Séance du 25 novembre 1999







M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous exprimant dimanche sur une chaîne de télévision, vous avez commenté les rapports des deux commissions d'enquête parlementaires dans des termes qui m'ont particulièrement choqué, faisant état de « fuites », de « rapports publiés avant l'heure » et de « prises de position irresponsables », comme la divulgation du nom d'un informateur du préfet Bonnet.
Je tiens, de façon solennelle, à rendre une nouvelle fois hommage aux membres de notre commission d'enquête et aux fonctionnaires du Sénat : aucune déclaration publique n'a été faite ; aucune fuite n'est intervenue pendant six mois et aucun document n'a été publié, ce qui nous a d'ailleurs été reproché.
Un rapport a été rendu public mercredi dernier après avoir été communiqué à M. le président du Sénat et alors que notre assemblée en avait été informée. Toutes les règles de procédure applicables ont été scrupuleusement respectées.
Je suis donc surpris par l'amalgame auquel vous avez procédé entre ce qui a pu se passer à l'Assemblée nationale et la pratique irréprochable du Sénat.
J'ajoute que le rapport de la commission du Sénat ne comporte aucun nom qui n'ait été cité dans une procédure judiciaire et déjà mentionné dans la presse.
Notre commission n'a donc aucune responsabilité dans une divulgation qui mettrait en jeu la vie d'un informateur.
De même, afin de respecter le contrat moral avec les personnes que nous avons entendues, aucun procès-verbal de leurs déclarations n'a été publié, sauf, en partie, l'extrait de l'audition de M. Marion, pour des raisons évidentes.
Parallèlement, certains magistrats du siège - le parquet, entendu par nous, ne s'est d'ailleurs pas associé à cette procédure - souhaitent remettre en cause le rôle des commissions d'enquête, en leur reprochant d'avoir violé la séparation des pouvoirs en s'immiscant dans des enquêtes judiciaires en cours.
Un sénateur du RPR. Scandaleux !
M. Jean-Patrick Courtois. Tel n'a pas été le cas au Sénat. Chaque magistrat entendu a été parfaitement libre de ses propos et, chaque fois qu'il a évoqué le secret de l'instruction, acte lui en a été donné.
Mais chacun comprend bien l'objectif : voir petit à petit se restreindre le champs d'application des commissions d'enquête.
Cet amalgame entre vos propos et la demande des magistrats est une atteinte manifeste aux prérogatives du Parlement et est d'autant plus inacceptable en cette affaire que les révélations sont accablantes.
Je souhaite, monsieur le ministre, que vous donniez acte au Sénat de la méthode de travail de sa commission d'enquête.
Votre réponse est d'autant plus importante qu'il en va de l'avenir de la démocratie de permettre au Parlement de contrôler l'action du Gouvernement et de l'ensemble des administrations. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, il n'appartient pas au ministre de l'intérieur d'émettre un jugement global - je dis bien « global » - sur la qualité du travail d'une commission d'enquête parlementaire et du rapport qu'elle publie.
Je suis, tout autant que vous, sans doute - j'ai exercé mon premier mandat de député en 1973 - partisan de ce que le Parlement puisse exercer ses prérogatives. Je pense aussi que les membres des assemblées parlementaires sont non seulement des citoyens, mais qu'ils ont également une responsabilité particulière dans l'Etat : ils appartiennent au législatif. Ils ne sont pas, pour autant, délivrés des exigences d'un civisme, que je qualifierai non pas d'élémentaire, mais particulièrement élevé, et d'un sens de l'Etat qui doit tenir compte de la difficulté de la tâche dans laquelle celui-ci est engagé.
Encore une fois, il est très facile de critiquer. L'action est moins aisée. Je mesure à la lumière de différentes fuites, intervenues depuis déjà longtemps, et aussi à l'aune des règles qui s'imposent à moi dans la dévolution des affaires ou des enquêtes, à quel point il est difficile de conduire l'action répressive de l'Etat qui s'impose.
L'expérience des commissions d'enquête parlementaire montre qu'il y a des équilibres à trouver - je vous le dis franchement - dans les relations entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Il n'appartient pas à une assemblée d'interférer dans le jeu des nominations, par exemple, comme j'ai cru le constater en lisant peut-être un peu vite. (Murmures sur les travées du RPR.)
Le respect du secret de l'instruction, l'absence d'évocation des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires toujours en cours sont des limites qui s'imposent aux assemblées dans leur légitime travail de contrôle du pouvoir exécutif.
M. Alain Gournac. Forni !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai d'ailleurs noté la différence de ton - M. Courtois aurait dû mieux écouter mon intervention sur TF 1 - qui existait entre les deux rapports. (Rires sur les mêmes travées.)
Il me semble que les policiers, les gendarmes, les magistrats sont en droit d'attendre que leur travail ne soit pas déstabilisé par l'évocation de querelles subalternes, car, soit dit en passant, les retards qui ont pu intervenir dans le cheminement des notes n'ont absolument pas ralenti l'enquête et l'arrestation des meurtriers de Claude Erignac. De la même manière, croyez-le bien, Yvan Colonna n'a pas eu besoin d'être prévenu par la police pour prendre la fuite. Je crois que ces éléments doivent être rappelés.
L'intérêt du Parlement est de garder aussi une certaine mesure, ne serait-ce que parce que les fonctionnaires qui viennent témoigner sous serment...
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... doivent avoir confiance dans le Parlement.
Naturellement, il est de l'intérêt du Parlement que de porter des jugements équilibrés, à la fois sur les hommes et sur les résultats d'une action, dont je vous répète que, si difficile soit-elle, elle sera poursuivie implacablement. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Loridant applaudit également.)
M. Jean Chérioux. Sa réponse est embarrassée !

DYSFONCTIONNEMENTS DES SERVICES DE L'ÉTAT
EN CORSE