Séance du 26 octobre 1999







M. le président. La parole est à M. Darcos, auteur de la question n° 583, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Xavier Darcos. Madame le ministre, je souhaite attirer votre attention, une fois encore, sur la situation de la salle Pleyel, dont l'avenir est compromis à la suite de sa vente, en 1998, par le Crédit lyonnais à un entrepreneur privé.
Construite en 1927 par Gustave Lyon, associé de Camille Pleyel, la salle Pleyel contribue au rayonnement de la France dans le monde entier. Elle accueille depuis longtemps des interprètes prestigieux, comme Charles Münch, Clara Haskil, Jean-Pierre Rampal, Martha Argerich ou Jean-Marc Luisada. La salle Pleyel est, à ce jour, l'un des rares auditoriums parisiens susceptibles de recevoir des orchestres internationaux. Cette vocation fait, du reste, partie du cahier des charges de la salle.
La salle Pleyel contribue également à la diffusion du répertoire instrumental ou symphonique : des oeuvres de Berg et de Boulez y ont ainsi été données en création mondiale.
Enfin, la salle Pleyel permet à de jeunes musiciens, issus des conservatoires nationaux de musique de Paris ou de Lyon et recrutés sur concours, de pratiquer leur instrument en formation symphonique dans de grandes associations, à l'instar des concerts Lamoureux, Pasdeloup ou Colonne.
Or, depuis un an, ces associations sont soumises à des charges considérables que la faiblesse de leurs subventions ne leur permet plus de supporter.
Dans une question écrite en date du 8 juillet dernier, je vous avais demandé si vous envisagiez de procéder au classement de la salle Pleyel, afin de la préserver d'éventuelles opérations immobilières qui, dans l'avenir, pourraient aboutir à sa transformation en galerie marchande ; je vous avais également interrogée sur la révision à la hausse du montant des subventions dont bénéficient ces associations, qui leur permettrait de poursuivre l'accomplissement de leur mission pédagogique et de formation professionnelle auprès des jeunes musiciens français.
A mon collègue parlementaire Bruno Bourg-Broc, qui partageait les mêmes préoccupations, vous avez répondu, le 13 septembre dernier, que vous étudiiez la possibilité d'une protection de la salle Pleyel au titre de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Je souhaite donc que vous m'apportiez des précisions sur l'état d'avancement de cette réflexion. Il est urgent de prendre une décision, car une procédure de classement est souvent longue. A défaut du consentement de son propriétaire, le classement par l'Etat d'un bien privé ne peut être prononcé que par un décret en Conseil d'Etat.
Je voudrais compléter ma question en rappelant, comme je l'ai fait à plusieurs reprises auprès de votre cabinet, les termes de la lettre que vous a adressée, le 12 juillet dernier, le président de l'association des concerts Lamoureux, lequel sollicitait, avec M. Yutaka Sado, chef permanent de l'orchestre Lamoureux, une audience de votre part au mois de septembre dernier.
Je cite les termes de cette lettre : « La situation de notre orchestre est devenue gravissime. L'addition des problèmes liés à un très faible niveau de subventions par le ministère de la culture et la ville de Paris - moins de 1 million de francs - et la soudaine augmentation des tarifs de la salle Pleyel nous conduisent aujourd'hui à annuler huit des treize concerts prévus pour la saison 1999-2000. C'est un événement sans précédent dans l'histoire de l'orchestre Lamoureux qui, depuis sa création en 1881, n'a jamais cessé son activité, sauf quelques mois au cours de la Seconde Guerre mondiale. »
Madame la ministre, j'estime que l'absence de réponse à cette lettre, dont je me suis assuré qu'elle avait bien été enregistrée auprès de votre cabinet, doit être considérée comme un triple affront.
C'est tout d'abord un affront à l'égard de l'orchestre Lamoureux, dont le président est présent dans ces tribunes. Cette formation - j'insiste sur ce point - est constituée de plus de cent musiciens âgés de moins de trente ans, tous bénévoles, issus des meilleurs conservatoires de France et recrutés par le biais d'un concours de haut niveau.
Or, ces jeunes, les meilleurs dans leur classe d'âge, sont aujourd'hui démotivés et désorientés. C'est la raison pour laquelle je souhaite rendre publiquement hommage à leur persévérance et à leur attachement indéfectible pour l'orchestre Lamoureux, l'une des rares formations symphoniques françaises à consacrer autant d'efforts à la formation professionnelle des jeunes. Je précise, du reste, que les plus doués d'entre eux rejoignent chaque année les meilleurs orchestres nationaux ou internationaux.
C'est aussi un affront fait à M. Yutaka Sado, ce jeune chef japonais de trente-huit ans qui, malgré un cachet dérisoire, s'est passionné pour l'orchestre Lamoureux, accomplissant un travail de bénédictin avec quatre répétitions pour chaque concert, auquel assistent en moyenne 1 700 personnes, ce qui représente un taux d'occupation très élevé pour la salle Pleyel. Ce « chef de génie », comme l'a récemment qualifié la presse, continuera-t-il à travailler dans de telles conditions, alors que l'orchestre Giuseppe Verdi de Milan vient de l'engager ?
Cette absence de réponse constitue enfin un affront eu égard au rayonnement de la culture française. Je trouve consternant que l'orchestre Lamoureux ne puisse plus continuer à se produire, alors que tant de deniers publics sont par ailleurs gaspillés par l'Etat.
A titre d'exemple, et je n'en ai choisi qu'un seul, j'ai relevé, dans le rapport de la Cour des comptes de 1998, que le ministère de la culture avait contribué au financement d'un ballet de onze danseurs encadrés par un inspecteur général et une maîtresse de ballet, « alors que les danseurs ne dansaient pas ». Le coût annuel salarial de cette formation s'élevait à 3 millions de francs !
Pour sa part, l'orchestre Lamoureux bénéficiait, en 1983, d'une subvention de 515 000 francs du ministère de la culture et d'une dotation de 494 000 francs versé par la Ville de Paris, soit plus d'un million de francs. En 1999, la subvention globale de cet orchestre atteignait tout juste 975 000 francs, alors que les salles de répétitions sont désormais payantes à hauteur de 80 000 francs par concert depuis la privatisation de la salle Pleyel et que les remises importantes accordées par le Crédit lyonnais à l'orchestre Lamoureux en raison de la mission de service public qu'il accomplit ont été supprimées.
Pour que l'orchestre Lamoureux continue à exister, il faudrait que la participation de votre département ministériel double dans les prochains mois, madame la ministre, ce qui permettrait ainsi de compenser les lacunes de la privatisation de la salle Pleyel, qui a été si mal gérée par les pouvoirs publics.
En conséquence, je souhaiterais connaître vos intentions à l'égard non seulement de l'orchestre Lamoureux, mais aussi des orchestres symphoniques qu'accueille la salle Pleyel, lesquels sont aujourd'hui confrontés à des difficultés durables et imméritées.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, à la suite de l'acquisition de la salle Pleyel par un investisseur privé, j'ai lancé le projet de la création d'un auditorium symphonique qui soit à la hauteur des ambitions artistiques et culturelles de notre pays, qui permette de fournir à plusieurs formations musicales un lieu privilégié de répétition, et de diffusion pérenne et qui fonctionne dans des conditions techniques et financières satisfaisantes.
Vous êtes revenu, dans des termes qui m'ont semblé assez provocateurs, sur les conditions dans lesquelles s'est déroulée la privatisation de la salle Pleyel. Je rappelle que la Ville de Paris conduisait les négociations relatives à la cession de la salle Pleyel, l'Etat s'engageant à financer les travaux. Nous n'avons pu acquérir la salle Pleyel, car un investisseur privé a fortement surenchéri et a été considéré comme un meilleur acquéreur par l'organisme de défaisance chargé de la vente de certains actifs du Crédit lyonnais pour remédier aux difficultés financières rencontrées par cette banque.
Cette opération a donc été menée dans les conditions que je viens de décrire.
Pour autant, la salle Pleyel reste un lieu majeur de diffusion de la musique, à propos duquel j'ai défini un certain nombre d'orientations sur lesquelles je reviendrai. Je voudrais simplement indiquer, en cet instant, que, eu égard aux problèmes posés par la situation actuelle, j'ai souligné, lors d'une déclaration faite à la presse le 23 février 1999, mon attachement à la réalisation d'un nouvel auditorium symphonique.
J'ai précisé, le même jour, que je saisissais du dossier le maire de Paris et le président de la région d'Ile-de-France. Je caressais l'idée qu'il soit possible de réaliser un nouvel équipement dans le cadre du prochain contrat de Plan. En effet, le ministère de la culture et de la communication, déjà très présent auprès de grandes institutions musicales parisiennes, ne peut supporter seul cet équipement, dont le coût de construction est aujourd'hui estimé à 410 millions de francs.
D'ores et déjà, le maire de Paris m'a fait officiellement connaître son opposition à une participation financière à cette réalisation, proposant une solution alternative consistant en la reprise du théâtre de la Gaîté lyrique. Or ce théâtre ne permet pas d'accueillir dans ses murs un auditorium avec tous les équipements annexes destinées à l'ensemble des usages qui sont ceux aujourd'hui de la salle Pleyel, voire au-delà.
Quant à la région d'Ile-de-France, approchée, elle a fait savoir qu'elle conditionnait toute aide de sa part à une participation de la Ville de Paris.
Devant cette nouvelle donne, j'ai donné instruction à mes services de se mettre à la recherche d'autres partenaires, publics ou privés, dont la mobilisation pourrait permettre, dans des conditions économiques adéquates, la mise en oeuvre de ce projet. J'aurai l'occasion, dans peu de temps d'ailleurs, d'y revenir.
Je pense cependant que des décisions pourront être prises avant la fin du premier semestre 2000, s'agissant du mode de financement de cet équipement, des modalités de gestion et du calendrier de réalisation.
Dans l'attente de ces décisions, je veillerai à favoriser l'accès à la salle Pleyel des formations symphoniques. Vous avez cité l'association des concerts Lamoureux, mais plusieurs associations symphoniques sont également concernées.
La situation nouvelle d'une gestion purement privée de cette salle engendre des surcoûts de location pour les associations symphoniques parisiennes, lesquelles sont et demeurent un outil essentiel d'insertion pour les jeunes musiciens. Elle entraîne dès aujourd'hui des dysfonctionnements dans les partenariats avec les orchestres. Elle induit également des incertitudes quant aux conditions de résidence qui pourraient être proposées à l'orchestre de Paris au-delà de septembre 2002, date à laquelle la convention qu'il a passée avec la salle Pleyel parvient à son terme - j'en parlais récemment avec le président de la commission des affaires culturelles du Sénat, M. Adrien Gouteyron.
Or, la salle Pleyel, riche de sa tradition musicale, de la grande qualité architecturale et historique du bâtiment, et du caractère exceptionnel de sa jauge, doit à l'évidence continuer d'assumer, même dans un cadre de gestion commerciale plus marqué, une responsabilité particulière à l'égard des ensembles symphoniques parisiens, alors surtout que la métropole parisienne est aujourd'hui dépourvue d'un grand équipement moderne voué à la musique symphonique.
C'est pourquoi j'étudie actuellement les moyens les plus adéquats pour préserver cette vocation de la salle Pleyel, y compris le recours aux instruments de la protection prévus par la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques. Ce dossier est à l'étude depuis plusieurs semaines ; j'espère qu'il aboutira dans les meilleurs délais.
En toute hypothèse, j'exerce une vigilance particulière en ce qui concerne les contraintes supplémentaires imposées à l'orchestre de Paris et aux associations symphoniques parisiennes ; nous traitons les dossiers de façon à soutenir les programmations qu'elles ont pu établir.
En effet, les institutions musicales de grande qualité qui contribuent à la formation, à la connaissance des artistes et à l'information du public méritent d'être soutenues non seulement par le ministère de la culture, mais aussi, comme c'est le cas partout en France, par les collectivités territoriales, en l'occurrence celle de Paris.
Je souhaite continuer à traiter ce dossier en bonne relation avec la Ville de Paris, qui est elle aussi concernée, même si nous n'avons pas aujourd'hui trouvé d'accord sur le financement de la nouvelle salle, le maire étant opposé, notamment, au choix du site retenu à la suite de l'étude de la mission que j'avais mise en place, celui de La Villette, pourtant situé dans la Cité de la musique, et qui avait été retenu dès l'origine de ce projet.
Je souhaite donc que nous puissions aboutir sur ce dossier, car les ensembles symphoniques éprouvent aujourd'hui malheureusement, de grandes difficultés.
M. Xavier Darcos. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Je remercie Mme le ministre de m'avoir assuré de sa volonté de défendre les orchestres, volonté dont je ne doutais pas.
Je persiste à penser qu'un accord entre la Ville de Paris et l'Etat, qui eût permis une préemption sur la salle Pleyel, eût été bien meilleur que l'abandon au privé, ce dernier imposant des coûts de location considérables aux orchestres, et la construction d'un nouvel auditorium à Paris, qui entraînera des dépenses supplémentaires.

AVENIR DES PHARES