Séance du 15 juin 2000






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Demande d'autorisation d'une mission d'information (p. 1 ).

3. Allocation de solidarité familiale. - Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p. 2 ).
Discussion générale : M. Lucien Neuwirth, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés ; MM. le président, Gilbert Chabroux, Mme Marie-Madeleine Dieulanguard.

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

MM. Serge Lagauche, Alain Gournac, Guy Fischer, Jean Chérioux.
Clôture de la discussion générale.
Mme le secrétaire d'Etat, M. le président.

Article 1er (p. 3 )

M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat.
Adoption de l'article.

Articles 2 à 4. - Adoption (p. 4 )

Article 5 (p. 5 )

Mme le secrétaire d'Etat, MM. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales ; Michel Sergent, au nom de la commission des finances.
Irrecevabilité de l'article.

Article 6 (p. 6 )

M. le rapporteur.
Adoption de l'article.

Article 7. - Adoption (p. 7 )

Article 8 (p. 8 )

Mme le secrétaire d'Etat, M. Michel Sergent, au nom de la commission des finances.
Irrecevabilité de l'article.

Vote sur l'ensemble (p. 9 )

MM. le président de la commission, le rapporteur, Guy Fischer, Mme Marie-Madeleine Dieulanguard, MM. Serge Franchis, Alain Gournac, Jean Clouet, Nicolas About, Jean Chérioux, Serge Lagauche, Mme le secrétaire d'Etat, M. le président.
Adoption des conclusions modifiées du rapport de la commission.

4. Audiences publiques sur les projets de grandes infrastructures. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 10 ).
Discussion générale : MM. Philippe Arnaud, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement ; Léon Fatous, André Dulait, Guy Fischer.
Clôture de la discussion générale.

Articles 1er et 2. - Adoption (p. 11 )

Adoption de l'ensemble des conclusions du rapport de la commission.

Suspension et reprise de la séance (p. 12 )

5. Communication (p. 13 ).

6. Modification de l'ordre du jour (p. 14 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

7. Conseillers d'arrondissement siégeant au conseil d'une communauté urbaine. - Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p. 16 ).
Discussion générale : MM. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jean-Claude Gaudin, Robert Bret.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 17 )

M. Jean-Jacques Hyest.
Adoption des conclusions du rapport de la commission.

Suspension et reprise de la séance (p. 18 )

8. Définition des délits non intentionnels. - Retrait d'une proposition de loi en deuxième lecture (p. 19 ).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ; Jean-Jacques Hyest, Hubert Haenel, Gérard Delfau, Mme Nicole Borvo, M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mme le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.

Motion tendant au renvoi à la commission (p. 20 )

Motion n° 4 de M. Robert Bret. - Mme Marie-Claude Beaudeau, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Rejet par scrutin public.

Article 1er (p. 21 )

MM. Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Mme Nicole Borvo, M. Gérard Delfau.
Amendements n°s 1 et 2 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux. - Demande de vote unique sur l'ensemble de la proposition de loi modifiée par les amendements du Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance (p. 22 )

Demande de retrait de l'ordre
du jour de la proposition de loi (p. 23 )

M. Jacques Larché, président de la commission des lois ; Mme le garde des sceaux, MM. Henri de Raincourt, Gérard Delfau, Patrice Gélard, Mme Nicole Borvo, MM. Pierre Fauchon, Michel Dreyfus-Schmidt.
Rappel au règlement : MM. Michel Charasse, le président.
Mme le garde des sceaux, M. le président de la commission.
Retrait de l'ordre du jour de la proposition de loi.

9. Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 24 ).

10. Ordre du jour (p. 25 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

La séance est ouverte à dix heures.
M. le président. La séance est ouverte.

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DEMANDE D'AUTORISATION
D'UNE MISSION D'INFORMATION

M. le président. J'ai été saisi par M. Jacques Larché, président de la commission des lois, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information au Maroc afin d'étudier le système politique, judiciaire et administratif de ce pays.
Le Sénat sera appelé à statuer sur cette demande dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

3

ALLOCATION DE SOLIDARITÉ FAMILIALE

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 404, 1999-2000) de M. Lucien Neuwirth, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi (n° 348, 1999-2000) de MM. Lucien Neuwirth, Jean Delaneau, Jacques Bimbenet, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Christian Demuynck, Charles Descours, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Gournac, Claude Huriet, André Jourdain, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle et Guy Vissac instituant un congé et une allocation favorisant l'exercice de la solidarité familiale en cas de maladie d'un enfant ou de fin de vie d'un proche.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur de la commission des affaire sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au début de mon propos, je voudrais indiquer, notamment à l'attention du Gouvernement, que la coïncidence de l'examen de notre proposition de loi avec la tenue de la conférence de la famille est purement fortuite : le 15 juin correspondait à l'espace concédé aux initiatives parlementaires. Nous avons retenu cette date depuis longtemps, car l'adoption de cette proposition de loi apparaît en effet urgente à la commission des affaires sociales. Certes, on peut toujours attendre l'élaboration, puis l'adoption, d'un texte plus global mais, dans l'intervalle les problèmes demeurent et des familles souffrent.
En écoutant ce matin les informations à la radio, et en prenant connaissance de la dépêche de l'AFP, j'ai ainsi appris que le Gouvernement, fort opportunément, reprenait à son compte les conclusions des travaux de la commission des affaires sociales.
Aussi, nous ne voulons pas croire que le Gouvernement oppose à notre initiative sa volonté de parvenir prochainement à la rédaction d'un projet de loi aux ambitions plus vastes, plus généreuses peut-être, concernant l'ensemble de la politique familiale.
En effet, le calendrier parlementaire, en matière sociale, apparaît très chargé pour l'automne prochain, et l'on voit mal comment le congé pour enfants malades et l'allocation de solidarité familiale pourraient être institués rapidement compte tenu du nombre de textes « sanitaires et sociaux » annoncés par le Gouvernement, dont aucun ne sera adopté au cours de la présente session et qui tous, à l'évidence, ne pourront être examinés à l'automne prochain.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales a émis la ferme intention d'être très attentive à toutes les propositions gouvernementales d'amélioration de ses conlusions, et elle accepte par avance qu'un texte plus ambitieux vienne, plus tard, améliorer, si nécessaire, notre loi.
Nous souhaitons ainsi que le consensus évident en faveur de l'aide aux familles d'enfants malades puisse s'exprimer rapidement, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Dans cette affaire, je voudrais dire que personne n'a le privilège de la générosité du coeur.
La proposition de loi soumise à votre examen vise à instituer, mes chers collègues, une aide significative et concrète aux parents qui sont contraints de suspendre ou de réduire leur activité professionnelle pour soigner leur enfant malade ou accidenté, ainsi qu'à ceux qui veulent accompagner un proche en fin de vie.
Dans la situation actuelle, en effet, les familles sont contraintes de solliciter l'aide facultative des caisses d'assurance maladie ou des collectivités locales : elles n'ont aucun droit en la matière, n'ont personne vers qui se tourner. On constate des arrêts maladie, disons-le, de complaisance, ou des licenciements à l'amiable demandés par les familles elles-mêmes, ce qui n'est pas digne de notre système social.
Le texte que nous examinons aujourd'hui institue d'abord un droit à congé au profit des parents salariés ou fonctionnaires lorsque l'état de santé de leur enfant justifie des soins d'une durée d'au moins trois mois. Les parents auront donc le choix entre la réduction d'activité à temps partiel prévue par le droit en vigueur et un congé d'une durée maximale de six mois renouvelable.
La proposition de loi institue une allocation de présence familiale, qui pourra être servie à taux plein ou partiel pendant la période d'interruption ou de réduction d'activité. Cette allocation profitera à tous les parents, qu'ils soient salariés, fonctionnaires ou indépendants. Elle pourra également être servie aux personnes qui bénéficient du congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie institué par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.
Le titre premier de la proposition de loi institue, dans ses articles 1er et 2, un congé pour enfant malade au profit des salariés et des fonctionnaires.
Ce congé, d'une durée maximale de six mois et renouvelable une fois, bénéficiera aux salariés et aux fonctionnaires qui assument la charge d'un enfant de moins de seize ans dont l'état nécessite, en raison d'une maladie ou d'un accident graves, des soins d'une durée au moins égale à trois mois en établissement ou en ville.
L'obtention du congé est rapide : le salarié doit simplement en informer l'employeur par lettre recommandée.
Pendant le congé, le contrat de travail est simplement suspendu, le salarié retrouvant son emploi précédent ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente à l'issue du congé.
L'article 3 de la proposition de loi vise, quant à lui, à supprimer le dernier alinéa de l'article L. 225-15, institué par la loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, qui définit le congé d'accompagnement des personnes en fin de vie.
Cet alinéa prévoyait qu'« un décret en Conseil d'Etat détermine en tant que de besoin les modalités d'application de cet article ». Ce décret n'ayant pas été publié, et bien que le texte législatif soit souple - « en tant que de besoin » - de nombreuses personnes m'ont écrit pour savoir si elles pouvaient demander quand même le bénéfice d'un congé d'accompagnement.
Le 9 mai dernier, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, a indiqué à notre collègue Claude Huriet, qui avait été mandaté par la commission des affaires sociales du Sénat pour s'entretenir avec elle de l'état d'application des lois dans le domaine sanitaire, qu'un décret n'était pas nécessaire pour préciser l'article L. 225-15 du code du travail, qui était clair. La suppression proposée par le présent article apparaît donc tout à fait dans la ligne et donc justifiée.
Le titre II de la proposition de loi institue une nouvelle prestation familiale destinée à encourager l'exercice de la solidarité familiale lorsque, dans une famille, un enfant est malade ou un proche est en fin de vie.
Les articles 4 à 8 fixent le régime de cette allocation.
Les articles 4 et 5 instituent l'allocation de présence familiale et précisent les conditions, liées à l'état de l'enfant, pour en bénéficier.
Ces conditions sont strictement alignées sur les conditions à remplir pour bénéficier du congé pour enfant malade prévu par les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi : l'enfant doit être à charge, au sens du droit des prestations familiales, être âgé de moins de seize ans et souffrir d'une maladie ou avoir été victime d'un accident qui occasionne des soins d'une durée supérieure ou égale à trois mois.
La prestation profitera non seulement aux salariés et aux fonctionnaires, mais aussi aux indépendants et, plus généralement, à toute personne qui « cesse, réduit ou suspend son activité professionnelle ». Elle sera donc accordée en cas de démission, de congé pour enfant malade ou de réduction de l'activité à temps partiel.
Afin de ne pas favoriser une inutile complexité du droit des prestations familiales, la proposition de loi prévoit tout simplement que le montant de l'allocation de présence familiale sera aligné sur celui de l'allocation parentale d'éducation, soit un peu plus de 3 000 francs par mois à taux plein.
L'article 6 de la proposition de loi détermine le régime de l'allocation de présence familiale à taux partiel.
Cette allocation sera attribuée aux personnes, salariées, fonctionnaires, indépendantes ou exerçant, plus généralement, une activité professionnelle qui auront réduit leur activité en raison de la maladie de leur enfant.
L'article 7 prévoit, quant à lui, que la durée de service de l'allocation correspond à celle de la période de suspension ou de réduction de l'activité, sans que celle-ci puisse excéder ni la durée des soins, ni une année. Les conditions de cumul de l'allocation avec d'autres prestations sont tout simplement alignées sur celles de l'allocation parentale d'éducation.
L'article 8 étend le bénéfice de l'allocation de présence familiale, d'une part, aux personnes bénéficiaires du congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, institué par la loi n° 99-477 précitée au profit des proches d'une personne recevant des soins palliatifs et, d'autre part, aux personnes qui, sans être bénéficiaires du congé, par exemple parce qu'elles appartiennent aux professions indépendantes, cessent, suspendent ou réduisent leur activité professionnelle pour accompagner un proche en fin de vie.
En conclusion, je voudrais rappeler l'important travail accompli, à l'unanimité, par la commission des affaires sociales afin d'améliorer la situation de ceux qui souffrent. Je citerai notamment la législation sur la prise en charge de la douleur, adoptée en 1995, et celle sur les soins palliatifs, votée l'an dernier.
A chaque fois - je dis bien, à chaque fois - on nous avait mis en garde contre l'adoption de tels textes. Pour la douleur, on nous avait dit qu'il fallait faire très attention à ce sujet sensible, les thérapeutiques de lutte contre la douleur pouvant être utilisées par des toxicomanes. Pour les soins palliatifs, on nous avait dit, aussi, qu'il fallait faire très attention, que le sujet ne pouvait être abordé clairement en raison de la prégnance du débat sur l'euthanasie. Bref, chaque gouvernement avait ses prétextes.
Aujourd'hui, bien entendu, tout le monde se félicite de l'adoption de ces deux lois, et je remercie une fois encore le Sénat de s'être, à l'unanimité, associé à cette démarche.
J'espère qu'aucune mauvaise raison ne sera opposée à l'adoption de ce troisième volet et à l'expression, une nouvelle fois, d'un consensus au sein de la Haute Assemblée. Ce consensus ne peut que rassurer ceux qui souffrent et, surtout, favoriser l'édiction rapide de mesures en leur faveur. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d'abord, je vous prie de bien vouloir excuser Mme Royal, ministre délégué à la famille et à l'enfance. Elle aurait beaucoup souhaité participer à ce débat, mais il coïncide malheureusement avec la conférence de la famille. Elle est retenue, avec de nombreux autres membres du Gouvernement, auprès du Premier ministre, qui préside cette conférence ce matin même.
Connaissant mon intérêt de longue date pour toutes les questions qui touchent à la vie des familles, elle m'a demandé de la suppléer dans cet hémicycle, ce que je fais avec plaisir et intérêt.
Nous sommes réunis ce matin pour débattre d'une proposition de loi instituant un congé et une allocation permettant l'exercice de la solidarité familiale en cas de maladie d'un enfant ou de fin de vie d'un proche. Ce texte aurait pour objet de compenser la perte de revenu de celui des parents qui interromprait tout ou partie de son activité professionnelle afin de s'occuper à plein temps ou à temps partiel de son enfant gravement malade ou d'un proche en fin de vie.
Il est évident que ce sujet transcende les clivages partisans. Comme vous l'avez souligné avec beaucoup de sensibilité, monsieur le rapporteur, chacun ici partage le souci exprimé par vous-même, qui êtes l'auteur de la proposition de loi : permettre le plein exercice de la solidarité et de l'affection familiales dans les situations les plus dramatiques.
Distinguons, si vous le voulez bien, le dispositif d'accompagnement et d'aide aux familles pour les soins à un enfant malade du dispositif d'accompagnement et d'aide pour les soins à un proche en fin de vie.
En ce qui concerne les enfants, personne, en effet, ne peut demeurer insensible au désarroi et à la douleur d'une mère ou d'un père confronté à la souffrance de son enfant, à la nécessité de l'accompagner lors d'une thérapie lourde, voire douloureuse. Pour ces parents, à l'inquiétude s'ajoutent parfois la détresse de l'éloignement et les affres d'une réorganisation difficile de la vie familiale, personnelle et professionnelle pour faire face aux conséquences du diagnostic.
Ce sont ces situations que voudrait corriger la proposition de loi de M. Neuwirth dans une première partie. En cela, elle rejoint les préoccupations exprimées par d'autres. Je pense notamment à la proposition de M. Renaud Muselier et au travail mené par M. Christian Paul et Mme Marie-Françoise Clergeau, avec lesquels Martine Aubry et moi-même, déjà lorsque j'étais parlementaire, avons eu de nombreuses discussions.
Bien entendu, le Gouvernement n'est ni étranger ni insensible aux sujets évoqués. La réflexion d'ampleur et d'ensemble menée sur la politique familiale depuis trois ans pour mieux répondre aux attentes de nos concitoyens l'entraîne naturellement à se saisir des questions que nous évoquons, avec une simultanéité frappante dans le calendrier. En effet, au moment même où nous discutons ce texte, le Gouvernement s'apprête à annoncer des orientations très proches dans le cadre de la conférence de la famille.
Je rappelle que, dès 1999, M. le Premier ministre et Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité avaient engagé une démarche résolue en faveur des familles dans le triple objectif de conforter les parents dans leur fonction éducative, de faciliter la vie quotidienne des familles et de faire évoluer notre système de prestations sociales dans le sens non seulement d'une plus grande justice sociale, mais aussi d'une meilleure adaptation aux besoins exprimés aujourd'hui très clairement et très concrètement par ces familles.
Un des objectifs majeurs est la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Il faudra du temps, de la pugnacité et de la permanence dans la volonté politique pour non seulement prendre les dispositions permettant de concilier ces deux activités, mais aussi en garantir les dispositifs et faire évoluer les esprits et les mentalités. C'est un enjeu majeur de notre société, un enjeu qui nous rassemble.
En ce qui concerne, plus précisément, les congés pour assurer la garde d'un enfant malade, le législateur a, jusqu'à présent, procédé par touches successives, répondant chaque fois à des situations singulières observées dans son entourage ou rapportées avec beaucoup de sensibilité, sans veiller forcément - c'est la règle du jeu - à articuler les nouveaux dispositifs à ceux qui préexistaient dans le domaine de la solidarité familiale ou des acquis professionnels.
Ainsi, plusieurs congés et des aménagements du temps de travail ont déjà été institués. Je les rappelle rapidement : le congé d'accompagnement créé par la loi du 9 juin 1999, visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs sur votre initiative, monsieur le sénateur - je reviendrai sur ce sujet - le congé parental d'éducation et sa prolongation possible en cas de maladie, d'accident ou de handicap grave de l'enfant ; enfin, le droit de travailler à temps partiel en cas de maladie, d'accident ou de handicap grave d'un enfant à charge.
Au-delà de ces congés spécifiques, la majorité et le Gouvernement ont cherché, à travers la loi sur la réduction du temps de travail, à favoriser l'aménagement choisi du temps de travail par le salarié et ont insisté sur l'intérêt de toujours rechercher la compatibilité entre la réduction du temps de travail et les choix familiaux.
Pour des raisons liées à leur vie familiale, les personnes qui en ont fait la demande peuvent désormais bénéficier d'une réduction de leur durée de travail sous forme d'une ou plusieurs périodes d'au moins une semaine. Cette mesure permet à des parents d'assurer, par exemple, conjointement ou à tour de rôle, la charge d'un enfant handicapé pendant les vacances scolaires ou l'hospitalisation d'un enfant pour un séjour de longue durée.
Les conditions de mise en place d'horaires à temps partiel à la demande des salariés ont également été précisées lors des discussions sur la seconde loi relative à la réduction du temps de travail. Sont ainsi fixées les modalités selon lesquelles un salarié peut présenter sa demande pour passer à temps partiel ou revenir à temps plein, les conditions dans lesquelles l'employeur fait connaître sa décision ainsi que les possibilités pour ce dernier de s'opposer à la demande d'un salarié. Ces modalités sont désormais mieux encadrées.
Par ailleurs, la seconde loi sur la réduction du temps de travail a posé le principe suivant lequel le salarié à temps partiel pouvait s'opposer à une modification de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ou à des changements de ses horaires de travail lorsque ces modifications ou ces changements sont incompatibles avec des « obligations familiales impérieuses ». Tel est le cas lorsqu'un salarié veut s'organiser pour assurer pendant certaines périodes la garde d'un enfant handicapé, malade ou d'un adolescent qui a besoin de la présence de ses parents à ses côtés pour traverser une période difficile.
Cependant, ni la réduction d'activité professionnelle ni sa suspension ne sont aujourd'hui compensées financièrement. C'est la raison de votre proposition de loi, monsieur le sénateur. C'est la décision désormais arrêtée par le Gouvernement. En effet, nous nous proposons de créer un congé enfant malade, assorti d'une allocation de présence parentale calée sur l'allocation parentale d'éducation à temps plein ou partiel, à savoir 3 000 francs par mois environ en cas de suspension totale d'activité, et dégressive en fonction du taux d'activité.
Le Premier ministre préside actuellement la conférence de la famille et va proposer des mesures effectives pour venir en aide aux familles confrontées à la maladie grave d'un enfant.
Ce dispositif viserait les cas où des soins et une présence aux côtés de l'enfant sont nécessaires. Le dispositif concernerait les hospitalisations périnatales, les maladies génétiques de type myopathie ou mucoviscidose, les cancers, les allergies lourdes, les accidents graves. Il toucherait environ 13 000 enfants par an, selon nos estimations.
Compte tenu de la situation particulièrement sensible créée par ce type de maladie, il importe que le déclenchement de l'aide soit très rapide. Le Gouvernement veillera donc à ce que la procédure d'attribution de cette aide, tout en procédant aux contrôles nécessaires, soit la plus allégée possible pour ne pas pénaliser les parents.
L'objectif est d'abord de permettre aux familles d'affronter la survenance brutale d'un accident ou d'une maladie, de leur donner le temps et les moyens de s'organiser, dans l'attente soit d'une décision de la commission départementale de l'éducation spéciale attribuant l'allocation d'éducation spéciale, soit d'une amélioration de l'état de santé de l'enfant, soit d'une nouvelle organisation compatible avec la situation créée et les nouveaux impératifs familiaux.
Je rappelle à cet égard qu'en cas de maladie dont la durée prévisible est d'au moins un an l'AES est un complément compensant, notamment, la perte de gains liée à un arrêt partiel ou total d'activité d'un ou des deux parents. Cette prestation peut atteindre, pour les cas les plus graves, en cas d'arrêt complet d'activité d'un des parents ou de recours à une tierce personne rémunérée, 6 445 francs par mois ; il s'agit de l'allocation de base d'éducation et du complément de troisième catégorie.
La durée du congé et du versement de l'allocation prévue par le Gouvernement serait de trois mois renouvelables, jusqu'à ce que l'AES prenne le relai.
Durant le congé, le contrat de travail et la protection sociale du salarié seraient bien évidemment maintenus.
Le coût de cette allocation de présence parentale partagée est actuellement évalué à environ 200 millions de francs par an.
Le Gouvernement se propose d'introduire ce dispositif dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Il répondra ainsi tout à la fois à l'attente des familles et aux initiatives parlementaires multiples, dont la vôtre, monsieur Neuwirth, qui se font les relais d'une opinion publique inquiète et soucieuse de parer aux moments les plus difficiles de la vie familiale.
En ce qui concerne le congé d'accompagnement pour les proches des personnes en fin de vie, créé par l'article 11 de la loi du 9 juin dernier visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, vous aviez souhaité préciser dans la loi qu'un décret serait pris « en tant que de besoin », en application de cet article et pour en déterminer les modalités.
Vous prévoyez dans l'actuelle proposition de loi de supprimer la mention du décret. Je peux vous assurer, aujourd'hui, après expertise personnelle approfondie de la question, que la loi est sur ce point immédiatement applicable, en son état actuel, et ne nécessite pas, pour l'heure, d'être précisée par un décret d'application, tant qu'il s'agit, comme convenu jusqu'ici, d'un congé non rémunéré. En effet, les termes de la loi sont suffisamment précis pour autoriser qui le souhaite à bénéficier de ce congé, à sa demande et sur production d'un certificat médical, congé qui peut, je vous le rappelle, durer jusqu'à trois mois ou être transformé à la demande de l'intéressé en une période d'activité à temps partiel, toutes modalités précisées dans le souci d'une grande accessibilité et souplesse pour les personnes concernées.
En revanche, la volonté que vous exprimez ce matin de rémunérer ce congé ne peut être validée aujourd'hui par le Gouvernement. Les premiers chiffrages qui avaient été esquissés l'an dernier évaluaient à 1 milliard de francs le coût d'une telle allocation. Rien n'assure en outre que cette estimation soit la bonne. Une telle décision ne peut donc être prise à ce stade, nous le regrettons.
Mais, vous le savez - le Premier ministre l'a annoncé à l'occasion de la conférence de presse sur les retraites - une réforme profonde de la prestation spécifique dépendance sera proposée au Parlement avant la fin de l'année.
Vous avez rappelé que le calendrier parlementaire, notamment pour le secteur de l'action sociale, est particulièrement chargé. Mais il nous appartient, avec les présidents de chacune des assemblées, de hiérarchiser les priorités en fonction de l'intérêt des projets de loi et de l'attente de l'opinion publique.
Ce projet de loi tendant à réformer la prestation spécifique dépendance sera l'occasion d'un débat d'ensemble sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes et sur le soutien que la solidarité nationale leur doit. Nous aurons donc l'occasion d'évoquer l'ensemble des sujets qui touchent à la fois aux solidarités familiales et aux solidarités collectives à l'égard des personnes en fin de vie.
Enfin, à ce stade de mon propos, et parce que nous évoquons la loi relative aux soins palliatifs, j'en profite pour rappeler que je ferai d'ici à quelques jours, un an après l'adoption de ce texte important - voté à l'unanimité par les deux assemblées, vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur - un bilan d'étape quant au point d'avancement de ses autres décrets d'application et quant au plan triennal du Gouvernement en faveur du développement des soins palliatifs dans notre pays.
Je suis heureuse d'avoir pu exprimer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, les positions du Gouvernement, dont vous avez pu noter que, sur bien des points, elles rejoignent vos préoccupations et tentent de concilier l'intérêt des personnes, l'intérêt des familles et la solidarité nationale.
Ce matin, au moment où M. le Premier ministre préside la conférence de la famille, j'aurais pu répondre à ce que je peux considérer comme une malice politique de bon aloi en faisant de la procédure, par exemple en invoquant d'emblée l'article 40 de la Constitution. En effet, les mesures que vous proposez dans cette proposition de loi - et je partage une bonne partie de l'exposé des motifs - ont un impact financier d'une grande ampleur dont le financement n'est pas assuré dans le texte.
Par respect pour votre Haute Assemblée, mais aussi par respect pour toutes ces familles vers lesquelles se tourne notre pensée ce matin, j'ai préféré l'argumentation sincère ouvrant le débat de façon équilibrée et je vous donne rendez-vous au prochain « véhicule » législatif qui nous permettra d'instruire la création et le portage financier de ce congé à ouvrir en faveur des parents d'enfants malades. Cette mesure sera présentée avant la fin de l'année, je puis vous l'assurer : elle sera inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. le président. Je vous remercie, madame la secrétaire d'Etat, des compliments implicites que vous avez adressés au Sénat et auxquels celui-ci sera très sensible. Comme toujours, il fait un travail sérieux et formule des propositions qui vont dans le sens de l'amélioration de notre société.
La parole et à M. Chabroux.
M. Gilbert Chabroux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée par M. Lucien Neuwirth se place sur le plan de la solidarité. Il s'agit de mettre plus facilement en oeuvre la solidarité familiale et de faire appel à la solidarité de l'Etat, donc de tous les Français, lorsqu'une famille est touchée par la maladie grave d'un enfant ou la fin de vie d'un proche.
Le texte qui nous est proposé est en relation à la fois avec la politique familiale et la politique de la santé. Il touche aux droits de l'enfant et de la famille ainsi qu'aux droits du malade. Il permet aussi d'apporter un élément de réponse à des situations familiales qui révèlent de graves inégalités ou des injustices criantes.
Avant d'examiner ce texte, je souhaite rappeler rapidement la situation, la conjoncture dans laquelle nous nous trouvons.
Notre pays affiche manifestement une bonne santé, une santé qui s'est sensiblement améliorée ces dernières années, particulièrement sur les plans économique et financier.
La croissance est là, une « belle » croissance, dont tout laisse à penser qu'elle sera durable.
Le chômage est en forte régression : il est passé sous la barre des 10 %.
Les comptes de la sécurité sociale sont équilibrés et ils dégagent même des excédents, ce qui ne s'était jamais produit depuis 1985.
Les dépenses de santé ont sans doute augmenté au-delà de l'enveloppe maximale qui avait été fixée par la loi de financement de la sécurité sociale, mais la baisse du chômage et le retour de la croissance ont contribué à atteindre l'équilibre, et ce grâce au Gouvernement qui a su créer un niveau de confiance inégalé et qui a pris les mesures appropriées pour susciter, accompagner et amplifier la croissance et la baisse du chômage.
Il faut tirer un certain nombre d'enseignements de la nouvelle donne économique. Elle doit permettre de mettre en avant et de développer, dans un contexte beaucoup plus favorable, un modèle social alternatif à celui du libéralisme. Il faut impulser, avec toujours plus de détermination - et le Gouvernement s'y emploie - une politique alliant « efficacité économique » et « justice sociale ».
Des réformes sociales de grande ampleur ont été engagées. A été adaptée, en 1998, la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, qui a reconnu de nouveaux droits et mis en oeuvre de nouveaux outils pour l'insertion des personnes en difficulté. L'année dernière, c'est la loi portant création d'une couverture maladie universelle qui a été votée ; elle concerne près de 6 millions de personnes. Et, sur le plan de la solidarité qui doit s'exercer vis-à-vis des plus fragiles, vous vous êtes engagée, madame la secrétaire d'Etat, à consacrer 2,5 milliards de francs aux personnes handicapées d'ici à 2003.
Il faut poursuivre dans cette voie et profiter des bons résultats économiques pour transformer en profondeur la société. Il faut réformer sans crainte et, en particulier, avoir l'obsession de la justice sociale, obsession qui doit dicter notre loi quant à une meilleure répartition des richesses dans notre pays.
Nous savons bien - aussi grands que soient les progrès qui ont été accomplis - que le champ, hélas ! très vaste des inégalités, des injustices n'est pas couvert autant que nous le souhaiterions et ne peut sans doute pas l'être complètement.
Il existe ainsi une inégalité devant la maladie et une injustice dans les situations qui en découlent. La maladie grave d'un enfant, une maladie nécessitant des soins de longue durée, la fin de vie d'un proche sont particulièrement éprouvantes. S'il s'y ajoute des difficultés économiques et financières, parce qu'il y a perte de rémunération ou même risque de perte de l'emploi, la situation peut devenir dramatique, particulièrement pour les familles monoparentales, dans le cas de la maladie d'un enfant.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux. Le nombre de familles monoparentales s'est accru ; c'est un fait de société qu'il faut prendre en compte. Un adolescent sur quatre est aujourd'hui élevé par un seul de ses parents. Dans 80 % des cas, il s'agit de la mère qui, nous le savons bien, est beaucoup plus vulnérable sur le plan de l'emploi.
On constate, depuis quelques années, une prise de conscience de ces problèmes. Une évolution se dessine : nos concitoyens ressentent davantage le besoin de faire preuve de solidarité à l'égard des familles éprouvées. Des propositions de loi ont été présentées en ce sens. La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs a ainsi institué un droit au congé d'accompagnement. Le décret d'application n'est pas sorti, mais vous avez dit, madame la secrétaire d'Etat, qu'il n'est pas nécessaire et que la loi peut s'appliquer directement. Je citerai aussi les propositions de loi de Christian Paul puis de Renaud Muselier à l'Assemblée nationale, et une autre qui vient d'être déposée par Patrick Delnatte et qui prévoit de créer un congé de solidarité familiale. Ce congé, comme celui que je viens d'évoquer pour les soins palliatifs, ne donnerait pas lieu à rémunération.
Le Gouvernement a engagé des réflexions sur ce sujet. Vous avez évoqué, madame la secrétaire d'Etat, le droit à un congé. M. le Premier ministre doit annoncer ce matin, lors de la conférence de la famille, des mesures pour aider les familles touchées par la maladie grave d'un enfant, visant précisement à instituer un congé et à créer une allocation parentale. Nous avons été sensibles aux informations que vous nous avez données et aux précisions que vous nous avez apportées. Il s'agit aussi, en créant ce congé, cette allocation de mieux concilier, comme vous l'avez dit, vie familiale et vie professionnelle, ce qui reste l'un des thèmes majeurs de cette troisième conférence de la famille.
Toutes ces propositions et réflexions vont dans le même sens et se rejoignent. Il faut s'en féliciter, car le problème de ces familles en grande difficulté et souvent en situation de détresse nous interpelle tous, au-delà des clivages politiques.
Cela n'empêche pas de reconnaître à notre collègue, Lucien Neuwirth le mérite qui est le sien d'avoir su poser, avec beaucoup de sensibilité et d'insistance, les questions auxquelles nous sommes tous confrontés, et de faire des propositions qui doivent requérir toute notre attention. Mais, ainsi qu'il l'a dit, personne n'a le privilège du coeur ou de la générosité.
Madame la secrétaire d'Etat, lors du colloque qui s'est tenu à l'Assemblée nationale le 11 mars dernier sur le thème : Droits de l'homme et santé publique, vous avez beaucoup insisté sur les droits de la personne malade et les droits collectifs dans le domaine de la santé. C'est un sujet important et sensible. Vous souhaitez mettre en place les fondements d'une nouvelle démocratie sanitaire.
Vous avez posé ou réaffirmé, dans l'intérêt des usagers, certains principes de fonctionnement du système de santé, notamment l'obligation de moyens pour assurer la qualité et la continuité des soins. Ne peut-on pas considérer que le problème qui est soulevé aujourd'hui entre dans ce cadre et nécessite une obligation de moyens ?
Nous le savons bien, lorsqu'un enfant est gravement malade, hospitalisé pour une longue durée, la façon dont il est entouré et l'affection qui lui est prodiguée font partie de la thérapie.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Tout à fait !
M. Gilbert Chabroux. Ne s'agit-il pas aussi du droit de l'enfant à être protégé, comme le stipule la Convention internationale de droits de l'enfant ?
Et comment ne pas tenir compte de ce que souhaitent et réclament les enfantrs eux-mêmes ? Le 4 mai dernier, lors de la septième session du Parlement des enfants, ces derniers ont adopté une proposition visant à améliorer l'accueil des enfants malades à l'hôpital. Dans l'exposé des motifs, nous pouvons lire que « tous les enfants redoutent le fait de se retrouver éloignés de leur famille (...). Pour accepter plus facilement de se laisser soigner et avoir plus de chance de guérir, l'enfant malade a besoin de la présence de ses parents (...). Les nuits sont terriblement angoissantes dans sa chambre pour un enfant seul si maman et papa ne sont pas là. Il se sent abandonné, il ne comprend pas ».
Et que dire de la fin de vie ? Dernièrement, le Conseil économique et social relevait que 70 % de nos concitoyens souhaitaient vivre leurs derniers moments chez eux, entourés de leurs proches, alors que, dans les faits, seuls 26 % en auraient la possibilité. Il faudrait favoriser la fin de vie au domicile chaque fois que le patient en exprime le désir. Comment faire pour que cela soit non pas un slogan, mais la réalité d'un système de soins qui aura su prévoir la lourdeur de la prise en charge, préparer les professionnels, ouvrir le monde hospitalier à un travail en réseau avec les partenaires libéraux et aussi, bien sûr, soutenir les familles et adapter les ressources d'aides aux familles démunies ? Ce sont beaucoup de questions qui se posent.
La proposition de loi qui nous est présentée, le débat que nous avons engagé ne concernent pas uniquement les seuls malades et leur entourage. Il s'agit bien d'un choix de société et d'une volonté d'agir pour que s'exerce une plus grande solidarité. En effet, c'est à la place faite aux plus faibles et à ceux qui souffrent que l'on reconnaît la qualité d'une société. Et force est de constater, en l'état actuel des choses, que, dans le cas d'une maladie grave, d'un accident entraînant un handicap chez un enfant, ni le droit du travail ni le système de protection sociale n'incitent au plein exercice de l'indispensable solidarité familiale. Il en est de même dans le cas de la fin de vie d'un proche.
Il est important que les politiques publiques permettent à la solidarité de pouvoir s'exprimer, et ce plus particulièrement lorsque les situations sont dramatiques. Dans le cas d'un enfant malade et nécessitant des soins importants et longs, la possibilité, pour la personne qui en assume la charge, de bénéficier d'un congé est essentielle.
Reste que l'inscription dans la loi de ce droit à un congé de présence familiale se révélerait insuffisante si ce droit n'était pas assorti de prestations significatives. Cela constitue la condition nécessaire à l'exercice égalitaire du droit.
Si nous nous réjouissons, par conséquent, des mesures qui sont annoncées aujourd'hui par le Premier ministre, et qui vont tout à fait dans ce sens, nous souhaitons que ce congé soit complété - et cela est possible - par une allocation de présence familiale pour l'accompagnement de fin de vie, et que les dispositions correspondantes figurent, ainsi que vous nous l'avez dit, dans un texte prochain.
Nous vous remercions, madame la secrétaire d'Etat, des précisions que vous nous avez apportées sur le dispositif que le Gouvernement envisage de mettre en place, sur ses modalités et sur son financement, même s'il faudra sans doute affiner.
Je voudrais dire, pour conclure, que les dispositions prévues par Lucien Neuwirth dans le texte qu'il nous a présenté vont sans aucun doute dans le bon sens ; elles constituent, en tout cas, une base intéressante de propositions à partir desquelles nous devrions engager la discussion avec le Gouvernement pour pouvoir dégager ensemble les conditions dans lesquelles la loi pourrait favoriser l'exercice de la solidarité familiale en cas de maladie d'un enfant ou de fin de vie d'un proche. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par M. Neuwirth, visant à instituer un congé et une allocation favorisant l'exercice de la solidarité familiale en cas de maladie d'un enfant ou de fin de vie d'un proche, entend répondre à un vrai problème.
De quoi s'agit-il ? D'un dilemme extrêmement simple et particulièrement tragique. Il se pose aux personnes qui travaillent et qui souffrent moralement de voir leur enfant gravement malade ou un parent sur le point de quitter la vie. L'élan naturel est de se porter au secours de ceux qui souffrent, en étant au moins présent à leurs côtés. Mais il faut bien que les revenus continuent à rentrer pour assurer la subsistance du foyer.
Tout le monde saisit quelle détresse accompagne une telle situation. Après l'instauration d'un congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, institué voilà un an, par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs, il faut créer un congé pour les parents ayant un enfant gravement malade et instituer une allocation permettant de procurer des ressources à ceux qui, pendant ces moments ne peuvent plus assurer leur emploi. Chacun invoque à cette occasion, le dépassement des clivages politiques. C'est heureux et c'est réconfortant !
L'enjeu est donc de permettre à ceux qui travaillent de pouvoir assister un proche dans un état de santé grave tout en les préservant d'une précarisation de leur situation professionnelle.
Il y a à ce propos un vide dans notre droit, vide que vous avez rappelé et que vous nous proposez de combler, monsieur le rapporteur.
Ces derniers mois, diverses propositions de loi ont été rédigées concernant les congés ou les allocations qui seraient attribués pour permettre cette nécessaire présence auprès d'enfants gravement malades ou de parents en fin de vie. A cette réflexion parlementaire s'ajoute celle du Gouvernement. Je rappelle qu'aujourd'hui même se tient la conférence de la famille.
Vous avez d'ailleurs alimenté votre travail, monsieur le rapporteur, grâce aux pistes que Mme la secrétaire d'Etat à la santé avait tracées en décembre dernier à l'Assemblée nationale, lors de la discussion de la proposition de loi de M. Muselier.
Si votre souci d'aller vite est louable, il est toutefois dommage que vous n'ayez pas davantage tenu compte des dispositions qu'avait suggérées notre collègue Christian Paul dans sa proposition de loi. Elles avaient un même objectif mais protégeaient mieux, me semble-t-il, les personnes susceptibles de prétendre à ce congé. J'y reviendrai.
Tout le monde ne peut que souscrire à l'objectif de générosité dont il est ici question. Mais les solutions proposées doivent être efficaces, réelles et crédibles faute de quoi elles ne relèveraient que de l'incantation. Il faut être clair vis-à-vis des personnes concernées.
Comment ces mesures seront-elles financées ? La proposition de loi qui nous est soumise, il faut bien l'admettre, est floue sur ce point, ainsi que sur l'évaluation de leur coût. Mais quand bien même le coût de ces mesures serait élevé, il faudrait chercher à résoudre les profondes difficultés qui se posent aux proches d'enfants, de parents, de toute personne malade vivant sous leur toit et qui, dans ces circonstances douloureuses, leur doivent, et se doivent, d'être physiquement auprès d'eux.
Vous rappelez que les enfants gravement malades représenteraient moins de 2 000 cas par an. D'autres chiffres, notamment ceux que vient de citer Mme la secrétaire d'Etat, semblent indiquer que plus de 10 000 enfants seraient concernés. Je pense qu'il serait nécessaire que nous disposions de chiffres sur lesquels nous serions d'accord.
Concernant les personnes qui sont en soins palliatifs, monsieur le rapporteur, vous vous fondez sur leur faible nombre actuel. N'oublions pas que notre volonté est que ces soins puissent bénéficier à un plus grand nombre de personnes.
On ne peut pas prétendre qu'il y a de véritables besoins et soutenir que leur couverture ne coûtera rien ! Sans contester le mérite de ce texte, je ne pense pas souhaitable qu'il se limite à un simple effet d'annonce.
Pourtant, mes chers collègues, l'aspect financier ne peut être considéré comme le point essentiel.
En effet, la présence des proches est nécessaire parce que le réconfort qu'elle procure peut aider à la guérison d'un enfant et participer au soulagement de la douleur physique ou morale, voire physique et morale. Les spécialistes s'accordent pour le reconnaître.
Ne peut-on considérer également qu'une plus grande proximité avec l'enfant permet un meilleur suivi de sa santé, par une plus grande attention portée à l'apparition de symptômes anormaux pouvant permettre une action plus rapide contre l'évolution de la pathologie ? Une présence accrue permet aussi d'aller dans le sens d'une diminution des accidents.
Pour les personnes âgées, la participation à des contacts plus fréquents avec les autres membres de la famille peut contribuer au maintien du moral et favoriser un meilleur état de santé. L'entrée dans une période de fin de vie proprement dite peut s'en trouver retardée.
Votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, doit donc s'inspirer d'une réflexion plus générale sur le temps qu'il faut libérer pour la famille. Ce temps peut aussi être envisagé de façon plus positive, pour profiter de moments heureux et pour en créer les occasions.
En ce qui concerne plus particulièrement les personnes âgées, soit on se contente de ce qu'apporte le texte - c'est déjà beaucoup - soit on cherche à répondre au souci de les réintégrer pleinement dans la cellule familiale, et ce serait plutôt mon choix. Une politique globale s'impose alors, qui correspondrait à ce que déclarait récemment Lionel Jospin sur le rôle social que doivent pouvoir tenir les personnes âgées.
Dans le domaine des mesures destinées à bien faire, mais qu'il aurait fallu incontestablement mieux élaborer et surtout mieux financer, je mentionnerai la PSD, la prestation spécifique dépendance.
Cette prestation prétendait, elle aussi, répondre à un vrai besoin. Dans leur majorité, les personnes concernées en ont-elles bénéficié ? Non. Tout le monde sait que ce dispositif fonctionne mal et qu'il doit être révisé. Les inégalités sont flagrantes. Le Gouvernement travaille à élaborer un dispositif d'allocation et de compensation qui, sur la base d'un rapport remis par Jean-Pierre Sueur, irait au-delà de la question de la dépendance pour poser celle de l'autonomie. On retrouve ici le volontarisme du Gouvernement qui souhaite substituer le droit à l'assistance.
Je crains par ailleurs, mes chers collègues, que votre texte ne porte en lui quelques imperfections qui pourraient engendrer de nouvelles inégalités.
M. Jean Chérioux. Il faut l'amender !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Votre dispositif de congé pour enfant malade et l'allocation de présence familiale s'appliqueraient à tous les parents, salariés, fonctionnaires ou indépendants. Est-ce suffisant ? Cela met-il tout le monde à égalité ? Ce n'est pas sûr.
D'abord, l'organisation et les modalités d'obtention du congé sont insuffisamment encadrées. Pour le salarié, la proposition de loi pourrait prévoir, rejoignant en cela les propositions de notre collègue député socialiste Christian Paul,...
M. Jean Chérioux. Ça, c'est une référence au moins !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ecoutez, monsieur Chérioux ! C'est intéressant...
M. Jean Chérioux. C'est stupéfiant !
M. Alain Gournac. C'est intéressant parce que c'est socialiste !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ainsi, disais-je, pourrait être prise en compte dans la détermination des avantages liés à l'ancienneté la moitié de la durée du congé. Pourrait en outre être garanti le bénéfice de tous les avantages acquis avant le début du congé. Enfin, à l'issue du congé, le salarié pourrait bénéficier d'un droit à une action de formation professionnelle.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est relativement silencieux sur ces aspects et se limite à la garantie du congé annuel. Ne fallait-il pas en outre examiner la possibilité de prendre en compte la durée de ce congé pour l'avancement et le calcul de la retraite ?
Toutes ces questions restent posées, et nous devrons bien y répondre, monsieur Chérioux.
Par ailleurs, la question de l'aggravation des inégalités professionnelles entre hommes et femmes n'est pas traitée.
On sait bien que, dans le couple, ce sera la femme qui demandera le congé plutôt que l'homme, tout simplement pour conserver au foyer le salaire de celui-ci, en moyenne plus élevé. C'est donc la femme qui verra son parcours professionnel fragilisé. Pour elle, la réinsertion est en général plus problématique. Il me semble que cet aspect de la question doit être beaucoup plus approfondi.
Pour l'équilibre de la famille, il est bon que le père soit proche de l'enfant qui souffre. C'est bon pour l'enfant, c'est bon pour le père, c'est bon aussi pour la mère.
La proposition de loi ne fait qu'envisager le cas où les deux parents voudraient être présents auprès de l'enfant. Votre réponse, sur ce point, est assez modeste, monsieur le rapporteur.
Quoi qu'il en soit, il faut avancer. Cette proposition de loi constitue un apport, une étape nécessaire et utile. Elle trouve sa place dans un processus de réflexion et d'action sur le temps libéré et les solidarités familiales.
Lorsque l'on parle de temps libéré, on pense bien sûr à la réduction du temps de travail. Pour tout le monde, la loi sur les 35 heures avait comme objectif prioritaire de contribuer à réduire le chômage, et il baisse ; mais il s'agissait aussi de permettre à des liens de se créer, de se reformer. Par les nouveaux comportements qui en découlent, appelant de nouveaux modes de vie, cela n'est sans doute pas étranger à la croissance que notre pays connaît.
Pour lier cette réflexion au sujet que nous examinons aujourd'hui, je dirai qu'on peut aller plus loin en définissant mieux les liens, notamment les liens familiaux, que l'on veut promouvoir par une augmentation du temps libéré, parce qu'ils sont porteurs de solidarité, et ce d'autant plus que le drame et la maladie sont là.
Ce texte pose très clairement l'existence d'un besoin que la poursuite du processus de réduction du temps de travail, avec une adaptation à ce cas spécifique, peut résoudre au moins partiellement.
Il aurait probablement pu être enrichi par les réflexions menées dans le cadre des concertations organisées pour la préparation de la conférence de la famille.
Mes chers collègues, la conférence de la famille, qui se tient aujourd'hui, doit proposer des solutions. Nous en connaissons un certain nombre ; Mme la secrétaire d'Etat nous en a fait part à l'instant.
En attendant qu'une loi soit définitivement votée, l'exposé de ces mesures doit inspirer le contenu des tout prochains textes que nous aurons à examiner : le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le texte relatif à l'autonomie des personnes âgées. Ces textes devront apporter des solutions effectives aux difficultés dont traite la proposition de loi que M. Neuwirth nous soumet ce matin. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon propos portera à la fois sur le congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, instauré par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs, et sur les perspectives de développement de l'hospitalisation à domicile, dans un contexte où l'hôpital tend à devenir le dernier lieu de vie des Français, puisque, aujourd'hui, plus de 70 % de la population meurt à l'hôpital ou en institution.
Coupée de son milieu familier, de ses relations sociales habituelles, la personne mourante se retrouve dans un environnement technicisé et impersonnel, dans lequel elle est comme déshumanisée et dépossédée de sa mort.
Bien sûr, ce constat est à relativiser quand elle bénéficie d'un accompagnement grâce aux soins palliatifs. Mais nous devons entendre le souhait de la majorité de la population de pouvoir vivre ses derniers moments chez elle, dans son cadre familial et social habituel, afin de pouvoir inscrire sa mort dans l'histoire familiale.
Ce qui doit nous guider, c'est la nécessité de redonner aux personnes en fin de vie toute leur place dans notre société, dans le monde des vivants, et ce jusqu'à leur dernier instant. Les malades doivent pouvoir choisir de mourir à leur domicile ou à l'hôpital, tout en étant assurés de la continuité de leur prise en charge, de la qualité des soins et de l'accompagnement, ainsi que de l'égalité devant les charges financières. Pour ma part, je pense que la proposition d'un congé rémunéré formulée par notre collègue Lucien Neuwirth pourrait y contribuer.
Ne soyons pas hypocrites ! Sans indemnisation du congé d'accompagnement, celui-ci restera soit un dispositif théorique, soit une mesure tout à fait inégalitaire, favorable aux seules personnes pouvant se permettre de voir leurs revenus baisser au moment même où des problèmes financiers liés à la maladie peuvent apparaître. C'est pourquoi il est essentiel que le Gouvernement propose, dès que possible, une solution de financement satisfaisante.
D'ailleurs, c'est bien la direction dans laquelle il s'était engagé, comme Bernard Kouchner l'avait précisé à la Haute Assemblée en avril dernier, lors de la discussion de la proposition de loi sur les soins palliatifs : « Outre les financements éventuels que les rédacteurs de cette proposition de loi ne prévoient pas, et qu'ils ne peuvent pas prévoir en l'état du travail, mais qu'ils appellent de leurs voeux, cette concertation interministérielle devra permettre de se prononcer sur la pertinence de la création d'un seul congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie ou sur celle d'un congé aux visées plus larges, incluant notamment l'assistance à une personne dépendante. Par ailleurs, la concertation devrait contribuer à préciser les modalités de prise en charge de ce congé. »
Aussi, madame la secrétaire d'Etat, souhaiterais-je savoir quelles sont les conclusions dégagées dans le cadre de cette concertation interministérielle et les mesures actuellement envisagées.
Bénéficier d'une allocation en cas d'interruption ou de réduction de l'activité professionnelle pour accompagner un proche en fin de vie pourra permettre à plus de personnes de finir leur vie chez elles si l'on apporte à la famille un soutien non seulement matériel mais aussi psychologique, afin de mieux répondre à l'épuisement familial et aux angoisses du malade.
Bien sûr, il s'agit non de nous décharger sur les familles de notre devoir de solidarité envers les mourants et leurs proches, mais de leur assurer un soutien dans cette période particulièrement pénible et douloureuse.
Pour ce faire, ces mesures doivent s'inscrire dans une politique volontariste en matière d'hospitalisation à domicile, dont certains pensent qu'elle constitue une des voies de la médecine de l'avenir.
D'un point de vue strictement économique, nous devons avoir en tête le coût des différentes prises en charge d'un malade en fin de vie : de 3 000 à 5 000 francs par jour en service actif hospitalier, 2 200 francs lorsqu'il bénéficie de soins palliatifs et 1 200 francs en hospitalisation à domicile.
En février 1999, lorsque le Conseil économique et social avait rendu son avis sur l'accompagnement en fin de vie, prônant une loi d'orientation et de programmation, le secrétaire d'Etat à la santé avait indiqué que ses services travaillaient à un nouveau cadre juridique de l'hospitalisation à domicile. Où en est ce projet de réforme, madame la secrétaire d'Etat ?
Récemment, le comité consultatif national d'éthique, dans son rapport intitulé Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie, affirmait : « Il n'est jamais sain pour une société de vivre un décalage trop important entre les règles affirmées et la réalité vécue », et ouvrait la voie à une sorte d'exception euthanasique.
Je pense que la prise en charge de la fin de vie par les soins palliatifs, si elle réduit de manière significative les demandes euthanasiques, ne peut néanmoins résoudre à elle seule la question de l'euthanasie. C'est pourquoi il est nécessaire qu'un large débat s'engage au sein du Parlement sur la fin de vie et l'euthanasie. Il me semble que les Français sont prêts, eux, à le tenir. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, alors que chacun dénonce le délitement des liens entre les individus, la perte des repères et l'essoufflement de l'entraide entre les proches, il apparaît particulièrement opportun de favoriser la solidarité familiale quand elle s'exerce spontanément.
En effet, lorsque celle-ci est seule à même de favoriser le rétablissement d'un enfant ou d'accompagner de la façon la moins douloureuse possible la fin d'une vie, elle doit être encouragée et soutenue. Or notre droit ne le permet pas.
Ainsi que l'a parfaitement exprimé notre excellent collègue Lucien Neuwirth, auteur et rapporteur du texte que nous examinons aujourd'hui, les lacunes du droit du travail et de la fonction publique ne permettent pas de laisser s'exprimer pleinement cette solidarité familiale.
De fait, lorsque survient « un accident de la vie » au sein d'une famille et qu'un enfant est accidenté ou malade de façon prolongée, rien n'est prévu dans la loi pour que les parents puissent accompagner son rétablissement. Celui-ci exige pourtant bien souvent beaucoup de soins et de dévouement quotidiens, que seuls des parents peuvent offrir.
Concrètement, ces parents se trouvent placés devant l'alternative suivante : soit cesser ou réduire leur activité professionnelle, au risque de la perdre définitivement et, par là même, tout revenu, soit contourner la loi en multipliant les congés maladie pour eux-mêmes ou en organisant leur licenciement pour pouvoir toucher leur assurance chômage.
Il est intolérable que des parents déjà traumatisés par le drame qui frappe leur enfant soient contraints de recourir à de telles extrémités.
La présente proposition de loi a donc pour objet d'aider de manière significative ces parents en leur offrant la faculté d'opter pour un congé d'une durée de six mois renouvelable ainsi que l'octroi d'une allocation de présence familiale.
Cette allocation pourra également être accordée aux proches d'une personne en fin de vie qui ont choisi de demander le congé d'accompagnement institué l'année dernière par la loi du 9 juin 1999 visant à garantir l'accès aux soins palliatifs.
Alors que ce texte devrait faire l'objet d'un consensus absolu, il semble que le Gouvernement soit réticent et veuille nous opposer la préparation actuelle d'un projet de loi aux ambitions plus vastes, concernant l'ensemble de la politique familiale.
Les décisions que la majorité plurielle a déjà prises en matière de politique familiale ne nous rendent guère confiants !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Et pourtant !
M. Alain Gournac. Je vous rappelle, madame le secrétaire d'Etat, qu'en 1998 vous avez abandonné la réforme de l'impôt sur le revenu - moins 5,5 milliards de francs par an pour les familles et moins 22 milliards de francs en tout en 2001 -, mis sous conditions de ressources les allocations familiales - moins 4,8 milliards de francs, - diminué de moitié l'allocation pour la garde d'enfants à domicile - moins 0,9 milliard de francs - et réduit de moitié le crédit d'impôt pour les emplois familiaux - moins 0,7 milliard de francs.
En 1999, le Gouvernement, après avoir rétabli l'universalité des allocations familiales, a abaissé le plafond du quotient familial - moins 4 milliards de francs - et reporté à onze et seize ans les majorations pour âge - moins 1 milliard de francs. Cette mesure s'est traduite par une augmentation de l'impôt sur le revenu de 500 000 familles.
Enfin, en 2000, des restrictions fiscales sur les pensions servies aux jeunes par leurs parents ont été mises en place, pour un montant non chiffré à ce jour.
Rapportées à ces pertes, les mesures prises par le Gouvernement lors des précédentes conférences de la famille ont relevé du saupoudrage : prolongation jusqu'à vingt ans des allocations familiales, déjà prévue par la loi de 1994,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Mais non financée par la droite !
M. Alain Gournac. ... crédits supplémentaires pour les crèches, extension du nombre de bénéficiaires de l'allocation de rentrée scolaire, prolongation jusqu'à vingt et un ans de la prise en compte des enfants pour l'allocation logement et le complément familial.
Ces mesures n'ont été que d'un faible apport pour les familles puisque leur montant est resté inférieur à 5 milliards de francs.
Les familles sont donc bien les oubliées de la croissance.
En outre, je considère que la politique familiale est compromise par la mise en cause de l'autonomie financière de la branche famille et par l'abandon de la garantie de ressources dont elle bénéficiait depuis 1994.
En effet, le Gouvernement n'a pu annoncer l'équilibre de la sécurité sociale en 1999, malgré un déficit de 9,3 milliards de francs pour l'assurance maladie, qu'au prix d'un véritable tour de passe-passe : cet équilibre n'a pu être affiché qu'au moyen d'une compensation du déficit de l'assurance maladie par les excédents des branches vieillesse - 3,7 milliards de francs - accidents du travail - un milliard de francs - et surtout famille - 4,8 milliards de francs.
Cette compensation est tout à fait contraire au principe d'autonomie des trois branches de la sécurité sociale. Elle revient à confisquer l'argent de la politique familiale pour boucher le trou de la sécurité sociale !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. C'est faux !
M. Alain Gournac. La loi famille de 1994 a garanti jusqu'en 1999 la progression des recettes de la branche famille. Cette garantie n'a pas été reconduite, malgré les promesses faites par le Gouvernement lors de la conférence de la famille de 1999, la « mesurette » introduite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ayant été annulée par le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, le prélèvement de 1 % sur les revenus du patrimoine affecté à la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, est désormais détourné de son objet pour concourir au financement des retraites.
Enfin, la branche famille se voit imputer depuis cette année le financement progressif de la totalité de l'allocation de rentrée scolaire, jusqu'à présent financée majoritairement par l'Etat.
Or la prise en charge par l'Etat de l'allocation de parent isolé ne compense pas cette dépense supplémentaire, laissant à la CNAF un découvert dont l'UNAF, l'Union nationale des allocations familiales, a demandé en vain le chiffrage.
Dans le même temps, grâce à la croissance, les mesures fiscales restrictives imposées aux familles vont rapporter à l'Etat nettement plus que prévu.
La famille vient au secours de la maladie. La famille vient au secours de la retraite. La famille vient au secours de l'Etat. On peut donc se demander qui viendra au secours de la famille !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Nous !
M. Alain Gournac. Certes, grâce aux mises en garde solennelles et répétées du Président de la République, le Gouvernement auquel vous appartenez a provisoirement renoncé à mettre en cause l'allocation parentale d'éducation, qui est versée aujourd'hui à plus de 500 000 familles, mais il se refuse toujours à faire la transparence sur les comptes de la famille et à reconduire la garantie de ressources de la branche famille, privant la politique familiale de toute visibilité pour l'avenir.
Vous connaissez, madame le secrétaire d'Etat, notre position sur la politique familiale qu'il faudrait mener. Nous avons adopté une proposition de loi l'année dernière sur ce sujet.
D'autres pistes sont à explorer, notamment : l'encouragement au congé du père, la mise en place de dispositifs innovants d'aide aux jeunes adultes dans la réalisation de leur projet professionnel, la création d'un chèque famille pour un meilleur accès à des services de qualité.
C'est ainsi que nous concevons une politique familiale, c'est-à-dire une politique qui épanouit la famille, qui la soutient dans l'adversité et qui encourage la solidarité en son sein.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera avec conviction et à l'unanimité cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la séance d'aujourd'hui, consacrée à l'ordre du jour réservé à l'initiative sénatoriale, permet notamment la discussion d'une proposition de loi visant à favoriser l'exercice de la solidarité familiale.
Sans chercher à polémiquer, la question soulevée ne s'y prêtant guère, tant il apparaît nécessaire, légitime et juste de répondre concrètement aux attentes fortes des familles confrontées aux problèmes spécifiques liés à la maladie d'un enfant ou à l'accompagnement d'un proche en fin de vie, je souhaite faire quelques remarques liminaires propres à éclairer notre assemblée sur l'attitude du groupe communiste républicain et citoyen dans ce débat et sur la position finale que nous adopterons.
Bien que, par la voix du président de la commission, vous vous défendiez, messieurs de la majorité sénatoriale, de chercher à court-circuiter le Gouvernement et, par là même, la concertation engagée avec l'ensemble des associations, je constate que nous sommes amenés à nous saisir d'un sujet consensuel ayant trait à la famille le jour même où se tient la conférence de la famille. Sans doute n'y a-t-il là qu'une simple coïncidence de calendrier, mais l'intervention de M. Gournac a essentiellement porté sur la politique familiale.
M. Gournac a, en particulier, affirmé que la politique familiale était en régression par rapport à celle qui avait été menée auparavant. Il a parlé de « mesurettes » alors que des dispositions significatives ont été prises, notamment pour assurer une plus grande solidarité à l'égard des familles les plus démunies.
Je rappelle - vous y avez d'ailleurs fait allusion, monsieur Gournac - que, l'an dernier, à peu près à la même époque, les quatre groupes de la majorité avaient arraché l'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de loi qui se voulait être une « nouvelle loi pour la famille ». Mais quelle famille ? Il s'agissait des familles de trois enfants et plus et dont les revenus n'étaient certainement pas ceux des familles les plus modestes. Nous nous y étions alors fermement opposés. D'ailleurs, vous aviez vous-même voté contre l'attribution d'une prestation familiale dès le premier enfant. Aujourd'hui, vous nous confirmez dans l'attitude que nous devons adopter. Il s'agissait alors non pas de débattre au fond de mesures susceptibles d'améliorer effectivement le sort de toutes les familles, de diversifier les modes d'accueil des jeunes enfants ou de prendre en compte la situation des jeunes adultes, mais bel et bien de se servir - et vous venez d'en faire la démonstration - d'un thème cher à tous les Français, celui de la famille, pour dénigrer l'action du Gouvernement.
Par conséquent - et je présente mes excuses au premier signataire de la présente proposition de loi - permettez-moi de déplorer qu'un texte sur lequel un consensus aurait dû se dessiner fasse aujourd'hui l'objet d'une polémique à la suite de l'intervention de M. Gournac. Chacun prend ses responsabilités !
Tous ici, au-delà des clivages partisans, partageons la préoccupation des pères ou des mères touchés par le drame de la maladie grave, l'accident d'un enfant et l'impérieuse nécessité de se rendre disponible, de pouvoir adapter l'activité professionnelle aux aléas de la vie, sans ajouter à la douleur la détresse financière.
Des mesures existent déjà pour permettre aux salariés de s'absenter, de concilier au mieux vie familiale et vie professionnelle, qu'il s'agisse du congé légal pour enfant malade de trois ou cinq jours, de la prolongation du congé parental d'éducation, du droit au temps partiel ou du compte épargne-temps.
Pour autant, il est nécessaire d'adapter le dispositif actuel, de l'harmoniser et d'approfondir les réponses aux familles, aux parents d'enfants malades ou handicapés.
Deux dimensions doivent être traitées.
D'une part, il convient de répondre aux besoins d'un véritable droit à congé au profit des parents, qu'ils soient salariés ou fonctionnaires, dès lors que l'état de santé de l'enfant le justifie et quel que soit le lieu - structure hospitalière ou domicile - où l'enfant doit être pris en charge.
D'autre part, il est primordial de traiter de la compensation financière consécutive à la perte de revenus liée à l'interruption ou à la réduction de l'activité.
Cette double approche est effectivement intégrée dans la proposition de loi de M. Neuwirth instituant un congé pour enfant malade et une allocation de présence familiale servie à tous les parents, mais aussi à toute personne bénéficiant d'un congé d'accompagnement, qui a été créé en juin dernier par la loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs.
Mes chers collègues, au fond, le dispositif proposé n'appelle pas d'objection particulière ; sur le principe, nous sommes tous d'accord : il permet d'apporter une réponse immédiate aux besoins légitimes des familles.
Toutefois, pouvons-nous légiférer sans nous soucier de la cohérence d'ensemble de notre système de prestations familiales ? Ne devons-nous pas chercher, pour plus d'efficacité, à intégrer cette action spécifique en faveur des familles d'enfants malades ou des familles accompagnant un proche en fin de vie dans la réflexion plus globale déjà entreprise par le Gouvernement sur la politique familiale ?
Monsieur le rapporteur, avons-nous pris suffisamment de garanties pour que cette nouvelle prestation sociale ne conduise pas à éloigner - j'allais dire « excessivement » - le salarié de son poste de travail ? Mais, là encore, je m'interroge par rapport au comportement des chefs d'entreprise, qui éprouvent toujours quelque réticence. M. Gournac a jeté l'opprobre un peu trop facilement, me semble-t-il, sur les salariés qui prendraient des congés maladie de façon inconsidérée. Finalement, il y aurait certainement, dans le droit du travail, de quoi fonder une position citoyenne des chefs d'entreprise.
Le régime et le montant de l'allocation de présence familiale calqués sur ceux de l'allocation parentale d'éducation sont-ils satisfaisants ou doit-on encore creuser la question ?
Intervenant à l'Assemblée nationale juste avant Noël, lors de l'examen de la proposition de loi d'un de nos homologues députés visant à créer une prestation parentale d'assistance, madame la secrétaire d'Etat, vous avez fait part de l'attachement du Gouvernement à voir un congé pour raison familiale créé et sa rémunération envisagée. Vous venez aujourd'hui de montrer que la réflexion avait progressé et qu'elle se concrétiserait par l'annonce qu'a faite ce matin le Premier ministre.
Nous attendons donc à présent du Gouvernement, à l'issue de cette conférence de la famille, cette concrétisation, qui devrait s'affirmer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
En ce qui concerne plus spécifiquement le congé d'accompagnement ouvert aux proches de personnes en fin de vie, je dois dire, pour suivre plus particulièrement un dossier dans le département du Rhône, que des efforts doivent véritablement être accomplis. En effet, si une volonté a pu être affirmée à cet égard, elle ne se concrétise ni suffisamment ni aussi rapidement que nous le souhaitons. Il faut absolument que ces propositions, qui avaient d'ailleurs été formulées par le Conseil économique et social, favorable à une prestation compensatrice forfaitaire, puissent être mises en oeuvre.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. C'est vrai !
M. Guy Fischer. Le débat d'aujourd'hui devait être l'occasion de faire montre d'un certain consensus. Malheureusement, la réalité est tout autre. J'espère que la discussion des différents articles et la réponse de Mme la secrétaire d'Etat viendront éclairer notre position. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne pensais pas prendre la parole dans ce débat, mais je dois dire qu'après les propos qui viennent d'être tenus, je crois de mon devoir de le faire, et ce pour l'honneur du Sénat.
J'ai été absolument consterné par cette discussion. Je partage d'ailleurs, dans une certaine mesure, l'opinion de M. Fischer, même si nos raisons sont peut-être différentes.
Ce débat sur une proposition de loi d'une grande valeur humaine - celle de notre collègue Lucien Neuwirth - aurait pu être d'une haute tenue. Or nous avons assisté à une espèce d'amalgame pratiqué par les uns et les autres : on a essayé d'englober cette proposition de loi dans tout un ensemble de discussions qui avaient, bien sûr, un rapport avec elle, mais qui étaient surtout un moyen de ne pas entrer dans le vif du sujet et de ne pas débattre réellement de ce texte.
Vous avez dit, monsieur Chabroux, qu'il n'y avait pas de monopole du coeur. Vous avez raison ! Toutefois, dès que, dans les rangs de l'opposition nationale et, ici, de la majorité sénatoriale, une proposition va dans le sens de l'humain, cela vous paraît insupportable ! (Protestations sur les tracées socialistes.) Que faites-vous alors ? Bien sûr, vous jetez quelques fleurs, mais ce sont des fleurs pour enterrer ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
En définitive, de quoi avez-vous parlé les uns et les autres ? De la conférence de la famille, des débats à l'Assemblée nationale. Or c'est d'une proposition de loi précise, présentée par notre collègue Lucien Neuwirth, que nous devons discuter aujourd'hui ! Mme Dieulangard lui a trouvé de nombreux défauts. C'est son droit, mais il fallait qu'elle présente des amendements ! (Mme Marie-Madeleine Dieulangard s'exclame.) Tandis que là nous nous trouvons devant un refus de discuter. C'est pitoyable ! (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Serge Lagauche. Il est inadmissible de tenir de tels propos !
M. Jean Chérioux. Et ce n'est d'ailleurs pas la première fois ! Il y a déjà eu le précédent du texte de M. Neuwirth sur les soins palliatifs à l'évidence, vous étiez extrêmement gênés parce que c'est le Gouvernement qui aurait dû le proposer ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Nous nous sommes trouvés devant la même situation à propos de l'actionnariat salarié : vous étiez également très gênés parce que vous attendiez que le Gouvernement décide ou propose dans ce domaine.
En réalité, vous qui voulez être les défenseurs des droits du Parlement, vous lui fermez la bouche (Vives protestations sur les travées socialistes.)...
M. Serge Lagauche. C'est inadmissible !
M. Jean Chérioux. ... lorsque c'est l'opposition qui fait une proposition, comme elle peut le faire au sein du Sénat !
C'est la raison pour laquelle je voulais prendre la parole.
Un consensus magnifique aurait pu se dessiner autour d'une proposition de loi dont tous devraient se réjouir. Or nous avons simplement constaté beaucoup de mesquinerie, ce qui n'est pas digne du Sénat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Dans mon intervention en réponse à M. le rapporteur, premier signataire de cette proposition de loi, j'ai effectivement indiqué que je souhaitais prendre acte de la volonté qui nous rassemble de prendre en considération les besoins des familles qui s'expriment quand elles sont dans la douleur ou en difficulté. J'ai également rappelé que le Gouvernement, depuis trois ans, était déterminé à rénover une politique familiale de telle sorte qu'elle réponde véritablement aux besoins actuels des familles. J'ai rendu hommage au travail consciencieux, pugnace et efficace de la Haute Assemblée. Je ne comprends donc pas que M. Chérioux se soit énervé de cette manière, nonobstant la passion qui est généralement la sienne lorqu'on évoque ces questions.
M. Jean Chérioux. Vous n'êtes pas la seule en cause, madame le secrétaire d'Etat !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Absolument ! Mais je souhaite, monsieur Chérioux, que l'on puisse revenir au sujet d'aujourd'hui, avec la prise en compte de ce que j'ai appelé une « coïncidence malicieuse » dans le calendrier : une proposition de loi est en effet discutée au sein de cette assemblée, alors même que M. le Premier ministre préside à Matignon la conférence de la famille et qu'il apporte un certain nombre de précisions sur la volonté du Gouvernement, volonté qui devrait vous satisfaire puisqu'elle répond aux attentes et aux besoins que vous exprimez en direction des familles.
C'est donc la démonstration que le Gouvernement est aujourd'hui en osmose parfaite avec la volonté politique exprimée par les parlementaires, en relais des familles qui ont besoin d'une attention particulière. Il ne s'agit pas simplement de mots ou d'intentions, il s'agit véritablement d'engagements avec des moyens financiers à la clé.
M. le président. Madame la secrétaire d'Etat, s'agissant du calendrier, je dois à la vérité de dire que les séances mensuelles réservées sont fixées au début de la session.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Effectivement !
M. le président. C'est peut-être le hasard qui fait que, aujourd'hui, M. le Premier ministre...
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Quand j'ai pris la parole à la tribune en évoquant un côté malicieux mais de bon aloi, j'avais tout à fait conscience que le hasard du calendrier avait parfaitement bien fait les choses. Il est tout à fait logique que la Haute Assemblée, compte tenu de sa grande expérience politique, ait saisi l'opportunité de présenter cette proposition de loi aujourd'hui, jour de la conférence de la famille.
M. Alain Gournac. C'est dans l'autre sens !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je ne vous en veux pas. Je salue simplement la malice de cette opération, avec beaucoup de respect mais aussi de sympathie.
Je voudrais revenir aux propos que M. Gournac a tenus tout à l'heure. C'est un discours récurrent, depuis trois ans, qui veut laisser croire à tout un chacun que le Gouvernement qui dirige la France aujourd'hui s'attaquerait aux familles d'une manière inconsidérée, leur prendrait de l'argent pour le redistribuer autrement.
Je voudrais simplement rappeler les faits, car ils sont têtus et méritent d'être retracés.
En 1997, le Gouvernement a trouvé la branche famille en déficit de 14,5 milliards de francs.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Eh oui, la loi de 1994 !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Grâce aux mesures courageuses de redressement qui ont été prises, avec l'élargissement de l'assiette des cotisations et un certain nombre d'économies, la Caisse nationale des allocations familiales présente aujourd'hui un excédent de 4,8 milliards de francs, qui sera de 4,5 milliards de francs en 2000.
Cela permet de poursuivre la politique de rénovation des prestations familiales qui a été entreprise depuis 1997 par le Gouvernement, en liaison étroite avec le mouvement familial, je vous le rappelle, puisque, aujourd'hui, à la conférence de la famille, c'est l'ensemble du mouvement familial et tous les représentants du mouvement social qui sont réunis avec les membres du Gouvernement chargés des questions de la famille. Chaque année depuis trois ans, la conférence de la famille a marqué les étapes de cette rénovation profonde, qui a été menée sur plusieurs fronts.
La première a été l'introduction de plus de justice sociale, grâce au soutien renforcé aux familles les plus modestes. La réforme du quotient familial, que vous avez fustigée, a permis de rendre le bénéfice des allocations familiales à l'ensemble des familles, et donc de respecter l'universalité de ces prestations. Elle a aussi permis de dégager des marges de financement. A cet égard, vous avez annoncé que 500 000 familles avaient été touchées, dans le calcul de leur imposition, par la modification du quotient familial. Vous avez simplement oublié de rappeler que l'ensemble des familles ont récupéré la totalité de leurs allocations familiales. En outre, l'extension du bénéfice de l'allocation de rentrée scolaire à toutes les familles d'un enfant dès la rentrée de 1999 a représenté une majoration extrêmement importante.
Je citerai encore la majoration pour âge des allocations familiales au bénéfice des titulaires du RMI, l'alignement des loyers plafond de l'allocation de logement sur l'APL, avec une première étape en 1999 qui se poursuivra cette année et mobilisera 6,5 milliards de francs, ce qui n'est pas rien, monsieur le sénateur.
Je citerai également la réforme des aides au logement en 2001, qui permettra d'harmoniser et de simplifier ces différentes aides. Ce sera une simplification majeure pour améliorer la vie quotidienne des familles, notamment des plus modestes d'entre elles.
Nous avons aussi concouru à l'amélioration de l'accueil des jeunes enfants par la réforme des prestations de crèche.
M. Alain Gournac. Et l'AGED ?
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Dès cette année, c'est 1,5 milliard de francs qui va être consacré à l'augmentation du nombre de places.
M. Alain Gournac. Grâce à l'AGED !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, il ne s'agit pas de l'AGED, il s'agit des crèches !
M. Guy Fischer. L'AGED, c'était un véritable scandale !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. L'AGED concernait très peu de familles, tandis que l'accueil collectif et l'aménagement des modes de garde par la diversification intéressent 4 millions de familles, monsieur Gournac !
Je voudrais revenir sur l'augmentation du budget du fonds national d'action sociale : 1 milliard de francs en 1999 ; 700 millions de francs en 2000 et 1,7 milliard de francs en 2001, pour financer tous les types d'accueil collectif.
Je citerai encore la création d'un fonds d'investissement pour les crèches, qui sera doté de 1,5 milliard de francs en 2001. Cela sera inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
J'en viens à la prise en charge des jeunes adultes, avec l'extension à dix-neuf ans, puis à vingt ans de toutes les prestations familiales. Cette disposition était effectivement inscrite dans la loi « famille » de Mme Veil, mais elle n'a jamais été mise en oeuvre. C'est nous qui l'avons mise en oeuvre l'année dernière !
M. Jean Chérioux. Sur cinq ans !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Nous, nous l'avons fait : les allocations familiales sont versées aux enfants jusqu'à l'âge de vingt ans.
Je dois encore citer la prolongation à vingt et un ans du complément familial et des aides au logement pour les enfants qui restent au domicile de leurs parents, ainsi que l'aménagement de l'évaluation forfaitaire des ressources pour les jeunes en contrat à durée déterminée et l'aide à l'insertion sur le marché du travail des jeunes. Vous savez bien que, quand un jeune trouve du travail, c'est la situation de toute la famille qui en est améliorée.
Je terminerai avec le soutien aux parents dans leur rôle éducatif, avec la réduction du temps de travail, qui permet aux parents de consacrer plus de temps à leurs obligations parentales, avec la mise en place en 1999 des réseaux d'écoute et de parentalité, d'appui, d'accompagnement des parents, qui va être renforcée cette année - cette action sera poursuivie dans les années à venir - enfin, avec la réforme en cours du code de la famille.
Si vous pensez que cette liste, qui est sans doute un peu fastidieuse, constitue une grave atteinte aux droits de la famille, c'est parce que nous ne faisons pas la même lecture des orientations politiques et, surtout, des moyens qui sont mis en oeuvre pour tenir compte des engagements qui sont les nôtres. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

congé pour enfant malade
et congé d'accompagnement

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Avant le dernier alinéa de l'article L. 122-28-8 du code du travail, il est inséré quatre alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu'un enfant de moins de seize ans, en raison de la maladie dont il est atteint ou de l'accident dont il a été victime, nécessite des soins d'une durée d'au moins trois mois, en établissement ou en ville, le salarié qui en assume la charge bénéficie d'un congé non rémunéré d'une durée maximale de six mois renouvelable une fois.
« La nécessité des soins et leur durée prévisible sont appréciées selon des modalités fixées par voie réglementaire.
« Le salarié informe l'employeur, dans les formes prévues aux trois derniers alinéas de l'article L. 122-28-1, du point de départ et de la durée du congé.
« A l'issue du congé, le salarié retrouve son emploi précédent ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. »
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole et à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Madame le secrétaire d'Etat, je ne disconviens pas, bien sûr, de l'ambition des mesures annoncées. Cependant, nous le savons tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, les orientations et les projets ne sont pas des lois. Ces dernières sont d'application immédiate et elles sont évidemment susceptibles d'être améliorées.
Permettez-moi de faire une suggestion : puisque la procédure sur le sujet - et, je le crois, dans un sens qui a été conforté par les déclarations du Gouvernement ce matin - est engagée aujourd'hui dans cet hémicycle, saisissez l'occasion qui vous est offerte. Déposez des amendements au cours du débat qui aura lieu à l'Assemblée nationale ! Au Palais-Bourbon, vous pourrez, d'autant plus que vous y disposez d'une majorité confortable, apporter les améliorations que vous souhaitez.
J'ai écouté avec attention toutes les interventions. Il est au moins un point sur lequel nous pouvons nous retrouver. En effet, comme l'a dit M. Chavroux, qui a été rejoint par M. Fischer, c'est un choix de société. Nous sommes en train de faire un choix de société, auquel, les uns et les autres, nous devons participer, en dehors, vous l'avez vous-même rappelé, de clivages inutiles.
Devant la souffrance de familles, la mort d'enfants et la mort de proches, que peuvent signifier les oppositions partisanes dogmatiques ? Rien !
La procédure est engagée depuis ce matin. Je vous propose donc de la poursuivre. Certes, vous ne pouvez improviser aujourdhui des amendements qui, en dépit de la qualité de vos collaborateurs, seraient imparfaits, mais je vous suggère - je le répète - de les présenter devant l'Assemblée nationale.
Continuons la procédure qui est engagée. En effet, ce texte existe et il peut être voté à l'Assemblée nationale. En revanche, les orientations qui ont été indiquées ce matin, même si elles sont parfaites, devront encore être débattues. Nous avons publié dans le rapport la liste de tous les textes qui devraient être examinés au début de la prochaine session. Les débats qu'ils vont susciter vont retarder leur application. Or, pendant ce temps, des familles sont désespérées, des gens meurent.
La loi étant d'application immédiate, je vous lance un appel,...
Mme Nelly Olin. Très bien !
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. ... sans aucun parti pris : puisque la procédure est engagée, et c'est heureux, saisissez cette occasion et inscrivez la présente proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement pourra alors l'amender. Au Palais Bourbon, vous détenez la majorité, tant en commission qu'en séance publique, aucun vote surprise ne pourra donc avoir lieu. Je crois que nous pouvons construire.
Mais, dans l'immédiat, pensez à toutes les familles qui sont angoissées et qui sont dans l'attente. On ne peut plus attendre !
Mme Nelly Olin. Très bien !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, j'entends bien vos arguments ; il est en effet urgent de statuer pour répondre à des attentes sincères et réelles des familles. Cependant, vous le savez mieux que moi - votre expérience parlementaire est bien antérieure à la mienne - la procédure que vous engagez ce matin est longue. Il faut des allers et retours entre les assemblées ; on ne peut déclarer l'urgence sur une proposition de loi.
Suivant le processus que nous avons mis en place depuis trois ans, les propositions qui sont faites par le Premier ministre à la conférence de la famille sont fermes et seront inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous examinerons à partir du mois d'octobre prochain. Il sera adopté selon une procédure d'urgence, obligatoirement avant le 31 décembre.
Je prends donc l'engagement devant vous, ce matin, que la proposition d'instauration d'un congé parental permettant la prise en charge d'enfants malades, avec les moyens afférents à l'heure actuelle, - ils sont évalués à 200 millions de francs - sera inscrite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, qui sera adopté avant le 31 décembre 2000 et entrera en application dès le 1er janvier 2001.
Certes, nous pouvons discuter aujourd'hui mais, compte tenu de l'engagement ferme du Premier ministre et du Gouvernement, vous êtes certains que cette disposition sera adoptée avant la fin de l'année. Votre forte adhésion à cette disposition me laisse d'ailleurs penser que vous voterez le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous vous proposerons ! (M. Fatous applaudit.)
M. Guy Fischer. A n'en pas douter !
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Madame le secrétaire d'Etat, nous vous faisons bien sûr confiance. Cependant, j'invite tous mes collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, à prendre une mesure conservatoire. Il s'agit de faire en sorte que la procédure puisse continuer et que la présente proposition de loi soit éventuellement reprise à l'Assemblée nationale. En effet, un certain nombre de difficultés administratives peuvent surgir. Nous connaissons, hélas ! le poids des différentes administrations concernées. De plus, cette mesure conservatoire apportera, et c'est essentiel, quelque chose qu'on ne peut pas acheter : l'espérance. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)
M. le président. Je constate que cet article a été adopté à l'unanimité.

Articles 2 et 3



M. le président.
« Art. 2. - I. - L'article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat est complété par un 10° ainsi rédigé :
« 10° A un congé pour assister un enfant de moins de seize ans à charge au sens de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale qui, en raison de la maladie dont il est atteint ou de l'accident dont il a été victime, nécessite des soins d'une durée d'au moins trois mois en établissement ou en ville. Ce congé non rémunéré est accordé pour une durée maximale de six mois renouvelable une fois sur demande écrite du fonctionnaire. La durée de ce congé est assimilée à une période de service effectif, et ne peut être imputée sur la durée du congé annuel. »
« II. - La loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale est ainsi modifiée :
« 1° L'article 57 est complété par un 11° ainsi rédigé :
« 11° A un congé pour assister un enfant de moins de seize ans à charge au sens de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale qui, en raison de la maladie dont il est atteint ou de l'accident dont il a été victime, nécessite des soins d'une durée d'au moins trois mois en établissement ou en ville. Ce congé non rémunéré est accordé pour une durée maximale de six mois renouvelable une fois sur demande écrite du fonctionnaire. La durée de ce congé est assimilée à une période de service effectif, et ne peut être imputée sur la durée du congé annuel. »
«2° Au deuxième alinéa de l'article 136, les mots : "du premier alinéa du 1° et des 7°, 8° et 10° de l'article 57" sont remplacés par les mots : "du b premier alinéa du 1° et des 7°, 8°, 10° et 11° de l'article 57". »
« III. - L'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière est complété par un 10° ainsi rédigé :
« 10° A un congé pour assister un enfant de moins de seize ans à charge au sens de l'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale qui, en raison de la maladie dont il est atteint ou de l'accident dont il a été victime, nécessite des soins d'une durée d'au moins trois mois en établissement ou en ville. Ce congé non rémunéré est accordé pour une durée maximale de six mois renouvelable une fois sur demande écrite du fonctionnaire. La durée de ce congé est assimilée à une période de service effectif, et ne peut être imputée sur la durée du congé annuel. » - (Adopté à l'unanimité) .
« Art. 3. - Le dernier alinéa de l'article L. 225-15 du code du travail est supprimé - (Adopté à l'unanimité.)

TITRE II

ALLOCATION DE PRÉSENCE FAMILIALE

Article 4

M. le président. « Art. 4. - Au titre IV du livre V du code de la sécurité sociale, il est inséré un chapitre 4 intitulé "Allocation de présence familiale" » - (Adopté à l'unanimité.)

Article 5



M. le président.
« Art. 5. - Au chapitre 4 du titre IV du livre V du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 543-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 543-3. - Toute personne qui cesse, suspend ou réduit son activité professionnelle pour assister un enfant de moins de seize ans dont elle a la charge qui, en raison de la maladie dont il est atteint ou d'un accident dont il a été victime, nécessite des soins d'une durée de trois mois au moins en établissement ou en ville, bénéficie d'une allocation de présence familiale.
« La nécessité des soins et leur durée prévisible sont attestées par un certificat médical.
« La détermination des situations qui sont assimilées à une activité professionnelle et les modalités de leur prise en compte sont fixées par voie réglementaire.
« Le montant de l'allocation de présence familiale est égal à celui de l'allocation parentale d'éducation. »
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat, Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Cet article institue une allocation de présence familiale en cas de cessation, de suspension ou de réduction de l'activité professionnelle pour assister un enfant de moins de seize ans dont l'état de santé nécessite des soins d'une durée de trois mois au moins. La nécessité des soins et leur durée prévisible seraient attestées par un simple certificat médical. Cet article ne prévoit aucune modalité de contrôle, y compris a posteriori. Il ne précise pas explicitement si le droit à la prestation est lié au droit de congé de présence familiale, ni les conditions de renouvellement du droit.
Par ailleurs, cet article n'est pas financé. J'invoque donc l'article 40 de la Constitution à son encontre.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Madame la secrétaire d'Etat, nous nous attendions bien sûr à ce que vous invoquiez l'article 40 à l'encontre de l'article 5.
M. Alain Gournac. Ce matin, vous aviez laissé entendre que vous ne l'invoqueriez pas, madame la secrétaire d'Etat !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Pas globalement !
M. Jean Delaneau, président de la commission. Je tiens à prendre en compte les observations formulées dans le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale - rapport qui fait autorité - sur l'article 40 de la Constitution et selon lesquelles « au-delà même des projets législatifs formalisés, il peut être tenu compte des simples intentions du Gouvernement, même exprimées verbalement, à condition toutefois qu'elles l'aient été dans un cadre qui permette d'en vérifier l'exacte teneur. Des intentions gouvernementales clairement exprimées dans une enceinte parlementaire (séance publique, commissions), ou par écrit (par exemple dans l'exposé des motifs du projet de loi en discussion), peuvent valoir droit pour la recevabilité financière ». Mais nous ne sommes pas tout à fait dans cette situation.
Mme Nelly Olin. Tout à fait !
M. Jean Delaneau, président de la commission. A mon sens, l'article 40 peut être invoqué mais je ne pense pas qu'il puisse s'appliquer. Toutefois, c'est à la commission des finances de se prononcer.
M. le président. Monsieur Sergent, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Sergent, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. J'ai bien entendu le président de la commission des affaires sociales. La commission des finances a considéré qu'elle ne pouvait pas s'opposer à l'application de l'article 40.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'article 5 n'est pas recevable.

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - Au chapitre 4 du titre IV du livre V du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 543-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 543-4. - L'allocation de présence familiale est attribuée à taux partiel à la personne qui a réduit son activité. Son montant varie selon la durée de l'activité exercée. Les durées minimale et maximale de l'activité sont définies par décret.
« Les modalités selon lesquelles l'allocation de présence familiale à taux partiel est attribuée aux personnes visées aux articles L. 751-1 et L. 772-1 du code du travail, aux 1°, 4° et 5° de l'article L. 615-1 et à l'article L. 722-1 du présent code ainsi qu'aux 2° à 5° de l'article 1060 du code rural sont adaptées par décret. »
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Je sais qu'il ne peut pas y avoir de discussion après que l'article 40 a été déclaré applicable. Je tiens simplement à vous indiquer, madame le secrétraire d'Etat, que cette invocation de l'article 40 à ce moment du débat me désole vraiment ! (Applaudissements.)
Mme Nelly Olin et M. Alain Gournac. C'est consternant !
M. Jean Chérioux. Cela montre la bonne volonté du Gouvernement et à quel point il tient un double langage !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté à l'unanimité.)

Article 7



M. le président.
« Art. 7. - Au chapitre 4 du titre IV du Livre V du code de la sécurité socale, il est inséré un article L. 543-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 543-5. - L'allocation est servie pendant la période de suspension ou de réduction de l'activité, ou à partir de la date de cessation de l'activité, sans que cette durée puisse excéder, ni celle de la période où sont effectivement prodigués les soins, ni une année.
« Le bénéfice de l'allocation est supprimé en cas de reprise de l'activité à son niveau initial avant la fin de la période de soins.
« Les deux membres du couple ne peuvent cumuler le bénéfice de deux allocations à taux plein. Lorsqu'ils ont chacun réduit leur activité professionnelle, deux allocations à taux partiel sont servies sans que leur montant cumulé ne puisse être supérieur à celui de l'allocation à taux plein.
« L'allocation de présence familiale n'est pas cumulable avec :
« 1° L'indemnisation des congés de maladie, de maternité ou d'adoption ou celle des congés d'accident du travail ;
« 2° L'allocation de remplacement pour maternité prévue aux articles L. 615-19 et L. 722-8 du présent code et à l'article 1106-3-1 du code rural ;
« 3° Les indemnités servies aux travailleurs sans emploi ;
« 4° Un avantage de vieillesse ou d'invalidité ;
« 5° L'allocation parentale d'éducation. » - (Adopté à l'unanimité.)

Article 8



M. le président.
« Art. 8. - Au chapitre 4 du titre IV du Livre V du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 543-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 543-6. - L'allocation de présence familiale est attribuée dans les mêmes conditions aux personnes bénéficiant du congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie mentionné à l'article L. 225-15 du code du travail, au 9° de l'article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984, au 10° de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et au 9° de l'article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986.
« Elle bénéficie également, sur présentation d'un certificat médical attestant la gravité de la maladie aux personnes qui ne relèvent pas des dispositions du premier alinéa et qui cessent, suspendent ou réduisent leur activité professionnelle pour accompagner un ascendant, un descendant ou une personne partageant le domicile qui est en fin de vie. La détermination des situations qui sont assimilées à une activité professionnelle et les modalités de leur prise en compte, sont fixées par voie réglementaire.
« L'allocation est servie à taux plein ou partiel, soit pendant la durée du congé d'accompagnement pour les personnes qui en bénéficient, soit, pour les personnes mentionnées au deuxième alinéa, pendant la durée d'inactivité partielle ou totale, et sans qu'elle puisse être servie au-delà de la date de l'éventuel décès du malade ou pour une durée supérieure à trois mois. »
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Pour les mêmes raisons qu'à l'article 5, j'invoque l'article 40.
M. le président. Monsieur Sergent, l'article 40 de la Constitution est-il applicable ?
M. Michel Sergent, au nom de la commission des finances. La commission des finances considère qu'elle ne peut pas s'opposer à l'application de l'article 40.
M. le président. L'article 40 étant applicable, l'article 8 n'est pas recevable.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission. Madame la secrétaire d'Etat, le débat a pris une tournure assez inattendue.
Je voudrais d'abord répondre aux insinuations, implicites ou explicites, concernant la position de la commission et la demande d'inscription de ce texte à la séance réservée à l'ordre du jour fixé par le Sénat, c'est-à-dire aujourd'hui.
Voilà quatre mois maintenant que Lucien Neuwirth m'a parlé de son projet et m'a montré le texte qui avait été préparé. L'ayant approuvé immédiatement à titre personnel, j'en suis le deuxième signataire, et de nombreux membres de la commission l'ont cosigné par la suite. Mme Dieulangard m'a indiqué par écrit les raisons à mon avis tout à fait légitimes pour lesquelles les membres du groupe socialiste ne souhaitaient pas faire de même.
Nous ne connaissions pas précisément le jour auquel aurait lieu la conférence annuelle de la famille. Il n'y avait donc de notre part aucune « malice », même si ce mot, madame la secrétaire d'Etat, nous fait sourire dans la mesure où c'est sans doute l'un des qualificatifs les plus sympathiques que l'on ait attribué au Sénat depuis deux ou trois ans, à côté d'autres qui le sont beaucoup moins.
La conférence de la famille et l'examen de cette proposition de loi interviennent le même jour. Lors de trois conférences des présidents successives, j'ai demandé que ce texte figure à l'ordre du jour du matin, pensant que la conférence de la famille aurait lieu l'après-midi et que je pourrais ainsi y assister éventuellement. Finalement, cela m'est impossible, mais croyez bien qu'il n'y a pas eu de malice de notre part et encore moins, cher Guy Fischer, de tentative de court-circuit.
Personnellement, madame la secrétaire d'Etat, j'ai beaucoup apprécié la façon dont vous avez abordé le problème tout à l'heure, après l'intervention de M. le rapporteur. Je voudrais d'ailleurs souligner que seul ce dernier s'est exprimé au nom de la commission. Il est resté parfaitement, je crois, dans le cadre de cette proposiion de loi et il n'a pas - je ne l'ai pas entendu, en tout cas - dérivé sur d'autres domaines.
Cela dit, madame la secrétaire d'Etat, je regrette que vous ayez en quelque sorte - permettez-moi le terme - émasculé cette proposition de loi en lui enlevant ce qui correspond à son efficacité, c'est-à-dire le volet financier.
Bien sûr, l'article 40 fait l'objet d'interprétations diverses, mais nous ne nous attendions pas à ce que le Gouvernement ait une attitude aussi déterminée. En raison de cette dernière, il risque d'en être de ce texte comme des incantations habituelles à propos de la famille ou d'un certain nombre de propositions qui ne vont pas plus loin que le stade de la discussion, parce qu'on n'y met pas les moyens.
Pourtant, vous aviez tout à fait la faculté de laisser passer cette proposition de loi, quitte à la revoir, bien sûr, car ce texte n'a pas la prétention d'être définitif ! S'il suivait la voie normale des propositions de loi, il pourrait faire l'objet de navettes.
Je rappelle que, s'agissant des soins palliatifs, le texte finalement adopté a résulté non pas de la proposition de loi adoptée par le Sénat et transmise à l'Assemblée nationale, mais d'une proposition de loi quasiment identique que l'Assemblée nationale, dans les jours qui ont suivi, a élaboré de son côté. Et nous avons adopté cette dernière sans modifications, en première lecture, afin de faire passer l'efficacité avant les éventuelles petites crises d'urticaire qu'aurait pu provoquer le sentiment d'être un peu dépossédés. Nous ne nous sommes pas roulés par terre, et Lucien Neuwirth a parfaitement accepté ce processus, de même que l'Assemblée nationale a accepté que ce texte soit dénommé « loi Neuwirth », même s'il émane, juridiquement, de l'Assemblée nationale.
Nous serions donc passés, là aussi, sur un certain nombre de choses.
Vous dites, madame la secrétaire d'Etat, que la proposition qui vient d'être faite par M. le Premier ministre et que vous nous avez un peu détaillée est très proche, finalement, de la proposition de loi qui vient d'être présentée et qu'elle sera intégrée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce dernier point me rassure un peu. On peut en effet supposer que, dès lors, le financement sera prévu ! Or ce ne pourra être que le financement que nous avions nous-mêmes envisagé, en l'espèce l'utilisation d'une partie des importants excédents de la caisse d'allocations familiales.
Si le Gouvernement proposait un autre financement, il introduirait en effet un cavalier dans la loi de financement de la sécurité sociale. Il est donc tenu, maintenant, d'adopter ce type de financement.
Vous avez indiqué, madame la secrétaire d'Etat, qu'un texte tendant à une réforme profonde de la PSD sera déposée au Parlement avant la fin de l'année.
Je tiens à rappeler que la PSD résulte d'une initiative du Sénat, à la suite de l'incapacité des gouvernements successifs et des ministres chargés de ce secteur, qu'il s'agisse de M. Teulade ou de Mme Veil, à présenter un texte qui, à défaut d'être effectivement déposé, était toujours promis pour les prochains mois !
Sur l'initiative en particulier de M. Fourcade, la commission des affaires sociales s'est penchée sur ce problème et le Sénat a adopté un texte qui fonctionne, même s'il ne donne pas toute satisfaction, et que vous proposez de réformer. Très bien ! Mais quand, madame la secrétaire d'Etat ? Comme l'indiquait tout à l'heure Lucien Neuwirth, dans le domaine social, au moins dix textes considérés comme importants et urgents devraient être votés d'ici à la fin de l'année. Or nous savons d'ores et déjà que certains ne viendront en discussion qu'au début de l'année 2001, d'où notre inquiétude.
Pour en revenir à cette proposition de loi et à l'application de la PSD, je dirai que les adultes atteints de maladie grave les conduisant inéluctablement à la mort ne sont pas nécessairement des personnes âgées. Ces cas ne peuvent donc pas être résolus dans le cadre de la PSD.
Toujours est-il que, avec le dépôt de cette proposition de loi, le Sénat facilite le travail du Gouvernement, puisqu'un débat aura été déjà engagé.
Vous avez dit, madame la secrétaire d'Etat, qu'il fallait du temps et de la pugnacité ; certes, mais il faut aussi, de temps en temps, passer à l'action. C'est ce qu'a voulu faire le Sénat, et je ne crois pas qu'il y ait quoi que ce soit à lui reprocher. Il a fait simplement son travail d'assemblée parlementaire, dans le cadre des lois et de la Constitution.
M. Nicolas About. C'est insupportable pour le Gouvernement !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Avant tout, je veux remercier tous nos collègues qui ont participé à la mise en route de cette procédure.
Madame le secrétaire d'Etat, le fait d'invoquer l'article 40 sur deux articles de ce texte, comme vous l'avez fait, va avoir pour conséquence que, en fin de compte, seules les familles riches pourront profiter de ces congés, alors que les familles modestes en seront privées.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Lucien Neuwirth, rapporteur. Je le regrette profondément. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les préoccupations qui nourrissaient la proposition de loi de M. Neuwirth ont fait l'objet de débats unanimes au sein de la commission des affaires sociales. Un congé d'accompagnement pour les proches des personnes en fin de vie a été créé en juin dernier. S'agissant des congés en cas de soins à apporter à un enfant malade, le groupe communiste républicain et citoyen est largement intervenu au cours de débats précédents, et son souci a toujours été, notamment à travers la transformation du code du travail, de prendre en considération l'intérêt des salariés, notamment des plus démunis ou de ceux qui se trouvent confrontés aux difficultés de la vie.
Aujourd'hui, à la fin de ce débat, l'article 40 a été invoqué sur les deux articles essentiels visant à créer l'allocation.
Nous avons noté que Mme la secrétaire d'Etat a pris l'engagement solennel, à la suite de M. le Premier ministre, d'inscrire dans la loi, à l'automne prochain, la création d'un congé d'accompagnement pour les familles. L'engagement financier semble non négligeable, puisqu'il est de l'ordre de 200 millions de francs.
Il s'agit d'être pragmatique, et j'ai dénoncé avec force le ton polémique qui a été donné à ce débat par certains de nos collègues.
Il s'agit aussi d'être logique : nous avons voté à l'unanimité les articles restants de cette proposition de loi, dans l'intérêt des familles qui doivent accompagner dans les conditions les plus dignes possible leur enfant malade ou un parent handicapé.
Voilà ce qui justifie notre vote d'aujourd'hui, même si nous regrettons que l'invocation de l'article 40 ait reporté à un débat ultérieur la discussion du coeur du sujet. Mais nous comptons sur l'engagement du Gouvernement, et soyez sûre, madame la secrétaire d'Etat, que nous serons très attentifs, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, à ce que ce pas important qui vient d'être franchi grâce à l'annonce de M. le Premier ministre puisse finalement avoir des effets concrets pour les familles les plus modestes. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Le groupe socialiste va voter ce texte en l'état, c'est-à-dire un texte qui ne comprend que les seuls articles instaurant un droit à congé pour enfant malade ou pour parent en fin de vie.
Nous mesurons l'importance de ce droit au congé et c'est ce qui nous incite à voter un dispositif que nous considérons pourtant comme très partiel. En effet, pour prendre un congé, même si c'est un droit, encore faut-il pouvoir être assuré d'avoir des compensations financières, ce qui, en l'état de ce texte, n'est pas du tout le cas.
Pourtant, compte tenu de la gravité du sujet, de sa charge émotionnelle et de son importance pour les familles, le groupe socialiste votera ce texte, non sans rappeler au Gouvernement qu'il a pris en considération et qu'il a enregistré les engagements pris, ceux de M. le Premier ministre ce matin, mais aussi celui du dépôt d'un projet de loi plus général inscrit dans une politique globale de la famille afin de prendre en compte ce problème et d'envisager une indemnisation financière.
Donc, nous serons vigilants sur ce problème de l'indemnisation qui, à notre avis, est le complément, le corollaire indispensable de cette proposition de loi que nous allons voter, même si, encore une fois, nous ne sommes pas trop satisfaits. Très rapidement, il faudra prendre d'autres mesures ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Nul ne peut le nier, M. Neuwirth a toujours été novateur en matière de politique de santé publique et de politique sociale. Il convient, me semble-t-il, de lui rendre cet hommage.
En adoptant à l'unanimité cette proposition de loi, le Sénat est dans son rôle, il est fidèle à ses ambitions constantes en faveur de la famille.
Il est regrettable, pour toutes ces raisons, que le Gouvernement ait cru devoir opposer l'article 40 de la Constitution aux articles 5 et 8 de cette proposition de loi. Sur un tel sujet, il eût mieux valu que le Gouvernement et le Parlement prissent une position de consensus.
Le groupe de l'Union centriste votera, bien évidemment, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Je tiens, après M. Franchis, à féliciter M. Neuwirth, qui a beaucoup contribué à faire évoluer la santé dans notre pays. Au nom de notre groupe, je lui adresse tous nos remerciements.
Madame le secrétaire d'Etat, nous avons été étonnés - et le mot est faible : nous avons même été choqués - par le recours à l'article 40 de la Constitution. Tout à l'heure, madame, n'aviez-vous pas déclaré que vous n'envisagiez pas cette éventualité ? Vous avez donc changé d'avis au cours de la présente séance, et nous le condamnons.
En revanche, nous nous félicitons de pouvoir voter ce texte à l'unanimité, même si nous regrettons le manque de financement : comme M. le rapporteur l'a dit tout à l'heure, c'est très important, parce que certains vont pouvoir bénéficier de la mesure, mais d'autres non.
Je vous ai écoutée avec attention, madame le secrétaire d'Etat : vous avez pris des engagements. Ces derniers seront d'autant plus forts que nous allons voter aujourd'hui ce texte à l'unanimité. C'est très important, et je pense que vous l'avez perçu. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Il faudra inscrire ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale !
M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe des Républicains et Indépendants se ralliera de bon coeur au texte de notre ami M. Neuwirth. (Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Nicolas About. A l'unanimité !
M. le président. Vous souhaitez intervenir, monsieur About ?
M. Nicolas About. Oui, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. J'approuve, bien sûr, ce qui a été dit au nom de mon groupe : je suis scandalisé par l'utilisation de l'article 40 et, surtout, par cette véritable stratégie qui consiste à démolir systématiquement les textes d'origine sénatoriale, ...
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Nicolas About. ... en laissant - nous l'avons vu encore ce matin sur France 2 - Mme Ségolène Royal tenter de récupérer toutes les actions dans le domaine familial.
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Nicolas About. Le travail du Sénat est systématiquement contré. L'anomalie n'est pas là où on le croit ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean Chérioux. Oui, c'est petit, très petit !
M. le président. Monsieur Chérioux, vous souhaitez expliquer votre vote ?
M. Jean Chérioux. Oui, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, puisque vous m'y invitez si aimablement, j'indique que je voterais des deux mains, si je le pouvais,...
M. le président. Dès demain ? Non, c'est aujourd'hui qu'il faut voter ! (Sourires.)
M. Jean Chérioux. ... le texte de notre ami Lucien Neuwirth.
Je constate, comme vient de le faire mon excellent collègue et ami Alain Gournac, qu'il y a unanimité sur ces travées. Je pense, madame le secrétaire d'Etat, que vous devrez en tirer les conséquences et demander l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale du texte voté aujourd'hui à l'unanimité par le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Et rapidement !
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Je veux simplement faire remarquer à M. Chérioux que, contrairement au procès qu'il nous a fait, nous ne polémiquons pas au sujet du texte de M. Neuwirth et que, si nous prenons cette attitude, c'est que nous tenons à ce que ce projet aboutisse. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous redire très solennellement que je ne suis pas sectaire, pas plus que ne l'est le Gouvernement. Je voudrais vraiment que cela soit entendu et enregistré au procès-verbal. (M. Gournac proteste.)
Je le dis, je l'affirme et je le prouve, monsieur Gournac, et je vous renvoie pour cela à mon intervention liminaire - je sais que vous n'étiez pas là lorsque je l'ai prononcée, mais elle figurera dans le compte rendu des débats et vous aurez, j'imagine, la gentillesse de la lire - intervention dans laquelle j'ai cité l'ensemble des auteurs de propositions de loi sur le sujet, même si tous n'étaient pas des amis du Gouvernement.
Je salue l'initiative du sénateur Neuwirth - une de plus ! - qui marquera effectivement l'évolution de notre réflexion et de notre pensée.
Notre travail et nos débats d'aujourd'hui inspireront bien évidemment la mise en oeuvre des dispositifs qui seront proposés dès l'automne prochain au Parlement, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour instituer un congé pour les parents d'enfants malades.
Concernant les congés pour les personnes qui veulent accompagner un membre de leur famille parvenu en fin de vie, il a été dit à plusieurs reprises par Martine Aubry et par moi-même, notamment lors de la clôture de l'Année internationale des personnes âgées, que nous allions étudier la mise en oeuvre de dispositifs susceptibles de permettre à la solidarité familiale de s'exercer en direction non seulement des personnes âgées, mais aussi de tout membre de la famille qui a besoin d'attention.
« Aider les aidants », cela ne signifie pas seulement aider ceux qui accompagnent des personnes âgées en fin de vie, car, malheureusement, un accident de la vie peut intervenir à un âge auquel on ne l'attend pas. En charge de la politique du handicap, je sais bien qu'il faut aussi mettre en place des dispositifs pour permettre aux personnes handicapées et à leur famille de choisir leur mode de vie.
Tout cela, nous l'examinerons selon un calendrier très serré, nous en avons pris l'engagement. Et ce ne sera pas la PSD, mais une allocation d'aide à l'autonomie dont nous allons travailler les contours.
Les priorités ont été affirmées par le Premier ministre, et je prends l'engagement d'un examen très rapide de ces dispositions. Au demeurant, le projet de loi de financement de la sécurité sociale sera adopté avant le 31 décembre et, si j'ai invoqué l'article 40 à l'encontre des articles 5 et 8, c'était peut-être aussi parce que je souhaitais qu'une unanimité puisse se dégager aujourd'hui sur un tel texte. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. C'est trop gentil !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Il ne faut pas mésestimer, monsieur Chérioux, l'intérêt du Gouvernement à voir se dégager une unanimité sur une pétition de principe !
M. Alain Gournac. C'est incroyable !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je considère que la proposition de loi de M. Neuwirth permet de bien marquer notre volonté unanime de parvenir à des objectifs concrets pour répondre aux besoins des familles.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Or, si nous avions adopté aujourd'hui des mesures de financement mal adaptées, nous nous serions engagés dans un processus délicat, et je suis certaine qu'un certain nombre d'entre vous n'auraient pas pu se prononcer positivement. Après avoir écarté ces mesures, c'est très à l'aise que je puis maintenant m'en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. Nicolas About. Mme Royal n'a pas cité M. Neuwirth ce matin à la télévision !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. C'est moi qui représente le Gouvernement ici, monsieur le sénateur !
M. Nicolas About. Le Gouvernement communique à la télévision et tient un autre discours au Sénat !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Mais je le représente ce matin dans cet hémicycle !
M. le président. Avant de passer au vote sur l'ensemble, permettez-moi, mes chers collègues, de déroger pour une fois à la règle aux termes de laquelle le président de séance ne doit pas s'immiscer dans les débats ou participer au vote : en la circonstance, autorisez-moi à dire que le Sénat s'honore de compter parmi les siens notre excellent collègue M. Neuwirth, qui a toujours été, sans esprit partisan, au service de l'humanité.
Je tenais à lui rendre cet hommage et à lui dire que nous sommes heureux de le compter parmi nous. (Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 348.

(Ces conclusions sont adoptées à l'unanimité.)

4

AUDIENCES PUBLIQUES SUR LES PROJETS
DE GRANDES INFRASTRUCTURES

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 402, 1999-2000) de M. Philippe Arnaud, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de loi (n° 196, 1999-2000) de MM. André Dulait, Jean-Paul Amoudry, Philippe Arnaud, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Michel Bécot, Claude Belot, Daniel Bernardet, Jean-Pierre Cantegrit, Marcel Deneux, Gérard Deriot, André Diligent, Jean Faure, Serge Franchis, Yves Fréville, Francis Grignon, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Daniel Hoeffel, Jean Huchon, Claude Huriet, Jean-Jacques Hyest, Henri Le Breton, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Philippe Nogrix, Jacques Machet, Kléber Malécot, André Maman, Louis Mercier, Louis Moinard, René Monory, Philippe Richert, Michel Souplet, Albert Vecten et Xavier de Villepin portant sur l'organisation d'audiences publiques lors de la réalisation de grandes infrastructures.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Arnaud, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise ce matin, portant sur l'organisation d'audiences publiques sur les projets de grandes infrastructures, tend à combler une lacune de la législation existante : la consultation directe et préalable des citoyens des communes intéressées par un projet de création d'une nouvelle grande infrastructure.
Cette proposition, due à l'initiative de notre collègue André Dulait, est le fruit de son expérience, du constat fait des difficultés rencontrées sur le terrain dans l'application des procédures relatives à la réalisation de grands projets, ainsi que des expérimentations que notre collègue a faites et qui valident la nécessité de compléter les dispositions en vigueur lors de la mise en oeuvre de grands projets.
Par ailleurs, cette proposition est en parfaite cohérence avec l'analyse et les conclusions de l'excellent rapport du Conseil d'Etat sur l'utilité publique.
Il est apparu, en effet, que les procédures de consultation existantes n'intervenaient pas suffisamment en amont dans le processus de décision concernant les grands travaux ou les grandes infrastructures.
La consultation des populations s'apparente, de plus en plus, à une simple formalité, qui, du fait de son caractère tardif, ne peut, en réalité, exercer aucune influence sur un processus déjà engagé et largement irréversible. On pourrait, en forçant un peu le trait, qualifier ces procédures d'opération de communication de « grand-messe » ou de « simulacre » de consultation.
Les phases ultérieures du processus concernant le projet - arrêté préfectoral déclarant le projet d'intérêt général, études préliminaires conduisant à l'élaboration des avant-projets, ouverture de l'enquête publique, etc. - voient la mise en place de procédures de consultation ou de discussion sur les phases tendant à rendre le projet opérationnel ou exécutoire. Elles ne remettent jamais en cause la logique même du projet.
Renforcer le droit à l'information, permettre l'exercice concret de la démocratie, mais aussi moderniser le processus de décision par la mise en place d'une évaluation publique préalable de la pertinence et de l'opportunité d'un certain nombre de grandes opérations, tels sont les objectifs de la proposition de loi, qui vise à mettre en place des procédures de consultation du public s'inspirant de modèles existants, notamment en Amérique du Nord.
La discussion publique interviendrait en amont du déclenchement de la procédure d'enquête publique, en amont de la décision. Elle permettrait ainsi aux personnes et aux associations intéressées d'intervenir plus efficacement, en présentant notamment des contre-expertises dans le cadre d'un débat véritablement contradictoire. Elle donnerait aussi aux « initiateurs » des projets la possibilité de connaître le sentiment du terrain et, partant, de modifier, voire d'abandonner, certaines initiatives.
Les raisons du relatif échec des procédures existantes tiennent sans doute au caractère limitatif de leur champ d'application : en l'occurrence, la protection de l'environnement.
Mais d'autres raisons expliquent aussi l'insuffisante participation citoyenne à la prise de décision. Comme le soulignent les auteurs de la proposition de loi, la complexité du vocabulaire utilisé, le manque d'information et la présentation du projet comme sans véritable alternative accentuent chez le citoyen l'impression que les jeux sont faits et les choix déjà opérés, tout le dossier étant perçu, en définitive, comme entièrement maîtrisé par des experts.
L'intervention de la population apparaît d'autant plus nécessaire que, de plus en plus féquemment, ainsi que le relèvent les auteurs de la proposition de loi mais aussi le rapport du Conseil d'Etat sur l'utilité publique, les grands projets d'infrastructures - autoroutes, lignes TGV, lignes à haute tension, barrages, usines, centres d'enfouissement - touchant à l'environnement, domaine sensible, mais aussi, d'une manière générale, à l'aménagement du territoire, sont l'objet d'une forte contestation émanant principalement des populations concernées, ce qui se conçoit bien, mais également de groupes de pression parfaitement au fait de dossiers dont ils entendent contester l'opportunité, alors que les processus engagés sont déjà largement irréversibles.
Je vous ferai grâce de l'énoncé des diverses, multiples et complexes procédures existantes, rappelant seulement que, pour la plupart, elles ont été complétées, modifiées et actualisées, notamment par la loi du 12 juillet 1983, dite « loi Bouchardeau », la circulaire Bianco du 15 novembre 1992, la loi Barnier du 2 février 1995, le décret du 10 mai 1996 portant création de la commission nationale du débat public et la charte de concertation mise au point par Corinne Lepage.
Je veux toutefois attirer l'attention du Sénat sur la convention européenne sur l'accès à l'information et la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, conclue à Aarhus, au Danemark, le 25 juin 1998, et qui intéresse les quinze Etats membres de l'Union. Relevons, au passage, que cette convention n'a pas encore été ratifiée par la France.
L'article 6 de cette convention fait obligation aux parties de mettre en place une procédure de participation du public au processus de décision relatif, d'une part, aux autorisations des activités énumérées dans une liste jointe à la convention et qui vise notamment le secteur de l'énergie - raffineries, centrales nucléaires, etc. - la production et la transformation des métaux, l'industrie minérale, etc. et, d'autre part, aux autorisations d'activités qui peuvent avoir un effet important sur l'environnement.
Cette disposition fait obligation à chaque Etat partie à la convention de « prévoir des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d'environnement ». Il est également prévu que « la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et si le public peut exercer une réelle influence. »
Cette convention, vous l'aurez compris, est le fruit non pas du hasard mais bien de la nécessité. Comme le préfet Hubert Blanc, président de la commission nationale du débat public, a bien voulu nous le confier, lors d'une audition, la concertation en amont est, certes, une exigence contemporaine de la démocratie, mais elle est aussi - c'est là le fruit de son expérience - une condition d'efficacité.
Le débat parlementaire qui devrait s'ouvrir, sur l'initiative du Gouvernement, à l'occasion de l'examen du futur projet de loi de Mme la ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire sur la réforme de l'utilité publique, peut-être au printemps 2001, devrait pouvoir donner lieu à d'utiles réflexions et, nous le souhaitons tous, à des conclusions et des propositions adaptées et concrètes.
Il convient, me semble-t-il, de ne pas alourdir cette présentation du texte par le rappel de l'ensemble des procédures, pour s'en tenir à la philosophie du projet, qui consiste, finalement, à rendre la parole aux citoyens, après avoir pris soin, toutefois, d'insister sur quelques écueils que la commission a pris soin d'éviter.
Quels sont ces écueils ?
Le premier est que les maires, qui pourraient être parties prenantes à l'organisation de ces consultations, soient finalement perçus par la population comme responsables ou coresponsables de la décision, en d'autres termes qu'ils deviennent des boucs émissaires. S'il s'agit de projets de compétence municipale, il appartient bien sûr au maire d'assumer sa responsabilité. Mais s'il s'agit de projets d'une compétence départementale, régionale, voire nationale, il ne faut pas que le maire serve de bouc émissaire.
De ce point de vue, la proposition qui vous est soumise ce matin, mes chers collègues, prend soin de faire du maire le garant de la transparence de la procédure.
Le deuxième écueil serait que la mise en oeuvre de ces procédures, qui relève de la démocratie participative, ne vienne se heurter à la démocratie représentative, à laquelle chacun ici est attaché.
Aussi avons-nous précisé qu'en aucun cas il ne s'agissait, au travers de ce texte, d'opérer un transfert de responsabilité ou de pouvoir de décision des élus ou de l'Etat vers des groupes de pression ou vers des populations.
En fait, on recueille des avis, étant rappelé que l'autorité publique compétente ne serait pas liée par les avis recueillis.
Un autre écueil serait - cette crainte a parfois été exprimée - l'allongement des délais, la complexité plus grande et, finalement, la paralysie de la puissance publique.
Sur ce point, on peut, je crois, dire très objectivement que, au contraire, cette procédure, qui appelle en amont la participation des populations, éviterait sans aucun doute bien des difficultés ultérieures. Cela ressort très nettement du rapport du Conseil d'Etat. Quant au préfet Hubert Blanc, président de la commission nationale du débat public, il souligne que la négligence de ces débats préalables entraîne très souvent pour les projets les plus grandes difficultés, quand elle ne dresse pas des obstacles parfois infranchissables, alors que la consultation en amont, avec le débat public, permet, finalement, une plus grande efficacité des procédures.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission propose l'adoption de cette proposition de loi, dont l'article 1er vise plus particulièrement les grands projets dont l'impact est local - communal, départemental ou régional - et où la concertation est appelée sur un territoire déterminée, et dont l'article 2, prenant un peu plus de recul, si je puis m'exprimer ainsi, vise les grands projets d'infrastructure, notamment linéaires, les projets de réseaux, dont l'utilité n'est pas forcément perceptible ou préhensible au point de passage desdits réseaux, à savoir autoroutes, voies ferrées, etc. Dans les couloirs qui sont empruntés par ces réseaux, les populations ne sont pas forcément sensibles à l'utilité de ces projets, alors qu'il est exact que l'on mesure plus facilement leur intérêt aux points de desserte.
Il est donc souhaitable que l'ensemble des populations qui devront supporter les nuisances créées par ces projets d'intérêt général soient associées au processus de décision.
En tout cas, une démarche d'information franche et honnête doit être entreprise en leur direction pour recueillir des avis avant toute prise de décision. (Applaudissements.)
M. Serge Franchis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée a décidé d'inscrire à l'ordre du jour de ses travaux une proposition de loi du groupe de l'Union centriste, dont le premier signataire est M. Dulait.
L'objectif de ce texte est, comme vous l'avez dit à l'instant, monsieur le rapporteur, de rendre obligatoire l'organisation de présentations publiques des projets de grandes infrastructures, quatre mois au moins avant l'ouverture de l'enquête publique.
Votre commission des affaires économiques a souhaité que ces réunions de présentation soient organisées par le maître d'ouvrage, alors que les auteurs de la proposition de loi avaient initialement pensé qu'elles devaient l'être par les maires des communes concernées.
Le Gouvernement est, bien entendu, favorable à l'amélioration des procédures de concertation en amont des projets d'aménagements et de réalisation d'infrastructures. Il l'a d'ailleurs montré encore tout récemment, à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains.
Je rappelle, à cet égard, qu'avec Louis Besson nous avons proposé dans ce cadre une simplification des procédures qui président à l'élaboration des documents d'urbanisme ainsi que des dispositions visant à l'amélioration de la concertation en amont des décisions. Nous l'avons fait dans le double objectif de démocratiser le processus de décision et de limiter l'importance du contentieux portant sur des questions de forme.
Il convient également de préciser que le Gouvernement prépare, sous l'égide de Mme Voynet, une réforme de l'utilité et des procédures d'enquêtes publiques qui devrait se traduire, l'an prochain, par la présentation d'un projet de loi devant le Parlement.
Comme vous le savez, et vous le montrez dans votre rapport écrit, monsieur le rapporteur, le droit relatif à cette matière repose sur de nombreux textes. Vous en avez d'ailleurs cités plusieurs.
J'évoquerai pour ma part la loi du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement, que nous devons à la gauche, et celle du 2 février 1995, initiée par M. Barnier lorsqu'il était ministre de l'environnement. Il en existe encore bien d'autres, inscrites dans différents codes et s'appliquant à de nombreuses opérations particulières.
J'estime qu'il est de plus en plus nécessaire, dans tous les domaines, de croiser le travail des experts et des concepteurs des projets avec les avis de ceux qui ont l'expérience du terrain et, je puis vous l'assurer, le Gouvernement est dans cet état d'esprit.
Aussi, considérons-nous qu'il convient de réfléchir à une réforme globale des procédures de consultation et d'enquêtes publiques, afin de définir des procédures plus simples, plus claires et plus transparentes et susceptibles de rassembler et de prendre en compte l'ensemble des avis exprimés, dans l'objectif d'améliorer la fonctionnalité et la qualité des projets qui doivent correspondre à l'intérêt général.
De même, il convient de réfléchir à l'utilisation que l'on peut faire des nouvelles technologies de communications pour l'information et la consultation des élus et des citoyens.
Dans ces conditions, et je tiens à être clair, quelles que soient les intentions louables des auteurs et du premier signataire de cette proposition de loi, n'est-il pas prématuré d'instaurer une nouvelle procédure de consultation qui viendrait s'ajouter au dispositif juridique actuel et se superposer aux procédures existantes ?
Le vote d'une loi est une chose importante. Pour trouver sa pleine efficacité, une loi doit s'inscrire dans la durée. Il n'est assurément pas bon de légiférer en permanence sur le même domaine. Il en résulte des difficultés pratiques sur le terrain, non seulement pour ceux qui sont chargés de la mise en oeuvre des procédures, mais aussi pour les élus et pour la population qui ont une mauvaise lisibilité de la mise en oeuvre de l'action de l'Etat.
En outre, comme l'indique M. Arnaud dans son rapport écrit, j'appelle votre attention sur les difficultés bien réelles qu'il y aurait à créer, surtout à l'échelle communale, des procédures d'information et de consultation trop en amont des projets, lorsqu'ils en sont au stade de déclaration d'intention ou qu'ils ne sont pas suffisamment bien définis.
Prenons l'exemple d'une grande infrastructure terrestre relevant de mon ministère, TGV ou autoroute. La première étape de la réflexion, dans le cadre du débat public, consiste à analyser les besoins en déplacements et les solutions pour les satisfaire, tous modes confondus, car la démarche du Gouvernement est, vous le savez, a priori multimodale. Il est alors question non pas de commune traversée, mais des conditions d'un réel débat citoyen, notamment avec les élus, autour des choix de développement, souvent à l'échelle d'une région ou d'une agglomération.
Dans le cas où une infrastructure nouvelle a été retenue, vient ensuite la comparaison de fuseaux qui donne lieu à une large concertation publique. Là encore, le nombre de communes touchées et l'imprécision des tracés ne permettent pas un raisonnement uniquement à l'échelle communale.
Vient enfin le choix d'une solution, parmi plusieurs variantes, qui est soumis à enquête d'utilité publique. Il est alors indispensable que chaque personne concernée ait un accès très large au dossier et qu'elle puisse se prononcer. Le Gouvernement travaille précisément à l'amélioration des conditions et de la transparence de cette étape.
Que représenterait l'étape de consultation intermédiaire qu'on nous propose aujourd'hui de faire quatre mois avant ? Eh bien, soit une solution est retenue, et alors la réunion publique pourrait se tenir pendant l'enquête ; soit elle ne l'est pas, et on se trouve encore dans une phase de concertation, où la transparence vis-à-vis des habitants est indispensable.
La solution que préconisent les auteurs de cette proposition de loi et votre commission présente donc des avantages mais aussi des inconvénients sur lesquels il convient de réfléchir. C'est précisément sur les réponses à apporter à ce genre de problématique que le Gouvernement exprime sa volonté d'avancer.
Enfin, je note que la commission a souhaité que les collectivités territoriales n'apparaissent pas comme coresponsables du projet soumis au débat. Permettez-moi, monsieur le rapporteur, de m'interroger sur l'opportunité de cette suggestion.
Je vous rappelle que les collectivités territoriales représentent elles aussi l'Etat à leur niveau et qu'elles doivent contribuer à la réalisation de l'intérêt général. Mais vous l'avez dit, monsieur le rapporteur. La Constitution affirme d'ailleurs à cet égard que la République est une et indivisible.
Un projet d'infrastructure routière, autoroutière, ferroviaire, portuaire ou aéroportuaire ne saurait être réalisé que s'il présente une utilité reconnue pour l'ensemble de la collectivité et il concerne, par définition, toutes les collectivités, même celles pour qui la réalisation du projet comporte un certain nombre d'inconvénients, sans omettre de rappeler qu'il peut être également source d'activité et d'emplois pour celles-ci. Les collectivités locales ne doivent pas être seulement le lieu d'expression d'intérêts particuliers, même s'il faut les prendre en compte.
Pour toutes les raisons que je viens d'exposer, le Gouvernement n'est pas favorable, en l'état, à l'adoption de cette proposition de loi. Il préfère, je le dis à son premier signataire, que le débat que nous avons ce matin s'intègre aux réflexions en cours portant sur la réforme globale et cohérente de l'utilité publique qu'il prépare.
Vous le savez, ce gouvernement a pour principe de faire ce qu'il dit et de dire ce qu'il fait. L'importance des réformes qu'il a entreprises et du travail législatif qu'il a réalisé depuis juin 1997 sont les meilleurs gages de sa volonté de faire aboutir les réformes qu'il annonce. Aussi, je crois que vous pouvez lui faire confiance pour la mise en oeuvre de cette réforme de l'utilité publique et pour mener auparavant les concertations et les réflexions qui s'imposent pour parvenir à une réforme durable et de qualité.
Permettez-moi, pour conclure, d'attirer votre attention, en matière de transparence et de dialogue, sur les grands projets d'infrastructures : il y a les lois, la perspective de leur évolution pour le premier semestre de 2001 dont j'ai parlé, et les faits.
Je souhaite que ces faits et ces lois renforcent les droits des citoyens et que la mise en application de ces dernières puisse être vérifiée. Vous consulterez vos collègues pour savoir si ce que je vous annonce à l'instant est vrai ou faux : s'agissant du TGV Est européen, de l'A 28, de Roissy, de l'A 51, tout ce que nous faisons, tout ce que nous avons fait, prouve que plus nos concitoyens sont associés à la connaissance et à la réflexion, mieux les décisions sont prises. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur tous les grands projets touchant à l'aménagement du territoire, dont les projets d'infrastructures sont partie prenante, la concertation avec la population est une nécessité. C'est là, je crois, un point de vue partagé par tous. L'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat est donc une initiative heureuse.
A ce propos, avant d'aborder le fond de la proposition de loi, je souhaite ouvrir une parenthèse afin de revenir sur certaines prises de position de la majorité sénatoriale lors de l'examen du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains qui me semblent contraires à l'objectif que nous cherchons à atteindre aujourd'hui, à travers l'examen de ce texte, à savoir renforcer la transparence et la concertation avec le public sur tout grand projet d'aménagement, dans un double souci : approfondir la démocratie participative, comme je l'ai déjà dit, mais aussi asseoir la légitimité des décisions publiques.
En effet, lors de l'examen de ce projet de loi, plusieurs amendements visant à restreindre les droits d'accès des citoyens aux tribunaux en matière d'urbanisme ont été adoptés contre l'avis du Gouvernement et avec l'opposition du groupe socialiste. Comme l'a alors indiqué le secrétaire d'Etat au logement, ces amendements sont tout à fait discutables sur le plan constitutionnel, notamment au regard des libertés publiques.
A titre personnel, j'ajoute que si je comprends bien le souci de certains de mes collègues, à savoir éviter la multiplication des contentieux, je ne crois pas que ce soit en limitant les droits de recours que l'on y parviendra, et que l'on renforcera la légitimité des décisions publiques, notamment en matière d'urbanisme ou de grands projets d'aménagement, qu'elles relèvent de la compétence de l'Etat ou des collectivités territoriales.
Je crois en revanche aux vertus du dialogue, le plus en amont possible des projets, à celles des débats contradictoires, et à la nécessité d'un suivi et d'un bilan tout au long de la réalisation desdits projets.
C'est ainsi que l'on luttera efficacement contre l'inflation des contentieux. Si l'on fait confiance à la démocratie, les causes de malentendus, donc de polémiques et de recours, seront réduites. J'espère que lors de la prochaine lecture de ce texte, le Sénat ne défendra pas à nouveau ces amendements.
La proposition de loi prévoit l'organisation, pour avis, au niveau communal, d'une présentation et d'une discussion en réunion publique de tout grand projet d'infrastructure, en amont de la décision de réaliser ledit projet. Elle précise que cette procédure est confiée à la diligence du maire selon les modalités qu'il souhaite, qu'elle doit intervenir trois mois avant la prise de décision, et que tout habitant doit en être informé quinze jours à l'avance.
Cette proposition de loi me semble contenir deux éléments positifs.
Tout d'abord, elle instaure une information et une consultation du public en amont de la décision. Le rapport de Mme Bouchardeau en 1993 et plus récemment celui du Conseil d'Etat sur l'utilité publique soulignent tous les deux que le débat public intervient trop tard, lors de l'enquête publique, alors que les principaux partis d'aménagement ont été arrêtés. Le public a donc l'impression d'être laissé à l'écart du débat sur l'opportunité du projet. Or il apparaît clairement qu'il souhaite être mieux associé au processus de décision.
Enfin, la proposition de loi impose une consultation des habitants des communes directement touchées par un projet de création d'une nouvelle grande infrastructure. Je crois que c'est une bonne chose. L'opportunité d'un projet ne peut, en effet, se mesurer au seul service rendu aux usagers. Elle doit aussi être évaluée au regard des réactions des populations locales.
Certains points de la proposition de loi mériteraient cependant d'être revus.
Le rôle et la place du maître d'ouvrage nous paraissent mal définis, de même que celui du maire. La solution retenue par la commission des affaires économiques me paraît bonne : au maître d'ouvrage, la présentation du projet ; au maire, la surveillance du bon déroulement des opérations.
L'articulation avec les procédures prévues par le droit actuel mérite d'être précisée. Là encore, je considère que c'est une bonne chose que de prévoir la transmission des observations recueillies dans les communes à la commission nationale du débat public lorsque celle-ci a été saisie.
Enfin, les projets d'infrastructure concernés doivent être mieux précisés par la loi. Notre rapporteur propose de se référer à la notion de « grand équipement d'infrastructure mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 122-1 du code de l'urbanisme ». Je souhaiterais que vous précisiez concrètement, monsieur le rapporteur, les projets qui sont ainsi visés.
Cette proposition de loi constitue, sans conteste, une amélioration de notre droit qu'elle complète utilement. Néanmoins, elle n'est pas suffisante. Elle ne répond pas à l'ensemble des critiques régulièrement formulées à l'encontre de l'enquête publique. En ce domaine, une réforme s'impose. Certes, celle-ci n'est pas aisée, comme nous le montrent les différentes tentatives faites ces dix dernières années pour améliorer les procédures de consultation du public. Je pense à la circulaire de 1992, dite « circulaire Bianco », qui prévoit l'ouverture d'un débat public avant l'enquête publique pour les grands travaux d'infrastructure de transport et le contrôle de l'engagement de l'Etat par un comité de suivi. Je pense aussi à la loi du 2 février 1995 qui a institué une commission nationale du débat public.
Lors de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a pris l'engagement de faire procéder à une révision des procédures d'appréciation de l'utilité publique : « la démocratie ne peut souffrir la confiscation du pouvoir de décider... La décision doit être préparée avec les personnes qu'elle concerne », avait-il alors déclaré. Il a par ailleurs saisi le Conseil d'Etat de cette question, et celui-ci a rendu son rapport en novembre dernier.
Ce rapport formule différentes propositions.
Il suggère de refonder la notion d'utilité publique qui, désormais, ne doit plus se justifier uniquement au regard des atteintes au droit de propriété, mais doit plus généralement porter sur l'opportunité du projet.
Il souligne également la nécessité de mieux prendre en compte la décentralisation dans ce procesus de consultation de la population.
Il propose aussi d'instaurer un véritable dialogue entre les populations et les responsables de projet, le plus en amont possible. En effet, bien souvent, les citoyens concluent à l'inutilité des procédures de consultation : on ne leur apporte pas de réponse aux questions qu'ils soulèvent. Ils ont l'impression que leurs observations ne sont suivies d'aucun effet. La mise en place d'une consultation en amont du projet portant sur le principe du nouvel aménagement, sa justification, son bien-fondé, et qui soit conclue par une déclaration d'avant-projet du maître d'ouvrage décidant de poursuivre ou non le projet est une idée intéressante. Elle signifie qu'aucun projet n'est irréversible.
Si le projet mérite d'être étudié plus à fond le Conseil d'Etat propose ensuite que le maître d'ouvrage poursuive ses études en respectant les termes d'un cahier des charges tirant les conclusions de la consultation. C'est là un moyen judicieux de prendre en compte les observations du public et leur suivi.
Monsieur le ministre, nous attendons cette réforme des procédures de consultation du public sur les grands projets d'aménagement, mais le groupe socialiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de replacer très brièvement cette proposition de loi dans son contexte, en commençant peut-être par dire ce qu'elle n'est pas.
Effectivement, elle n'a pas pour but de suppléer la décision des élus responsables, à quelque niveau que ce soit : il est bien certain que la décision ultime appartiendra toujours aux élus.
Elle n'a pas non plus pour objet d'aboutir à un alourdissement des procédures existantes, bien au contraire. Nous souhaitons en effet que le maximum de questions soient posées en amont de façon à éviter les procédures contentieuses - même si on mesure, monsieur le ministre, et sur ce point je vous rends hommage, les progrès accomplis à cet égard - car on sait le temps qui peut s'écouler avant que certains équipements ne voient le jour.
Vous avez cité le TGV, vous avez cité la route, et, malheureusement, nous avons encore sous les yeux un certain nombre d'exemples ! Il a ainsi fallu dix ans pour assister, dans mon département, à l'aboutissement du projet de construction de vingt kilomètres d'autoroute - il s'agit bien sûr de l'A 3, monsieur le ministre. Or, lorsque les élus avaient été consultés à propos du Marais poitevin, ils avaient à l'époque préconisé la solution qui voit le jour aujourd'hui mais que les services avaient alors complètement rejetée !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pas moi !
M. André Dulait. Non, monsieur le ministre, vous n'aviez pas à l'époque la charge des affaires du ministère de l'équipement ! Mais ce sont des exemples de cette nature qui ont conduit certains de mes collègues et moi-même à proposer cette amélioration.
La présente proposition de loi est modeste, mais nous souhaitions ajouter une pierre à l'édifice et vous aider, monsieur le ministre, à « accélérer » une réforme qui nous paraît indispensable.
Dans les consultations telles qu'elles se pratiquent aujourd'hui, les élus ont l'impression que les jeux sont faits. Par ailleurs, la population ne réagit plus comme au début du siècle où, lorsque arrivait l'eau, les gens venaient supplier qu'on leur installe le robinet qui allait leur permettre d'avoir accès à des techniques nouvelles. Aujourd'hui, nos concitoyens sont soucieux de leur qualité de vie et de leur bien-être, et ils ont plus tendance à revendiquer qu'à accepter les choses.
Cette proposition de loi a donc pour but d'améliorer la transparence et de contribuer à une meilleure information des citoyens. Les textes européens - nous ne les avons pas encore ratifiés, et il serait intéressant de le faire prochaînement -, nous orientent pourtant dans cette voie.
Cette proposition que j'ai l'honneur de présenter avec les membres du groupe de l'Union centriste peut constituer un progrès dans la discussion que nous aurons au cours de l'été prochain, du moins je l'espère, monsieur le ministre. (Applaudissements sur travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, qui vise, dans son article unique, à ce que « tout grand projet d'infrastructures fasse l'objet, pour avis, dans toutes les communes intéressées et à la diligence de leurs maires, selon les modalités qu'ils souhaitent mettre en place, d'une présentation et d'une discussion en réunion publique », ne peut obtenir que l'approbation du groupe communiste républicain et citoyen.
En effet, les sénateurs communistes s'étaient montrés plus qu'avant-gardistes, en 1994, lors des débats sur l'examen des articles de la loi n° 95-101 du 2 février 1995. Nous avions alors défendu l'idée d'un débat public en amont des procédures de réalisation et nous avions souhaité qu'il ait lieu automatiquement et systématiquement.
Ces amendements n'avaient pas été adoptés. Notre ex-collègue, M. Michel Barnier, alors ministre de l'environnement, avait fait appel au « pragmatisme et à la progressivité », l'initiative du gouvernement constituant déjà une avancée extraordinaire quant à la démocratisation des procédures. Il avait ajouté : « Je plaide pour que l'on se donne le temps de l'expérimentation et de l'observation. »
Ce temps s'est écoulé et l'expérience met à jour la disparité des textes au regard de la consultation de nos concitoyens entre le code de l'expropriation, le champ d'application, les modalités des enquêtes publiques régies par la loi du 12 juillet 1983, sans compter les nombreuses enquêtes soumises à un régime spécial.
M. le ministre nous a annoncé qu'un projet de loi sur la réforme de l'utilité publique était en cours de préparation. Nous l'approuvons pleinement et nous souhaitons que nos propositions soient prises en compte.
Nous nous félicitons de cette initiative car il est certain que ce domaine nécessite un réel toilettage et une harmonisation des procédures.
M. le rapporteur souligne - et nous y souscrivons pleinement - que « l'adoption de la présente proposition de loi laissera largement entier le problème de la participation consultative des citoyens en amont des décisions fondatrices et souvent irréversibles concernant les grands projets d'infrastructures ».
Un tel constat laisse espérer que le dépôt, la discussion et l'adoption de la présente proposition de loi soient non pas un coup d'éclat, un élan démocratique éphémère, mais une véritable prise de conscience de la majorité sénatoriale de la nécessité de démocratiser notre vie politique et publique, annonciatrice d'un soutien à la réforme globale préparée par le Gouvernement.
Mais les revirements sont soudains et souvent inattendus dans cette enceinte. Aussi, je me permets de vous rappeler, mes chers collègues, la position que vous aviez adoptée lors du débat relatif au projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains au cours duquel vous avez rejeté un amendement du groupe communiste républicain et citoyen (M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement s'exclame) qui prévoyait justement l'instauration, lors de l'élaboration du schéma de cohérence territoriale, d'un débat public.
Pour l'heure, cette proposition de loi organise une consultation directe et préalable des citoyens des communes intéressées par un projet de création d'une nouvelle grande infrastructure. Elle vient préciser la notion de débat public, rattachée à la procédure prévue par la loi Barnier.
Cette procédure de concertation qui doit permettre, en amont de la phase d'étude des projets, d'associer, d'informer largement le public et les associations, n'est pas exempte de critiques, en raison, principalement, du flou législatif entourant les modalités d'organisation.
La rédaction que nous soumet la commission des lois détermine plus précisément les modalités de mise en place de la concertation. Il s'agit là d'une amélioration minime cependant au regard de l'envergure des réformes à entreprendre et que le Gouvernement a décidé de mettre en chantier.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Il est inséré, après l'article 2 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, un article 2 bis ainsi rédigé :
« Art. 2 bis. - Tout grand équipement d'infrastructure mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 122-1 du code de l'urbanisme donne lieu, à la diligence du maître d'ouvrage, quatre mois au moins avant l'ouverture de l'enquête publique, à une ou plusieurs réunions publiques au cours desquelles est effectuée une présentation générale justifiant le projet de créer l'équipement concerné.
« Cette présentation générale est suivie d'une invitation, faite à tous les habitants de la ou des communes concernées, à formuler des observations écrites en réponse à un questionnaire élaboré par le maître d'ouvrage du projet et tenu à leur disposition.
« Le maire de chacune des communes veille au bon déroulement et à la transparence de la consultation.
« Lorsque la Commission nationale du débat public a été saisie, les observations recueillies dans les communes lui sont transmises. A défaut, elles sont transmises au maître d'ouvrtage.
« Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article en précisant notamment les modalités d'information et de consultation des habitants des communes intéressés ».
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2

M. le président. « Art. 2. - Préalablement à toute décision administrative le concernant et produisant des effets de droit, tout grand projet d'infrastructure dont l'Etat est le maître d'ouvrage fait l'objet, selon des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat, d'une consultation auprès des habitants des territoires susceptibles d'être intéressés ». - (Adopté.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi n° 196.

(Ces conclusions sont adoptées.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

5

COMMUNICATION

M. le président. J'ai le plaisir de vous annoncer que le président du Sénat accueille en ce moment même Son Excellence M. Abdelaziz Bouteflika, Président de la République algérienne démocratique et populaire, à l'occasion de sa visite d'Etat en France.

6

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. Compte tenu de l'état d'avancement de la discussion du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, le Gouvernement, en accord avec la commission des lois, propose de ne pas siéger lundi 19 juin 2000.
En revanche, il serait souhaitable que la séance du mardi 20 juin fût ouverte dès neuf heures trente, afin que le vote sur l'ensemble du projet de loi puisse intervenir avant la suspension du matin.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, en attendant l'arrivée de M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, nous allons interrompre nos travaux.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinq, est reprise à quinze heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

7

CONSEILLERS D'ARRONDISSEMENT
SIÉGEANT AU CONSEIL
D'UNE COMMUNAUTÉ URBAINE

Adoption des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 390, 1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 277, 1999-2000) de MM. Jean-Claude Gaudin, Michel Mercier, Emmanuel Hamel, Serge Mathieu, Francis Giraud et André Vallet tendant à permettre aux conseillers d'arrondissement de siéger au conseil d'une communauté urbaine.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le sujet qui nous occupe en cet instant est le mode de désignation des délégués des communes au sein d'organes délibérant des établissements publics de coopération intercommunale.
Le rapport de notre excellent collègue M. Hoeffel sur l'intercommunalité énonçait deux idées force : pas - je serais tenté de dire, pas encore - de délégués élus au suffrage universel, mais un choix s'opérant au sein du conseil municipal et garantissant une légitimité au second degré.
La proposition de notre excellent collègue Jean-Claude Gaudin et de plusieurs de ses amis ne déroge pas à ces principes. Elle vise seulement à prévoir une application spécifique aux communautés urbaines constituées autour des villes soumises au statut de la loi de 1992, dite loi PML, lesquelles sont dotées de conseils d'arrondissement, à savoir la communauté urbaine de Lyon, la CURLY, qui existe, la communauté urbaine de Marseille, la CUM en voie de constitution et, éventuellement, la communauté urbaine de Paris, la CUP.
Aux termes de la loi du 12 juillet 1999, les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ont l'obligation de choisir leurs délégués au sein des conseils municipaux. Ces délégués lèvent l'impôt : il leur faut donc une légitimité, fût-elle au second degré.
La loi de 1982, quant à elle, a prévu vingt arrondissements à Paris, seize à Marseille et neuf à Lyon.
Il ne me semble pas inutile en cet instant de rappeler quelques-unes des caractéristiques des conseillers d'arrondissement.
Ils sont élus dans les mêmes conditions que les conseillers municipaux : au suffrage universel, le même jour. Leur nombre est le double de celui des conseillers municipaux, avec un minimum de dix et un maximum de quarante.
Si les pouvoirs du conseil d'arrondissement sont, pour une part, de caractère consultatif en matière de plan d'occupation des sols, par exemple, ils revêtent aussi un caractère délibératif à travers l'implantation et le programme d'aménagement de nombreux équipements, à travers les délégations que peut lui donner le conseil municipal pour la gestion de tout équipement ou service et à travers la désignation en son sein de représentants de la commune dans maints organismes.
Il ressort de tout cela que les conseillers d'arrondissement ne sont pas des figurants, qu'ils ont un rôle de gestion dans le développement du territoire et que les principes de la loi de 1999 que je viens d'évoquer ne sont en rien remis en cause.
Si, comme je l'espère, le Sénat suit sa commission des lois en adoptant cette proposition de loi, la composition et le fonctionnement des communautés urbaines ne se trouveront en rien modifiés.
En effet, cette proposition de loi a simplement pour objet de préciser que, dans les communes de Paris, Marseille et Lyon, le choix du conseil municipal dans la désignation des délégués intercommunaux pourra porter sur des conseillers d'arrondissement.
Cela peut se révéler utile ; cela sera en tout état de cause bénéfique dans bien des cas dans la mesure où la désignation d'élus d'arrondissement plus spécialement compétents dans tel ou tel domaine du fait de leur culture professionnelle permettra une meilleure prise en compte des soucis des habitants.
La commission vous propose donc d'adopter l'article unique de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Paris, Marseille et Lyon ne sont pas des communes comme les autres puisqu'elles sont dotées d'une organisation administrative particulière, à deux niveaux d'administration : un niveau de gestion municipale proche des citoyens, le conseil d'arrondissement, et un niveau de gestion globale des intérêts de la commune, le conseil municipal. Elles sont pourtant soumises aux mêmes règles que les autres communes en matière de coopération intercommunale, notamment en ce qui concerne la représentation des communes dans les conseils communautaires. En effet, seuls les conseillers municipaux peuvent siéger dans ces conseils, qu'il s'agisse de Paris, Marseille, Lyon ou d'autres communes membres.
On peut donc penser, avec les auteurs de la proposition de loi dont M. Gaudin est le premier signataire, que la récente réforme de l'intercommunalité a omis de tenir compte du statut particulier des trois plus grandes communes de France et qu'il convient de réparer cet oubli en permettant aux conseils municipaux de ces trois villes de choisir leurs délégués aux conseils communautaires, non seulement en leur sein, mais aussi parmi les conseillers d'arrondissement.
J'y vois des avantages du point de vue de la gestion municipale des équipes. Je reconnais que la lourdeur des charges d'un mandat municipal et d'un mandat communautaire pourrait justifier cet aménagement.
Par ailleurs, il ne s'agit aucunement, avec cette proposition de loi, de revenir sur les principes antérieurs selon lesquels ne pouvait siéger au sein d'un établissement public de coopération intercommunale, donc d'une communauté urbaine, un délégué d'une commune qui n'aurait pas été élu au suffrage universel. Les conseillers d'arrondissement sont bien élus par le suffrage universel. C'est l'intérêt de la proposition de loi.
Toutefois, l'objet poursuivi se heurte à un certain nombre d'obstacles, dont un de nature constitutionnelle.
En effet, les arrondissements ne sont, aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 1982, que des « divisions administratives au sein des communes », sans personnalité morale, dont les conseils, même élus, ne peuvent être dotés d'importantes compétences de décision et de gestion sans mettre en cause l'unité communale.
Les communautés urbaines, quant à elles, sont des établissements publics de coopération intercommunale. Il n'est donc pas sans risque de donner aux représentants de divisions administratives d'une commune une fonction leur permettant de participer à l'élaboration d'un projet commun de développement de l'ensemble des communes qui composent l'agglomération. Dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, les conseillers d'arrondissement participeraient ainsi à l'exercice du pouvoir fiscal au niveau supra-communal alors qu'ils ne participent pas au vote du budget dans leur commune.
Par ailleurs, la proposition de loi remet en cause les dispositions du code électoral qui prévoient une liste électorale unique et l'attribution des sièges de conseillers d'arrondissement dans l'ordre de la liste, après épuisement des sièges de conseillers municipaux auxquels chaque liste a droit.
Cette remise en cause pourrait être considérée par le juge constitutionnel comme une assimilation des fonctions de conseiller municipal et de conseiller d'arrondissement, peu conforme au principe de l'unité communale et à la notion de divisions administratives. Un conseiller d'arrondissement ne peut, en effet, accéder aux fonctions de conseiller municipal qu'en cas de vacance d'un siège de conseiller municipal dans son propre arrondissement et dans l'ordre de cette liste.
La proposition risque en outre de générer une rupture d'égalité entre les communes, certaines étant représentées par des candidats élus conseillers municipaux, d'autres par des candidats qui ne sont pas membres du conseil municipal, bien qu'élus, eux aussi, au suffrage universel.
Enfin, deux lois récentes seraient remises en cause par cette proposition de loi.
En effet, celle-ci contredit la loi du 12 juillet 1999, qui a réservé l'exercice des pouvoirs d'agglomération à fiscalité propre à des délégués des communes choisis au sein des conseils municipaux. Lors de l'examen de cette loi, la discussion a porté sur l'élection des délégués communautaires au suffrage universel. Une très large majorité s'était dégagée pour dire que cette élection au suffrage universel était sans doute souhaitable mais qu'il fallait d'abord permettre que l'intercommunalité se développe, notamment en milieu urbain. Tant le Sénat que l'Assemblée nationale en avaient tiré la conséquence qu'il était nécessaire que la représentation au sein des conseils communautaires soit assurée exclusivement par des conseillers municipaux.
Introduire une représentation des conseils d'arrondissement entraînerait donc une inégalité de traitement, non seulement avec les communautés urbaines qui n'ont pas d'arrondissement mais qui ont une population élevée et qui peuvent connaître les mêmes problèmes de gestion de leurs équipes, mais également avec l'ensemble des groupements qui restent soumis à l'exigence de la désignation de conseillers municipaux.
Le cumul des charges peut être lourd mais il est justifié par le souci de légitimité identique au niveau du suffrage universel.
Enfin, la proposition de loi va à l'encontre de l'objectif de la loi relative à la parité entre les hommes et les femmes puisque ses dispositions peuvent atténuer les effets de cette dernière par la remise en cause de la règle électorale qui fait prévaloir les conseillers municipaux et les conseillères municipales sur les conseillers d'arrondissement pour l'exercice de fonctions que les progrès de l'intercommunalité tendent de plus en plus souvent à faire exercer au niveau communautaire et non plus au niveau communal.
Voilà les réserves que je tenais à exprimer, au nom du Gouvernement, sur cette proposition de loi qui ne porte en fait que sur les communautés urbaines de Lyon et de Marseille, aucune structure de ce type n'existant à Paris.
Ces différentes réserves font que le Gouvernement ne peut, à regret, adhérer avec enthousiasme à la proposition de M. Gaudin.
M. Henri de Raincourt. Il adhère donc, mais sans enthousiasme... (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Gaudin.
M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite « loi Chevènement », dispose que l'organe délibérant des établissements publics de coopération intercommunale est composé de délégués élus par les conseils municipaux des communes intéressées parmi leurs membres.
Ainsi, les conseillers municipaux des communes sont désormais les seuls citoyens habilités à siéger au sein de l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.
En adoptant cette disposition, commune à toutes les formes d'établissements publics de coopération intercommunale, le législateur a souhaité que les membres du conseil de communauté d'un établissement public de coopération intercommunale, sans être pour autant élus au suffrage universel direct, bénéficient d'une légitimité élective, ce qui est en soi une excellence chose.
Toutefois, la loi Chevènement, en abrogeant l'article L. 5215-9 du code général des collectivités territoriales, fait qu'il n'existe plus de solution dans le cas où le nombre de conseillers municipaux d'une commune est inférieur au nombre de sièges qui lui est attribué.
Dans sa rédaction antérieure, le code général des collectivités territoriales précisait que, dans une telle situation, le conseil municipal désignait tout citoyen éligible au conseil municipal pour occuper les sièges qui ne pouvaient être pourvus par des conseillers municipaux.
Dans la mesure où le mode de fixation du nombre et de la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant d'une communauté urbaine est fondé sur la population, une telle hypothèse est fort plausible lorsque la ville-centre se trouve être une très grande ville. Prenons l'exemple que je connais le mieux, celui de Marseille.
Le conseil municipal de Marseille est composé de 101 membres. Le périmètre de la future communauté urbaine de Marseille, déterminé par M. le préfet des Bouches-du-Rhône, inclut dix-huit communes membres, pour une population totale de 980 000 habitants. La population de Marseille s'élève, quant à elle, à 800 000 habitants.
Compte tenu de ces chiffres, et en l'absence d'accord amiable de l'ensemble des conseils municipaux des communes, le conseil de communauté serait composé, aux termes de la loi Chevènement, de quatre-vingt dix membres dont soixante-dix délégués de la seule ville de Marseille.
Je m'empresse de vous rassurer, mes chers collègues : les dix-huit maires de la future communauté urbaine de Marseille sont unanimement parvenus à un accord amiable portant sur une plus juste représentation de leurs communes.
Certes, les 101 conseillers municipaux de Marseille demeurent suffisants pour déléguer 70 d'entre eux au conseil de la communauté.
Mais qu'en serait-il, monsieur le secrétaire d'Etat, si le périmètre de la communauté urbaine de Marseille devait être étendu, comme l'autorise la loi Chevènement, et cela dès 2003 ? Il ne s'agit pas là d'une simple hypothèse d'école : c'est une réelle possibilité, si j'en crois la volonté exprimée par le président de la communauté d'agglomération de Garlaban - Huveaune - Sainte-Baume de rejoindre à terme la communauté urbaine de Marseille.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'extension de la communauté urbaine de Marseille à cet établissement public de coopération intercommunale de l'aire aubagnaise, qui regroupe cinq communes et 70 000 habitants, porterait à plus de vingt communes - vingt-trois exactement - et à plus d'un million d'habitants - 1 050 000 pour être précis - la nouvelle communauté urbaine.
Dans ce cas, et toujours en l'absence d'accord amiable de l'ensemble des conseils municipaux, le nouvel organe délibérant de cet établissement public de coopération intercommunale serait composé de 140 membres, dont 107 délégués de la seule ville de Marseille !
Cette fois-ci, excusez-moi, les 101 conseillers municipaux marseillais n'y suffiraient pas ! Cela signifie que la répartition des sièges prévue par la loi ne pourrait être mise en application.
A Paris, Marseille et Lyon, des conseillers d'arrondissement sont élus en même temps et dans les mêmes conditions que les membres du conseil municipal. Au même titre que ces derniers, ils jouissent, vous l'avez vous-même dit, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'onction du suffrage universel.
Dès lors, pour combler ce vide juridique et pour aller au bout de la volonté de la représentation nationale, nous proposons que les conseillers d'arrondissement de Paris - il n'existe pas, aujourd'hui, d'établissement de coopération intercommunale à Paris, mais, si j'en crois la presse, à droite comme à gauche, des propositions dans ce sens commencent à voir le jour (Sourires) - Marseille et Lyon puissent désigner des délégués pour siéger au sein de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale dont ces villes sont membres, et que ce ne soit pas seulement pour compléter accessoirement leur représentation, car qui peut le moins, en l'espèce, doit le plus.
La loi du 31 décembre 1982 a doté les villes de Paris, Marseille et Lyon d'une organisation administrative particulière, répondant ainsi au souci de rapprocher les élus des citoyens pour la gestion des problèmes de la vie quotidienne.
Or, monsieur le secrétaire d'Etat, saisi à propos de cette loi, le Conseil constitutionnel a considéré que, en définitive, « aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur d'instituer des divisions administratives au sein des communes ni d'instituer des organes élus autres que le conseil municipal et le maire ; que, dès lors, si les dispositions critiquées par les auteurs de la saisine dérogent pour les trois plus grandes villes de France au droit commun de l'organisation communale, elles ne méconnaissent pas pour autant la Constitution ». Cela répond, monsieur le secrétaire d'Etat, à l'argument que vous avez avancé tout à l'heure.
On peut aussi se demander, puisqu'il a beaucoup été question, ces derniers temps, de limiter le cumul des mandats, pourquoi l'on devrait faire obligatoirement d'un adjoint au maire de Marseille, qui peut être en même temps député ou sénateur, un membre de la communauté urbaine.
Nous avions au contraire le sentiment qu'il n'était pas souhaitable, pour la quasi-totalité des membres des conseils municipaux de Marseille, de Lyon et éventuellement, un jour, de Paris, qu'ils exercent en même temps un mandat de membre de la communauté urbaine. (Sourires.)
Mes chers collègues, je suis sans doute le seul dans cette assemblée, et même dans l'ensemble du Parlement, à avoir tout connu dans ce domaine depuis 1982 ! J'ai en effet été maire d'arrondissement d'opposition face au maire de la ville - il aura fallu attendre douze ans pour que cela se produise à Paris et à Lyon - et je suis maintenant le premier magistrat de la ville de Marseille avec trois maires d'arrondissement d'opposition. Ma foi, à Marseille, la loi dite « PLM » est plutôt bien respectée, peut-être mieux qu'ailleurs, me dit-on quelquefois, ...
M. Robert Bret. Grâce à l'opposition ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Gaudin. ... mais c'est sûrement excessif ! En tout cas, c'est vrai, des personnalités viennent à Marseille pour voir comment cela se passe.
Quoi qu'il en soit, monsieur le secrétaire d'Etat, ayant bien connu l'auteur de la loi de 1982, je suis sûr que, aujourd'hui, si le Gouvernement nous suivait avec un peu plus d'empressement, nous pourrions faire accomplir un pas supplémentaire à la décentralisation telle que mon illustre prédécesseur à la mairie de Marseille l'a voulue.
C'est pourquoi je vous demande instamment, mes chers collègues, de soutenir cette proposition de loi qui me semble aller dans le sens de la décentralisation, relever de la justice et de l'équité et, en même temps, apporter une clarification dans cette limitation du cumul des mandats qui est si souvent évoquée mais qui reste, en pratique, tellement difficile à réaliser. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Claude Gaudin a pour objet d'adapter les règles relatives à la désignation des délégués au sein des conseils de communauté urbaine pour les communes de Paris, Marseille et Lyon.
Son article unique ouvre, pour ce faire, au conseil municipal de ces communes la faculté de désigner les élus d'arrondissement pour siéger au conseil communautaire.
Nous y sommes favorables.
Les règles de désignation sont respectées. De plus, comme cela vient d'être rappelé, les conseillers d'arrondissement sont élus dans les mêmes conditions que les conseillers municipaux et ont la légitimité du suffrage universel.
Nos collègues Jean-Claude Gaudin et Christian Bonnet soulignent, respectivement dans l'exposé des motifs et dans le rapport, le rôle significatif que joue le conseil d'arrondissement dans le règlement des affaires de la commune.
« Les conseillers d'arrondissement participent pleinement à la gestion et au développement d'un territoire, dans des domaines intéressant les citoyens au quotidien. » Tels sont les termes de la loi de décentralisation portant création des conseils d'arrondissement, qui tend ainsi à « rapprocher les élus des citoyens pour la gestion des problèmes de leur vie quotidienne ».
Si nous souscrivons pleinement à cet objectif, nous regrettons les limites actuelles du rôle des conseils d'arrondissement.
Autant, en effet, nous sommes attachés à l'avancée démocratique que représente la loi PLM, autant nous croyons indispensable de consolider cet acquis et de rechercher les voies de son approfondissement.
L'exigence est forte d'établir de nouveaux rapports entre les élus, les habitants, leurs associations, de renouer les liens sociaux, de rétablir une citoyenneté active qui permette à chacune et chacun d'être entendu.
Atteindre ces objectifs passe par un renforcement du rôle des mairies d'arrondissement et des conseillers d'arrondissement.
Un récent avis du Conseil économique et social soutient que « la décentralisation dans les grandes villes doit être accentuée » parce que « la proximité du maire et des élus de secteur favorise une meilleure réponse aux besoins ».
Le même rapport ajoute : « Il importe qu'à long terme les mairies d'arrondissement deviennent de véritables lieux de démocratie et ne soient plus de simples pôles de stabilisation des zones sensibles. »
Partageant cette analyse qui conclut à la nécessité d'une évolution, le groupe communiste républicain et citoyen a déposé, le 23 février 1999, une proposition de loi, dont ma collègue Nicole Borvo et moi-même étions les premiers signataires, visant à modifier le code général des collectivités territoriales sur l'organisation administrative de Paris, Marseille et Lyon.
Dans cette proposition de loi, nous proposons que le conseil d'arrondissement soit représenté dans tous les établissements publics, donc, naturellement, dans les communautés urbaines. Avec cette proposition, nous confortons la double originalité des mairies d'arrondissement : l'exercice de la citoyenneté et la gestion de proximité.
Afin de développer la démocratie locale et l'implication des citoyens dans les processus de décision, le rôle des comités d'initiative et de consultation d'arrondissement, les CICA, inscrit dans la loi, doit être repensé.
Il faut, par ailleurs, clarifier les compétences des maires d'arrondissement et assurer leurs moyens financiers et en personnels. Nous proposons également de renforcer les mécanismes de concertation entre les communes et leurs mairies d'arrondissement.
Mes chers collègues, dans l'attente de voir notre proposition de loi inscrite à l'ordre du jour de nos débats, le groupe communiste républicain et citoyen approuvera celle qui est présentée par notre collègue Jean-Claude Gaudin.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - A l'article L. 5211-7 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un I bis ainsi rédigé :

« I bis . - Dans les communes de Paris, Marseille et Lyon, soumises aux dispositions du titre Ier du livre V de la deuxième partie, le choix du conseil municipal peut également porter sur des conseillers d'arrondissement. »
Je vais mettre aux voix l'article unique.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Naguère, on pouvait désigner dans des intercommunalités des personnes qui n'étaient pas élues. Jusqu'à présent, c'était la règle. D'ailleurs, cela avait paru choquant à certains. C'est pourquoi la loi sur l'intercommunalité a mis fin à cette situation, sauf dans les syndicats à vocation unique, qui sont souvent composés de personnes ayant des compétences particulières, pour la gestion de l'eau, par exemple.
Il est bien évident que nous avons tous souhaité cette évolution. Néanmoins, les élus de Marseille se sont rendu compte que ce système présentait un inconvénient : compte tenu du nombre de délégués nécessaires à une communauté urbaine, il était parfois difficile de demander à des élus de siéger à la fois au conseil municipal et au conseil de communauté. Par conséquent, ouvrir aux conseillers d'arrondissement, qui sont élus au suffrage universel, la possibilité de siéger au conseil de communauté nous paraît une bonne mesure pour ces villes qui ont un statut particulier.
Nous souhaitons tous favoriser l'intercommunalité et nous savons bien que la constitution d'une communauté urbaine n'est pas chose aisée. Marseille va y parvenir...
M. Henri de Raincourt. Il y a un bon maire !
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement !
... alors que cela n'a jamais pu se faire jusqu'à présent.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la composition des listes a connu, vous le savez bien, de nombreux bouleversements. Donner des possibilités nouvelles aux élus pour siéger dans les conseils de communauté paraît donc, je le répète, une bonne mesure.
Tout à l'heure, vous avez fait allusion à la légitimité des conseillers d'arrondissement. Je rappellerai tout de même que le Gouvernement et la majorité ont estimé qu'on pouvait très bien désigner des citoyens, à raison de un pour trois cents, pour nommer les représentants à la deuxième assemblée. Il faut toujours raison garder lorsqu'on établit des comparaisons. Il s'agit là d'un motif supplémentaire pour soutenir la proposition de notre collègue Jean-Claude Gaudin.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique tel qu'il ressort des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi n° 277.

(Le texte est adopté.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, avant d'aborder la suite de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

8

DÉFINITION DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

Retrait d'une proposition de loi en deuxième lecture



M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n° 308, 1999-2000), modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. [Rapport n° 391 (1999-2000)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi sur les délits non intentionnels déposée par M. Pierre Fauchon, que le Sénat examine aujourd'hui en deuxième lecture, est un texte important, puisqu'il modifie les principes plus que séculaires de notre droit pénal concernant les infractions d'imprudence ou de négligence, afin d'atténuer la sévérité parfois excessive des dispositions actuelles.
Avant de commenter plus avant le contenu de cette proposition de loi, je résumerai en quelques points ma position, et celle du Gouvernement, sur ce texte.
Je l'ai dit à tous mes interlocuteurs, quels qu'ils soient : je suis consciente des difficultés soulevées par l'application des dispositions actuelles du code pénal concernant la responsabilité pour les délits non intentionnels, et je suis donc favorable au principe d'une telle réforme.
J'ai cependant, dès le début, fermement indiqué qu'un tel texte ne devait pas aboutir à un excès inverse, c'est-à-dire à une dépénalisation injustifiée de comportements dangereux, notamment dans quatre domaines où la répression ne saurait faiblir : le droit du travail, de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité routière.
J'estime que, dans ses grandes lignes, le texte de la proposition de loi adopté par le Sénat en première lecture allait dans la bonne direction, mais qu'il soulevait certaines difficultés, dont j'avais largement fait état.
Je considère aussi que ce texte a été grandement amélioré lors de son examen par l'Assemblée nationale, qui a répondu à la plupart des interrogations que j'avais exprimées devant le Sénat.
Je crois, toutefois, que de nouvelles améliorations sont encore possibles et sont, de ce fait, souhaitables.
Parce que la question des délits non intentionnels n'est pas mineure, elle appelle un débat approfondi.
Depuis plusieurs semaines, je poursuis des consultations et je mène une concertation.
Magistrats, universitaires me font part de leurs réactions et de leurs propositions. Plusieurs associations de victimes d'accidents ou de fléaux sanitaires, mais aussi les confédérations syndicales, posent des questions sur les conséquences possibles du texte, précisément dans les domaines où le droit pénal ne joue pas seulement un rôle répressif mais où sa présence et son usage constituent un facteur essentiel pour la prévention des risques, et donc pour le progrès social.
J'ai donc estimé nécessaire de procéder à un nouvel approfondissement de ce texte.
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de retirer de l'ordre du jour du Sénat la proposition de loi qui y était inscrite pour le 30 mai.
Depuis cette date, j'ai personnellement reçu à deux reprises les représentants des associations pour avoir avec eux une concertation afin de parvenir, si possible, à une véritable adhésion du plus grand nombre autour de ce texte.
Votre assemblée n'a pas souhaité s'engager dans cette concertation et vous avez donc inscrit à votre ordre du jour d'initiative parlementaire, cet après-midi même, cette proposition de loi.
Je ne peux que regretter cette décision. Elle me semble inopportune, même s'il est vrai que le Sénat était en droit de la prendre ; c'est son ordre du jour, dans la séance mensuelle qui lui est réservée par priorité. Cette décision empêche que la concertation commencée, notamment avec les associations de victimes, puisse se poursuivre et s'achever dans des conditions satisfaisantes.
Je regrette également que votre commission ait décidé de proposer au Sénat d'adopter conforme ce texte, prenant le risque de mettre fin à une discussion qui mérite d'être poursuivie sans précipitation en raison d'enjeux pour notre droit, pour les justiciables et pour les victimes.
A la suite de ces réunions de travail, la dernière a eu lieu avant-hier, j'ai décidé de déposer trois amendements que je vous demanderai, avec une particulière conviction, d'adopter, non seulement parce qu'ils améliorent le texte, mais également parce qu'ils permettront la continuation de la procédure parlementaire, afin que le texte finalement adopté par le Parlement soit véritablement un texte de consensus, car le sujet mérite le consensus.
A cet égard, les débats devant l'Assemblée nationale ont montré une position plus qu'ambiguë des partis de l'opposition. En effet, après avoir souhaité renforcer le caractère « dépénalisant » de la réforme, ils ont opéré in extremis une surprenante volte-face et n'ont pas voté le texte en soutenant qu'il allait trop loin.
Une telle prise de position, qui révèle d'évidentes contradictions aurait mérité une clarification.
C'est pourquoi j'ai réuni les représentants des différents groupes politiques pour leur demander de clarifier leur position ; cela n'a pas été fait. Je le regrette profondément.
Mes amendements ont donc pour objet non seulement de lever les ambiguïtés juridiques du texte, mais également de lever les ambiguïtés politiques qu'il révèle chez certains.
Telle est, dans les grandes lignes, la position du Gouvernement, que je vais maintenant préciser point par point.
Tout d'abord, il s'agit d'une réforme nécessaire.
La question des infractions pénales non intentionnelles a toujours été très délicate.
Par principe, nous le savons, le droit pénal ne réprime que les comportements intentionnels, les infractions dont on peut dire qu'elles sont faites de « mauvaise foi ». Et ce n'est que par exception à ce principe qu'il peut parfois sanctionner des personnels qui n'avaient ni l'intention de violer la loi, ni l'intention de causer un dommage quelconque à autrui.
Dans un tel cas, le recours au droit civil, qui permet l'indemnisation du dommage, peut paraître suffisant.
Pourtant, lorsque sont en cause des valeurs primordiales, comme la vie ou l'intégrité physique des personnes, les comportements même de bonne foi qui portent atteinte à ces valeurs paraissent devoir, dans certaines circonstances, être sanctionnés pénalement.
Ces infractions pénales supposent, cependant, la commission d'une imprudence ou d'une négligence, c'est-à-dire d'une faute, qui, malgré son caractère non intentionnel, présente un caractère blâmable parce qu'elle porte sur une activité susceptible de causer un danger pour les personnes.
Si, dans leur principe, les dispositions de notre droit pénal semblent ainsi totalement justifiées, leur application pratique a pu paraître excessive, non seulement en cas de condamnation de « décideurs publics » pour des délits d'homicide ou de blessures involontaires dont le nombre est cependant limité - pour les élus, on a dénombré quatorze condamnations entre mai 1995 et avril 1999 - mais aussi pour tous ceux qui exercent des responsabilités dans le domaine de l'éducation ou de la vie associative.
Sur ce point, M. René Dosière, dans son rapport à l'Assemblée nationale, a indiqué que, entre 1985 et 1996, il y avait eu vingt-cinq accidents, dont seize mortels, dans les établissements publics ou privés et que ces accidents avaient entraîné des poursuites pour quarante-cinq personnes appartenant à l'éducation nationale, parmi lesquelles seize avaient été condamnées.
Nous avons déjà longuement parlé de cela devant votre assemblée, voilà plus d'un an, lors de l'examen, en avril 1999, de la question orale avec débat déposée par M. Haenel, puis lors de l'examen de la présente proposition de loi en première lecture.
Le droit actuel va trop loin dans la pénalisation des comportements d'imprudence en permettant la prise en compte, dans toutes les hypothèses, des fautes les plus légères, ce que l'on appelle les « poussières de faute », y compris lorsque ces poussières de faute sont la cause très indirecte d'un dommage, ce qui qui est le cas lorsque sont mis en cause des « décideurs » publics ou privés.
Il n'est pas normal, pour citer un exemple récent, qu'un maire ait pu être condamné pour homicide parce qu'un enfant s'était électrocuté avec un lampadaire mis en place une vingtaine d'années auparavant par ses prédécesseurs,...
M. Gérard Delfau. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... alors même qu'il n'avait jamais été alerté du problème de maintenance de ce lampadaire.
Il n'est pas non plus normal qu'une institutrice d'école maternelle puisse être condamnée pour blessures involontaires du seul fait qu'un enfant s'est cassé la jambe en tombant d'un toboggan d'une aire de jeu installée dans la cour de l'école par la municipalité, alors que cette institutrice n'avait jamais été alertée sur une éventuelle non-conformité de ce matériel aux dernières normes en vigueur.
Notre droit pénal doit donc être amélioré, et c'est pourquoi j'avais demandé, voilà un an, à un groupe de travail présidé par M. Massot, président de section au Conseil d'Etat, de me faire des propositions de réforme en ce sens.
Ces propositions, qui m'ont été remises à la fin de l'année dernière, ont conduit le Gouvernement à approuver le principe d'une réforme législative dès lors que cette réforme répondait à l'objectif suivant : « empêcher des condamnations inéquitables, sans permettre pour autant des relaxes ou des décisions de non-lieu qui seraient elles-mêmes inéquitables ».
Il ne faut évidemment pas dépénaliser des comportements fautifs ayant indirectement causé des dommages lorsque la nature ou la gravité de la faute justifie une sanction pénale.
D'une manière générale, il ne faut pas - je tiens à le répéter - que la réforme aboutisse, dans les domaines aussi essentiels du droit du travail, de la santé publique, de la sécurité routière ou de l'environnement, à un affaiblissement de la répression.
Une telle démarche aurait à coup sûr pour conséquence de déresponsabiliser les acteurs sociaux et porterait atteinte à l'objectif de prévention des dommages.
Pour atteindre cet objectif, je crois utile de distinguer le principe, qui est bon, de ses modalités, qui ont été et doivent encore être améliorées.
Sur le principe de la réforme, la solution qui a été préconisée par le rapport Massot, comme d'ailleurs par la proposition de loi de M. Fauchon, combine le critère du lien de causalité et celui de l'importance de la faute en exigeant que la faute soit plus importante lorsque le lien de causalité est plus distant.
Cette exigence paraît logique et équitable : le caractère fautif et blâmable d'un comportement est lié à la plus ou moins grande prévisibilité de ses conséquences dommageables. En cas de causalité indirecte, il faut donc qu'existe un risque d'une particulière intensité pour que le comportement originel soit moralement répréhensible.
Cette proposition de loi apporte ainsi une réponse qui articule la question du lien de causalité et celle de la faute.
Cette nouvelle approche de la responsabilité remet évidemment en question les principes jurisprudentiels de l'équivalence des conditions et d'identité des fautes civiles et pénales, qui ont été posés depuis fort longtemps mais qui n'apparaissent plus maintenant totalement adaptés.
Je souhaite cependant préciser que l'exigence d'une faute qualifiée en cas de causalité indirecte ne signifie nullement qu'il existerait une hiérarchie des causes. En effet, dans certains cas, les causes indirectes sont plus déterminantes dans la réalisation du dommage que les causes directes, et c'est un point important.
Quant aux modalités d'application du principe de la réforme, elles ont été grandement améliorées entre la proposition initiale et le texte voté par l'Assemblée nationale.
Ces améliorations apportées par l'Assemblée nationale concernent d'abord la notion de la causalité indirecte.
La définition du lien de causalité indirecte a été grandement améliorée par le texte de l'Assemblée nationale par rapport au texte initial, qui se bornait à parler de « cause indirecte ».
La formule retenue par l'Assemblée nationale - « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter » - est en effet plus précise.
Par ailleurs, elle met en évidence, ce que ne fait pas le droit actuel, qu'un décideur, public ou privé, qui ne prend pas les précautions nécessaires peut être pénalement responsable.
Les améliorations apportées par l'Assemblée nationale concernent aussi la notion de faute qualifiée.
L'idée générale qui gouverne le texte est que la faute exigée en cas de lien de causalité indirecte suppose, de la part de la personne concernée, une connaissance minimale de l'existence du risque. Il ne sera plus possible de condamner une personne du seul fait « qu'elle ne savait pas » ou « qu'elle n'avait pas été informée ». En revanche, lorsque la preuve de cette information du risque aura été apportée, le comportement d'abstention ou de commission du décideur pourra être pénalement répréhensible.
Cette exigence d'information ou de connaissance minimale est déclinée de deux façons dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui est ainsi moins restrictif que celui du Sénat, lequel n'avait envisagé qu'une seule hypothèse, celle de la faute délibérée.
Première hypothèse : cette faute délibérée réside dans la violation de façon manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Ce concept est connu du droit pénal depuis la réforme de 1992.
Toutefois, comme je l'avais indiqué devant vous, ce concept risquait d'être trop réducteur.
Certains comportements, même non délibérés, peuvent en effet être la cause indirecte d'un dommage et présenter un caractère particulièrement grave qui justifierait une condamnation pénale ; il peut en être ainsi, par exemple, si un chirurgien informe de façon erronée l'équipe médicale chargée de la réanimation de son patient de la nature de l'opération qu'il a effectuée, ce qui conduit les membres de cette équipe à commettre des fautes.
Prenant en compte ces critiques, l'Assemblée nationale a donc envisagé une seconde hypothèse : il peut s'agir également d'une faute qui s'apparente - mais s'apparente seulement - à la faute « inexcusable » connue du droit civil ou du droit du travail, et dont la définition est précisément donnée par le texte adopté par l'Assemblée nationale : « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger que la personne ne pouvait ignorer ».
Cette seconde hypothèse permettra de condamner les auteurs de comportements inadmissibles, bien que non commis de façon délibérée.
Je peux, pour rendre mes propos moins théoriques, prendre plusieurs exemples de situations dans lesquelles le nouveau texte issu des travaux de l'Assemblée nationale permettra, à la différence de celui que vous aviez initialement adopté, de maintenir une répression en droit du travail ou de santé publique, alors que n'existera pas de faute « manifestement délibérée ».
Ainsi, une personne chargée de superviser des travaux dans des locaux dangereux - radiation, amiante, par exemple - oublie de prévenir des travailleurs remplaçants des précautions qu'ils doivent prendre - détecteurs de radioactivité, masque respiratoire qu'il faut changer à intervalle régulier, notamment - ce qui provoque la contamination de ces salariés.
De même, un chef de chantier omet de signaler à un grutier que certains contrepoids de sa grue ont été enlevés pour être mis sur une autre machine, car les travaux qui doivent normalement être effectués avec cette grue ne les nécessitent plus. Ignorant ces modifications, le grutier procède à des travaux que sa machine n'est plus en mesure d'effectuer, causant ainsi un accident mortel.
Dernier exemple, un transporteur de produits frais oublie d'indiquer au grossiste qu'un incident technique a, pendant quelques heures, arrêté la réfrigération de ses camions. En raison de cette omission, la chaîne du froid est rompue, les germes de la listériose se développent et empoisonnent ensuite plusieurs consommateurs.
D'une façon générale, dans les hypothèses où la faute consiste dans une omission de donner des informations pourtant essentielles, il n'y aurait le plus souvent pas de faute « manifestement délibérée », seule hypothèse envisagée au Sénat en première lecture, donc pas de condamnation, si l'on ne retenait pas la faute inexcusable.
En définitive - et c'est l'objectif du nouveau texte - une personne qui n'aura pas été personnellement avisée du non-respect d'une réglementation ou de l'existence d'une situation de danger, et dont on ne pourra donc pas établir soit qu'elle a délibérément violé une réglementation soit qu'elle ne pouvait ignorer l'existence d'un risque majeur, ne pourra plus se voir pénalement reprochée un délit d'homicide ou de blessures involontaires.
D'autres améliorations sont aussi intervenues au cours de la navette et elles ont été approuvées par la commission des lois du Sénat, ce dont je me félicite.
La première amélioration consiste à préciser dans le code de procédure pénale que l'absence de faute pénale n'interdira pas la réparation du dommage sur le fondement de la faute civile. Ce texte consacre la fin de l'unité entre la faute civile et pénale. C'est là une précision essentielle pour garantir les droits des victimes.
La deuxième amélioration consiste à ne pas conserver l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public qui avait été adoptée, non sans interrogation, par la Haute Assemblée. Il est en effet préférable de ne pas surpénaliser l'action des collectivités territoriales.
La dernière amélioration consiste dans l'extension des dispositifs institués pour protéger les élus locaux en cas de poursuites, en leur accordant la protection de la collectivité ou de l'Etat, dans des conditions similaires à ce qui est prévu pour les fonctionnaires.
Mais ces améliorations, pour importantes quelles soient, ne dispensent cependant pas de poursuivre la concertation et la clarification sur le coeur du projet : l'article 121-3 du code pénal.
Afin de prendre en compte les légitimes interrogations exprimées par les différents interlocuteurs que je citais tout à l'heure, il paraît opportun de modifier la rédaction des nouvelles dispositions de l'article 121-3 du code pénal, en ce qui concerne tant la définition du lien de causalité que la définition de la faute qualifiée, et j'ai donc déposé deux amendement en ce sens.
Un troisième amendement, qui porte sur l'article 1er bis, a pour objet de répondre aux préoccupations sur la conséquence de l'abandon de l'unité entre les fautes pénales et civiles.
Cet amendement vise à préciser que la faute pénale d'imprudence est non seulement distincte de la faute civile mais aussi de la faute inexcusable de l'employeur prévue par l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.
J'en reviens aux deux premiers amendements.
Le premier amendement, qui porte sur l'article 1er de la proposition de loi, a deux objets : il tend tout d'abord à mieux rédiger le début du nouveau quatrième alinéa de l'article 121-3 afin de montrer clairement que la responsabilité pénale des auteurs indirects des dommages n'est pas « subsidiaire » et qu'elle n'est en aucun cas une « responsabilité par défaut ».
Comme je l'ai déjà indiqué, il n'existe pas une hiérarchie des causes, la cause déterminante d'un dommage pouvant dans certains cas être la cause indirecte et non la cause directe de celui-ci.
Je vous propose donc de supprimer l'adverbe « toutefois » et de rédiger la phrase sous une forme affirmative, comme l'alinéa précédent, et non sous une forme négative.
Cet amendement vise ensuite à lever toute ambiguïté quant à l'hypothèse de l'auteur indirect qui a créé la situation à l'origine du dommage.
La lecture du texte actuel en discussion risque en effet de donner l'impression qu'il exige une faute unique et qu'il empêche de retenir plusieurs auteurs indirects ayant chacun contribué à créer cette situation, ou bien encore qu'il se limite aux seules personnes qui ont créé la situation originelle d'où est ensuite résulté le dommage, mais qu'il interdit de sanctionner ceux qui ont permis le maintien, voire l'amplification, de cette situation à risque.
Il paraît dès lors préférable de faire référence aux personnes qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage et non, comme c'est le cas dans le texte actuel, aux seules personnes qui ont créé la situation à l'origine du dommage. Tel est l'objet du premier amendement, qui est substantiel comme vous pouvez le constater.
Le second amendement vise à améliorer la définition de la faute exigée en cas de causalité indirecte, hors le cas où il s'agit d'une violation manifestement délibérée d'une règle de prudence, afin de lever toute ambiguïté.
Il ne faut pas en effet laisser penser que la responsabilité pénale en cas de causalité indirecte ne pourra être engagée que dans des hypothèses tellement exceptionnelles qu'il en résulterait dans de nombreux cas des impunités choquantes.
Il convient ainsi de définir plus clairement le contenu de cette faute, qui est une faute caractérisée parce qu'il s'agit d'une faute exposant autrui à un risque d'une particulière gravité et que l'on ne pouvait ignorer.
Cette définition ne modifie pas l'un des éléments, essentiel, du texte adopté par l'Assemblée en première lecture qui prévoit que la responsabilité pénale de l'auteur de la faute suppose nécessairement qu'il ne pouvait ignorer l'existence du danger.
Mais elle présente en premier lieu l'avantage de ne plus retenir l'expression « faute d'une exceptionnelle gravité », qui est utilisée par la jurisprudence pour définir le concept de faute inexcusable.
Certes, cette expression doit être comprise, d'un point de vue juridique, comme signifiant « faute d'une particulière gravité ». Mais elle donne à tort l'impression que cette faute caractérisée ne pourra en pratique être retenue que de façon exceptionnelle et que, par principe, les auteurs indirects d'un dommage seraient pénalement irresponsables. Cela, il faut l'éviter.
En second lieu, la définition que je propose met clairement en évidence que la particulière gravité de la faute d'imprudence ou de négligence, et donc son caractère pénalement répréhensible, résultera par nature de la particulière gravité du risque dont l'existence était connue de la personne.
S'il est en effet évident que ce ne sont ni la nature ni la gravité du dommage qui peuvent rétroactivement qualifier la gravité de la faute, c'est en pratique la gravité du risque - existant et connu avant que l'imprudence ou la négligence ne soit commise - qui permet d'apprécier la gravité de la faute à l'origine du dommage.
Voilà donc les trois amendements que le Gouvernement a déposés, et que je vous demande d'adopter.
Je vous le dis de façon solennelle : je ne crois pas qu'il soit souhaitable que le Sénat adopte aujourd'hui de façon définitive cette proposition de loi, en refusant les amendements du Gouvernement issus de la concertation et qui marquent un juste équilibre entre une meilleure définition de la responsabilité pénale et la juste protection des victimes.
Les associations de victimes, notamment, ont pu faire part de leurs légitimes préoccupations, et leurs observations, ainsi reprises, permettent d'aboutir à un texte meilleur et correspondant à l'équilibre voulu par le Gouvernement, c'est-à-dire, je le rappelle, à un texte qui tend à empêcher des condamnations inéquitables sans permettre pour autant des relaxes ou des décisions de non-lieu qui seraient elles-mêmes inéquitables.
Je remercie les associations d'avoir contribué à ces améliorations.
Ces amendements rendent le texte plus lisible et plus consensuel, en conciliant les différents intérêts en présence, ceux des personnes qui estiment être parfois poursuivies ou condamnées à tort et qui ont droit à notre considération, et ceux des victimes qui ont droit également à cette considération et à une juste réparation.
Je l'ai déjà indiqué, il ne faut toucher à la loi que d'une main tremblante. Il n'y a aucune urgence à ce que ce texte soit adopté aujourd'hui.
Certains s'inquiètent, au cas où la présente proposition de loi ne serait pas définitivement adoptée aujourd'hui, de son devenir.
Je voudrais vous dire ici de façon non moins solennelle que, si le Sénat adopte les amendements du Gouvernement, renvoyant ainsi le texte à une autre lecture, je prends l'engagement, au nom du Gouvernement tout entier, que la navette sera poursuivie au plus vite afin de faire en sorte que ce texte soit définitivement voté avant la fin de l'année.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mais dans quel état !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il n'y a donc pas lieu de se précipiter. Au contraire, nous avons tout avantage, parce que ce sont des sujets complexes sur lesquels un accord large est nécessaire, à prendre quelques semaines de plus - il ne s'agit que de quelques semaines de plus - pour mettre au point un texte plus adapté à notre objectif.
Je vous demande donc de poursuivre la réflexion, et non d'y mettre fin aujourd'hui de façon prématurée, car ce texte, pour être admis et compris de tous, doit recueillir l'adhésion la plus large.
Le consensus, sur une question aussi importante pour notre vie quotidienne et notre équilibre social, est essentiel, j'en suis profondément persuadée. Vous disposez aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de tous les moyens pour décider d'y parvenir.
J'espère que vous ferez le bon choix. Je le dis avec beaucoup de gravité, parce que nous touchons là à des sujets très graves, que nous avons beaucoup progressé au cours de la première lecture, et que nous pouvons le faire encore si ces amendements sont adoptés de façon satisfaisante.
Je vous demande donc, de cette tribune, d'adopter les amendements du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, au moment où ce texte revient en deuxième lecture devant le Sénat et alors que la commission des lois a eu la sagesse, vous me l'accorderez, de se rallier à la rédaction de l'Assemblée nationale - elle-même approuvée par le Gouvernement et dont Mme le garde des sceaux vient de faire l'éloge voilà quelques instants - nous voyons non sans surprise certains porte-parole de victimes de sinistres ou d'accidents collectifs dénoncer ce qui serait, selon eux, « un coup de force du Sénat » - comme si le Sénat était capable de faire des coups de force ! -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas encore !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... ainsi qu'un refus de discussion traduisant « la peur de la lumière » - comme si le Sénat avait peur de la lumière ! - créant une « hiérarchie pénale » dans les responsabilités et aboutissant à une « déresponsabilisation » des élus et autres responsables d'activités à risques. Autant d'appréciations dont il sera aisé de montrer ce qu'elles ont d'injustifié, et je modère mes expressions !
Avant de répondre à ces critiques, il m'incombe de rendre compte des délibérations de la commission des lois.
Celle-ci a tout d'abord constaté que l'Assemblée nationale avait retenu et approuvé l'esprit du texte voté par elle, tendant à donner des délits d'imprudence et de négligence une définition spécifique conforme aux règles générales du droit pénal, qui postulent qu'à défaut de l'intention délictueuse, dont l'exigence reste la règle en matière pénale, il convient de n'admettre pour délits que des faits d'imprudence et de négligence fortement caractérisés, traduisant une faute de comportement « équivalente » à l'intention dolosive, et non ces fautes toutes théoriques et virtuelles - les auteurs ont parlé de poussières de faute - que l'on peut relever dans nombre de décisions récentes, qu'il s'agisse de mises en examen ou, a fortiori, de condamnations. Nous ne disposons pas de statistiques exactes, mais, si peu nombreuses qu'elles soient, si elles sont injustes, elles sont en trop, et je pense que nul ne le contestera.
En second lieu, la commission a observé que l'Assemblée nationale avait confirmé la limitation du texte nouveau aux circonstances de causalité indirecte, ce qui exclut, en pratique, la plupart des accidents de la circulation - c'est un point sur lequel il est essentiel d'insister - les autres circonstances tombant inévitablement sous le coup du texte visant les circonstances de causalité indirecte et, étant donné le caractère très complet de la réglementation dans ce domaine, ce texte ne changera donc en rien la situation des victimes d'accidents de la route. Nous avons été unanimes pour maintenir - autant qu'il dépende de la loi, hélas ! - un très haut niveau d'exigence dans ce domaine.
A partir de ce consensus, la commission a constaté que la rédaction de l'Assemblée nationale différait de celle du Sénat sur plusieurs points. Mais, l'essentiel étant acquis, il lui a semblé normal de reconnaître à toute assemblée la part de responsabilité qui lui revient.
Elle a, en conséquence, adopté purement et simplement les rédactions en question, tendant, d'une part, à préciser plus clairement ce qu'il faut entendre par causalité indirecte - il paraît que nous ne l'avions pas assez bien expliqué, mais nous sommes prêts à recevoir ce genre de semonces - et, d'autre part, à préciser ce qu'il faut entendre par « manquement manifestement délibéré à une obligation particulière de prudence et de sécurité » lorsque cette obligation ne résulte pas d'un texte formel.
C'est sur ce dernier point que l'Assemblée nationale, avec l'accord exprès du Gouvernement, si j'ai bien lu, a introduit la notion de « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui un danger que l'on ne peut ignorer ».
Certes, toutes les fautes sont graves ; dès lors qu'une faute existe, elle est forcément grave par elle-même ; d'où l'utilité de préciser qu'elle doit être exceptionnellement grave.
Nous laissons en tout cas à nos collègues députés le soin de savoir si une telle rédaction - qui est la leur - est ou non plus restrictive que la nôtre, car nous pensons que seule la jurisprudence apportera une réponse à ces questions et qu'il convient, dès lors, de nous en tenir à l'esprit de coopération auquel nous sommes attachés en vous proposant purement et simplement - et uniment - le texte de l'Assemblée nationale.
Il est généralement reproché au Sénat de s'entêter sur des actions qui lui sont propres et qu'il juge, souvent avec quelque raison, meilleures. En l'occurrence, nous adoptons au contraire une attitude de grande confiance à l'égard de nos collègues de l'Assemblée nationale. Mais, apparemment, il paraît que cela ne suffit pas.
Les mêmes raisons nous font évidemment approuver la disposition nouvelle qui tend à inscrire formellement dans le code la différenciation ainsi créée entre la faute pénale et la faute civile. S'il nous avait semblé que cela allait sans le dire, selon la formule consacrée, il se peut que cela aille mieux en le disant. Je dis « il se peut », car je n'en suis pas tout à fait certain, étant de ceux qui pensent que les textes les plus sobres sont généralement les plus sûrs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est comme les discours ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Dans le même souci de coopération, il ne nous a semblé ni opportun ni même nécessaire de reprendre certaines dispositions complémentaires du texte du Sénat, provenant soit de la proposition originelle soit d'amendements extérieurs, émanant notamment de sénateurs ici présents. Le plus souvent, il est vrai que, comme l'a jugé l'Assemblée nationale, ces dispositions n'étaient sans doute pas nécessaires.
Il en va tout autrement de celle qui concerne la responsabilité pénale des collectivités territoriales, dont l'Assemblée nationale a refusé qu'elle soit étendue aux compétences non délégables de ces collectivités.
Nous voyons dans ce refus un certain archaïsme, dénoncé ici même par M. Mauroy et peu compatible avec la conception moderne actuelle de l'état de droit - il semble qu'il faille être moderne aujourd'hui !
M. Michel Charasse. Oui : voyez le quinquennat ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais nous admettons qu'il s'agit là d'un autre débat et nous nous réservons de le reprendre dans une occasion mieux appropriée.
Au total, c'est donc avec le sentiment de faire preuve d'une certaine modestie et d'un bon esprit de coopération avec la majorité de l'Assemblée nationale, elle-même approuvée par le Gouvernement, que la commission des lois n'a cru pouvoir mieux faire que de vous proposer d'émettre un vote conforme dans cette circonstance.
Il devrait, dès lors, être difficile de faire croire, comme certains - et non des moindres - le voudraient, que le Sénat, à la faveur de je ne sais quelle prérogative au demeurant nouvelle et improbable, parviendrait à imposer sa volonté aux institutions de la République, alors que cette journée voit l'aboutissement d'une procédure à ciel ouvert, scrupuleusement concertée et consciencieusement conduite.
Il s'agit d'une procédure à ciel ouvert, tout d'abord, et non d'une procédure « en catimini » - comment peut-on employer de telles expressions ? - puisque la proposition a été largement portée à la connaissance du public à l'occasion du congrès de l'Association des maires de France en novembre dernier. On se souvient des déclarations très positives faites alors à la tribune de ce congrès par le chef du Gouvernement lui-même ! Et, depuis lors, vous le savez, la presse n'a cessé, semaine après semaine, d'entretenir le public de ces affaires.
C'est une procédure concertée, ensuite, puisque la fédération nationale des victimes d'accidents collectifs - la seule qui se soit manifestée à l'époque - a été entendue, d'abord personnellement par votre rapporteur, puis en audition publique de la commission, le 19 janvier dernier. Le président de la commission se souvient qu'après avoir entendu les représentants de cette fédération, j'étais venu le voir pour lui dire qu'en conscience il me semblait qu'il fallait faire une audition publique de cette association, parce qu'il y a des choses que je ne voulais pas être seul à avoir entendues et parce que je voulais, précisément, éviter que cela ait l'air d'avoir été, en quelque sorte, concocté dans une procédure confidentielle. Vous avez bien voulu organiser cette audition, monsieur le président, et je vous invite, mes chers collègues, à vous reporter à mon rapport écrit, qui comporte en annexe le texte des dépositions faites par ces personnes.
Quant aux autres associations, qui ne se sont manifestées que beaucoup plus tard, lors du débat à l'Assemblée nationale, ce sont elles qui ont préféré ne pas se rendre à une nouvelle audition organisée par votre rapporteur le 23 mai dernier et à laquelle je les avais invitées par écrit. Ce n'est donc pas le Sénat, mais elles qui ont refusé le dialogue contradictoire. Je ne leur fais pas de reproche, mais qu'elles veuillent bien ne pas nous en faire ! Elles ont préféré - et elles préfèrent toujours - des déclarations unilatérales, qui témoignent, me semble-t-il, d'une certaine méconnaissance du contenu de la réforme proposée. Et, une fois encore, je mesure mes propos eu égard aux intérêts si respectables qui s'expriment ainsi.
Enfin, notre démarche est consciencieuse, car cette réforme ne méconnaît aucunement les très légitimes intérêts des victimes. Elle tend seulement à ce que l'on ne confonde pas, pour résumer les choses en une formule simple, le concept de responsabilité avec celui de bouc émissaire.
C'est dans ce souci d'équilibre que la commission a écarté la solution consistant à soumettre toute plainte concernant un élu au filtre préalable d'une commission administrative. Il faut se souvenir que cela a été proposé, défendu et même voté sur ces travées ! Nous n'avons pas repris ce cheminement, qui aurait pu susciter de telles critiques.
Ce faisant, non seulement la réforme présente le caractère de portée générale et non discriminatoire souhaité, en particulier, par le chef du Gouvernement, mais elle garantit en outre que, dans le cadre de l'instruction, qui reste totalement ouvert, les investigations les plus minutieuses et les plus approfondies seront conduites de telle sorte que les circonstances, les causes proches ou lointaines des accidents seront totalement élucidées.
Il est parfaitement inexact et il est sans fondement de soutenir que ce texte aurait pour résultat d'occulter les circonstances des accidents ou de rendre impossibles les instructions auxquelles ces accidents donnent lieu et qui, effectivement, présentent, pour les victimes, des commodités de financement qui sont tout à fait appréciables et qu'il n'est pas du tout dans notre esprit de supprimer. Là encore, il y a des accusations véritablement trop éloignées de la réalité ! En ce qui concerne les amendements, un journaliste du soir, comme on dit, a cru devoir affirmer que la commission des lois avait pris sa décision sans s'y arrêter, sans les examiner. Et pour cause, monsieur le journaliste du soir, puisqu'ils ont été déposés hier soir, en fin d'après-midi ! C'est très commode pour une commission, n'est-ce pas ?
On me permettra de conclure ce propos sur une note plus personnelle. Je sors ainsi quelque peu du rapport.
Je rappelle que j'ai toujours milité, ici et ailleurs, en faveur non d'une déresponsabilisation de la vie sociale et économique, mais, tout au contraire, en faveur d'un approfondissement et d'une extension du concept de responsabilité. Cela m'a conduit, dans bien des circonstances, à me faire l'avocat des victimes.
A l'époque où je dirigeais l'Institut national de la consommation, en 1979-1980, c'est moi qui, le premier, ai dénoncé et fait dénoncer dans les publications de l'INC les dangers de l'amiante. L'un de nos collègues de l'époque m'avait, alors, fait venir en Alsace pour expliquer aux viticulteurs alsaciens pourquoi il fallait cesser d'utiliser des filtres à base d'amiante. J'ai donc joué ce rôle, et cela ne m'a pas fait - vous vous en doutez ! - que des amis.
Plus récemment, j'ai tenté de m'opposer à l'exonération de responsabilité des risques de développement. Nous n'étions pas très nombreux à mener ce combat, et nous avions en face de nous le Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'était pas celui-là !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Si ! Veuillez m'excuser, cher ami, mais votre mémoire vous fait défaut ! Nous avons successivement connu, sur ce front, M. Vauzelle et Mme Guigou, c'est tout à fait certain.
Je ne saurais donc accepter les procès d'intention de hâte suspecte ou de parti pris. Ma démarche, aujourd'hui, et j'ose le dire, comme toujours, ne s'inspire que d'un souci d'équité et de l'exigence d'une justice digne de ce nom.
C'est donc en toute sérénité qu'au nom de la commission des lois je vous invite, mes chers collègues, à confirmer vos intentions en votant conforme le texte de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il apparaît - peut-être est-ce notre tradition constitutionnelle ! - que l'initiative parlementaire a bien du mal à faire son chemin. Pourtant, madame le garde des sceaux, elle a parfois quelques mérites ; nous le verrons, la semaine prochaine, s'agissant de la prestation compensatoire en matière de divorce.
Il est un fait que, depuis longtemps, et peut-être à contre-courant de ce que veulent bien dire certains médias, nous ne pouvons qu'être préoccupés par la pénalisation de la société.
Nous avons sans doute une part de responsabilité dans ce phénomène, car, au travers de modifications du code de procédure pénale, nous avons donné de plus en plus souvent aux diverses associations ou groupements d'associations la possibilité de se porter partie civile et, par là même, de faire engager l'action publique. On voit le résultat !
C'est vrai, par rapport aux mises en examen, il y a peu de condamnations ; il y en a même sans doute très peu d'injustes, car, quand la responsabilité est engagée, c'est que des fautes ont été commises.
Lorsque nous avons légiféré sur la faute par imprudence ou négligence - certains se souviennent de la discussion qui avait eu lieu, à l'époque - nous ne nous sommes sans doute pas rendu compte des possibilités d'action considérables que cela ouvrait.
Mais la pénalisation de la société vient sans doute aussi du fait que nous sommes incapables, comme d'autres pays, de procéder à une indemnisation rapide des victimes, notamment lorsqu'il s'agit de catastrophes ou de situations complexes. Qu'il faille attendre, après moult expertises et contre-expertises, plus de dix ans pour voir indemniser les victimes d'une catastrophe, qu'elle soit ferroviaire, ou aérienne, prouve que notre système est loin d'être le meilleur.
Une amélioration du droit de l'assurance et du concept de la responsabilité civile aurait, à l'évidence, permis d'éviter que l'on utilise la voie pénale pour poursuivre n'importe quel responsable parce que c'est la manière la plus rapide d'obtenir une indemnisation.
Nous n'avons pas voulu que seuls les élus soient concernés par cette modification de la législation.
Nous avions d'ailleurs déjà fait une tentative, je le rappelle, puisque le texte sur l'imprudence et la négligence a déjà été modifié une fois, à la suite d'un rapport d'un haut fonctionnaire - c'est le Gouvernement qui l'avait demandé - qui avait conclu qu'il fallait apporter des modifications parce que le système, en l'état, permettait d'engager des poursuites simplement parce que l'on constatait qu'il y avait un dommage et donc qu'il y avait faute - c'est à peu près ce à quoi on aboutissait . Donc, il y a eu une première tentative.
Puis, constatant que cela n'avait pas changé grand-chose, que l'on continuait à poursuivre les décideurs dans les mêmes conditions, le Sénat, sur proposition de Pierre Fauchon, a voté des dispositions pour bien préciser en quoi le lien de causalité entre la faute et le dommage devait être soit direct, soit indirect, mais à condition qu'il y ait une faute caractérisée.
Je n'étais pas d'accord, bien entendu, avec certaines propositions, qui tendaient à soumettre la justice pénale à une décision administrative, fût-elle d'une juridiction administrative ! Car si le criminel tient le civil en l'état, on n'a pas encore vu, dans notre droit, que l'administratif pourrait tenir le pénal en l'état.
Il y a eu un sentiment d'exaspération chez nombre de responsables publics ; ils en ont eu assez d'être mis en permanence en examen, d'être attaqués, dans les médias, d'être poursuivis, condamnés, voire, à tout le moins, condamnés moralement, comme s'ils avaient vraiment commis des fautes, alors que, souvent, ils n'en pouvaient mais.
On a cité des exemples ; je pourrais en citer d'autres. Récemment, un maire a été mis en examen parce que quelqu'un qui conduisait en état d'ébriété...
M. Michel Charasse. C'était un de ses amis !
M. Jean-Jacques Hyest. En plus ! ... parce que quelqu'un qui conduisait en état d'ébriété, disais-je, a eu un accident et s'est blessé en passant sur un « gendarme couché » qui n'était pas conforme à la réglementation.
La cause indirecte était évidente, bien sûr ! Dès lors, le maire devait être poursuivi et - pourquoi pas ? - condamné !
Il y a eu une longue réflexion puisque le texte voté par le Sénat a, ensuite, fait l'objet de très longs débats à l'Assemblée nationale.
Notre excellent rapporteur, M. Pierre Fauchon, vient de nous expliquer que des invitations au dialogue avaient été faites à des associations qui les avaient déclinées.
Tout à fait entre nous, je crois que certains responsables sont trop sensibles aux articles signés par des personnalités reconnues, voire prestigieuses. Je dis cela parce que à chacun son métier : quand on est professeur de médecine, on n'est pas forcément professeur de droit.
Un éminent responsable de la sécurité routière - je devrais plutôt dire un apôtre de la sécurité routière - a en effet rédigé un article parfaitement injuste, manifestant surtout le fait qu'il n'avait pas lu le texte et qu'il n'avait pas compris les préoccupations des assemblées.
M. Michel Charasse. C'est un statisticien, et rien d'autre !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, en plus !
Hélas ! c'est ainsi qu'aujourd'hui on fait la loi. On ne cherche pas à approfondir, à expliquer ; on a peur, on ne va pas plus loin, parce qu'on a l'impression que l'opinion publique va réagir, d'autant qu'en l'espèce il y a une formule magique : on amnistierait les élus ! Quand on a dit cela, il n'y a plus qu'à tirer l'échelle ! Nous ne pouvons plus rien faire.
A mon avis, c'est un tort : il faut expliquer.
D'autant que, madame le garde des sceaux, ni en ce qui concerne le droit du travail, ni en ce qui concerne la sécurité routière, ni en ce qui concerne la santé, le texte ne remet en cause les possibilités de condamnation quand il y a effectivement faute.
M. Hubert Haenel. Bien sûr que non !
M. Jean-Jacques Hyest. Pour l'environnement, c'est un peu plus compliqué, je dois le reconnaître. Mais encore faudrait-il qu'on simplifie les nombreuses pénalisations qui existent en matière d'environnement, qu'on clarifie un peu les choses.
On se rappelle ce maire de l'est de la France qui a été condamné parce qu'il avait fait construire une digue et qui l'aurait été de la même manière s'il ne l'avait pas fait.
M. Michel Charasse. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Qu'il y ait une telle contradiction pose inévitablement problème. La multiplication des infractions pénales de tous ordres fait que plus personne n'y comprend rien et que la responsabilité est mise en cause en permanence.
Bien sûr, on peut toujours améliorer un texte. Rien n'interdit, d'ailleurs, une fois qu'on aura expérimenté celui-ci, de l'améliorer encore : comme cela fait déjà trois fois en dix ans que l'on modifie l'article sur l'imprudence et la négligence, pourquoi pas ?
Les amendements du Gouvernement - c'est vrai au moins pour l'un d'entre eux - n'apportent pas grand-chose. Ils contribuent plutôt à obscurcir encore un peu plus un texte qui est déjà compliqué, si bien que les magistrats auraient sans doute des difficultés à l'appliquer. Car on ne sait plus faire des textes simples !
Voilà plus d'un an que le texte est en discussion. Il est attendu par les décideurs locaux. Il a fait l'objet d'engagements de la part des plus hauts responsables de l'Etat. La concertation a été menée jusqu'à son terme.
Si certains, qui ont pris le train en marche au dernier moment, veulent, en fait, s'opposer au vote d'une loi qui est indispensable, c'est le devoir du Sénat, à partir du moment où la procédure parlementaire est complète, de voter ce texte qui fait l'objet d'un consensus au sein des deux assemblées. A chacun, ensuite, de prendre ses responsabilités.
Il serait dommage qu'une fois de plus l'initiative parlementaire ne puisse pas aboutir sous prétexte que quelques-uns hurlent très fort ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés à la phase ultime d'un travail commun - en tout cas, commun, jusqu'ici, du Sénat, de l'Association des maires de France, de l'Assemblée nationale et du Gouvernement - sur un sujet difficile, complexe et, à bien des égards aussi, délicat.
Et tout à coup, on a l'impression que la question est de savoir qui va porter le chapeau !
Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale n'est plus, c'est vrai, tout à fait celui que nous avions adopté sur proposition de notre éminent collègue Pierre Fauchon. Celui-ci vient fort justement de rappeler quelle était son intention initiale, puis son projet, quel était ensuite la rédaction du Sénat en première lecture.
Le texte que nous allons adopter conforme, je l'espère, deviendra, dans quelques jours, sauf saisine du Conseil constitutionnel, loi de la République.
Nous allons délibérer et adopter un texte qui a été amendé, amélioré et voté par l'Assemblée nationale en plein accord - en tout cas, à cette époque-là - avec le Gouvernement. Si un doute subsiste, eh bien ! le Premier ministre, soixante sénateurs ou soixante députés n'ont qu'à saisir le Conseil constitutionnel, et ce dernier dira si nous transgressons des principes fondamentaux du droit.
M. Michel Charasse. Constitutionnel !
M. Hubert Haenel. Il aura fallu cinq ans pour, provisoirement, conclure : 1995-1996 ; loi du 13 mai 1996 modifiant l'article 121-3 du code pénal ; états généraux des élus locaux ; assemblée générale des maires dans les départements ; congrès des maires de novembre 1999 ; question orale avec débat, sur mon initiative, le 28 avril 1999 ; hésitation, procès d'intention, puis vint à point nommé la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon, orfèvre en la matière.
Sans revenir sur la démonstration de Pierre Fauchon ni sur vos explications, madame la ministre, de quoi s'agissait-il et de quoi s'agit-il toujours ? Tout simplement de trouver le moyen de mettre en fin à la confusion - tout le monde est d'accord au moins là-dessus - abusive à bien des égards entre faute civile et faute pénale, confusion aux lourdes conséquences dans le domaine de la faute non intentionnelle, notamment, pour l'ensemble des décideurs publics - et pas seulement les élus locaux - et pour toutes les personnes physiques. On ne le dira jamais assez : ce n'est pas un texte fait pour les décideurs, qu'ils soient publics ou privés, c'est un texte qui s'applique à toute personne physique.
Si j'ai bien compris, madame la ministre, le texte du Sénat n'était pas très bon ; de l'Assemblée nationale en est issu un bon. Mais l'Assemblée nationale et le Gouvernement n'ont pas bien vu tous les problèmes, et on nous demande à nous, Sénat, de corriger les erreurs et de combler les oublis de l'Assemblée nationale et du Gouvernement, sous peine de craindre la vindicte des victimes. En quelque sorte, nous porterions « le chapeau ». Je n'en dirai pas plus !
S'agissant d'un texte de bonne qualité, sur lequel la commission des lois du Sénat et les uns et les autres travaillent depuis longtemps, je trouve quelque peu abusif de nous opposer aujourd'hui que les associations de victimes défendent des intérêts particulièrement légitimes.
Ne nous méprenons donc pas sur la portée des dispositions que nous allons adopter. Evitons les procès d'intention. Je ne sais quelle amnistie cacherait ce texte... M. Fauchon a bien recadré le sujet.
Chacun prend ses responsabilités : le Parlement, en l'occurrence le Sénat, le Gouvernement, qui devra aussi suivre l'application de la loi, en tout cas l'Etat, les magistrats du parquet et du siège qui, croyez-moi, seront vigilants et rétifs - pour ceux du siège - s'ils estiment que, dans le texte, se sont glissés quelques mots un peu abusifs.
Contrairement à ce qui a été dit et écrit ici et là de façon hâtive, superficielle et parfois abusive, ce texte ne bouleverse pas le droit de la responsabilité. Il est dommage que la Cour de cassation ait retardé de quelques mois son assemblée plénière au cours de laquelle il était question qu'elle reconsidère la distinction entre faute civile et faute pénale à l'occasion d'un procès qui a défrayé la chronique fort justement, le procès du Drac.
Non, le Sénat ne vole pas au secours des délits d'élus ! Non le Parlement ne démolit pas tout pour quelques maires ! Aller jusqu'à soutenir que ce texte serait une amnistie anticipée et pourrait même démolir notamment l'instruction sur le sang contaminé est une appréciation hâtive, erronée et irresponsable.
Le Parlement légifère, c'est son droit, son devoir et sa responsablité. Il ne faut pas confondre les institutions ! Il y a le Gouvernement, le Parlement, et puis les magistrats : chacun doit prendre ses responsabilités, ensuite, nous verrons !
Je vous proposerai d'ailleurs un dispositif qui devrait mettre tout le monde d'accord.
M. Michel Charasse. Ah !
M. Hubert Haenel. Le Gouvernement prend les moyens pour que la loi soit appliquée dans les meilleures conditions possibles. Il devra y veiller, au travers de ses procureurs, même si, madame la ministre, vous nous répétez sans cesse que nous n'avez plus rien à leur dire. Mais vous pouvez leur demander au moins des statistiques et de veiller à la bonne application de la loi par une circulaire d'intérêt général, puisque vous vous reconnaissez le droit de donner des indications d'ordre général.
Les juridictions appliqueront strictement la loi, chacun est dans son rôle constitutionnel, chacun prend ses responsabilités sans ambiguïté et, aujourd'hui, nous les prenons. Voilà de quoi il s'agit et il s'agit seulement de cela !
M. Michel Charasse. Ce n'est pas moderne !
M. Hubert Haenel. Toute personne ayant commis une faute de laquelle il résultera un dommage aura à répondre de cette faute et devra réparer les conséquences de ce dommage. Le droit des victimes reste intact. Cette responsabilité sera toujours de plusieurs ordres et niveaux, que je me permets de rappeler : le niveau de la responsabilité politique, le niveau de la responsabilité morale, le niveau de la responsabilité administrative, le niveau de la responsabilité civile et, pour les cas les plus graves, le niveau de la responsabilité pénale.
Comme vous l'avez dit, madame la ministre, devant l'Assemblée nationale, et vous venez de le rappelez devant nous, une faute lourde, même non délibérée, pourra être sanctionnée. Cela allait peut-être de soi, mais cela ira sans doute mieux en le disant.
L'absence de faute pénale non intentionnelle ne peut faire obstacle à une action devant le tribunal civil - il faut le dire car il faut que les victimes et l'opinion publique le comprennent - pour que les victimes puissent obtenir réparation. Cela mérite d'être dit, écrit et répété sans cesse. Donc, pas de procès d'intention, pas de poujadisme juridique ou judiciaire !
M. André Maman. Très bien !
M. Hubert Haenel. Fort légitimement, les citoyens, d'une manière générale, les victimes tout particulièrement, veulent - et ils ont ô combien raison - des responsables, dans le fonctionnement de l'Etat et dans celui des collectivités locales ; je l'ai suffisamment dit ici.
Je me souviens comment, voilà quelques années, on traitait les victimes. Je citerai pour exemple la catastrophe ferroviaire du tunnel de Verzy. A l'époque, la SNCF disait que tant qu'une juridiction n'aurait pas pris une décision devenue définitive, elle ne donnerait pas un franc pour indemniser les victimes de cette catastrophe. Aujourd'hui, les choses ont changé. Fort heureusement !
Madame la ministre, en vous écoutant tout à l'heure, m'est revenu en mémoire ce que vous m'aviez répondu à propos de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc. Vous demandant, fort légitimement, en qualité d'élu national, pourquoi le juge d'instruction de Bonneville n'avait pas été déchargé d'autres dossiers pour se consacrer à cette affaire, vous m'avez répondu que je ne pouvais - moi, surtout moi ! - ignorer que vous ne pouviez plus intervenir pour concentrer les moyens judiciaires sur ce dossier.
Je n'ai pas pu vous répondre à l'époque ni vous poser une autre question. Je le fais aujourd'hui : à qui un élu national, sénateur ou député, peut-il s'adresser lorsqu'il estime que le sort des victimes n'est pas suffisamment pris en compte par une juridiction, notamment en ce qui concerne les concentrations de moyens ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A un avocat !
M. Hubert Haenel. Sur terre, il n'y a pas que les avocats, heureusement ! (Sourires.)
Les victimes veulent comprendre, tout comprendre, pour en finir avec leur deuil. Cela est très important.
Il y aurait aussi une autre réforme, madame la ministre, mes chers collègues, celle de la procédure, si on veut véritablement aller vers les victimes. Celles-ci privilégient le procès pénal parce qu'elles y trouvent de la pédagogie, des confrontations, des explications, une certaine catharsis, en un mot de l'humain. Ce qui fait cruellement défaut au procès civil, d'apparence trop technique, pour ne pas dire technocratique, c'est le manque d'humain ! Ce sont des avocats justement, entre eux, qui développent des arguments. On a l'impression que les victimes sont très loin de tout cela et que les préoccupations humaines leur sont parfois étrangères.
Il y aurait lieu, madame la ministre, de revoir la procédure civile pour redonner vie et humanité au procès civil, au moins lorsqu'il s'agit de catastrophes importantes.
Pour couper court à toutes ces interrogations formulées parfois de façon irrationnelle ou sensationnelle, je vais proposer une solution - ainsi ne pourra-t-on plus dire que nous ne prenons pas en compte le droit des victimes - qui consiste à créer un groupe de suivi - nous l'appellerons comme nous voudrons, de vigilance par exemple - dès que la loi sera votée.
Ce groupe de suivi serait composé de magistrats de l'ordre administratif et judiciaire, d'avocats, de parlementaires, d'élus locaux et, bien entendu, de représentants d'associations d'aide aux victimes et d'associations de victimes, de sorte que si, dans l'application du texte, l'on se rendait compte rapidement qu'il y a quelque chose qui « cloche », eh bien, tout de suite, une procédure d'alerte puisse être déclenchée. Vous-même, madame la ministre, ou vos successeurs, viendrez devant le Parlement pour nous demander de remédier rapidement à tel dysfonctionnement. Un texte n'est jamais parfait, quel que soit le nombre des navettes. Demain, on trouvera encore d'autres arguments. Il faut donc en finir, aujourd'hui, au moins provisoirement, car rien n'est jamais définitif.
Ce groupe de suivi pourrait être chargé, sous l'autorité d'une personnalité ayant une compétence, une autorité et une indépendance unanimement reconnue - je pense par exemple au président Badinter - de suivre l'application de ce texte, tant devant les juridictions administratives, civiles que pénales. Mais surtout, madame la ministre, n'imaginons pas de rapport du Gouvernement au Parlement. Nous savons tous que c'est de pure forme, j'allais dire de la langue de bois, pour ne pas dire « de la foutaise ».
Ainsi, les légitimes préoccupations des victimes - car ici, tout le monde est d'accord sur ce point ; il n'y a pas l'ombre d'un doute sur nos intentions que nous soyons de gauche, de droite, du centre, Républicains et Indépendants, RPR, de l'Union centriste, du groupe communiste républicain et citoyen ou du groupe socialiste - seraient prises en compte.
J'imagine aussi que - c'est pour cela qu'il ne faut pas jouer à se faire peur et imaginer les pires turpitudes - au moindre « dérapage », à la moindre hésitation, au plus petit soupçon, il se trouvera toujours un procureur de la République pour s'ériger en justicier, ou un avocat pour dénoncer une application inique du texte. Voilà pour ce qui concerne les victimes.
J'en reviens aux responsables. Je crois qu'il y aura lieu, madame la ministre, mes chers collègues, de faire beaucoup d'efforts en matière d'information et de pédagogie, de rapprocher les points de vue, de prendre en considération les analyses des uns et des autres pour cesser de nous regarder, comme nous le faisons encore trop souvent, en « chiens de faïence... »
On pourrait, madame la ministre, vous pourriez peut-être - en tout cas au moins vos services - recenser les expériences qui sont faites par les procureurs de la République, par les procureurs généraux pour mieux régler les problèmes rencontrés avec les victimes, pour mieux surmonter les difficultés auxquelles se heurtent les décideurs de base.
Les décideurs, précisément, ont droit eux aussi à un accès au droit. On parle beaucoup d'accès au droit ; ils y ont droit eux aussi. Il y a donc lieu d'imaginer des solutions à leur profit.
L'Ecole nationale de la magistrature pourrait elle aussi assurer dans le cadre de la formation continue des sessions sur ce sujet. Je me suis entretenu récemment avec M. Hanoteaux, à qui je proposais d'organiser cette rencontre dans une enceinte parlementaire mise à la disposition de l'Ecole. On y discuterait sérieusement sur des dossiers pour essayer de mieux se connaître, de mieux apprécier les contraintes et les responsabilités des uns et des autres.
Voilà quelques pistes. Sans doute y en a-t-il d'autres.
Quoi qu'il en soit, gardons-nous, une fois ce texte adopté, de tourner la page et d'attendre. Nous avons l'expérience du texte de 1996, cher collègue Pierre Fauchon. Evitons un nouveau coup d'épée dans l'eau, et surtout, évitons, je viens de le dire, beaucoup d'ambiguïtés et de malentendus.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, de celles que j'ai formulées dans ma question orale avec débat le 28 avril 1999 et de celles encore que j'ai faites en première lecture le 27 janvier 2000, le groupe du Rassemblement pour la République votera le texte initié par le Sénat, amendé et voté par la majorité plurielle de l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le problème posé est celui de la responsabilité pénale des décideurs publics et pas seulement des élus, il faut le redire une fois encore.
De même, il faut préciser de nouveau que le débat qui nous réunit écarte l'imprudence caractérisée, par exemple le fait de ne pas réparer un équipement public qui a causé un accident.
A fortiori il n'est évidemment pas question d'atténuer, encore moins d'amnistier toute prise illégale d'intérêt, toute malhonnêteté, comme parfois certains par leurs déclarations, leurs interprétations ou leurs articles de presse essaient de le faire croire. C'est une offense inutile et injustifiée qui est faite au Parlement.
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Gérard Delfau. Quand on a écarté ces cas de figure, il reste une foule de situations où le décideur public, maire, chef d'établissement, mais aussi chef d'entreprise, est, de par sa fonction, en position de causer un dommage, voire d'être indirectement la cause d'une blessure grave ou d'une mort, sans le vouloir ou même sans le savoir.
Les exemples existent ; ils sont même plus nombreux qu'on ne le dit. Ils sont significatifs et ils ont un impact considérable, d'une part, sur les élus locaux, qui sont responsables de la vie quotidienne de la République, d'autre part, chez tous ces décideurs de la puissance publique qui assument quotidiennement des risques, je pense tout particulièrement aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement.
La démarche législative qui a été anciennement engagée par le Sénat - par nos collègues MM. Haenel et Fauchon - à la suite notamment des élections municipales a montré qu'il fallait préciser le code pénal en raison du désarroi d'un grand nombre d'élus locaux et du sentiment qui prévaut chez eux qu'ils sont la cible d'une sorte de vindicte de la justice.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Gérard Delfau. Ce sentiment, on le retrouve, nous en avons la preuve tout particulièremnt en cette fin d'année scolaire, chez les directeurs d'école et chez les chefs d'établissement du second degré.
M. Adrien Gouteyron. C'est parfaitement exact !
M. Gérard Delfau. Je rappelle en effet que 10 000 postes de directeur d'école ne sont pas pourvus aujourd'hui,...
M. Adrien Gouteyron. Tout à fait !
M. Gérard Delfau. ... exactement pour la même raison qui nous conduit à légiférer ce soir, et que des centaines de postes de proviseur et de principal de collège sont vacants.
Reste le cas des chefs d'entreprise, qui se sentent eux aussi cernés par la mise en cause personnelle, alors même qu'ils ont fait preuve de diligence pour écarter le risque.
Toutefois, après avoir accepté explicitement, pour des raisons que j'ai cru légitimes, que nous légiférions pour l'ensemble des décideurs publics, je ressens, à la réflexion, une certaine forme d'insatisfaction.
Qu'y a-t-il de commun entre un élu local qui assume une mission particulièrement difficile et sans but lucratif - et qui est, au fond, l'un des maillons de la République -, et un chef d'entreprise ?
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Gérard Delfau. Avec le recul, je vois des différences fondamentales, et si nous avons des difficultés à conclure aujourd'hui, c'est sans doute pour partie parce que, mus par de bonnes intentions, nous avons voulu légiférer globalement.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Très juste !
M. Gérard Delfau. S'agissant des accidents du travail, quand j'ai approuvé le texte de notre collègue Pierre Fauchon, je ne pensais pas, si peu que ce soit, amnistier les auteurs de tel ou tel responsable d'accidents du travail, lesquels me paraissent relever, je le redis, d'une autre procédure et d'une autre appréciation.
M. Hubert Haenel. D'une autre nature !
M. Gérard Delfau. Le 27 janvier 2000, nous avons en tout cas délibéré, en précisant, grâce à notre rapporteur, M. Pierre Fauchon, la notion de « faute non intentionnelle », qui était déjà connue du code pénal depuis la loi du 13 mai 1996. Nous avons alors distingué la causalité directe de la causalité indirecte, et nous avons prévu, quand le décideur a pris les mesures générales nécessaires et qu'il n'y a pas de causalité directe avec le dommage, qu'il ne saurait y avoir ni faute ni délit. Enfin, nous avons, bien évidemment, fait la distinction avec la réparation financière - code civil, d'une part, code pénal, d'autre part - qui n'est pas de même nature.
A l'Assemblée nationale, la proposition de loi a fait l'objet d'un débat approfondi auquel le Gouvernement a pris part. Les députés de la majorité ont repris à leur compte les grandes lignes de ce qui avait été voté au Sénat, notamment la distinction entre causalité directe et causalité indirecte. Ils ont par ailleurs précisé les manquements délibérés aux règles de la prudence et rappelé les diligences nécessaires. Ils ont ajouté la notion de faute d'une exceptionnelle gravité.
Bref, ils ont voté un texte qui prolonge, modifie et améliore celui qui était issu des travaux du Sénat. C'est bien normal, selon nous. Le Sénat est en effet particulièrement attaché à l'idée de navette et au travail de chacune des deux assemblées.
Nos collègues de droite de l'Assemblée nationale ont cru bon de prendre une position différente. C'était leur droit. Il n'empêche qu'ils sont très largement responsables de la difficulté devant laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Nombre de mes collègues sénateurs en ont conscience, même si c'est plus facile à dire pour moi que pour d'autres...
Bref, le Parlement était arrivé à un certain accord. Puis, les associations de victimes et les organisations syndicales ont soulevé de vives objections. Les premières ont parfois usé, à l'égard du Parlement, d'un langage que, à titre personnel, je ne puis accepter.
M. Hubert Haenel. Très bien !
M. Gérard Delfau. Chacun doit tenir sa place. Que diraient ces associations si le Parlement ne prenait pas ses responsabilités ?
On peut être en désaccord avec une décision parlementaire ; c'est le fondement même de la démocratie. En revanche, on ne peut pas, on ne doit pas suspecter, par principe, le Parlement d'obéir à des logiques qui ne sont pas celles de l'intérêt commun.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Gérard Delfau. Il faut, au moment où nous sommes, que chacun prenne conscience de la crise mondiale que traverse une majorité d'élus locaux qui ont le sentiment, pour partie justifié, pour partie peut-être excessif, de devenir les boucs émissaires de la société. Il faut aussi prévoir les conséquences négatives de la fuite devant les postes de responsabilité d'un nombre de plus en plus grand d'agents de la fonction publique.
Et pourtant, notre démarche, sur un sujet aussi délicat, doit rester prudente, doit être expliquée à l'opinion publique. Pour être clair, mes chers collègues, cette démarche doit être comprise. Si elle ne l'est pas, elle sera sans doute mal appliquée, contestée et n'atteindra pas le résultat que - très légitimement - tous ensemble, nous souhaitons.
Madame la garde des sceaux, vous nous demandez aujourd'hui de surseoir au vote définitif et vous présentez trois amendements qui ont, selon vous, la vertu d'apaiser les craintes et de créer le consensus autour d'une nouvelle rédaction du code pénal. Vous nous incitez « solennellement » - vous avez utilisé cet adverbe à deux reprises - à les approuver.
Je ne me prononcerai pas sur le contenu de ces amendements en cet instant. Ils viendront en discussion ultérieurement. Mais je prends acte de cette position, qui constitue un élément indiscutablement majeur dans le débat qui nous occupe depuis maintenant un an.
A cela - et j'ai écouté avec attention nos collègues - la majorité du Sénat et le rapporteur, M. Pierre Fauchon, rétorquent qu'il y a urgence à conclure. Ils n'ont pas tort puisque, comme notre collègue M. Haenel l'a rappelé tout à l'heure, nous avons entamé ce débat en 1995.
Nos collègues, en partie ou en majorité - nous le saurons lors de la discussion des articles - veulent et peuvent passer en force. Dès lors, évidemment, le Gouvernement se raidit.
Je veux dire à cet égard mon embarras et, d'une certaine façon, un peu ma consternation. Pourquoi interrompre la navette ? ai-je envie de demander à mes collègues de la majorité. Et je le leur demande !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pourquoi la prolonger ?
M. Gérard Delfau. Pourquoi cette volte-face du Gouvernement ou ce qui peut paraître tel, ai-je envie de demander à Mme la garde des sceaux.
Aux uns et aux autres, je veux dire : ne peut-on, ce soir, trouver un compromis honorable qui lierait dans un accord indiscuté et le contenu, à partir des trois amendements tels que la discussion les aura fait approuver, et le calendrier, qui demande à être précisé, madame la garde des sceaux ?
La fin de l'année, c'est trop loin. En effet, nous savons ce qu'est la session d'automne, nous savons combien elle est chargée et que la fin de l'année, cela peut signifier, à vingt-quatre heures près, au-delà des élections municipales. Or vous avez compris que nous voulions aboutir avant cette échéance, et même suffisamment avant pour que les règles soient clairement précisées.
Si nous arrivions à ce compromis, le bénéfice serait grand pour toutes les parties en présence. Le Parlement montrerait qu'il n'obéit à aucune logique partisane, ce qui est vrai, et qu'il cherche le point d'équilibre sur un sujet délicat, ce qui est déjà moins évident. Le Gouvernement aurait la satisfaction de voir prises en charge les préoccupations légitimes qu'il met en avant.
Chacun a conscience qu'il y a urgence à dénouer l'affrontement des points de vue. Mais le faire selon une procédure de vote conforme me paraît, en l'occurrence, insuffisant pour permettre que la loi qui sera votée ait toute sa force, sa plénitude et sa capacité d'application. C'est pourquoi, à tous et à toutes, je lance un appel à la raison. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Haenel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très attachée, comme d'autres ici, à l'initiative parlementaire, que je souhaiterais même plus grande. Mais j'avoue que le refus de différer un tant soit peu le vote de cette proposition de loi par notre rapporteur, suivi par la majorité sénatoriale, a de quoi surpendre. L'intervention de M. Haenel me conforte dans ce sentiment, puisqu'il n'y a pas, selon lui, et je suis d'accord, ceux qui se préoccupent des victimes et ceux qui ne s'en préoccupent pas.
Nous avons tous pu prendre connaissance des inquiétudes exprimées sur les conséquences de l'adoption de cette proposition de loi par les très nombreuses associations de victimes - l'Association française des hémophiles, l'Association française des transfusés, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante, l'Association des victimes de l'hormone de croissance, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs - rejointes, depuis hier, par la CGC, la CFDT et la CGT. Toutes sont unanimes pour dénoncer les risques potentiels que pourrait générer ce texte.
Les sénateurs de mon groupe avaient, pour leur part, dès la première lecture du texte, le 27 janvier 2000, attiré l'attention sur les « répercussions que les dispositions, si elles étaient adoptées, pourraient entraîner sur les droits des victimes, en particulier concernant les maladies professionnelles ». Ils avaient notamment insisté sur le fait que « l'aggravation des conditions de mise en cause en cas de faute indirecte, avec la nécessité d'apporter la preuve qu'il y a eu "violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité", peut altérer leurs droits ». Dénonçant alors la méthode employée par la majorité sénatoriale, notre groupe avait choisi de s'abstenir.
Dans le même sens, le 5 avril dernier, à l'occasion du vote en deuxième lecture du projet de loi relatif à la présomption d'innocence, nous avions dit combien il nous semblait paradoxal, d'un côté, d'afficher la volonté de mieux prendre en compte les droits des victimes, notamment à travers la possibilité, pour les associations de victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, de se constituer partie civile, et, de l'autre côté, de restreindre potentiellement les cas dans lesquels elles pourraient faire usage de cette faculté.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen avait été particulièrement satisfait du retrait de l'ordre du jour, par le Gouvernement, de la proposition de loi.
Nous vous savons gré, madame la garde des sceaux, d'avoir ainsi permis aux associations d'exprimer leurs points de vue. A la lecture des amendements que vous déposez aujourd'hui, on sait que cette concertation était nécessaire et profitable. Preuve supplémentaire de l'intérêt de la démarche, quatre grandes organisations syndicales demandent aujourd'hui à être associées au processus.
En décidant la discussion immédiate de la proposition de loi et en préconisant l'adoption pure et simple du texte de l'Assemblée nationale, sans attendre les résultats de cette concertation, vous avez choisi, chers collègues, de faire la sourde oreille aux critiques formulées à l'encontre du texte. Or que veulent les associations ? Sont-elles opposées à toute modification de la législation dans le domaine des délits non intentionnels ? Contestent-elles que les dispositions actuelles génèrent des difficultés réelles pour les décideurs publics ? Non ! Ce qu'elles demandent, c'est qu'une véritable réflexion ait lieu, permettant d'évaluer les répercussions de la nouvelle rédaction sur les accidents collectifs et les accidents du travail. Elles ne réclament, en fin de compte, qu'un peu de temps pour vérifier que le texte répond bien aux finalités voulues et ne comporte pas de risques induits.
Apparemment, c'est trop demander ! Ce passage en force, bien éloigné de la légendaire sagesse du Sénat, est tout simplement incompréhensible.
De deux choses l'une : soit le texte ne comporte aucun des effets pervers évoqués, et il convient de se donner le temps d'en faire la démonstration, ne serait-ce que dans un effort de pédagogie ; nulle part, en tout cas, dans le rapport de la commission des lois, je ne vois de réponse à ces inquiétudes exprimées par les victimes. On n'y trouve d'ailleurs qu'une seule fois le terme de « victimes » !
Soit le texte change effectivement les données, et il convient alors de les évaluer, à moins que ce ne soit justement cette éventualité qui pose problème !
Je ne peux pas vous laisser, pour justifier une pseudo-urgence, vous retrancher derrière le sondage de l'AMF, selon lequel 48 % des maires ne souhaitent pas se représenter lors des prochaines élections municipales en 2001 !
M. Miche Charasse. C'était 40 % la dernière fois !
Mme Nicole Borvo. Nous sommes tous ici, je dis bien tous, préoccupés par les difficultés que rencontrent les élus locaux dans l'exercice de leur mandat, soit que nous les rencontrions personnellement, soit qu'elles nous conduisent à nous interroger sur le fonctionnement de la démocratie locale.
On ne peut laisser croire - mais je reconnais volontiers que vous ne le faites pas - que la proposition de loi relative aux délits non intentionnels est un remède miracle au malaise des élus qui résoudra tous les problèmes et ranimera les vocations. Mise en place d'une aide à la décision, formation des élus, conseil de légalité plutôt que contrôle de légalité sont autant de pistes qu'il faudrait approfondir pour améliorer la sécurité juridique.
De même, la question du statut de l'élu, on le sait, ne pourra éternellement être mise en attente ; je n'y reviens pas, d'autres que moi ont su exprimer les nécessités en ce domaine. J'ai en mémoire l'intervention de M. Pierre Mauroy en première lecture ; les travaux de la commission qu'il anime s'annoncent d'ores et déjà intéressants de ce point de vue.
Néanmoins, la mise en cause pénale d'élus locaux pour des faits involontaires revêt une dimension emblématique, symptôme d'une dérive qui tend à faire des maires les boucs émissaires d'une société qui fonctionne mal. C'est ce à quoi s'attaque la proposition de loi.
Constitue-t-elle, cependant, une réponse adéquate ?
Tout d'abord, je serais plutôt encline à penser que ce sont les mises en examen qui posent problème, plus que les condamnations elles-mêmes, lesquelles restent résiduelles ; vous l'avez rappelé fort justement, madame la garde des sceaux, en première lecture et aujourd'hui encore.
Sur ce point, le projet de loi relatif au renforcement de la présomption d'innocence apporte des garanties supplémentaires ; je pense notamment au statut du témoin assisté, mais aussi aux procédures de mise en examen.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont sensibles à toute initiative tendant à réagir à une pénalisation à outrance de la société française, aux dérives « à l'américaine ». Néanmoins, il existe deux façons de procéder.
La première, que je qualifierai de « positive », consiste à proposer des alternatives crédibles au pénal, en réhabilitant les voies civile et administrative.
La seconde consiste à restreindre le champ d'application du juge pénal ; c'est l'option retenue avec cette proposition de loi.
Pour notre part, nous sommes plus enclins à soutenir la première démarche, qui prend mieux en compte la réalité du problème. Car n'oublions pas que « l'attirance » du pénal résulte avant tout, cela a été dit, de considérations pratiques. Gratuité, rapidité, accès aux éléments de preuve sont autant de points décisifs, caractéristiques de la voie pénale, qu'il conviendrait de contrebalancer par une réforme de la procédure civile avant de penser en terme de « soustraction » au pénal.
La réforme du référé administratif, qui devrait être définitivement adoptée avant la fin de la session, va dans le bon sens, car elle permettra d'améliorer considérablement le fonctionnement de la juridiction administrative, notamment en termes de temps.
Enfin, nous avions souhaité mettre en garde contre la tentation de créer un régime d'exception pour les élus, ce qui serait contraire au principe d'égalité devant la loi. Or le problème de la proposition de loi est d'avoir, certes, élaboré un texte de portée générale, mais en abordant le problème essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, sous l'angle de décideurs publics, particulièrement des élus.
Il aurait fallu, au contraire, tenter d'en évaluer les effets dans tous les domaines. N'oublions pas que le maintien dans notre droit pénal du délit non intentionnel est motivé par le souci de responsabilisation des acteurs et de maintien d'une grande vigilance dans les domaines à risque. Je sais que certains souhaiteraient ne conserver que les délits intentionnels, mais une telle réforme ne peut se faire sans une réflexion d'ensemble sur les procédures administratives et judiciaires.
D'autres que moi ont émis des réserves quant aux conséquences que pourrait avoir l'adoption du texte. Je pense notamment à l'intervention en première lecture de M. Jolibois, qui avait souhaité pointer le risque de « voir diminuer l'effort de prudence dont on attendrait plutôt un renforcement dans notre société ». La décision récente du tribunal administratif de Marseille condamnant pour faute inexcusable l'Etat à réparer le préjudice d'une victime de l'amiante confirme cette approche.
Dans le même sens, les organisations syndicales attirent notre attention sur les efforts de prévention menés dans le domaine des risques professionnels et pouvant être remis en cause si le texte était adopté en l'état.
C'est pourquoi il nous semble nécessaire que la réflexion se poursuive, d'autant que la navette parlementaire a permis, nous n'hésitons pas à le dire, une amélioration sensible du texte ; vous en convenez vous-même, vous qui avez accepté les modifications proposées par l'Assemblée nationale, monsieur le rapporteur.
Ainsi en est-il de l'abandon d'une extension de la responsabilité pénale des personnes morales ; nous avions été plusieurs à émettre des réticences quant aux risques d'un affaiblissement du sens de la responsabilité personnelle.
Ainsi en est-il également de la référence à l'auteur indirect ou médiat, avec la reprise, sur ce point, d'une définition donnée par le Conseil d'Etat dans son rapport de 1995 sur la responsabilité pénale des agents publics, plutôt qu'à la cause indirecte, qui paraissait malaisée à définir.
Enfin, l'ajout de la faute inexcusable - définie comme « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger que son auteur ne pouvait ignorer » - en tant que cause de nature à engager la responsabilité pénale des auteurs indirects d'un dommage, permet de sanctionner les inobservations aux règles de sécurité et de prudence particulièrement graves, mais pas forcément « délibérées ».
Nous regrettons néanmoins que l'Assemblée nationale ait souhaité rétablir la référence à une obligation de sécurité prévue par « la loi ou le règlement », qu'on peut juger par trop restrictive ; je pense, par exemple, à certaines règles de sécurité contenues dans les contrats de travail.
Aujourd'hui, tels qu'ils ressortent des discussions avec les associations, les amendements déposés par le Gouvernement constituent de réelles avancées permettant notamment, grâce à la précision des termes, de désarmorcer certains risques.
Je pense d'abord au remplacement par les termes de « situation qui a permis la réalisation du dommage » des termes de « situation qui en est à l'origine », qui permet d'englober la pluralité des causes, en particulier les cas des personnes qui, sans être directement à l'origine du dommage, ont contribué à le réaliser, en laissant par exemple perdurer une situation de risque.
La rédaction « positive » de l'article, avec la suppression de l'adverbe « toutefois », affiche bien la volonté de ne pas amoindrir la répression des personnes responsables en ne hiérarchisant pas les causes, qu'elles soient directes ou indirectes.
L'amendement déposé à l'article 1er bis constitue un garde-fou indispensable à l'indemnisation des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles en évitant que les termes utilisés en matière pénale ne rejaillissent sur la terminologie civile. Il donne toute sa portée à la volonté de mettre fin à l'identité des fautes civile et pénale.
Enfin, la nouvelle rédaction proposée par l'amendement n° 2 pour l'article 1er, qui met l'exigence d'une gravité particulière non plus sur la faute, mais sur le risque, constitue une piste tout à fait intéressante dont il convient de discuter et non de la rejeter purement et simplement, comme l'a fait la commission des lois ce matin.
Tous ces amendements sont déterminants pour les droits des victimes et ne dénaturent en rien l'objectif que nous avons avec la proposition de loi. Ils permettront que la discussion se poursuive. Si vos arguments sont aussi imparables que vous l'affirmez, vous aurez le temps de les développer et de nous en convaincre.
En effet, à vouloir coûte que coûte faire adopter ce texte, vous risquez d'obtenir l'effet inverse de celui qui est recherché, et donc d'exacerber les tensions et, finalement, d'opposer durablement intérêts des élus et intérêts des victimes. Ce serait un comble ! De là à reparler d'auto-amnistie... Le pas a déjà été franchi, vous le savez, même si ce n'est pas nous qui le disons.
Ainsi, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous demandent-ils solennellemnet de vous donner le temps de la réflexion, d'autant que vous venez, madame la garde des sceaux, de prendre l'engagement que le texte serait définitivement adopté avant la fin de l'année si la navette parlementaire se poursuit. Nous avons, quant à nous, déposé une motion de renvoi en commission en ce sens pour que la voix de la raison prenne enfin le dessus et permette une discussion apaisée. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Derycke applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, contrairement à ce qui est souvent prétendu, les socialistes ne sont pas contre le bicamérisme. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Ils trouvent anormaux les pouvoirs du Sénat, la manière dont il est composé, le fait que l'alternance ne peut y jouer. Mais, lorsque certains ont voulu supprimer le Sénat en tant que chambre délibérante, les socialistes l'ont défendu,...
MM. Henri de Raincourt et Jean Delaneau. Nous aussi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... aux côtés de certains de ceux qui sont ici. Nous sommes en effet convaincus, comme Clemenceau, que : « Le Sénat, c'est la réflexion. » En vérité, la réflexion est le fait des deux assemblées.
M. Henri de Raincourt. Voilà !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La navette est là pour que les textes soient améliorés au fur et à mesure de la discussion.
M. Hubert Haenel. Ce n'est pas toujours le cas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il nous arrive d'être unanimes - ce n'a pas toujours été le cas, d'ailleurs - lorsque le Gouvernement, à court de temps, déclare l'urgence sur un texte qu'il estime devoir être adopté, pour réclamer le temps de la navette et de la réflexion.
M. Gérard Delfau. C'est vrai !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chaque fois que le Sénat prend le parti - je devrais dire le parti pris - de voter conforme un texte qui arrive de l'Assemblée nationale sans faire ce qui est son métier, sans remplir ce qui est sa mission, c'est-à-dire sans considérer s'il y a ou non des améliorations à apporter à ce texte, chaque fois il a grandement tort et a ensuite à s'en repentir.
Je me souviens qu'en 1993 un accord était intervenu entre l'Assemblée nationale et le Sénat, du moins entre les présidents des deux chambres, les ministres - peut-être plus haut encore - et les présidents des commissions, sur la Cour de justice de la République,...
M. Henri de Raincourt. Hou là là !
M. Hubert Haenel. Non : sur le Conseil supérieur de la magistrature !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je poursuis ma démonstration parce que je m'en souviens très bien !
... ce qui fait que, lorsque nous avons présenté certains amendements - lorsque nous avons demandé, par exemple, que les victimes puissent être partie civile - amendements que beaucoup ici avaient bien voulu considérer comme intéressants, conformément à l'accord passé, le Sénat a voté conforme ! Or, bien que personne ne prenne l'initiative de revenir sur cette loi, tout le monde admet maintenant qu'elle a été faite trop vite et qu'elle a été mal faite.
Aujourd'hui, nous devrions avoir un souci commun : celui d'éviter toute injustice à la fois pour les auteurs de délits non intentionnels, quels qu'ils soient et tous autant qu'ils sont, et pour les victimes ou ceux qui se ressentent comme telles.
Or nous assistons aujourd'hui à une manoeuvre concertée. Nous avions pour notre part, en première lecture, voté le texte dans la rédaction qui nous était proposée par M. Fauchon - ce qui ne veut pas dire que celle-ci ne devait pas et ne pouvait pas être améliorée - même si nous avions fait, pour certains d'entre nous, de très nombreuses réserves sur tel ou tel aspect.
Puis ce texte est parti à l'Assemblée nationale, où la droite, pour l'appeler par son nom,... (M. Henri de Raincourt s'esclaffe.) Eh oui, quand on parle de majorité, on ne sait plus s'il s'agit de la majorité nationale ou de la majorité sénatoriale. La droite donc, puisque c'est son nom, a expliqué, tout au long du débat, qu'elle attendait de la navette une amélioration du texte.
Permettez-moi de faire à l'appui de mon propos quelques très courtes citations.
M. Gilbert Meyer, membre du RPR, me semble-t-il, a dit à Mme la ministre : « Il serait opportun que vous rassuriez celles et ceux qui redoutent la portée des dispositions de ce texte. Il faudra apporter des garanties à ceux qui ont des craintes sur la portée de cette modification législative. »
M. Vila, au nom du parti communiste, qui avait eu le même souci, a conclu son propos en disant : « Les députés communistes espèrent que la navette parlementaire permettra d'améliorer ce texte. »
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il l'a voté !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il avait dit auparavant : « Nous considérons simplement, et nous rejoignons là votre souci exprimé au Sénat, madame la garde des sceaux, qu'il faut veiller à ne pas affaiblir l'efficacité de la loi pénale dans des domaines aussi sensibles que le droit du travail, de la santé publique, de l'environnement, de la sécurité routière ».
Mais j'en reviens à la droite.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Les communistes ont voté le texte !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui ! et nous aussi nous avons voté votre texte ; vous de même, et vous vous apprêtez pourtant à en voter un autre. Donc, ce n'est pas un argument !
Ce que je suis en train de démontrer, c'est que vos collègues de droite à l'Assemblée nationale ont mis tous leurs espoirs dans la navette pour que vous amélioriez le texte.
Mais je poursuis mes citations.
M. Jean-Antoine Léonetti, UDF, a déclaré : « Pour autant, ces dispositions ne doivent pas remettre en cause la législation afférente au code de la route, au code du travail, à la santé publique ou à l'environnement. Elles ne doivent pas non plus aboutir peu ou prou à conférer l'impunité à tout décideur et a fortiori aux élus, frustrant les victimes ou leurs ayants droit de la recherche de la responsabilité et, par là même, de la vérité, si complexe soit-elle. Le risque serait alors de remplacer le bouc émissaire par le lampiste... » Et, le même M. Léonetti poursuivait : « Nous ne nous opposerons pas à cette proposition de loi, mais nous espérons qu'elle s'enrichisse au Sénat et en deuxième lecture à l'Assemblée nationale .»
Et M. Léonetti de conclure : « Il faudra encore travailler à ce texte afin qu'il parvienne à un équilibre entre la culpabilité du lampiste et la condamnation d'un bouc émissaire, gage d'une société de responsabilité à la fois individuelle et collective. »
Nous avons déjà vu le RPR, puis l'UDF, voilà Démocratie libérale et Indépendants, et c'est M. Houillon...
M. Hubert Haenel. Un avocat !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui, et après ? C'est son droit ! Ce n'est pas un défaut ! (Exclamations amusées sur les travées du Rassemblement pour la République et des Républicains et Indépendants.)
M. Henri de Raincourt. Ça, cela dépend des jours !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Houillon, donc, a déclaré : « Le souhait exprimé dans cette proposition, comme cela avait déjà été le cas en 1996, est celui de l'appréciation in concreto des fautes. Le texte d'aujourd'hui encadre toutefois avec plus de précisions cette appréciation dans les cas de responsabilité indirecte. Mais c'est peut-être à cet encadrement-là, monsieur le rapporteur, qu'il faut réfléchir plus avant pour ne pas aller au-delà de l'objectif souhaité ».
Je passe quelques phrases de M. Houillon, sur lesquelles je reviendrai et qui sont particulièrement savoureuses aujourd'hui, car le Gouvernement s'en est directement inspiré pour l'un de ses amendements ; nous le verrons tout à l'heure.
M. Houillon conclut : « Notre abstention sera donc une abstention positive en attendant de pouvoir voter le texte en seconde lecture. »
Enfin, j'en viens à M. Jean-Louis Debré, dont les propos ont un peu étonné à l'époque. Après quoi, nous nous sommes dit : si l'on veut parvenir à un consensus, sans doute faut-il tenir compte de ses observations.
Or qu'avait dit M. Debré ? Ecoutez bien, mes chers collègues : « En l'état actuel de la procédure législative, nous sommes en première lecture et, compte tenu des interrogations qui apparaissent sur les conséquences que pourrait avoir cette loi, le groupe RPR a décidé de s'abstenir. » J'ajoute qu'il sera, à la fin de son propos, applaudi sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.
M. Debré poursuivait : « Nous demandons au Gouvernement de bien vouloir rassurer publiquement les représentants des associations et les victimes qui ont fait part de leur inquiétude légitime à ce sujet, ainsi que de leurs souffrances.
Vous comprendrez, tout le monde ici comprendra, que notre position répond à un triple souci : un souci d'humanité, un souci de précaution et un souci de clarté.
« Sur un sujet aussi difficile, aussi douloureux, aussi délicat pour un grand nombre de nos concitoyens, nous ne pouvons légiférer que dans la sérénité et le consensus ».
M. Michel Charasse. Et hors de toute pression !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas nous qui le disons, c'est M. Jean-Louis Debré.
Je poursuis : « Au début de la procédure législative et pour les raisons que je viens d'évoquer, le groupe RPR, en cette première lecture, s'abstiendra, attendant que le Gouvernement rassure l'ensemble des personnes qui ont fait part de leur inquiétude ». Et M. Jean-Louis Debré de conclure : « Mes collègues ont expliqué en quoi les dispositions adoptées ne correspondaient pas tout à fait à ce que nous souhaitions et ne répondaient pas à une angoisse exprimée par certains.
« Nous avons le souci de parfaire la législation. Le constituant a admis qu'une proposition ou qu'un projet de loi pouvait donner lieu à plusieurs lectures afin d'être amélioré. Je sais - disait-il à tort, nous le voyons aujourd'hui - que vous ne souhaitez pas que la procédure se déroule normalement ». Je ne sais pas s'il s'adressait à Mme la ministre,...
M. Henri de Raincourt. Sans doute !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... au Gouvernement ou à la majorité à l'Assemblée nationale, mais nous considérons, nous, que la procédure législative doit se dérouler jusqu'au bout pour aboutir en deuxième lecture à un texte plus satisfaisant.
Vous me pardonnerez, mes chers collègues, la longueur de ces lectures, ...
Mais elles étaient nécessaires pour vous démontrer que l'ensemble de vos amis politique, à l'Assemblée nationale ont appelé de leurs voeux l'amélioration de cette loi, en deuxième lecture ici et à l'Assemblée nationale.
Qu'a fait le Gouvernement ? Il a tenu compte de ces critiques. Il a recherché le consensus. Il a organisé une concertation avec les uns et les autres, non seulement avec les associations, mais aussi avec les syndicats, de manière à aboutir à un bon texte et non à un texte comme celui de 1995, dont nous avions eu l'occasion à l'époque de dire qu'il ne changerait rien, ce qui s'est révélé exact.
Mais vous étiez bien pressés de le voter alors, n'est-il pas vrai ! En effet, peu de jours après devait se tenir le congrès de l'Association des maires de France. De même, aujourd'hui, vous êtes pressés de voter le nouveau texte parce que, le 14 juillet prochain, le Sénat accueillera de nombreux maires de France. (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
En tout cas, c'est la pensée qui nous traverse l'esprit quand on voit qu'au lieu d'accepter la proposition du Gouvernement...
M. Hubert Haenel. Vous n'avez pas le droit de dire des choses pareilles sur le Sénat. Ce sont des arguments d'avocat !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une hypothèse que je fais. Mais je n'en ai pas terminé, vous en entendrez d'autres, vous allez le voir dans un instant !
En effet, une duplicité tout à fait extraordinaire se manifeste et tout se passe comme si les députés de droite s'arrogeaient la défense des associations de victimes et les sénateurs de droite, celle des décideurs publics et plus particulièrement des élus.
M. Henri de Raincourt. Et alors ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est cela que j'appelle - excusez-moi - de la duplicité ! Cela ne peut manquer de me rappeler, et cela doit être dénoncé comme tel, l'attitude de la chauve-souris de La Fontaine face aux deux belettes dont l'une n'aimait pas les souris et l'autre n'aimait pas les oiseaux. Vous savez ce que lui faisait répondre La Fontaine en deux vers distants l'un de l'autre :
« Je suis oiseau, voyez mes ailes,
« Je suis souris, vive les rats ! »
C'est très exactement l'image que l'ensemble de la droite parlementaire risque de donner si vous n'acceptez pas les arguments péremptoires du Gouvernement.
Nous devons, et je réponds là à mon ami Michel Charasse,...
M. Michel Charasse. Je n'ai rien dit !
M. Jean Delaneau. Il en veut à tout le monde ce soir ! (Rires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si, Michel Charasse a dit : « Et sans tenir compte des pressions ». Précisément, je le rassure en disant qu'au groupe socialiste en tout cas, et il le sait bien, nous ne tenons pas compte des pressions, d'où qu'elles viennent, ni des uns ni des autres. (Exclamations et rires sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
MM. Jean Delaneau, Henri de Raincourt et Jacques Larché. Allons !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous considérons que, même si nous sommes des élus d'élus, le Sénat est une assemblée parlementaire à part entière et que, dès lors, nous nous devons de défendre l'intérêt général et de concilier, quand c'est possible, des intérêts légitimes différents.
En ce qui me concerne, et je l'ai toujours dit lorsque cette question a surgi, j'ai une répulsion devant la notion de délit non intentionnel.
J'ai bien conscience, en cela, d'être à contre-courant : on veut des responsables lorsque des fautes sont commises, fussent-elles par imprudence, surtout si ces fautes par imprudence sont graves et comportent la connaissance d'un danger pour autrui.
Je sais aussi qu'un procès civil est malheureusement beaucoup plus long, beaucoup plus coûteux, beaucoup plus aléatoire qu'un procès pénal. Pourquoi ? En particulier parce qu'il n'existe pas, hélas ! - il faudrait y songer, madame la garde des sceaux, mais vous avez déjà tellement de choses à faire, et qui coûtent tellement cher ! - un juge d'instruction civil, chargé de faire au civil ce que fait le juge d'instruction au pénal, c'est-à-dire interroger les témoins, rechercher les preuves. Cela explique que beaucoup de justiciables choisissent la voie pénale.
Lorque, en 1995, M. Fauchon a voulu proposer des dispositions qui ne visaient que les élus, le Gouvernement a dit qu'il fallait viser aussi les fonctionnaires et les militaires et j'ai dit, moi, qu'un tel texte devrait concerner tout le monde.
M. Hubert Haenel. C'est le cas avec celui-ci !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est, nous dit-on, le cas aujourd'hui. Pourtant, force est de constater que les fautes par imprudence dont il s'agit ne peuvent guère être commises que par des décideurs. C'est d'ailleurs pourquoi chacun ne parle plus de responsabilité des élus mais de responsabilité des décideurs publics. En effet, les décisions que prend un particulier ne sont pas de même nature que celles que des décideurs publics sont amenés à prendre.
M. Michel Charasse. Mais si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Plusieurs des articles du texte concernent tout de même le code général des collectivtés territoriales ou la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ou encore le statut général des militaires ! Il n'est donc pas tout à fait faux de demander que l'on tienne compte de doutes qui sont, paraît-il, malvenus, M. le rapporteur nous a dit que les associations - il n'a pas parlé des syndicats - ont tort de s'inquiéter. Toujours est-il qu'elles s'inquiètent. Si l'on peut les tranquilliser, pourquoi ne pas le faire ?
Par son premier amendement, le Gouvernement propose de viser, outre ceux qui ont créé la situation en cause, ceux qui ont contribué à la créer.
C'est exactement ce qu'a demandé, à l'Assemblée nationale, M. Houillon lorsqu'il s'est exprimé en ces termes : « Par ailleurs, - et j'en avais fait l'observation en commission - l'hypothèse du concours des causes du dommage n'est pas envisagée dans l'amendement que vous proposez : "... les personnes physiques qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine..." Cette rédaction laisse à penser que, lorsqu'elles ont seulement concouru à créer la situation - ce que j'appelle le concours des causes - il n'y aurait pas de responsabilité. En tout cas, la question mérite d'être étudiée et précisée puisque, en l'état actuel, le texte n'y répond pas tout à fait. »
Pour ma part, j'ai la conviction que, lorsqu'on parle de ceux qui ont créé la situation, cela inclut ceux qui ont contribué à la créer...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... mais, puisque certains ont des doutes, particulièrement parmi vos amis, pourquoi ne pas les rassurer en apportant cette précision ?
L'amendement aurait d'ailleurs pu viser « ceux qui ont créé, contribué à créer ou maintenu la situation... » puisque l'objet de l'amendement fait également mention de ceux qui ont permis le maintien de la situation à risque.
Par le deuxième amendement il est proposé de viser une « faute caractérisée en ce qu'elle exposait autrui à un risque d'une particulière gravité » que l'auteur de l'imprudence ne pouvait ignorer, plutôt qu'une « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger » que ladite personne ne pouvait ignorer.
Sans doute les deux formulations sont-elles très voisines mais il me semble que la précision qu'il est proposé d'apporter rend le texte parfaitement clair.
Mes chers collègues, si vous n'avez pas d'arrière-pensées politiques, comme celles que j'ai dénoncées tout à l'heure pour le cas où vous en auriez eues, vous n'avez aucune raison de ne pas accepter cet amendement.
Enfin, le troisième amendement vise à préciser que, au civil, il doit être possible de retenir non seulement la faute d'inattention au sens de l'article 1383 du code civil mais aussi la faute inexcusable au sens du droit du travail, même en l'absence de poursuites pénales.
Cet ajout s'impose, vous le savez bien. Pourquoi, alors, direz-vous, n'y a-t-on pas pensé plus tôt ? Mais la navette est faite pour cela, pour améliorer le texte ! Or cet amendement l'améliore effectivement.
M. Haenel a dit tout à l'heure : « Après tout, on a déjà légiféré en 1994, en 1995, on a posé des questions orales avec débat ; on recommence aujourd'hui ; on pourra recommencer après ! »
Non, le travail d'un parlement sérieux consiste à s'efforcer de faire une loi aussi parfaite que possible, de prendre le temps qu'il faut pour cela et de faire se poursuivre la navette tant qu'elle est nécessaire.
Nous sommes tous d'accord pour dire que ce serait tout de même bien que ce texte soit voté avant les élections municipales... même si ce texte est fait, bien sûr, pour tous !
Le Gouvernement prend l'engagement de le faire.
Nous savons aussi que, de même que M. le rapporteur a été associé à la rédaction du texte qu'a finalement voté l'Assemblée nationale, le rapporteur de l'Assemblée nationale est d'accord avec les amendements du Gouvernement, lesquels au demeurant, je le répète, s'imposent.
Nul ici n'ignore qu'il peut m'arriver de m'opposer à des textes ou à des amendements du Gouvernement. Lorsque je pense qu'ils sont mauvais, je le dis !
Mme Elizabeth Guigou, garde des sceaux. Ça oui ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il ne s'en prive pas ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous remercie de me rendre justice sur cette indépendance d'esprit dont, à tort, bien sûr, j'aurais tendance à ne pas avoir honte.
Mais ici, mes chers collègues, je vous dis, parce que je le pense, que ces amendements sont bons, que vous n'avez aucune raison de ne pas les voter et que vous ne pouvez pas laisser penser que les députés s'occupent des victimes et que les sénateurs s'occupent des élus. Or c'est très exactement ce que vous donneriez à penser si vous deviez voter le texte sans avoir voté les amendements. Bien entendu, si cela devait advenir, nous aurions des conclusions à tirer et, en particulier, à dénoncer votre attitude devant le pays. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Henri de Raincourt. Des menaces ?
M. Patrice Gélard. Comme toujours !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai quelques brèves remarques à la suite des interventions que nous venons d'entrendre.
Monsieur le rapporteur, les amendements du Gouvernement ont été déposés dans un délai permettant leur examen, étant entendu que la brièveté de ce délai a été imposée par la hâte du Sénat à voir ce texte adopté.
Je le répète, une question aussi importante ne justifie aucunement la précipitation. Elle justifie, au contraire, que nous y consacrions encore un peu de temps.
Monsieur Hyest le Gouvernement ne cherche nullement à brider l'initiative parlementaire. Il s'est, à l'inverse, engagé, notamment par la voix du Premier ministre, à faire en sorte que ce texte soit voté avant les élections municipales. J'y reviendrai lorsque je répondrai à M. Delfau, qui m'a demandé des précisions sur le calendrier.
Il reste donc encore du temps : cette session n'est pas finie et il y a encore le début de la prochaine session. Par conséquent, nous pouvons poursuivre la concertation qui a été engagée et qui porte ses fruits. Je pense que ce sera utile.
Monsieur Haenel, le consensus dont vous avez fait état a été rompu par l'opposition parlementaire à l'Assemblée nationale, en particulier par le groupe du RPR, c'est-à-dire l'homologue de celui auquel vous appartenez ici. La position prise par le groupe du RPR à l'Assemblée nationale le 5 avril dernier consistait à dire qu'il n'était pas possible d'adopter le texte en l'état.
M. Dreyfus-Schmidt vient de citer les propos d'un certain nombre de députés de l'opposition qui, eux aussi, m'ont alertée, comme l'ont fait les associations ou des professeurs de droit - car il s'agit d'une matière complexe - sur la nécessité d'améliorer encore ce texte, même si la première lecture à l'Assemblée nationale a déjà apporté une amélioration importante.
En ce qui concerne les procureurs, vous ne pouvez pas affirmer que je n'ai rien à leur dire. Je passe mon temps à leur parler ! Seulement, je ne leur parle plus des dossiers individuels : je leur parle des directives de politique pénale. Je leur adresse aussi des circulaires : sur la délinquance financière, les sectes, la sécurité routière, l'aide aux victimes, etc.
Je ne crois pas que la justice y ait perdu en autorité ou en efficacité, bien au contraire.
Mais, avant les politiques pénales, il y a la loi.
Bien sûr, vous avez tout à fait raison de vous préoccuper de l'application de la loi. Je souscris tout à fait à cette préoccupation. Je viens d'ailleurs de créer un groupe de travail sur le suivi de la loi relative à la présomption d'innocence et aux droits des victimes. J'attache donc une extrême importance à vos travaux et au suivi des textes que vous votez.
Cependant, avant de suivre l'application d'une loi, il faut d'abord la concevoir, trouver les bons équilibres.
Je tiens également à rappeler que j'ai toujours pris mes responsabilités.
Je l'ai fait, notamment, il y a un an, lorsque j'ai répondu à la question orale avec débat que vous aviez posée, monsieur Haenel.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai par ailleurs indiqué que la proposition de loi de M. Fauchon constituait un progrès par rapport à certaines propositions précédentes du Sénat, mais qu'il fallait néanmoins l'améliorer. Ce travail d'amélioration a été entamé, tant ici qu'à l'Assemblée nationale.
Dans toutes les concertations que j'ai menées, avec tous les interlocuteurs que j'ai reçus à la Chancellerie, qu'il s'agisse des élus, des délégués des groupes parlementaires, des représentants des associations et des syndicats, j'ai tenu le même langage.
Je leur ai dit, premièrement, qu'il fallait améliorer la loi pour éviter les mises en jeu inéquitables de la responsabilité pénale qui ont lieu aujourd'hui.
Je leur ai dit, deuxièmement, qu'il fallait trouver le bon équilibre, car des dispositions législatives ont toujours, inévitablement, une portée générale alors qu'elles recouvrent des réalités infiniment diverses.
J'ai même prévenu les associations que l'équilibre que nous trouverions résulterait nécessairement d'un compromis, et leur réaction ne m'est pas du tout apparue comme fermée.
J'ai donc pris mes responsabilités, et je continue à les prendre.
Je demande instamment à la majorité sénatoriale de ne pas camper aujourd'hui sur des certitudes. Tout ce que nous devons faire, c'est essayer d'élaborer le meilleur texte possible.
S'agissant du drame du tunnel du Mont-Blanc, monsieur Haenel, vous m'avez dit que vous vous adressiez à moi parce que vous ne pouviez pas, vous, élu de la nation, vous adresser au juge d'instruction. J'ai fait, là aussi ce qui relevait encore de ma responsabilité. Car on imagine, face à une pareille catastrophe, ce que peuvent être la douleur et les sentiments des victimes ou de leurs proches. Vous m'avez demandé comment un juge d'instruction, qui est un juge du siège, qui a donc toujours été indépendant...
M. Michel Charasse. Ah bon ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Oui, tout à fait !
Ce qui est nouveau, c'est le fait de ne plus donner d'instructions aux procureurs !
Un juge d'instruction, juge du siège, donc, est saisi de cette affaire, en vertu des dispositions du code de procédure pénale. Lui seul peut demander qu'un autre juge soit associé à l'instruction du dossier. C'est cela, la loi de la République !
En revanche, les décisions qui relevaient de ma responsabilité ont été prises.
D'abord, j'ai attribué des moyens en personnels par la nomination d'un substitut général à la cour d'appel de Chambéry, qui a été affecté à l'étude de ce dossier, et par l'envoi d'un juge qui a également été affecté en renfort à la cour d'appel de Chambéry en raison de cette affaire.
Ensuite, à la demande des avocats, j'ai donné des moyens matériels supplémentaires avec un CD-ROM pour reproduire le dossier et les moyens techniques pour pouvoir imprimer le CD-ROM. En même temps, un vacataire a été spécialement affecté à cette tâche. Enfin, la Chancellerie a constamment apporté son soutien au travers d'un groupe de travail associant les victimes, les représentants des victimes, les avocats et les magistrats, pour que l'élucidation de cette très douloureuse affaire puisse se faire dans les meilleures conditions possibles.
Je tiens maintenant à remercier tout particulièrement Mme Borvo du soutien qu'elle a apporté à la démarche du Gouvernement, je dirai dans un instant, après qu'elle aura été défendue, ce que je pense de la motion tendant à un renvoi du texte en commission déposée par le groupe communiste républicain et citoyen.
Madame Borvo, vous vous êtes exprimée dans des termes simples, sans équivoque et compréhensibles par tous. Vous avez dit, de la façon la plus claire possible, me semble-t-il, qu'il n'y avait aucune justification à ne pas se donner un délai supplémentaire pour avoir la certitude de voter le meilleur texte possible.
Quant à M. Dreyfus-Schmidt, avec lequel il m'est souvent arrivé de « ferrailler » dans cet hémicycle, parce qu'il a ses convictions et qu'il n'est pas facile de lui en faire changer,... (Sourires.)
M. François Trucy. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... il s'est livré à une défense et à une illustration des amendements que je vous présenterai tout à l'heure avec un talent que chacun ici, sur toutes ces travées, aura apprécié.
M. Adrien Gouteyron. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je le remercie de ce soutien éloquent.
Pour terminer, je dirai à M. Delfau que si le Sénat acceptait, comme je le souhaite, les amendements du Gouvernement, l'Assemblée nationale pourrait être de nouveau saisie de ce texte très rapidement - avant l'été - et la discussion pourrait avoir lieu soit avant la fin de cette session - nous ne l'excluons pas - soit, au plus tard, dès la reprise de la prochaine session, c'est-à-dire en octobre. Nous aurions ainsi l'assurance que ce texte serait définitivement adopté avant Noël.
Mesdames, messieurs les sénateurs, maintenant, la décision vous appartient. Il revient en effet à chacun de prendre ses responsabilités (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale !...
La discussion générale est close.

Demande de renvoi à la commission



M. le président.
Je suis saisi par M. Bret, Mmes Beaudeau et Borvo, les membres du groupe communiste républicain et citoyen d'une motion n° 4, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, la proposition de loi modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (n° 308, 1999-2000). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commision saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la motion.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen dénoncent la méthode employée par la majorité sénatoriale pour la discussion de cette proposition de loi relative aux délits non intentionnels, qui n'a pas permis qu'une réflexion approfondie soit menée quant aux répercussions potentielles de l'application du texte sur les droits des victimes.
C'est la raison pour laquelle Mme Borvo et M. Bret, membres de la commission des lois, et moi-même avons déposé, au nom de notre groupe, cette motion tendant au renvoi du texte à la commission.
Quand le train de sénateur s'emballe, on peut craindre des dérapages. Nous en avons la preuve aujourd'hui. Quand un texte est compliqué, prenons plus de temps !
Laissez-moi vous rappeler rapidement l'historique de la proposition de loi.
A la fin de l'année passée, la majorité sénatoriale avait tenté de prendre de court le groupe de travail présidé par M. Massot, réuni sur votre initiative, madame la garde des sceaux, qui devait déposer, à la fin du mois de décembre, ses conclusions sur la question de la responsabilité pénale des décideurs publics.
Alors que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen déploraient fortement cette précipation, vous aviez répondu, à l'époque, que le Parlement n'avait pas à prendre en compte les travaux d'une commission pour décider de légiférer. Certes, mais je ne comprends toujours pas l'intérêt qu'il peut y avoir à se priver de sources supplémentaires et à ne pas écouter ceux dont l'expérience n'a plus à être démontrée.
Tout heureux d'un large soutien au sein du Sénat et de la bienveillance du garde des sceaux - à l'époque, nous avions été les seuls à nous abstenir - vous aviez, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, suivi de près, bien entendu, les évolutions du texte à l'Assemblée nationale.
Lorsque le report de l'examen de la proposition de loi a été décidé à l'Assemblée nationale à la suite des mises en garde du réseau associatif, vous n'avez pas hésité à marquer publiquement votre désapprobation face à ce « contretemps ».
Après l'adoption de ce texte, bien modifié, marquée par l'abstention des groupes du RPR et de l'UDF, vous vous félicitiez de sa prochaine transmission au Sénat. Pourtant, aujourd'hui, on sait que les inquiétudes exprimées par les associations, qui s'en étaient publiquement ouvertes auprès de votre ministère, madame la garde des sceaux, ont trouvé un écho et ont pu justifier le retrait du texte de l'ordre du jour ; c'était le 23 mai dernier.
Madame la garde des sceaux, vous décidiez alors de mettre en place une concertation avec les associations pour effectuer ce travail d'évaluation que l'on s'était refusé de faire à l'origine de la proposition de loi. Pourtant, dès le 6 juin, la conférence des présidents du Sénat décidait, faisant fi de cet effort de dialogue avec les associations concernées, d'inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour.
On ne peut pas, d'un côté, déplorer le procés d'intention qui serait fait à l'encontre des parlementaires - bien sûr, aucun d'entre nous ne veut exonérer les reponsables publics ou privés de leurs reponsabilités - et, de l'autre côté, ne pas écouter les réserves exprimées sur le texte. Rappelons, en effet, que les associations n'ont pas été invitées à participer à l'élaboration de la proposition de loi.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce n'est pas exact !
M. Henri de Raincourt. Vous savez très bien que ce n'est pas vrai !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre, madame Beaudeau ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Madame Beaudeau, si vous voulez bien vous référer à mon rapport du mois de janvier dernier, vous constaterez que la fédération nationale de victimes qui a demandé à être entendue, et qui est la seule à s'être manifestée - on ne peut pas deviner l'existence des autres - a été auditionnée. Trois pages de mon rapport sont consacrées au compte rendu de sa déposition. Par conséquent, ne dites pas qu'il n'y a pas eu de concertation avec les associations ! Je vous rappelle que d'autres associations s'étant manifestées au moment du débat à l'Assemblée nationale, je leur ai proposé une nouvelle rencontre, le 23 mai dernier. Elles n'ont pas jugé devoir se déranger. Telle est la vérité, qui est toute différente de ce que vous venez de dire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les syndicats ?
M. le président. Veuillez poursuivre, madame Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. J'ai lu, effectivement, votre rapport, et principalement les pages concernant la concertation dont vous nous parlez.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Donc, elle a eu lieu !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il y a des associations qui sont connues à l'échelon national depuis longtemps. Il est très étonnant que vous ayez attendu la dernière minute pour les recevoir. Je ne veux donner de leçon à personne, monsieur le rapporteur, mais lorsqu'on élabore une proposition de loi aussi importante, c'est bien avant son élaboration qu'il faut interroger l'ensemble des associations.
La procédure « à ciel ouvert » que vous évoquiez, monsieur le rapporteur, se déroulait donc plutôt en circuit fermé, vu le peu de monde qui y était convié.
Certes, vous aviez procédé à des auditions en première lecture, vous venez d'en faire état, Mme la professeur Viney et les responsables de la Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs, la FENVAC, avaient d'ailleurs attiré votre attention sur les risques d'une baisse de la répression en matière d'accidents professionnels et collectifs sur les droits des victimes. Cela aurait dû vous conduire à entendre bien d'autres associations. Mais il n'en a pas été tenu compte. Il faut dire qu'auditionner les intéressés à la veille de la pulication du rapport, ce n'est pas le moyen le plus profitable pour approfondir la réflexion !
Vous n'avez pas plus souhaité, pour la deuxième lecture, entendre ce qu'avaient à dire les associations ; vous n'avez même pas attendu les premiers résultats de la concertation pour rendre votre rapport !
Combien de temps avez-vous consacré en commission des lois à l'étude des amendements que le Gouvernement présente aujourd'hui après un dialogue qualifié de « très constructif » - mais vous le savez, vous l'avez entendu - par les responsables des principales associations de défense des victimes ?
Ce n'est pas raisonnable, ce n'est pas de bonne méthode : les arguments développés méritent plus que d'être balayés d'un revers de la main comme s'il ne s'agissait que d'affabulations.
Parce que la tentative de passage en force de la proposition de loi n'a pas permis qu'un véritable débat s'instaure, ce qui est tout à fait préjudiciable eu égard à l'objectif poursuivi, parce qu'il est absolument nécessaire, pour une application sereine de la loi - d'autres intervenants l'ont dit tout à l'heure - d'évaluer parfaitement ses conséquences futures, nous demandons qu'un nouvel examen du texte puisse être effectué en commission des lois qui permette de répondre à l'ensemble des réserves qui sont invoquées à l'encontre de la proposition de loi telle qu'elle est rédigée à l'heure actuelle.
Telles sont les raisons pour lesquelles les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous demandent, mes chers collègues, de voter la présente motion de renvoi à la commission.
M. Henri de Raincourt, Hélas, nous ne le ferons pas !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, contre la motion.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je profite de cette occasion pour livrer quelques éléments de réponse - très sommaires d'ailleurs, car il y a du ridicule dans ce débat - à certains autres intervenants.
Je dirai tout d'abord à Mme Beaudeau que, si elle veut bien reconstituer honnêtement ce qui s'est passé - et je ne doute pas que telle soit son intention -, elle constatera que ma proposition de loi a été déposée avant que la commission Massot commence ses travaux. Je m'inscrivais alors dans une démarche qui m'était personnelle. Je faisais mon devoir en tant que sénateur, motivé d'ailleurs par un événement particulièrement choquant qui s'était produit dans mon département l'année dernière.
Je ne suis pas obligé d'attendre de savoir si les autres vont faire quelque chose pour agir ! Peut-être voudrez-vous bien l'admettre.
Au demeurant, le rapport de la commission Massot reprend exactement les conclusions qui figuraient dans ma proposition de loi : la première idée était d'opérer une distinction entre les causes directes et indirectes ; la seconde idée consistait à exiger une faute caractérisée. Il n'y a aucune contradiction entre les deux !
Vous avez parlé de la hâte - vous n'êtes pas la seule, hélas ! - que nous avons mise à inscrire cette affaire à l'ordre du jour du Sénat. Mais que dire de la hâte mise par le Gouvernement à l'inscrire, lui, le 30 mai ? Nous sommes quand même moins rapides que le Gouvernement, madame le garde des sceaux, puisque nous avons inscrit cette proposition de loi seulement le 15 juin. Que ceux qui sont ici les porte-parole du Gouvernement ne nous reprochent pas cette supposée hâte ! C'est peu sérieux !
Enfin, abordant le fond, vous avez dit que ce texte devrait être amélioré. Je me permets de vous faire observer que nous vous proposons de voter le texte de l'Assemblée nationale, c'est-à-dire celui qui, à l'Assemblée nationale, a été voté par le groupe communiste.
M. Claude Estier. Mais il n'a pas été voté par vos amis politiques !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne croyais pas qu'en proposant de voter le texte adopté par le groupe communiste je me heurterais à une opposition aussi farouche. Il est curieux que le groupe communiste de l'Assemblée nationale n'ait pas cru, lui, devoir demander un peu plus de temps pour réfléchir.
M. Claude Estier. Votre argument se retourne contre vous puisque vos amis politiques ne l'ont pas voté à l'Assemblée nationale !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne vois pas en quoi l'argument se retourne contre nous, mais vous allez me l'expliquer tout à l'heure, monsieur Estier !
M. Claude Estier. Vos amis politiques ne l'ont pas voté !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est une tout autre question !
Mme Nicole Borvo. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le groupe communiste dit qu'il n'a pas le temps d'examiner cette question. J'ai cru répondre par avance à cette préoccupation en proposant le vote conforme du texte adopté par le groupe communiste. C'est une question qui, vous l'admettrez, est tout à fait indépendante de celle de savoir comment s'explique l'attitude d'autres groupes dans la même assemblée.
M. Claude Estier. Ce que je dis, c'est que vous êtes dans une situation différente de celle de vos amis politiques à l'Assemblée nationale !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est une tout autre question ! Je ne propose pas de les suivre, je propose de suivre la rédaction adoptée par le groupe communiste. La vérité, c'est que cela vous gêne que le groupe communiste et vos propres amis aient accepté cette rédaction ! Là est le fond de la question ! Il y a des limites à tout !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ne vous énervez pas !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je ne m'énerve pas, mais il est tout de même des moments où il faut dire les choses avec une certaine force !
M. Henri de Raincourt. Il a raison !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Dreyfus-Schmidt nous a abreuvé de citations, toutes fort intéressantes, et s'est inspiré d'auteurs que, généralement, il ne considère pas comme des références.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pour vous !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais vous n'avez pas à me donner de leçon, cher ami ! Je suis assez grand pour m'instruire moi-même !
Cela laisse supposer que vous êtes en pleine contradiction. S'il n'y avait que cette contradiction-là, ce ne serait rien. La pire des contradictions, monsieur Dreyfus-Schmidt, c'est celle qui résulte de vos propres démarches antérieures.
Ce texte a pour objet de modifier l'article 221-6 du code pénal qui institue l'homicide par imprudence et l'article 222-19 qui définit les blessures par imprudence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je l'ai dit !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non, vous avez dit que vous étiez réticent à l'égard de ces articles. Or, le 17 juin 1999, dans un amendement signé par M. Charasse et par vous-même, vous proposiez la suppression pure et simple de ces deux articles. Vous proposiez donc de supprimer purement et simplement les délits d'homicide par imprudence et les délits de blessure par imprudence. Pour vous, le travail ne devait pas être fait à moitié...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas exact ! Je l'ai modifié à propos des accidents du travail et des accidents de la circulation.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Puisqu'il en est ainsi, je vais vous citer complètement. Vous seriez gentil de ne pas m'interrompre continuellement. Mais, je l'avoue, c'est trop vous demander ! (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Henri de Raincourt. Ça c'est vrai !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Je donne lecture de votre amendement : « Le premier alinéa de l'article 221-6 du code pénal est supprimé. En conséquence, le deuxième alinéa du même article est ainsi modifié : Les mots : "en cas de" sont remplacés par les mots : "le fait de causer la mort d'autrui par un"... »
Vous souhaitiez donc supprimer le premier alinéa de l'article 221-6, qui institue les délits d'homicide par imprudence. Vous souhaitiez également supprimer le premier alinéa de l'article 222-19 du code pénal. Le Sénat ne vous a pas suivi, mais cela ne vous a pas suffit. Voilà quelques mois, dans cette enceinte, lorsque nous avons examiné la présente proposition de loi,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je l'ai dit !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Moi, je le redis plus clairement. Vous, vous y avez simplement fait allusion.
M. le président. Ne dialoguez pas, mes chers collègues !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Le 27 janvier, vous avez déclaré ici même : « Voilà pourquoi la réforme proposée, pour sympathique qu'elle nous paraisse, ne répond pas, à la vérité, à notre attente et à l'attente de tous. J'en viens à la troisième et dernière idée que j'entendais développer : une nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin. »
Aujourd'hui, il paraît que l'on va trop loin, mais, en janvier, nous n'allions pas assez loin.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'avais dit avant que vous alliez trop vite !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous en prie, n'interrompez pas M. le rapporteur.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, laissez-les faire ! C'est sympathique ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon rapporteur. Oui, mais c'est fatigant ! M. Dreyfus-Schmidt est infatigable, mais ce n'est pas mon cas, monsieur Charasse : je suis plus fragile que lui.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Pierre Fauchon rapporteur. « Où devrions-nous aller ? », disait alors M. Dreyfus-Schmidt, dans un élan magnifique. Il ajoutait : « A mons sens, il arrivera un jour où le législateur se décidera, sauf en matière de circulation et de législation du travail, à supprimer toute exception au principe posé par le premier alinéa de l'article 121-3 du code pénal : "Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre". »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je l'ai dit !
M. Pierre Fauchon rapporteur. La vérité, monsieur Dreyfus-Schmidt, ce n'est pas que, selon vous, ce texte va trop loin...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le rapporteur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Pierre Fauchon rapporteur. Non ! Ce serait trop commode.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous n'êtes pas beau joueur, monsieur le rapporteur !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Moi, je ne vous ai pas interrompu tout à l'heure, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. le président. Monsieur le rapporteur, permettez-moi simplement...
M. Pierre Fauchon rapporteur. Si cela vous est agréable, monsieur le président, j'accepte d'être interrompu par M. Dreyfus-Schmidt, mais à condition qu'il s'engage à ne plus m'interrompre dans le cours du débat ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur le rapporteur, permettez-moi de rappeler à M. Dreyfus-Schmidt, qui connaît le règlement, que vous intervenez contre la motion et qu'il ne peut donc demander à vous interrompre.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous m'en voyez désolé, monsieur Dreyfus-Schmidt. J'étais en train de faire une concession, mais elle aurait été coûteuse pour vous, car c'était à condition que vous renonciez à m'interrompre par la suite...
M. le président. Poursuivez, monsieur le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Dreyfus-Schmidt considère, et il me l'a dit personnellement dans différentes occasions, qu'il faut supprimer toutes les circonstances de délit sans intention de le commettre. Aujourd'hui, il nous explique que nous allons trop loin dans cette voie. Or, voilà six mois, il nous reprochait de ne pas aller assez loin. Monsieur Dreyfus-Schmidt, si j'étais à votre place, cela me gênerait,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis le porte-parole de mon groupe !
M. Michel Charasse. Et en plus, il mouille tout le monde ! (Rires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... mais il en faut probablement plus pour vous gêner !
Puisque vous avez bien voulu citer un certain nombre d'auteurs, je vais, et ce sera ma seule façon de répondre à cette motion tendant au renvoi à la commission, en citer trois autres.
Voilà six mois, ici même, M. Mauroy disait : « Quant au Sénat, mes chers collègues, il sait en certaines occasions apporter une contribution essentielle à l'oeuvre législative. C'est ce qu'il fait en ce moment même...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas aujourd'hui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... avec la responsabilité pénale, sur un bon texte, qui a été bien travaillé. » Je viens de citer André Maurois.
M. Henri de Raincourt ! Pierre Mauroy !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Excusez-moi, oui, Pierre Mauroy !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il dénonce tout le monde ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non, je cite de bons auteurs ! Mais je peux aussi citer M. Vila !
Voilà trois semaines, à l'Assemblée nationale, M. Gouzes...
Mme Hélène Luc. Dites-nous ce que vous pensez de la motion de Mme Beaudeau !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela vous ennuie ce que je dis !
M. le président. Monsieur le rapporteur, ne provoquez pas vos collègues !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Gouzes, à l'Assemblée nationale, déclarait : « Il faut avoir le courage de dire que cette proposition de loi n'exonérera pas les coupables, ni dans le domaine médical, ni dans celui de la route, ni dans celui des accidents du travail, ni dans celui de la responsabilité des élus, et j'en passe. Cette proposition de loi évitera tout simplement qu'aux injustices de la vie s'ajoutent des injustices judiciaires. »
Enfin, et ce sera ma façon de répondre à Mme Beaudeau, je ferai une dernière citation :
« Les critiques qui se multiplient à la veille de notre débat, suscitant une attention médiatique, sont inexactes et injustes. Elles sont inexactes quand elles prétendent que le texte est examiné en catimini. Elles sont inexactes quand elles laissent entendre que ce texte ne concerne que les élus locaux alors même que le Premier ministre a refusé qu'ils bénéficient d'un traitement particulier. Elles sont inexactes surtout quand elles précisent que ce texte a pour objet de supprimer les sanctions pénales à l'égard des décideurs. Elles sont même choquantes quand elles nous reprochent de vouloir mettre un terme aux poursuites dans l'affaire du sang contaminé. Et si je reste modéré dans mes propos, c'est par considération envers les victimes et leurs familles dont je comprends toute la douleur.
Mes chers collègues, la commission des lois a adopté ce texte à l'unanimité, car il a été élaboré en étroite concertation avec vos services, madame la ministre, et avec le Sénat. Je vous propose donc de confirmer ce soir le vote de la commission. »
Je viens de citer M. Dosière, rapporteur et membre du groupe socialiste.
Je n'ai rien d'autre à dire, mes chers collègues, pour vous inviter à ne pas voter cette motion. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour des raisons que j'ai exposées dans mon propos introductif, je pense que le débat gagnerait à être prolongé de quelques semaines.
Mme Hélène Luc. Effectivement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Par conséquent, j'approuve la motion de renvoi à la commission, présentée par Mme Beaudeau, voilà quelques instants.
La motion de renvoi à la commission va tout à fait dans le sens de ma préoccupation. Je suis prête à participer à ce travail complémentaire si la commission des lois du Sénat souhaite m'entendre, comme elle l'a fait lors de la première lecture.
Je suis certaine qu'il serait utile et opportun de poursuivre la discussion sur les amendements du Gouvernement. Je les ai communiqués au rapporteur de l'Assemblée nationale en même temps qu'au Sénat. Puisque M. Fauchon vient de terminer en citant M. Dosière, rapporteur socialiste de cette proposition de loi à l'Assemblée nationale, je veux apporter la précision suivante. Le rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Dosière, a bien voulu m'indiquer, après avoir lui-même participé, comme vous d'ailleurs, monsieur Fauchon, à une réunion de travail au ministère avec les associations, que ces amendements lui paraissaient bienvenus. Je sais, par ailleurs, que la majorité de l'Assemblée nationale les considère avec intérêt.
M. Henri de Raincourt. Des godillots !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je répète que ces amendements sont non pas des amendements d'abandon du projet, mais bien des amendements d'amélioration. En ce sens, le renvoi à la commission rejoint le souci du Gouvernement. C'est ainsi, je pense, que nous pourrons aboutir à un texte utile pour tous.
Je demande donc au Sénat d'approuver cette motion. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 4, repoussée par la commission et acceptée par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 80:

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 94
Contre 219

Nous passons donc à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute, d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
« Toutefois, dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles ne pouvaient ignorer. »
Sur l'article, la parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet article 1er est, bien entendu, au coeur du dispositif que nous entendons mettre en place et qui, je l'espère, sera adopté aujourd'hui.
La solution retenue par l'Assemblée nationale implique, pour que la responsabilité d'une personne soit engagée, d'une part, que la faute soit d'une gravité exceptionnelle et, d'autre part, qu'elle ait exposé autrui à un danger que cette personne ne pouvait ignorer.
Cette définition doit permettre de pallier les effets dévastateurs qu'entraîne chez les décideurs - tous les décideurs, et pas uniquement les décideurs publics - l'actuelle insécurité juridique.
D'un côté, nous souhaitons à juste titre que nos compatriotes s'impliquent davantage dans les affaires de la cité et dans la vie sociale, qu'ils prennent des responsabilités. De l'autre côté, nous le savons bien, ils en sont de plus en plus dissuadés par le phénomène de la pénalisation excessive.
Il ne s'agit pas pour autant d'aboutir, comme par un effet de pendule, à une dépénalisation excessive qui lèserait les droits des victimes ; je crois que nous en sommes tous convaincus.
Mais nous traitons le problème en aval : il ne faut pas non plus oublier, en quelque sorte, l'amont. En exprimant ce que nous entendons dans nos départements, dans nos communes et dans nos cantons, je veux évoquer l'agacement très profond des décideurs devant la multiplication des normes qui, très souvent, prolifèrent comme des métastases et bloquent les initiatives.
Ayant entendu avec beaucoup d'intérêt le débat qui vient d'avoir lieu entre la commission des lois et certains de nos collègues, je veux livrer quelques impressions.
Tout d'abord, il me semble que ce débat, pour fondamental qu'il soit, traite d'un sujet extrêmement difficile ; mais peut-être la solution que nous allons, je l'espère, adopter ne sera-t-elle qu'une solution transitoire ? J'ai bien entendu M. Dreyfus-Schmidt évoquer, même si c'était avec une certaine discrétion, sa position personnelle en faveur de la dépénalisation des délits non intentionnels. (M. Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
C'est une position qui mérite le respect et qui justifierait peut-être des discussions plus approfondies.
Mais il faut agir, et vite. Alors, que l'on ne nous dise pas que nous nous sommes précipités ! Je crois qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur les précautions prises et sur les auditions réalisées par la commission des lois. Je pense que toute personne de bon sens et de bonne foi ici le reconnait.
Ces amendements du Gouvernement, qui, sans doute, ne changent pas substantiellement les choses et que nous pourrions à la limite voter, apparaissent tout de même, si l'on veut bien y réfléchir, comme une tentative de retarder encore la décision.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Adrien Gouteyron. Alors, madame la ministre, vous avez pris tout à l'heure des engagements que nous avons écoutés avec intérêt. Mais nous sommes bien obligés de constater que ce dossier est en instance depuis longtemps, et nous estimons que la décision doit être prise.
J'ai entendu nos amis du groupe socialiste, notamment M. Dreyfus-Schmidt. Quand on a parlé, tout à l'heure, du talent de ce dernier, j'ai approuvé ; mais je dois dire que, de ce talent, il faut souvent se méfier. (Sourires) Plus notre collègue fait preuve de son talent dans ses interventions, et plus nous devons nous demander où est la malice. (Nouveaux sourires. - M. Dreyfus-Schmidt fait un signe de dénégation.)
Nous ne pouvons tout de même pas oublier, monsieur Dreyfus-Schmidt, que le texte a été voté, ici, en première lecture, par le groupe socialiste, si je ne m'abuse, et qu'il a été également voté en première lecture à l'Assemblée nationale par le même groupe.
M. Claude Estier. Mais pas par vos amis !
M. Adrien Gouteyron. J'allais y venir, monsieur Estier !
On me dit que le texte n'a pas été voté par nos amis...
M. Henri de Raincourt. Nos amis, on s'en occupe !
M. Adrien Gouteyron. Oui, nous nous occupons de nos amis, c'est notre affaire !
M. Henri de Raincourt. Ça nous amuse !
Mme Nicole Borvo. Chacun ses amis !
M. Adrien Gouteyron. Par ailleurs, nous entendons nous prononcer, dans cette assemblée, de manière complètement autonome.
M. Hubert Haenel. Les assemblées sont indépendantes !
M. Adrien Gouteyron. Cette décision, nous allons la prendre en connaissance de cause, persuadés que le moment est maintenant venu de prendre nos responsabilités.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Oui, monsieur le président.
M. Haenel a fait une proposition ; j'ai cru comprendre, madame la ministre, que vous n'y étiez pas hostile. Vous avez simplement dit qu'il fallait d'abord trouver le point d'équilibre. Nous estimons, pour notre part, qu'il est déjà trouvé. Et si vous souhaitez que des assurances soient prises quant à l'application du texte, constituez donc ce groupe de suivi et de vigilance avec les partenaires qu'a indiqués M. Haenel ! Nous tranquilliserons ainsi ceux qui pourraient avoir des craintes. Mais c'est maintenant le moment de la décision, et nous prenons nos responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je ferai deux observations et une suggestion.
Tout à l'heure, l'un de nos collègues a prétendu qu'il n'était pas beaucoup question des victimes dans cette proposition de loi et que le mot n'avait été prononcé qu'une seule fois. Mais n'oublions pas les autres textes, notamment le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et, précisément, « les droits des victimes », texte que nous avons récemment adopté ici, à l'unanimité. Donc, à cette proposition de loi, il convient d'ajouter tous les autres textes, notamment celui-ci. D'ailleurs, madame le garde des sceaux, vous m'avez fort courtoisement adressé en photocopie une circulaire qui traite de cette question et dont plusieurs paragraphes concernent les victimes. Donc, il ne faut pas se méprendre : les victimes font partie de nos préoccupations constantes.
Par ailleurs - c'est ma deuxième observation - on a insinué tout à l'heure que ce texte ne concernerait que les décideurs publics. Faux ! Il concerne toute personne physique et, au nombre des décideurs, figurent toutes les personnes qui prennent des responsabilités dans la cité - présidents d'associations, présidents de clubs sportifs, de football, de basket, etc. - qui sont bien entendu concernées elles aussi par ce texte.
Je ferai une suggestion à laquelle, je le sais, le président de la commission des lois n'est pas favorable,...
M. Henri de Raincourt. Nous non plus !
M. Hubert Haenel. ... mais je la formule tout de même, pour prouver la bonne volonté des uns et des autres.
Quand on lit de près ces trois amendements, finalement, on peut très bien imaginer que les magistrats auraient d'eux-mêmes interprété ce texte en le complétant des quelques mots qui lui manquent.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas le troisième !
M. Hubert Haenel. On pourrait donc dire que le dépôt de ces amendements n'était pas absolument nécessaire.
Madame le garde des sceaux, vous pourriez nous demander de voter ces trois amendements et vous engager de votre côté à demander un vote bloqué à l'Assemblée nationale la semaine prochaine. Le texte serait alors définitif.
Il y a un précédent à cet égard. Rapporteur d'un texte long et lourd sur la réforme complète du droit de l'assurance, texte qui nous avait demandé des semaines de travail, j'avais interrogé, lors de la deuxième lecture au Sénat, Pierre Bérégovoy, alors ministre de l'économie et des finances : « Qu'est-ce qui me prouve que, si le Sénat est d'accord avec vos amendements, l'Assemblée nationale les adoptera ? », lui avais-je dit. Il s'était alors engagé à demander un vote bloqué à l'Assemblée nationale. C'est sans doute la seule fois, sous la Ve République, que, sous un gouvernement de gauche, la procédure du vote bloqué a été utilisée à l'Assemblée nationale.
Je dis cela, mais je sais très bien qu'il n'y a pas d'issue, dans la mesure où les intentions ne sont pas toujours aussi claires qu'on veut bien le dire.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Comme je l'ai dit dans mon intervention générale, je suis favorable aux amendements déposés par le Gouvernement.
M. Haenel a cité certains de mes propos. Effectivement, le terme « victimes » ne figure qu'une fois. Mais vous avez sans doute noté également, mon cher collègue, que j'ai évoqué le texte sur la présomption d'innocence, considérant qu'il apportait une amélioration.
M. Hubert Haenel. Dont acte !
Mme Nicole Borvo. L'un n'empêche pas l'autre.
La proposition de loi ne concerne certes pas que les décideurs publics, mais c'est à eux que l'on se réfère pour demander l'adoption du texte en l'état.
Monsieur Haenel, vous posez un problème, vous avez déclaré que vous pourriez voter ces amendements, mais que vous avez décidé d'en rester à votre position. (M. Haenel s'exclame.)
Cela ne me paraît pas logique. Je crois que nous pourrions nous mettre d'accord pour continuer à réfléchir ensemble sur ce point. Et, en y mettant de la bonne volonté, nous aboutirions certainement assez vite, compte tenu du souci de rapidité que vous mettez en avant aujourd'hui - tel n'est pourtant pas toujours le cas ! - à une solution.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Le Sénat, fidèle à sa tradition, à son souci du travail parlementaire et à la préoccupation qui est la sienne de prendre en compte des opinions et des intérêts forcément divergents - il travaille en effet pour l'ensemble de la société - a l'occasion de montrer que, sur ce texte, il peut y avoir concordance entre les préoccupations du Gouvernement et le souci de la très grande majorité de la Haute Assemblée.
Il suffit, dans l'esprit d'ailleurs de ce que j'avais moi-même esquissé, de reprendre au bond la proposition de notre collègue Hubert Haenel. Nous pourrions ainsi aboutir au vote de ce texte de loi dans les formes souhaitées par Mme la garde des sceaux d'ici à la fin de cette session.
Si telle est la volonté d'une majorité de sénateurs - et je ne doute pas que la sagesse prévaudra au sein de tous les groupes - il y a là une issue qui donnera satisfaction à toutes les parties en présence.
Si tel n'était pas le cas, je considérerais alors que chacun n'aurait pas fait les pas nécessaires, que des arrière-pensées auraient prévalu sur des objectifs avoués et légitimes et que le Sénat tout entier aurait perdu une occasion de montrer à la nation qu'il est une grande et sage assemblée.
M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de deux amendements, déposés par le Gouvernement.
L'amendement n° 1 tend, au début du second alinéa du texte présenté par l'article 1er pour remplacer par deux alinéas le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, à remplacer les mots : « Toutefois, dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi » par les mots : « Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi ».
L'amendement n° 2 vise, à la fin du second alinéa du texte présenté par l'article 1er pour remplacer par deux alinéas le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, à remplacer les mots : « soit commis une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles ne pouvaient ignorer. » par les mots : « soit commis une faute caractérisée en ce qu'elle exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que ces personnes ne pouvaient ignorer. »
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre ces deux amendements.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai déjà commenté ces deux amendements lors de mon intervention dans la discussion générale.
L'amendement n° 1, qui vise à modifier le début du nouveau quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal précisant les fautes d'imprudence exigées en cas de causalité indirecte, poursuit trois objectifs.
Tout d'abord, il tend à montrer clairement que la responsabilité pénale des auteurs indirects des dommages n'est pas subsidiaire et qu'il n'existe pas une hiérarchie des causes, en supprimant l'adverbe « toutefois » et en rédigeant la phrase de ce quatrième alinéa non pas sous une forme négative, mais sous une forme affirmative, comme l'alinéa précédent, qui concerne les hypothèses de causalité directe.
En effet, comme je l'ai déjà indiqué, la cause déterminante d'un dommage peut, dans certains cas, être la cause indirecte et non la cause directe de celui-ci. Si, par exemple, un automobiliste brûlant un feu rouge déséquilibre un cycliste qui est alors écrasé par une autre voiture qui le suivait, la cause déterminante, même si elle est indirecte, de la mort ou des blessures du cycliste est le comportement du premier automobiliste et non pas celui du second conducteur, qui n'a d'ailleurs peut-être commis aucune faute, s'il lui était impossible d'éviter la victime.
Par ailleurs, l'amendement n° 1 vise à lever une première ambiguïté quant à l'hypothèse de l'auteur indirect qui a créé la situation à l'origine du dommage, afin d'éviter de donner l'impression que le texte exige une faute unique mais empêche de retenir plusieurs auteurs indirects ayant chacun contribué à créer cette situation.
Je propose ainsi de faire référence à ceux qui ont créé ou contribué à créer la situation et non pas simplement à ceux qui ont créé la situation.
Là aussi, laissez-moi vous donner un exemple : un accident du travail peut être la résultante indirecte des fautes commises par plusieurs personnes, par exemple le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre, les entreprises sous-traitantes, etc. La responsabilité pénale de ces différents acteurs, même indirecte, doit pouvoir être recherchée et, le cas échéant, engagée.
Enfin, cet amendement lève une deuxième ambiguïté du texte qui peut laisser penser qu'il se limite aux seules personnes qui ont créé la situation originelle dont est ensuite résulté le dommage, mais qu'il interdit de sanctionner ceux qui ont permis le maintien, voire l'amplification d'une situation à risques préexistante. Il fait ainsi référence non à la situation à l'origine du dommage, mais à la situation qui a permis la réalisation du dommage.
Permettez-moi de vous donner un dernier exemple : la tempête de l'année dernière a causé d'immenses dommages dans nos forêts, rendant pendant un certain temps celles-ci particulièrement dangereuses pour les promeneurs. Si des enseignants organisent néanmoins une sortie scolaire dans les bois dans de telles conditions et qu'un enfant est blessé par la chute d'un arbre, va-t-on considérer que la situation à l'origine indirecte de cet accident est la tempête et non la décision d'amener les enfants dans un lieu pourtant dangereux ? Bien sûr que non ! Il ne faut évidemment pas laisser penser que, dans un tel cas, la responsabilité indirecte des accompagnateurs ne pourrait pas être recherchée.
Cet amendement procède ainsi à une utile clarification du texte qui évitera des interprétations divergentes et contraires à l'objectif recherché par le législateur.
Je vous demande donc de l'adopter.
Quant à l'amendement n° 2, il tend à proposer une définition plus précise et moins ambiguë de la faute caractérisée susceptible, avec la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité, de constituer la faute pénale exigée par le nouveau texte en cas de causalité indirecte.
Il n'est en effet pas possible de conserver une rédaction qui laisserait croire, même à tort, que la responsabilité pénale en cas de causalité indirecte ne pourra être engagée que dans des hypothèses si exceptionnelles qu'il en résulterait dans de nombreux cas des impunités choquantes.
Il convient ainsi de définir le contenu de cette faute, en indiquant qu'il doit s'agir d'une faute caractérisée, en ce qu'elle expose autrui à un risque d'une particulière gravité que l'on ne pouvait ignorer.
Comme je l'ai déjà indiqué dans mon intervention liminaire, cette définition présente, en premier lieu, l'avantage de ne plus retenir l'expression : « faute d'une exceptionnelle gravité », qui est à l'évidence excessive. Ce que recherche le Parlement, c'est que la faute soit particulièrement grave - c'est ainsi que le texte me semble devoir être interprété -, et non que la responsabilité d'un auteur indirect devienne une exception par rapport à un principe.
Cette définition ne me paraît pas remettre en cause le fond du texte en ce qu'il exige deux éléments, comme le rappellent d'ailleurs très bien votre commission des lois et M. Fauchon, à la page 13 du rapport écrit. Il faut, d'une part - c'est évidemment essentiel - démontrer que l'auteur de la faute ne pouvait ignorer l'existence du danger ; il faut, d'autre part, démontrer que la faute commise était particulièrement grave.
Mais, si l'on s'interroge un moment, si l'on approfondit la réflexion, si l'on regarde les exemples de fautes inexcusables reconnus en droit du travail par la jurisprudence et dont le concept est à l'origine de cette partie du texte, que constate-t-on ? La gravité de la faute découle, en réalité, de la gravité du risque auquel cette faute exposait un tiers. Ce n'est pas la gravité du dommage qui doit être prise en compte, car il ne se produit qu'après la commission de la faute et que, par chance, il aurait même pu ne pas se produire ; ce qui compte, c'est la gravité du risque, qui, par définition, préexiste à la faute et qui pouvait donc être connu.
Plutôt, donc, que de parler d'une « faute d'une particulière gravité », il convient de faire référence à un « risque d'une particulière gravité ».
Cet amendement clarifie ainsi grandement une question complexe. Il évitera, sur un sujet sensible, des interrogations jurisprudentielles susceptibles de se prolonger un certain temps, ce qui serait évidemment regrettable.
Je vous demande donc de l'adopter.
Enfin, monsieur le président, le Gouvernement demande la réserve du vote sur les articles 1er, 1er bis, 1er ter, 3 bis, 3 ter, 6, 7 bis, 7 ter, 7 quater, 7 quinquies et 7 sexies, et il souhaite que le Sénat se prononce par un seul vote, conformément à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution, sur l'ensemble des articles réservés, dans le texte de la commission modifié par les amendements n°s 1, 2 et 3.
2061b M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, je demande, au nom de la commission, une brève suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va, bien entendu, accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.

Demande de retrait de l'ordre du jour
de la proposition de loi



M. Jacques Larché,
président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, en application de l'alinéa 5 de l'article 29 de notre règlement, je demande le retrait de l'ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi.
Madame le garde des sceaux, c'est à vous que je m'adresserai maintenant. Vous allez obtenir gain de cause : ce texte ne sera pas adopté ce soir et nous le dirons à tous ceux qu'il intéressait. Pourtant, ce texte était attendu par un certain nombre de ceux qui nous ont élus, en même temps que par l'ensemble de ceux qui étaient susceptibles d'être concernés.
Au cours de ce débat, vous avez fait preuve d'un entêtement inhabituel. Vous n'avez pas voulu entendre nos raisons ; vous n'avez pas voulu comprendre tous les éléments que nous avons apportés dans cette discussion. Or, vous savez très bien que, dans bon nombre de cas, lorsque des problèmes importants se posent, nous n'hésitons pas - je le fais moi-même - à prendre contact avec vous pour essayer de les résoudre. Mais vous êtes restée totalement fermée !
Ce résultat que vous avez obtenu sera une grande première dont vous n'aurez pas lieu d'être très fière. En effet, la demande de vote bloqué était tombée quelque peu en désuétude. Vous appartenez tout de même à une formation politique qui ne cesse de proclamer, à chaque occasion, qu'il y a lieu de revigorer les droits du Parlement.
La grande première, madame le garde des sceaux, ce n'est pas cette demande de vote bloqué, car nous en avons déjà connues, par le passé.
Mme Hélène Luc. Oh oui, souvent même !
M. Jacques Larché, président de la commission. La grande première dans la pratique parlementaire - et je ne suis pas sûr que vous l'approuviez, vous, madame Luc, défenseur des droits du Parlement - c'est que jamais un vote bloqué n'a été demandé sur une proposition de loi, au surplus inscrite à l'ordre du jour réservé au Sénat. Je ne connais aucun précédent !
Mais ce précédent, vous le créez, et je dois vous dire que cela n'est pas de très bon augure pour un certain nombre de débats que nous aurons peut-être encore sur bon nombre de textes à l'occasion desquels force nous sera de constater que, une fois de plus, vous faites fi des droits du Parlement.
Vous vous êtes rendu compte que nous n'allions pas vous suivre. Et c'est vrai, nous n'entendions pas vous suivre ; eh bien, devant cette défaite - peut-être n'êtes-vous pas capable de l'accepter - vous avez préféré « botter en touche » par un artifice qui, venant de vous - excusez-moi de vous le dire -, me déçoit profondément, car il ne vous grandit pas et, en tout cas, ne permet pas de dire à tous ceux qui vous soutiennent qu'une fois de plus, vous vous serez illustrée dans la défense des droits du Parlement.
Votre attitude est tout à l'opposé. Vous faites fi de nos prérogatives parlementaires. C'est très bien ! Nous vous en donnons acte et je demande donc un vote sur le retrait de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais répondre brièvement à M. le président Larché. D'abord, pour dire que je n'avais pas l'impression que l'entêtement - en tout cas sur une position qui ne pouvait pas évoluer - était de mon côté.
Je pense qu'à partir du moment où nous travaillons sur une question ô combien délicate - et nous le savons depuis le début - il faut, en effet, non pas camper sur des certitudes, mais essayer de rechercher avec beaucoup d'humilité la meilleure solution possible.
Je ne me suis pas entêtée sur des rédactions qu'à un moment donné j'ai trouvées bonnes - j'ai approuvé le texte de l'Assemblée nationale, alors que j'avais dit que la version de M. Fauchon devait être améliorée - parce qu'un examen plus approfondi m'a montré qu'il y avait matière à réflexion supplémentaire. Je ne crois pas que l'entêtement soit de mon côté. S'il existe quelque part, il est peut-être du vôtre !
Mme Hélène Luc. Il fallait accepter le renvoi en commission, monsieur Larché !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ensuite, permettez-moi de vous dire que je ne raisonne pas en termes de défaite ou de victoire. Ce que je recherche, c'est un consensus aussi large que possible sur un sujet complexe et sur des problèmes très graves.
Encore une fois, j'estime que, si nous parvenons à un texte qui recueille le plus large consensus possible, ce sera le fait de tout le monde, et tout le monde ici pourra s'en prévaloir, y compris, naturellement, M. le rapporteur qui a déposé cette proposition de loi et vous tous qui avez contribué à son élaboration.
Quant aux droits du Parlement, ils sont certes importants. Mais il s'agit, en l'occurrence, non de bloquer prématurément la discussion, mais de demander au Parlement de continuer la discussion. C'est vous qui voulez l'arrêter !
MM. Claude Estier et Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. Le droit du Parlement, en quoi consiste-t-il ?
M. Adrien Gouteyron. Et les droits du Parlement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agit de continuer la discussion et non de vouloir l'arrêter prématurément, alors que nous savons que nous touchons au but, que nous sommes sur le point d'aboutir à un texte de consensus.
Pour ma part, je n'ai pas le sentiment de brider les prérogatives du Parlement, j'ai au contraire l'impression d'avoir fait en sorte, par un travail commun, d'intégrer des réflexions que nous n'avons pas eues au départ, c'est vrai. Si nous les avons intégrées c'est précisément parce que nous avons travaillé avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle et politique, car nous poursuivons le même but. Jamais, dans ce débat, je n'ai rangé d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Jamais !
Tous, nous recherchons le même résultat, qui est, nous le savons depuis le début, d'éviter ces mises en cause pénales injustifiées. Mais, dans le même temps, nous disons tous aussi que nous ne voulons pas aboutir à une dépénalisation des fautes par négligence et des fautes indirectes.
Nous cherchons à atteindre le même objectif. Notre problème, c'est d'arriver à la meilleure rédaction possible, qui, encore une fois, sera l'oeuvre du Parlement dans son ensemble.
J'ai utilisé tout à l'heure toutes les ressources de la conviction avant de me résoudre, en effet, à utiliser l'article 44, alinéa 3. J'aurais préféré l'éviter, mais il n'y avait pas d'autre issue...
M. Jacques Larché, président de la commission. Il y en avait une, mais ce n'était pas celle que vous vouliez !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si nous voulions continuer la discussion au Parlement, pour arriver au meilleur texte possible, cela ne demandait que quelques semaines de plus.
M. Jacques Larché, président de la commission. Pas du tout !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ce délai aurait permis d'améliorer ce texte et, s'il avait été adopté, je crois que vous n'auriez eu qu'à vous en féliciter.
Si ces amendements avaient été adoptés, ce texte aurait pu poursuivre la navette et entrer en application dans de brefs délais. J'espère toutefois que nous aurons la possibilité, là encore, de faire les choses bien et rapidement. (Applaudissement sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix la proposition visant au retrait de l'ordre du jour de la proposition de loi.
J'indique au Sénat que les explications de vote sont limitées à un orateur par groupe et que chacun disposera de cinq minutes.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, même si je m'exprime au nom du groupe des Républicains et Indépendants, vous me permettrez de « globaliser », en quelques sorte, sans avoir sollicité l'autorisation de mes collègues, l'indignation de l'ensemble de la majorité sénatoriale devant l'issue qui se profile pour nos débats de cet après-midi.
Nous sommes en effet indignés, parce que, après des heures de discussion où des arguments ont été échangés, le voile est tombé une fois de plus, et nous voyons bien que le Gouvernement est venu dans cet hémicycle avec un fusil à deux coups.
La première cartouche, c'était ses trois amendements, qui, naturellement, personne n'est dupe, n'avaient d'autre ambition que de permettre la poursuite, voulue par le Gouvernement, de la discussion parlementaire.
Personne ne nous fera croire un seul instant que le recours à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution - seconde cartouche ! - a été décidé comme cela, voilà quelques minutes. Non, c'était une stratégie préparée à l'avance pour brider la majorité sénatoriale dans son expression, puisque c'est elle, grâce à Pierre Fauchon, qui est à l'origine de cette proposition de loi.
Nous sommes indignés de constater que, quand cela l'arrange, le Gouvernement nous dit qu'il faut raccourcir la discussion et, pour ce faire, qu'il applique sur tel et tel texte la procédure d'urgence et que, dans d'autres circonstances, avec la même assurance et, semble-t-il, la même conviction, il nous explique qu'il faut que la discussion se prolonge. La réalité, elle est claire, elle est simple : même quand le Parlement propose, le Gouvernement dispose, et il se joue du Parlement !
A cet égard, M. le président de la commission des lois a eu parfaitement raison de souligner que cette proposition de loi était inscrite à l'ordre du jour réservé au Parlement, en l'occurrence au Sénat. Cela montre bien que cette petite fenêtre qui s'est ouverte et qui était censée permettre la revalorisation, au moins pour partie, du travail parlementaire s'est aujourd'hui refermée. Nous n'avons donc plus aucune espèce d'illusion : le Parlement est singulièrement bafoué !
Chacun, naturellement, prendra ses responsabilités ; mais, s'agissant de la majorité sénatoriale, je puis vous dire que nous n'aurons aucun mal à expliquer à ceux que l'on appelle les « décideurs » qui, jour après jour, avec beaucoup de dévouement et d'abnégation, exercent leurs responsabilités en risquant une mise en cause, qu'ils ne pèsent pas grand-chose par rapport probablement à des contingences qui n'ont rien à voir avec la justice. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président de la commission des lois, il fallait chercher non pas la victoire d'un camp sur un autre, mais l'intérêt général. Or, vous avez, excusez-moi de le dire, joué tactique là où il fallait voir large et loin.
Les élus locaux, les responsables d'association, tous bénévoles, les agents de la fonction publique, tout autant que les organisations syndicales et les associations de victimes méritent mieux qu'une attitude partisane et, en tout cas, trop tributaire d'échéances électorales.
D'ailleurs, vous le savez - et c'est bien ce qui, d'une certaine façon, vous gêne -, ce sentiment est largement partagé en ce moment même sur les travées du Sénat.
Je m'adresserai maintenant à vous, madame le garde des sceaux, en réponse au débat général, vous avez bien voulu, à ma demande, fixer un calendrier resserré et précis pour l'adoption de cette proposition de loi. Vous avez pris un engagement au nom du Gouvernement et nous savons que vous vous y tiendrez.
M. Alain Vasselle. Pardi !
M. Gérard Delfau. Ainsi, nous aurons obtenu le meilleur texte possible, dans les meilleurs délais possibles. Le Parlement n'aura rien cédé de ses prérogatives et l'opinion publique sera rassurée sur le sens de nos délibérations.
M. Alain Vasselle. Vous êtes bien optimiste !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le ministre, ce soir nous assistons à une première : l'utilisation de l'article 44-3 de la Constitution à l'encontre d'une proposition de loi. Cette première, à mon avis, constitue une violation directe de la révision constitutionnelle de 1995.
En 1995, le Congrès a établi des « niches parlementaires », justement pour permettre au Parlement d'exprimer son point de vue.
M. Michel Charasse. Vive Séguin !
M. Patrice Gélard. Ce soir, on nous dit que la « niche parlementaire » ne compte pas. Ce soir, on nous dit que les droits du Parlement n'existent pas. Ce soir, on utilise une procédure complètement tombée en désuétude, quasiment jamais utilisée au Sénat, sauf dans le domaine budgétaire. Je crois que la démocratie n'y gagne pas.
Certes, le Gouvernement avait déposé des amendements, madame le ministre. Mais je suis convaincu que, dès le départ, vous étiez prête à tout faire pour que ce texte ne soit pas adopté le 1er juillet 2000.
M. Henri de Raincourt. C'est évident !
M. Patrice Gélard. Dès le départ, vous avez utilisé tous les moyens : en retardant l'inscription du texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, en ne l'inscrivant pas à l'ordre du jour du Sénat, en nous réunissant au ministère.
Dès le départ, vous aviez la volonté délibérée de retarder l'adoption de ce texte.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvions pas entrer dans ce jeu.
Ce texte, cela fait plus d'un an qu'on y tient. Cela fait plus d'un an que des multitudes de décideurs le réclament. Cela fait plus d'un an que toute une série de gens mis en examen abusivement l'attendent.
M. Michel Charasse. Qu'on le vote !
M. Patrice Gélard. Ce soir, vous avez voulu donner raison aux victimes. Mais nous ne les avons pas oubliées ; elles sont défendues par d'autres textes et nous les avons écoutées. Je crois que vous avez fait une erreur grave, à l'égard de tous ceux qui exercent des responsabilités dans notre société, à l'égard du Parlement et à l'égard aussi du Gouvernement, parce qu'il ne sort pas du tout grandi de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Puisque l'on parle de blocage, il faut être capable de prendre en compte la réalité dans son ensemble.
Cela a été dit tout à l'heure : il n'y a pas d'un côté ceux qui défendent les victimes et de l'autre ceux qui se préoccupent des élus.
En revanche, ce qui s'est manifesté ici, c'est le souci de certains, que Mme la ministre a défendu brillamment, d'aboutir à un texte qui soit le meilleur possible pour les uns et pour les autres.
Personne ne s'est opposé au texte de M. Fauchon. Il n'y a pas d'opposition frontale sur le fond.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Nicole Borvo. Il paraissait donc légitime que nous, parlementaires, essayions ensemble d'aboutir au meilleur texte possible.
Or, en l'occurrence, la majorité sénatoriale a fait en sorte d'arriver à une situation de blocage en refusant absolument des amendements du Gouvernement dont d'aucuns ont dit pourtant qu'ils pourraient les voter.
En refusant également de décider le renvoi en commission que nous vous proposions, ce qui était une façon de poursuivre la réflexion, vous avez pris la responsabilité de pousser à un blocage.
Mme Hélène Luc. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo. Bien évidemment, nous ne sommes pas favorables, au contraire, à la limitation des droits du Parlement et, en prenant ce texte en otage, en quelque sorte vous aboutissez à une telle situation. Mais c'est vous qui en prenez la responsabilité !
Nous, nous sommes pour la poursuite de la discussion. Les propositions qui ont été faites, par le biais tant des amendements du Gouvernement que de notre demande de renvoi en commission, étaient des solutions tout à fait acceptables par tout le monde et personne n'y aurait vu l'affrontement d'un camp contre l'autre : les élus contre les associations. Mais vous, vous bloquez la discussion. Je suis désolée, mais puisque vous en prenez la responsabilité, vous voterez tout seuls votre demande de retrait de l'ordre du jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ; ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je souhaite en cet instant revenir brièvement et sur le fond et sur les circonstances.
Sur le fond, il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque : ne présentons pas comme purement anodins, ce que l'on a tendance à faire, les trois amendements ou, du moins, l'un d'entre eux.
En effet, l'amendement qui porte sur la définition du fait constitutif du délit modifie substantiellement la définition de ce fait telle que donnée par l'Assemblée nationale. Il faut tout de même le dire. Je n'entre pas dans le détail ; nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir un jour.
J'en viens aux circonstances.
J'avoue que j'ai énormément de mal à comprendre la ligne de conduite du Gouvernement car, dans une phase récente, comme l'a dit tout à l'heure un intervenant, il a manifesté sa mauvaise volonté de manière évidente. Et pourtant, autant que je me souvienne, au congrès des maires, M. Jospin a bien voulu déclarer solennellement qu'il approuvait en gros l'esprit du texte et qu'il s'engageait à ce qu'on aille de l'avant, à ce qu'il soit voté rapidement.
M. Alain Vasselle. En effet, M. le Premier ministre s'y était engagé !
M. Pierre Fauchon. Au mois de janvier dernier, lors d'une conférence des présidents à laquelle je me trouvais par hasard, parce que je suppléais le président de la commission des lois, M. Vaillant m'a dit : « Vous avez voté ce texte, il est bien ; nous allons l'inscrire très rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et il reviendra chez vous au mois de mai. » Les dates avaient été prévues longtemps à l'avance.
Aussitôt après le vote de l'Assemblée nationale, et alors que l'on savait parfaitement comment ce vote s'était déroulé, quelles avaient été les positions des uns et des autres - on a invoqué trois semaines après les déclarations de M. Debré en les exagérant considérablement, - aussitôt après, dis-je, le texte a été inscrit à l'ordre du jour du 30 mai, c'est-à-dire à une date très proche. En tant que rapporteur, j'ai dû modifier mon emploi du temps. Nous avons tous été bousculés ; mais j'ai quand même réussi à organiser une réunion avec les associations, lesquelles n'ont pas cru devoir venir d'ailleurs.
A ce moment-là, on voulait aboutir et, en gros, on était d'accord sur le texte. Par délicatesse, je ne lirai pas vos déclarations, madame la garde des sceaux, approuvant la rédaction que M. Dosière a fait adopter à l'Assemblée nationale. En effet, autant sur ma rédaction, vous aviez quelques réserves, autant, sur le texte issu de l'Assemblée nationale, vous ne sembliez pas en avoir. Le Gouvernement a bien approuvé cette rédaction, le groupe communiste l'a votée, comme bien entendu le groupe socialiste.
Maintenant, c'est tout différent. Que s'est-il donc passé ? Quelle est la cause de ce revirement ? Il est permis de se le demander. Nous attendons encore les réponses. Il est évident que l'explication tirée de la déclaration de M. Debré a fait long feu. Maintenant, on ne peut plus la ressortir. Ce soir, en tout cas, elle ne vaut plus rien. Il faut trouver autre chose.
J'ai cru entendre dire tout à l'heure que l'on pensait en conscience, avec une belle conscience démocratique !, qu'il était important de poursuivre le travail, de manière à aboutir à un consensus entre les deux assemblées. Mais nous y étions parvenus à ce consensus, puisque, précisément, en renonçant aux particularismes de notre rédaction et à un certain nombre de dispositions auxquelles nous tenions, nous adoptions la position de l'Assemblée nationale ! En fait, ce que le Gouvernement ne veut pas, c'est que les deux assemblées soient d'accord. Il ne le supporte pas ! C'est là que l'on trouve l'entêtement auquel faisait allusion le président de la commission tout à l'heure.
Dans cette circonstance, s'agissant d'une proposition de loi, d'une inscription dans la maigre fenêtre qui est laissée au Parlement - elle n'est pas large, la fenêtre : une séance par mois ! - et alors que nous proposions d'entériner le vote de l'Assemblée nationale, que nous adoptions un comportement exemplaire, le Gouvernement a, lui, fait preuve d'un profond mépris à l'égard du pouvoir législatif. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais essayer d'être convaincant.
Des choses désagréables ont été dites. On a coutume de dire qu'on a vingt-quatre heures pour maudire ses juges !... J'admets que certains d'entre vous n'aient pas été très contents. Mais je voudrais qu'ils comprennent, parce que c'est la vérité, qu'avant cette demande de retrait du texte la partie en était à « 15 A » comme on dit au tennis, que le berger avait répondu à la bergère. Ce qui compte maintenant, ce n'est pas de faire de la surenchère, c'est de servir l'intérêt général et en particulier celui dont, en tant que sénateurs, vous vous estimez particulièrement chargés.
On pourrait ironiser, mais ce n'est pas le moment sinon pour essayer de dérider des fronts soucieux, en disant que l'on a entendu quelques interventions qui nous font prévoir pas mal d'amendements sur le projet de loi relatif au quinquennat, sur le vote bloqué, sur les droits du Parlement, etc.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On peut dire aussi que la majorité avait profité de la niche, et l'on pourrait faire des jeux de mots sur ce terme. Mais, j'arrête de badiner !
En fait, mes chers collègues, on vient seulement de parler des amendements. Personne ne les avait critiqués jusqu'à ce que M. Fauchon, à l'instant, ne prétende que le deuxième changerait un peu les choses.
Franchement, le Gouvernement n'avait aucunement prémédité d'avoir recours au vote bloqué. Je donne acte néanmoins à M. Haenel que ce n'est pas lui qui en a donné l'idée au Gouvernement en demandant que l'on applique cette procédure à l'Assemblée nationale, le Gouvernement préférant y avoir recours au Sénat.
En revanche, il avait suggéré - je lui en sais gré - que la majorité du Sénat accepte les amendements et que le texte soit ensuite très rapidement soumis à l'Assemblée nationale avant le 30 juin, avec la procédure du vote bloqué pour que tout aille très vite.
En fait, sur ces amendements, il y en a un, le troisième qui est important ; il porte sur les accidents du travail et personne n'a dit un mot contre.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est complètement inutile, vous le savez !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... Quant aux deux autres, le moins qu'on puisse dire, est qu'ils ne changent pas profondément les choses.
Quoi qu'il en soit, il s'agit maintenant que ce texte soit voté ; c'est ce que vous voulez. Peu importe les amours-propres d'auteur, les torts des uns ou des autres. Vous voulez qu'il y ait un peu plus de justice pour les décideurs publics.
Si vous renoncez à votre demande, monsieur le président de la commission, et que vous votiez le texte assorti des amendements, nous insisterons nous-mêmes auprès du Gouvernement pour qu'il soit ensuite examiné très rapidement par l'Assemblée nationale.
En revanche, si par dépit vous voulez maintenir votre demande, qui n'est pas tout à fait régulière - je reconnais que vous pouvez la régulariser aisément - puisque normalement elle doit émaner de la commission et que vous n'avez pas réunie cette dernière, ou de trente sénateurs, ce qui me paraît exclu à cette heure tardive de la journée - je n'en tire pas argument, je sais très bien que vous pourriez réunir la commission - vous aboutirez au contraire de ce que vous prétendez rechercher. Je vous demande vraiment, du fond du coeur, aux uns et aux autres, de considérer que s'il y a eu réponse du berger à la bergère, peu importe. Ce qui compte maintenant, c'est que cette réforme soit votée le plus vite possible.
Si vous persistez à vouloir retirer de l'ordre du jour cette proposition de loi, nul ne sait quand ce vote interviendra.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est votre faute !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez rien de sérieux contre les amendements, acceptez-les donc ! Nous, nous accepterons votre texte, qui pourra être voté très rapidement à l'Assemblée nationale et l'hommage en sera rendu à l'auteur principal, M. Fauchon, hommage que M. le Premier ministre lui a déjà rendu sur le front des troupes, c'est-à-dire devant le congrès de l'AMF.
Franchement, j'aurais tendance à demander une suspension de séance, peut-être la réunion de la commission des lois - je le répète, la demande telle qu'elle a été faite à l'instant n'est pas recevable - pour que vous réfléchissiez, mes chers collègues, non pas cinq ou dix minutes pour déterminer comment répondre à la manoeuvre qui répondait à la manoeuvre mais pour vous demander si le but que nous poursuivons les uns et les autres n'est pas que le texte soit voté avec les trois amendements plutôt que pas du tout. Vous, nous tous qui voulons cette loi, aurons ainsi satisfaction. (Applaudissements sur les travées socialistes ; ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE).
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Charasse, uniquement pour un rappel au règlement.
M. Michel Charasse. Je voudrais comprendre un peu où l'on en est, sans aborder le fond, monsieur le président.
Si le président Larché a satisfaction, le texte va être retiré de l'ordre du jour complémentaire...
M. Jacques Larché, président de la commission. Non, pas complémentaire.
M. Michel Charasse. ... de l'ordre du jour laissé à la discrétion du Sénat, de l'ordre du jour réservé, enfin, de l'ordre du jour Séguin pour être clair... (Sourires.)
Donc le texte va être retiré. Le Gouvernement pourra ensuite à tout moment décider de l'inscrire à l'ordre du jour prioritaire.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Michel Charasse. Mais le Gouvernement va revenir avec le même texte et les mêmes amendements ; ...
Plusieurs sénateurs du RPR. Et alors ?
M. Michel Charasse. ... il pourra nous imposer la même procédure de vote s'il tient absolument à faire passer ses amendements. On risque de se retrouver exactement dans la même situation.
J'aimerais que vous me confirmiez, monsieur le président, que l'analyse que je fais du règlement est bien la bonne.
M. le président. Jusqu'à cet instant oui, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. Bien. Cela veut donc dire que, si le Gouvernement réinscrit ce texte demain ou la semaine prochaine à l'ordre du jour prioritaire, on va se retrouver dans la même situation ; et l'on aura simplement perdu huit jours !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais faire simplement quelques remarques pour essayer de ramener un peu de sérénité dans le débat, en cette fin d'après-midi.
Parmi ceux qui, à un moment donné ou à un autre, ont retardé le projet, il y a certes le Gouvernement, qui a retardé son inscription au Sénat pour prendre le temps de trouver un consensus - cela valait tout de même la peine - mais il y a aussi trois groupes de l'opposition à l'Assemblée nationale, les confédérations syndicales et certains groupes de l'opposition sénatoriale : je pense que cela méritait d'être dit. (Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Par ailleurs, puisque M. Fauchon a évoqué la position de M. Debré, il me paraît de mon devoir de rétablir les choses.
M. Jacques Larché, président de la commission. Cela n'a rien à voir.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Voici exactement ce qu'a dit M. Jean-Louis Debré à l'Assemblée nationale : « Etant donné que nous sommes en première lecture, et compte tenu des interrogations qui apparaissent sur les conséquences que pourrait avoir cette loi, le groupe RPR a décidé de s'abstenir. Nous demandons au Gouvernement de rassurer publiquement les représentants des associations et les victimes qui ont fait part de leur légitime inquiétude.
« Notre opposition répond au triple souci d'humanité, de précaution et de clarté.
« Sur un sujet aussi douloureux et délicat, nous ne pouvons légiférer que dans la sérénité et le consensus. »
J'approuve absolument ces propos et il n'est pas si fréquent que je sois en plein accord avec M. Jean-Louis Debré...
Il faut dire qu'à l'époque cette position, venant de M. Debré et de son groupe, m'a surprise puisque, jusque-là, ils avaient agi dans le sens d'une dépénalisation encore plus grande que celle que proposait M. Fauchon. Mais enfin, à la relecture, on ne peut vraiment pas relever dans ces propos une quelconque différence avec la position que j'ai défendue tout au long de cet après-midi devant vous.
S'agissant maintenant de l'utilisation du vote bloqué, permettez-moi de vous livrer quelques éléments d'information.
J'ai des statistiques qui remontent jusqu'en 1993-1994.
En 1993, cette procédure a été utilisée treize fois au Sénat et douze fois à l'Assemblée nationale.
M. Henri de Raincourt. Il y a une différence entre un projet de loi et une proposition de loi !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En 1994, elle a été utilisée huit fois à l'Assemblée nationale et quatre fois au Sénat.
M. Jacques Larché, président de la commission. Me permettez-vous de vous interrompre, madame le garde des sceaux ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de Mme le garde des sceaux.
M. Jacques Larché, président de la commission. Madame le garde des sceaux, je voudrais revenir sur la remarque que je n'avais pas totalement développée et qui a été parfaitement présentée par notre collègue M. Gélard. Nous pouvons en effet nous demander si, en agissant comme vous venez de le faire, vous ne vous êtes pas livrée à une pratique inconstitutionnelle.
M. Henri de Raincourt. C'est une forfaiture !
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous sommes en effet dans le cadre d'une prérogative parlementaire. Dans la journée réservée au Parlement, le Gouvernement perd son pouvoir essentiel de déterminer l'ordre du jour.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il a le droit de déposer des amendements !
M. Jacques Larché, président de la commission. En recourant tout d'un coup à la procédure du vote bloqué, alors que c'est la décision du Sénat - ou de l'Assemblée nationale - d'insérer ce texte à l'ordre du jour, vous créez, me semble-t-il, un problème fondamental.
En tout cas, les statistiques que vous citez ne présentent pas le moindre intérêt puisqu'elles ne concernent pas la situation nouvelle dans laquelle nous sommes. Nous avons obtenu - grâce, en effet, à la réforme dont le président Séguin avait pris l'initiative - qu'une journée soit réservée à l'initiative parlementaire, journée qui doit se dérouler sans que le Gouvernement puisse user d'une prérogative qui, normalement, lui appartient.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et le droit d'amendement, il nous appartenait !
M. Jacques Larché, président de la commission. Oui, mais il était appliqué à des textes d'origine gouvernementale.
M. Jean Delaneau. Là, on nous impose des amendements !
M. Alain Vasselle. Il faut qu'on en sorte !
M. le président. Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président Larché, la révision constitutionnelle de 1995 n'a pas rendu caduc le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution. Cela se saurait ! Permettez-moi d'en rappeler les termes : « Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. » Le « texte en discussion », ce peut être aussi bien un projet qu'une proposition de loi.
Quant à l'article 45, il indique que « tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique » et précise les conditions dans lesquelles le Gouvernement peut interrompre la navette.
Par ailleurs, monsieur Larché, une prérogative parlementaire a, en principe, pour objet de permettre la discussion parlementaire.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Or, en l'occurrence, le vote bloqué tend à éviter que le Parlement ne fasse cesser la discussion.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais nous voulons voter conforme !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si vous voulez que la navette se poursuive aussi vite que possible, méditez la remarque de M. Charasse. En effet, si vous retirez ce texte de l'ordre du jour, il va se produire exactement ce que Michel Charasse a décrit : je reviendrai devant vous, certes, ...
M. Jacques Larché, président de la commission. Et vous redemanderez le vote bloqué !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... parce que nous souhaitons que ce texte soit voté dans les délais : je ne retire rien, en effet, aux engagements que j'ai pris devant vous. Je reviendrai donc devant vous, mais pas aussi vite que si vous ne retirez pas ce texte de l'ordre du jour ce soir et que vous votez les amendements que je vous propose.
M. Henri de Raincourt. Mais on n'en veut pas de vos amendements !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous auriez ainsi l'assurance de voir très vite, peut-être avant la fin de cette session, l'Assemblée nationale de nouveau saisie de ce texte, de manière que, comme vous le souhaitez, il soit adopté rapidement.
En retirant ce texte de l'ordre du jour, c'est donc vous qui prenez la responsabilité de faire perdre du temps...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... dans une procédure parlementaire que, je le répète, nous souhaitons aussi prompte que possible, sans sacrifier, bien entendu, la nécessité d'aboutir à un bon texte.
Je ne reviens pas sur les procès d'intention qui m'ont été faits. Par certaines expressions, on était proche du procès en sorcellerie !
M. Alain Vasselle. Oh !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai épuisé, cet après-midi, toutes les ressources de la conviction, mais je ne suis pas parvenue à vous convaincre.
M. Henri de Raincourt. Ça non !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai pour seul souci de poursuivre le travail en commun entre les deux assemblées et le Gouvernement, dans un esprit de bonne coopération. N'avons-nous pas déjà su l'établir entre nous ? Vous êtes des juristes très avertis, et je tiens vraiment le plus grand compte de vos avis. Je souhaite simplement que puisse continuer la discussion d'une proposition de loi, et cela ne me paraît pas incongru. Je garde au contraire espoir que nous pourrons aboutir dans des délais brefs à un texte qui recueille le plus large consensus. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. le président. Un orateur de chaque groupe s'étant exprimé, je mets aux voix la proposition de M. le président de la commission des lois tendant au retrait de l'ordre du jour de la présente proposition de loi.

(La proposition est adoptée).
M. le président. En conséquence, la proposition de loi est retirée de l'ordre du jour.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils l'enterrent !

9

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Propositions de règlement du Conseil modifiant les règlements (CE) n°s 974/98, 1103/97 et 2866/98 relatives à l'introduction de l'euro.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1472 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 2001, section III, Commission, partie A, crédits de fonctionnement.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 5) et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 2001, section III, Commission, crédits opérationnels, sous-section B 2.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 6) et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 2001, section III, Commission, état général des recettes.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1464 (annexe 7) et distribué.

10

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 20 juin 2000 :
A neuf heures trente :
1. Suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'outre-mer (n° 342, 1999-2000).
Rapport (n° 393, 1999-2000) de M. José Balarello, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 403, 1999-2000) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Avis (n° 401, 1999-2000) de M. Jean Huchon, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 394, 1999-2000) de M. Victor Reux, fait au nom de la commission des affaires culturelles.
Rapport d'information (n° 361, 1999-2000) de Mme Dinah Derycke, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
A seize heures et, éventuellement, le soir :
2. Discussion en nouvelle lecture du projet de loi organique (n° 363, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'Assemblée de la Polynésie française et de l'Assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna.
Rapport (n° 413, 1999-2000) de M. Guy Cabanel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 19 juin 2000, à dix-sept heures.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du projet de loi organique.
3. Discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 364, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'élection des sénateurs.
Rapport (n° 389, 1999-2000) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 19 juin 2000, à dix-sept heures.

Délais limites pour le dépôt des amendements

Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (n° 352, 1999-2000).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 20 juin 2000, à dix-sept heures.
Nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la chasse (n° 414, 1999-2000).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 21 juin 2000, à dix-sept heures.
Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi de finances rectificative pour 2000.
Délai limite pour le dépôt des amendements : samedi 24 juin 2000, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures vingt.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Construction de logements locatifs sociaux

789 rectifiée. - 19 avril 2000. - M. Gérard Larcher attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur l'application de l'article L. 301-3-1 du code de la construction et de l'habitation qui limite le concours financier de l'Etat pour la construction de logements locatifs sociaux dans certaines conditions. A titre d'exemple, la ville de Guyancourt, commune de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, est passée de 50,8 % de logements locatifs en 1995 à 53 % en 1999. Sachant que cette urbanisation sociale massive, qui entraîne un déséquilibre, est remise en question par de nombreux élus et responsables d'associations, il lui demande quelles dispositions il compte prendre vis-à-vis des communes qui construisent des logements sociaux bien au-delà du plancher imposé par la loi, et ce, dans le but de préserver la mixité sociale et d'améliorer le fonctionnement social.

Réalisation du grand contournement ouest de Strasbourg

856. - 13 juin 2000. - M. Francis Grignon attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur la déclaration d'utilité publique concernant le grand contournement ouest de Strasbourg. Avec la politique voulue par la ville de Strasbourg, le contournement actuel sert à la fois de desserte pour l'agglomération de Strasbourg et de voie de transit pour le trafic local national et international. A la suite de la concertation préalable, un consensus régional s'est engagé sur le principe d'un grand contournement de Strasbourg avec un accord sur le fuseau. Cette infrastructure est désormais indispensable pour toute la région. Le préfet ayant envoyé ses conclusions en début d'année, il constate avec regret que, depuis près de six mois, aucune mesure concrète ne semble être mise en oeuvre. Il lui demande donc ce que le Gouvernement entend faire pour que le grand contournement ouest de Strasbourg puisse être réalisé le plus rapidement possible.



ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 15 juin 2000


SCRUTIN (n° 80)



sur la motion n° 4, présentée par M. Robert Bret et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

Nombre de votants : 312
Nombre de suffrages exprimés : 312
Pour : 93
Contre : 219

Le Sénat n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Pour : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Contre : 23.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Contre : 98.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Pour : 76.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Guy Allouche, qui présidait la séance.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Contre : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Contre : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

N'ont pas pris part au vote : 7.

Ont voté pour


Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
Yolande Boyer
Robert Bret
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Roland Muzeau
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent


René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

Ont voté contre


François Abadie
Nicolas About
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand
de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy


Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

N'ont pas pris part au vote


MM. Philippe Adnot, Philippe Darniche, Jacques Donnay, Hubert Durand-Chastel, Alfred Foy, Bernard Seillier et Alex Türk.

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Guy Allouche, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 313
Nombre de suffrages exprimés : 131
Majorité absolue des suffrages exprimés : 157
Pour l'adoption : 94
Contre : 219

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.