : EDF aura désormais des concurrents - devront confier à un service d'EDF la mission de transporter leur électricité, et donc les caractéristiques principales de leurs contrats commerciaux. Certes, le Gouvernement a pris certaines précautions ; certes, l'Assemblée nationale, notre commission et notre rapporteur y ont veillé. Mais est-il bien raisonnable de s'en remettre au code pénal et à ses foudres pour éviter les risques d'indiscrétion ?
Vous voulez réprimer la communication faite sciemment des informations de nature à porter atteinte aux règles de concurrence libre, loyale et non discriminatoire. N'y a-t-il pas lieu de craindre, avec le système mis en place, davantage encore les indiscrétions faites inconsciemment ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez vous-même parlé, dans votre discours liminaire, de l'indépendance du réseau de transport et de l'indépendance totale du GRT. C'est en effet un vrai problème. Mais n'était-il pas plus raisonnable pour le Gouvernement de suivre les recommandations de M. Dumont, député de la Meuse, qui appartient à la majorité soutenant ce gouvernement et à qui le Premier ministre a assigné la mission d'étudier ces questions ? Cet honorable parlementaire préconise de séparer en un établissement public distinct la fonction transport de la fonction infrastructure et production. C'est la sagesse même ! Ainsi, il y aurait deux établissements, le caractère public étant parfaitement affirmé et la nécessité d'assurer une concurrence loyale étant respectée. Est-il trop tard pour que la sagesse l'emporte ou faudra-t-il pour cela attendre la première modification de la loi Pierret ?
J'en viens au second point sur lequel nous devons, je crois, nous interroger.
Nous comprenons bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous deviez satisfaire à un certain nombre d'exigences. Toute action gouvernementale a ses contingences et il faut bien finir par trouver les voix qui construisent une majorité.
Mais vous savez bien qu'il va y avoir un véritable marché de l'électricité. Le négoce de l'énergie électrique est une réalité de notre monde d'aujourd'hui, et vouloir la nier n'est pas forcément l'attitude la plus responsable.
Comment avez-vous pu accepter - nous ne comprenons pas bien les raisons - que l'article 12 du projet soit supprimé par l'Assemblée nationale ? Que devient la liberté du commerce et de l'industrie si les producteurs d'électricité ne peuvent pas conclure librement, s'agissant de la durée et de l'importance quantitative, des contrats d'approvisionnement avec des producteurs et des fournisseurs autorisés installés sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ?
Ne pensez-vous pas que de telles dispositions vont favoriser l'éclosion et le développement des marchés de l'énergie au-delà des frontières nationales ?
Est-ce pour cette raison que notre opérateur national, EDF, a décidé de baser à Londres la filiale qu'il crée avec un groupe privé spécialisé dans le commerce de l'électricité ? Il me semblerait préférable, dans l'intérêt de notre pays, que le marché de l'électricité s'établisse à Paris plutôt qu'à Londres.
Il en va de même pour le secteur alpin - la Suisse et l'Italie sont des clients extrêmement importants de notre opérateur ; j'aimerais mieux que ce marché, qui se développe, s'établisse à Lyon plutôt qu'à Zurich ou à Turin !
Ne serait-il pas raisonnable, monsieur le secrétaire d'Etat, de rétablir purement et simplement l'article 12 du projet de loi, comme le propose, sous une forme améliorée, notre rapporteur ? Dans le cas contraire, l'éventuelle censure du Conseil constitutionnel pourrait nous rappeler que les atteintes à la liberté du commerce et de l'industrie doivent être mesurées et la Cour de justice des Communautés européennes pourrait nous rappeler au respect des règles de la libre concurrence !
Dans ce domaine, nous ne souhaitons nullement faire de l'ultralibéralisme ; nous souhaitons simplement qu'il soit tenu compte des réalités.
Sur ces deux points, le texte adopté par l'Assemblée nationale, parce qu'il s'éloigne de votre projet, manque de réalisme et comporte de réels dangers. La Haute Assemblée serait donc sage de revenir au texte initial que vous aviez vous-même présenté.
Nous savons, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce projet est d'un maniement délicat tant il touche à un fonds culturel dans notre pays.
Après ces considérations d'ordre général, je voudrais maintenant, si vous me le permettez, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, aller au-delà et m'intéresser un instant à la Compagnie nationale du Rhône, la CNR. Dans cette enceinte, nous sommes plusieurs à représenter des collectivités riveraines du Rhône et actionnaires de la CNR.
Je rappelle, puisqu'on a beaucoup parlé du premier producteur d'électricité, que la CNR, si elle est certes très loin derrière EDF, est tout de même le deuxième producteur d'électricité français. Il est par conséquent normal que nous nous préoccupions un peu de son devenir, notre souhait avant que tout soit fait pour qu'elle puisse garder ce rang.
Nous savons bien que, d'une façon générale, on considère l'électricité comme une chose trop sérieuse pour être confiée à une compagnie dans laquelle les collectivités locales ont une participation importante ! Néanmoins, il semble normal que le responsable d'une de ces collectivités précise la position de ces dernières.
Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous nous réjouissons de voir le Gouvernement reconnaître à la CNR son rôle de producteur indépendant et de plein exercice.
Je tiens à vous rendre hommage pour l'avoir fait de façon extrêmement explicite. Nous nous réjouissons, par exemple, qu'à ce titre la CNR soit expressément citée, notamment à l'article 25 du texte qui nous est soumis ; beaucoup de choses vont sans dire, mais elles vont mieux encore en étant dites !
Sachez aussi que nous sommes parfaitement conscients que des évolutions statutaires s'imposent pour permettre à la CNR de jouer pleinement son rôle de concessionnaire de l'Etat plongé dans le secteur concurrentiel.
Nous sommes prêts à soutenir cette évolution, même si elle a pour effet de faire baisser notre part dans le capital de la compagnie, car le Rhône fait partie de notre territoire et nous entendons, nous, collectivités rhodaniennes, rester présentes pour qu'il ne puisse être porté atteinte aux intérêts majeurs d'une collectivité riveraine du Rhône, et ce de la frontière suisse à la mer, pour reprendre la formule d'Edouard Herriot.
Nous savons que nos collectivités, pas plus que l'Etat, n'ont vocation à diriger une société comme la CNR. Nous sommes donc favorables aux évolutions qui permettront à celle-ci de se transformer en une entreprise publique, concessionnaire de l'Etat, chargée de missions de service public, mais capable de jouer pleinement son rôle dans le secteur concurrentiel.
Sachez, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous ne confondons pas nos regrets légitimes, fondés sur la décision prise par le Gouvernement d'abandonner la liaison fluviale à grand gabarit entre le Rhin et le Rhône, avec notre position sur la CNR et son avenir.
Nous voyons la CNR non pas comme un instrument à notre service, mais comme un partenaire capable de prendre en considération, parmi d'autres impératifs, les intérêts des collectivités riveraines du Rhône.
Je crois qu'aujourd'hui une majorité se dégage pour faire évoluer raisonnablement les statuts de la Compagnie nationale du Rhône, et je suis persuadé que, si le Gouvernement déposait un projet de loi confirmant la Compagnie nationale du Rhône dans les missions que lui confie la loi de 1921, la maintenant dans le secteur public sans exclure les évolutions de capital par « respiration », comme l'a dit l'un de vos collègues du Gouvernement - il est également l'un des tuteurs de la CNR, puisque chargé de la navigation sur le Rhône - ou encore permettant d'adopter la formule de société à directoire ou à conseil de surveillance, qui nous paraît bien adaptée, nous serions tout prêts à aider le Gouvernement dans la voie de cette réforme.
Telles sont, monsieur le président - je vous prie d'excuser la longueur excessive de mon propos - les quelques observations que je souhaitais faire sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant d'intervenir sur le projet de loi lui-même, je voudrais rendre hommage à notre rapporteur, qui a fait un travail tout à fait remarquable sur un sujet très sensible et d'une grande complexité.
D'une certaine manière, le projet de loi qui nous est soumis relève en effet du paradoxe.
D'une part, il a pour objet de transposer une directive européenne d'ouverture à la concurrence et ayant donc pour conséquence la diminution du champ du service public.
Mais, d'autre part, il contient dans son titre les mots « développement du service public », ce qui paraît, à première vue, incompatible avec ce qui précède, autrement dit incompatible avec le transfert au domaine de la concurrence d'une partie du service public.
En fait, cette opposition n'est qu'apparente. Certes, on réduira l'étendue du service public puisque, pour la fourniture aux consommateurs éligibles, le rôle de la puissance publique diminuera fortement. Mais, en même temps, justement pour éviter les excès possibles du futur marché de l'électricité, le projet renforce le rôle de l'Etat et des collectivités locales dans le périmètre résiduel du service public, qui comprend essentiellement les activités d'acheminement et la fourniture aux consommateurs non éligibles.
Un des problèmes à résoudre est donc de savoir quel sera le degré du renforcement du rôle de la sphère publique. L'objectif est que le service public fasse contrepoids aux éventuelles conséquences néfastes de la concurrence, tout en permettant à celle-ci de s'exercer normalement, dans l'intérêt même des consommateurs.
C'est cet équilibre des pouvoirs respectifs de la sphère publique et du marché qui guidera mon propos.
J'évoquerai ainsi cinq enjeux, auxquels il serait souhaitable que le projet de loi réponde mieux qu'il ne le fait actuellement ou sur lesquels il conviendrait que le Gouvernement apporte des précisions ou des assurances.
Le premier enjeu concerne la solidarité entre les territoires.
Je souhaite tout d'abord dire que, fort heureusement, le fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, dont on a déjà parlé, n'est pas modifié.
Il a été créé en 1936 pour équilibrer la logique du marché dans ses effets négatifs sur le service public. Il a été maintenu en 1946 lors de la nationalisation des entreprises électriques. En effet, un but industriel et commercial ayant été assigné à EDF, il était indispensable de laisser aux collectivités publiques - Etat et collectivité concédantes, avec l'aide du FACE - la responsabilité du développement des réseaux ruraux, puisque ces travaux ne pouvaient pas être rentables pour EDF.
Permettez-moi d'insister sur le fait que l'actuel projet de loi, dans aucune de ses dispositions, ne porte atteinte au FACE, dont l'utilité ne fera d'ailleurs que progresser avec le développement des activités économiques modernes.
Celles-ci nécessitent que tous les réseaux, y compris ceux qui sont situés dans les zones rurales, soient aptes à livrer de l'électricité dans des conditions de qualité accrue.
Mais, dans un contexte où les acteurs du marché préféreront, à l'évidence, que les fonds destinés à l'électricité soient affectés à des investissements plus rentables pour eux que la desserte des zones rurales françaises, il convient d'être très attentif à ce que le FACE ne soit pas affaibli d'une manière ou d'une autre.
C'est ainsi que toute frontière floue entre le FACE et le fonds de péréquation de l'électricité, qui pourrait être envisagée par certains, nuirait à la clarté du dispositif et favoriserait des dérives contraires à l'intérêt général.
Le deuxième enjeu porte sur l'environnement.
Alors que tout le monde s'accorde à dire que les énergies renouvelables et la maîtrise de la demande d'électricité sont à développer, on constate que le Gouvernement procède, certes, à leur promotion, mais prend, dans le même temps, des mesures qui leur sont défavorables. C'est cette politique que je voudrais évoquer en quelques mots.
De nombreuses collectivités locales, principalement les grands syndicats d'électricité et de gaz, ont mis en oeuvre, ces dernières années, d'importants programmes d'alimentation en électricité de sites isolés grâce à des dispositifs photovoltaïques, éoliens ou hydroélectriques.
Bien sûr, cela ne remplacera ni l'énergie nucléaire ni la production d'électricité par le gaz. Mais les sources locales et renouvelables méritent, elles aussi, d'être développées de manière maîtrisée, même si, seules, elles ne sont évidemment pas à la dimension des besoins énergétiques totaux de notre pays.
Il en est de même des économies d'énergie ou, plus généralement, de la maîtrise de la demande. De nombreuses collectivités locales sont prêtes à intervenir. Mais leurs élus responsables sont actuellement freinés par une grande insécurité juridique quand ils passent commande de travaux ou de prestations en la matière. Fort heureusement, l'article 17 du projet qui nous est soumis résout en partie ce problème.
J'aimerais toutefois avoir des assurances sur la mise en oeuvre rapide de cette disposition par la parution, sans délai excessif, du décret prévu.
Un autre problème subsiste : les collectivités ne peuvent pas récupérer la TVA, ce qui crée une disparité inexplicable avec les travaux classiques, pour lesquels la TVA est récupérable.
Il semblerait souhaitable que le Gouvernement mette en cohérence ses pratiques fiscales avec ses orientations énergétiques, orientations traduites dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui.
Le troisième enjeu est celui de la transparence.
Tout le monde le sait, le marché ne fonctionnera bien que si la transparence s'instaure réellement.
Il en sera de même pour le service public : la transparence à l'égard des autorités de contrôle sera indispensable pour éviter que les consommateurs captifs ne paient pour les consommateurs éligibles. Il appartiendra donc à l'Etat et aux collectivités concédantes d'exercer, à des échelons complémentaires, la régulation du service public.
La régulation du marché sera, quant à elle, du ressort de la future commission de régulation, dont la mission portera sur le jeu libre, loyal et non discriminatoire du marché, c'est-à-dire des activités commerciales qui ne feront plus partie du monopole.
Je voudrais souligner que, pour que soit réellement contrôlée l'exécution des missions de service public du secteur électrique, il conviendra que les opérateurs concernés, en premier lieu EDF, fassent preuve de la transparence voulue à l'égard des ministères et des collectivités concédantes.
Pour entrer plus avant dans le détail, je souhaite insister sur un aspect essentiel de la directive, et donc du projet de loi : l'infrastructure sera désormais séparée de la vente du produit. Autrement dit, le métier se scindera en deux volets.
La première partie du métier d'EDF correspondra aux activités liées aux réseaux, pour lesquelles cette entreprise restera en situation de monopole. Il faudra que l'exécution de cette mission s'équilibre en recettes et en dépenses. Heureusement, l'avenir du tarif unique national sera conforté par l'existence du FACE, qui atténue les disparités d'une collectivité à l'autre en matière de coûts d'investissement.
Cette péréquation des coûts sera, en outre, perfectionnée, si nous adoptons le texte qui nous est proposé, grâce au fonds de péréquation de l'électricité, dont la compétence porte sur le fonctionnement.
L'autre partie du métier actuel d'EDF comprendra la fourniture d'électricité, c'est-à-dire, en quelque sorte, la production et la vente d'électrons.
Cette partie sera progressivement soumise à la concurrence. Il sera donc essentiel que les entreprises telles que EDF ne puissent, en aucune manière, financer cette activité concurrentielle avec des économies qu'elles feraient sur des activités en monopole. Je ne voudrais pas, par exemple, que la promotion du chauffage électrique à Paris ou l'achat d'entreprises à l'étranger soit subventionné par des économies réalisées par le renvoi aux calendes grecques d'indispensables renouvellements d'ouvrages électriques ruraux.
Il est donc essentiel qu'une étanchéité comptable crédible existe entre ces deux activités. Il faudra, par conséquent, que l'Etat, à l'échelon national, et les collectivités concédantes, à l'échelon local, contrôlent véritablement l'absence de subventions croisées.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, avoir des assurances sur ce point fondamental, en ce qui concerne notamment les moyens dont l'Etat et les collectivités concédantes disposeront pour ce faire.
Le quatrième enjeu, lié à la transparence, est celui de la démocratisation.
Pour que la distribution d'électricité reste véritablement un service public, il est nécessaire d'en accentuer le caractère démocratique, c'est-à-dire de renforcer le rôle des responsables élus par les citoyens.
Notre pays a connu pendant les années quatre-vingt-dix un très utile renouveau des attributions des collectivités concédantes.
Après avoir renégocié leurs contrats de concession avec EDF, ces dernières sont maintenant nombreuses à représenter localement, de manière effective, l'intérêt général, à côté de la logique industrielle et commerciale d'EDF.
Ce renouveau n'est toutefois pas entièrement satisfaisant en ce sens qu'il existe encore quelques départements dans lesquels les collectivités concédantes sont trop morcelées pour être efficientes.
Il serait du rôle de l'Etat de mieux inciter les communes à se regrouper dans le domaine de l'électricité.
Telle est ma conviction : la démocratie n'est possible que lorsque les élus locaux disposent de réels moyens pour exercer les missions qui sont les leurs.
Enfin, le dernier enjeu concerne les ressources financières des collectivités locales.
Il porte sur la redevance d'occupation des domaines publics communaux ou départementaux par les lignes électriques, sujet évoqué par notre collègue Jean Besson.
La plupart des communes ne reçoivent, de la part d'EDF, que 5 francs par an pour la totalité du réseau électrique, et ce tarif est resté inchangé depuis 1956.
Si l'existence de cette redevance n'était pas justifiée, ce que je ne crois pas, personnellement, il faudrait la supprimer. Mais, dans le cas contraire, il convient de ne pas la laisser à ce niveau ridiculement bas. Nous aimerions connaître les intentions du Gouvernement sur le relèvement de cette redevance.
Tels sont les principaux enjeux de ce projet de loi sur lesquels je désirais intervenir et pour lesquels je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous précisiez les orientations que vous entendez adopter.
L'ouverture à la concurrence va entraîner des mutations profondes, mutations nécessaires, qui risquent d'engendrer certaines inégalités, avec des répercussions en termes d'aménagement du territoire. Il nous revient donc, pour assurer la réussite de cette ouverture à la concurrence, de faire en sorte que tout risque soit écarté. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui appelés à transposer la directive européenne de 1996 relative au marché intérieur de l'électricité. Cette directive résulte, je vous le rappelle, du fait que, pour la Commission européenne, un grand marché intérieur est impensable sans un marché intégré de l'énergie.
Dans une civilisation industrielle, l'électricité est un produit de toute première nécessité aussi bien pour les usagers domestiques que pour les entreprises.
L'énergie est une composante essentielle des prix industriels. Dans certaines branches comme la chimie, les plastiques et l'aluminium, elle représente jusqu'à 60 % des coûts de production ! Or, selon la Commission européenne, les prix de l'électricité sont, en moyenne, de 40 % plus élevés en Europe qu'aux Etats-Unis : 16,5 centimes outre-Atlantique, contre 25 centimes en Europe ! De plus, à l'intérieur même de l'Europe, ils varient considérablement d'un pays à l'autre.
Aussi ce projet de loi constitue-t-il un enjeu essentiel pour notre économie, non seulement à court terme mais aussi et surtout à long terme. En effet, la libéralisation du marché de l'électricité devrait permettre aux industriels français d'engranger des parts de compétitivité sur les pays tiers.
Par ailleurs très attaché à l'approche développée par le général de Gaulle, j'estime que l'expansion économique doit garder pour objectif de favoriser le progrès social, ce dernier devant permettre l'élévation constante et systématique du niveau de vie de l'ensemble de la population.
Si je suis favorable au désengagement de l'Etat au sein des entreprises, je considère donc que ce désengagement ne doit en aucune façon prohiber toute intervention de l'Etat tendant à réguler le marché.
C'est pourquoi je regretterais que les effets de cette libéralisation ne soient pas acceptables sur un plan « sociétal ». En d'autres termes, l'électricité étant à mes yeux un produit de première nécessité pour les usagers domestiques, cette déréglementation ne doit pas remettre en cause le respect des missions de service public qui sont actuellement dévolues à Electricité de France : obligation de desserte, continuité du service, égalité de traitement des usagers, sauvegarde de l'environnement, développement de la recherche et des savoir-faire.
Par conséquent, mes chers collègues, une régulation extérieure du marché est nécessaire pour au moins trois raisons.
En premier lieu, comme le prix de revient des fournitures dépend, dans une large mesure, de la localisation du point de livraison, la loi du marché aboutirait, si aucun correctif n'était appliqué, à de fortes inégalités.
En deuxième lieu, même si la concurrence existe au niveau de la production et des fournitures, la plupart des consommateurs finaux restent néanmoins prisonniers d'un réseau de transport et de distribution. Il faut donc protéger leurs intérêts, d'autant que les entreprises électriques pourraient être tentées de récupérer sur les clients captifs le coût des avantages qu'elles ont consentis aux clients éligibles.
En troisième lieu, la concurrence risque d'être faussée par des abus de position dominante, au détriment, notamment, des consommateurs et des collectivités locales.
C'est pourquoi la création de la commission de régulation de l'électricité m'apparaît comme un préalable indispensable à toute libéralisation du marché, cette commission devant veiller à ce que l'accès au réseau soit accordé de manière non discriminatoire, transparente et conforme aux règles de loyauté de la concurrence.
De la même manière, j'estime qu'une intervention sur la réglementation des tarifs, la détermination des seuils d'éligibilité ou de la programmation pluriannuelle des investissements est également nécessaire.
Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, je déplore le peu d'indépendance que le Gouvernement accorde à la commission de régulation et la trop faible étendue des pouvoirs qu'il lui laisse.
De même, je regrette le manque d'autonomie du gestionnaire du réseau ainsi que les obstacles posés par la majorité plurielle pour décourager l'exercice de la concurrence.
A ce propos, je tiens à rendre hommage à notre collègue Henri Revol. En effet, ses propositions nous permettront, notamment, d'accroître l'efficacité des autorités de régulation, de renforcer l'autonomie et l'impartialité du gestionnaire du réseau de transport par rapport à tous les agents du marché et de contribuer à un aménagement du territoire plus équilibré.
Ainsi, par une régulation extérieure, indépendante et renforcée du marché de l'électricité, nous serons en présence non d'un Etat dictateur ou d'un Etat spectateur, mais d'un Etat acteur du progrès social.
Ces considérations sur le rôle économique et social de l'Etat m'amènent à m'interroger sur son action au sein de la Communauté européenne.
De la confrontation entre le service public et le droit communautaire, tout ou presque a été dit : pour les uns, affrontement sans issue ou démembrement ; pour les autres, rencontre promise à un avenir paisible grâce aux évolutions qu'impose à chacun leur coexistence.
En réalité, l'érosion que subissent les services publics au contact du droit communautaire n'est qu'un symptome. L'Europe communautaire a moins mis en cause le service public que l'action publique dans son ensemble, c'est-à-dire toutes les formes ou tous les procédés à travers lesquels l'Etat ou les collectivités publiques sont supposés modeler les rapports entre l'homme et l'économie.
Quand des institutions publiques ou des entreprises investies de prérogatives de puissance publique sont invitées à réviser leurs relations avec d'autres, ce sont les services qu'elles assurent qui peuvent en être affectés.
Quand, au nom de la liberté des prestations de services ou de la liberté de circulation des marchandises, des réglementations nationales sont frappées de paralysie, c'est encore une autre dimension de l'action publique qui peut être partiellement affectée.
Ainsi, les diverses composantes de l'action publique évoluent sous l'influence de la construction communautaire.
Certes, l'action de l'Etat et des collectivités territoriales a été préservée de diverses manières. Certes, à l'emprise des règles communautaires correspondant aux exigences du marché des limites ont été apportées. Mais il nous appartient maintenant d'assurer de nouvelles assises à l'action publique. Elle pourrait, par exemple, se vouer à garantir l'exercice des droits fondamentaux de la personne.
Ainsi, comme le soulignait le professeur Antoine Lyon-Caen, les acteurs publics ne seront pas seulement habilités à façonner les béquilles d'un marché défaillant, ils ne seront pas seulement les tuteurs des consommateurs et de leurs besoins : ils auront la charge de mettre en oeuvre des droits.
Le général de Gaulle, d'ailleurs, avait déjà anticipé sur cette dérive en demandant de toujours placer l'homme au centre du projet.
Pour en revenir à la situation juridique actuelle du secteur de l'Electricité, on peut être tenté de croire que tout ce qui est électrique dans notre pays relève d'Electricité de France. Le cadre juridique y est, en réalité, plus complexe et la compétence des collectivités locales plus étendue, bien que faiblement exercée.
Depuis la loi de nationalisation du 8 avril 1946, la production, le transport, la distribution ainsi que l'exportation et l'importation de l'électricité en France sont assurés par EDF. Toutefois, ce monopole n'est que partiel.
En effet, d'une part, il existe des exceptions à ce monopole, qui concernent essentiellement les entreprises de production et de distribution d'électricité placées sous le contrôle de capitaux publics ou de coopératives au moment de la nationalisation.
D'autre part, je note que les collectivités locales, essentiellement les communes, restent toujours propriétaires de leurs réseaux à moyenne et basse tension, ce qui représentent 90 % de la longueur des réseaux électriques en France.
Actuellement, en matière d'électricité, la principale compétence des collectivités locales s'exerce sur le développement des réseaux ruraux. En effet, en milieu urbain, la maîtrise d'ouvrage des réseaux appartient à EDF. Les collectivités sont maîtres d'ouvrage des réseaux, notamment pour leur renforcement et leur extension.
C'est donc dans les travaux, plus que dans la gestion, qu'elles exercent un certain pouvoir. Le fonds d'amortissement des charges d'électrification, financé largement par les usagers urbains, permet de subventionner ces travaux de manière importante.
Comme le rappelait mon ami Philippe Marini lors d'un colloque organisé au Sénat en juin dernier, ce projet de loi consolide le rôle des collectivités locales en tant que concessionnaires du service public de distribution. De même, il assouplit les conditions de production d'électricité par les collectivités locales. Cela devait être souligné.
Toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, certaines difficultés ne sont toujours pas levées.
Ainsi, en prenant le seuil minimal requis par la directive comme plafond, le Gouvernement écarte les collectivités locales du mouvement de baisse des prix dont bénéficieront les clients éligibles. Quand on connaît tous les efforts faits par les élus locaux pour diminuer la pression fiscale sur leurs concitoyens, il est regrettable de ne pas leur ouvrir cette possibilité. En tant qu'élu local, je ne peux me résigner à leur exclusion de l'éligibilité.
Comme le rappelle Tocqueville, « la vie politique locale n'est autre chose que la liberté ». Monsieur le secrétaire d'Etat, en faisant le choix de fermer la voie de la libéralisation de l'électricité aux collectivités locales, l'actuel gouvernement porte atteinte à l'accomplissement de la décentralisation, et je crains que votre projet de loi ne soit considéré par Bruxelles comme non conforme à la directive de 1996.
C'est pourquoi je vous demande instamment, monsieur le secrétaire d'Etat, de prévoir, dans le décret d'application relatif au seuil d'ouverture du marché, un système dérogatoire permettant aux collectivités territoriales, quelle que soit leur consommation d'énergie, de bénéficier de la libéralisation du marché de l'eléctrivité afin qu'elles puissent à leur tour en faire bénéficier les contribuables français. (Applaudissement sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'état, mes chers collègues, mon intervention s'inscrit dans le prolongement des propos tenus par mes collègues Henri Weber et Jean Besson.
Le texte que nous examinons aujourd'hui était, nous le savons tous, soumis à une date butoir puisque le 19 février 1999, en application d'une directive européenne du 19 décembre 1996, le marché de l'électricité s'est ouvert à la concurrence.
Il s'agit d'une concurrence non pas débridée mais, ainsi que l'a souhaité le Gouvernement, progressive et encadrée, en fonction de seuils de consommation, et réservée aux seuls gros consommateurs, qui pourront choisir librement leurs fournisseurs.
Certaines entreprises s'approvisionnent déjà auprès d'autres vendeurs, comme Usinor, à Dunkerque, ou Shell, à Fos.
Ainsi, même en l'absence d'une transposition dans notre droit, les principales dispositions de la directive sont entrées en vigueur dès le 19 février 1999. Faute de ce projet de loi, cela aurait pu présenter un risque, notamment pour la protection de notre service public.
Cette directive, nous l'avions, il est vrai, vivement combattue parce qu'elle s'inscrivait dans une logique très libérale. Toutefois, elle n'a jamais suscité de notre part une opposition de principe. En vérité, nous souhaitions qu'un certain nombre de points qui nous tenaient à coeur soient satisfaits, comme la prise en compte du long terme, l'indépendance énergétique ou l'harmonisation des règles sociales, écologiques et de sécurité.
La directive a donc fait en son temps - chacun s'en souvient - l'objet de longs débats et de négociations. Il en est de même du projet de loi qui en découle.
Celui-ci est d'une importance majeure puisqu'il touche à l'un des fondements mêmes de notre République, à savoir le service public, en l'occurrence le service public de l'électricité, organisé jusqu'ici par un dispositif législatif de 1946.
Il s'agit de continuer à garantir l'accomplissement des missions de service public à la française tout en ouvrant progressivement le marché de l'électricité, dans les limites et selon le rythme imposés par la fameuse directive.
Pour la majorité des Français, le service public de l'électricité, c'est EDF, une entreprise à laquelle ils sont, à juste titre, très attachés. Cette entreprise publique a, certes, de nombreux attouts pour relever le défi qui s'ouvre devant elle, et ce projet de loi, en précisant ses missions, lui confère tous les moyens d'affronter la concurrence tout en préservant le service public.
Pour autant, le secteur public de l'électricité, ce n'est pas seulement EDF, principalement en ce qui concerne la distribution de l'électricité.
D'autres acteurs concourent à cette composante du service public ; je veux parler, bien sûr, des collectivités locales, par le biais des régies ou des syndicats départementaux d'électrification, qui ont la responsabilité de l'organisation de la distribution de l'électricité.
Propriétaires du réseau de distribution, les collectivités locales disposent d'un patrimoine très important. Pour le Tarn, par exemple, elles sont propriétaires, notamment, de 7000 kilomètres de lignes « moyenne tension », de 7 000 kilomètres de réseau « basse tension », de 7 000 transformateurs et de plus de 150 000 branchements. C'est pourquoi il me semble important de ne pas les oublier dans ce débat, de ne pas occulter le rôle qu'elles ont joué jusqu'ici et de confirmer le rôle qui devra être le leur à l'avenir dans la nouvelle configuration.
Quelle est la mission d'un syndicat départemental ? Autorité concédante du réseau public d'électricité par délégation des communes membres - mon collègue Jean Besson l'a rappelé, d'autres aussi - il travaille obligatoirement en étroite collaboration avec EDF, seul concessionnaire, à l'exception des collectivités qui exploitent en régie. Depuis 1993, ce partenariat s'est renforcé et est illustré par de nouveaux droits et obligations pour chacune des parties au contrat. Ainsi, les syndicats départementaux ont désormais un droit et une obligation de contrôle sur la bonne exécution du contrat de concession lui-même.
A cet égard, il me paraît utile que le contrôle exercé par les collectivités concédantes ne soit pas remis en cause, et même qu'il soit renforcé, ce que prévoit ce projet de loi.
Les deux parties peuvent également réaliser des investissements communs en matière d'environnement, notamment : je fais ici allusion à l'enfouissement des lignes, par exemple.
Mais, surtout, EDF, ne l'oublions pas, doit verser aux syndicats une redevance de concession leur permettant de concourir aux investissements qu'ils supportent au titre des missions de service public.
Cette redevance constitue donc l'une des principales recettes dont disposent les syndicats pour assumer leurs missions sur le réseau en zone urbaine, l'autre partie étant constituée par les crédits du fonds d'amortissement des charges d'électrification, le FACE, destiné à financer les travaux d'électrification en zone rurale.
Le FACE est alimenté annuellement selon un taux fixé en loi de finances. Le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui ne remet pas en cause l'existence du FACE. Cependant, parce que son alimentation constitue un enjeu majeur, nous souhaiterions, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'elle soit maintenue dans ses montants. En effet, le FACE est alimenté par un prélèvement d'environ 2 % sur les recettes des distributeurs d'électricité - EDF ou les régies, jusqu'à présent.
C'est pourquoi nous souhaiterions savoir si les opérateurs qui, demain, concurrenceront EDF sur le marché lors de l'abaissement des seuils, seront eux aussi assujettis au FACE. Il est impératif de maintenir le financement de ce fonds, je le redis, car il y a encore sur notre territoire, principalement dans les zones rurales, des besoins importants en matière de renforcement de réseaux mais également en matière de dissimulation, pour améliorer l'environnement de nos zones rurales.
Par ailleurs, il ne saurait exister de confusion entre cet instrument, qui sert donc à financer les investissements sur le réseau dans les conditions que j'ai évoquées, et le fonds de préréquation des charges de service public, fonds qui, créé par ce projet de loi - c'est une bonne chose - sera alimenté par les nouveaux opérateurs, mais, lui, pour assurer le fonctionnement du réseau électrique. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous donniez aujourd'hui quelques précisions sur ces questions.
En conclusion, le projet de loi que vous nous soumettez est un texte sage, raisonné et équilibré, n'en déplaise à certains que j'ai entendus ici et là.
L'ouverture maîtrisée, largement maîtrisée, et progressive du secteur électrique était nécessaire : vous avez fait ce choix, et nous nous en réjouissons. L'entreprise EDF n'est en rien démantelée - c'est important - et elle continuera à être le premier électricien européen. Pour la première fois dans un texte de loi sont définis le service public de l'électricité et le droit à l'électricité pour tous, droit fondamental dans notre société. Le service public est conforté, rénové et amélioré.
Lors de la discussion des articles, nous vous proposerons, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques amendements tendant, me semble-t-il, à améliorer encore le texte et à conforter tout à la fois la démocratie et la protection du service public comme de ses agents face à une nouvelle situation, une situation de concurrence. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. La sagesse du Tarn ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant d'expliquer ma position sur le présent projet de loi, je veux exprimer ici notre mécontentement quant à la précipitation avec laquelle nous devons examiner un aussi vaste et important sujet. Nous avons en effet dû lire quatre cent cinquante pages de rapport en quarante-huit heures !
L'Assemblée nationale a voté le texte au mois de mars dernier. Pourquoi avoir attendu près de huit mois pour le soumettre au Sénat ? En quoi la procédure d'urgence est-elle justifiée ? Une lettre adressée par M. le ministre des relations avec le Parlement au président du Sénat indique que le vote définitif du texte est envisagé pour la deuxième quinzaine de janvier 2000. Nous avions cru comprendre que la réforme était urgente. Peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous expliquer les réelles motivations du Gouvernement !
Ma première remarque porte sur le retard pris dans la transposition de la directive. Incontestablement, il nuit aux acteurs français du secteur, qu'il s'agisse des producteurs, et tout spécialement d'EDF, ou des grands consommateurs.
En effet, ce retard gêne leur positionnement immédiat dans un marché européen en pleine évolution. Les mesures transitoires prises en matière d'ouverture des réseaux limitent, certes, les risques contentieux, mais il n'en demeure pas moins que, si la procédure législative ne parvient pas à son terme rapidement, c'est-à-dire avant la fin de l'année, des mois précieux auront été perdus à un moment crucial pour le secteur électrique français.
M. Henri Weber. C'est la faute à Juppé ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Pierre Hérisson. A cet égard, je rappelle que le procesus de libéralisation du marché électrique a connu une formidable accélération dans les pays européens, à l'exception de la France. Nous ne pouvons donc que constater le décalage inquiétant qui se creuse entre notre situation et celle de nos voisins et partenaires européens.
Le retard de notre pays aura des conséquences dramatiques dans la course à la compétitivité.
Dans un contexte de mondialisation, les entreprises tentent d'adapter leurs coûts à des prix qui deviennent une donnée, et l'énergie fait de plus en plus partie de ces coûts. La problématique est donc bien énergétique et non pas seulement électrique.
Par ailleurs, la France est dans une situation d'insécurité juridique depuis le 19 février dernier. Aujourd'hui, les transactions effectuées dans le secteur énergétique se déroulent dans un vide juridique complet. Les contrats sont-ils signés sous l'empire de la loi de 1946, d'une directive non transposée ou d'un projet de loi appelé à être modifié ? Le temps économique ne correspond pas au temps politique ou législatif. Quotidiennement, cette situation est préjudiciable à tous les acteurs du secteur. Elle est porteuse de risques : les investissements qui se décident en ce moment seront plutôt réalisés hors de France. Nous paierons cher ce double retard, économique et juridique.
Vous avez choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, de procéder à une bien timide transposition de la directive. Compte tenu du nombre très faible de clients éligibles, parler d'ouverture à la concurrence constitue presque un abus de langage. Nos partenaires européens ont, quant à eux, décidé d'aller beaucoup plus loin. Ainsi, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Finlande et en Suède, tous les consommateurs sont appelés à devenir clients éligibles dès 1999.
En outre, vous nous présentez un texte totalement déconnecté de la réalité industrielle, un texte traduisant uniquement la volonté de sauvegarder la gauche plurielle et de préserver la paix syndicale. Toute votre stratégie vise à empêcher le secteur de se moderniser, de s'adapter à un marché européen en pleine mutation et qui fonctionne en temps réel.
Une bonne loi est une loi qui maintient un certain équilibre. Or, le texte dont nous discutons aujourd'hui est fondamentalement déséquilibré. Il offre trop de protection aux acteurs qui sont déjà protégés, lesquels vont se sentir de plus en plus prisonniers. Par ailleurs, il ne donne pas assez de liberté au marché, ainsi qu'aux intervenants publics ou privés, qui doivent faire face, le plus rapidement possible, à de nouveaux défis.
Je suis convaincu qu'il est indispensable d'assurer une certaine fluidité au marché de l'électricité, sous peine de retarder les évolutions. A ce titre, la limitation de la pratique du trading me paraît l'un des points les plus contestables du projet de loi. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de la discussion des articles. Cette mesure me paraît tout simplement contraire au principe d'égalité des chances entre concurrents. Elle introduit en réalité une profonde asymétrie de concurrence au profit de l'opérateur historique compte tenu de l'importance de sa production.
En outre, la libéralisation nécessite l'indépendance du gestionnaire du réseau. Alors que vous avez prévu de confier la gestion du réseau de transport à l'opérateur public, le Conseil de la concurrence, dans son avis d'avril 1998, estimait que seule, en l'état du marché français, l'organisation autour d'un établissement distinct d'EDF serait de nature à assurer une concurrence non faussée. Selon nous, la meilleure garantie d'indépendance du GRT passe par sa filialisation. Pour permettre l'accès du réseau aux opérateurs privés, il est essentiel de dissocier les trois fonctions d'EDF : production, transport et distribution. La filialisation de l'activité transport est la seule manière d'assurer l'indépendance du gestionnaire. Dans ces conditions, l'intégrité de l'entreprise, de même que le statut du personnel, ne sera pas remise en cause, dans la mesure où 100 % du capital restera sous son contrôle.
A ce propos, la transformation de l'établissement public EDF en société anonyme à capitaux publics pourrait être envisagée.
M. Gérard Delfau. Mais c'est bien sûr !
M. Pierre Hérisson. Cette structure juridique aurait pour avantage de lui permettre de contracter des alliances industrielles, notamment internationales, et de créer plus facilement des filiales.
Quant à la commission de régulation de l'électricité, il paraît tout à fait primordial qu'elle soit indépendante et impartiale. Le régulateur doit être, selon nous, le garant de l'équilibre du système. Ainsi, la présence du commissaire du Gouvernement au sein de la CRE pose un grave problème, comme le soulève le rapporteur de la commission des affaires économiques. Comme lui, nous souhaitons que soit créée une autorité de régulation indépendante à la fois des opérateurs et de l'administration, mais liée à l'Etat. A cet égard, l'exemple de l'Autorité de régulation des télécommunications doit utilement guider notre travail.
Par ailleurs, au-delà de cette condition d'indépendance, le régulateur doit faire preuve de plusieurs qualités. Il doit d'abord être puissant, vu l'importance du marché qu'il est chargé de réguler. Il doit ensuite être flexible afin de suivre les évolutions d'un marché en permanente mutation. Enfin, il doit faire preuve de cohérence.
En matière sociale, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même avons souhaité prendre deux initiatives. La première concerne l'extension aux nouveaux entrants du statut des personnels des industries électriques et gazières. Cette disposition nous apparaît tout à fait contraire au droit communautaire et au principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Le fait d'imposer ce statut aux opérateurs privés risque, en outre, de représenter pour eux un surcoût estimé à 40 %, d'après les chiffres fournis par EDF. Cela donnera un avantage considérable aux entreprises étrangères, qui ne seront pas soumises à l'obligation d'appliquer le statut, et ne manquera pas d'encourager les délocalisations. C'est la raison pour laquelle nous proposerons, lors de l'examen des articles, la suppression de cette disposition.
En outre, il apparaît indispensable d'améliorer la transparence de la gestion du régime de retraite des agents d'EDF. La Cour des comptes...
M. Emmanuel Hamel. Noble institution !
M. Pierre Hérisson. ... a déjà appelé à plusieurs reprises l'attention des dirigeants de certaines entreprises publiques, notamment d'EDF, sur l'urgence qu'il y a à mentionner, de manière précise et complète, les engagements de retraites de leur personnel. Une entreprise comme EDF devra faire face à des charges futures très élevées qu'il convient d'évaluer et de prendre en considération dans les états comptables et financiers. A ce jour, elle présente des informations parcellaires sur ces questions, en parfaite contradiction avec les règles du code de commerce.
Avant de conclure mon propos, j'insiste sur l'importance qu'il y a à faciliter l'exercice des missions dévolues aux collectivités locales responsables du service public de la distribution. Il me semble juste d'aligner les procédures d'autorisation des installations de production des collectivités territoriales sur le droit commun. Il m'apparaît également souhaitable de revoir les modalités de rétribution de ces collectivités par leur concessionnaire pour l'occupation du domaine public. Comme l'a souligné M. le rapporteur, le prix des redevances n'a pas été révisé depuis plus de quarante ans. Il est temps de le faire.
L'industrie électrique française a devant elle des opportunités que le Gouvernement ne cesse de différer, opportunités offertes à EDF, aux clients éligibles et aux non-éligibles. Ces derniers, particulièrement les petites et moyennes entreprises, n'ont pas encore réalisé l'importance des changements en cours, car, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne les avez pas suffisamment sensibilisés. Pendant ce temps-là, leurs concurrents européens expérimentent déjà de nombreuses manières de négocier l'électricité.
Il aurait fallu transposer la directive « électricité » avec lucidité et réalisme. Vous avez choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, pour des raisons politiques, la prudence. En imaginant que notre pays pourra se contenter de quelques modestes aménagements, vous avez sous-estimé la réalité de la concurrence mondiale, actuelle et à venir.
Il s'agit d'un grand rendez-vous manqué au détriment de l'opérateur public et, en définitive, de l'intérêt national. Ces propos valent également pour la future transposition de la directive concernant le marché intérieur du gaz naturel. Mais il s'agit là d'un autre débat !
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, pour éviter les redites, j'indique que je souscris totalement à l'intervention de notre collègue Michel Mercier concernant la Compagnie nationale du Rhône. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nos services publics industriels et commerciaux, forgés à la Libération, ont puissamment contribué, dans leur organisation actuelle, au développement de notre pays au cours du dernier demi-siècle.
Mais, aujourd'hui, un de nos défis politiques majeurs réside bien dans l'adaptation de ces services publics à la nouvelle donne que constituent la construction européenne et la globalisation de l'économie.
Ce constat est évident, et je sais qu'il est partagé ici par nombre d'entre nous, au-delà des lignes de clivage de nos engagements respectifs.
Pourtant, quand il s'agit d'avancer dans la voie de cette adaptation, toutes les crispations conservatrices se réveillent. Et plutôt que de procéder aux changements nécessaires en temps utile, c'est-à-dire au moment où il est encore possible d'en diluer certains effets qui peuvent paraître amers dans la durée, on préfère les différer, quitte à accroître par là même la pénibilité des efforts qu'il est et sera inéluctable de faire.
A l'inverse, lorsqu'on décide de dire la vérité, de poser concrètement les problèmes, d'avancer résolument en réformant sans brutalité mais avec clarté et fermeté, on s'aperçoit alors que, finalement, tous y gagnent.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Larcher. Le gouvernement de M. Alain Juppé et notamment son ministre des postes et des télécommunications, M. François Fillon, ont fait preuve d'une telle détermination en 1996, en effaçant le monopole de France Télécom sur la téléphonie entre points fixes et en changeant le statut de notre opérateur public.
M. Henri Weber. Après Quilès !
M. Gérard Larcher. Souvenons-nous de ce que l'on entendait à l'époque ! Souvenons-nous de la défense du service public à la française, qui dissimulait en fait, pour beaucoup, reconnaissons-le aujourd'hui, une crispation sur le statu quo, voire de nouvelles formes de corporatisme. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Mais la réforme a été engagée, votée par le Parlement et apppliquée par les gouvernements successifs. On peut commencer aujourd'hui à en établir un prébilan.
On s'aperçoit que tous, même ceux qui la craignaient, y ont, en définitive, gagné.
Les salariés de France Télécom ? Leur statut a été préservé, ils sont devenus actionnaires de leur entreprise et ils continuent à appartenir à un grand opérateur de taille mondiale auquel l'avenir doit demeurer ouvert s'il sait continuer à s'adapter à une donne qui ne cesse d'évoluer. Alors qu'il était le quatrième opérateur mondial, il occupe aujourd'hui le onzième rang ; c'est une réalité à laquelle nous ne pourrons pas échapper, au-delà même de cet hémicycle.
Les consommateurs ? Leurs factures ont globalement diminué et ceux qui téléphonent beaucoup et loin y ont gagné. Pour autant, nos concitoyens les plus modestes n'ont pas été pénalisés. (M. Gérard Delfau s'exclame.) Bien au contraire, ils peuvent bénéficier de tarifs d'abonnement à prix réduit et la loi - celle qui a été adoptée par le Parlement en 1996, d'ailleurs sur l'initiative du Sénat - interdit de leur couper « le fil de la vie ». En outre, les prestations qui sont proposées aux consommateurs se sont élargies et diversifiées : le nombre des personnes qui ont accès à la téléphonie mobile a été multiplié quasiment par dix en trois ans. Pourtant, chère madame Bardou, il y a encore de nombreux territoires à desservir, et vous vous y employez.
M. Emmanuel Hamel. Quel beau territoire que la Lozère !
M. Gérard Larcher. Les entreprises ? Elles ont bénéficié à plein des modulations et des baisses de tarif, ce qui leur a permis d'alléger leurs charges et, par là, d'améliorer leur compétitivité, en évitant de recourir, par des procédures de call back, à des entreprises extérieures. Leurs clients en ont bénéficié et, avec eux, l'ensemble de notre économie.
L'Etat ? La vente des actions de France Télécom lui a apporté des recettes qui lui ont d'ailleurs permis de satisfaire aux conditions du traité de Maastricht et d'abonder ses finances.
Les Français ? Ils sont devenus actionnaires d'un des fleurons de notre économie et, de plus, ils ont réalisé l'une des plus belles opérations boursières de la décennie écoulée.
Notre opérateur France Télécom ? S'il a vu s'éroder - je l'évoquais - une part de son marché de la téléphonie fixe, il s'est fortement développé dans la téléphonie mobile ainsi que dans l'accès à Internet. Il affiche de brillants résultats et il est toujours dans la course dans un secteur où les nouvelles technologies impulsent des mutations radicales, ainsi que les nouvelles organisations des entreprises. C'est un sujet sur lequel il faudrait revenir.
Notre économie ? Elle a bénéficié de plus de dix milliards de francs d'investissements venant des opérateurs concurrents de France Télécom et des milliers de créations d'emploi qu'ils ont suscités.
Je ne m'appesantirai pas sur ce sujet, car ce qui importe, c'est d'avoir bien présent à l'esprit qu'en ce domaine c'est la réforme, et non l'immobilisme, qui est gage de succès.
Je remarquerai simplement que la réforme des télécommunications a eu lieu voilà plus de trois ans et qu'elle ne suscite guère aujourd'hui que des réflexions sur son approfondissement. S'il fallait la faire seulement aujourd'hui, les marges de manoeuvre qui existaient voilà trois ans encore seraient considérablement réduites et cela imposerait sans doute des mesures plus douloureuses et moins garantes de succès.
Or, que constate-t-on en analysant le présent projet de loi sur le service public de l'électricité,...
M. Henri Weber. Enfin !
M. Gérard Larcher. ... si ce n'est qu'il est plus inspiré par la crainte du changement que par l'ambition du mouvement ?
Il a, certes, le mérite d'exister et d'entrouvrir la porte. Il marque un premier pas et, bien sûr, il ne faut jamais mépriser les premiers pas. Mais l'évolution qu'il prévoit est bien timide. Je sais que, sur ce dossier, les acrobaties auxquelles est contrainte une majorité plurielle ne peuvent être gage ni de lucidité ni de cohérence !
A cet égard, la frilosité dont fait preuve le Gouvernement pour transposer la directive sur l'électricité en droit français ne peut qu'inquiéter ceux qui pensent que l'avenir ne se construit pas dans les casemates de la ligne Maginot.
Le Gouvernement fait-il donc si peu confiance à nos électriciens que, sous prétexte de les défendre - et il faut les défendre - il les cantonne sur leur pré carré national ?
M. Henri Weber. Sûrement pas !
M. Gérard Larcher. Alors que leur avenir, c'est le monde, il leur propose la rente illusoire du protectionnisme.
Avec Electricité de France, nous avons la chance de disposer d'un grand et bel outil industriel, fort de ses 130 000 agents et du succès de sa technologie, notamment dans le domaine nucléaire ; M. le rapporteur et M. Valade l'ont parfaitement exprimé. Or, le projet de loi ne semble pas se donner les moyens de valoriser cet atout.
Déjà, les atermoiements de la majorité gouvernementale et le retard pris pour transposer la directive ont beaucoup nui à notre opérateur public. Déjà, d'autres sont beaucoup plus avancés que nous dans la voie de la réforme. Pourtant, le texte qui nous est soumis, en surprotégeant notre opérateur, risque d'entraver son développement international. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. C'est évident !
M. Gérard Larcher. Mes chers collèges, vous le savez, c'est parce que je suis attaché au service public et aux missions qui lui incombent au service de nos concitoyens et de nos entreprises que je souhaite le voir se moderniser, s'adapter aux évolutions du monde qui l'entoure et se développer chez nos partenaires européens et ailleurs. Premier électricien européen, en termes de chiffre d'affaires, Electricité de France a les moyens et les compétences pour conquérir plus encore des parts de marché à l'étranger. Cela lui sera d'autant plus nécessaire que, sous l'effet de l'aiguillon concurrentiel inévitable, cette entreprise perdra quelques parts de marché en France.
Or, Electricité de France risque de payer cher la frilosité et ce retard. Déjà, la Commission européenne semble menacer de s'opposer à toute nouvelle implantation de notre opérateur en Europe et nos voisins brandissent la clause de réciprocité.
M. Henri Weber. On tremble !
M. Gérard Larcher. A cet égard, il convient de se réferer à London Electricity et à la Grande-Bretagne.
Le Gouvernement a choisi d'ouvrir a minima - c'était son droit - le marché de l'électricité à la concurrence, avec un seuil de 26 % dans un premier temps, alors que le degré moyen d'ouverture - cela a été rappelé à de nombreuses reprises aujourd'hui - chez nos partenaires européens est d'ores et déjà de 60 %.
Pour ma part, je ne suis pas hostile à une adaptation progressive et sereine aux règles de la concurrence. Ce peut parfois être le meilleur moyen d'amorcer le mouvement. Cette évolution par étapes résulte d'ailleurs d'une volonté partagée par nos gouvernements successifs. Cependant, encore faut-il ne pas biaiser le jeu et garantir l'effectivité de cette concurrence partielle. Or, le projet de loi, fruit de compromis politiques laborieusement négociés, sacrifie la réalité aux apparences. Il n'organise en fait qu'une apparence de concurrence ! Si je ne craignais pas de pasticher une formule publicitaire déjà ancienne, je dirais que ce que le Gouvernement organise, c'est une concurrence Canada dry ! Cela ressemble à de la concurrence, mais, en fait, cela n'en est pas !
Loin d'être exhaustif, je ne ferai que citer quelques points.
Tout d'abord, le gestionnaire du réseau de transport reste dans le giron d'EDF. De ce fait, ses décisions risquent d'être contestées, voire déférées au juge.
M. Henri Weber. On verra bien !
M. Gérard Larcher. La commission de régulation est insuffisamment indépendante et ses missions sont incomplètes.
L'interdiction du négoce d'électricité est aux antipodes de la lucidité économique et conduit tout droit à une certaine forme de schizophrénie : pas de négoce en France pendant que EDF crée une filiale de négoce à Londres !
L'encadrement des relations contractuelles entre fournisseurs et clients éligibles méconnaît l'essence même d'un contrat.
L'obligation pour l'ensemble des entreprises du secteur d'appliquer le statut des personnels des industries électriques et gazières entraîne un surcoût important par rapport au secteur privé. N'est-il d'ailleurs pas légitime de se demander jusqu'à quel point cette obligation pourra être mise en oeuvre tant elle paraît être exposée aux foudres du droit européen ?
Enfin, la réflexion du Gouvernement sur l'avenir du secteur électrique manque de souffle, la règle étant : « nier plutôt que fâcher ! ».
Le problème de l'avenir des retraites des électriciens me paraît singulièrement oublié. Le montant de leur pension représentera pourtant dans vingt ans 100 % de la masse salariale d'EDF ! Voilà une réalité qu'il faut regarder en face, comme nous l'avons fait pour France Télécom, monsieur le secrétaire d'Etat, et comme nous devrons le faire pour La Poste.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'ouverture à la concurrence du secteur électrique soit, certes, progressive, mais effective et clairement programmée, avec des règles du jeu loyales et strictement définies.
M. Henri Weber. C'est le cas ! Vous êtes donc comblé !
M. Gérard Larcher. Il y va de l'intérêt de tous.
Nul n'appelle de ses voeux un bouleversement radical du droit existant qui causerait des tétanies sociales inutiles. Mais le Sénat ne saurait se satisfaire d'un texte qui se contente d'enclencher le mouvement sans éclairer la suite du chemin. Quand on commence à traverser un gué, il faut savoir où l'on va si l'on ne veut pas être emporté par le courant ou être amené à renoncer au passage par crainte de la hauteur des flots !
M. Henri Weber. Cela dépend de ce qu'il y a sur l'autre rive !
M. Gérard Larcher. Je fais confiance à M. le rapporteur pour tracer cette voie qui est à même de recueillir l'assentiment du Sénat, et je tiens à saluer le travail considérable et constructif qu'il a déjà accompli pour nous permettre d'élaborer un bon projet de loi, c'est-à-dire un texte clair et plus facilement applicable.
J'en profite pour rendre hommage à la vaste réflexion que MM. Jacques Valade et Henri Revol ont menée l'an dernier, dans le cadre de la commission d'enquête, sur l'avenir de la politique énergétique française. Leur rapport contribue à éclairer nos débats.
M. Henri Weber. Ça, c'est vrai !
M. Gérard Larcher. J'achèverai mon propos sur une considération d'ordre général, qui demeure toutefois dans le droit-fil de ce que je viens de dire.
Voilà cinquante-cinq ans, à travers le Conseil national de la Résistance, la France s'est lancée dans un défi monumental. Elle a décidé la construction de nouvelles institutions économiques et sociales afin d'étouffer les ferments de décadence qui l'avaient amenée, un certain 17 juin 1940, là où elle était. C'était le bord de l'abîme et la suite des quarante premières années de ce siècle.
Dans leur organisation actuelle, nos services publics en réseaux sont nés de cette vaste ambition.
M. Gérard Delfau. Il faut s'en souvenir !
M. Gérard Larcher. Les trente années de croissance glorieuse qui ont suivi cette refonte de nos instruments d'économie publique ont amplement démontré la pertinence des choix alors effectués.
Aujourd'hui, cependant, la vigueur du modèle a décliné, cher Gérard Delfau. La question de son adaptation à la nouvelle donne économique, à la globalisation se pose. Ce système n'a-t-il pas été impuissant à endiguer la montée du chômage, quand d'autres pays en connaissaient moins ?
Alors, ne serait-il pas temps de dépasser certaines querelles ou propos stériles pour réfléchir à de nouvelles innovations structurelles qui seraient à même de moderniser nos services publics, dans la fidélité aux principes de la République ?
Voilà aussi l'enjeu de la réforme de nos services publics ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

11

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. J'informe le Sénat que M. Georges Mouly et Mme Hélène Luc demandent l'inscription respectivement de la question orale sans débat n° 592 et de la question orale sans débat n° 593 à l'ordre du jour de la séance du mardi 12 octobre 1999.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

12

SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de la qualité de vos interventions, qui nous permettra de mener, au cours de la discussion des articles, un travail de fond qui, comme d'habitude au Sénat, constituera une avancée par rapport au texte en discussion.
Je remercie tout particulièrement ceux d'entre vous qui ont bien voulu, à cette tribune, soutenir sans ambiguïté le texte du Gouvernement, notamment MM. Weber, Delfau, Besson et Pastor, ainsi que, dans une certaine mesure, avec la sensibilité qui est la sienne, M. Lefebvre, qui a également, sur bien des points, soutenu ce projet de loi.
Avant de répondre de manière très cursive à quelques-uns des intervenants, je voudrais d'emblée évoquer l'architecture générale de ce texte.
Tout d'abord, nous ne proposons pas, monsieur Lefebvre, d'engager une renégociation de la directive, comme vous l'avez d'ailleurs vous-même exclu : nous devons la transposer en droit interne et, comme l'a dit M. Pastor, la transposition la plus rapide, la plus claire et la plus nette sera à l'avantage de l'ensemble des intervenants du secteur électrique, en particulier d'EDF.
L'architecture de ce texte est donc simple : toute la directive, mais rien que la directive. Je tiens à le dire à M. Valade, notamment, qui a parlé avec quelques autres de transposition a minima. Un équilibre doit donc être trouvé pour appliquer et transposer en droit français de manière franche et loyale le texte européen. Nous agissons pour cela le plus vite possible ; il n'y a pas de manoeuvre retardataire, même si nous avons voulu prendre le temps de la discussion et de l'approfondissement.
Nous voulons également promouvoir les évolutions du système électrique français, mais sans bouleversement. C'est dire que, s'il y a ouverture et concurrence - et nous jouons ce jeu dans la limite de la philosophie de la directive européenne - nous entendons que le service public, concept que les députés communistes et socialistes, en particulier, ont enrichi lors du débat à l'Assemblée nationale, soit maintenu, promu, enrichi et conforté. Plusieurs d'entre vous, sur toutes les travées, ont abondé dans ce sens et l'orientation générale du Sénat est, à cet égard, très positive aux yeux du Gouvernement.
Nous entendons, je l'indique à M. Lefebvre, rester fondamentalement fidèles à la philosophie de la loi de 1946, même si, cinquante-trois ans après, il est normal de procéder à une actualisation pour tenir compte des données du monde de l'an 2000. En effet, plusieurs orateurs l'ont dit - notamment M. Weber - le monde a beaucoup évolué depuis la Seconde Guerre mondiale et les données économiques sont quelque peu différentes. Nous voulons cependant maintenir les grands principes, notamment politiques, qui sous-tendaient la construction de 1946 : ce texte, aux yeux du Gouvernement, s'inscrit naturellement dans la tradition du service public à la française.
Si des évolutions peuvent être enregistrées, monsieur Hérisson, c'est sans doute - mais j'y reviendrai dans un instant - dans le cadre des industries électriques et gazières, puisque, sous réserve d'un certain nombre d'exceptions et d'interprétations, le statut de 1946 s'applique d'ores et déjà aujourd'hui, avant la transposition, à toutes les entreprises de ce secteur.
Au-delà de l'architecture générale de ce texte, nous restons fidèles à l'idée de construction européenne tout en faisant valoir les spécificités de l'organisation interne française. Ainsi, comme dans d'autres secteurs de l'industrie et de l'activité sociale française, c'est la France qui a promu, à travers le concept de service universel, la notion de service public. Nous entendons donc que la transposition en matière électrique maintienne ce cap.
Nous souhaitons également demeurer fidèles à la liberté du producteur tout comme à celle du consommateur. Un équilibre doit donc être trouvé dans un contexte de concurrence libre et saine, comme l'un d'entre vous l'a dit tout à l'heure.
Nous sommes donc fidèles à la construction européenne et à la spécificité française du service public, tout en entendant mener une politique énergétique équilibrée.
M. Valade a eu raison d'insister tout à l'heure sur le rôle que jouait le nucléaire dans l'équilibre de la politique énergétique et de souligner l'importance, à cet égard, de la cogénération. Aujourd'hui, l'évolution technologique est telle que la cogénération représente déjà 4 000 mégawatts, soit à peu près l'équivalent de 3,5 tranches nucléaires. C'est une réalité, cela va au-delà du simple symbole !
M. Valade a aussi évoqué, ainsi que Mme Bardou, les nouvelles technologies. Je tiens à leur dire combien nous sommes attachés à ce que EDF et les autres producteurs français puissent faire appel aux technologies de pointe les plus récentes, manifestant ainsi le dynamisme de l'économie française.
Plusieurs orateurs ont insisté sur la nécessité d'inclure EDF dans une vision internationale globale. Il est bon de souligner, comme l'ont fait, chacun avec son point de vue, MM. Henri Weber et Gérard Larcher, que EDF est une entreprise internationale et qu'il est normal qu'elle se porte sur les marchés internationaux. A cet égard, il est remarquable, pour nous Français - disons-le ce soir entre nous au Sénat - que cette entreprise ait réussi d'importantes percées : la distribution électrique d'un certain nombre de capitales européennes n'est-elle pas élaborée aujourd'hui par l'entreprise publique française ? C'est bien une victoire que l'électricité soit distribuée à Londres par EDF ; c'est une illustration de la capacité d'une entreprise publique à conquérir des marchés à l'étranger et à être à la pointe de la puissance technologique française dans le monde.
Oui, comme M. Delfau l'a souligné à juste titre dans une formule qui, je crois, peut être reprise, la politique du possible et le pragmatisme sont bien à l'origine de ce projet de loi et du souffle que veut lui donner le Gouvernement, même si, comme l'a souligné M. Mercier, la prudence doit permettre qu'il y ait mouvement sans rupture par rapport aux traditions et à l'orientation générale d'un système qui a fait ses preuves, ainsi que plusieurs orateurs du groupe socialiste l'ont signalé.
Quant à l'avenir d'EDF, monsieur Larcher, nous avons confiance, vous et le Gouvernement, dans la capacité des opérateurs français de l'énergie, dans leurs personnels et dans leurs compétences. Il faut en être fier ! Je citais le cas d'EDF à Londres, et je pourrais, dans un autre domaine, citer le cas de Gaz de France à Berlin : dans les deux cas, nous sommes fiers d'avoir un système énergétique qui, dans la compétition internationale, remporte des victoires sur les marchés étrangers.
Loin de le maintenir dans l'immobilisme, nous souhaitons donc donner à notre système une véritable ambition.
Je vais maintenant répondre rapidement à votre rapporteur, M. Revol, étant entendu que je serai plus complet au cours de la discussion des articles.
M. Revol, dans son excellent rapport, nous a reproché d'avoir trop tardé. Nous n'avons pas eu la volonté de retarder le débat et la transposition ; en fait, mais nous avons souhaité prendre appui sincèrement sur une concertation très approfondie. Ainsi, le fait d'avoir consulté tous les conseils économiques et sociaux des régions a été, évidemment, un facteur d'allongement de la procédure ; le fait d'avoir consulté ensuite le Conseil économique et social, dont nous avons examiné attentivement le rapport, a également été un temps fort de la réflexion, même si cette concertation très large, avec, notamment, la nomination d'un parlementaire en mission et le recours aux meilleures compétences pour transposer en droit français les directives européennes, a pris, c'est vrai, environ dix-huit mois.
M. Hérisson, de son côté, a parlé de précipitation. Rien n'est précipité ! Nous avons tout le temps pour transposer, mais nous avons comme vous conscience et Mme Loyola de Palacio, la nouvelle commissaire européenne, vice-présidente de la Commission, chargée notamment du secteur de l'énergie, me le disait de son côté hier - qu'il est nécessaire pour la France de donner le signal qu'elle est sur le point d'achever la transposition. Il est en effet important que notre pays ne donne pas le sentiment à ses partenaires de l'Union qu'il ralentit le processus, étant donné les critiques qui ont été rappelées à cette tribune voilà quelques instants par plusieurs d'entre vous.
M. le rapporteur a regretté que ce texte comporte trop de dispositions réglementaires. Vous savez bien, monsieur Revol, que nous nous inscrivons parfaitement dans le cadre des articles 34 et 37 de la Constitution ! Vous savez aussi que le Conseil d'Etat nous a indiqué - et son avis en la matière est, comme toujours, fondé - ce qui ressortissait au domaine législatif et au domaine réglementaire.
Nous prendrons les principaux décrets sur l'éligibilité, sur la mise en place de la commission de régulation de l'électricité, dans les semaines qui suivront la promulgation de la loi par le Président de la République. Ces décrets seront soumis au conseil supérieur de l'électricité et du gaz, où le Parlement - et donc le Sénat - est représenté, et nous ferons preuve à la fois d'efficacité et de célérité.
Monsieur Revol, aucun corset n'enserre EDF, qui a besoin, c'est exact, de faire du négoce. La création d'EDF Trading à Londres, assortie d'une répartition des compétences - à Londres la compétence financière, à Paris la compétence énergétique - respecte l'intérêt de cette entreprise en maintenant le centre des décisions stratégiques en France.
Mais nous entendons poser des conditions dans ce domaine. Comme pour les hydrocarbures, le marché, dont nous lisons l'évolution à travers l'impératif national de sécurité d'approvisionnement et d'indépendance nationale énergétique, doit être encadré.
C'est ainsi qu'il faut, à mon sens, interpréter la position adoptée par l'Assemblée nationale et approuvée par le Gouvernement. Elle opte pour cet encadrement relatif qui persiste à assigner des objectifs clairs à une politique énergétique qui est elle-même à la fois déterminée et dépourvue d'ambiguïté.
Le sujet de la commission de régulation de l'électricité a été abordé par MM. Revol, Valade et Delfau. Je dirai à ce dernier que le système que nous proposons pour l'électricité ne consiste pas à copier l'ART. Non pas que celle-ci ne présente pas d'énormes avantages, notamment son expertise et la qualité de ses conseils et avis.
M. Gérard Larcher. Tout à fait !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je crois toutefois que le système électrique présente une spécificité que l'on a d'ailleurs soulignée à l'envi tout à l'heure, monsieur Gérard Larcher. Comme l'a dit un orateur du groupe socialiste, l'électricité n'est pas un bien comme un autre, c'est un bien spécifique.
La commission de régulation de l'électricité, ou CRE, a déjà, M. Weber l'a souligné, de réels pouvoirs centrés sur l'accès des tiers au réseau.
Si le Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, est prêt à compléter et à parfaire les pouvoirs de la CRE en s'inspirant, notamment, du rapport Champsaur que j'ai commandé voilà quelques semaines, il n'entend toutefois pas étendre le rôle de la CRE dans la définition de la politique énergétique.
Il faut être bien d'accord : la politique énergétique du pays est définie par le Gouvernement et elle est contrôlée par le Parlement. Il ne revient pas à une commission de régulation de se substituer au pouvoir exécutif pour définir et orienter la politique de la nation dans le domaine énergétique.
J'en viens à l'aide aux plus démunis, que M. Revol a suggéré d'encadrer ; je crois savoir que les amendements de la commission iront en ce sens. Nous devons être d'accord, et je pense que M. le rapporteur ne me démentira pas sur ce point. C'est une disposition essentielle qui a été enrichie par l'Assemblée nationale. Il est donc fondamental que le Sénat maintienne le principe d'une aide qui doit être précisée aux plus démunis.
Si le Gouvernement accepte un meilleur encadrement de ce dispositif, il tient à affirmer d'emblée le caractère majeur de ce dispositif dans sa conception du service public et du rôle du service public à l'égard des plus démunis. Pour autant, il ne saurait être question de voir, dans les propositions qui seront faites, un prétexte pour EDF de réaliser des économies. C'est en effet l'honneur du service public et d'EDF de remplir ce rôle et d'assumer cette mission. L'objectif est de maintenir la qualité du service public. M. Revol a posé la question, je lui réponds positivement.
Quant au financement de ce service public, auquel tous ses bénéficiaires participent, il doit être équitable, moderne et ne pas handicaper la compétitivité des entreprises. Le Gouvernement est donc prêt à améliorer le texte en la matière tout en préservant les deux principes d'équité et de modernité de la démarche.
M. Weber a souligné sur un mode que j'aurais moi-même pu retenir, au nom du groupe socialiste, l'importance de la politique industrielle et de sa résonance en matière de service public et en matière sociale.
Il a souligné, à juste titre, que le prix de notre électricité était parmi les plus bas en Europe et qu'il s'agissait pour nous de définir une véritable politique énergétique nationale, intégrant les caractères d'indépendance, de vision à long terme et de sécurité d'approvisionnement pour les Français ; je le remercie d'avoir adhéré à cette démarche.
M. Valade, pour sa part, m'a posé une question très importante sur les retraites. A cet égard, je rappellerai que EDF et GDF assurent aujourd'hui le financement des charges de retraite de leurs personnels sans que les charges futures soient provisionnées. Ces deux entreprises appliquent en cela les règles du code du commerce, qui n'obligent pas les entreprises à provisionner les engagements de retraite, même lorsqu'il s'agit d'un régime dit à prestations définitives, c'est-à-dire d'un régime dont la charge pour l'employeur ne dépend pas d'une cotisation libératoire.
Seules les sociétés cotées ont une obligation de provisionnement imposée de facto par les marchés. Il serait donc paradoxal, à mon avis, d'imposer à des établissements publics des règles de provisionnement auxquelles échappent les entreprises privées, sauf à penser - mais je remercie M. Valade de m'aider à être clair, une fois de plus, sur cette question - sauf à penser, disais-je, que le Gouvernement s'apprêterait à privatiser ces entreprises, ce qui n'est pas le cas. Je rassure tous ceux qui pourraient s'inquiéter.
M. Jacques Valade. Je n'avais aucune crainte à ce sujet ! (Sourires.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. N'ayez aucune crainte en effet, car, vraiment, telle n'est pas notre intention.
Vous avez également, monsieur Valade, avec plusieurs de vos collègues, posé une question fort importante sur le gestionnaire du réseau public de transport, le GRT.
Je veux ici préciser la réponse qu'appelle votre interrogation. Cela nous aidera peut-être dans la discussion des amendements.
Le Gouvernement s'est engagé fermement pour que EDF reste une entreprise intégrée, tout en étant désignée gestionnaire du réseau de transport. C'est clair : aux yeux du Gouvernement, qui n'envisage pas de filialisation, du GRT, le gestionnaire du réseau du transport, c'est EDF.
Néanmoins, le Gouvernement est ouvert, par esprit de transparence, à tout débat sur le fonctionnement du GRT dans les années à venir, lorsque pourront être tirés les enseignements de l'expérience de son fonctionnement tel que le prévoit le texte que vous examinez. Il faut le temps et le recul nécessaires pour apprécier correctement les avantages et les incertitudes de la formule actuelle. En tout état de cause, un délai d'un an me paraît insuffisant pour disposer de l'expérience nécessaire à ce débat de fond extrêmement important.
C'est pourquoi le Gouvernement estime que c'est en 2003, au moment de la troisième étape de l'ouverture prévue par la directive, que ce débat se justifiera vraiment.
M. Pastor, parmi d'autres questions fondamentales, a évoqué la contribution au FACE. Comme chacun le sait ici, l'assiette de la taxe qui finance ce fonds est constituée par les recettes basse tension des distributeurs.
Par conséquent, tant que les seuils d'éligibilité ne concernent pas les consommations basse tension, les contributions au FACE sont inchangées et les contributeurs restent les mêmes. Si les seuils venaient à être ultérieurement abaissés, il devrait bien entendu en être tenu compte dans l'assiette.
Cette question a été résumée avec beaucoup de brio par M. Besson en ces termes : « Le FACE est la force de frappe du service public en milieu rural. »
M. Henri Weber. Du FACE, faisons table rase ! (Sourires.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Du FACE, faisons effectivement une force de frappe en milieu rural ! Il s'agit tout de même de trois milliards de francs de travaux !
Pour répondre à M. Poniatowski, en m'inspirant de l'argumentation de M. Besson, je dirai qu'il n'est pas question, bien entendu, de consacrer tous les avantages à la ville. Les tarifs du réseau de distribution devront tenir compte de l'ensemble des coûts - je le précise aussi parce que c'est une question que vous avez posée - y compris des coûts de développement, comme le propose l'Europe.
L'équilibre du service public par rapport au libéralisme, monsieur Lefebvre ? Sur ce point, soyons très simples et très clairs : l'organisation électrique de la Grande-Bretagne n'est pas - j'y insiste - le modèle que le Gouvernement propose au Sénat d'adopter.
Sur les travées de la majorité sénatoriale - M. Murat, par exemple - comme sur ceux de l'opposition sénatoriale - notamment vous, monsieur Lefebvre - plusieurs d'entre vous ont souligné les profonds désavantages d'un système à l'anglaise qui ne poursuit, à travers des objectifs au fond quelque peu idéologiques, que la seule démarche de l'ouverture et du libéralisme, sans être suffisamment assuré de préserver l'égalité entre les consommateurs, y compris les tout petits consommateurs et les plus démunis d'entre eux.
Telle n'est pas notre démarche, soyez-en assurés. Il ne s'agit pas d'appliquer les solutions libérales qui sont mises en oeuvre par nos partenaires européens.
Nous n'avons pas attendu l'ouverture de ce débat pour instaurer la baisse des tarifs de l'électricité. Elle est d'ores et déjà très importante : de 1997 jusqu'à la fin 2000, le dernier chiffre étant une prévision, en francs constants, le tarif de l'électricité, en France, aura baissé de près de 13,5 %. C'est donc tout à fait remarquable.
J'ajoute, à l'intention de M. Gérard Larcher, que l'on observe également, s'agissant de France Télécom - il convient peut-être de le mentionner - des baisses régulières et fortes qui témoignent de la capacité d'une entreprise publique ou à participation publique de baisser ses prix, d'offrir des tarifs, y compris aux plus démunis, en réduction significative.
Le Gouvernement affirme que cette baisse se poursuivra au cours des prochaines années, pour permettre à tout le monde, pas simplement aux entreprises, pas simplement aux éligibles, pas simplement aux gros consommateurs d'électricité, de bénéficier des bienfaits de la concurrence. Le petit consommateur doit également profiter du progrès technologique, de l'avance française en matière d'énergie et des résultats positifs de la concurrence en matière de baisse des tarifs.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je voulais apporter. Il s'agit d'une orientation claire et déterminée. Il y a une politique énergétique définie par le Gouvernement et contrôlée par le Parlement. Il y a une ouverture maîtrisée de la concurrence et il y a une volonté de parfaire, avec le Sénat, un texte qui, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale, paraît très satisfaisant et auquel vous pouvez apporter votre touche particulière, mesdames, messieurs les sénateurs. Le Gouvernement est prêt à travailler de manière positive avec vous. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

LE SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Le service public de l'électricité a pour objet de garantir l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général.
« Dans le cadre de la politique énergétique, il contribue à l'indépendance et à la sécurité d'approvisionnement, à la qualité de l'air et à la lutte contre l'effet de serre, à la gestion optimale des ressources nationales, à la maîtrise de la demande d'énergie, à la compétitivité de l'activité économique et à la maîtrise des choix technologiques d'avenir, comme à l'utilisation rationnelle des énergies.
« Il concourt à la cohésion sociale, en assurant le droit à l'électricité pour tous, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu'à la défense et à la sécurité publique.
« Matérialisant le droit de tous à l'électricité, produit de première nécessité, le service public de l'électricité est géré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique.
« Le service public de l'électricité est organisé, chacun pour ce qui le concerne, par l'Etat et les communes ou leurs établissements publics de coopération. »
Par amendement n° 231, M. Hérisson propose, dans le deuxième alinéa de cet article, après les mots : « d'approvisionnement », d'insérer les mots : « conçues dans un cadre européen ».
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Cet amendement vise à affirmer clairement la nécessité de l'indépendance énergétique et de la sécurité d'approvisionnement. Il est aujourd'hui impossible de raisonner dans un cadre strictement national.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Il est défavorable, et je viens d'expliquer pourquoi. Il existe une politique énergétique française qui a des spécificités et dont nous devons maintenir l'orientation nationale.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 231.
M. Robert Bret. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Nous voterons contre cet amendement qui ne trouve, à notre sens, absolument pas sa place dans le texte et qui est de surcroît en parfaite contradiction avec l'alinéa qui précède, selon lequel : « Le service public de l'électricité a pour objet de garantir l'approvisionnement du territoire national, dans le respect de l'intérêt général ».
Il est, en outre, paradoxal de prétendre défendre l'indépendance énergétique nationale dans le cadre européen, alors que c'est l'Union européenne qui nous oblige, par la directive 96-92, à mettre en concurrence les différents opérateurs nationaux.
Je précise, enfin, à l'adresse de notre collègue M. Hérisson qu'il n'existe pas, à l'échelle européenne, de politique énergétique à part entière ; il serait donc vain d'espérer une quelconque cohérence des stratégies mises en oeuvre par les Etats membres de l'Union européenne, car celles-ci peuvent être contradictoires.
Notre groupe votera donc contre cet amendement, qui relève davantage, me semble-t-il, d'une idéologie que d'une réalité économique.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 231, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 300, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, dans le deuxième alinéa de l'article 1er, après les mots : « à la gestion optimale », les mots : « et au développement ».
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Le titre Ier de ce projet de loi précise, dans le nouveau cadre défini par la directive communautaire, les missions et le champ d'action du service public de l'électricité.
Donner force de loi aux engagements assumés par Electricité de France depuis sa nationalisation en 1946 représente certes une garantie pour l'avenir, à la condition toutefois que l'on soit parfaitement précis et complet s'agissant du contenu, de l'étendue et de la finalité du service public de l'électricité.
Les députés communistes ont largement contribué à améliorer et à donner du relief à la rédaction de cet article 1er, notamment en y introduisant la notion d'intérêt général et en mentionnant les considérations environnementales, mais surtout en prévoyant un « droit à l'électricité pour tous ».
Ce droit implique qu'il soit mieux répondu dans l'avenir aux besoins des usagers, en mettant en place un dispositif d'aide aux plus démunis, mais aussi en recherchant les moyens techniques, économiques et humains de valoriser au mieux nos propres ressources nationales, dans les meilleures conditions de qualité et de sécurité pour la population.
C'est pourquoi préconiser une simple gestion de l'existant ne peut être considéré comme suffisant et pertinent.
Nous ne pouvons pas, aujourd'hui, nous interdire d'avoir recours à de nouvelles ressources, si les technologies le permettent et si l'exploitation de nouveaux gisements assure, par ailleurs, la préservation de l'environnement et la création d'emplois.
En outre, à l'heure où, dans notre pays, un débat s'est instauré à propos du nucléaire, cet amendement revêt un caractère particulier.
En effet, notre proposition vise à favoriser la diversification des sources d'énergie sur notre territoire et, dans le même temps, à garantir l'indépendance nationale.
En inscrivant dans la loi l'objectif du développement de nos ressources nationales, nous entendons de ne pas hypothéquer nos chances de découvrir de nouveaux sites et nous entendons assurer les moyens de les exploiter, de les valoriser.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Cet avis est favorable, monsieur le président. Mais une fois ne sera pas coutume !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. M. Bret a eu raison de souligner l'apport décisif des députés communistes lors de la discussion de ce texte à l'Assemblée nationale.
Pour cet amendement, qui s'inspire d'une philosophie proche de celle de ses collègues, je m'en remettrai cependant à la sagesse du Sénat. Il appartient en effet au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, de décider des choix de développement des ressources nationales énergétiques. Les décisions ne peuvent pas être prises à n'importe quel prix, comme le rappelle périodiquement l'examen des coûts de référence de la production d'électricité.
Quant au service public, il lui revient d'assurer la gestion optimale des ressources une fois étudiées les conditions économiques, écologiques et sociales de leur développement.
Cet amendement risque, à mon avis, d'inciter à demander la relance ou la prolongation de l'exploitation de certaines ressources, alors même que les conditions économiques ne s'y prêtent pas. C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 300, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. Henri Weber. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 246, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, au deuxième alinéa de l'article 1er, après les mots : « d'avenir », les mots : « à la nouvelle définition des centres nucléaires type EPR - European pressurized water reactor - au développement de la cogénération ».
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Le deuxième alinéa de l'article 1er porte sur la maîtrise des choix technologiques d'avenir. Avec cet amendement, nous nous inscrivons dans la ligne tracée par l'amendement n° 300 ; qui vient d'être adopté, en apportant une précision qui nous paraît tout à fait indispensable et, comme M. le secrétaire d'Etat l'a souhaité, en traçant le chemin dans lequel il faut nous engager.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Pour les raisons déjà indiquées pour les deux amendements précédents, j'y suis défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 246.
M. Henri Weber. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber. Il me semble que cet amendement n'a pas sa place dans un article édictant des principes généraux. Par conséquent, nous voterons contre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 246, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 19, M. Revol au nom de la commission, propose, à la fin du deuxième alinéa de l'article 1er, de remplacer les mots : « des énergies » par les mots : « de l'énergie ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. C'est un amendement rédactionnel. On parle en effet de politique ou de maîtrise de l'énergie et non des énergies.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 247, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent :
I. - Au troisième alinéa de l'article 1er, de remplacer les mots : « le droit à l'électricité » par les mots : « l'accès à l'électricité ».
II. - En conséquence, de procéder à la même modification dans l'ensemble des autres dispositions du texte.
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Comme l'a dit tout à l'heure M. le secrétaire d'Etat, le droit à l'électricité doit être encadré. Par ailleurs, comme vient de l'exposer M. Weber, mieux vaut en rester aux généralités et utiliser le terme « accès » plutôt que le terme « droit ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission n'a pas voulu entrer dans une querelle sémantique entre le « droit à l'électricité » et « l'accès à l'électricité ». Il est néanmoins clair que, pour nos concitoyens, la desserte électrique est un droit.
La commission demande donc le retrait de l'amendement n° 247 au bénéfice de l'amendement n° 37, qui recentre le dispositif sur l'aide aux plus démunis et supprime la tranche sociale.
M. le président. Monsieur Valade, l'amendement est-il maintenu ?
M. Jacques Valade. Il y a confusion entre l'accès au réseau électrique, tout particulièrement en termes d'aménagement du territoire, d'installation de lignes pour que tout le pays soit irrigué, et le droit à l'électricité, qui relève de la solidarité que nous devons aux plus démunis.
Je ne retire donc pas cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure à la tribune, le droit à l'électricité est un droit dont les conditions d'exercice doivent être précisées, encadrées.
Je ne ferai pas de procès d'intention à M. Valade. J'affirme néanmoins qu'il ne faut pas que l'avancée sociale décidée par l'Assemblée nationale soit remise en cause aujourd'hui.
M. Jacques Valade. Cela n'a rien à voir !
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le service public intègre maintenant un dispositif qui vise à assurer une tarification spéciale « produit de première nécessité » pour certains usagers. Le contenu concret d'un droit est donc défini.
Le renforcement du mécanisme d'aide pour la fourniture d'électricité aux plus démunis, des dispositions spécifiques pour prévenir et éviter les coupures, voilà une concrétisation du droit à l'électricité pour tous, qui doit rester une avancée sociale et politique !
C'est pourquoi je suis défavorable à l'amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 247.
M. Robert Bret. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Cet amendement de M. Valade et des membres du groupe du RPR vise à supprimer l'un des acquis majeurs de l'Assemblée nationale obtenu par les députés communistes : le droit à l'électricité pour tous.
L'inscription dans la loi d'un droit de cette nature correspond, en réalité, à l'esprit des lois de nationalisation de 1946 voulu, me semble-t-il, monsieur Valade, par le général de Gaulle lui-même.
Ce droit à l'électricité s'inscrit, à mon sens, dans le prolongement des combats de la Résistance pour l'émancipation des hommes et le progrès social. Aussi, je m'étonne qu'un parti se réclamant du gaullisme s'attaque aujourd'hui à un tel symbole.
L'électricité est un bien essentiel à la vie, comme peuvent l'être le logement, l'éducation ou encore la santé. Il est dans l'ordre des choses de reconnaître enfin un droit à l'électricité auquel chaque individu peut prétendre, quelles que soient ses conditions sociale et économique.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera résolument contre l'amendement.
M. Jacques Valade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Je vais expliquer non seulement mon vote mais également celui des membres de mon groupe.
Monsieur Bret, je veux bien que vous évoquiez l'histoire de la Résistance - sans doute l'avons-nous partagée - mais il est clair qu'en cet instant nous sommes dans le droit-fil de ce que nous avons toujours souhaité.
Il ne s'agit pas, en l'occurrence, du problème social. A cet égard, je dénie d'ailleurs à quiconque le droit de nous donner des leçons.
Nous sommes simplement en train, en ce qui concerne les principes généraux, d'essayer de mettre en place un dispositif de nature à fournir à l'ensemble du territoire national ce dont il a besoin, c'est-à-dire un réseau électrique. Voilà la raison pour laquelle nous parlons d'accès au réseau à cet endroit du projet de loi.
Pour le reste, nous sommes parfaitement d'accord. M. le rapporteur a d'ailleurs évoqué, après M. le secrétaire d'Etat, les dispositions correspondantes.
Aussi je vous en prie, ne faites pas d'amalgame, monsieur Bret !
Comme mes collègues, je voterai donc cet amendement, mais dans l'esprit que je viens, d'exposer et non dans celui dans lequel vous essayez de nous enfermez.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 247, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 248, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent, au quatrième alinéa de l'article 1er, après le mot : « adaptabilité » d'insérer les mots : « et des règles de concurrence ».
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. C'est un amendement de cohérence. Puisque ce projet de loi organise la concurrence, il est bon d'évoquer celle-ci dès l'article 1er.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur cet amendement, qui rappelle que le service public doit être géré dans le respect des règles de la concurrence.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'est pas de cet avis. La concurrence ne lui paraît pas être au nombre des principes fondateurs du service public, qui sont la continuité, l'adaptabilité, l'égalité d'accès.
Je relève par ailleurs que le texte contient bien des dispositions qui apportent des garanties suffisantes quant au jeu libre et loyal de la concurrence.
Il est par conséquent quelque peu contradictoire de vouloir insérer les valeurs du service public à l'intérieur de la mécanique économique de la concurrence, qui n'a rien à voir avec ces valeurs. M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 248.
M. Henri Weber. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber. On assiste à une percée théorique intéressante, à une redéfinition du concept de service public par l'introduction d'une qualification supplémentaire tout à fait inhabituelle.
Selon moi, il faut, pour une fois, faire preuve de conservatisme et en rester à l'ancienne définition. A mon sens, les règles de concurrence n'ont en effet rien à voir avec les principes qui définissent le service public.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 248, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 20, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans le dernier alinéa de l'article 1er, après les mots : « Le service public de l'électricité est organisé, » de supprimer les mots : « , chacun pour ce qui le concerne, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 20, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - Selon les principes et conditions énoncés à l'article 1er, le service public de l'électricité assure le développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, le développement et l'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, ainsi que la fourniture d'électricité, dans les conditions définies ci-après.
« I. - La mission de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité vise :
« 1° A réaliser les objectifs définis par la programmation pluriannuelle des investissements de production arrêtée par le ministre chargé de l'énergie ;
« 2° A garantir l'approvisionnement des zones du territoire non interconnectées au réseau métropolitain continental.
« Les producteurs contribuent à la réalisation de ces objectifs. Les charges qui en découlent, notamment celles résultant des articles 8 et 10 de la présente loi, font l'objet d'une compensation dans les conditions prévues au I de l'article 5.
« II. - La mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité consiste à assurer :
« 1° La desserte rationnelle du territoire national par les réseaux publics de transport et de distribution, dans le respect de l'environnement, et l'interconnexion avec les pays voisins ;
« 2° Le raccordement et l'accès, dans des conditions non discriminatoires, aux réseaux publics de transport et de distribution.
« Sont chargés de cette mission Electricité de France, en sa qualité de gestionnaire du réseau public de transport et de réseaux publics de distribution, ainsi que les collectivités concédantes de la distribution publique d'électricité agissant dans le cadre de l'article 36 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, et, dans leur zone de desserte exclusive, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, en leur qualité de gestionnaires de réseaux publics de distribution. Ils accomplissent cette mission conformément aux dispositions des titres III et IV de la présente loi et, s'agissant des réseaux de distribution, aux cahiers des charges des concessions ou aux règlements de service des régies mentionnés à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales. Les charges résultant de cette mission font l'objet d'un financement dans les conditions prévues au II de l'article 5 en matière d'exploitation des réseaux.
« III. - La mission de fourniture d'électricité consiste à assurer sur l'ensemble du territoire :
« 1° La fourniture d'électricité aux clients qui ne sont pas éligibles au sens de l'article 22 de la présente loi, en concourant à la cohésion sociale, au moyen de la péréquation géographique nationale des tarifs, de la garantie de maintien temporaire de la fourniture d'énergie instituée par l'article 43-5 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion et du dispositif institué en faveur des personnes en situation de précarité par l'article 43-6 de la même loi, et en favorisant la maîtrise de la demande d'électricité. Cette fourniture d'électricité s'effectue par le raccordement aux réseaux publics ou, le cas échéant, par la mise en oeuvre des installations de production d'électricité de proximité mentionnées à l'article L. 2224-33 du code général des collectivités territoriales.
« Pour garantir le droit à l'électricité, la mission d'aide à la fourniture d'énergie aux personnes en situation de précarité mentionnée ci-dessus est élargie pour permettre à ces personnes de bénéficier, en fonction de leur situation particulière et pour une durée adaptée, du dispositif prévu aux articles 43-5 et 43-6 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 précitée.
« Un décret définira les modalités de cette aide, notamment les critères nationaux d'attribution à respecter par les conventions départementales en fonction des revenus et des besoins effectifs des familles et des personnes visées à l'article 43-5 de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 précitée ;
« 2° Une fourniture d'électricité de secours aux producteurs ou aux clients éligibles raccordés aux réseaux publics, lorsqu'ils en font la demande. Cette fourniture de secours vise exclusivement à pallier des défaillances imprévues de fournitures et n'a pas pour objet de compléter une offre de fourniture partielle ;
« 3° La fourniture électrique à tout client éligible lorsque ce dernier ne trouve aucun fournisseur.
« Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dans leur zone de desserte exclusive, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont les organismes en charge de la mission mentionnée au 1°. Ils accomplissent cette mission conformément aux dispositions des cahiers des charges de concession ou aux règlements de service des régies mentionnés à l'article L. 2224-31 du code général des collectivés territoriales. Les charges résultant de la mission de cohésion sociale sont réparties entre les organismes de distribution dans les conditions prévues au II de l'article 5 de la présente loi.
« Electricité de France assure la mission mentionnée au 2°, ainsi que les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée s'ils disposent des capacités de production nécessaires, en concluant des contrats de secours dont les conditions financières assurent la couverture de la totalité des coûts supportés par Electricité de France et les distributeurs non nationalisés. Lorsque la fourniture d'électricité de secours est effectuée à partir du réseau public de distribution, Electricité de France et les distributeurs non nationalisés accomplissent cette mission conformément aux dispositions des cahiers des charges de concession ou des règlements de service des régies mentionnés à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales. Dans tous les cas, la décision de refus est motivée et notifiée au demandeur.
« Electricité de France et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée assurent la mission mentionnée au 3° en concluant des contrats de vente, dans la limite de leurs capacités de fourniture et dans des conditions financières qui tiennent notamment en compte de la faible utilisation des installations de production mobilisées pour cette fourniture. Lorsque la fourniture est effectuée à partir du réseau de distribution, Electricité de France et les distributeurs non nationalisés accomplissent cette mission conformément aux dispositions des cahiers des charges de concession ou des règlements de service des régies mentionnés à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales. »
Par amendement n° 249, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent, au quatrième alinéa du I de cet article, après le mot : « producteurs », d'insérer les mots : « , et notamment Electricité de France, ».
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. En fait, cet amendement rejoint la rédaction initiale du Gouvernement. Il n'est pas mauvais de préciser - vous voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est moi qui le demande ! - que EDF fait partie des producteurs.
M. le président. Quel est avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement émet un avis de sagesse très favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 249, sur lequel la commission et le Gouvernement s'en remettent à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 21, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans la seconde phrase du dernier alinéa du I de l'article 2, après les mots : « d'une compensation », d'insérer le mot : « intégrale ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Il est souhaitable de préciser que la compensation du coût de la mission de développement équilibré de l'approvisionnement est intégrale car, si tel n'était pas le cas, la différence serait à la charge d'EDF.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 301, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le premier alinéa du II de l'article 2 par les mots : « dans les meilleures conditions de disponibilité, de fiabilité, de sécurité, de qualité, de sûreté du système et de préservation du patrimoine. »
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Cet amendement tend à préciser les conditions d'un bon exercice de la mission de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution qui incombe au service public de l'électricité.
Cette précision, qui pourra apparaître à certains de nos collègues quelque peu formelle, voire inutile, est, selon nous, au contraire, plus que jamais indispensable avec la libéralisation qui nous est imposée.
Certes, les activités de transport et de distribution ne sont pas ouvertes à la concurrence ; cependant, elles seront soumises à une forte pression, d'une part, des producteurs privés, qui voudront emprunter le réseau au moindre coût, d'autre part, des clients éligibles, qui veulent également accéder au réseau à une tarification leur permettant de baisser leurs dépenses d'approvisionnement.
Compte tenu du coût que représentent le transport et la distribution dans le prix du kilowattheure - environ 30 % - il paraît évident que c'est d'abord sur ces activités que l'exigence de rentabilité financière sera la plus forte.
Dès lors, le risque est grand de voir le gestionnaire du réseau public de transport, c'est-à-dire EDF, mais aussi EDF dans ses activités de distribution et les distributeurs non nationalisés, sacrifier la qualité du service en vue de répondre aux exigences du marché et des opérateurs privés.
Enfin, la création de lignes directes entre un producteur et un client éligible ou entre un producteur et ses filiales, en vertu de l'article 24, fait naître une inquiétude supplémentaire.
Selon nous, le statut de « monopole naturel » reconnu par la directive au domaine du transport et de la distribution d'électricité ne constitue en aucune manière une garantie suffisante de sécurité et de qualité, dès lors que les activités évoluent désormais dans un univers concurrentiel avec la double gestion des producteurs et des consommateurs industriels.
C'est pourquoi il nous semble absolument nécessaire de préciser, dès cet article 2, de quelle façon et sur la base de quels principes le service public de transport et de distribution doit se réaliser.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement y est favorable, car il lui semble légitime que le texte précise les conditions d'exercice des missions de service public concernant les réseaux.
J'ai toutefois une petite inquiétude personnelle concernant la notion de « sûreté du système ». Il s'agit sans doute du « système électrique » !
M. Henri Weber. Ce n'est sûrement pas le système politique ! (Sourires.)
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. L'expression « sûreté du système » n'est pas très précise.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 301, repoussé par la commission et accepté par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 250, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent, dans la première phrase du quatrième alinéa du II de l'article 2, de remplacer les mots : « Electricité de France, en sa qualité de gestionnaire du réseau public de transport et de réseaux publics de distribution » par les mots : « le gestionnaire du réseau de transport en application de l'article 13 et les gestionnaires de réseaux publics de distribution définis à l'article 18 de la présente loi ».
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. La responsabilité du développement et de l'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution appartient logiquement aux gestionnaires de ces réseaux.
Or, dans cet article du projet de loi, cette mission est confiée à l'établissement public, ce qui introduit une confusion entre la définition des responsabilités et les modalités d'organisation des gestionnaires.
Cela doit être clarifié en ne faisant référence, dans cet article, qu'aux organes responsables de cette mission, et en renvoyant aux articles 13 et 18 la définition des modalités d'organisation avec l'opérateur public.
Cette clarification est d'autant plus importante que le projet de loi prévoit, pour la gestion du réseau de transport, de maintenir le GRT au sein de l'opérateur public, ce qui nécessite des précautions particulières pour garantir son indépendance, et celle-ci en est une.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement constitue une coordination par anticipation avec l'amendement n° 275 de M. Valade à l'article 13, mais il est utile de toute façon et quelle que soit la forme juridique qu'aura le GRT. La commission s'en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement exprime un désaccord qu'il souhaite nuancer par une brève explication.
L'article 2 est destiné à définir les missions du service public de l'électricité et à désigner les opérateurs qui en ont la charge.
L'amendement proposé par M. Valade aurait pour effet de supprimer inutilement dans cet article le parallélisme entre les dispositions du quatrième alinéa du II et celles du septième alinéa du III, qui font référence aux cahiers des charges dans le cadre desquels sont accomplies ces missions.
Enfin, le maintien, en ce qui concerne EDF, d'un opérateur intégré - je le redis ici avec force - est un engagement du Gouvernement qui se justifie du point de vue de la rationalité économique et de la compétitivité nationale dans le secteur de l'énergie. Il est d'ailleurs conforme aux obligations fixées par la directive.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement 250, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 22, M. Revol, au nom de la commission, popose, dans la première phrase du dernier alinéa du II de l'article 2, de remplacer le mot : « collectivités » par le mot : « autorités ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 22, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 205 rectifié bis, MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César proposent de compléter la première phrase du dernier alinéa du II de l'article 2 par les mots suivants : « , ainsi que les collectivités organisatrices de la distribution publique d'électricité les ayant constitués. »
Par amendement n° 251, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent, dans la première phrase du quatrième alinéa du II de l'article 2, après les mots : « en leur qualité de gestionnaires de réseaux publics de distribution », d'insérer les mots : « ainsi que les collectivités organisatrices les ayant constitués ».
La parole est à M. Bohl, pour défendre l'amendement n° 205 rectifié bis.
M. André Bohl. Dans les collectivités territoriales concernées par le raccordement et l'accès, on vise les autorités concédantes de la distribution. Or il faudrait également viser, par parallélisme de forme, les collectivités qui gèrent des régies.
M. le président. La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendement n° 251.
M. Jacques Valade. Il s'agit d'un amendement pratiquement identique à celui que M. Bohl vient de présenter.
Les collectivités territoriales sont concernées par la mission de développement et d'exploitation des réseaux quel que soit le mode d'organisation de la distribution publique d'électricité : concession à EDF ou exploitation par un distributeur non nationalisé.
Or l'article 36 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 ne concerne que les concessions transférées à EDF. Il convient donc de compléter l'article en ajoutant aux collectivités concédantes les collectivités qui ont confié l'exploitation de la distribution publique d'électricité à un distributeur non nationalisé.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 205 rectifié bis et 251.
M. Henri Revol, rapporteur. La commission est favorable à l'amendement de précision n° 205 rectifié bis, qui vise les distributeurs non nationalisés. Cet amendement est plus complet que l'amendement n° 251, et c'est pourquoi la commission le préfère. Elle émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 251.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. En ce qui concerne l'amendement n° 205 rectifié bis, le Gouvernement accepte que l'on donne aux collectivités organisées en régie d'assurer la maîtrise d'ouvrage des réseaux.
Le Gouvernement est également favorable à l'amendement n° 251, qui relève du même esprit.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 205 rectifié bis, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 251 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 23, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans la deuxième phrase du dernier alinéa du II de l'article 2 après les mots : « des réseaux », d'insérer le mot : « publics ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination qui s'explique par son texte même.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 24, M. Revol, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit la dernière phrase du dernier alinéa du II de l'article 2 :
« Les charges résultant strictement de cette mission font l'objet d'une compensation intégrale dans les conditions prévues au II de l'article 5 en matière d'exploitation des réseaux. »
Par amendement n° 206 rectifié, MM. Bohl, Arnaud, Bécot, Dulait, Hérisson, Cornu et César proposent d'insérer, dans la dernière phrase du II de l'article 2, après les mots : « en matière », les mots : « de développement et ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 24.
M. Henri Revol, rapporteur. Il est souhaitable de préciser que la compensation des surcoûts occasionnés par le raccordement et l'accès au réseau sera intégrale, tout en prévoyant que les charges en question sont celles et seulement celles qui résultent de la mission de service public de développement des réseaux, et non pas celles qui seraient consécutives à des erreurs de gestion.
M. le président. La parole est à M. Bohl, pour présenter l'amendement n° 206 rectifié.
M. André Bohl. Cet amendement a le même objet que celui qui vient d'être présenté à l'instant par M. le rapporteur.
La mission définie au II de l'article 2 concerne le développement et l'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution. Pour le financement des charges résultant de cette mission, au-delà de la seule exploitation des réseaux, il convient de prendre également en considération leur développement, c'est-à-dire le premier établissement, l'extension, le renforcement et le perfectionnement des ouvrages de distribution.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 206 rectifié ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement qui mettrait à mal le système de péréquation des charges d'investissement sur le réseau actuellement géré par le FACE. Il instituerait donc une concurrence entre le FACE et le FPE.
De plus, il encouragerait un transfert éventuel des crédits de l'électrification rurale vers l'électrification urbaine.
En outre, il affaiblirait le FACE, dont - on le sait - Bercy souhaite la fin prochaine ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Pardon, monsieur le rapporteur !
M. Henri Revol, rapporteur. C'est un souhait latent, monsieur le secrétaire d'Etat !
Enfin, ce sont des élus locaux qui attribuent les subventions du FACE. Or, ces élus n'auraient plus rien à dire dès lors que les subventions seraient attribuées par le FPE, qui est géré par EDF et les distributeurs non nationalisés.
Pour toutes ces raisons, l'avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les deux amendements n° 24 et 206 rectifié ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 24.
Les charges résultant des missions de service public dans le domaine du développement et de l'exploitation des réseaux seront mutualisées entre les distributeurs dans les conditions fixées par l'article 5, ainsi que nous le verrons par la suite. Les coûts retenus sont strictement ceux qui résultent de l'accomplissement de ces missions : desserte rationnelle du territoire, interconnexion avec les pays voisins, raccordement et accès à ces réseaux.
S'agissant de l'amendement n° 206 rectifié, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Le fonds de péréquation de l'électricité a en effet pour objet de mutualiser, dans les conditions fixées à l'article 5, les charges d'exploitation des distributeurs qui ne sont pas couvertes par les tarifs de vente ou d'utilisation des réseaux et qui peuvent résulter, en particulier, de la dispersion de l'habitat et de la longueur subséquente des réseaux.
En ce qui concerne le développement des réseaux, il faut rappeler, ainsi que M. le rapporteur vient de le faire, les aides déjà existantes en la matière, attribuées par le FACE, dans la majorité des cas pertinents.
Si le Sénat adoptait l'amendement n° 206 rectifié, il est évident, aux yeux du Gouvernement, que cette disposition ne devrait pas porter préjudice à la mission et à l'extension des interventions du FACE, auquel je le rappelle, monsieur le rapporteur, le Gouvernement est très attaché.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 206 rectifié n'a plus d'objet.
Par amendement n° 25, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans la première phrase du premier alinéa du 1° du III de l'article 2, de remplacer les mots : « d'énergie » par les mots : « d'électricité ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Il s'agit d'un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25.
M. André Bohl. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. En vérité, monsieur le président, c'est à l'amendement n° 206 rectifié que je voudrais revenir, car je ne partage pas tout à fait...
M. le président. Monsieur Bohl, par courtoisie, je vais vous laisser vous exprimer, mais je vous rappelle que, sur l'amendement n° 206 rectifié, le Sénat a tranché.
M. André Bohl. Monsieur le président, je tiens seulement à indiquer que le développement et l'intervention du FACE sont deux choses bien différentes.
Nous sommes actuellement dans un système de distribution publique qui est urbain pour une part et rural pour une autre part. Que le FACE entre en jeu dans le domaine rural, je le comprends fort bien. Mais il y a dix départements qui ne sont pas du tout concernés par le FACE, car le développement de leur communes rurales est pris en charge par EDF.
Je ne voudrais pas qu'il soit dit ici qu'il y a concurrence entre FACE et développement. Ce sont deux choses totalement distinctes.
Je souhaitais simplement apporter cette précision, monsieur le président.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 26, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans le deuxième alinéa du 1° du paragraphe III de l'article 2, de remplacer les mots : « d'énergie » par les mots : « d'électricité ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. C'est le même objet que l'amendement n° 25.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 26, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 27, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans la seconde phrase du 2° du III de l'article 2, de remplacer le mot : « fournitures » par le mot : « fourniture ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. C'est encore un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Même attitude très positive à l'égard du travail du Sénat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 27, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 406, M. Hérisson et les membres du groupe de l'Union contriste proposent, après le deuxième alinéa (1°) du III de l'article 2, d'insérer un nouvel alinéa rédigé comme suit :
« La fourniture d'électricité comprend également les opérations de conseil et d'équipement nécessaires afin de maîtriser la consommation d'énergie. »
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Il importe d'intégrer la notion de maîtrise d'énergie dans la mission de fourniture au sens du service public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Il nous semble que cet amendement est satisfait par les dispositions de l'article L. 2224-34 du code général des collectivités territoriales, présenté par l'article 17 du projet. Mais je souhaiterais connaître l'avis du Gouvernement avant de me prononcer plus avant.
M. le président. Quel est, donc, l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement partage l'analyse de M. le rapporteur et s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. Henri Revol. La commission également !
M. Pierre Hérisson. Si l'amendement est satisfait, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 406 est retiré.
Je suis maintenant saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 28, M. Revol, au nom de la commission, propose de remplacer les trois derniers alinéas de l'article 2 par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Electricité de France ainsi que, dans le cadre de leur objet légal et dans leur zone de desserte exclusive, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée :
« - sont les organismes en charge de la mission mentionnée au 1° du présent article, qu'ils accomplissent conformément aux dispositions des cahiers des charges de concession ou aux règlements de service des régies mentionnés à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales ; les charges résultant de la mission de cohésion sociale sont réparties entre les organismes de distribution dans les conditions prévues au II de l'article 5 de la présente loi ;
« - assurent la mission mentionnée au 2e, sous réserve pour les distributeurs non nationalisés de disposer des capacités de production nécessaires, en concluant des contrats de secours dont les conditions financières garantissent la couverture de la totalité des coûts qu'ils supportent ;
« - exécutent la mission mentionnée au 3° en concluant des contrats de vente, dans la limite de leurs capacités de fourniture et dans des conditions financières qui tiennent notamment compte de la faible utilisation des installations de production mobilisées pour cette fourniture.
« Dans le cadre des missions mentionnées aux 2° et 3°, lorsque la fourniture est effectuée à partir du réseau de distribution, Electricité de France et les distributeurs non nationalisés accomplissent cette mission conformément aux dispositions des cahiers des charges de concession ou des règlements de service des régies mentionnés à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territorirales. »
Par amendement n° 302, M. M. Lefebvre et Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, au début du septième alinéa du III de l'article 2, après les mots : « Electricité de France », d'insérer les mots : « par son organisation mixte Electricité de France - Gaz de France. »
Par amendement n° 252, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent :
I. - Dans la première phrase du septième alinéa du III de l'article 2, après le mot : « précitée », d'insérer les mots : « , ainsi que les communes ou leurs groupements en leur qualité d'autorités organisatrices ».
II. - En conséquence, d'effectuer la même modification dans l'ensemble des dispositions de cet article.
Par amendement n° 303, MM. Lefebvre et Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans la deuxième phrase de l'avant-dernier alinéa de l'article 2, après les mots : « Electricité de France », d'insérer les mots : « par son organisation mixte Electricité de France - Gaz de France ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 28.
M. Henri Revol, rapporteur. Il s'agit d'un amendement purement rédactionnel, qui reprend les trois derniers alinéas du texte de l'article 2, mais en évitant les répétitions.
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 302.
M. Guy Fischer. Je défendrai d'un même mouvement les amendements n°s 302 et 303, qui tendent tous deux à inscrire dans la loi un principe d'ores et déjà en vigueur - et de longue date - dans la réalité vécue par le personnel d'EDF-GDF comme par l'ensemble des usagers.
La mixité des services de l'électricité et du gaz est garantie pour les abonnés, qui doivent pouvoir continuer d'avoir un interlocuteur unique à même de répondre à leurs besoins.
Nous n'ignorons pas les pressions qui s'exercent pour tenter de dissocier EDF et GDF, et favoriser ainsi une mise en concurrence des deux énergies.
Une telle perspective serait fatale pour l'une et l'autre eu égard à l'actuelle structure sociale et économique de l'entité EDF-GDF : les personnels disposent des mêmes références statutaires et travaillent en concertation, les prestations sont complémentaires et les usagers domestiques peuvent avoir accès à un service de proximité unique, quels que soient la demande exprimée et l'équipement souhaité.
Enfin, dans le souci de favoriser la complémentarité des choix énergétiques et d'assurer la cohérence de notre politique en ce domaine, il est vital, pour les années à venir, de préserver et d'amplifier le rapprochement d'EDF et de GDF.
Tel est le sens de nos deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Valade, pour présenter l'amendement n° 252.
M. Jacques Valade. Cet amendement tend à préciser clairement le rôle des collectivités locales en tant qu'autorités organisatrices, qui sont oubliées dans la rédaction du dispositif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 302, 252 et 303 ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur les amendements n°s 302 et 303.
Quant à l'amendement n° 252, il lui paraît satisfait par son amendement n° 28, qu'elle a la faiblesse de préférer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 28, 302, 252 et 303 ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 28.
S'agissant des amendements n°s 302 et 303, je dirai que le Gouvernement est attaché, c'est une évidence, à la synergie entre les services commerciaux de distribution d'EDF et de GDF. Cela étant, la mission de fourniture d'électricité aux clients non éligibles incombe non seulement à EDF mais également aux distributeurs non nationalisés, et les différents services devront respecter les dispositions relatives à la séparation comptable prévue par le projet de loi.
Je ne crois pas que la loi doive entrer dans ce degré de détail d'organisation des établissements publics. C'est pourquoi je demanderai à M. Fischer de bien vouloir retirer ces deux amendements.
Je demanderai également à M. Valade d'accepter de retirer l'amendement n° 252, car il me semble confondre les distributeurs non nationalisés et les collectivités locales.
La mission de fourniture de l'électricité, je le répète, incombe à EDF et aux distributeurs non nationalisés. Les communes ou leurs groupements ne sont pas directement en charge de cette mission de fourniture. Or, la confusion entre les deux concepts me paraît sous-tendre l'amendement.
M. le président. Monsieur Fischer, les amendements n°s 302 et 303 sont-ils maintenus ?
M. Guy Fischer. Nous les retirons, monsieur le président.
M. le président. Les amendements n°s 302 et 303 sont retirés.
Monsieur Valade, l'amendement n° 252 est-il maintenu ?
M. Jacques Valade. Je préfère le maintenir, monsieur le président. De toute façon, si l'amendement n° 28 est adopté, le mien tombera.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 28, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté).
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 252 n'a plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté).

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - Le Gouvernement prend les mesures nécessaires à la mise en oeuvre des missions du service public de l'électricité prévues par la présente loi.
« Le ministre chargé de l'énergie, le ministre chargé de l'économie, les autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales et la Commission de régulation de l'électricité définie à l'article 28 de la présente loi veillent, chacun en ce qui le concerne, au bon accomplissement de ces missions et au bon fonctionnement du marché de l'électricité.
« Le Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, le Conseil de la concurrence, les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics mentionnées à l'article 28 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, et les conférences régionales de l'aménagement et du développement du territoire instituées par l'article 34 ter de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat concourent à l'exercice des missions incombant aux personnes mentionnées à l'alinéa précédent.
« A cet effet, les organismes en charge de la distribution publique d'électricité adressent à la commission départementale d'organisation et de modernisation des services publics et au comité régional de distribution ainsi qu'à la Commission de régulation de l'électricité un rapport annuel d'activité portant sur l'exécution des missions de service public dont ils ont la charge. La commission départementale et le comité régional sont également saisis de toute question relative aux missions définies au 1° du II et au 1° du III de l'article 2 de la présente loi. Ils peuvent formuler, auprès du ministre chargé de l'énergie, des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales et de la Commission de régulation de l'électricité, tout avis ou proposition dans les domaines précités, destiné à améliorer le service public de l'électricité.
« Dans le cadre de l'élaboration du schéma régional d'aménagement et de développement du territoire, la conférence régionale de l'aménagement et du développement du territoire est consultée sur la planification des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité d'intérêt régional et le développement de la production décentralisée d'électricité. Elle peut formuler, auprès du ministre chargé de l'énergie, de la Commission de régulation de l'électricité ainsi que, pour ce qui concerne la production décentralisée d'électricité, des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, tout avis ou proposition dans les domaines précités.
« Un Observatoire national du service public de l'électricité est créé auprès du Conseil économique et social, en vue d'examiner les conditions de mise en oeuvre du service public. Il peut donner un avis et formuler des propositions sur toute question relative à son objet, et rend ses avis et propositions publics, notamment en ce qui concerne la tarification du service public et l'application des dispositions du 1° du III de l'article 2 en matière de cohésion sociale. Il peut mener des enquêtes d'opinion auprès des clients non éligibles. Il s'enquiert des avis exprimés par les autres organismes mentionnés dans cet article.
« Il est composé de représentants des clients domestiques, des clients professionnels non éligibles, des organisations syndicales représentatives, d'Electricité de France et des autres opérateurs d'électricité, des associations intervenant dans le domaine économique et social, et d'élus locaux et nationaux.
« Il est doté des moyens utiles à l'accomplissement de ses missions.
« Un décret fixe la composition et le fonctionnement de cet observatoire.
« Dans chaque région, un observatoire régional du service public de l'électricité est créé auprès des conseils économiques et sociaux. Cet observatoire examine les conditions de mise en oeuvre du service public et transmet ses avis et remarques au préfet de région, au conseil régional et au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz.
« Il est composé de représentants des usagers domestiques, des usagers professionnels, des organisations syndicales représentatives, d'Electricité de France et des autres opérateurs d'électricité et d'élus locaux et territoriaux.
« Un décret fixe la composition et le fonctionnement des observatoires. »
Par amendement n° 207 rectifié bis, MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César proposent, dans le deuxième alinéa de cet article, après les mots : « les autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales », d'insérer les mots : « , les collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé visé à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée ».
La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. L'article 3 définit les responsabilités respectives du Gouvernement, de la commission de régulation de l'électricité et des collectivités territoriales compétentes en matière de distribution publique d'électricité. Ces collectivités comprennent non seulement les autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales tel qu'il est présenté par l'article 17 du projet, c'est-à-dire celles qui ont EDF comme concessionnaire, mais aussi les collectivités territoriales qui ont confié l'exploitation de la distribution publique d'électricité à un distributeur non nationalisé, DNN, visé à l'article 23 de la loi du 8 avril 1946.
Il convient donc d'utiliser une expression regroupant les collectivités territoriales quel que soit le mode de gestion de la distribution publique d'électricité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement de précision, qui tend fort justement à viser les DNN au même titre que les autres distributeurs.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement accepte également cet amendement, puisque les DNN prennent toute leur part à l'exécution du service public.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 207 rectifié bis , accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté).
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 253, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de compléter in fine le deuxième alinéa de l'article 3 par les mots : « , au bénéfice des consommateurs, dans le cadre d'une concurrence équilibrée et loyale ».
Par amendement n° 407, M. Hérisson et les membres du groupe de l'Union centriste proposent de compléter le deuxième alinéa de cet article par les mots : « , au bénéfice des consommateurs, dans le cadre d'une concurrence loyale et effective ».
La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendement n° 253.
M. Jacques Valade. Les ministres de l'énergie et de l'économie ainsi que la commission de régulation de l'électricité sont responsables du bon accomplissement des missions de service public et du « bon fonctionnement du marché ».
Au même titre que les missions de service public, l'objectif de « bon fonctionnement du marché » devrait être précisé, notamment en définissant sa finalité : celle-ci doit être de garantir l'efficacité du marché au bénéfice des consommateurs et dans le cadre d'une concurrence équilibrée et loyale.
M. le président. La parole est à M. Hérisson, pour défendre l'amendement n° 407.
M. Pierre Hérisson. Cet amendement a le même objet que celui de M. Valade.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 253 et 407 ?
M. Henri Revol, rapporteur. Sur l'amendement n° 253, l'avis est favorable. Il est en effet utile de préciser la double référence au bénéfice des consommateurs et à la concurrence. En revanche, il est défavorable sur l'amendement n° 407, car nous avons préféré la concurrence « équilibrée et loyale » telle que prévue par l'amendement n° 253 de M. Valade.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Il faut éliminer tout risque de confusion. On pourrait entendre, en effet, que les missions de service public s'effectuent dans le cadre de la concurrence. Mais nous avons déjà répondu à cet argument, il y a quelques instants, à l'occasion d'un autre amendement.
Il va de soi que l'accomplissement des missions de service public et le bon fonctionnement du marché ont pour finalité le service du consommateur. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat sur ces deux amendements.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 253, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 407 n'a pas plus d'objet.
Par amendement n° 29, M. Revol, au nom de la commission, propose de compléter le troisième alinéa de l'article 3 par les mots : « et à la commission de régulation de l'électricité ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. La commission de régulation de l'électricité, qui figure au nombre des instances visées au troisième alinéa de cet article, n'est pas une personne morale. C'est pourquoi cet amendement, de nature rédactionnelle, tend à la mentionner explicitement à côté des personnes visées au quatrième alinéa, qui renvoie lui-même au troisième alinéa.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 304, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après le troisième alinéa de l'article 3, un alinéa ainsi rédigé :
« Les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics se dotent d'une sous-commission relative aux services publics de l'électricité et du gaz, notamment composée de représentants des usagers domestiques, des clients professionnels et agricoles non éligibles et des salariés des industries électriques et gazières. Elles sont saisies par les commissions départementales pour information, consultation, avis et proposition sur toutes les questions des services publics de l'électricité et du gaz ».
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Cet amendement vise tout à la fois à prendre en considération la complexité technique des questions relatives aux services publics tant électrique que gazier et à tirer les conséquences des nouvelles compétences reconnues aux commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics depuis le vote de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, au printemps dernier.
Chacun le sait, du fait de la difficulté de certains dossiers, les commissions qui sont chargées d'émettre un avis sont amenées, faute d'être suffisamment préparées, d'avoir anticipé et évalué, soit à s'en remettre aveuglément à une minorité avertie, soit à formuler un ensemble d'observations générales sans propositions pertinentes.
Or, si la situation du service public de l'électricité peut paraître simple à analyser et les problèmes faciles à cerner dans le cadre du monopole d'EDF, il en va tout autrement dans l'hypothèse d'une ouverture à la concurrence avec l'arrivée des nouveaux opérateurs sur le marché.
A l'instar de la démarche engagée par nos collègues du groupe communiste de l'Assemblée nationale, qui a conduit à la création d'un observatoire national du service public de l'électricité auprès du Conseil économique et social, nous pensons qu'il est indispensable que l'ensemble des informations qui ont trait à l'électricité ne soit pas accaparé par la commission de régulation de l'électricité.
Il est nécessaire qu'émergent des contre-pouvoirs démocratiques disposant des même savoirs, des mêmes analyses scientifiques et techniques pour être à même d'émettre un avis fondé et constructif, même s'il est contradictoire, et non un avis offrant l'apparence et le réconfort d'une « consultation-alibi » organisée par les pouvoirs publics.
C'est la raison pour laquelle nous proposons que les commissions départementales d'organisation et de modernisation des services publics, dans le cadre de leurs prérogatives, se dotent de sous-commissions spéciales, composées de représentants des usagers et des salariés des installations électriques et gazières. Ces structures auraient vocation à traiter, de façon plus approfondie et plus en amont, les sujets qui se présentent de façon que chaque commission départementale dispose des meilleurs atouts pour formuler des propositions.
Si l'on veut que le service public de l'électricité garde sa crédibilité auprès des usagers domestiques et des personnels, il est souhaitable que ceux-ci, par la voie de leurs associations reconnues et de leurs organisations syndicales représentatives, aient la possibilité d'intervenir dans l'organisation de ce secteur, à l'échelon tant national que local.
Tel est le sens de cet amendement. Je ne doute pas qu'une assemblée comme la nôtre, composée d'élus de terrain, sera attachée à favoriser la pleine expression des forces associatives, sociales et professionnelles du département.
C'est pourquoi, dans un souci de transparence et de transmission des informations, nous demandons au Sénat de voter cet amendement. Il permettra d'offrir aux utilisateurs du service public les moyens démocratiques de leur intervention.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Il ne me semble pas que la création de sous-commissions soit du domaine de la loi. Toutefois, en raison de l'importance que j'attache au bon fonctionnement de ces commissions départementales, je m'engage, au nom du Gouvernement, à créer des sous-commissions ad hoc par des textes qui pourraient être pris au niveau réglementaire, qui me paraît plus indiqué.
Cela étant, le groupe communiste républicain et citoyen pourrait peut-être retirer son amendement en tenant compte de l'engagement solennel que je prends devant lui.
M. le président. Monsieur Renar, l'amendement est-il maintenu ?
M. Ivan Renar. J'ai bien entendu l'appel lancé par M. Christian Pierret. Parce que M. le secrétaire d'Etat est animé du souci de répondre à notre préoccupation, et c'est là l'essentiel, nous retirons notre amendement.
M. le président. L'amendement n° 304 est retiré.
Par amendement n° 228 rectifié bis , MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César proposent, dans la dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 3, après les mots : « des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales », d'insérer les mots : « , des collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé visé à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée ».
La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Il s'agit, là encore, d'un amendement de précision qui reprend le texte de l'amendement n° 207 rectifié bis .
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable, car il s'agit d'une coordination avec l'amendement n° 207 rectifié bis.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 228 rectifié bis, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 30, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans la première phrase du cinquième alinéa de l'article 3, de remplacer les mots : « des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité » par les mots : « du réseau public de transport d'électricité ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Les réseaux publics de distribution sont d'intérêt communal ou intercommunal, conformément à la loi du 15 juin 1906 sur les distributions électriques, et non d'intérêt régional.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 30.
M. André Bohl. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Dans ce cas particulier, je pense qu'il y a confusion.
En effet, je signale qu'il existe des réseaux de distribution d'importance régionale. Je pense en particulier ici à la situation qui prévaut en Alsace, où Electricité de Strasbourg possède et gère des réseaux de lignes à 225 000 volts servant à alimenter la ville de Strasbourg.
Dans ces conditions, il est impossible d'élaborer un schéma régional de transport sans tenir compte de cette réalité technique, car il s'agit bien d'une réalité technique.
La rédaction retenue par l'Assemblée nationale était à cet égard bien meilleure, qui ne visait les réseaux de distribution qu'en tant qu'ils étaient concernés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 229 rectifié bis MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César proposent d'insérer, dans la seconde phrase du cinquième alinéa de l'article 3, après les mots : « des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales », les mots : « , des collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé visé à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée ».
La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Cet amendement a déjà été défendu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 229 rectifié bis, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisis de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 408 rectifié, M. Hérisson et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après le deuxième alinéa de l'article 3, cinq alinéas ainsi rédigés :
« Il est créé un Conseil supérieur du service public de l'électricité, qui est consulté lors de l'élaboration des textes d'application de la présente loi. Il donne des avis et formule des propositions sur toute question relative aux conditions de mise en oeuvre du service public. Ses avis et propositions sont rendus publics. Il peut mener des enquêtes d'opinion auprès des clients non éligibles. Il s'enquiert des avis exprimés par les autres organismes mentionnés dans cet article.
« Il veille au respect des principes du service public dans le secteur de l'électricité et examine les conditions d'ouverture du marché de l'électricité, et notamment adresse au Gouvernement des recommandations dans le sens d'une concurrence loyale dans le secteur de l'électricité. Outre les avis, recommandations et suggestions qu'il adresse au ministre chargé de l'énergie dans les domaines de sa compétence, il peut être consulté par la Commission de régulation de l'électricité et par les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les questions relevant de leur compétence spécifique en matière d'électricité. Il peut saisir la Commission de régulation de l'électricité sur des questions concernant la compétence de cette autorité en matière de contrôle et de sanctions du respect par les opérateurs, des obligations de service public résultant des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables en vertu de la présente loi et des autorisations dont ils bénéficient.
« Il est composé de neuf membres, à parité de députés, de sénateurs et de personnalités nommées, respectivement par le ministre chargé de l'énergie, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, en raison de leur qualification et compte tenu du secteur et des missions confiées au Conseil.
« Il est doté des moyens utiles à l'accomplissement de ses missions.
« Un décret fixe les modalités du fonctionnement du Conseil supérieur du service public de l'électricité. »
Par amendement n° 254, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de remplacer le sixième alinéa de l'article 3 par deux alinéas rédigés comme suit :
« Il est créé un observatoire national du service public de l'électricité, qui est consulté lors de l'élaboration des textes d'application de la présente loi. Il donne des avis et formule des propositions sur toutes questions relatives aux conditions de mise en oeuvre du service public. Ses avis et propositions sont rendus publics. Il peut mener des enquêtes d'opinion auprès des clients non éligibles. Il s'enquiert des avis exprimés par les autres organismes mentionnés dans cet article.
« Il veille au respect des principes du service public dans le secteur de l'électricité. Outre les avis, recommandations et suggestions qu'il adresse au ministre chargé de l'énergie dans les domaines de sa compétence, il peut être consulté par la Commission de régulation de l'électricité et par les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les questions relevant de leur compétence spécifique en matière d'électricité. Il peut saisir la Commission de régulation de l'électricité sur des questions concernant la compétence de cette autorité en matière de contrôle et de sanctions du respect par les opérateurs des obligations du service public résultant des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables en vertu de la présente loi et des autorisations dont ils bénéficient. »
Par amendement n° 31, M. Revol, au nom de la commission, propose de remplacer les trois dernières phrases du sixième alinéa de l'article 3 par une phrase ainsi rédigée : « Il peut émettre des avis sur toute question de sa compétence et formuler des propositions motivées qui sont rendues publiques. »
Par amendement n° 305, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, après les mots : « service public », de rédiger comme suit la fin de la deuxième phrase du sixième alinéa de l'article 3 : « , l'application des dispositions du 1° du III de l'article 2 en matière de cohésion sociale et l'application des dispositions de l'article 22. »
La parole est à M. Hérisson, pour défendre l'amendement n° 408 rectifié.
M. Pierre Hérisson. L'article 45 de la loi de 1946 avait institué un Conseil supérieur de l'électricité et du gaz ou CSEG. Les missions du CSEG doivent être aujourd'hui adaptées au contexte de la présente réforme, s'agissant notamment des missions de service public qui sont désormais définies par la loi. Il est donc proposé, d'une part, d'élargir les missions du CSEG au contrôle de l'application des missions de service public et, d'autre part, d'organiser ses relations avec la commission de régulation de l'électricité, chargée du bon fonctionnement du marché.
Le nouveau Conseil supérieur du service public de l'électricité, créé à l'instar de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications, a donc vocation à se substituer au CSEG et à l'observatoire national du service public de l'électricité, dont il reprend et complète les attributions. En outre, sa création permet de rassembler dans un seul organe consultatif l'ensemble des fonctions consultatives du secteur de l'électricité.
Bien entendu, ses compétences pourront être étendues au secteur du gaz lorsque la transposition de la directive sur les règles communes pour le marché intérieur du gaz sera l'objet d'un prochain projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendement n° 254.
M. Jacques Valade. Cet amendement prévoit de transformer l'observatoire en une véritable force de réflexion, de consultation et de proposition. L'observatoire est consulté lors de l'élaboration des textes d'application de la présente loi. Il donne un avis et formule des propositions sur toute question relative aux conditions de mise en oeuvre du service public. Il peut mener des enquêtes d'opinion auprès de clients non éligibles. Il s'enquiert des avis exprimés par les autres organismes mentionnés dans cet article. Il veille au respect des principes du service public dans le secteur de l'électricité. Il peut être consulté par la commission de régulation de l'électricité, par les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les questions relevant de leurs compétences spécifiques en matière d'électricité.
Enfin, il peut saisir la commission de régulation de l'électricité sur des questions concernant la compétence de cette autorité en matière de contrôle et de sanctions du respect par les opérateurs des obligations du service public résultant des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables en vertu de la présente loi et des autorisations dont ils bénéficient.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 31.
M. Henri Revol, rapporteur. Outre un objet rédactionnel, cet amendement tend à supprimer la référence à la possibilité de mener des enquêtes d'opinion auprès des clients non éligibles ou de s'enquérir auprès d'autres organismes. Cette référence a par nature un caractère limitatif. L'observatoire du service public dispose en effet de telles compétences sans qu'un texte soit nécessaire. C'est pourquoi, il nous a semblé inutile, voire dangereux, de les mentionner. Une interprétation a contrario de ces dispositions donne effectivement à penser que ces facultés constituent des compétences limitativement énumérées de l'observatoire.
Enfin, cet amendement prévoit que les avis et les propositions de l'observatoire sont motivés.
M. le président. La parole est à M. Renar de l'Assemblée nationale pour défendre l'amendement n° 305.
M. Ivan Renar. Sur l'initiative du groupe communiste, l'article 3 a été avantageusement complété par la création d'un observatoire national du service public de l'électricité.
Je note avec satisfaction que la commission ne remet pas en cause directement cette disposition.
Cependant j'observe que les amendements proposés par M. le rapporteur tendent à diminuer le rôle et l'importance de ce nouvel organisme en vidant de leur contenu les compétences de l'observatoire et en intégrant parmi ses membres les clients éligibles.
L'objectif est clair : il s'agit de rendre inopérant cet observatoire en refusant de définir précisément les missions qui seront les siennes et en faisant siéger des membres représentant des intérêts divergents pour aboutir - chacun le sait d'expérience - à des avis sans relief ou à des propositions en demi-teinte.
C'est pourquoi notre groupe s'opposera aux amendements de la commission des affaires économiques relatifs à l'observatoire du service public.
A l'inverse, notre proposition a le mérite de clarifier et de cibler les questions sur lesquelles peut s'autosaisir l'observatoire.
L'article 22 du présent projet de loi représente - tout le monde le reconnaît - la principale disposition puisqu'il fixe les conditions de l'éligibilité et donc de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité.
Il aura donc un impact déterminant sur les conditions d'exercice et de continuité des missions de service public.
Il est, par conséquent, logique que l'observatoire du service public soit amené à examiner, le cas échéant, les modalités d'application de l'article 22, et plus particulièrement les activités de trading.
Je précise que cet amendement du groupe communiste républicain et citoyen répond à une attente forte des salariés, mais aussi des responsables d'EDF, qui ont tout intérêt à ce que la transparence règne dans ce domaine.
Ainsi, l'observatoire national se trouve conforté dans son objet et s'octroie une réelle crédibilité pour formuler des avis et émettre des propositions qui concernent les tenants et les aboutissants du service public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 408 rectifié, 254 et 305 ?
M. Henri Revol, rapporteur. L'amendement n° 408 rectifié est intéressant. Cependant, la commission émet un avis défavorable, car il est incompatible avec les amendements n°s 31 et 191. Il existe déjà entre trente-cinq et quarante observatoires.
L'amendement n° 254 étant satisfait partiellement par les amendements n°s 31 et 191, la commission émet également un avis défavorable, de même que sur l'amendement n° 305, qui est contraire à l'amendement n° 31.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 408 rectifié, 254, 31 et 305 ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. L'amendement n° 408 rectifié me paraît tomber sous le coup de l'article 40 de la Constitution. En effet, il vise à créer une charge publique en ce qu'il crée un Conseil supérieur du service public de l'électricité.
J'émets un avis défavorable sur l'amendement n° 254, car ce dernier ferait double emploi avec les compétences reconnues au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz, créé par la loi de 1946.
Quant à l'organisation des relations de l'observatoire avec la CRE, celle-ci peut bien évidemment consulter l'observatoire lorsqu'elle l'estime utile. A l'article 32, un amendement présenté par M. le rapporteur et sur lequel le Gouvernement émettra un avis favorable visera à préciser que la CRE pourra entendre toute personne dont l'audition lui paraît susceptible de contribuer à son information.
S'agissant du respect par les opérateurs des obligations de service public qui leur incombent ou des autorisations dont ils bénéficient, c'est au Gouvernement, et non à la CRE, qu'il appartient de les contrôler et de sanctionner les manquements en la matière. Cela est important car c'est au Gouvernement qu'il appartient d'exercer les prérogatives du pouvoir exécutif en matière de politique de l'énergie. J'ai dit tout à l'heure que je ne souhaitais pas créer l'équivalent d'une ART dans l'énergie.
En ce qui concerne l'amendement n° 31, le Gouvernement émet un avis favorable.
Le Gouvernement est également favorable à l'amendement n° 305. Les conditions de mise en oeuvre de l'éligibilité de l'activité de négoce par les producteurs peuvent avoir des incidences sur le service public. C'est une évidence. Il est donc légitime que l'observatoire national puisse formuler des avis et des propositions sur ce sujet. C'est un très bon amendement.
M. le président. En ce qui concerne l'amendement n° 408 rectifié, le Gouvernement a invoqué l'article 40 de la Constitution. Cet article est-il applicable ?
M. Michel Mercier, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Cet amendement vise effectivement à créer un organisme nouveau et à le doter d'une autonomie financière. Aussi l'article 40 est-il applicable.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'amendement n° 408 rectifié n'est pas recevable.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 254, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 305 n'a plus d'objet.
Je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 255, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de remplacer les septième à douzième alinéas de l'article 3 par trois alinéas rédigés comme suit :
« Il est composé de cinq sénateurs nommés par le président du Sénat, cinq députés nommés par le président de l'Assemblée nationale, trois personnes qualifiées nommées par le président de la commission de régulation de l'électricité et deux personnes qualifiées nommés par le ministre chargé de l'énergie, ainsi que d'un collège composé de quinze membres représentant les clients domestiques, les clients professionnels non éligibles, les organisations syndicales représentatives, Electricité de France et les autres opérateurs d'électricité.
« Il est doté des moyens utiles à l'accomplissement de ses missions.
« Deux mois après la promulgation de cette présente loi, un décret fixe la composition et le fonctionnement de cet observatoire. »
Par amendement n° 32, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans le septième alinéa de l'article 3, de remplacer les mots : « des clients domestiques, des clients professionnels non éligibles, des organisations syndicales représentatives, d'Electricité de France et des autres opérateurs d'électricité » par les mots : « de chacun des types de clients, des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, des organisations syndicales représentatives, d'Electricité de France et des autres opérateurs du secteur de l'électricité ».
Par amendement n° 1, MM. Besson, Pastor, Sergent et Weber proposent, dans le septième alinéa de l'article 3, après les mots : « des associations intervenant dans le domaine économique et social, », d'insérer les mots : « des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales ».
Par amendement n° 33, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans l'avant-dernier alinéa de l'article 3, de remplacer les mots : « des usagers domestiques, des usagers professsionnels, des organisations syndicales représentatives, d'Electricité de France et des autres opérateurs d'électricité » par les mots : « de chacun des types de clients, des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, des organisations syndicales représentatives, d'Electricité de France et des autres opérateurs du secteur de l'électricité ».
Par amendement n° 2, MM. Besson, Pastor, Sergent et Weber proposent, dans l'avant-dernier alinéa de l'article 3, après les mots : « autres opérateurs d'électricité », d'insérer les mots : « , des autorités concédantes visées à l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales ».
Par amendement n° 34, M. Revol, au nom de la commission, propose, avant le dernier alinéa de l'article 3, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les fonctions de membre d'un observatoire visé au présent article sont exercées à titre bénévole. Elles ne donnent lieu à aucune indemnité ni à aucune rémunération. »
La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendement n° 255.
M. Jacques Valade. Il s'agit de composer cet observatoire qui doit être représentatif non seulement de tous les acteurs concernés par l'ouverture du marché de l'électricité mais aussi du Parlement. Ce dernier doit constamment veiller à ce que la libéralisation du marché respecte les principes fondamentaux du service public.
En outre, la suppression de l'observatoire régional a pour objet de simplifier le dispositif proposé.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 32.
M. Henri Revol, rapporteur. L'expression « clients domestiques » est peu compréhensible. Aussi l'amendement permet-il d'y substituer la référence à tous les types de clients, ce qui vise tant les usagers clients éligibles que les clients non éligibles, qu'ils soient professionnels ou non professionnels, établis dans les diverses parties du territoire : zones urbaines et rurales en difficulté, zones spécifiques telles que la montagne. Il est, en outre, souhaitable que les autorités concédantes de la distribution y soient représentées, de même que les organisations consulaires.
On notera que l'amendement ne supprime pas la référence aux élus locaux et nationaux. La commission souhaite en effet qu'à côté des représentants des collectivités clientes ou des autorités concédantes figurent des élus locaux et nationaux.
Dans un souci rédactionnel, cet amendement fait également référence aux autres opérateurs du secteur de l'électricité. Le texte transmis visait les opérateurs d'électricité.
M. le président. La parole est à M. Besson pour défendre l'amendement n° 1.
M. Jean Besson. Les collectivités territoriales font partie des trois acteurs du service public d'électricité avec l'Etat, qui détermine les règles générales et fixe les tarifs, et le concessionnaire, qui exécute la mission de service public dans le cadre défini par l'Etat et la collectivité concédante. Celle-ci, quant à elle, fixe les dispositions locales : qualité du service et du produit, protection de l'environnement, contrôle de l'exécution du service public avec possibilité de réaliser des enquêtes de satisfaction.
Il est donc tout à fait légitime et conforme à la démocratie locale que les autorités concédantes participent à des instances comme l'observatoire national du service public d'électricité.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 33.
M. Henri Revol, rapporteur. Nous l'avons déjà indiqué, l'expression « clients domestiques » est peu compréhensible. Aussi l'amendement permet-il d'y substituer la référence à tous les types de clients, ce qui vise tant les usagers non éligibles, professionnels et non professionnels, que les clients non éligibles établis dans les différentes zones du territoire : zones urbaines et zones rurales en difficulté. Il est, en outre, souhaitable que les autorités concédantes y soient représentées.
L'amendement remplace aussi, dans un but rédactionnel, comme précédemment, la référence aux opérateurs d'électricité par la référence aux opérateurs du secteur de l'électricité.
M. le président. La parole est à M. Besson, pour défendre l'amendement n° 2.
M. Jean Besson. Cet amendement a trait à l'observatoire régional.
Toutefois, monsieur le président, je le retire, ainsi que l'amendement n° 1, car, selon moi, ils sont satisfaits par les amendements de la commission.
M. le président. Les amendements n°s 1 et 2 sont retirés.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 34 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 255.
M. Henri Revol, rapporteur. Compte tenu du nombre d'observatoires créés, à savoir un observatoire national et vingt-deux observatoires régionaux, et de leur activité ponctuelle, il est souhaitable de prévoir que leurs membres exerceront leurs fonctions à titre bénévole. Même si la deuxième phrase de l'amendement est redondante, elle est cependant utile à titre de précision.
M. Henri Weber. Très bien !
M. Henri Revol, rapporteur. Quant à l'amendement n° 255, la commission a émis un avis défavorable sur ce texte dont la rédaction est moins large que celle qu'elle a souhaitée au travers de l'amendement n° 32.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 255, 32, 33 et 34 ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement ne peut être favorable à l'amendement n° 255 dans la mesure où il est attaché au maintien des observatoires régionaux du service public de l'électricité, introduits par l'Assemblée nationale, qui permettront un suivi des conditions de déclinaison des missions de service public sur le plan local, au plus près des usagers. Ces observatoires vont bien dans le sens d'une plus grande transparence et de plus de démocratie souhaitées par le Gouvernement et par l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur les amendements n°s 32 et 33.
Il s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 34, qui tend à prévoir que les fonctions de membre d'un observatoire national ou d'un observatoire régional du service public sont exercées à titre bénévole. Il s'agit d'une fonction primordiale pour le service public, mais il appartient aux conseils économiques et sociaux concernés de déterminer si la fonction de membre doit donner lieu ou non à rémunération. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat à cet égard.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 255.
M. Jacques Valade. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Je constate que mes amendements remportent moins de succès auprès du Gouvernement que les amendements présentés par M. Revol. C'est sans doute lié à la pertinence de ces derniers, et, dans ces conditions, je retire l'amendement n° 255.
M. le président. L'amendement n° 255 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 32.
M. André Bohl. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Monsieur le président, je souhaite sous-amender l'amendement n° 32, ainsi que l'amendement n° 33, en vue de reprendre la rédaction présentée par l'amendement n° 207 rectifié bis, et donc d'ajouter, après les mots : « des collectivités territoriales », les mots : « , des collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé visé à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée », conformément à ce qui a été fait précédemment dans quatre amendements.
M. le président. Je suis donc saisi de deux sous-amendements n°s 438 et 439, présentés par M. Bohl.
Le sous-amendement n° 438 tend, dans le texte proposé par l'amendement n° 32 pour le septième alinéa de l'article 3, après les mots : « des collectivités territoriales », à insérer les mots : « , des collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé visé à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée ». Le sous-amendement n° 439 vise, dans le texte proposé par l'amendement n° 33 pour l'avant-dernier alinéa de l'article 3, après les mots : « , des collectivités territoriales », à insérer les mots : « des collectivités locales ayant constitué un distributeur non nationalisé visé à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée ».
Quel est l'avis de la commission sur ces deux sous-amendements ?
M. Henri Revol, rapporteur. Favorable, à titre personnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 438, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 32, ainsi modifié.
M. Ivan Renar. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Si le sous-amendement n° 438 ne nous pose aucun problème, il n'en va pas de même de l'amendement : le groupe communiste républicain et citoyen votera donc contre.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 32, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 439, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 33, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, l'amendement n° 34, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.

(L'article 3 est adopté.)

Article 4



M. le président.
« Art. 4. - I. - Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence s'appliquent aux tarifs de vente de l'électricité aux clients non éligibles, aux tarifs de cession de l'électricité aux distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, aux tarifs du secours mentionné au 2° du III de l'article 2 de la présente loi et aux tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution.
« Les tarifs du secours mentionné au 2° du III de l'article 2 de la présente loi ne peuvent être inférieurs au coût de revient.
« Ces mêmes dispositions s'appliquent aux plafonds de prix qui peuvent être fixés pour la fourniture d'électricité aux clients éligibles dans les zones du territoire non interconnectées au réseau métropolitain continental.
« Les tarifs de vente de l'électricité aux clients non éligibles traduisent les coûts de revient supportés par Electricité de France au titre de ces usagers, en y intégrant notamment les dépenses de développement du service public pour ces usagers, et en évitant les subventions en faveur des clients éligibles.
« Les tarifs aux usagers domestiques tiennent compte, pour les usagers dont les revenus du foyer sont, au regard de la composition familiale, inférieurs à un plafond, du caractère indispensable de l'électricité en instaurant pour une tranche de leur consommation une tarification spéciale "produit de première nécessité".
« II. - Les tarifs mentionnés au premier alinéa du I du présent article sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures et en fonction des coûts liés à ces fournitures ; les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution dus par les utilisateurs sont calculés de manière non discriminatoire à partir de l'ensemble des coûts de ces réseaux.
« III. - Dans le respect de la réglementation mentionnée au I du présent article, les décisions sur les tarifs et plafonds de prix sont prises conjointement par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie, sur proposition de la Commission de régulation de l'électricité pour les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution, et sur son avis pour les autres tarifs et les plafonds de prix. »
Par amendement n° 35, M. Revol, au nom de la commission, propose de supprimer le deuxième alinéa du I de cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer le deuxième alinéa du I de l'article 4, lequel sera rétabli au II par l'amendement n° 38 que nous examinerons ultérieurement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 35, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 36, M. Revol, au nom de la commission, propose de supprimer le quatrième alinéa du I de l'article 4.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer le quatrième alinéa du I de l'article 4, lequel sera également rétabli au II par l'amendement n° 38.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 36.
M. Gérard Le Cam. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Nous voterons contre la suppression du quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 4, car nous considérons que cet alinéa n'est repris que de façon insatisfaisante par l'amendement n° 38 de la commission. La notion de tarification au coût de revient disparaît, alors qu'il s'agit d'une formulation beaucoup plus claire et plus compréhensible que la rédaction choisie par M. le rapporteur.
Aussi, je crains que cet amendement n° 36 n'ait pas qu'une dimension simplement rédactionnelle, comme le laisse penser notre collègue Henri Revol.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 36, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 37, M. Revol, au nom de la commission, propose, dans le dernier alinéa du I de l'article 4, de remplacer les mots : « dont les revenus du foyer sont, au regard de la composition familiale, inférieurs à un plafond, » par les mots : « relevant du dispositif visé au 1° du III de l'article 2 ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. La création d'une tranche sociale applicable sous condition de ressources per capita est de nature à diluer l'aide en faveur des familles défavorisées avec un double inconvénient : d'une part, l'aide ne serait pas concentrée sur les plus nécessiteux, mais répartie sur deux - voire trois millions de personnes - d'autre part, EDF perdrait beaucoup d'argent - jusqu'à 4 milliards de francs par an.
C'est pourquoi l'amendement n° 37 tend à recentrer cette aide sur les personnes les plus en difficulté qui font déjà l'objet d'une aide en vertu de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion. Leur nombre est actuellement évalué à 200 000 foyers.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ? M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, l'instauration d'un droit à l'électricité est un objectif essentiel pour le Gouvernement. La justification du maintien durable du statut d'établissement public d'EDF est directement liée à l'exercice de cette mission de service public.
Le dispositif comprend deux volets qu'il convient ici de rappeler.
Le premier volet est constitué par le dispositif élargi prévu par le 1° du III de l'article 2, visant les personnes en situation de précarité. En vertu de ce dispositif, « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières du fait d'une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pour accéder ou pour préserver son accès à une fourniture d'énergie ».
A ce jour, ce dispositif est centré sur l'aide au paiement des factures d'électricité impayées.
L'instauration d'un tarif « produit de première nécessité » représente le second volet des dispositions tendant à donner un contenu au droit à l'électricité institué par le troisième alinéa de l'article 1er du projet de loi.
Ce tarif permettra d'élargir le dispositif, en dotant celui-ci d'une mesure de prévention des impayés par l'allégement des factures à venir. La désignation des personnes relevant du dispositif précarité précité comme bénéficiaires du tarif social permet de constituer un ensemble cohérent de mesures complémentaires assurant le nouveau droit à l'électricité ainsi inscrit dans le cadre de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions et d'éviter ainsi le saupoudrage de cette aide en la concentrant sur les personnes les plus démunies. Le but est non pas, naturellement, de permettre à EDF de réaliser des économies, mais de bien viser les publics bénéficiaires, et ce dans l'esprit de la loi, tel qu'il résulte du texte adopté par l'Assemblée nationale.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 37.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 37.
M. Gérard Le Cam. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Nous comprenons les préoccupations manifestées par M. le rapporteur en proposant un resserrement de la tranche sociale vers les personnes les plus pauvres.
Cependant, cet amendement ne peut nous satisfaire, et ce pour trois raisons essentiellement.
Premièrement, il nous semble qu'un tel dispositif d'aide aux familles les plus démunies doit pouvoir être déclenché sans attendre que celles-ci soient entrées de plain-pied dans l'exclusion.
Deuxièmement, nous préférons que les critères d'attribution d'une tarification spécifique soient définis par décret, afin d'adapter la réglementation aux situations différentes qui peuvent se présenter. Figer dans le marbre telle catégorie de personnes en ignorant celles qui peuvent exprimer le besoin d'une aide similaire serait source d'incompréhension et d'injustice.
Troisièmement, en cumulant le dispositif « anti-coupure », d'une part, et la tarification spéciale, d'autre part, comme le suggère M. le rapporteur, ne risque-t-on pas de déresponsabiliser EDF à l'égard des personnes auxquelles elle vient en aide ?
Il ne faudrait pas, en effet, que la tranche sociale vienne en quelque sorte se substituer aux mesures mises en oeuvre pour prévenir et pour éviter les coupures d'électricité, voire financer celles-ci à partir des moyens engagés pour réduire la tarification du kilowatt heure payée par les plus déshérités.
Pour cela, il nous paraît préférable de bien dissocier les deux dispositions afin de donner leur efficacité à l'une comme à l'autre.
Pour les raisons que je viens d'évoquer, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre cet amendement dans la mesure où il peut être contre-productif et ne viserait, finalement, que les seuls intérêts de l'entreprise EDF.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Monsieur Le Cam, permettez-moi de vous dire que l'adoption de cet amendement vous donnerait satisfaction. En effet, un décret préciserait les conditions d'attribution de cette aide, l'esprit du dispositif proposé par l'amendement, comme - je le crois très sincèrement - l'esprit du texte adopté par l'Assemblée nationale, étant bien de concentrer, en élargissant le montant par famille, l'aide sur les familles qui en ont vraiment besoin. Il ne s'agit en aucune manière de faire réaliser une quelconque économie à EDF ! Tel n'est pas le propos !
Je crois donc, je le répète, que l'adoption de cet amendement vous donnerait satisfaction.
Je prends naturellement l'engagement, au nom du Gouvernement, que le décret d'application de ce texte de loi s'inscrira directement dans l'esprit que vous avez voulu indiquer au Sénat et dans celui du texte adopté par l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi, monsieur Le Cam, je vous demande de reconsidérer votre position : l'amendement n° 37 vous donne politiquement satisfaction dans la mesure où il tend à une plus grande efficacité en allouant des aides d'un montant plus élevé aux familles qui en ont effectivement besoin.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 37, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 306, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le dernier alinéa du I de l'article 4 par une phrase ainsi rédigée : « Electricité de France assure l'information du public sur les critères d'attribution de cette tranche de consommation ».
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Quelle que soit la population effectivement concernée par la tranche sociale, il est essentiel que les usagers connaissent à la fois l'existence d'un tel dispositif, mais aussi les critères d'attribution de la tarification spéciale.
Dans la mesure où il appartient à l'usager qui est susceptible de bénéficier de ce traitement tarifaire particulier de faire la demande auprès d'EDF, il paraît logique qu'il dispose des informations lui permettant, le cas échéant, de faire valoir ses droits compte tenu de sa situation de précarité.
Etant donné que ce dispositif est encore mal connu, malgré l'attente forte auquel il répond, il est vraisemblable qu'une partie des familles concernées resteront exclues d'un droit auquel elles pourraient pourtant légitimement prétendre.
Non seulement cette obligation d'information du public correspond à une mission de service public à part entière, mais elle doit, en outre, contribuer à la concrétisation du droit à l'électricité pour tous, mentionné à l'article 1er, en prenant en compte la situation des personnes en difficulté pour lesquelles le coût de la consommation d'électricité est excessif.
Cet amendement est une garantie pour que tous les ayants droit soient en mesure de solliciter cette aide à la fourniture d'un bien de première nécessité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement rejoint totalement l'analyse des auteurs de cet amendement. Il est en effet normal qu'EDF informe le public sur les critères d'attribution de la tarification spéciale s'appliquant aux produits de première nécessité. Toutefois, je me demande si cette injonction à EDF a bien sa place dans le présent projet de loi.
Le Gouvernement publiera donc un décret allant dans ce sens lorsque la loi sera promulguée, lequel décret sera naturellement soumis, comme tous les textes réglementaires relatifs à l'électricité, au Conseil supérieur de l'électricité et du gaz. Il y aura donc un véritable débat et une vérification par le CSEG de l'adéquation réelle entre le texte réglementaire et l'objectif, que je rejoins totalement, du groupe communiste républicain et citoyen.
M. le président. Monsieur Le Cam, l'amendement est-il maintenu ?
M. Gérard Le Cam. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 306 est retiré.
Par amendement n° 307, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le I de l'article 4 par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret précise les conditions d'application de l'alinéa précédent. »
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Cet amendement a pour objet de renvoyer à un décret la détermination de la tranche sociale envisagée au dernier alinéa du I de l'article 4.
Sans revenir sur le détail de l'argumentation que j'ai développée il y a un instant, nous pensons qu'il est préférable de ne pas fixer strictement par avance dans la loi la catégorie des personnes susceptibles d'obtenir une tarification réduite de tout ou partie de leur consommation d'électricité.
Le ministre chargé de l'énergie doit se donner les moyens, par la voie réglementaire, d'élargir ou d'adapter les critères d'attribution de la tranche sociale selon les cas spécifiques.
Faut-il attendre qu'une personne soit effectivement en situation d'exclusion pour lui accorder le droit à la tarification dite « de première nécessité » ?
Selon nous, il doit être possible de prévenir et non seulement de guérir les cas d'exclusion en intervenant en amont, c'est-à-dire au moment où le coût de l'électricité pour un ménage devient une charge insurmontable, sauf, pour celui-ci, à réduire son budget consacré à l'alimentation, à la scolarité des enfants, aux loisirs, etc.
C'est pourquoi nous défendons cet amendement, qui laisse toute latitude au Gouvernement de prendre en compte des situations particulières que la loi ne doit pas écarter au préalable.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a la même position que sur l'amendement précédent. M. le président. Monsieur Le Cam, l'amendement est-il maintenu ?...
M. Gérard Le Cam. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 307 est retiré.
Je suis maintenu saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 38, M. Revol, au nom de la commission propose de rédiger comme suit le II de l'article 4 :
« II. - Les tarifs mentionnés au premier alinéa du I du présent article sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures et en fonction des coûts liés à ces fournitures ; les tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution applicables aux utilisateurs sont calculés de manière non discriminatoire à partir de l'ensemble des coûts de ces réseaux.
« Figurent notamment parmi ces coûts les surcoûts de recherche et de développement nécessaires à l'accroissement des capacités de transport des lignes électriques, en particulier de celles destinées à l'interconnexion avec les pays voisins et à l'amélioration de leur insertion esthétique dans l'environnement.
« Les tarifs de vente de l'électricité aux clients non éligibles sont calculés à partir de l'ensemble des coûts supportés par Electricité de France à ce titre, en y intégrant notamment les dépenses de développement du service public pour ces usagers et en proscrivant les subventions en faveur des clients éligibles.
« Les tarifs du secours mentionné au 2° du III de l'article 2 de la présente loi ne peuvent être inférieurs au coût de revient.
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements.
Tous deux sont présentés par M. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César.
Le sous-amendement n° 208 rectifié bis tend, dans le troisième alinéa de l'amendement n° 38, après les mots : « l'ensemble des coûts de revient supportés par Electricité de France », à insérer les mots : « et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée ».
Le sous-amendement n° 209 rectifié vise à compléter le texte de l'amendement n° 38 par les mots : « y compris les coûts de développement ».
Les deux amendements suivants sont présentés par M. Valade et les membres du groupe du RPR.
L'amendement n° 256 tend, au II de l'article 4, après les mots : « des coûts liés à ces fournitures », à insérer les mots : « et en tenant compte des caractéristiques locales ».
L'amendement n° 257 vise, à la fin du II de l'article 4, à remplacer les mots : « de manière non discriminatoire à partir de l'ensemble des coûts de ces réseaux », par les mots : « sur des bases non discriminatoires, à partir de l'ensemble des coûts réels d'investissement et d'exploitation de ces réseaux afin de favoriser leur usage et leur développement ».
Par amendement n° 308, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le II de l'article 4 par les mots : « y compris leurs coûts de développement ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 38.
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement tend à rédiger différemment le II de l'article 4, par coordination avec les amendements n°s 35 et 36 dont l'objet était de supprimer les deuxième et quatrième alinéas du I.
Cet amendement tend, en outre, à apporter une amélioration rédactionnelle à l'article 4 en réorganisant les alinéas, le II étant consacré aux tarifs, en soulignant que l'ensemble des coûts doit être pris en compte pour fixer lesdits tarifs.
Nous préférons par ailleurs ne pas utiliser le terme « évitant », adopté par l'Assemblée nationale au sujet des subventions croisées, car il est équivoque et n'interdit pas clairement toute subvention des clients éligibles vers les non éligibles, et le remplacer par une formulation proscrivant plus explicitement ces subventions.
Cet amendement tend également à intégrer aux coûts qui seront pris en compte pour définir les tarifs à réglementer les coûts de développement et de recherche nécessaires à l'accroissement du réseau.
L'Assemblée nationale a inséré la référence à ces coûts au I de l'article 5, qui vise la compensation du coût du service public de la production. Or, ces coûts n'ont pas vocation à y figurer, puisqu'ils n'ont rien à voir avec la production.
Cet amendement est donc lié à l'adoption d'un amendement de suppression du cinquième et dernier alinéa, 3°, de l'article 5.
En résumé, le premier alinéa du II de l'article 4 reste à sa place, et le deuxième alinéa du I de cet article devient le dernier alinéa du II de l'article 4.
M. Jacques Valade. C'est parfaitement clair ! (Sourires.)
M. Henri Revol, rapporteur. C'est en effet tout à fait clair, monsieur Valade, et je vous remercie de le préciser.
M. le président. La parole est à M. Bohl, pour présenter les sous-amendements n°s 208 rectifié bis et 209 rectifié.
M. André Bohl. Avec le sous-amendement n° 208 rectifié bis, il s'agit de viser de façon expresse les distributeurs non nationalisés dans le troisième alinéa de l'amendement n° 38, car ces distributeurs sont, avec EDF, les organismes en charge de la mission de fourniture d'électricité aux clients non éligibles. Les tarifs de vente de l'électricité à ces clients non éligibles doivent tenir compte des coûts de revient supportés par Electricité de France et par les distributeurs non nationalisés dans le cadre de la péréquation géographique nationale.
Quant au sous-amendement n° 209 rectifié, il vise à ajouter les coûts de développement dans le calcul du tarif. Lors de l'examen de l'article 2, on nous a expliqué que l'on ne pouvait pas les prendre en compte. Mais, dans les tarifs visés à l'article 4, il n'est pas possible de ne pas en tenir compte, car il s'agit de tarifs d'utilisation des réseaux de distribution qui couvrent les charges réelles afférentes à ces réseaux. Ils doivent donc comprendre les coûts de développement !
M. le président. La parole est à M. Valade, pour défendre les amendements n°s 256 et 257.
M. Jacques Valade. L'amendement n° 256 a pour objet de préciser que les péages de distribution couvrent les charges réelles afférentes aux réseaux locaux.
Quant à l'amendement n° 25, il tend à fixer les tarifs de secours et d'utilisation des réseaux sur les coûts réellement supportés par les opérateurs pour leur exploitation et leur développement. Il introduit un critère d'efficacité de l'usage du réseau afin de tenir compte des contraintes particulières, notamment de nature géographique, et d'inciter indirectement à la production décentralisée là où elle est nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Le Cam, pour défendre l'amendement n° 308.
M. Gérard Le Cam. Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'évoquer précédemment, bien que les activités de transport et de distribution soient épargnées directement par la libéralisation, elles seront soumises malgré tout à une forte pression des opérateurs privés.
En tant qu'unique gestionnaire du réseau de transport et dans le même temps acteur plongé dans un secteur ouvert à la concurrence, EDF sera tentée, au pire, de négliger l'entretien et la maintenance des réseaux, mais surtout de renoncer à certains investissements tendant à développer ces mêmes réseaux sur le territoire.
Or, il appartient, selon nous, à EDF et aux pouvoirs publics, dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements, de préparer non seulement l'entretien des réseaux publics mais aussi leur renouvellement et, le cas échéant, leur développement en vue de répondre aux besoins qui émanent des usagers domestiques aussi bien que des clients éligibles eux-mêmes.
C'est pourquoi il ne peut être envisagé de limiter les tarifs d'utilisation aux seuls coûts d'exploitation. Les dépenses d'investissement et leur amortissement doivent également entrer en ligne de compte dans la fixation des tarifs. A défaut, ce serait la sécurité d'approvisionnement qui serait remise en cause, ce que, je pense, personne ne souhaite dans cette assemblée.
En conséquence, par cet amendement, nous proposons de préciser le texte en faisant référence aux coûts induits par le développement, de façon à lever toute ambiguïté.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 208 rectifié bis et 209 rectifié, ainsi que sur les amendements n°s 256, 257 et 308 ?
M. Henri Revol, rapporteur. Sur les sous-amendements n°s 208 rectifié bis et 209 rectifié, la commission a émis un avis favorable.
En ce qui concerne l'amendement n° 256, M. Valade va encore croire qu'il n'a pas de chance ! Je vais cependant lui en donner une : en effet, si son amendement n'est pas compatible avec la nouvelle rédaction du paragraphe II que j'ai présentée précédemment avec toute la clarté possible - ce qu'il a bien voulu souligner - je lui propose toutefois de le transformer en sous-amendement au premier alinéa du II de l'article 4 tel que le propose la commission à travers son amendement n° 38.
Ainsi, après les mots : « des fournitures », pourraient être insérés, comme le souhaite M. Valade, les mots : « et en tenant compte des caractéristiques locales ».
M. le président. Acceptez-vous la proposition de M. le rapporteur, monsieur Valade ?
M. Jacques Valade. Si c'est une façon de trouver grâce aux yeux de M. le rapporteur, j'accepte volontiers sa suggestion !
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 256 rectifié, présenté par M. Valade et les membres du groupe du RPR, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 38 pour le II de l'article 4, après les mots : « des fournitures », à insérer les mots : « et en tenant compte des caractéristiques locales ».
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. La chance ne sourit malheureusement pas toujours, monsieur Valade, et, sur l'amendement n° 257, la commission a émis un avis défavorable, ce dernier n'étant pas compatible avec la rédaction de l'amendement n° 38.
Enfin, la commission est défavorable à l'amendement n° 308.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble de ces amendements et sous-amendements ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. L'amendement n° 38 emporte mon adhésion. En effet, il a pour objet de rétablir au paragraphe II de l'article 4 des dispositions qui ont été supprimées au paragraphe I au sujet de la prise en compte des surcoûts de recherche et de développement dans les tarifs d'utilisation des réseaux. J'y vois une plus grande cohérence et une rédaction meilleure que celle qu'a adoptée l'Assemblée nationale. Ainsi, l'ensemble des coûts est maintenant pris en compte dans les tarifs d'utilisation des réseaux, notamment les surcoûts de recherche et de développement desdits réseaux.
Le sous-amendement n° 208 rectifié bis emporte également mon adhésion, comme c'est souvent le cas avec M. Bohl.
Le sous-amendement n° 209 rectifié indiquant explicitement que les tarifs d'utilisation des réseaux de distribution prennent en compte les coûts de développement, j'y suis favorable.
Le sous-amendement n° 256 rectifié de M. Valade me semble remettre en cause la péréquation nationale des tarifs pour les clients non éligibles, alors que cette péréquation est inscrite dans la loi. J'y suis donc défavorable.
En revanche, je ne suivrai pas M. le rapporteur dans sa défaveur à l'égard de l'amendement n° 257 du même auteur, car je partage sur ce point l'analyse de M. Valade. Cependant, je souhaite qu'il prenne en considération le fait que celui-ci sera satisfait par un amendement à l'article 14, auquel le Gouvernement donnera son accord, prévoyant que la CRE approuvera le programme d'investissement du GRT. Je pense que nous pouvons nous faire mutuellement confiance. Croyez-moi, monsieur Valade ! L'amendement n° 257 sera satisfait un peu plus loin.
M. Jacques Valade. Je retire donc l'amendement n° 257.
M. le président. L'amendement n° 257 est retiré.
Monsieur le secrétaire d'Etat, veuillez poursuivre, je vous prie.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Quant à l'amendement n° 308, j'y suis favorable, tout en faisant remarquer à ses auteurs qu'il est déjà indiqué que les tarifs sont calculés à partir de l'ensemble des coûts des réseaux. Sa rédaction me paraît donc un peu superfétatoire, même si, sur le fond, il ne peut que recueillir mon adhésion. En fait, il pourrait être utilement retiré.
M. le président. Monsieur Le Cam, maintenez-vous l'amendement ?
M. Gérard Le Cam. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 308 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 256 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 208 rectifié bis accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 209 rectifié, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 38, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Toujours sur l'article 4, je suis maintenant saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 309, MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, après les mots : « conjointement par les », de rédiger comme suit la fin du III de cet article : « ministères chargés de l'économie et de l'énergie, après avis de la commission de régulation de l'électricité. »
Par amendement n° 258, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent :
I. - Au III de l'article 4, de remplacer les mots : « sur proposition » par les mots : « après avis conforme et publié ».
II. - En conséquence, au III de cet article, de remplacer les mots : « , et sur son avis » par le mot : « et ».
Par amendement n° 39, M. Revol, au nom de la commission, propose de compléter le III de l'article 4 par une phrase ainsi rédigée : « Les propositions et avis de la commission de régulation de l'électricité, visés au présent article, sont motivés et rendus publics. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 423, présenté par le Gouvernement, et tendant, à la fin du texte proposé par l'amendement n° 39, à remplacer les mots : « et rendus publics » par la phrase suivante : « Lorsqu'ils prennent les décisions sur les tarifs et plafonds de prix visés au présent article, les ministres chargés de l'économie et de l'énergie procèdent à la publication des propositions et avis de la commission. »
Par amendement n° 259, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de compléter in fine le III de l'article 4 par un alinéa rédigé comme suit :
« Pour l'accomplissement de cette mission, les avis de la commission de régulation de l'électricité sont fondés sur l'analyse des coûts techniques et de la comptabilité analytique des opérateurs. »
La parole est à M. Le Cam, pour défendre l'amendement n° 309.
M. Gérard Le Cam. A l'inverse de M. le rapporteur, le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une série d'amendements tendant à limiter les compétences de la commission de régulation de l'électricité.
Je rappelle, au préalable, que la directive communautaire n'oblige en aucun cas les Etats membres à créer une autorité indépendante ; elle leur impose simplement, aux termes de l'article 22 de la directive, de prévoir « les mécanismes appropriés et efficaces de régulation, de contrôle et de transparence, afin d'éviter tout abus de position dominante, au détriment, notamment, des consommateurs, et tout comportement prédateur ».
La place octroyée aux pouvoirs publics dans la régulation du système électrique reste donc ouverte.
Le Gouvernement a fait le choix de se rallier à la position du Conseil de la concurrence en prévoyant la mise en place d'une autorité de régulation indépendante, quelque peu semblable, d'ailleurs, à l'ART dans le domaine des télécommunications.
La question, mes chers collègues, est de savoir s'il est raisonnable de vouloir transposer le modèle « ART » au secteur électrique - j'ai cru comprendre tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'y étiez pas favorable (M. le secrétaire d'Etat fait un signe d'approbation) - dès lors que la majorité d'entre nous sommes d'accord, par ailleurs, pour reconnaître un pouvoir prépondérant de l'Etat dans la politique énergétique, notamment en se dotant des attributions de planification sur le long terme.
Le secteur électrique ne peut, à mon sens, être comparé ni à celui des télécommunications ni à celui de l'audiovisuel, dans la mesure où l'électricité constitue un « produit de première nécessité », comme le reconnaît d'ailleurs l'article 1er de ce texte, et touche directement à notre indépendance nationale.
C'est pourquoi nous militons, quant à nous, en faveur d'une primauté de l'autorité politique sur l'autorité dite « indépendante », dans le but de prolonger l'idée exprimée à l'article 6 de confier au Gouvernement la responsabilité d'arrêter la programmation et de fixer l'objectif de la politique énergétique.
Dans la même logique, l'Etat - en l'occurrence les ministres chargés de l'économie et de l'énergie - doit pouvoir fixer les tarifs d'utilisation des réseaux de transport et de distribution, tout en veillant à ne pas créer des discriminations entre les différents opérateurs.
Peut-on accepter, mes chers collègues, qu'à l'image de ce qui se passe dans le secteur des télécommunications, le ministre compétent soit réduit au simple rôle de « porte-plume » de l'autorité de régulation sans avoir la faculté de formuler une contre-proposition ou un avis différent ? En effet - il faut le préciser - une proposition émanant de la CRE serait, en l'espèce, à prendre ou à laisser, excluant ainsi totalement le ministre du processus décisionnel.
Cette éventualité est d'autant plus inacceptable dans le domaine de l'électricité. C'est la raison pour laquelle nous proposons de rétablir l'autorité du ministre sur des décisions qui engagent l'organisation du secteur. La CRE pourrait, en revanche, conserver un rôle de « veille » permettant de garantir un égal traitement des parties concernées.
A l'heure où chacun se désespère de voir la politique submergée par l'économie et le marché, il serait de bon aloi de limiter au minimum l'érosion des compétences des pouvoirs publics et de préserver ainsi la maîtrise publique de la politique énergétique et, par là même, des outils de régulation du secteur via la fixation des tarifs.
C'est le sens de ce premier amendement qui porte sur la CRE.
M. le président. La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendements n° 258.
M. Jacques Valade. Cet amendement et l'amendement n° 259, que je présenterai simultanément, visent à confier à la commission de régulation le pouvoir d'approbation en matière tarifaire afin de garantir l'objectivité et la clarté. Ils précisent l'un et l'autre que la commission de régulation fonde son avis sur l'analyse des coûts techniques et de la comptabilité analytique des opérateurs. Ils tendent ainsi à renforcer le rôle et l'indépendance de la commission de régulation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 39.
M. Henri Revol, rapporteur. Il importe de donner la plus grande publicité aux actes de la CRE relatifs aux tarifs. Ceux-ci doivent, en outre, être motivés, afin de permettre aux agents du secteur de l'électricité de connaître les raisons qui ont poussé la commission à les formuler.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter le sous-amendement n° 423.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Sous réserve de l'adoption de ce sous-amendement, j'émetrai un avis favorable sur l'amendement n° 39.
Il m'apparaît en effet que celui-ci permet une plus grande transparence, ce qui est nécessaire. Par définition, les avis de la CRE sont motivés.
Toutefois, dans la mesure où c'est au Gouvernement qu'il appartient de prendre les décisions relatives aux tarifs, il lui revient également de publier les avis de la commission lorsqu'il arrête ceux-ci.
Tel est l'objet de ce sous-amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 309 et 258, sur le sous-amendement n° 423 et sur l'amendement n° 259 ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission est défavorable aux deux premiers amendements. L'amendement n° 258 est, d'ailleurs, partiellement satisfait par l'amendement n° 39 de la commission.
S'agissant du sous-amendement n° 423, l'avis est favorable.
Enfin, la commission est favorable à l'amendement n° 259 sous réserve que M. Valade accepte de le rectifier. Il semble en effet que l'on doive viser la comptabilité non pas « analytique » mais « générale ».
M. le président. Monsieur Valade, acceptez-vous la modification proposée par M. le rapporteur ?
M. Jacques Valade. Tout à fait.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 259 rectifié, présenté par M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, et visant à compléter in fine le « III » de l'article 4 par un alinéa rédigé comme suit :
« Pour l'accomplissement de cette mission, les avis de la Commission de régulation de l'électricité sont fondés sur l'analyse des coûts techniques et de la comptabilité générale des opérateurs. »
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 309, 258, 39 et 259 rectifié ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Au sujet de l'amendement n° 309, le texte du Gouvernement est très clair. La CRE, qui est compétente en matière d'accès au réseau public, est donc, dans notre esprit, compétente en ce qui concerne les tarifs d'utilisation de ces réseaux. En revanche, pour les autres tarifs, la CRE ne donne qu'un avis. Telle est l'économie générale du texte !
Je désapprouve donc l'amendement n° 309, qui introduirait une rupture dans l'équilibre du projet de loi.
Pour la même raison, je suis défavorable à l'amendement n° 258 de M. Valade qui m'apparaît par ailleurs satisfait, en ce qui concerne la publication des avis de la CRE, par un amendement ultérieur de M. le rapporteur.
Je suis favorable à l'amendement n° 39, sous réserve, je l'ai dit, qu'il soit modifié par le sous-amendement du Gouvernement.
L'amendement n° 259 rectifié me surprend, car je n'avais pas le sentiment que M. Valade souhaitait limiter l'indépendance de la CRE.
Il appartiendra à celle-ci de fonder ses avis et propositions relatifs aux tarifs sur l'analyse de toutes les données qui lui apparaîtront pertinentes à elle, commission de régulation d'électricité. Outre la comptabilité des opérateurs et les coûts techniques, ces données pourront être, par exemple, les coûts financiers, voire des comparaisons internationales.
La logique de M. Valade me paraissait plutôt tendre vers l'accroissement de l'indépendance et de la marge de manoeuvre de la CRE dans son observation des coûts et des matériaux qui lui sont nécessaires. Adhérant à cette logique, je suis défavorable à l'amendement n° 259 rectifié.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 309, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 258, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 423, accepté par la commission.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'amendement n° 39, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 259 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix l'article 4, modifié.

(L'article 4 est adopté.)
M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

13

TEXTE SOUMIS
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord sous forme d'échange de lettres relatif aux produits de la pêche, modifiant l'accord européen entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et la République de Bulgarie, d'autre part.
Ce texte sera imprimé sous le numéro E-1308 et distribué.

14

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui mercredi 6 octobre 1999, à quinze heures et le soir.
Suite de la discussion du projet de loi (n° 243, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Rapport (n° 502, 1998-1999) de M. Henri Revol, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie (n° 425, 1998-1999).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 11 octobre 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 11 octobre 1999, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer (n° 424, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 11 octobre 1999, à dix-sept heures.
Projet de loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes (n° 438, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 12 octobre 1999, à dix-sept heures.
Projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (n° 391, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 12 octobre 1999, à dix-sept heures.
Projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant organisation de la réserve militaire et du service de défense (n° 477, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 12 octobre 1999, à dix-sept heures.
Projet de loi relatif aux volontariats civils institués par l'article L. 111-2 du code du service national (n° 293, 1998-1999).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 12 octobre 1999, à dix-sept heures.
Conclusions de la commission des affaires sociales sur :
- la proposition de loi visant à améliorer la protection sociale des salariés et créant des fonds de retraite (n° 187, 1998-1999) ;
- la proposition de loi visant à instituer des plans d'épargne retraite (n° 218, 1998-1999).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 13 octobre 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 13 octobre 1999, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 6 octobre 1999, à zéro heure quinze.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION DE MEMBRES
DE COMMISSIONS PERMANENTES

Dans sa séance du mardi 5 octobre 1999, le Sénat a nommé :
- Mme Lucette Michaux-Chevry membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Michel Barnier, démissionnaire de son mandat de sénateur ;

- M. Simon Loueckhote membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel et d'administration générale, en remplacement de Mme Lucette Michaux-Chevry, démissionnaire.

DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
Délégation du Sénat pour l'Union européenne

(En application de l'article 6 bis de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires)
Dans sa séance du mardi 5 octobre 1999, le Sénat a nommé M. Robert Del Picchia membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, en remplacement de M. Michel Barnier, démissionnaire de son mandat de sénateur.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Avenir des professions paramédicales

594. - 5 octobre 1999. - M. René-Pierre Signé appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale sur le dialogue ou la négociation en cours avec l'ensemble des professions paramédicales. Il leur est proposé de sortir du strict rôle de sous-traitants en leur donnant la possibilité de prescrire leur intervention, voire certaines médications en rapport avec l'affection traitée. Est envisagé, en outre, de créer un ordre des professions paramédicales. On peut comprendre que cette autonomie accrue est accordée en échange de l'engagement à de bonnes pratiques et aussi pour éviter des consultations médicales supplémentaires qui ne seraient pas toujours justifiées. Mais les médecins perçoivent ces mesures comme une atteinte à leur monopole de prescription. Déjà très inquiets par l'ordonnance qui concerne la médecine ambulatoire, ils verraient là une atteinte forte à leur compétence médicale et peut-être un risque de prescription non adaptée, quelquefois excessive ou insuffisante, donc dangereuse. Quant à la création d'un ordre pour les professions paramédicales, on peut se demander si elle se justifie. Un organisme rassemblant toutes professions paramédicales n'est-il pas difficile à gérer, car ces professions sont disparates sur bien des points ? Il s'agirait d'une mesure et d'une décision nouvelle qui mérite quelques développements.




ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du mardi 5 octobre 1999


SCRUTIN (n° 1)



sur l'ensemble de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la substitution de l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » par l'expression « à la guerre d'Algérie et aux combats en Tunisie et au Maroc ».


Nombre de votants : 320
Nombre de suffrages exprimés : 320
Pour : 320
Contre : 0

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Pour : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (98) :

Pour : 98, dont M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (78) :

Pour : 78, dont M. Guy Allouche, qui présidait la séance.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (47) :

Pour : 47.

SÉNATEURS NE FIGURANT SUR LA LISTE D'AUCUN GROUPE (6) :

Pour : 6.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Bernard Angels
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jean-Paul Bataille
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Claude Belot
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Auguste Cazalet
Bernard Cazeau
Charles Ceccaldi-Raynaud
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
André Diligent
Claude Domeizel
Jacques Dominati
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Serge Godard
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jean-Noël Guérini
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Claude Haut
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Roger Hesling
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Journet
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Dominique Larifla
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Louis Le Pensec
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
André Lejeune
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Claude Lise
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Kléber Malécot
André Maman
François Marc
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Gérard Miquel
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Michel Moreigne
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Xavier Pintat
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Roger Rinchet
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin
Claude Saunier
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Simon Sutour
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Michel Teston
Henri Torre
René Trégouët
Pierre-Yvon Tremel
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Henri Weber
Christian Poncelet,
président du Sénat
Guy Allouche,
qui présidait la séance

Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.