Séance du 20 juin 2000






ÉLECTION DES SÉNATEURS

Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 364, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'élection des sénateurs. [Rapport n° 389 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes aujourd'hui saisis en nouvelle lecture du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs.
Cette réforme, commencée en juin 1999, doit désormais s'achever rapidement. Il est toujours souhaitable, en effet, que les règles du jeu d'une élection - quelle que soit cette élection - soient fixées suffisament à l'avance. Or les prochaines élections sénatoriales auront lieu en septembre 2001, je vous le rappelle même si vous n'êtes pas tous concernés dans l'immédiat.
Aucun accord n'a pu être trouvé entre le Sénat et l'Assemblée nationale lors de la commission mixte paritaire. Je le regrette. Il s'agit, en effet, d'une réforme dont l'objectif est d'améliorer la représentativité de votre assemblée en rendant son mode d'élection plus juste et plus conforme au principe de l'égalité du suffrage posé par l'article 3 de notre Constitution.
Chacun est convenu qu'il ne s'agissait nullement de remettre en cause le bicamérisme, mais, au contraire, de le conforter en lui donnant un fondement démocratique incontestable. Au demeurant, le président Poncelet avait pris acte de la déclaration que j'avais faite à cet égard au nom du Gouvernement, en exprimant sa satisfaction. (Murmures sur les travées du RPR.)
J'ajoute qu'il s'agit d'une réforme modérée. Elle ne concerne à l'évidence aucunement les pouvoirs du Sénat, ni la durée du mandat des sénateurs, ni même le mécanisme, fort complexe, du suffrage indirect assorti d'une représentation des Français de l'étranger, dont les modalités devront - elles aussi - être démocratisées.
C'est ainsi que les conseillers municipaux ou leurs délégués continueront à constituer la quasi-totalité - 99 % - des « grands électeurs »...
M. Dominique Braye. Non ! Pas pour tous les élus !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. ... des sénateurs, et que le département demeurera la circonscription exclusive.
Vous paraissez vous-même surpris, monsieur Braye, de ce que je vous apprends, ce qui montre à quel point ce projet de loi est d'essence modérée.
M. Guy Allouche. Il est même trop modéré !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Mais, apparemment, le Sénat ne se reconnaît pas dans cette modération, même si certains, à l'instar de M. Allouche, considèrent que ce projet de loi est trop modéré.
M. Dominique Braye. Cela prouve que c'est faux !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Vous savez très bien, en outre, qu'on aurait pu faire en sorte que le collège électoral des sénateurs soit composé tout à fait autrement qu'il le demeure, au nom même du principe constitutionnel selon lequel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Mais le Gouvernement ne l'a pas voulu.
La spécificité à laquelle le Sénat est très légitimement attaché n'est donc nullement remise en cause. J'ai notamment montré, lors de mes précédentes interventions, que le système proposé par le Gouvernement continuera à favoriser, conformément aux souhaits du Sénat, la représentation des petites communes.
M. Dominique Braye. C'est faux, tout cela !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Que prévoit donc de si « révolutionnaire » le projet de loi qui vous est soumis ?
De fixer à trois sénateurs par département, au lieu de cinq aujourd'hui, le seuil à partir duquel s'applique le scrutin proportionnel ; de substituer à un système de calcul de l'effectif des délégués municipaux complexe et générateur de profondes inégalités de représentation un dispositif simple, clair, équitable, conciliant le nécessaire respect du principe constitutionnel de l'égalité du suffrage et la spécificité - elle aussi constitutionnelle - du Sénat : un délégué pour 500 habitants ou fraction de ce nombre selon le texte initial du Gouvernement, un pour 300 habitants selon les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale. On peut discuter de l'opportunité de ces seuils, mesdames, messieurs les sénateurs, mais le dispositif, dans son principe, n'est pas contestable.
Comme vous le voyez, il n'y a pas là de grands bouleversements ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye. Vous dites cela sans rire, monsieur le ministre ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai accepté de défendre ce texte en ayant le sentiment qu'il améliorait une situation qui, effectivement, est préjudiciable au Sénat du point de vue de sa représentativité et, j'ose le dire, de l'affirmation nécessaire de sa légitimité.
Je constate que votre commission des lois vous propose de reprendre, pour l'essentiel, les dispositions que vous avez adoptées lors des lectures précédentes.
La composition du collège électoral sénatorial ne serait pas modifiée par rapport à la situation actuelle dans les communes de moins de 9 000 habitants. Au-delà de ce seuil, les communes éliraient un délégué supplémentaire par tranche de 700.
Les sénateurs seraient élus à la proportionnelle à partir de quatre sièges par département.
Comme lors des lectures précédentes et pour les mêmes raisons, le Gouvernement ne pourra que s'opposer à ces amendements. Mais, finalement, je constate que nos points de divergence ne sont pas gigantesques. (M. Braye proteste.)
Nous devrions donc pouvoir maintenant nous acheminer vers l'adoption définitive de ce projet de loi.
Voilà le point où nous en sommes, mesdames, messieurs les sénateurs, et voilà ce que je voulais vous dire sur le sens et sur la portée du texte qui vous est soumis. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Avant d'aborder le texte dont vient de nous parler avec talent M. le ministre de l'intérieur, je voudrais préalablement « purger », si vous me le permettez, un procès d'intention fait au Sénat ici et là... et malheureusement, monsieur le ministre, jusque dans certaines déclarations gouvernementales ; je ne suis d'ailleurs pas absolument sûr que vous soyez totalement innocent d'avoir participé à ce procès d'intention injustifié.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Paul Girod, rapporteur. Je veux parler de l'adaptation du nombre de sénateurs à la population des départements.
J'ai entendu ici et là que le Sénat refusait toute évolution et considérait qu'il valait mieux ne rien toucher. C'est faux !
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. Ce que nous avons refusé, c'est l'augmentation du nombre de sénateurs, et nous attendons toujours que le Gouvernement dépose un projet de loi visant à modifier, à effectif constant, la répartition des sénateurs entre les départements : que l'on ne dise pas que le Sénat refuse de toucher en quoi que ce soit à son mode de recrutement et à sa composition territoriale !
C'est un point qu'il me fallait relever au début d'un débat qui va concerner la manière dont les sénateurs sont élus.
Ni les pouvoirs du Sénat, avez-vous dit, monsieur le ministre, ni sa place dans la République ne sont en cause. Heureusement, par parenthèse, car ce serait de nature constitutionnelle et, par conséquent, cela aurait supposé une procédure quelque peu différente de celle d'une simple loi ordinaire par laquelle l'Assemblée nationale s'arroge le droit de définir la manière dont l'autre assemblée est composée. C'est un droit constitutionnellement reconnu, certes,...
M. Guy Allouche. Alors ?...
M. Paul Girod, rapporteur. ... mais découle-t-il d'un saint respect de l'une des deux assemblées pour l'autre ? Peut-être pas, même si, tout au long des échanges que nous avons eus - et, petit à petit, certains organes de presse ont fini par en prendre conscience et à le relater -, hommage a toujours été rendu à la qualité des travaux sénatoriaux.
Il y a deux faits qui ne trompent pas, c'est, d'abord, que nombre de textes sont adoptés en termes identiques et, ensuite, que, même lorsque les commissions mixtes paritaires n'aboutissent pas, nombre d'amendements introduits au Sénat et techniquement justifiés - c'est là le fruit de la qualité du travail de nos collègues et de leurs collaborateurs - s'imposent logiquement à l'Assemblée nationale. Cela m'avait d'ailleurs amené à poser une question relativement simple : un amendement est-il progressiste quand il est accepté par l'Assemblée nationale et rétrograde s'il est introduit par le Sénat ?
M. Guy Allouche. La réponse est oui !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est là, me semble-t-il, un point sur lequel on peut commencer à camper une partie de la discussion qui s'ouvre.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que la commission mixte paritaire avait échoué. C'est vrai. Elle a échoué sur quatre points.
Un point était à la fois important et relativement mineur ; c'était une initiative de l'Assemblée nationale qui concernait le financement des campagnes électorales des sénateurs et qui, bizarrement, limitait le montant par candidat ou par liste à 100 000 francs, de manière totalement indifférenciée selon la nature du département ou la masse de ses grands électeurs.
Je pourrais d'ailleurs ironiser en disant que c'était là une façon de reconnaître la primauté du territoire sur la composition démographique. En effet, que l'on soit candidat tout seul dans un département de 80 000 habitants ou candidat sur liste dans un département de 2 millions d'habitants, c'était le même prix ! C'était une façon de concevoir l'égalité territoriale à l'américaine.
Mais passons sur les exagérations que comportait cet article et que l'Assemblée nationale semble avoir reconnues en nouvelle lecture, puisqu'elle a substitué à cette disposition une autre, dans l'article 1er A concernant les campagnes électorales sénatoriales, que la commission des lois est d'avis d'accepter, à savoir l'interdiction pour un sénateur - avec, cette fois-ci, une sanction, contrairement à ce qui était prévu dans le texte initial - de recevoir des dons d'une personne morale.
A ce propos, je me réserve, monsieur le ministre, de vous interroger, le moment venu, pour savoir s'il est bien convenu que les partis politiques peuvent contribuer à la campagne électorale d'un sénateur dans les mêmes conditions qu'aux autres campagnes électorales. Il s'agit de vous demander, monsieur le ministre, une simple mise au point. Sur le deuxième point, l'accord aurait, en réalité, pu se faire, comme sur le premier, s'il n'avait pas été « noyé » dans l'article 1er.
Il s'agit, dans cet article, du troisième alinéa du texte proposé pour l'article L. 284, dû à l'initiative de l'Assemblée nationale et qui comble un vide juridique que, entre nous, personne n'avait vraiment remarqué, à savoir le fait que, quand un conseil municipal comporte plus de membres qu'il n'y a de délégués de la commune, la logique veut que les membres soient élus au sein du conseil municipal.
Sur ce point, l'Assemblée nationale a fait un apport que nous ne pouvons qu'accepter. Cela ne fait que régulariser une coutume. Mais mettre la coutume dans le droit n'est pas plus mauvais, et il y a d'ailleurs d'autres parties de la République où la coutume a beaucoup d'importance aussi.
Les points sur lesquels nous divergeons complètement avec l'Assemblée nationale - cela explique l'échec de la commission mixte paritaire - ce sont des points de principe. C'est beaucoup plus grave, même si, curieusement, les incidences chiffrées de la proposition du Sénat et de celle de l'Assemblée nationale ne sont pas fantastiquement différentes.
Que représente le Sénat ? Qu'on me permette de rappeler l'article 24 de la Constitution : « Le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat. »
J'attire l'attention sur la distinction entre « les collectivités territoriales de la République » et « les Français établis hors de France sont représentés au Sénat. » Quand on dit : « Les Français établis hors de France » il s'agit, évidemment, de la représentation d'une population. Quant à la représentation des collectivités territoriales de la République, la simple formulation de l'article 24 de la Constitution prouve bien que, pour elles, on se détache de la notion de population.
La thèse du Sénat, c'est que le conseil municipal est la base de la représentation, avec ses responsabilités, son expérience, le rôle d'organisation du territoire qu'il assume de facto au nom de la population dont il gère la vie de tous les jours dans la proximité, et on en module l'importance en fonction de l'importance démographique de la commune.
La thèse de l'Assemblée nationale, c'est, à l'inverse, que le conseil municipal est là pour représenter la population parce que c'est elle seule qui est dépositaire de la souveraineté.
La souveraineté appartient au peuple, certes, mais le territoire de la République est un et indivisible. Bref, nous n'allons pas repartir dans des contestations en nous fondant sur les articles de la Constitution, mais il y a tout de même un certain nombre de nuances qu'il faut savoir introduire. En tout cas, cette divergence de fond aurait évidemment, à elle seule, fait échouer la commission mixte paritaire.
Monsieur le ministre, il y a un instant, d'ailleurs, vous avez probablement commis un petit impair. Vous avez dit que 99 % des grands électeurs étaient des conseillers municipaux. Non !
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Paul Girod. Dans le texte de l'Assemblée nationale, un tiers de grands électeurs ne sont pas des élus. Ce sont des élus d'élus à l'extérieur des conseils municipaux, que l'on verra une fois au moment de l'élection,...
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Paul Girod. ... que l'on ne reverra pas neuf années plus tard, pour toutes sortes de raisons, et vis-à-vis desquels, par conséquent, les sénateurs se sentiront très modérément responsables, soyons-en conscients. Ce point méritait d'être souligné, même s'il est vrai qu'il n'est pas dirimant.
La deuxième divergence de fond avec l'Assemblée nationale vient - j'avais eu l'occasion de le dire à cette tribune au moment de la deuxième lecture du texte au Sénat - de cette espèce de culte forcené de la proportionnelle à la plus forte moyenne qui imprègne totalement le texte de l'Assemblée nationale et qui vaut pour l'élection des sénateurs, dès lors qu'ils sont trois.
Je sais que certains de nos collègues ont d'ailleurs des réticences d'ordre constitutionnel au regard de la pluralité des modes de scrutin au sein de la même assemblée.
M. Guy Allouche. C'est exact !
M. Paul Girod. Cela mériterait d'être fouillé car, à partir de l'instant où la proportionnelle pour un siège me semble difficilement acceptable ou praticable, on pourrait, mon cher collègue - puisque c'est vous qui serez le défenseur de cette thèse - retourner le raisonnement en disant que toute élection ne peut que se dérouler au scrutin uninominal pour aboutir ainsi à des conclusions quelque peu différentes de celles auxquelles vous rêvez.
Cela étant dit, il y a là une divergence de fond. Nous pensons, quant à nous - j'entends la majorité de la commission - que la représentation proportionnelle est, certes, acceptable pour, d'une certaine manière, permettre la représentation des conseillers minoritaires, mais que le bon travail d'une assemblée de réflexion, qui a besoin de garder un contact direct avec le terrain, impose qu'il y ait encore un nombre important de ses membres qui soient issus d'un scrutin dans lequel ils se présentent individuellement devant leurs grands électeurs.
Aussi la thèse du Sénat est-elle que, à partir de quatre sénateurs, il y ait la représentation proportionnelle et, en deçà de quatre, le scrutin majoritaire, ce qui a l'avantage d'équilibrer cette assemblée à peu près à parité - le mot est intéressant ! - entre ceux qui sont élus à la proportionnelle et ceux qui sont élus au scrutin majoritaire, avec ce codicille complémentaire, que, qui dit proportionnelle dit nolens volens priorité des partis politiques dans la présentation des candidats.
Or, pour autant que je sache lire, l'article 4 de la Constitution est clair : « Les partis et groupements politiques concourent » - concourent, j'insiste ! - « à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. » Il ne manquerait plus qu'ils ne le fassent pas !
Or, plus on insère de la proportionnelle dans un système électoral et plus, en réalité, ils « organisent », et on en revient à un débat pas tellement ancien sur un autre texte.
Il faut faire très attention à la manière dont on fait évoluer les moeurs. Je me rappelle une époque où, à la suite de quelques difficultés d'ordre civique nationales, le rôle des partis politiques avait été diminué dans la conscience de l'opinion. Faisons très attention à ne pas voir se renouveler ce genre de situation et à ne pas voir l'ensemble du système de notre pays entraîné dans le même discrédit que celui des partis politiques. Nous savons tous que, dans l'état actuel des choses, personne n'est à l'abri de la manière dont notre population considère les partis politiques.
A partir de là, évidemment, la commission mixte paritaire ne pouvait qu'échouer. C'est ce qu'elle a fait.
Au moment où je vais vous expliquer ce que vous savez tous, mes chers collègues, c'est-à-dire que la commission des lois va vous proposer de revenir au texte du Sénat, je veux tout de même relever, dans l'attitude de l'Assemblée nationale, deux contradictions qui sont à la limite de la caricature et qui, malheureusement, monsieur le ministre, au moins pour la première, infirment une thèse que vous avez reprise tout à l'heure à cette tribune et qui est celle de la défense des petites communes. La caricature, c'est le cas de la ville-département de Paris. Nous avions fait remarquer, au cours des précédentes délibérations, que 163 conseillers municipaux de Paris allaient être amenés, avec ce système, à élire 7077 grands électeurs à la proportionnelle pour qu'ils élisent à la proportionnelle exactement les mêmes personnes que celles que les conseillers de Paris auraient élues s'ils avaient été les seuls grands électeurs de la capitale.
L'Assemblée nationale a modifié son texte sur ce point. Elle est revenue à quelque chose de mathématiquement moins ridicule - j'emploie ce mot à dessein - que ce qu'elle avait voté avant, en prévoyant que le Conseil de Paris élit un nombre de délégués égal à dix fois son effectif - pourquoi dix fois, pourquoi pas cinq fois ou vingt fois ? - soit 1 630 grands électeurs - évidemment, je le répète, c'est moins ridicule que 7077 - pour prendre la même décision. Soit !
Mes chers collègues, lorsqu'on raisonne a contrario, cela veut dire que, quand une grande ville est seule dans son département, le problème n'est pas gênant. Mais cela veut dire aussi que, quand une grande ville est située, dans un département constitué aussi de petites communes, sa prédominance écrasante dans le collège électoral découlera de la loi.
Certes, monsieur le ministre, une commune de 400 habitants aura, demain, deux grands électeurs, alors que, pour l'instant, on compte un seul grand électeur jusqu'à 500 habitants. Mais la ville d'à côté, qui avait auparavant 450 grands électeurs, va se retrouver avec 1 200 délégués !
Croyez-vous vraiment que l'argument de la défense de la petite commune tienne dans ce contexte ? La réponse est à l'évidence non.
Par conséquent, la volonté de privilégier, en se fondant sur le principe exclusivement démographique, la représentation renforcée de la grande commune par rapport à l'expérience d'aménagement du territoire et de gestion de l'espace des communes moyennes et petites devient évidente et cette disposition, accessoire pour Paris, est une reconnaissance a contrario des arrière-pensées des promoteurs de la loi dans les autres départements.
Il y a une deuxième anomalie, à la limite de la caricature : la population, la population, la population !
M. Dominique Braye. Comme la modernité !
M. Paul Girod, rapporteur. A cet égard, l'article 72 de la Constitution, qui n'a pas été modifié depuis 1958, mérite d'être rappelé, et ce à l'expérience et à la lumière de l'Histoire : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. »
C'est là qu'il y a eu une évolution puisque les lois de 1982 ont créé de nouvelles collectivités territoriales, les régions, et ont changé la nature des départements, qui étaient jusque-là des collectivités territoriales mineures, dirigées par un préfet, assisté par un conseil général qui, certes, contrôlait ses actes, mais qui n'avait pas le rôle d'initiative. D'où la représentation limitée aux seuls conseillers généraux dans le collège électoral sénatorial : à collectivité territoriale mineure, représentation mineure.
Dès l'instant où on accepte le raisonnement selon lequel le Sénat doit être l'expression de la population, compte tenu de l'article 24 de la Constitution disposant que le Sénat est élu au suffrage indirect et assure la représentation des collectivités territoriales de la République, si l'on se fonde uniquement sur l'argument de la population,...
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Paul Girod. ... en vertu de quel principe limite-t-on le raisonnement aux seules communes qui, en 1958, étaient les seules collectivités territoriales de plein exercice, alors même que la population est représentée tout aussi bien et - contradiction complémentaire ! - encore mieux à la proportionnelle au sein des conseils généraux ?
J'irai même plus loin. Dès lors que l'on confie cette représentation de la population aux seuls conseillers municipaux, lesquels bénéficient au sein de leur collège d'une prime majoritaire monumentale, l'argument devient vide de sens ! Ce n'est plus la population que l'on représente.
Les positions de l'Assemblée nationale sont totalement contradictoires, raison supplémentaire pour laquelle je propose au Sénat d'en revenir à son texte, qui était un texte de sagesse - j'allais dire d'attente - car nous sentons bien qu'un jour ou l'autre il faudra remettre sur le métier le problème de cette représentation des collectivités territoriales et qui tendait à moderniser, sans révolutionner.
Je crains que le texte de l'Assemblée nationale n'aboutisse à désorganiser, pour ne pas dire à rendre confuse l'expression de cette sagesse qui, jusqu'à maintenant - j'entends encore les commentaires de certains de nos collègues de l'Assemblée nationale, à un moment où, paraît-il, une dérive menaçait la République - a empêché la République de dériver vers certaines aventures.
Cette sagesse du Sénat mérite d'être mieux intégrée dans les esprits, modelée grâce à la sagesse des gestionnaires des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, je vous propose de revenir au texte du Sénat. L'Assemblée nationale, en dernier ressort, n'en tiendra vraisemblablement qu'un compte limité. Je le déplore d'avance, parce qu'un jour ou l'autre nous serons amenés à rouvrir le débat, problablement à partir des bases que je vous proposerai tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Dominique Braye. De grâce ! Ayez pitié de nous ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis aujourd'hui pour l'ultime lecture du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs. La commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 17 mai dernier, pouvait-elle réussir ? Bien évidemment non !
M. Dominique Braye. Il le reconnaît !
M. Guy Allouche. Nos positions étaient tellement irréductibles et inconciliables que l'échec était prévisible et la commission mixte paritaire a été purement formelle. Elle a cependant au moins eu le mérite - M. le rapporteur a eu raison de le souligner voilà un instant - de mettre l'accent sur une disposition qui a été adoptée par l'Assemblée nationale à propos du financement de la campagne électorale sénatoriale, et qui, je le dis sans détours, n'avait pas de sens...
M. Dominique Braye. Comme le reste ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. ... au regard de la pratique en matière d'élections sénatoriales. Toutefois, une précision a été apportée à propos du financement de la campagne par les personnes morales. Certes, ce n'est pas la pratique que nous connaissons, à savoir le financement par les personnes morales de nos campagnes électorales, mais comme ce n'était pas prévu, ce n'était pas interdit. Il valait donc mieux le prévoir et interdire l'intervention des personnes morales dans le financement des campagnes électorales sénatoriales.
Pour le reste, je le répète, les positions étaient si éloignées que nous ne pouvions pas faire un bout de chemin ensemble.
C'est l'affrontement de deux logiques et, comme M. le rapporteur vient une fois de plus de le démontrer, nous n'avons pas la même lecture des articles 3, 24 et 72 de la Constitution.
M. Dominique Braye. Heureusement !
M. Guy Allouche. Nous avons eu un excellent débat en commission et en séance publique à plusieurs reprises, et je ne reprendrai donc pas tous les arguments qui ont été longuement développés. Nous laisserons le soin aux universitaires, dans le cadre de leurs recherches, de faire l'exégèse des propos des uns et des autres et chacun en tirera l'analyse qu'il jugera utile.
Je souhaiterais cependant insister sur deux points.
Tout d'abord, à propos du collège électoral sénatorial, monsieur le rapporteur, nous représentons la souveraineté nationale, nous sommes les élus du peuple, nous bénéficions de la légitimité du suffrage universel, fût-il indirect. Nous représentons des hommes et des femmes, des citoyens, et je continue de penser et je l'affirme toujours avec force...
M. Dominique Braye. Il n'a toujours rien compris !
M. Guy Allouche. Etes-vous donc imbécile à ce point, monsieur Braye ? Si vous ne comprenez pas, sortez prendre un verre ! Allez prendre des cours du soir d'instruction civique !
M. Dominique Braye. Je suis très bien ici !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, nous ne représentons que ceux qui nous élisent et que ceux qui se rendent aux urnes.
Monsieur le rapporteur, je vais essayer de vous convaincre avec un exemple très simple.
M. Dominique Braye. Vous n'y arriverez pas !
M. Guy Allouche. Vous prenez une surface de dix hectares ; vous mettez un jalon à chaque coin, qu'est-ce que cette surface ?
M. Dominique Braye. Ah ! Voilà le professeur !
M. Guy Allouche. C'est un terrain !
M. Dominique Braye. Non, c'est un champ !
M. Paul Girod, rapporteur. Un terrain à construire !
M. Guy Allouche. Mais si, sur cette même surface, vous faites vivre 1 000 personnes, cela devient une commune, voilà la différence ! Une collectivité territoriale n'existe que parce qu'il y a une communauté humaine qui vit sur une aire géographique. Telle est en tout cas la lecture qui est la mienne et qui, je pense, est partagée par nombre de mes collègues.
M. Dominique Braye. Ce n'est pas la nôtre !
M. Dominique Leclerc. Mais nous sommes des imbéciles !
M. Guy Allouche. Je persiste à penser que les territoires en tant que tels n'ont rien à voir avec notre propre légitimité démocratique. C'est bien pour nous différencier de l'Assemblée nationale que le Constituant a prévu que les sénateurs seraient élus par les représentants des collectivités locales.
Une assemblée parlementaire doit tenir compte des évolutions démographiques pour parfaire son assise politique et son authentique représentativité. Vous ne pouvez pas continuer à faire abstraction des mouvements de population qui se déplacent vers les zones urbaines et périurbaines.
M. Dominique Braye. Il ne comprend rien !
M. Guy Allouche. Je considère que la droite sénatoriale a tort de se présenter comme l'unique défenseur de la France des villages et des bourgs, et ce à aucun titre.
M. Dominique Braye. Je ne suis pas sûr que vous pensiez cela !
M. Guy Allouche. Nous sommes ici dans la diversité. Aussi bien à gauche qu'à droite, il y a des représentants des communes rurales et des communes urbaines. Vous ne pouvez donc vous arroger aucun titre à ce sujet !
Il est également inutile d'opposer, comme c'est parfois la tendance, les zones rurales aux zones urbaines : il y a complémentarité entre elles.
M. Dominique Braye. C'est faux tout cela !
M. Guy Allouche. Il faut aussi admettre le fait que certaines communes dites « rurales ou rurbaines » se développent parfois beaucoup plus vite lorsqu'elles sont proches de communes ou de villes dynamiques que lorsqu'elles sont, malheureusement, un peu trop isolées.
Le Sénat ne sera jamais - en tout cas c'est notre analyse - une Assemblée nationale bis.
M. Dominique Braye. Ah !
M. Guy Allouche. L'accroissement du nombre des grands électeurs que vous dénoncez permettra de mieux représenter le Sénat, surtout à un moment où nombre de nos concitoyens s'interrogent sur le rôle et la place de la seconde chambre dans le cadre de nos institutions. Vous savez tous que c'est un problème que les Français se posent.
M. Dominique Braye. Vous n'avez pas le droit de parler ainsi. Vous crachez sur le Sénat à longueur de journée ! Je vous le dénie !
M. Guy Allouche. Certes, les villes moyennes et les grandes villes seront mieux représentées dans le nouveau dispositif adoptée par l'Assemblée nationale. Mais il vous faut aussi reconnaître, mes chers collègues, que la désignation d'un grand électeur par tranche de 300 habitants confortera et renforcera la représentation du monde rural. Cela, vous ne pouvez le nier !
M. Dominique Braye. Vous n'avez toujours rien compris ! Vous devriez prendre des cours du soir de calcul mental !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, pouvez-vous demander à M. Braye de cesser d'interrompre l'orateur ?
M. le président. Ne vous inquiétez pas !
M. Guy Allouche. Que la majorité sénatoriale se rassure, les communes les moins peuplées continueront de peser d'un poids toujours significatif dans le collège électoral sénatorial.
M. Dominique Braye. C'est le poids relatif, ce n'est pas le poids absolu ! Cela, vous ne l'avez pas compris.
M. Guy Allouche. J'en viens à une remarque qui a été faite à l'instant : le bicamérisme et l'existence du Sénat. Tant que vous réagirez de la sorte, je ne pourrai m'empêcher de vous demander, mes chers collègues, en regardant ce côté droit de l'hémicycle : qui a voulu supprimer le Sénat ? Je vous pose la question !
M. Dominique Braye. Pas le peuple français, en tout cas !
M. Guy Allouche. Qui a voulu, en 1969, supprimer le Sénat ? Est-ce la gauche ? Bien sûr que non ! Alors, cessez de faire ce procès ! Nous n'avons jamais voulu porter atteinte au bicamérisme et nous sommes foncièrement attachés à l'existence du Sénat.
M. Dominique Braye. En crachant dessus à longueur de journée, vous prouvez tous les jours le contraire !
M. le président. Monsieur Braye, laissez terminer M. Allouche !
M. Guy Allouche. Attendez ! Je n'en suis pas à la conclusion, monsieur le président !
M. le président. Alors, ne provoquez pas non plus !
M. Guy Allouche. Monsieur le président, s'il vous plaît ! S'il vous plaît ! Confraternellement, je ne dis que cela !
M. Dominique Braye. Il va se fâcher !
M. Guy Allouche. Non seulement nous sommes attachés au bicamérisme, mais nous voulons renforcer sa légitimité. Nous voulons que le Sénat soit en accord avec son temps et, au contraire, élargir le champ de ses compétences dans le cadre d'une décentralisation qu'il faudra approfondir.
Il faudra bien que la droite sénatoriale assume parfois ses propres contradictions : vous ne pouvez pas dire que vous êtes pour les réformes et, dès que l'on en propose une qui va dans le bon sens, selon nous, soit la freiner, soit la tempérer, soit la refuser.
Mes chers collègues, il faut savoir ce que vous voulez ! J'en veux pour preuve que, lorsque le Gouvernement a proposé, pour tenir compte de l'augmentation de la population française constatée entre les deux recensements nationaux - soit 8 millions d'habitants supplémentaires - d'augmenter, par un projet de loi, certes, organique, le nombre de sièges de sénateurs, le Sénat, par une question préalable, l'a refusé.
Dans le même temps vous refusez - mais la loi est maintenant officialisée - la parité en disant qu'elle posera des problèmes - certains de nos collègues, du fait de la proportionnelle conjuguée à la parité, ne pourront plus se présenter - alors que, justement, l'augmentation du nombre de sénateurs permettait de régler non pas tous mais un certain nombre de ces problèmes.
J'ajoute que, lorsque notre rapporteur a dit tout à l'heure qu'il attendait du Gouvernement un projet de loi ordinaire tendant à répartir différemment le nombre des sénateurs en tenant compte de la population, là encore vous faites le contraire de ce que vous annoncez par ailleurs.
M. Dominique Braye. Il s'agissait du poids relatif. On ne sait pas ce que c'est.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur Allouche, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Guy Allouche. Je ne saurais vous refuser ce plaisir, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur Allouche, je vous remercie de votre courtoisie. Je voulais simplement vous faire remarquer que, lorsqu'en commission des lois j'ai eu l'honneur de rapporter la loi organique, en expliquant que le Sénat allait refuser l'augmentation du nombre de sénateurs, il me semble avoir entendu l'un de mes collègues socialistes - que vous reconnaîtrez peut-être - dire : « Mais alors, il faut savoir ce que cela veut dire : il faudra modifier à effectif constant la répartition des sièges entre les départements. »
M. Dominique Braye. Nous y voilà !
M. Paul Girod, rapporteur. A sa question : « Aurez-vous le courage d'accepter cela ? », nous avons répondu : oui !
M. Dominique Braye. Voilà ! Les choses sont claires au moins !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Il est exact que vous l'avez dit et que celui qui vous a posé la question l'a dit.
M. Dominique Braye. Ce sont des faits !
M. Guy Allouche. Certes, et je ne peux pas les nier.
Bref, le Sénat a pris une position, et je ne ferai pas l'exégèse de tout ce qui s'est dit à ce propos.
M. Paul Girod, rapporteur. Ni nous de tout ce qui se fait ou ne se fait pas !
M. Guy Allouche. Je voudrais maintenant exprimer mon accord avec ce qu'a toujours affirmé notre collègue M. Jean-Jacques Hyest à propos de l'augmentation du nombre de grands électeurs par rapport à l'effectif des conseils municipaux. Il a fait ainsi à juste titre allusion au mode de scrutin municipal et à la prime qui est trop forte et qui lamine les minorités.
A l'origine, en 1982, Gaston Defferre - et je me tourne vers M. Gaudin s'agissant de Marseille - ...
M. Dominique Braye. Merci pour lui !
M. Guy Allouche. ... souhaitait donner une assise solide aux équipes municipales afin qu'elles puissent conduire les affaires de la commune, il souhaitait qu'une majorité absolue se dégage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Avant c'était pire : il n'y avait pas de majorité !
M. Guy Allouche. Le Parlement a décidé d'accorder une prime qui est trop forte, selon moi, et qui va avoir une incidence sur la désignation des grands électeurs.
Telle est la distorsion que nous pourrions dénoncer. Mais personne n'a proposé de modifier le mode de scrutin municipal...
M. Dominique Braye. Si, Paul Girod !
M. Guy Allouche. ... ou, en tout cas, d'atténuer la prime majoritaire. Mais peut-être le ferons-nous un jour prochain.
Je veux dire aussi que le Sénat ne pourra pas faire l'impasse longtemps sur la question de l'impact des régions, qui est minoré, et sur le développement de l'intercommunalité depuis l'adoption de la loi Chevènement.
Le deuxième point de divergence fondamentale avec le rapport présenté au nom de la commission des lois par M. Paul Girod porte sur l'extension de la proportionnelle.
Je ne reviendrai pas sur la lancinante interrogation concernant la constitutionnalité de la pluralité des modes de scrutin pour l'élection des membres d'une même assemblée. Je ne sais pas si la majorité sénatoriale a l'intention de saisir le Conseil constitutionnel sur ce texte ! Je pose la question, parce qu'il se reportera sûrement aux travaux préparatoires. Quoi qu'il en soit, je persiste à penser que ce mode de scrutin est inconstitutionnel. (M. Vasselle s'exclame.)
Si vous prétendez le contraire, mes chers collègues, il faudra en mesurer les conséquences... pour l'autre assemblée. (M. Vasselle s'exclame de nouveau.)
Des bruits, des propositions circulent à propos de deux modes de scrutin pour les élections à l'Assemblée nationale. Ce n'est pas le projet du Gouvernement, mais certaines formations politiques y pensent.
Si, aujourd'hui, la droite sénatoriale dit que c'est conforme à la Constitution - et c'est très bien - il ne faudra pas, le jour venu, si la question se pose pour l'Assemblée nationale, qu'elle dise que ce n'est pas possible et que ce serait contraire à la Constitution.
M. Dominique Braye. Occupez-vous de votre formation politique ! Vous avez suffisamment de travail comme cela !
M. Guy Allouche. Je ne devrais peut-être pas vous le dire, mais je vous mets en garde contre une disposition que nous aurons peut-être à examiner un jour prochain.
M. Alain Vasselle. Vous n'avez pas besoin de réformer le mode de scrutin !
M. Guy Allouche. La logique pour les secondes chambres, dans la mesure - et c'est le cas du Sénat - où elles ne censurent pas le Gouvernement, qui ne peut pas les dissoudre, où elles n'ont pas à former une majorité de gouvernement, conduit naturellement à la proportionnelle.
J'ai encore entendu M. le rapporteur dire : la proportionnelle, c'est la mainmise des partis politiques,...
M. Dominique Braye. C'est évident !
M. Alain Vasselle. Vous n'existez que grâce à cela !
M. Guy Allouche. ... j'en déduis qu'il y a de bons sénateurs, d'excellents sénateurs, ceux qui sont élus au scrutin majoritaire, et qu'il y en a qui le sont moins, parce qu'ils sont élus à la proportionnelle !
M. Dominique Braye. Il faut prendre des cours du soir ! Vous comprendrez un jour !
M. Guy Allouche. Si la proportionnelle est vraiment si néfaste, monsieur le rapporteur, pourquoi prévoyez-vous son extension ? Il fallait réduire la proportionnelle, or vous voulez aller encore au-delà de ce qui existe actuellement.
Enfin, pour ce qui concerne l'élection des délégués, l'application de la proportionnelle conférera au dispositif une meilleure lisibilité.
Mes chers collègues, je vais conclure...
M. Dominique Braye. Enfin !
M. Guy Allouche. ... en rappelant, à propos de la proportionnelle, une déclaration que j'ai trouvée intéressante, car elle m'a un peu surpris, de M. Jean-Pierre Raffarin.
M. Dominique Braye. Il a de bonnes références !
M. Guy Allouche. Tout récemment, dans un article publié par un grand journal du soir, il écrivait que, grâce au scrutin proportionnel, les régions sont bien représentées et que ce qu'elles font, elles le doivent au pluralisme de représentation. Je crois que, pour ce qui concerne le Sénat, il nous faudra intégrer cette donnée.
Ma conclusion est simple, mes chers collègues : nous n'approuverons pas le texte tel qu'il va sortir des travaux du Sénat.
M. Dominique Braye. C'est une surprise !
M. Guy Allouche. En revanche, nous approuvons celui qui a été présenté par le Gouvernement et amendé par l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, cette réforme du mode d'élection des sénateurs est la première d'une série plus ou moins longue de réformes institutionnelles. Il y en aura d'autres, et la prochaine à laquelle nous n'échapperons pas, vous le savez très bien, c'est celle...
M. Jean-Jacques Hyest. ... du quinquennat !
M. Guy Allouche. ...de la réduction de la durée du mandat sénatorial.
M. Dominique Braye. Là, je suis pour !
M. Guy Allouche. Lorsqu'il y a une dizaine d'années, à cette même tribune, j'avais osé dire qu'un jour il faudrait réfléchir à cette réduction, que n'ai-je entendu ! Pour certains, je tenais des propos iconoclastes.
M. Dominique Braye. Déjà ? Cela me rassure !
M. Guy Allouche. Mais j'avais le plaisir de ne pas vous connaître, monsieur Braye !
M. Dominique Braye. Oh !
M. Jean-Paul Emorine. Quel manque de courtoisie !
M. Guy Allouche. Pourtant, aujourd'hui, chacun s'accorde à reconnaître que nous ne pourrons pas faire l'économie de ce débat sur la réduction de la durée du mandat sénatorial. Et il y en aura d'autres, parce que c'est une nécessité.
M. Dominique Braye. C'est le marabout Allouche !
M. Guy Allouche. Je vais citer quelqu'un dont je respecte et la personne et la fonction même si je ne partage pas ses options politiques, je veux parler du Président de la République. Dans un message adressé samedi dernier à sa propre formation politique - ce message aurait d'ailleurs pu être transmis à la droite sénatoriale tout entière - il indiquait : « Vous devez être d'abord et avant tout un rassemblement moderne, soucieux d'intégrer l'évolution des esprits et des choses, déterminé à adapter en permanence la France aux réalités de son temps.
M. Dominique Braye. Il a de bonnes références ! Avant, c'était « Tonton » !
M. Guy Allouche. Le grand tort de la gauche, je le confesse, c'est qu'elle a parfois dix, voire quinze ans d'avance sur vous.
M. Dominique Braye. En plus, il est content de lui. Vous êtes vraiment trop modeste, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Que le Sénat réfléchisse à ce que dit le Président de la République. Si vraiment il met en oeuvre ce qui lui est recommandé, alors il y aura peut-être un point d'accord entre nous.
M. Hilaire Flandre. Il n'y a personne pour l'applaudir. Ils sont partis pour ne pas l'entendre.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois, le Sénat examine le projet de loi modifiant son mode d'élection après l'échec prévisible de la commission mixte paritaire. A deux reprises, le 23 juin 1999 et le 15 mars dernier, mon ami Michel Duffour a eu l'occasion d'exposer en détail notre appréciation sur le projet, ses avancées indéniables et ses lacunes persistantes.
Je rappellerai dans un instant l'attitude des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sur le texte lui-même. Avant, je tiens à dire quelques mots du contexte nouveau de ce débat sur l'élection des sénateurs.
Le projet de loi constitutionnelle sur le quinquennat oblige de toute évidence à une réflexion approfondie sur les institutions de la France.
Quarante-deux ans après l'instauration de la Ve République, le constat d'une crise grave de la politique n'est plus à faire.
Chaque élection marque une désaffection nouvelle des Françaises et des Français et, surtout, le rejet systématique, depuis 1986, de chaque majorité sortante.
La méfiance à l'égard de la politique, de ses représentants, est en progression.
Comment ne pas faire le lien entre cette évolution particulièrement dangereuse pour la démocratie, l'accumulation des déceptions et le sentiment, fondé selon nous, d'un éloignement progressif et continu des lieux de décisions, les modalités actuelles de construction européenne amplifiant ce sentiment ?
Dans le même temps, le développement des nouvelles technologies, la mondialisation des échanges et de l'information amplifient la volonté de participer à la construction de l'avenir.
Le Sénat ne peut échapper à cette réflexion. Il ne peut rester en dehors des évolutions politiques et sociologiques profondes qui parcourent notre pays.
Je crois, mes chers collègues, qu'il serait bien de faire le bilan de l'action sénatoriale ces dernières années. Cette action reflète-t-elle la réalité politique, les attentes exprimées par les Françaises et les Français ? Répond-elle aux exigences de notre temps ? De toute évidence, le mode d'élection du Sénat ne le permet pas !
Notre rapporteur, M. Paul Girod, rappelait en première lecture que le Sénat exerce « une contribution déterminante à l'élaboration des lois » et dispose d'une capacité de blocage souvent déterminante alors que cette chambre n'est pas le reflet - même éloigné - de la réalité politique du pays.
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur Bret, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Robert Bret. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je ne voudrais pas qu'il y ait d'équivoque. En réalité, en deuxième lecture plus qu'en première lecture j'ai souligné que le pouvoir de blocage du Sénat ne concernait que les lois organiques et les lois constitutionnelles et qu'un certain nombre de textes dont on dit que le Sénat les bloque seraient peut-être un peu différents si le Sénat avait un vrai pouvoir de blocage.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je n'ai jamais dit que le Sénat avait une « contribution » significative de blocage ; j'ai dit le contraire.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret. J'ai dit très précisément que le Sénat excerce une contribution déterminante à l'élaboration des lois et dispose d'une capacité de blocage souvent déterminante.
M. Jean-Jacques Hyest. Et quand on veut nous faire voter comme l'Assemblée nationale, on nous impose le vote bloqué ! C'est formidable !
M. Robert Bret. Je vais y revenir !
Le Sénat n'est pas le reflet, même éloigné, de la réalité politique du pays, et l'alternance y est, du fait d'un mode de scrutin injuste, interdite. C'est une réalité incontournable. Non seulement cette chambre n'est pas le reflet de la réalité politique, plus des deux tiers des sénateurs sont à droite, mais encore, elle n'est pas le reflet de la réalité démographique de notre pays.
Il faut rappeler que le Sénat de l'an 2000 représente la France de 1975 ! De surcroît, la majorité de droite a repoussé, le 15 mars dernier, par voie de question préalable, une nouvelle répartition des sièges fondée sur le recensement de 1999.
M. Dominique Braye. Non, c'est faux !
M. Hilaire Flandre. C'est l'augmentation du nombre de sièges ! Vous dites des contrevérités !
M. Paul Girod, rapporteur. Monsieur Bret, me permettez-vous de vous interrompre à nouveau ?
M. Robert Bret. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur avec l'autorisation de l'orateur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je reprends ce que j'ai dit tout à l'heure : en 1999, le Sénat n'a pas refusé une nouvelle répartition des sièges, il a refusé qu'on augmente le nombre de sièges, ce qui n'a rien à voir !
Il faut que les choses soient claires sur ce point vis-à-vis de nos collègues et, surtout, vis-à-vis de l'opinion publique.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret. Vous avez rappelé, voilà un instant, l'article 24 de la Constitution aux termes duquel le Sénat représente les collectivités territoriales. Donc, de ce point de vue-là, nous sommes d'accord.
M. Paul Girod, rapporteur. Cela n'a pas bougé !
M. Robert Bret. Lors de la première lecture et de la deuxième lecture, nous avons rappelé que la majorité sénatoriale, dans son obstination, faisait la sourde oreille aux décisions du Conseil constitutionnel.
Comment accepter cette attitude de repli, alors que vous avez rappelé, monsieur Paul Girod, et affirmé, non sans satisfaction, dans votre rapport en première lecture, que « la prééminence législative de l'Assemblée nationale n'a pas empêché le Sénat de faire obstacle à des textes ou à des dispositions mettant en cause des objectifs qui rencontreraient l'hostilité d'une large partie de l'opinion publique. »
C'est au nom de ce dernier principe que la droite sénatoriale a lutté avec acharnement contre des textes ou dispositions qui étaient contestés, en fait, par une minorité, parfois infime, de l'opinion publique.
Rappelons-nous nos débats sur le PACS, les 35 heures, le logement social, le récent projet de loi de Jean-Claude Gayssot et sur la parité. Nous en avons eu encore un exemple voilà un instant, lors de la discussion du projet de loi organique relatif à l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux.
Du fait de la Constitution, le Sénat a pu ralentir ces projets, mais il n'a pu les faire échouer.
Il en a été autrement pour la limitation du cumul des mandats que souhaite une grande majorité de la population. Comme il s'agissait d'une loi organique concernant le Sénat, elle pouvait donc, à ce titre, être bloquée par ce dernier.
Le refus du Sénat d'écouter les arguments de bon sens développés tout récemment par le Gouvernement - la semaine dernière - sur le projet de loi relatif aux délits non intentionnels, arguments que j'avais moi-même développés dès le début de l'examen de ce texte, a entraîné des difficultés et a retardé ce texte, alors que les élus et les victimes de ces délits attendent tant d'une évolution législative.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas notre faute !
M. Robert Bret. Il est indéniable qu'un problème démocratique important est posé. Une assemblée où l'alternance est interdite, où une sensibilité politique, la droite, détient le pouvoir de manière immuable,...
M. Dominique Braye. Voilà ce qui vous gêne !
M. Robert Bret. ... peut-elle être autorisée par une constitution pleinement démocratique à bloquer les décisions prises par les représentants directs du peuple ? Cette conception est-elle réellement républicaine ?
Une réflexion doit être rapidement engagée - nous aurons l'occasion d'y revenir le 29 juin, lors du débat sur le quinquennat - sur une évolution profonde du Sénat, ainsi que sur le fonctionnement et l'avenir du bicamérisme dans notre pays.
Des mesures de démocratisation du Sénat peuvent être très rapidement prises.
Nous veillerons à la juste application de la nouvelle loi sur la parité dès les prochaines élections sénatoriales. La venue de nombreuses femmes dans notre hémicycle, si masculin, sera sans nul doute une première révolution, que je sais redoutée par beaucoup ici.
M. Hilaire Flandre. On ne demande que cela !
M. Robert Bret. Certains même l'appréhendent avec un peu d'effroi !
M. Dominique Braye. Nous ne sommes pas comme vous ! Au contraire, nous attendons cela avec beaucoup d'impatience !
M. Robert Bret. Il faut rapidement décider la réduction du mandat sénatorial qui, aujourd'hui de neuf ans, est, comme l'a souligné M. Allouche, le plus long d'Europe. C'est un record ! En 1989, Anicet Le Pors, au nom du parti communiste français, en demandait la réduction à six ans. En 1997, notre groupe rappelait cette position déjà ancienne par le dépôt d'une proposition de loi en ce sens.
Le débat reste ouvert sur le renouvellement en une ou deux fois, sachant que le renouvellement unique favorise la photographie d'un instant.
Nous refusons le rôle de « modérateur », de « stabilisateur » ou « d'amortisseur » confié au Sénat par M. Girod, face aux changements politiques souhaités par les Français et exprimés par le suffrage universel.
Le peuple est-il souverain ou non ? Si l'on craint la souveraineté populaire, il faut l'affirmer clairement !
Des voix, de plus en plus nombreuses, s'expriment au sein même de la majorité sénatoriale, comme celle de M. Delevoye, en faveur d'une réduction du mandat. J'ai même entendu M. Braye se prononcer aussi pour une réduction du mandat.
M. Dominique Braye. A titre personnel !
M. Robert Bret. Bien sûr !
Le Sénat s'honorerait de prendre lui-même cette initiative.
Dans le même ordre d'idée, il apparaît urgent de réduire l'âge d'éligibilité au Sénat. Nous proposons, vous le savez, de retenir l'âge prévu pour les députés et de mener une réflexion sur l'abaissement généralisé de l'éligibilité à l'âge de la citoyenneté, c'est-à-dire dix-huit ans.
Nous estimons, enfin, qu'il faut, en dehors d'une réflexion fondamentale sur la place du Sénat dans les institutions de la République, examiner des possibilités de réforme de la représentation sénatoriale pour permettre une réelle représentation du pays.
Ne peut-on évoluer vers une répartition proportionnelle des sièges départementaux des sénateurs en fonction de la population nationale ?
Cette dernière proposition m'amène à revenir au texte même en débat.
Nous l'avons indiqué dès la première lecture, nous approuvons l'amorce de réforme que représente le projet de loi.
Nous approuvons, notamment, l'application du mode de scrutin proportionnel dans les départements comprenant trois sénateurs ou plus.
Nous sommes satisfaits de l'instauration du principe de l'élection d'un délégué sénatorial pour 300 habitants, ce qui correspond à la proposition que nous avons effectuée dès la première lecture ici même.
Nous regrettons, toutefois, sur le principe, que la désignation à la proportionnelle de ces délégués ne puisse plus se faire, du fait de la décision du Conseil constitutionnel du 30 mai dernier, qu'à compter de 3 500 habitants.
Sur ce dernier point, toujours sur le plan du principe démocratique, il nous aurait semblé préférable de conserver la règle du plus fort, qui garantit le plus grand respect des minorités, plutôt que celle de la plus forte moyenne, qui a été finalement retenue à l'Assemblée nationale.
Vous comprendrez, à l'écoute de mes propos, qu'une nouvelle fois notre opposition aux propositions de la majorité sénatoriale sera claire et déterminée.
Tout en acceptant, à reculons, le principe d'une évolution de la représentation sénatoriale, la majorité du Sénat tente de la réduire à sa plus simple expression.
Une seule raison fonde cette démarche : au mépris des principes démocratiques que je viens de rappeler vous voulez préserver à tout prix votre bastion.
C'est une démarche clanique, un raisonnement purement politicien qui animent la majorité du Sénat, alors que l'heure est à une réflexion pleinement pluraliste, à l'écoute des aspirations populaires fortes, qui montent.
Votre surdité à ces messages mène le Sénat dans une impasse.
En conclusion, oui - je l'affirme fortement -, si le Sénat a un avenir, il ne peut être que dans une profonde mutation.
Malheureusement, votre attitude, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, ne met pas cette réforme, ô combien nécessaire, sur de bons rails.
Nous ne pouvons donc voter que contre ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle. Démago !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'attention tout à l'heure la plaidoirie de notre ministre sur le texte adopté par l'Assemblée nationale. Il m'a rappelé étrangement ces avocats qui faisaient tout pour « descendre » leurs clients et leurs affaires ! Il a utilisé un ton tel qu'il a, en réalité, détruit tout le travail de l'Assemblée nationale en ce qui concerne le mode d'élection des sénateurs.
J'ai beaucoup apprécié ce que vient de dire notre collègue Robert Bret. Il y a, dans son propos, une chose très juste, avec laquelle, au fond, je suis d'accord.
Mme Hélène Luc. Ah ?
M. Robert Bret. Il m'inquiète !
M. Patrice Gélard. En réalité, nous sommes face à une réforme de plus, faite au nom de la modernité, mais sans lien véritable avec les nécessaires réformes de modernité que notre société exige. Il en va de même de la parité, du cumul des mandats, du mode d'élection des sénateurs... On multiplie les réformes au nom de la modernité et au nom de l'opinion publique, laquelle s'en moque éperdument !
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas vrai !
M. Robert Bret. Mais non !
M. Patrice Gélard. Si, c'est vrai ! Elle se moque éperdument de savoir si le sénateur est désigné de telle façon plutôt que de telle autre, ou s'il est à la fois maire et conseiller général ! Je suis désolé, mais ce n'est pas son affaire !
En vérité, je crains que, derrière la multiplication de ces réformes, une volonté politique n'ait pour objet de rendre le Sénat moins « dérangeant »,...
M. Dominique Braye. Voilà ! En finir avec tout ce qui dérange !
M. Patrice Gélard. ... d'asservir un Sénat insuffisamment soumis !
M. Dominique Braye. Voilà !
M. Auguste Cazalet. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Il est soumis à la loi !
M. Patrice Gélard. Derrière tout cela, il y a aussi la volonté permanente de généraliser le scrutin proportionnel.
M. Dominique Braye. Voilà !
M. Patrice Gélard. Il suffit d'écouter ce qui s'est dit, ce week-end, lors de la convention « Territoires et Citoyens » du parti socialiste !
Une minorité a approuvé la généralisation du scrutin proportionnel à l'élection cantonale !
M. Guy Allouche. Chez nous, elles peuvent parler les minorités !
M. Patrice Gélard. Le masque est tombé : on veut généraliser la proportionnelle pour toutes les élections.
M. René-Pierre Signé. C'est plus juste !
M. Patrice Gélard. On veut faire en sorte que le Sénat devienne sage, ou le plus possible à l'image de l'Assemblée nationale et, accessoirement - ou plutôt principalement -, on souhaite que le parti socialiste et ses alliés soient systématiquement reconduits dans leurs fonctions.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est humain !
M. René-Pierre Signé. Nous le serons !
M. Guy Allouche. C'est ce que demande le peuple !
M. Patrice Gélard. Cela dit, venons-en au texte qui nous préoccupe.
Je rappelle que le Sénat est régi par trois catégories différentes de textes : la Constitution, la loi organique et la loi ordinaire.
La Constitution précise trois choses, notre rapporteur l'a excellemment rappelé tout à l'heure : le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales, il est élu au suffrage indirect et il assure la représentation des Français de l'étranger.
La loi organique, elle, fixe la durée du mandat des sénateurs et leurs immunités, de même que celles des députés, d'ailleurs.
Enfin, la loi ordinaire fixe le mode d'élection.
Venons-en à cette loi ordinaire et essayons de voir dans quelle mesure le texte du projet de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale est en conformité avec, d'une part, la loi organique et, d'autre part, la Constitution.
Le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. On vient de nous répéter - et M. le ministre l'a lui-même dit - que l'objectif était d'assurer une meilleure représentation démographique.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Mais la représentation démographique, je suis désolé de le dire, ce n'est pas la représentation des collectivités territoriales !
M. René-Pierre Signé. Vous représentez les oiseaux ?...
M. Patrice Gélard. Je dirai, me rangeant derrière M. le rapporteur, que les collectivités territoriales ont changé, qu'elles ont été modifiées, et que nous avons peut-être raté le coche plusieurs fois dans le passé. Ainsi, nous aurions dû, lorsque nous avons touché au mode de scrutin et au pouvoir des collectivités territoriales, changer le mode de désignation des sénateurs.
Les collectivités territoriales, vous les connaissez aussi bien que moi, ce sont les communes, les départements, les régions et les territoires d'outre-mer, pour l'instant, l'intercommunalité n'en fait pas partie.
L'Assemblée nationale nous propose l'écrasement, la disparition quasi totale des régions et des départements au sein du collège des grands électeurs !
Chez moi, par exemple, que vont représenter 30 conseillers régionaux et 69 conseillers généraux face aux 9 000 délégués des communes ?
M. René-Pierre Signé. C'est normal !
M. Patrice Gélard. On va complètement dénaturer la représentation des collectivités territoriales. En réalité, partant du principe - mais je crains que vous ne fassiez un mauvais calcul - que les grandes villes sont plus souvent à gauche qu'à droite, alors que les petites communes rurales votent à droite, votre seule préoccupation est d'avoir un plus grand nombre d'électeurs. Je suis désolé de vous dire qu'en science politique vous faites une erreur car, à terme, tous les politologues ont prévu l'inverse, à savoir que ce seront les grandes villes qui seront à droite et les zones rurales qui seront à gauche !
M. Auguste Cazalet. Ils changeront le système ! (Sourires.)
M. Dominique Braye. C'est bien vu !
M. Patrice Gélard. On changera alors à nouveau le système, évidemment !
M. Guy Allouche. C'est la preuve que nous serons toujours au pouvoir !
M. Patrice Gélard. La Constitution précise que les sénateurs sont élus au suffrage indirect ; ils sont les élus des élus. Mais il n'est nulle part dit que le suffrage indirect, c'est la généralisation du clonage et la multiplication des clones ! M. Paul Girod l'a très bien dit tout à l'heure : que sont ces 1 630 délégués parisiens sinon des clones ? Ils ne servent à rien !
Je m'étonne d'ailleurs que le ministère de l'intérieur, qui est généralement soucieux de faire des économies, n'ait pas pensé aux frais de déplacement et de réception de ces nouveaux 1 630 grands électeurs !
Pourquoi ne pas avoir dit directement, si l'on voulait à tout prix assaisonner les membres du Conseil de Paris à la même sauce que dans les autres départements, que chaque membre de ce Conseil voterait dix fois ? C'était beaucoup plus simple que de demander à la cousine, à la nièce, à la belle-soeur, au beau-frère ou aux copains de vous représenter ! Des clones, comme je vous le disais, des clones !
M. Alain Gournac. Absolument !
M. René-Pierre Signé. Caricature !
M. Patrice Gélard. Caricature, dites-vous ? Eh bien multiplions les exemples !
M. René-Pierre Signé. Arrêtez !
M. Dominique Braye. La vérité est dure à entendre, n'est-ce pas ?
M. Patrice Gélard. A l'heure actuelle, les grands électeurs sont majoritairement des élus du suffrage universel. Avec le système qui nous est proposé, les grands électeurs ne seront plus des élus du suffrage universel : ce seront des élus d'élus ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Dès lors, nous sommes en face d'une dénaturation du suffrage indirect. La notion de suffrage indirect au sens de la Constitution n'est plus respectée !
M. Dominique Leclerc. Cela ne les gêne pas puisque ce sont eux qui le proposent !
M. Patrice Gélard. Mais venons-en au fond du problème.
A propos des ordonnances de 1986, le parti socialiste avait soulevé des objections très intéressantes. Or nous retrouvons aujourd'hui un certain nombre d'éléments identiques à ceux qui, à l'époque, justifiaient les reproches qu'il adressait à la droite au pouvoir.
Nous sommes en effet devant une série de dispositions tout à fait arbitraires. Ainsi du nombre des délégués municipaux. Pourquoi 300 ? Pourquoi pas 100 ? Pourquoi pas 10 ? C'est purement arbitraire !
Egalement entaché d'arbitraire, le passage à trois sénateurs pour la proportionnelle. Pourquoi trois ? Pourquoi pas quatre ? Ce nombre de trois n'a aucune base véritablement objective.
M. René-Pierre Signé. Il y a toujours des seuils !
M. Patrice Gélard. N'oublions pas qu'en matière électorale il existe deux points d'équilibre qu'il faut constamment rechercher : l'équilibre démographique, certes, mais aussi l'équilibre politique, et celui-ci n'est plus respecté dans le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Enfin, puisque cet argument a été utilisé à de nombreuses reprises, on ne modifie pas des règles de scrutin sans veiller à ce que les nouvelles règles tiennent compte de l'évolution démographique. Or les résultats du recensement de 1990 non plus que ceux du recensement 1999 n'ont été pris en compte. Nous vous avons dit, monsieur le ministre, que nous ne voulions pas de l'augmentation du nombre des sénateurs - ce qui, au passage, démontre notre modernité - mais que, en revanche, nous étions prêts à accepter un redécoupage des départements. Nous attendons toujours le projet de loi organique par lequel le Gouvernement nous proposerait un tel redécoupage. Mais cela serait très gênant, car un certain nombre de départements qui votent à gauche sont en déclin démographique et perdraient donc un sénateur...
M. Guy Allouche. Paris en perdrait quatre !
M. Patrice Gélard. Oui, mais cela ne me dérange pas, en l'occurrence !
Quoi qu'il en soit, n'avons-nous pas mis, dans cette affaire, la charrue avant les boeufs ? Ce texte vient-il au bon moment ? Ne fallait-il pas se livrer à une étude d'ensemble du nécessaire toilettage de nos institutions, au lieu de procéder au coup par coup, c'est-à-dire au lieu de tirer à boulets rouges en permanence sur la forteresse - on a parlé tout à l'heure de « bastion » - que constituerait le Sénat face à la majorité plurielle ?
En vérité, nous sommes devant l'un des éléments de cette machine de guerre lancée contre le Sénat, avec en toile de fond cette accusation permanente selon laquelle, si les réformes ne se font pas, c'est à cause de lui, parce qu'il n'est pas moderne. Or le Sénat fait, au contraire, constamment avancer les choses, et il sait dénoncer cette malheureuse tendance à vouloir faire le bonheur de nos concitoyens sans réellement leur demander leur avis.
M. Dominique Braye. En les trompant !
M. Patrice Gélard. Alors, face à tout cela, face aux incohérences fort justement stigmatisées par M. Paul Girod, une seule attitude est possible : il nous faut revenir au texte initial du Sénat - je rappelle que celui-ci avait déposé son texte avant le Gouvernement - qui est plein de bon sens.
Avant de clore cette intervention, je veux répondre à M. Allouche, qui a soulevé un problème qui n'en est pas un. Il peut y avoir, pour désigner les membres d'une même assemblée, deux modes de scrutin différents à condition qu'il y ait un seuil objectif. Aux termes d'une jurisprudence toute récente du Conseil constitutionnel, c'est le seuil de 3 500 habitants qui est reconnu comme valable. A quoi s'ajoute une tradition, maintenant presque centenaire, qui veut que les sénateurs, ou les conseillers de la République, aient été constamment élus selon deux modes de scrutin différents.
Enfin, mes chers collègues, ce n'est pas parce que l'on dit que c'est moderne, que ça l'est.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Patrice Gélard. La modernisation, cela se pense, cela exige qu'on y réfléchisse.
Quand on veut être moderne, il faut envisager les conséquences de ses actes. Or nul n'envisage ces conséquences : on ne voit que le bénéfice immédiat ou à court terme.
M. Guy Allouche. Qui visez-vous ?
M. Patrice Gélard. Je suis convaincu que ce genre de réforme n'a de moderne que le nom. En fait, ce que l'on nous propose est pire que la situation à laquelle on prétend remédier. (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Allouche. A qui pensez-vous ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er A